Cameroun : L’accès à la profession de commerçant

Fiche réalisée par Slim J. Nzonteu.

Depuis le 1er janvier 2000, tout commerçant (personne physique et morale) est contraint de se soumettre à l’Acte Uniforme portant Droit Commercial Général (A.U.D.C.G). Toutefois, cet Acte Uniforme ne réglemente pas expressément l’accès à la profession de commerçant, il se contente seulement d’en poser les limites. Dès lors au Cameroun, la Loi n°90/031 du 10 août 1990 réglementant l’accès à ladite profession, laquelle loi reprenant en réalité les dispositions du l’ancien Code de Commerce de 1808, a été maintenue.

I- LE PRINCIPE DU LIBRE ACCES A LA PROFESSION COMMERCIALE

Ce principe signifie que l’accès à la profession de commerçant est libre. Il a été posé depuis le décret d’Allarde de 1791 en son article 9 : « (…) il sera permis à toute personne de faire telle négoce pour exercer telle profession ou métier qu’elle trouvera bon, sous réserve de payer une patente et de se soumettre au règle de police ». A l’analyse de la loi camerounaise de 1990, il ressort que cette liberté concerne d’une part les personnes et les activités qu’elles entreprennent de faire, et d’autre part les modes, les modalités et le cadre géographique d’exercice.

A- La liberté d’accès est relative aux personnes et aux activités
1) Les personnes
Toute personne physique (de sexe masculin ou féminin) ou morale, de nationalité camerounaise ou étrangère est libre d’exercer la profession de commerçant.
2) Les activités
Le commerçant est libre de constituer une entreprise (article 5, Loi de 1990) ; il est aussi libre d’exercer toute activité de production, d’échange de biens et de services.

B- La liberté d’accès est aussi relative aux modes, modalités et cadres géographiques d’exercice de la profession
1) Les modes d’exercice
Le commerçant est libre de fixer leur politique de production, de distribution et de commercialisation de leurs produits. Il est également libre de commercialiser ses produits en gros ou en détails ou des produits similaires, à condition de tenir une comptabilité distincte (article 6, Loi de 1990). Il est enfin libre d’importer ou d’exporter dans le cadre de leur objet social et dans le respect des lois et règlements en vigueur (article 7, Loi de 1990).
2) Les modalités d’exercice
La loi de 1990 dispose que c’est le du pouvoir réglementaire qui fixe les modalités d’exercice de la profession de commerçant. Par exemple, un décret du 22 novembre 1993 définit les conditions d’exercice de la profession d’exportation, de vente en gros, de vente en détail, de commerce sédentaire, de commerce ambulant, de vente à la sauvette, d’exploitation des gargotes, d’exploitation artisanale, etc. Dans le même sens, voir l’article 6 du décret ci-dessus
3) Le cadre géographique
Le commerçant est libre de choisir le site d’implantation de son établissement. Toutefois, une Loi du 8 juillet 1976 impose aux entreprises installées au Cameroun d’y fixer leur siège social.

II- MAIS LE PRINCIPE DU LIBRE ACCES CONNAIT DES LIMITES

Ces limites visent non pas à interdire l’accès à la profession commerciale des individus, mais elles visent surtout à protéger d’abord les commerçants eux-mêmes et ensuite l’intérêt général.

A- La protection des commerçants eux-mêmes ou règles de capacité
Ces règles de capacité visent à protéger les mineurs, la femme mariée à un commerçant et les majeurs incapables.
1) Le cas du mineur non émancipé
Il « ne peut avoir la qualité de commerçant ni effectuer des actes de commerce » : article 7 al.1er de l’A.U.D.C.G. Il ne jouit pas de la capacité civile pour exercer le commerce. Mais tel n’est pas le cas du mineur émancipé, les conditions d’émancipation étant prévues à l’article 476 et suivants du Code Civil camerounais, édition 2000
2) Le cas de la femme mariée à un commerçant
Dans l’ancien Droit camerounais, à l’origine, la femme mariée était totalement incapable. Mais des Lois du 18 février 1938 et du 22 septembre 1942, en leur article 4 sont intervenues plus tard et disposaient que la femme peut être commerçante à condition d’ obtenir l’autorisation préalable de son mari et d’exercer un commerce séparé de celui de son époux.
Aujourd’hui, l’article 7 al.2 de l’A.U.D.C.G a abrogé toutes ces législations nationales et pose seulement l’exigence d’un commerce séparé de celui du mari.
3) Le cas du majeur incapable
On se réfère aux dispositions du Code Civil parce que l’ancien Code de Commerce camerounais et l’Acte Uniforme ne contiennent aucune disposition sur ces personnes. Ainsi, s’il s’agit d’un majeur représenté placé sous-tutelle, il est soumis au régime du mineur non émancipé ; tandis que si c’est un majeur assisté placé sous-curatelle, il peut exercer le commerce à condition d’être continuellement assisté de leur curateur.

B- Protection de l’intérêt général
Les règles y relatives sont les règles d’incompatibilité, les interdictions et déchéances et les autorisations préalables.
1) Les incompatibilités : article 8 et 9 A.U.D.C.G
Il ressort de ces articles La profession de commerçant est incompatible la profession de fonctionnaires, de personnels des collectivités publiques et des entreprises à participation publique, d’officiers ministériels et auxiliaires de justice, d’experts comptables agréés, de commissaires aux comptes de conseils juridiques, et plus généralement de toutes professions dont l’exercice fait l’objet d’une réglementation interdisant le cumul de cette activité avec l’exercice d’une profession commerciale.
2) Les interdictions et déchéances : article 10 et 11 A.U.D.C.G
Les personnes condamnées pour crime ou délit ou à des peines privatives de liberté d’au moins 3 mois et les personnes condamnées, etc sont interdites d’exercer toute activité commerciale. La déchéance quant à elle intervient automatiquement dès le jugement de condamnation, sa durée ne peut être inférieure à 5 ans.
3) Les autorisations
Elles sont requises pour les nationaux au début de l’exploitation d’une activité commerciale et elles portent des appellations différentes mais synonymes : licence d’exploitation, agrément, autorisation, diplôme, etc.
Mais en ce qui concerne les étrangers qui souhaite exercer la profession de commerçant, l’A.U.D.C.G ne traite pas spécialement de leurs cas. Si on se réfère à la législation nationale, on doit décider que l’étranger doit avoir un agrément de l’autorité administrative (le ministre en charge du commerce) et il doit obtenir une carte spéciale de commerçant, distincte de la carte de séjour : voir l’article 9 de la Loi de 1990.

L’évolution constitutionnelle au Cameroun

Fiche rédigée par Gerald Afuba.

Depuis son indépendance, le Cameroun a connu 4 constitutions, ce qui traduit une richesse de l’histoire du Droit constitutionnel et donne à la récente constitution une dimension nouvelle.

Le 1er janvier 1960, l’ex – Cameroun oriental, alors sous administration française, acquiert une autonomie politique et surtout constitutionnelle, marquée par l’adoption de sa première Constitution le 3 mars 1960. Cette constitution sera de courte durée puisqu’en 1961 la partie occidentale, alors sous administration britannique, est ralliée à la « République du Cameroun » et formant ainsi la « République fédérale du Cameroun ». Après un référendum d’approbation de la fusion des deux Etats fédérés (francophone et anglophone) la Constitution de la République fédérale entre en vigueur le 1er octobre 1961.

Cette constitution aura beau durer plus de 10 ans, mais dans l’esprit du premier président Ahmadou Ahidjo, elle était transitoire, car son objectif était de réaliser l’unification du Cameroun qui interviendra quelques années plu tard à l’occasion du referendum du 20 mai 1972. La Constitution de la République Unie du Cameroun qui entre en vigueur le 2 juin 1972 connaîtra d’innombrables modifications dont la dernière a donné lieu à la Constitution révisée du 18 janvier 1996 qui est d’ailleurs la plus importante.

Cette révision « supposée » a été en réalité un véritable changement des options constitutionnelles de 1972. Ainsi, au lieu d’une simple révision de la constitution, on a plutôt assisté à l’écriture d’une nouvelle constitution votée par le parlement, ce qui trahit les principes qui fondent l’action du pouvoir constituant (seul habilité à changer la constitution), et on est en droit de parler d’une fraude à la constitution.

Cameroun : La responsabilité du Président de la République

Fiche rédigée par DJEG.

La notion de la responsabilité du Président de la République Camerounaise se résume dans la question de savoir si le Président de la République devrait répondre des actes posés dans l’exercice de ses fonctions. Il convient de distinguer ici la responsabilité au plan politique et la responsabilité au plan pénal du Président de la République.

Sur le plan politique, le Président de la République Camerounaise est traditionnellement irresponsable ; le parlement ne pouvant l’obliger à démissionner. Cette irresponsabilité politique du Président de la République est d’abord liée à la nature du régime et ensuite justifiée par le souci d’éviter des conflits politiques pouvant déstabiliser le régime.
En outre, dans le système politique camerounais, l’institution du contreseing (tel qu’en France par exemple) qui fonde l’irresponsabilité du Président suivant une lecture parlementaire est inexistante ; le Président de la République Camerounaise exerce par conséquent des pouvoirs importants, sinon la totalité des pouvoirs, et bénéficie du même coup d’une immunité absolue sur le plan politique.
Cependant on peut voir d’abord dans le mode d’élection du Président de la République (suffrage universel direct à un tour), «… un engagement de celui-ci vis-à-vis de son peuple. » (1er P.R Ahmadou Ahidjo, 1965), et par conséquent sa responsabilité certaine envers l’opinion publique. Ensuite l’article 11 al. 2 de la Constitution du 18 janvier 1996 consacre la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, ce qui laisse entrevoir une responsabilité indirecte du chef de l’Etat puisque c’est lui qui définit la politique de la nation que le gouvernement qu’il forme est chargé d’exécuter (article 11 al. 1er, Constitution de 1996).

Sur le plan pénal interne, le Président de la République Camerounaise est pénalement responsable devant la Haute Cour de Justice, en cas de haute trahison, conformément à l’article 53 de la Constitution de 1996. On regrette seulement que ni la constitution, ni les lois ultérieures n’aient défini le contenu exacte de la l’infraction de « Haute trahison ».
Au plan international, la mise en œuvre de la responsabilité du Président de la République est rendue désormais possible avec l’avènement de la Cour Pénale Internationale, créée par le Statut de Rome et entrée en vigueur en juillet 2002. Toutefois, les plénipotentiaires camerounais avaient signé ladite convention, mais le Parlement ne l’a pas encore ratifiée.

Exposé sur l’arrêt Meyet (Conseil d’État, 24 février 1999)

Cette fiche a été rédigée par Line (en maîtrise de droit des affaires).

INTRODUCTION

Si la régularité d’un acte s’apprécie au jour de sa signature, son opposabilité s’apprécie au jour où les administrés en ont eu connaissance par une publicité adéquate. Le problème de l’impact de la publicité pour l’opposabilité immédiate d’un acte administratif unilatéral va être soulevé par l’arrêt MEYET du 24 février 1999. En effet, à la suite d’une longue période de grève des routiers, le ministre de l’intérieur et celui des transports ont levé à titre provisoire l’interdiction de circulation des poids lourds du 30 novembre 1996 à 12h au 1er décembre 1996 à 24h. En plus d’un communiqué de l’Agence France-Presse qui rend publique les mesures précédemment énoncées, l’arrêté interministériel a été publié au J.O. du 29 novembre 1996 et prévoyait son entrée en vigueur pour le 30 novembre à 12h.
Monsieur Meyet, à la suite du rejet du recours gracieux qu’il avait entrepris auprès des ministres intéressés, a demandé au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir ledit arrêté. Le Sieur Meyet demande l’annulation d’un arrêté interministériel. Il s’agit d’un acte administratif unilatéral car ici, c’est le contenu et non pas le nombre d’auteurs de l’acte qui importe. L’acte régit le comportement de personnes qui sont étrangères à son édiction, c’est-à-dire qui sont des tiers par rapport à lui.
Le Conseil d’Etat statue, ici, en premier et dernier ressort, car nous sommes en présence d’un règlement de la plus haute importance : un arrêté interministériel. La formation de la juridiction sont les 10e/7e sous-sections réunies.
Dès lors il convient de se demander si un acte administratif, publié de manière irrégulière, peut être opposable immédiatement en raison de circonstances particulières ?
Le conseil d’Etat rejette la requête du sieur Meyet dans la mesure où il estime que le communiqué de l’AFP ayant rendu publique le contenu de l’arrêté a, étant donné l’urgence et l’objet des mesures, pu rendre celles-ci opposables immédiatement.

Si le Conseil d’Etat affirme l’existence du principe général de publicité (I.), il admet cependant que des circonstances particulières permettent d’y déroger (II.)

I. LE PRINCIPE GENERAL DE PUBLICITE

Si l’opposabilité d’un acte est conditionné par sa publicité (A.), il n’en demeure pas moins que sa validité y est également soustraite dans certains cas (B.).

A. L’opposabilité subordonnée à la publicité

1. Les modalités de publication

La publicité est une condition nécessaire à la mise en vigueur d’un acte administratif unilatéral. En effet, elle est la contrepartie de l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi ».
L’acte administratif entre en vigueur du fait et à partir de son émission par l’autorité administrative mais il ne devient opposable aux administrés qu’à partir de sa prise de connaissance par eux. Cette prise de connaissance émane de la publication. La publication des actes est régit par le décret du 5 novembre 1870 qui prévoit la date d’entrée en vigueur du texte par le biais du Journal Officiel. L’entrée en vigueur de l’acte administratif unilatéral prend effet un jour franc après publication à Paris et un jour franc après que le J.O. soit parvenu au chef lieu du département.
En conséquence, un règlement publié au J.O. du 19 décembre entre en vigueur à Paris le 21 décembre à zéro heure (CE Sect. 27 mars 1936, Bonny). Cependant le procédé de publication peut varier suivant la nature de l’acte administratif. Ainsi on distingue plusieurs types de publication possible :

– les lois et décrets sont obligatoirement publiés au J.O. conformément au décret du 5 novembre 1870.
– Les décisions individuelles doivent simplement être notifiés aux intéressés par le biais d’une lettre avec accusé de réception. Cependant si le nombre d’intéressés est important la jurisprudence admet qu’une publication soit réalisée sans pour autant entreprendre une notification individuelle. Il en va de même lorsque les intéressés sont inconnus de l’administration.
– Le décret du 5 novembre 1870 énonce que les lois et décrets sont obligatoirement publiés au J.O. Mais quelle place doit être assignée aux actes publiés au J.O. qui n’ont pas les caractères ni de loi ni de décret ? Rappelons que, en ce qui concerne les actes interministériels, aucun texte ne prévoit expressément la forme de publication qui doit être utilisée.
Notons que dans l’arrêt Cazes 19 juin 1959, le Conseil d’Etat a admis conformément aux conclusions du commissaire adjoint au gouvernement Brébant, qu’un arrêté ministériel pouvait être publié aux JO afin de satisfaire à l’exigence de publicité de l’acte alors qu’une application stricte du premier article du décret du 5 novembre 1870 ne l’autorise pas.
Ici l’arrêté est publié dans le JO, en accord avec cette jurisprudence, mais ce sont les dates qui posent problème. .
– Les actes administratif autres que les lois et décrets peuvent être publiés dans les recueils administratifs ou dans la presse.(CE 23 mai 1938, Mimerskren)

Cependant dans ce cas, il appartient au juge d’apprécier dans les circonstances de l’espèce si les moyens de publicités utilisés sont suffisants pour rendre l’acte opposable aux tiers. (CE 15 novembre 1978, Vesque). Ce peut être dans un recueil administratif au sein des préfectures ou du départements qui publient les arrêtés préfectoraux. Ce peut être également par un bulletin municipal officiel, par voie d’affichage ou par la publication dans un journal régional.

2. Validité et opposabilité

Il convient donc dès à présent de distinguer l’opposabilité de l’acte de sa validité. En effet, la validité d’un acte découle de certaines exigences concernant la compétence de l’auteur, la motivation de l’acte ou encore de sa signature. En revanche l’opposabilité est la possibilité pour l’administration de contraindre un administré au respect d’un acte administratif et vis versa. Dés lors un acte valide n’est pas pour autant opposable aux administrés si les conditions de son entrée en vigueur n’ont pas été respectées ou mises en œuvre.

Après avoir vu que la publicité était une condition obligatoire pour rendre un acte opposable, il s’agit donc de comprendre qu’elle est l’impact de la publicité sur la validité de l’acte.

B. L’impact de la publicité sur la validité d’un acte administratif unilatéral

1. Les conséquences de la publicité sur la validité : un principe établi.

Les conditions de publication d’un acte administratif énoncé ci-avant sont, en principe, sans influence sur sa validité comme le rappelle l’arrêt dans son 2ème considérant (Laroche du 27 mars 1914). Aussi, les actes administratifs doivent répondre aux exigences du Décret du 5 novembre 1870 quant au délai de mise en œuvre d’un acte. Cependant, pour certains actes une 2ème condition s’impose pour rendre un acte valide. Ce sont les actes pris par les autorités locales qui en plus d’être publié, doivent être transmis aux représentants de l’Etat. Cette seconde exigence est énoncée par la loi du 2 mars 1982 relative à la Décentralisation.
Il en va autrement pour les actes prévoyant eux même la date de leur entrée en vigueur. Ces derniers n’entreront en vigueur que si les conditions de publication énoncé par le décret du 5 novembre 1870 ont été respectées. Dans le cas contraire, la publication irrégulière influerait sur la validité de l’acte.

2. Le principe confronté à l’espèce.

Dans le cas présent, l’arrêté ministériel précise de lui même sa date d’entrée en vigueur. D’ailleurs, l’arrêté énonce qu’il prendra effet le 30 novembre 1996 à 12h. Le problème qui se pose ici vient du fait que l’arrêté a été publié au J.O. le 29 novembre 1996 et que son entrée en vigueur était prévu le 30. Or, pour respecter les conditions imposés par le décret, la publication aurait dû avoir lieu au maximum le 28 novembre. Dés lors, les conditions de publication n’ayant pas été respectées, l’arrêté aurait dû être déclaré invalide.
Cependant, le décret du 5 novembre 1870 prévoit dans son article 2 alinéa 2 qu’un décret peut être immédiatement applicable (donc opposable) si une décision gouvernementale l’ordonne. En l’espèce, on peut se demander si le principe d’une décision gouvernementale est applicable à un arrêté ministériel. En exposant dans son 3ème considérant que l’arrêté ministériel du 29 novembre 1996 n’était pas subordonné à une décision gouvernementale et de plus, en indiquant que la publication au J.O. n’avait pas pu le faire entrer en vigueur le 30 novembre, le Conseil d’Etat reconnaît a contrario qu’un arrêté ministériel peut être rendu applicable immédiatement par le biais d’une décision gouvernementale. Ainsi on assiste donc à une extension de l’article 2 alinéa 2 du décret du 5 novembre 1870 aux arrêtés ministériels.
Aussi l’arrêté interministériel, en n’ayant pas été publié de manière régulière et en l’absence de décision gouvernementale à son encontre, aurait dû logiquement être déclaré non valide et de fait inopposable immédiatement aux administrés.

Mais l’arrêt Meyet se présent ici comme une exception à ce principe. Pour justifier sa décision, le Conseil d’Etat va se fonder sur la notion d’urgence et sur l’objet des mesures.

II. UNE DEROGATION JUSTIFIEE PAR LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE

Le cas de l’espèce constitue une dérogation à la solution traditionnelle de la jurisprudence justifiée par les conséquences attachées à l’urgence caractérisée par le Conseil d’Etat d’une part (A) et par l’objet particulier des mesures prises d’autre part (B).

A. Conséquences attachées à l’urgence

Après avoir présenté en quoi consiste l’urgence, nous nous efforcerons de démontrer les effets qu’elle a eu sur les faits de l’espèce.

1. La notion d’urgence

Le Conseil d’Etat utilise le terme d’urgence dans le 4ème considérant. Cette expression se rapporte à un concept bien défini du droit administratif. Il s’agit d’une des formes de dérogation au principe de légalité, avec notamment les circonstances exceptionnelles.
René Chapus défini de l’urgence de cette manière: « lorsque, dans des circonstances de temps et de lieux normales, il y a urgence à agir, l’acte accompli pourra être régulier dans les cas où, faute pour l’administration de pouvoir exciper de l’urgence, il aurait été irrégulier. »
Par exemple, dans le cas d’une exécution d’office, l’urgence à agir permet de rendre cette action légale alors que si elle n’était pas caractérisée elle serait illégale. Cette exemple nous amène inévitablement à envisager le cas de l’arrêt société immobilière Saint-Just (CE 2 décembre 1902) qui, a travers les conclusions du commissaire du gouvernement Romieu, est à l’origine de cette théorie jurisprudentielle.
Les conclusions de Romieu sont les suivantes: « il est de l’essence même du rôle de l’administration d’agir immédiatement et d’employer la force publique sans délai ni procédure, lorsque l’intérêt immédiat de la conservation publique l’exige ; quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers ».
En l’espèce, on relève que la haute juridiction administrative évoque le terme d’urgence sans pour autant décrire la situation. Nous étudierons cette dernière plus tard.

Avant cela, il est essentiel de considérer quels sont les effets de l’urgence sur les faits de l’espèce.

2. Effets de l’urgence

Le Conseil d’Etat estime que la forme de publication employée associée à l’urgence a suffit à rendre l’acte opposable immédiatement.

Dans la mesure où aucun texte ne précise les moyens de publications nécessaires pour les actes interministériels, l’administration peut adopter tout autre mode de publicité, à charge pour elle d’établir qu’il a été satisfaisant, et sous réserve de l’acceptation du juge administratif. Dans le cas présent, la formule «n’est pas contesté » employée dans le 4ème considérant démontre que la pertinence du moyen utilisé n’est pas remise en question. L’Agence France-Presse est une agence de presse mondialement reconnue et, dans la mesure où il a été repris par les médias, un de ses communiqués semble, du moins par rapport à la finalité de la formalité de publication, être tout à faire apte à remplir sa mission.
En l’espèce, la haute juridiction juge que l’utilisation d’un communiqué suffit mais eu égard à l’urgence. Par conséquent, il est certain que la subordination à l’urgence met un frein au mouvement potentiel d’élargissement et de modernisation des techniques de publicité administrative. Faut-il pour autant refuser d’imaginer qu’il se dessine le début d’une évolution jurisprudentielle vers des moyens de publications plus en harmonie avec leur temps, ce n’est pas certain. La jurisprudence future nous éclairera sur ce point de droit à moins que le législateur ne décide de prendre les devant.

La conséquence essentielle de l’urgence est de permettre grâce à son association au communiqué de l’AFP l’application immédiate de l’arrêté interministériel.
L’originalité de l’arrêt n’est pas d’accepter l’application immédiate mais de reconnaître, eu égard à l’urgence de la situation, la valeur du moyen utilisé. Le Conseil d’Etat ne se prononce pas directement sur l’application dans le temps de l’acte administratif. Il se prononce uniquement sur la valeur du moyen de publication utilisé. Autrement dit, après avoir admis que celui-ci, conjugué à l’urgence, est valable, il applique une solution traditionnelle en matière d’application dans le temps des actes administratifs : l’application immédiate.
En effet, il est de principe que les règlements administratifs sont d’application immédiate. Il faut comprendre qu’ils s’appliquent, à compter de leur entrée en vigueur, d’une part, quant à la détermination de la compétence, de la procédure et des formes et d’autre part aux situations en cours, c’est-à-dire non réglées ou consolidées. A contrario, les situations constituées et les situations contractuelles échappent au principe de l’application immédiate des réglementations nouvelles.
Cela montre un refus de la part de haute juridiction administrative d’admettre la rétroactivité de l’acte. Le Conseil d’Etat aurait pu estimer que l’urgence à agir qu’il a caractérisé en l’espèce justifiait la rétroactivité de l’arrêté interministériel par rapport à la publication au JO et aux délais nécessaires.
Cette hypothèse n’a pas été retenue. Deux raisons semblent justifier cette position. D’une part, le principe est la non rétroactivité. Dans l’arrêt Société du journal l’Aurore (24 juin 1948) le Conseil d’Etat énonce en effet «le principe en vertu duquel les règlements ne disposent que pour l’avenir » et depuis il veille avec fermeté et régularité au respect de ce principe par le pouvoir réglementaire. Il existe toutefois des exceptions législatives, permises dans la mesure où seule la non rétroactivité de la loi pénale de fond est un principe à valeur constitutionnel, et des dérogations jurisprudentielles comme cela aurait pu être le cas en l’espèce.
D’autre part, la présence du communiqué permet à la haute cour administrative de justifier l’application de l’acte de manière à éviter de consacrer une exception au principe de non rétroactivité et d’étendre, sous réserve de la caractérisation de l’urgence, les catégories d’actes susceptible de faire office de moyen de publication.

A présent, maintenant que l’urgence et ses conséquences ont été étudiées, nous allons nous pencher sur la question de l’objet particulier des mesures.

B . L’objet particulier des mesures

L’objet de l’acte en question concerne la police administrative ; les circonstances dans le lequel il a été pris méritent d’être analysées attentivement.

1. La police administrative

Les mesures consistent en la levée d’une part de l’interdiction générale, sauf sur certaines autoroutes, de circulation des véhicules de transports de marchandises dont le poids total autorisé en charge est supérieur à 7,5 tonnes du samedi 30 novembre 1996 à 12 heures au dimanche 1er décembre à 22 heures, et d’autre part de l’interdiction de circulation des véhicules de transport de matières dangereuses du samedi 30 novembre 1996 à 12 heures au dimanche 1 décembre 1996 à 24 heures.
Cela relève de la police administrative. La police administrative a été reconnue comme figurant dans le pouvoir réglementaire du gouvernement à propos du Code de la Route à l’occasion de l’arrêt Labonne (CE 8 août 1919). Les principes dégagés de cet arrêt sont toujours valables et le Conseil d’Etat a jugé que l’article 34 de la Constitution de 1958 en donnant compétence au législateur pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques n’avait pas retiré au chef du gouvernement les pouvoirs de police qu’il exerçait antérieurement (22 janvier 1982 Auto Défense)
Le Ministre de l’intérieur ne détient pas de pouvoir réglementaires, sauf textes particuliers, et n’a donc pas de compétences propres en matière de police administrative. En cela il est dans la situation de tous les autres membres du gouvernement, mise à part le premier ministre bien entendu.
Les mesures de police administrative ne sont régulières que si elles sont prises en vue du maintien de l’ordre public. Traditionnellement, l’ordre public correspond à la tranquillité, à la sécurité et à la salubrité. Les mesures de police sont préventives, c’est d’ailleurs ce qui la distingue de la police judiciaire.

Intéressons nous maintenant au contexte factuel. Sa connaissance nous permet de mieux comprendre la décision de la haute juridiction.

2. Le contexte factuel

Bien que les faits de l’espèce ne figurent pas dans l’arrêt, leur importance est capitale. Ils aident à comprendre la logique de la haute cour administrative.
Le contexte était tout à fait singulier. Les chauffeurs routiers étaient en grève depuis la fin du mois d’octobre, soit près de 1 mois avant l’édiction de l’arrêté. Cela avait une conséquence très fâcheuse à l’encontre des consommateurs car les magasins étaient en rupture de stock et la situation, au fil des jours qui s’écoulaient, allait en empirant. Les grévistes votèrent la levée de la grève le vendredi 29 novembre. Cela étant, dans la mesure où il est interdit aux camions de rouler le week-end sur l’autoroute, la reprise du trafic n’aurait pu reprendre que lundi au plus tôt. Ainsi, empêcher aux camions de reprendre leur service aurait fortement aggravé la situation. Le gouvernement a donc décidé de lever les interdictions mais sa décision, c’est-à-dire l’arrêté en question, est prise trop tard pour que la publication au JO et les délais qui y sont attachés permettent son application dès le 30 novembre. Cependant, cette situation peut s’analyser, et c’est ainsi que le Conseil d’Etat le considéra, comme un cas où il y a urgence à agir. Cette urgence combinée au fait qu’un communiqué de l’AFP ait été envoyée suffira à rendre l’acte opposable immédiatement.

La solution du Conseil d’Etat semble donc logique et souhaitable. Par ailleurs, replacée dans ce contexte la dérogation au principe ne revêt pas une importance majeure. Cela nous permet également de rappeler que cette décision est un arrêt d’espèce, il est donc difficile de tirer des conclusions générales. Les expressions « qu’il ressort des pièces du dossier », « dans les circonstances de l’espèce » témoignent bien de cet aspect.

CONCLUSION

Déjà en 1959, dans les conclusions de l’arrêt Cazes, le commissaire adjoint au gouvernement M. Brébant déplorait l’archaïsme des textes en matière de publication. Ses reproches n’apparaissent aujourd’hui que plus justifiés encore car force est de constater qu’à l’aube du troisième millénaire, ce domaine est toujours régi par un décret du Gouvernement de la Défense Nationale.
D’aucuns peuvent s’accorder à penser que si une modification du droit doit avoir lieu, elle doit avant tout consister en une refonte du système juridique et matériel de publication en prenant en compte les avancées technologiques qui se sont produites ces 130 dernières années. Le commissaire adjoint Brébant ironisait sur cette situation en rappelant que les moyens de communications avaient fait quelques progrès depuis le temps du télégraphe de Chappes et des pigeons voyageurs. En effet, la radiodiffusion mais aussi les plus récentes avancées technologiques telles Internet pourraient jouer un rôle essentiel dans le domaine de la publication. Le potentiel de ces nouvelles techniques est considérable, elles pourraient grâce à leur échelle de diffusion redonner un véritable sens à la formalité de la publication. Il faut espérer que cette arrêt a quelque peu fait évoluer les choses.

Commentaire corrigé : « Rolin », Conseil d’État, 27 octobre 1999

Fiche rédigée par Olivier GAMARD, étudiant en 2ème année à Nancy II.

Cette copie a obtenu la note de 12/20 : le correcteur conteste apparemment certaines lacunes dans l’analyse et n’a pas apprécié les remarques sur les interprétations du Conseil d’État en matière de service public.
Ce plan est bien entendu à étoffer (ce commentaire a été réalisé en 1h30).


Introduction

Le présent arrêt de la section du contentieux du Conseil d’État nous confronte à un problème de nature des actes mis en cause par le requérant.
En effet, en l’espèce, suite à la décision du président de « la Française des jeux » de créer les jeux instantanés « Banco » et « Bingo », M Rolin lui demande de retirer de la circulation les billets de divers jeux. Suite à son refus implicite, M Rolin dépose une requête visant à annuler ces deux décisions devant le conseil d’Etat, qui, par le présent arrêt se déclare incompétent pour statuer sur la demande.
Ainsi, le juge administratif se refuse à statuer et estime que la mission que la Française des jeux assume n’est pas de service public et que les décisions attaquées ne sont donc pas de nature règlementaire.
Ainsi, le problème juridique qui s’est posé aux magistrats en l’espèce était de savoir si la mission de la Française des Jeux était ou non de service public afin de pouvoir statuer sur la nature des actes attaqués et donc sur ses compétences pour juger de leur légalité.
Dans une première partie, il conviendra donc de nous intéresser au refus de la demande par le conseil d’État ; puis, dans une seconde, nous verrons que cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel du Conseil d’État visant à encadrer la notion de service public.

I. Le refus du juge administratif de statuer sur la requête

Le Conseil d’État a depuis longtemps reconnu qu’une mission de service public peut être exercée par une personne privée. La première manifestation de ce fait a été marquée par l’arrêt « Etablissements Vézia » de 1935, confirmé de manière éclatante dans l’arrêt « Caisse primaire aide et protection » de 1938. afin d’encadrer ces services et de pouvoir les distinguer, le juge a donc commencé par définir des critères puis a permis que les actes des dirigeants des services publics aient un caractère règlementaire afin d’assurer leur fonctionnement.

A. Les conditions de la reconnaissance d’une mission de service public

L’arrêt Narcy de 1963 marque la volonté du conseil d’Etat de définir des critères du service public assumé par une personne privée. Il convient donc ici de vérifier si ces conditions sont remplies pour le juge.

Selon l’arrêt Narcy, pour qu’une personne privée, ici la Française des Jeux, reconnue personne privée par l’arrêt à la fin du premier considérant, soit reconnue comme investie d’une mission de service public, elle doit être investie d’une mission d’intérêt général par les personnes publiques, sous leur contrôle, et posséder des prérogatives de puissance publique. En l’espèce, le Conseil d’État refuse la qualification de service public à la Française des Jeux, mais ne justifie pas de l’application des critères sus-énoncés en se contentant d’une réponse vague selon laquelle « aucune disposition précise » n’a investi la Française des Jeux d’un service public.
Cette absence de qualification a logiquement pour conséquence de refuser la qualification d’actes réglementaires aux décisions attaquées.

B. L’absence de pouvoir réglementaire du président de la société.

Le Conseil d’État avait par le passé accepté de reconnaître un pouvoir règlementaire aux services publics, qu’ils soient administratifs (arrêt CE Monpeurt 1942) ou à caractère industriel et commercial (arrêt CE Epoux Barbier 1968). néanmoins, ce pouvoir n’était reconnu qu’aux dirigeants des organismes investis d’une mission de service public.
Or, en l’espèce, nous avons vu que cette mission de service public n’était pas caractérisée par le juge administratif au profit de la française des jeux, les magistrats revenant ainsi sur une jurisprudence « Angrand » de 1948 (date à vérifier).
Ainsi,, la Française des Jeux n’exerçant pas une mission de service public, les textes adoptés par son président n’ont pas la valeur d’actes administratifs et le juge administratif n’est donc de par là même pas compétent pour connaître des recours intentés contre eux, ce que le conseil d’etat explique dans le second considérant de l’arrêt (« les décisions prises par le président (…) n’ont pas le caractère d’actes administratifs ; (…) dès lors les conclusions de M Rolin (…) ne sont pas au nombre de celles dont il appartient à la juridiction administrative de connaître »).

Après avoir vu que le Conseil d’État se refusait à statuer sur cette demande, voyons à présent que cette décision participe de la volonté du juge administratif de limiter et d’encadrer la notion de service public.

II. La volonté d’encadrement de la notion de service public par le Conseil d’État.

Le Conseil d’État a tout d’abord eu à mettre en place des règles concernant la nation de service public, mais il s’est rapidement rendu compte que le développement de la notion nécessitait un encadrement plus rigoureux de la définition même du service public, et il semble qu’il aille dans cet arrêt jusqu’à limiter des règles qui avaient d’ores et déjà pour but d’encadrer la définition du service public.

A. La nécessité d’encadrement du service public et de sa définition.

Après avoir, par une jurisprudence conséquente, développé la notion de service public dans des secteurs divers, en particulier dans le secteur privé, et ce jusqu’à une date récente (arrêts Syndicat des exploitants de cinématographes de l’Oranie 1959, ville de Melun 1990, ordre des avocats à la cour d’appel de Paris 1997), le juge administratif a tenté en parallèle de mieux encadrer les conditions d’obtention du statut de service public pour les peronnes privées dans l’arrêt Narcy de 1963 qui édicte des critères que nous avons vus précédemment et sur lesquels nous reviendrons plus loin. De plus, par des arrêts récents, il revient sur des jurisprudences antérieures et retire le statut de service public à certains organismes, ce qui est le cas dans les présent arrêt.
Néanmoins, si le CE a d’abord défini des critères dans l’arrêt Narcy, il est peu à peu revenu sur cette jurisprudence en acceptant d’abord de qualifier une mission de service public même sans usage de prérogatives de puissance publiques. Il semble qu’il aille encore plus loin dans cet arrêt.

B. Un arrêt en contradiction avec la jurisprudence Narcy

Même si le juge administratif avait d’abord élargi la notion et assoupli les critères du service public dégagés dans l’arrêt Narcy, il va ici encore plus loin. En effet, il convient d’abord de voir que le Française des jeux exerce sa mission par une délégation textuelle règlementaire sous la forme du décret du 9/11/1978 qui lui confère dans ses articles 1er, 4, 5 et 8 l’obligation d’être soumise à un contrôle public sous différentes formes. De plus, l’article 7 prévoi que le présideznt de la société établit les règlements des jeux, ce qui lui confère une sorte de prérogatives de puissance publiques, et enfin, l’arrêt lui-même retient le caractère d’intérêt généal de la mission en ce que les fonds sont destinés à la caisse de solidarité pour les calamités agricoles, qui est, elle, un service public. Ici, le conseil d’Etat reconnaît explicitement les caractères dégagés dans l’arrêt Narcy qu’il néglige d’appliquer, ce qui marque peut-être la fin de ces critères et refuse de plus de reconnaître à une activité pûrement financière liée à un service public la qualification de service public.

En conclusion, on constate que la notion de service public est toujours difficile à cerner, même si la jurisprudence à ce sujet est abondante mais elle est également contradictoire. Ici, en effet, le juge refuse la qualification de service public à la Française des Jeux alors qu’il l’avait reconnue à un casino pour des activités voisines (arrêt CE « cille de Royan et SA du sieur Couzinet » 1966) mais présentant pour lui un caractère indispensable.
On en est donc réduit aujourd’hui à s’en remettre au juge et à donner une liste des activités qualifiées par lui de services publics, et ce selon les circonstances des différentes espèces.

L’obligation d’information précontractuelle : l’article 1er de la loi Doubin du 31 décembre 1989

Fiche rédigée par Sopikatchu.

Dans les relations entre professionnelles, dès les années 1970, le principe selon lequel « chaque professionnel est en principe libre et égal et doit être le gardien de ses propres intérêts » connaît une forte atténuation.

En effet, depuis l’arrêt du 9 décembre 1975 dit “de l’affaire des melons crevés”, la Cour de cassation distingue entre le professionnel agissant dans sa sphère d’activité et le professionnel agissant hors de sa sphère d’activité auquel la Cour de cassation appliquait le droit de la consommation.

La loi Doubin du 31 décembre 1989 apporte une nouvelle exception à ce principe. Ainsi, dans les contrats de franchise, et plus largement dans tous les contrats de distribution exclusive (contrat de concession, d’exclusivité de marque…) où les parties du contrat ont un intérêt commun qui apparaît dès lors qu’il existe une « convergence d’intérêt entre les parties » selon le professeur Hassler, la loi Doubin pose dans son article 1er une obligation d’information pré-contractuelle :

« Toute personne qui met à la disposition d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s’engager en connaissance de cause.

Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment l’ancienneté et l’expérience de l’entreprise, l’état et les perspectives de développement du marché concerné, l’importance du réseau d’exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champs des exclusivités.

Lorsque le versement d’une somme est exigé préalablement à la signature du contrat mentionné ci-dessus, notamment pour obtenir la réservation d’une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de délit.

Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours au minimum avant la signature du contrat ou, le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l’alinéa précédent. »

Cet article indique les éléments essentiels que doit contenir le document d’information qu’il convient de remettre avec le projet de contrat 20 jours au moins avant la signature effective de la convention. Cette information va servir de fondement à l’engagement de l’autre partie. C’est pourquoi le législateur, par décret du 4 avril 1991 a sanctionné l’absence de ce document par une contravention de 5éme classe. Mais il n’a pas été prévu le cas où l’information est présente dans le document mais viciée.

Donc, que se passe-t-il si l’une des information est viciée ? Sur quels fondements peut-on sanctionner le défaut (ou le vice) de l’obligation d’information pré-contractuelle posée par la loi Doubin ?

Comme nous l’avons dit cette obligation d’information bien que précontractuelle fait partie intégrante du processus de formation du contrat. Elle intervient au stade de la prise de décision de contracter et sert donc à éclairer le consentement du contractant. (I). Et c’est donc à ce titre que tout défaut dans l’information précontractuelle sera sanctionné (II).

I – L’obligation d’information précontractuelle posée par la Loi Doubin à la base d’un consentement éclairé

Ainsi la Loi Doubin pose une obligation de renseignement spécifique (A) du postulant à la franchise sur les débouchés du contrat pour lui permettre de s’engager en tout état de cause (B)

A – La spécificité de l’obligation d’information précontractuelle

Par principe, entre professionnel il n’existe pas d’obligation d’information. La loi Doubin devenue l’art L330-3 du code de commerce pose donc à titre subsidiaire cette obligation de renseignement dans les contrats de distribution : il s’agit d’une obligation de moyen (1) de fournir au futur contractant une information claire, sincère et loyale (2)

1) Une obligation de moyen

La loi Doubin joue spécifiquement dans les contrats de distribution. L’exemple type de son application est le contrat de franchise. Au stade de la formation du contrat, le contrat de concession étant le plus souvent, un contrat d’adhésion, le franchisé n’a pas la possibilité d’en négocier les clauses. Ainsi, la relation entre les parties est déséquilibrée. Il s’est donc avéré indispensable qu’une information soit donnée à la partie la plus faible par le rédacteur du contrat .

Cette réforme revient sur la position antérieure de la jurisprudence qui faisait peser sur le franchisé le devoir de s’informer. Ainsi dans ses arrêt du 25 février 1986, du 20 janvier 1987, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait affirmé qu’il « appartenait au concessionnaire professionnel du marché de l’automobile de s’informer et de s’entourer de tous éclaircissements lui permettant de mesurer les risques et de former raisonnablement son opinion  » . Il incombait donc au concessionnaire « un devoir de s’informer « .

Le professeur Mestre et Virassamy se sont élevés contre cette jurisprudence qui crée « un devoir de se méfier  » de son partenaire contractuel.

Leur voix fut entendue par la réforme du 31 décembre 1989. Désormais le franchiseur se doit de fournir au futur franchisé toutes les informations lui permettant de connaître la situation économique, financière et prévisionnel du lien futur qu’il s’apprête à prendre avec le franchiseur. Pour la Cour d’Appel de Paris « cette obligation du franchiseur de fournir des éléments prévisionnels est une obligation de moyen » (CA Paris 23 Mars 1993). Cette obligation de moyen va se traduire dans la délivrance d’un document écrit présentant une information claire, sincère et loyale.

2) Un document écrit contenant une information claire, sincère et loyale

Traditionnellement l’information claire, simple et loyale s’entend d’une information exempte de toute manœuvre dolosive et d’une information non exagérément optimiste. La loi dépasse ce résultat en exigeant la fourniture d’une information sincère. Il s’agit d’une  » connaissance  » que l’on doit  » normalement avoir de la réalité « , l’ignorance de bonne foi est donc condamnée

Présumée sincère , la loi dispense le distributeur de vérifier la pertinence de l’information fournie.

Néanmoins, pour arriver à ce résultat elle met à la charge du fournisseur la double obligation de fournir l’information et de se la procurer A très juste titre Philippe Neau-Leduc à écrit à ce sujet : » Le pouvoir implique le devoir. Le schéma classique des négociations est renversé ; la liberté de négociation n’est plus. « 

Cette obligation d’information va donc se traduire par la fourniture d’un  » document donnant des informations sincères « , exigence première fixée par la loi. L’art 1 de la Loi Doubin exige la communication d’un  » document… qui … permette de s’engager en connaissance de cause « . La communication de l’information suppose, donc, l’existence d’un support écrit. A défaut certains magistrats n’ont pas hésiter à prononcer la nullité du contrat. Ce document écrit doit être transmis au moins vingt jours avant la signature du contrat.

Ce document doit contenir quatre informations essentielles. Ces informations sont précisées par un décret d’application du 4 avril 1991. Il s’agit de :

· l’ancienneté et l’expérience professionnelle de l’entreprise concédante

· l’état et des perspectives du marché concerné

· l’importance du réseau de distributeur

· La durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivité.

La finalité de la loi Doubin est donc certainement d’éclairer le consentement du futur contractant, mais l’exigence va plus loin, requérant explicitement la remise d’un écrit. Il s’agit, en effet,  » de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause « . Il s’agit donc de protéger le consentement du contractant. Sur ce terrain la loi Doubin rejoint donc la théorie générale des vices du consentement.

B – L’information précontractuelle face à la théorie des vices du consentement.

Selon le droit commun pour être valable le consentement du contractant doit être exempt de violence, d’erreur et de dol. Mais lorsque le document d’information précontractuelle contient une information fausse, cette erreur est issue d’une mauvaise exécution par le franchiseur de son obligation d’information précontractuelle. Lorsque cette erreur est volontaire la mauvaise foi est reconnue dans l’exécution de cette obligation.(1). Mais cette erreur aura pour conséquence de provoquer soit le dol soit l’erreur dans le consentement du franchisé (2).

1) L’exécution de mauvaise foi de l’obligation d’information précontractuelle…

La fourniture d’une information claire, sincère et loyale au franchisé par le franchiseur suppose que celui ci se donne les moyens de satisfaire cette exigence. Nous avons déjà vu précédemment que cette charge d’information pèse sur le franchiseur et non sur le franchisé.

Mais dans l’exécution de cette obligation le franchiseur se doit d’être de bonne foi. C’est pourquoi la Cour d’Appel de Paris, dans son arrêt du 16 Janvier 1998, affirme que « pour élaborer son étude prévisionnelle le franchiseur doit mettre en œuvre les moyens statistiques et informatiques qu’il possède. » Néanmoins, le débiteur de l’information étant tenue d’une simple obligation de moyens, il ne peut se voir reprocher des erreurs d’estimations ou des erreurs non fautives ou même l’absence d’information inconnue.

Mais il sera responsable pleinement des fausses informations contenues dans le document précontractuelle : « le franchiseur est responsable des informations et des études de marchés inexactes qu’il communique au candidat franchisé » (CA Versailles 26 juin 1995).Cette erreur volontaire du franchiseur dans son information aura pour conséquence de vicié le consentement du contactant. Et l’on pourrait alors considérer qu’il y a dol ou erreur dans le consentement du contractant.

2) … provoque le dol ou l’erreur dans le consentement du contractant

Selon l’article 1116 du code civil le dol est la manœuvre de l’une des parties destinées à induire l’autre partie en erreur et ainsi l’amener à contracter. Pour être constituer le dol doit présenter un élément intentionnel et un élément matériel. Sur le fondement de cette article la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 29 octobre 1992 a tout d’abord reconnue « la nullité du contrat de franchise pour attitude dolosive du franchiseur dont l’étude de faisabilité contient de nombreuses et importante inexactitudes et des chiffres prévisionnels invérifiables, fantaisistes et mensongers ».

Mais l’élément intentionnel étant excessivement difficile à prouver, la Cour de Cassation sur pourvoi dans cette affaire, par un arrêt du 2 décembre 1997 a affirmé que « le non respect de l’obligation pré contractuelle d’information du franchiseur n’est pas en soi constitutif d’un dol ». Elle a , en effet, considéré que l’exagération de chiffres n’étaient pas constitutif obligatoirement d’une volonté de tromper l’autre .

Certes le fondement du dol fut refusé par la jurisprudence mais ce ne fut pas le cas pour le vice du consentement résultant de l’erreur du contractant.

Rappelons ainsi que selon l’article 1110 al 1 du code civil l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle touche la substance même de la chose qui en est l’objet. Selon la conception subjective de la substance, il peut s’agir d’une qualité substantielles de la chose (arrêt Poussin). Or le TGI de Carcassonne dans un arrêt du 2 Mai 2002 a reconnu que « l’erreur sur la rentabilité moyenne d’une exploitation est une erreur sur la qualité substantielle de l’objet du contrat de franchise ».

L’erreur d’une information pré contractuelle est donc une erreur substantielle et peut donc fonder un vice du consentement du contractant. La Cour d’Appel de Paris, dans son arrêt du 14 novembre 1997, en pose explicitement le principe en affirmant qu’est encourue « la nullité pour erreur d’un contrat de franchise dés lors que le chiffre d’affaire prévisionnel est grossièrement erroné ».

Le vice du consentement étant reconnu, il faut désormais envisagé la question des sanctions. Celle ci seront de deux types : il s’agit de sanctionner un contrat vicié dés l’origine et de sanctionner la faute du franchiseur à l’origine du vice du consentement.

II – Le vice du consentement : fondement de la sanction

Le non respect des règles édictées par l’article 1er de le loi Doubin entraîne donc les sanctions habituelles du vice du consentement (A). Toutefois, on peut se demander si le défaut d’information pré-contractuelle entraîne automatiquement la nullité du contrat (B).

A – Les sanctions habituelles du vice du consentement appliqué à la loi Doubin.

Le défaut de l’information pré-contractuelle posé par la loi Doubin entraîne la mise en jeu de la responsabilité du co-contractant débiteur de cette obligation particulière précontractuelle(1) mais entraîne aussi les sanctions du défaut de l’information pré-contractuelle du droit commun des vices du consentement(2).

1) La mise en jeu de la responsabilité : responsabilité contractuelle ou délictuelle ?

C’est en effet une question importante à se poser. Il est claire que l’information pré- contractuelle fausse est constitutif d’une erreur du consentement. Mais cette faute intervient dans une phase pré-contractuelle. Par principe la phase pré-contractuelle implique une responsabilité délictuelle pour les fautes qui y seraient commises. Mais la cour de cassation dans son arrêt du 10 février 1998 a reconnue que « l’exigence pré-contractuelle ne peut être dissociée de son effet direct sur la formation de la relation contractuelle qu’elle prépare ».

Dés lors responsabilité contractuelle et délictuelle se mélange au point de se confondre.

C’est pourquoi une jurisprudence constante a fini par poser comme principe la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du concessionnaire ou du franchiseur qui avait l’obligation de l’information pré-contractuelle posée par l’article 1er de le loi Doubin.

Cette responsabilité contractuelle née du vice même du consentement. Et donc les conséquences de ce vice de consentement, constitué par un manquement à l’obligation d’information pré-contractuelle, seront les sanctions de droit commun pour le vice du consentement

2) Les sanctions du vice de consentement

La sanction la plus couramment retenue par la jurisprudence est la nullité du contrat conclu. En effet, la Cour d’Appel de Paris avait refusé la sanction de la résolution : « la méconnaissance d’une obligation précontractuelle de renseignement ne peut justifier la résolution du contrat de fourniture de matériel ». La jurisprudence lui a préféré, par la suite, l’annulation du contrat pour vice du consentement.

Ainsi, la Cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 21 mars 2000, prononce la nullité du contrat en cas de non-respect par le franchiseur de son obligation pré-contractuelle de renseignement. (CA MONTPELLIER 21/03/2000).

De même, dans un arrêt du 19 octobre 1999 de la Cour de cassation, par sa chambre commerciale, prononça la nullité du contrat d’exclusivité de marque pour vice du consentement. (Cass. Com. 19/10/1999).

Enfin, dans un arrêt du 2 novembre 2001, la Cour d’appel de Lyon sanctionne par l’annulation un contrat de franchise pour vice du consentement, « lorsque le franchiseur n’a pas satisfait à son obligation pré-contractuelle de renseignement ». (CA LYON 02/11/2001).

La nullité est en effet la sanction de droit commun des vices de consentement car par ce vice le contrat en lui même n’existe pas. La nullité règle donc le sort du contrat. Mais par son manquement à son obligation d’information précontractuelle l’attitude du professionnelle a été fautive. La chambre commerciale dans un arrêt du 24 février 1998 a considèré qu’est «volontaire la faute du franchiseur qui annonce des résultats fantaisistes dans étude prévisionnelle ».(Cass Com. 24/02/1998). Elle ouvre donc droit à réparation par le versement de dommages-intérêts.

Dans un arrêt du 3 février 1995, la Cour d’appel de Paris pose le principe de la responsabilité du franchiseur qui manque à son obligation contractuelle d’information et qui s’expose ainsi au versement de dommages-intérêts. (CA PARIS 03/02/1995).

Par la suite la Cour d’appel de Paris, par arrêt du 13 novembre 1994, indemnise « le préjudice subi pour la perte d’une chance du franchisé suite au comportement fautif du franchiseur ». (CA PARIS 13/11/1995).

Outre ces sanctions de droit commun le texte même de la loi Doubin prévoit que le défaut d’information entre professionnel peut également faire l’objet d’une sanction pénale, à savoir une peine contraventionnelle de 5ème classe .

Toutes ces peines sanctionnent ainsi un manquement à l’obligation d’information précontractuelle posée par la loi Doubin. Mais cette loi n’est que subsidiaire par rapport au droit commun des contrats. On peut donc s’interroger sur l’automaticité de la mise en cause de ce défaut d’information précontractuelle dans les contrats de distribution.

B – Le défaut d’information pré-contractuelle : nullité automatique du contrat ?

L’obligation d’information pré-contractuelle, telle qu’elle ressort de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1989, est appréciée par les magistrats comme étant d’ordre public (1). Le caractère d’ordre public de cette loi conféré par les magistrats n’a pas empêché ces derniers d’entrevoir une atténuation de la portée de la loi en restreignant les cas de sanction (2).

1) Le caractère d’ordre public de la loi Doubin

L’obligation pré-contractuel d’information mise en place par la loi Doubin découle d’un constat : la difficulté pour le futur membre d’un réseau de connaître l’ampleur et la teneur de son engagement. L’inégalité d’information justifie l’obligation d’informer pour celui qui détient ces éléments. La loi protège le consentement . Le législateur entend ainsi préserver la concurrence au sein des circuits de distribution.

Ainsi, la Cour d’appel de Paris, par arrêt du 17 mai 1995, énonce que « le dispositif, qui a pour finalité la protection du futur franchisé en lui permettant de se déterminer en connaissance de cause, est d’ordre public ». (CA PARIS 17/05/1995).

Les magistrats ont ainsi la possibilité de soulever d’office l’article 1er de la loi du 31 décembre 1989.

Toutefois, il est récemment arrivé qu’ils limitent dans certains cas l’application de ce dernier.

2) Atténuation à la portée de l’article 1er de la loi

Dans un arrêt récent de la Cour d’appel de Toulouse du 13 janvier 2000, les magistrats précisent que « le défaut de communication des informations visées par l’article L.333-3 du code de commerce (portant application de la loi Doubin) n’emporte nullité du contrat d’exclusivité de marque que s’il a eu pour effet de vicier le consentement de l’autre partie ». (CA TOULOUSE 13/01/2000).

A contrario et par extension aux autres contrats entrant dans le champ dapplication de la loi du 31/12/1989, le défaut de l’obligation pré-contractuelle n’entraînerait pas la nullité du contrat s’il n’a pas eu pour effet de vicier le comportement de l’autre partie.

Cette atténuation de la loi fondée sur l’article L.333-3 Ccom. pourrait avoir pour but de limiter le développement des contentieux. Toutefois, cette solution pose un problème de sécurité juridique.


Sources :

  1. Théorie des contrats de distribution, Vassaramy
  1. Les contrats de distribution et la Loi Doubin, F. Didier (article publié dans Dalloz)
  1. Jurisprudence de la Cour de Cassation
  1. Thèse : La formation du contrat de concession exclusive, à la Faculté de Lille

Commentaire d’arrêt complet : Crim., 7 mars 1989 (violation de secret professionnel)

Fiche rédigée par Bénédicte Vidal, alors étudiante en maitrise de droit privé à l’Université d’Evry Val d’Essonne.

Cet arrêt est relatif à la violation du secret professionnel et plus précisément à la nature du secret révélé.

En l’espèce, un particulier (Mr Robert Etienne) envisage de créer une station de sports d’hiver en Haute-Savoie. Pour ce faire, celle-ci a acquis la majorité des actions d’une société anonyme exploitant un téléphérique. Cependant, suite à une décision préfectorale interdisant cette exploitation, la société anonyme a été déclarée en faillite et ses biens ont été mis en vente. Etant dans l’impossibilité de les acquérir, les biens ont été adjugés. Au dernier jour de la surenchère, à savoir le 10 juin 1963, son avocat, qui de par sa profession connaissait les difficultés financières que rencontrait son client, à informé un tiers (Mme Balkani) de cette situation et lui a proposé de surenchérir en lui affirmant qu’il s’agit d’une bonne affaire. Ainsi, la conséquence de cette surenchère est que tous les biens de la société ont été définitivement adjugés à une autre société qui avait comme associé ce tiers et l’épouse de l’avocat.

Le client a porté plainte contre son avocat pour violation du secret professionnel. En première instance, le tribunal correctionnel a accueilli cette requête et a reconnu l’avocat coupable de cette infraction. N’approuvant pas cette décision, l’avocat a interjeté appel. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 30 juin 1987, a rendu un arrêt confirmatif. En effet, les juges du fond ont reconnu l’avocat coupable au motif que celui-ci a outrepassé l’obligation de discrétion à laquelle il était tenu de par sa profession.

N’étant pas d’accord avec la décision de la Cour d’appel de Paris, l’avocat s’est pourvu en cassation pour violation de l’Article 378 du Code pénal. L’avocat fonde sa défense sur deux éléments. Tout d’abord, il affirme que l’infraction de violation du secret professionnel suppose, bien entendu, l’existence d’un secret. Or, en l’espèce, l’information avait fait l’objet d’une large diffusion. Ensuite, il affirme que cette infraction nécessite un élément intentionnel qui, en l’espèce, n’était pas caractérisé.

La question à laquelle doit répondre la chambre criminelle de la Cour de cassation est de savoir si les éléments constitutifs de l’infraction de violation du secret professionnel sont réunis ou pas. Il semble que la Cour de cassation ait du répondre à deux questions : la première est celle de savoir si l’information divulguée a le caractère de secret ou non. La seconde est celle de savoir si le dépositaire du secret peut invoquer l’intérêt de l’intéressé pour justifier une violation du secret.

La Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel de Paris et a rejeté le pourvoi au motif que les éléments, tant matériels qu’intentionnels, caractérisant l’infraction de violation du secret professionnel ont été caractérisés. En effet, l’avocat a bien révélé une information à caractère secret. De plus, l’avocat a bien eu conscience de révéler un secret, même si cette révélation avait pour but l’intérêt de son client.

Il convient d’étudier, dans une première partie, la matérialité de l’infraction de violation du secret professionnel (I). Puis, dans une deuxième partie, il convient de s’attarder à l’intention de révéler, et plus particulièrement, le cas où cette intention est justifiée par la défense des intérêts de la victime (II)

I – La matérialité de l’infraction de violation du secret professionnel

Il convient, tout d’abord, de vérifier que les différents éléments matériels ont été caractérisés (A), puis de s’attarder à la qualification du caractère du principe posé par l’Article 378 du Code pénal.

A – Les différents éléments indispensables pour que le délit de violation de secret professionnel soit constitué

Les termes de l’Article 378 du Code pénal (  » personnes dépositaires par état ou profession « ,  » secret qu’on leur confie « ,  » auront révélé  » ) permettent de dégager les trois conditions matérielles indispensables pour que le délit de violation de secret professionnel soit constitué. Pour résumer ces trois conditions, il faut un confident (c’est-à-dire que la personne dont on examine la conduite doit appartenir à certaines professions), un secret (c’est-à-dire qu’un secret doit avoir été confié à cette personne en raison de sa profession), et une révélation (il faut que cette personne ait, bien entendu, révélé l’information secrète).On peut donc étudier si, en l’espèce, ces trois conditions ont été remplies, auquel cas la matérialité de l’infraction sera caractérisée.

1 – Un confident

Au lieu de fournir une liste exhaustive des professionnels tombant sous le coup de la loi, le droit français a procédé autrement. En effet, l’Article 378 du Code pénal vise expressément les professions de santé qui sont notamment désignées  » les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens et les sages-femmes ». Puis, il ajoute une formule générale englobant  » toutes autres personnes dépositaires par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie « .En l’espèce, le dépositaire du secret est un avocat, c’est-à-dire un professionnel compris dans la formule générale de l’Article 378 du Code pénal. En effet, les membres des professions libérales qui participent à l’exercice de la justice et qui, de ce fait, se voient confier par leur client des secrets d’ordre moral ou patrimonial sont considérés comme des confidents nécessaires. Cependant, le cas des avocats est un cas un peu particulier. En effet, si les avocats sont des confidents nécessaires, il ne faut pas confondre ces solutions avec celles édictées par l’Article 89 du décret du 4 juin 1972. Ce texte qui organise la profession d’avocat, soumet les avocats à une discipline et l’Article 89 soumet l’avocat à une obligation déontologique de secret indépendante de la répression pénale de la divulgation d’un secret professionnel.

2 – Un secret

Les peines de l’Article 378du Code pénal ne sont encourues que si l’on a affaire à des secrets confiés à des professionnels. Cependant, deux conditions doivent être réalisées : l’information reçue doit avoir un caractère caché et elle doit avoir été confiée à la personne en raison de sa qualité de professionnel.

Les termes de  » secrets  » utilisés par ce texte mettent l’accent sur des informations connues de la seule personne qui se confie au professionnel. Or, la doctrine s’accorde pour constater que l’Article 378 du Code pénal ne définit pas ce qu’est un secret et que cette notion est délicate à préciser.

A première approche consiste à conférer un caractère secret aux informations expressément confiées par l’intéressé aussi bien à un confident nécessaire (magistrat ou policier) qu’à un confident choisi (médecin, avocat..). Mais la Cour de cassation a depuis longtemps estimé que l’interprétation littérale de ce texte était trop réductrice et qu’au-delà des faits confiés, le secret s’étendait à tout ce que la personne tenue au secret a pu constater, découvrir ou déduire personnellement à l’occasion ou en raison de son état, de sa profession ou de sa mission. Autrement dit, le secret couvre tout ce qui relève de l’exercice de l’activité ou de la qualité professionnelle.

Une première approche consiste à conférer un caractère secret aux informations expressément confiées par l’intéressé aussi bien à un confident nécessaire (magistrat ou policier) qu’à un confident choisi (médecin, avocat…). Mais la Cour de cassation a depuis longtemps estimé que l’interprétation littérale de ce texte était trop réductrice et qu’au-delà des faits confiés, le secret s’étendait à tout ce que la personne tenue au secret a pu constater, découvrir ou déduire personnellement à l’occasion de sa mission. Autrement dit, le secret couvre tout ce qui relève de l’exercice de l’activité ou de la qualité professionnelle.

En l’espèce, l’existence ou non d’un secret est discutée. En effet, l’avocat affirme que l’information qu’il a communiquée n’est pas secrète puisqu’elle est  » déjà connue des personnes auxquelles elle a été donnée  » et qu’elle a fait l’objet d’une  » large diffusion « . Il part du principe que l’on ne peut pas considérer qu’une mise en faillite soit une information secrète. Selon lui, il serait contraire à l’Article 378 du Code pénal de retenir, à l’encontre de l’avocat, l’infraction de violation du secret professionnel, alors que l’information divulguée lors de ce dîner était déjà connue de tous, et ne constituerait donc pas un secret.

Cependant, la Cour d’appel de Paris ainsi que la Cour de cassation n’ont pas retenu cet argument au motif que l’intervention de l’avocat est punissable non pas parce qu’il a discuté de l’opération immobilière en elle-même (car tout le monde était déjà informé de cette opération) mais parce qu’il a divulgué les difficultés financières ainsi que certaines précisions (notamment en conseillant à un tiers de surenchérir lors de l’adjudication des biens de la société mise en faillite) que lui seul connaissait de par sa profession. C’est en ce sens que l’avocat a outrepassé son obligation de discrétion.

3 – Une révélation

L’Article 378 du Code pénal fait dépendre de la révélation du secret la constitution de l’infraction qu’il définit. Il faut rappeler que la révélation est une divulgation et non une communication. En effet, divulguer la confidence, c’est rendre public un fait jusque là secret.La jurisprudence a eu à définir les contours de cette notion de révélation. Ainsi, tout fait volontaire qui a pour conséquence directe ou indirecte de faire connaître à un tiers, en tout ou en partie, ce qui relève du secret professionnel constitue une révélation au sens de l’Article 378 du Code pénal.En l’espèce, la révélation était une divulgation directe du secret fait oralement au tiers par le professionnel en privé lors d’une conversation. L’avocat a bien révélé un secret à Madame Balkani. Il ressort des faits que celle-ci était au courant de l’opération immobilière en cours en Haute-Savoie mais elle ignorait totalement la situation dans laquelle se trouvait la société de Monsieur Etienne. Ainsi, en l’informant de cette situation et en lui proposant de surenchérir, l’avocat a révélé un secret dont lui seul avait connaissance de par sa profession.

B – Le caractère général et absolu du principe posé par l’Article 378

Cet arrêt est intéressant car il apporte des éléments de réponse aux difficultés que l’on rencontre lorsqu’un fait a été révélé par un professionnel alors qu’il était partiellement connu. En effet, la Cour de cassation affirme que  » le principe posé par l’Article 378 du Code pénal est général et absolu même s’il s’agit d’un fait connu dans son ensemble lorsque l’intervention du dépositaire du secret entraîne la divulgation de précisions qu’il était seul à connaître « .Il est important de distinguer selon que le fait divulgué était totalement ou partiellement connu. Dans la première hypothèse, il n’y a aucun problème puisqu’aucun secret n’existe, il n’y a aucune violation. En revanche, la seconde hypothèse est beaucoup plus problématique. Seule la révélation d’une information qui n’a pu être connue que dans un cadre professionnel est punissable.

En l’espèce, la Cour de cassation a fait une application stricte de cette règle. Elle a affirmé que ce qui est punissable ce n’est pas le fait d’avoir discuté de l’opération immobilière avec des personnes qui connaissaient déjà l’existence de cette affaire. Non, ce qui est punissable c’est le fait d’avoir  » brosser un tableau d’ensemble très précis de la situation de l’affaire « . En effet, les juges du fond ainsi que la Cour de cassation reprochent à l’avocat d’avoir divulgué une information qui n’a pu être connue que dans le cadre professionnel. C’est d’autant plus grave que si Monsieur Etienne a confié à Maître Cohen sa situation, c’est parce qu’il avait confiance et parce qu’il savait, qu’en raison de sa profession, un avocat est tenu au secret professionnel. Les informations confiées par un client à son avocat sont secrètes et en les divulguant à des tiers, l’avocat méconnaît l’Article 378 du Code pénal qui impose l’obligation de secret en ce qui concerne les faits dont la connaissance est liée à l’exercice d’une certaine profession.

II – L’intention frauduleuse de révéler un secret

Il convient d’étudier, dans un premier temps, l’élément moral de cette infraction (A). Puis, on peut s’attarder à ce qui pose problème dans cet arrêt, à savoir la notion d’intérêt du client en tant que justification de la révélation du secret (B).

A – L’intention de révéler

L’Article 378 du Code pénal est peu explicite sur l’élément moral nécessaire à la constitution de l’infraction qu’il concerne. En effet, la formule  » auront révélé  » ne permet pas, a priori, de dire si l’infraction est ou non intentionnelle. Cependant, la jurisprudence a très tôt reconnu que la violation du secret professionnel constitue un délit intentionnel. L’intention exigée consiste dans ce que les pénalistes appellent le dol général, sans que la volonté de nuire soit indispensable.

Selon la chambre criminelle, le législateur dans un intérêt d’ordre public et de moralité supérieure, a assuré de manière inébranlable la confiance qui s’impose dans l’exercice de certaines professions.

Selon la doctrine, il suffit pour que l’intention nécessaire soit caractérisée que le professionnel ait conscience de révéler le secret dont il a connaissance. Ainsi, peu importe les mobiles, les raisons psychologiques expliquant la révélation. Donc, s’il n’y a ni volonté, ni conscience de révéler le secret, le délit ne peut apparaître.

Qu’en est-il en l’espèce ? Il résulte des faits que l’avocat a tout à fait eu conscience de révéler les difficultés de son client (informations secrètes et dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa profession). Cependant, dans cette espèce, se pose un problème supplémentaire qui réside dans la justification, par l’avocat, de la révélation du secret. En effet, celui-ci invoque l’intérêt de son client pour justifier le fait qu’il ait divulgué des informations à caractère secret.

B – L’intérêt : un fait justificatif ?

Cet arrêt répond à la question suivante : le dépositaire du secret peut-il invoquer l’intérêt de son client pour justifier une violation du secret professionnel ? Un arrêt ancien, du 8 décembre 1902, a estimé que le dépositaire du secret pouvait invoquer un véritable état de nécessité. Dans cet arrêt, un avocat avait estimé que le seul moyen de défendre son client passait par la révélation des confidences qu’il en avait reçues. Se pose alors le problème, en ce qui concerne les avocats, de la difficile conciliation entre le devoir de tout mettre en œuvre pour défendre leur client et l’obligation de discrétion. D’un côté, les avocats sont susceptibles d’utiliser toutes les informations qu’ils détiennent pour défendre leur client mais, d’un autre côté, ils ne peuvent pas utiliser les confidences faites par leur client.

En l’espèce, Maître Cohen soutient qu’il a évoqué les difficultés de son client  » que pour lui procurer des concours extérieurs et ainsi lui apporter l’aide qui lui faisait défaut « . En d’autres termes, si l’avocat a divulgué le secret c’est tout simplement pour aider son client. Il prétend que le fait de proposer à Madame Balkani de surenchérir aurait permis à son client d’obtenir un délai supplémentaire pour réunir les fonds nécessaires afin d’acquérir les biens de sa société. Finalement, il résulte de l’argumentation de Maître Cohen que son action était noble puisqu’elle n’avait pour seul objectif que d’aider son client. Il prétend même, qu’il n’a agi que dans l’intérêt de son client.

A la lecture de cet arrêt, il convient de faire une distinction entre l’intérêt du client et celui du dépositaire. En effet, il semble que dans de nombreuses affaires, il y ait une confusion : le dépositaire du secret prétendant agir dans l’intérêt de son client alors, qu’au fond, il n’agit que dans son propre intérêt.

D’après la jurisprudence, seul l’état de nécessité peut justifier la violation du secret professionnel. De plus, la Cour de cassation a posé la règle que le seul intérêt du dépositaire du secret ne pouvait justifier la révélation du secret.

Il résulte des faits de l’espèce que l’avocat n’a agi que dans son propre intérêt. En effet, les biens de la société de son client ont été définitivement adjugés à une société qui, comme par hasard, avait pour associés la fameuse Madame Balkani et l’épouse de l’avocat. On peut donc affirmer que Maître Cohen avait un intérêt personnel à divulguer certaines précisions sur cette opération immobilière. Il paraît indéniable que Maître Cohen a profité des confidences de son client pour réaliser, comme il est dit dans l’arrêt, une  » bonne affaire « . Il ne fait aucun doute que l’intention frauduleuse est caractérisée puisque le dépositaire avait, non seulement conscience de révéler un secret dont il avait eu connaissance dans l’exercice de sa profession, mais également parce qu’il avait tout à fait conscience du profit personnel qu’il pourrait tirer de cette révélation.

Commentaire d’arrêt complet : Crim., 27 mars 1991 (les délits d’omission)

Fiche rédigée par Bénédicte Vidal, alors étudiante en maitrise de droit privé à l’Université d’Evry Val d’Essonne.

Cet arrêt est relatif à l’omission de porter secours et plus précisément aux modalités de l’assistance.

En l’espèce, un couple se dispute. A la suite de cette dispute, l’épouse absorbe, devant son mari, qui est médecin, des médicaments. Après l’avoir veillée et surveillée toute la nuit, le mari a quitté le domicile conjugal le lendemain matin. Malheureusement, à son retour en fin d’après-midi, il trouve sa femme décédée.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 29 mai 1990, a condamné le mari à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et à 100000 frs d’amende pour non-assistance à personne en danger. En application de l’Article 63 al 2 de l’ancien Code pénal (devenu depuis 1994, l’Article 223-6), les juges du fond ont estimé que l’épouse était bien en état de péril imminent en raison de la quantité de comprimés absorbés et du mélange de médicaments. De plus, les juges du fond ont estimé qu’en raison de sa qualité de médecin, le mari avait conscience du caractère d’imminente gravité du péril auquel était exposée son épouse et surtout de la nécessité d’une intervention immédiate. Enfin, la Cour d’appel relève que certes le mari est resté au chevet de son épouse toute la nuit mais le lendemain matin, il l’a quittée sans aviser qui que se soit de son état. Donc, la Cour d’appel de Paris en a déduit que l’assistance ne s’est pas manifestée sous forme d’un engagement personnel suffisant et adapté à la situation.

N’approuvant pas cette décision, le mari se pourvoit en cassation pour violation de l’Article 63 al 2 ancien Code pénal et pour insuffisance de motifs. Le mari argue que le péril n’était pas réel puisque les causes de la mort n’ont pas pu être déterminées. De plus, selon le mari, il n’y avait pas de péril imminent nécessitant une intervention immédiate puisque, le lendemain matin, son épouse s’était levée et « allait bien ». Enfin, le demandeur au pourvoi reproche aux juges d’appel de n’avoir pas vérifier si ses déclarations affirmant que son épouse allait bien étaient mensongères ou pas.

La question à laquelle doit répondre la chambre criminelle de la Cour de cassation est de savoir si les éléments constitutifs de l’infraction de non-assistance à personne en péril sont réunis ou pas.

La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le mari au motif que tous les éléments, tant matériels qu’intentionnels, caractérisant le délit de non-assistance à personne en péril ont été caractérisés par la Cour d’appel de Paris.

Il convient d’étudier, dans un première partie, les éléments constitutifs de l’omission de porter secours (I). Puis, dans une deuxième partie, il convient de s’attarder à ce qui pose problème dans cet arrêt, à savoir les modalités de l’assistance (II).

I – Les éléments constitutifs de l’infraction

Comme pour toute infraction, le délit de non-assistance à personne en péril nécessite un élément matériel (A) et un élément moral (B). Si un de ces éléments fait défaut, l’infraction ne peut pas être constituée.

A – L’élément matériel : la nécessité d’un péril

Il faut un péril (1) constant, imminent et grave (2).

1 – L’existence d’un péril

Pour que l’infraction de non-assistance à personne en danger soit retenue, il faut qu’une personne soit en péril, puisque c’est précisément cette situation qui motive le secours nécessaire.

On peut se poser la question de savoir ce que veut dire le terme  » péril « . Il n’existe pas de définition légale. L’état de péril serait un état dangereux, une situation critique qui fait craindre de graves conséquences pour la personne qui y est exposée : elle risque soit de perdre la vie, soit des blessures, soit une altération grave de sa santé…Bref une menace sérieuse pèse sur la personne physique.

En l’espèce, c’est à juste titre que les juges d’appel ont retenu l’existence d’un péril. Le fait que l’épouse ait absorbé une grosse quantité de médicaments dont le mélange peut être motel constitue bien un péril. En effet, cela peut avoir des conséquences graves et même entraîner sa mort comme c’est le cas. Donc, on peut en déduire que, de par l’existence d’un péril, le mari aurait du porter secours à son épouse.

2 – L’existence d’un péril constant, imminent et grave

Le péril constant est celui qui est incontestable ce qui n’impose pas, par exemple, de vigilance particulière à l’égard de la personne qui menace à tout bout de champ de se suicider et n’oblige pas à anticiper sur un péril qui pourrait se révéler ultérieurement.

Le péril imminent est celui qui est sur le point de se réaliser. Il importe, en effet, d’insister sur le fait que l’infraction de non-assistance est une infraction instantanée punissant le refus de porter secours à un moment donné en présence d’une situation dangereuse à ce moment-là.

Le péril grave est celui dont le caractère est plus difficile à apprécier. L’infraction étant définie par une situation d’urgence, la gravité du péril doit s’apprécier en fonction des apparences et ne suppose pas une issue funeste à l’abstention.

En l’espèce, les juges d’appel ont retenu que le péril dont était victime l’épouse était constant, imminent et grave. En effet, le caractère constant du péril peut se justifier par le fait que la victime était en état de dépression. Cela rendait le péril incontestable car une personne déprimée peut à tout moment décider de mettre fin à ses jours et nécessite une attention, une assistance particulière. Le caractère imminent du péril peut aussi se justifier par la quantité de médicaments absorbés et par le mélange (l’épouse a mélangé du Lexomil et du Xanac). Donc, il est clair qu’à la suite de cette absorption, le péril est sur le point de se réaliser. Quant à la gravité du péril, on a vue qu’elle n’était pas toujours aisée à apprécier. Cependant, en l’espèce, le mari étant médecin, il était tout à fait apte pour apprécier la gravité ou non du geste de son épouse. De plus, il savait si les doses absorbées par son épouse ainsi que les médicaments choisis seraient mortelles ou non. C’est donc à juste titre que la Cour d’appel rappelle avait tout à fait conscience de la gravité de la situation.

Cet arrêt est intéressant car il permet de faire la différence entre le péril immédiat et le péril imminent qui peuvent peser sur une personne. En effet, on peut se poser la question de savoir si un péril imminent est un péril immédiat ou non. Il résulte de cet arrêt que le péril imminent doit être distingué du péril immédiat. En effet, lorsque son épouse a absorbé les médicaments devant lui, le médecin lui a porté secours. A ce moment, le péril a été immédiat. En revanche, le lendemain matin, le péril n’était plus immédiat mais imminent, c’est-à-dire sur le point de se réaliser en raison de la fragilité psychologique de la victime. Or, à ce moment, le mari était absent au motif, selon lui, que la vie de son épouse était hors de danger et qu’elle  » allait bien « . On peut donc dire que le mari est coupable de non-assistance à personne en péril imminent mais pas de non-assistance à personne en péril immédiat.

B – L’élément moral : la connaissance du péril et l’abstention volontaire en l’absence de risques

Les dispositions de l’Article 63 al 2 ancien Code pénal, qui visent le refus de porter secours à une personne en péril, exigent, pour être applicables, que le prévenu ait eu personnellement conscience du caractère d’imminente gravité du péril auquel se trouvait exposée la personne sont l’état requérait secours et qu’il n’ait pu mettre en doute la nécessité d’intervenir immédiatement en vue de le conjurer.

Ce même texte prévoit également que l’on peut s’exonérer de porter secours si l’assistance est risquée pour son auteur ou pour des tiers. Très vite doctrine et jurisprudence ont considéré que cette formule n’imposait pas héroïsme ou témérité, mais qu’elle ne signifiait pas qu’un risque léger puisse justifier le refus de porter assistance à une personne exposée à un grave péril. Concrètement, les tribunaux ont le pouvoir d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, s’il y a une certaine proportionnalité entre le danger auquel est exposé la victime et le risque auquel s’exposerait son sauveteur. Mais la jurisprudence a une interprétation très stricte de cette notion de risque puisque, dans un Arrêt du 4 février 1998, elle ne retient aucun arguments avancés par un médecin qui invoquait la distance à parcourir ainsi que les conditions climatiques difficiles pour justifier son non-déplacement.

Dans ces conditions, on peut donc dire que dans notre espèce, qu’en restant le lendemain auprès de son épouse ou, le cas échant, en prévenant un voisin ou de la famille ou même un confrère afin que son épouse ne soit pas seule, le mari ne s’exposait à aucun risque.

En l’espèce, le mari a bien eu personnellement conscience du caractère d’imminente gravité du péril puisqu’il est médecin. En effet, de par sa profession, il savait dès la réalisation ce que risquait son épouse lorsqu’elle a absorbé les médicaments. Cependant, dans cette affaire, il ne me semble pas juste d’affirmer qu’au moment du péril, le mari a omis de porter secours à son épouse. En effet, il l’a veillée toute la nuit en surveillant sa tension et on rythme cardiaque. Il semble même que le mari s’est justement servi de ses connaissances médicales pour sauver la vie de son épouse au moment où elle a absorbé les substances mortelles. En revanche, on peut se poser la question de savoir si celui-ci a commis l’infraction de non-assistance à personne en danger en quittant le domicile conjugal, laissant une femme qui la veille avait tenté de se suicider seule, au seul motif que selon ses dires elle « allait bien ». Il me semble que si le mari a apprécié l’état de santé de son épouse en tant que médecin, il ne devrait pas être coupable d’omission de porter secours. Il ne serait pas normal de n’invoquer sa profession que pour prouver qu’il était en mesure d’apprécier la gravité du péril et de refuser de le faire pour prouver qu’il était capable aussi, de par sa profession de médecin, d’apprécier l’état de santé de son épouse le lendemain matin. Cependant, il est vrai que les personnes dépressives et suicidaires sont toujours imprévisibles et, en tant que médecin, le mari étant bien placé pour le savoir. Se faisant, la Cour d’appel de Paris a raison de précisé qu’il n’aurait jamais dû laisser son épouse seule. Il aurait dû soit rester avec elle, soit prévenir quelqu’un. C’est en ce sens que le mari a commis l’infraction de non-assistance à personne en danger.

II – Les modalités de l’assistance et les sanctions en cas de défaut d’assistance

Il convient d’étudier, dans une première partie, les modalités de l’assistance (A). Puis, dans une seconde partie, les sanctions du défaut d’assistance (B).

A – Les modalités de l’assistance à personne en péril

Il résulte de l’Article 63 al 2 ancien Code pénal que l’assistance ne doit pas entraîner un risque pour celui qui aide ni pour les tiers. En effet, la loi n’impose pas l’héroïsme. Cette disposition est de nature à restreindre le domaine d’application de l’infraction, mais on doit convenir que, de même que le terme de péril, le terme  » risque  » est extrêmement vague. le risque qui justifie la non-intevention paraît être  » celui qui ferait reculer l’homme honnête et pondéré, placé dans les mêmes circonstances « .

Dans cet arrêt, ce qui caractérise vraiment l’assistance c’est  » l’engagement personnel suffisant et adapté à la situation « . Il résulte qu’eu égard au caractère imminent, à la gravité de l’acte, à la profession du mari, en quittant son épouse que douze heures après l’absorption des médicaments, celui-ci ne s’est pas suffisamment engagé personnellement. En effet, on peut dire que cet arrêt pose la règle selon laquelle l’assistance doit se manifester sous forme d’un engagement personnel suffisant et adapté à la situation. C’est une formule un peu vague et qui a vocation à s’appliquer suivant les cas d’espèce (  » adapté à la situation « ). Il faut donc se demander en quoi, dans les faits, le mari n’a pas manifesté un engagement personnel suffisant.

Tout d’abord, le mari estime que lorsque son épouse a absorbé les médicaments, il était à ses côté et il l’a soignée toute la nuit. Il a surveillé sa tension et son rythme cardiaque. Cela veut dire que lorsque le péril s’est réalisé, il lui a porté secours et peut être mieux qu’un tiers puisqu’il est médecin. Il a su, immédiatement, ce qu’il fallait faire et il lui a peut être sauvé la vie. En revanche, ce qui pose problème c’est son défaut d’assistance le lendemain. Selon le mari, il ne peut pas parler de défaut d’assistance puisque le lendemain il n’y avait plus de péril imminent nécessitant une intervention immédiate. Selon lui, au vu des examens pratiqués sur son épouse au cours de la nuit et tôt le matin, celle-ci allait bien. Le mari en a déduit que l’état de son épouse n’était pas susceptible d’entraîner un nouveau péril et que sa présence à ses côtés n’était plus justifiée.

La cour d’appel de Paris s’est prononcée dans une optique complètement différente. En effet, elle a affirmé qu’en raison de l’état dépressif et suicidaire de son épouse, il existait toujours un état imminent. Cependant, les juges du fond rappellent bien que cette décision a été prise en fonction des faits de cette espèce. Ce n’est pas une règle générale. C’est pour cela que la Cour précise que le comportement du mari n’est pas adapté à la situation. En effet, il ressort des faits qu’avant de quitter le domicile conjugal le lendemain matin, les époux se sont disputés. Or, la veille, ce qui avait entraîné le geste de son épouse c’était une dispute qu’ils avaient eu. Donc, lors de la seconde dispute, le lendemain matin, le mari aurait dû se douter de l’impact que pourrait avoir cet affrontement sur son épouse, qui était psychologiquement faible et dépressive. Or, il n’a pas réagi. Il est parti comme si de rien était, sans prévenir qui que se soit de l’état moral et physique de son épouse et en la laissant seule. De plus, de par sa profession, il savait les conséquences de cette dispute sur l’état de son épouse. Or, il n’a pris aucune mesure afin d’éviter le péril qui a, cette fois, entraîné la mort de son épouse. Il ne semble pas non plus avoir contacté son épouse, dans la journée, afin de prendre de ses nouvelles. Donc, c’est à juste titre que les juges du fond ainsi que la Cour de cassation ont estimé que le péril imminent, grave existait toujours le lendemain matin.

Puisque le mari a agi, en toute connaissance de cause, c’est également à juste titre que la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ont caractérisé l’abstention volontaire.

En l’espèce, en tant que mari de la victime, il la connaissait bien et il aurait dû s’engager personnellement. Il connaissait son état moral et physique et, suite à sa première tentative de suicide, il aurait dû rester avec elle ou, éventuellement, prévenir quelqu’un, un ami, des voisins, un médecin. En la laissant seule, c’est comme s’il l’avait tuée.

B – Les sanctions du défaut d’assistance

L’Article 63 ancien Code pénal prévoit que ceux qui s’abstiennent volontairement de porter assistance à une personne en péril seront puni d’un emprisonnement de 3 mois à 5 ans et d’une amende de 360 frs à 20 000 frs.

L’Article 223-6 Nouveau Code pénal est beaucoup plus sévère puisqu’il prévoit une peine d’emprisonnement de 5 ans et une amende de 500 000 frs.

En l’espèce, la Cour d’appel de Paris a condamné le mari de la victime à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 frs d’amende. Cette stricte condamnation est, me semble-t-il, justifiée par la profession de l’auteur de la non-assistance à personne en danger. En effet, on peut supposer que lorsque les faits sont relatifs à l’état de santé d’une victime, le médecin qui ne porte pas secours à cette personne en péril, sera plus pénalisé que les autres. Cependant, cette sévérité est justifiée. On peut dire que cet arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel assez sévère à l’égard des médecins. En effet, dans un Arrêt du 4 février 1998, il était établi de façon indiscutable que le médecin avait été informé de l’imminence d’un grave danger auquel se trouvait exposé un enfant de onze mois. La Cour d’appel justifiait sa condamnation (10 mois d’emprisonnement et 10 000 frs d’amende) en critiquant son action et en stigmatisant sa désinvolture au moment des faits.

Commentaire d’arrêt complet : Crim., 12 mars 1997 (le délit de risque causé à autrui)

Fiche rédigée par Bénédicte Vidal, alors étudiante en maitrise de droit privé à l’Université d’Evry Val d’Essonne.

Le délit de risques causés à autrui est apparu en 1994 avec le Nouveau Code Pénal et n’a jusqu’ici fait l’objet que de peu de jurisprudence. De plus, de nombreux arrêts rendus à son sujet font souvent l’objet de critiques en raison du défaut d’application stricte par les juges de ce texte.

L’Article 223-1 Code pénal relatif à la mise en danger délibérée d’autrui incrimine le  » fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 frs d’amende « .

En l’espèce, le conducteur d’un véhicule automobile a, sur une bretelle d’autoroute ne comportant qu’une voie de circulation, procédé, à vive allure, au dépassement par la droite du véhicule le précédant avant de se rabattre brusquement et de contraindre celui-ci à un écart.

En raison de ces faits, il a été prévenu du chef de délit de mise en danger délibérée d’autrui, infraction réprimée par l’Article 223-1 du Code pénal.

La chambre correctionnelle de la Cour d’appel a déduit de ces faits, que le prévenu avait violé délibérément une obligation particulière de sécurité et exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves. Les juges du fond l’ont condamné à 10 000 frs d’amende et à une suspension de son permis de conduire pendant 3 mois.

Le prévenu se pourvoit en cassation. En effet, il considère que la Cour d’appel n’a pas caractérisé l’élément intentionnel du délit ni en quoi les faits relevés étaient susceptibles d’entraîner la mort ou des blessures graves.

La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 12 mars 1997, a rejeté le pourvoi. Elle confirme que le comportement du prévenu constitue une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité et qu’en conséquence, celui-ci a exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves.

La question qui est posée à la Cour de cassation est celle de savoir si les éléments constitutifs du délit de mise en danger délibérée d’autrui sont suffisamment caractérisés par les juges du fond. A cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative.

Cette décision semble justifiée au regard des faits et des éléments constitutifs du délit. Cependant, la motivation laconique et lacunaire tant de la Cour d’appel que de la Cour de cassation font qu’elle est critiquable sur ce point. En effet, l’Article 213-1 du Code pénal exige, pour que l’infraction soit constituée la violation manifestement délibérée d’une règle particulière de sécurité et de prudence (II) ainsi que l’exposition d’autrui à un risque direct et immédiat de mort ou de blessures (I), éléments que les juges ont déduit des faits sans les motiver.

I – Un risque direct et immédiat pour autrui de mort ou de blessures graves de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente

Il s’agit ici du premier élément constitutif de l’infraction, à savoir l’élément matériel. Pour être caractérisé, il nécessite l’existence d’un risque pour l’intégrité corporelle d’autrui (A). De plus, ce risque doit être directement et immédiatement lié à la violation d’une règle particulière de sécurité par l’agent (B).

A – Un risque pour l’intégrité corporelle d’autrui

La notion de risque inclus dans l’Article 223-1 du Code pénal implique que ce qui fait le délit n’est pas le résultat mais l’exposition à un danger éventuel plus ou moins prévisible. Ainsi, en l’absence de prise en compte du résultat, il appartient au juge, pour chaque cas d’espèce, d’établir que le comportement du prévenu est, d’une part, de nature à entraîner un risque pour autrui et, d’autre part, que ce risque porte sur l’intégrité corporelle d’autrui.

En l’espèce, le prévenu faisait valoir dans son pourvoi que les juges du fond n’avaient pas précisé en quoi les faits incriminés étaient de nature à porter atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui.

En effet, en jurisprudence, les juges qui ont à juger de la condamnation du chef de mise en danger délibérée d’autrui suite à des violations de dispositions du Code de la route s’attachent à un ensemble de faits tels que la visibilité, la vitesse et la distance de freinage eu égard à l’état de la route et du véhicule ou encore à la fluidité de la circulation.

Ici, les juges se sont contentés de relever que le comportement du prévenu avait obligé l’autre automobiliste à faire un écart. Ils n’établissent donc pas en quoi cet écart était susceptible de causer un dommage à l’intégrité corporelle du conducteur. En effet, ils auraient pu préciser si cet écart avait conduit l’automobiliste à s’approcher dangereusement d’un autre véhicule ou du rail de sécurité de la bretelle d’autoroute par exemple ; ou encore si l’incident avait eu lieu à une heure de grande circulation, ou dans des conditions climatiques rendant la visibilité ou la maîtrise du véhicule difficiles.

Ainsi, les faits sur lesquels les juges se sont appuyés sont insuffisamment pertinents pour caractériser le risque et l’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui.

Cette constatation est à rapprocher et à compléter par l’analyse de la motivation des juges quant à l’existence d’un risque direct et immédiat (B).

B – Un risque direct et immédiat

L’Article 223-1 du Code pénal incrimine le fait  » d’exposer directement autrui à un risque immédiat « . Il s’agit bien de l’exigence de causalité entre le comportement du prévenu et les risques encourus par autrui.

Il s’ensuit que le seul fait pour les juges de relever la violation d’une obligation de sécurité ne suffit pas à caractériser l’existence d’un risque immédiat pour autrui, car comme l’a souligné la doctrine il n’existe pas de présomption de mise en danger délibérée d’autrui et de surcroît cela ôterait toute raison d’être à l’incrimination de ce délit. En effet, s’il suffisait de relever la violation de la règle pour en déduire un comportement dangereux, l’existence préalable de la règle de sécurité violée se fondrait avec les autres éléments constitutifs du délit, tant et si bien que toute violation d’une règle de sécurité, quelles que soient les circonstances, serait constitutive du délit de mise en danger. En ainsi, le fait de violer une règle de sécurité conduirait dans tous les cas à être condamné pour deux infractions (la violation de la règle et le délit de mise en danger). Il est donc manifeste que le législateur, en 1994, avait l’intention d’avoir une conception stricte de ce délit.

Or, en l’espèce, la Cour de cassation n’explique pas en quoi le comportement du prévenu exposait les autres usagers de l’autoroute à un risque immédiat de collision ou autre. La Cour se contente donc du seul constat de la faute du prévenu sans exiger la preuve de l’existence d’un risque immédiat pour autrui, c’est-à-dire sans exiger de lien de causalité entre la violation et le risque. Là encore, les juges n’ont pas satisfait aux exigences légales de l’Article 223-1 du Code pénal en ne caractérisant pas ce lien de causalité.

Ainsi, toute la motivation tant des juges d’appel que de cassation est critiquable dans cet arrêt car elle ne caractérise pas suffisamment les éléments constitutifs du délit de mise en danger d’autrui, même si, en l’espèce, ces éléments semblaient présents au regard des faits.

II – La violation manifestement délibérée d’une règle particulière de sécurité

Il s’agit du second élément constitutif de l’infraction, à savoir l’élément moral. Pour être caractérisé, il faut que soit préalablement relevé l’existence d’une règle particulière de sécurité (A) et qu’il soit établi en quoi l’agent avait conscience de violer cette règle (B).

A – L’existence d’une règle particulière de sécurité

Le délit suppose comme condition préalable que l’agent ait été tenu d’une obligation particulière de sécurité imposée par la loi ou par le règlement. La jurisprudence a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la notion de  » règlement » qui doit être entendue au sens constitutionnel ainsi que sur la notion  » d’obligation particulière « . La tendance est de considérer que les dispositions du Code de la route constituent des obligations particulières de sécurité et de prudence. Et par opposition, ne sont pas condamnés ceux qui sont tenus par des obligations générales de sécurité et de prudence.

Or, en l’espèce, les juges, tant d’appel que de cassation, n’ont à aucun moment cherché à viser l’obligation particulière de sécurité qui avait été violée. Ceci est contraire à une bonne administration de la justice car comment savoir , dans ce cas, si une règle de sécurité imposée par la loi et le règlement a été violée, d’une part ; et d’autre part, s’il s’agissait d’une règle particulière de sécurité. Ici, il est vrai que le prévenu semble avoir violé les Articles R 12 (  » les croisements s’effectuent à droite et les dépassements à gauche « ), R 14 (  » avant de dépasser, le conducteur doit s’assurer qu’il peut le faire sans danger… » ) et R 15 (  » par exception à la règle prévue à l’Article R 12, mais avec des précautions identiques à celles de l’Article R 14, un véhicule doit être dépassé par la droite lorsque le conducteur de ce véhicule à signalé qu’il se disposait à tourner à gauche… »). De plus, il semble logique de ne pas avoir d’occasion de doubler (que ce soit par la gauche ou par la droite) sur une bretelle d’autoroute à une voie. Ainsi, en l’espèce, il y a eu violation d’une règle de sécurité mais il appartient aux juges de le relever.

En outre, dans un arrêt postérieur (Cass Crim du 23 juin 1999), la Cour de cassation a décidé que  » l’Article 223-1 du Code pénal n’exige pas, pour son application, que soit visé dans la citation ou la convocation en justice le texte législatif ou réglementaire prévoyant et réprimant l’obligation particulière de sécurité ou de prudence « . Mais, en l’espèce, la Cour d’appel avait au moins cité la règle violée sans en donner le contenu.

De même, les juges n’ont pas non plus précisé un quoi il y avait violation délibérée des règles de sécurité précitées (B).

B – La violation manifestement délibérée d’une règle de sécurité

En doctrine, il est admis que le délit de mise en danger délibérée d’autrui est une infraction formelle. En effet, le dommage corporel n’est pas pris en compte. Seule compte la méconnaissance volontaire d’une obligation de sécurité particulière et la conscience de faire prendre des risques corporels à autrui. Ainsi, ceci exclut, pour que le délit soit caractérisé, tout manquement par imprudence ou négligence.

En l’espèce, l’argument du prévenu était justement axé sur ce point puisqu’il reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir précisé en quoi l’infraction retenue avait été intentionnelle.

Cet argument, qui pourtant n’a pas été retenu, semblait justifié. En effet, comment justifier l’existence même du délit de mise en danger d’autrui par rapport à la règle violée qui en est la base, si ce n’est notamment en relevant l’intention de violer cette règle.

En l’espèce, s’agissant d’un dépassement par la droite sur une bretelle d’autoroute à une voie, le prévenu avait nécessairement connaissance de ce qu’il violait une règle de sécurité. En effet, quiconque sait, même les personnes ne possédant pas leur permis de conduire, qu’il est interdit de dépasser une voiture par le droite et de surcroît que c’est particulièrement dangereux lorsqu’il n’y a qu’une voie de circulation. Les juges n’avaient donc pas à préciser que le prévenu avait connaissance de la violation de la règle de sécurité. En revanche, il leur appartenait de relever en quoi cette méconnaissance de la règle était volontaire. Il pouvait très bien s’agir d’une simple imprudence ou négligence.

Cependant, il est vrai que si cela avait été le cas, les avocats du prévenu n’auraient pas manqué de le souligner. Mais bien que cet argument permette de comprendre la lacune des juges sur ce point, il est néanmoins de leu devoir de le préciser.

Commentaire d’arrêt complet : Com., 20 novembre 1980 (GEP contre François Jurien de la Gravière, Pierre Monot)

Fiche rédigée par Michael Vayssié (deug de Droit-Anglais, puis Licence de Droit).

Ce commentaire d’arrêt a obtenu la note de 15/20.

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 20 novembre 1980.
SA Groupement européen pharmaceutique (GEP) contre François Jurien de la
Gravière, Pierre Monot.

Introduction

Tout ensemble établi sur un système de type collectif se doit d’être conçu selon un principe hiérarchique afin d’être cohérent et efficient. Les sociétés ne semblent pas déroger à cette idée si on constate qu’il y a toujours un président du conseil d’administration – pour les SA « classiques » -, un directoire, – pour les « SA modernes »-, ou un gérant – pour les SARL-. Cependant et comme dans toute collectivité, les désaccords sont inévitables entre les individus oeuvrant au sein d’un microcosme tel une société, et les séparations qui en résultent, sources de litiges.

Ainsi, dans la décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 20 Novembre 1980, Jurien de la Gravière a épousé la fille de Pierre Monot, animateur de la société holding GEP, – SA à directoire et conseil de surveillance -, et par là, devint actionnaire de cette dernière et fut nommé membre du directoire composé de Pierre Monot et de ses fils. Un mois plus tard le conseil de surveillance le nomme administrateur d’une filiale de la GEP, GEP dont il devient président. Puis, l’assemblée générale de la GEP par délibération du 23 Mai 1978 et sur proposition du conseil de surveillance, prononce la révocation de ses fonctions de membre du directoire à l’encontre de De la gravière qui assigne la GEP et Monot en son nom personnel devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d’entendre condamner in solidum ces derniers à lui verser 1 000 000 de francs de dommages-intérêts, de voir annuler cette délibération et d’obtenir la publication de la condamnation, sur les motifs que l’assemblée générale avait abusé de ses pouvoirs en prononçant la révocation « non en considération de l’intérêt social, mais pour assouvir les sentiments personnels d’un associé », et du fait que « si la révocation d’un membre du directoire est décidée en l’absence de juste motif, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts » conformément à l’article L121 de la loi du 24 Juillet 1966.

La GEP demande alors au tribunal de déclarer la requête comme étant irrecevable ou mal fondée, tandis que Monot soulève un déclinatoire de compétence au profit du Tribunal de Grande Instance avec demande reconventionnelle en dommages-intérêts contre De la Gravière. Le tribunal de commerce refuse l’annulation de la délibération mais octroie à De la Gravière 280 000 francs de dommages-intérêts à la charge de la GEP qui interjette appel à l’encontre de De la Gravière, ce dernier faisant de même à l’encontre de Monot réaffirmant ses prétentions sur les mêmes moyens : abus de pouvoir de l’assemblée générale et révocation sans juste motif.

La Cour d’appel ne constate pas l’abus de droit au motif qu’il n’y a pas eu atteinte injustifiée à l’honneur ou à la réputation de De la Gravière, mais accorde à ce dernier des dommages-intérêts, énonçant que l’absence d’abus de droit n’est pas exclusive de dommages-intérêts dès lors que la révocation a eu lieu en l’absence de juste motif, précisant que cette notion se définit non pas seulement en fonction de l’activité ou du comportement du membre du directoire intéressé, mais aussi en fonction de l’intérêt social, réel et certain.

Cette décision nous amène donc à nous interroger quant à l’importance et aux conditions d’application des notions de juste motif et d’abus de droit dans le cadre du principe de révocabilité des dirigeants de société de type SA « modernes », – composées d’un directoire et d’un conseil de surveillance -.

Nous tenterons de voir comment la Cour présente la notion de juste motif non pas comme résultant uniquement d’une faute du dirigeant, mais reconnue en considération de l’intérêt social, réel et certain de la société.

Puis les conditions de reconnaissance de l’abus de droit présenté comme potentiellement complémentaire du juste motif.

I. La cour d’appel admet le juste motif issu de l’intérêt social réel et certain

Pour tout individu, la perte d’un acquis est, dans la majeure partie des cas, considérée comme la résultante d’une faute. Ce raisonnement existant dans le cadre du licenciement, l’amalgame paraît justifié avec l’idée de révocation d’un dirigeant d’une SA moderne. Cependant la Cour d ‘appel instaure une nouvelle explication : l’intérêt social réel et certain.

A. Une idée reçue : le juste motif dépend d’une faute du dirigeant révoqué

Si le principe relatif à la révocation de certains mandataires sociaux comme les présidents de conseil d’administration des SA, ou les directeurs généraux des SA, est établi par la loi du 24 juillet 1966 comme étant ad nutum, soit littéralement, « sur un simple signe de tête », reposant sur l’idée d’un salutaire et prompt départ du mandataire social qui ne donne plus satisfaction pour ne pas entraver le fonctionnement de la société, il trouve son amplitude limité dans le cadre d’une révocation de gérant de SARL, ou comme en l’espèce, d’un membre du directoire d’une SA. C’est ainsi que la loi du 24 juillet 1966 prévoit, dans son article 121, que « les membres du directoire peuvent être révoqués par l’assemblée générale, sur proposition du conseil de surveillance. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts ». La notion de juste motif apparaît donc comme ne remettant pas en cause le pouvoir de révocation de l’assemblée générale puisqu’elle ne peut donner lieu à réintégration, seulement, elle se présente comme une possibilité pour l’individu révoqué, d’obtenir une compensation pécuniaire. Cependant, ce  » juste motif  » n’est nullement défini par le législateur, et c’est donc à la jurisprudence de s’atteler à cette tâche, d’où un contentieux conséquent à ce sujet.

C’est bien évidemment la faute qui s’est imposée comme étant la source de juste motif la plus aisée à défendre. Mais pour qu’elle soit exclusive de toute indemnisation, elle se doit d’obéir à certains critères.

En effet, la faute doit être commise dans le cadre du mandat social, et doit être lié à la gestion de la société comme l’énonce une jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 11 mars 1983.

Par ailleurs, la faute peut revêtir plusieurs aspects. En effet, peut caractériser une faute le fait pour un mandataire de dénigrer la société aux yeux des tiers, en ce sens qu’un tel acte est de nature à compromettre l’intérêt social ou le fonctionnement de la société. C’est aussi valable pour le non-respect de stipulations statutaires, le manquement à des obligations de faire comme l’absence de décision face à l’aggravation de la situation de la société, – Cour d’appel de Paris, 13 mars 1984 -, la gestion catastrophique de celle-ci, – Chambre commerciale de la Cour de cassation, 17 décembre 1974 -, le non-respect d’une décision collective prise par les associés, ou la signature en qualité de gérant des statuts d’une société en formation, sans obtenir l’accord des associés ni même les en tenir informé, – Chambre commerciale de la Cour de cassation, 29 mai 1990 -. En l’espèce, la Cour d’appel de Paris énonce que « le fait par un membre du directoire, soit de voter pour ou contre une résolution proposée par l’assemblée générale, soit de s’abstenir sur ce vote lorsque celui-ci ne met pas en cause la gestion des affaires sociales, ne peut constituer un juste motif de révocation au sens de l’article 121 de la loi du 14 juillet 1966 ».

Cette forme de juste motif, établi sur une faute, peut être considéré comme un risque inhérent au statut de dirigeant, et elle dépend de la réalité de la faute ainsi que de son importance. C’est cette importance qui permet de différencier la révocation ad nutum de la révocation pour juste motif, et c’est aux juges qu’il revient de constater les faits et d’en apprécier la valeur.

Cependant, et comme en l’espèce, la jurisprudence a réaffirmé l’existence d’une autre source de juste motif reconnu en dehors de toute faute : le juste motif issu de l’intérêt social réel et certain.

B. Or l’intérêt social réel et certain peut justifier la révocation d’un dirigeant

Au-delà du juste motif reconnu pour faute, la jurisprudence à assez rapidement consentie à considérer comme une justification potentielle d’une révocation de dirigeant une notion du droit des sociétés d’une dimension conséquente et qui est couramment brandie pour asseoir la légitimité d’une décision litigieuse et à juste titre sujet à controverses : l’intérêt social. Un problème hélas récurrent dans le cadre de notions aussi vastes que peut l’être l’intérêt social d’une société réside dans la délimitation d’une telle notion. C’est donc la jurisprudence, confrontée à moult sollicitations, qui est amenée à donner forme à ces éléments intangibles.

Ainsi, dès 1972, dans un arrêt rendu par le tribunal de commerce de Paris, a été jugé que la divergence de conception sur la manière de gérer une société, lorsqu’elle surgit entre un nouveau groupe d’actionnaires majoritaires et un membre du directoire antérieurement en fonction, suffit à légitimer le motif de révocation sans qu’il y ait pour autant faute du mandataire révoqué. Notons que cet arrêt a été confirmé dans un arrêt du 17 juillet 1984 précisant que la divergence de conception doit être de nature à nuire à l’efficacité de la direction. Par ailleurs, en 1973, dans une décision rendue par la Cour d’appel de Rennes daté du 28 mars, a été avancé que « la réorganisation d’une société imposée par des établissements bancaires justifie la révocation d’un membre du directoire ». Il est tout de même utile de préciser qu’en l’occurrence, la Cour avait relevé à l’encontre de l’intéressé une part de responsabilité nécessairement fautive, au moins par inertie, dans l’aggravation de la situation financière de la société. La Cour d’appel de Douai, dans une décision du 17 Juin 1976, a, quant à elle, considéré comme étant justifiée la révocation d’un président du directoire imposée par la nécessité d’obtenir le renouvellement d’une concession vitale pour la société dès lors que, par son attitude personnelle, le président du directoire rend impossible un tel renouvellement. Il faut noter que dans ce cas, il s’agit de révoquer le président, non pas seulement de lui retirer sa qualité de président et de le conserver comme membre du directoire, auquel cas la révocation serait ad nutum, donc exclusif de toute indemnité sans nécessiter pour cela de justifier d’un juste motif.

Ainsi, la décision d’espèce ici étudiée, apparaît comme réunissant l’ensemble de ces décisions sous la notion d’intérêt social réel et certain, énonçant que « la notion de juste motif se définit non pas seulement en fonction de l’activité ou du comportement du membre du directoire intéressé mais aussi en fonction de l’intérêt social, réel et certain ». Une telle décision aurait pu très rapidement être perçue comme une porte ouverte pour permettre aux associés, sous couvert d’un quelconque désaccord, de se « débarrasser » d’un mandataire sans réellement craindre d’avoir à débourser des indemnités. Mais si déjà, en l’espèce, la Cour d’appel refuse l’existence d’un juste motif, établissant que « le fait par un membre du directoire, soit de voter pour ou contre une résolution proposée par l’assemblée générale, soit de s’abstenir sur ce vote lorsque celui-ci ne met pas en cause la gestion des affaires sociales, ne peut constituer un juste motif de révocation au sens de l’article 121 de la loi du 24 juillet 1966 », le mouvement jurisprudentiel a veillé à ne pas vider le juste motif de sa raison d’être, soit de protéger un mandataire en obligeant les associés à ne pas révoquer à la légère, ainsi qu’en offrant la possibilité d’un dédommagement pécuniaire. Ainsi, la Cour d’appel de Versailles, dans une décision rendue le 27 novembre 1985, ne reconnaît pas de juste motif dans le cas ou le motif allégué est artificiellement rattaché à l’intérêt de la société ; ici, l’opposition d’un gérant à un plan de redressement totalement inefficace. Plus récemment, un arrêt rendu le 25 février 1992 par le tribunal de commerce de Paris s’inscrit dans le droit fil de ce mouvement jurisprudentiel.

Il semble donc que la crainte rigoureusement légitime de la doctrine de voir les juges élargir la reconnaissance du juste motif, le banalisant de ce fait et rapprochant ce type de révocation, un temps soit peu protégé, de la révocation ad nutum, puisse être écartée dans le cadre de la justification par l’intérêt social, ce qui n’éradique pas totalement ce risque si on se réfère au juste motif reconnu pour perte de confiance, qui bien que temporisé par un décision rendu par la Cour d’appel de Paris le 08 novembre 1991, constitue malgré tout une possibilité supplémentaire « d’excuser » une révocation illégitime dans son motif.

Un autre mode de protection auquel l’espèce étudiée rend toute son importance, y compris dans le cadre d’une révocation pour juste motif, doit être envisagé : l’abus de droit.

II. La Cour présente le juste motif et l’abus de droit comme des notions non exclusives l’une de l’autre

La décision étudiée ici offre au dirigeant révoqué, outre un cumul possible d’indemnité, – pour absence de juste motif et pour révocation abusive -, une protection supplémentaire en affirmant que chacune des deux notions ne ressortent pas des mêmes considérations, et ainsi, ne sont nullement exclusives l’une de l’autre.

A. L’abus de droit ne résulte que des circonstances de la révocation, non de sa motivation

L’abus de droit, de part son analyse littérale, soit l’utilisation abusive d’un droit, pourrait être envisagé comme un corollaire du juste motif, une garantie surabondante. Or la Cour d’appel de Paris, en l’espèce, énonce que « l’abus de droit de révocation d’un membre du directoire ne peut résulter que des circonstances mêmes de la révocation en dehors de toutes les motivations de celle-ci ». Il apparaît dès lors que les juges ont souhaité exposer la notion d’abus de droit comme une notion clairement distincte du juste motif, en plaçant son appréciation non sur l’origine de la révocation, mais sur la manière par laquelle est intervenue cette révocation. La Cour en déduit légitimement que « le fait pour une assemblée générale de n’avoir pas commis un abus dans l’exercice de son droit de révocation d’un membre du directoire n’est pas exclusif de l’allocation de dommages-intérêts au cas où la révocation a été décidée sans juste motif ». Cette décision n’est pas unique en son genre, et la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt de censure rendu le 21 Juin 1988, est venue réaffirmer cette appréciation en énonçant que les juges du fond ne peuvent se prononcer sur les griefs faits par la société au président révoqué, mais doivent simplement apprécier si ce dernier, demandeur en dommages-intérêts, établit que les circonstances de la révocation sont injurieuses ou vexatoires. Un autre arrêt rendu par la même chambre le 27 mars 1990 en a clairement déduit que l’abus de droit est détaché de l’absence de juste motif et ne se rapporte qu’aux circonstances mêmes de la révocation. Enfin, cette notion trouve sa pleine application dans un arrêt rendu le 01 février 1994 par la chambre commerciale de la Cour de cassation où un gérant s’est vu reconnaître le droit de revendiquer des dommages-intérêts en s’appuyant sur les deux causes d’indemnisation : le juste motif et l’abus de droit.

Il apparaît ainsi que la jurisprudence a fait encore un geste pour amener les associés souhaitant se séparer d’un mandataire, à réfléchir au-delà de la cause de cette décision, en se penchant sur les conditions d’exécution de celle-ci afin qu’une telle séparation se fasse avec un minimum de respect envers l’intéressé qui bien souvent, de part son statut, est censé disposer de compétences qui ne sont pas mises en cause. Par ailleurs, il semble raisonnable de concevoir qu’au-delà de la nécessité de respecter l’individu même au moment de sa révocation, la plus grande rigueur soit de mise dès lors que cela va inévitablement jouer un rôle capital dans la poursuite de la carrière de l’individu.

D’où une appréciation des circonstances de la révocation visant à caractériser l’abus de droit établi sur les conditions vexatoire ou injurieuses.

B. Des circonstances portant atteinte injustifiée à l’honneur ou à la réputation de l’intéressé

Afin de caractériser l’abus de droit dans le cadre d’une révocation de mandataire social, il semble évident de s’attendre à ce que cette révocation porte atteinte à l’intéressé. Cependant, dans l’absolu, le simple fait d’être révoqué est certainement perçu comme une atteinte par le mandataire, aussi la jurisprudence a-t-elle établi le type d’atteinte à prendre en compte pour caractériser un abus de droit. Ainsi, en l’espèce, la Cour d’appel de Paris précise que l’abus de droit peut être reconnu dès lors que les circonstances de la révocation « portent une atteinte injustifiée à l’honneur ou à la réputation de celui-ci ». Est de nos jours plus usitée l’expression de « circonstances injurieuses et vexatoires », ce qui équivaut à une traduction plus éloquente de l’idée « d’atteinte à l’honneur de l’intéressé », sans pour autant en détourner la portée. Cette notion est assez bien ancrée dans la jurisprudence qui ne cesse de connaître de litiges en ce domaine, affinant en permanence le contenu de cette notion. A ainsi été jugée abusive par la chambre commerciale de la Cour de cassation la révocation d’un administrateur suite à son abstention de vote, alors que cette attitude ne mettait pas en péril la société. La mesure prise a été considérée comme intempestive et vexatoire, caractérisant un abus de droit. Par ailleurs, un arrêt rendu par la même chambre le 02 octobre 1978, a constaté l’abus de droit notamment parce qu’il avait été apposé un placard d’information du personnel expliquant que le mandataire révoqué l’avait été pour incapacité et malhonnêteté.

Plus récemment, la Cour d’appel de Paris, dans une décision rendue le 21 octobre 1991, a jugé comme intervenue dans des circonstances vexatoires, la révocation du directeur général qui en a été informé par une note de service adressée à l’ensemble du personnel et a été prié d’abandonner son bureau et son véhicule de fonction sans délais. Cette dernière décision amène à relever qu’il est souvent adjoint à l’idée de circonstances injurieuses et vexatoires, généralement déduites d’une publicité injustifiée de la situation du révoqué quand il ne s’agit pas de diffamation, le caractère brusque de l’éviction. Il semblerait que même en dehors de toute publicité inopportune, la soudaineté, la brutalité de la révocation, puisse par elle-même générer un abus de droit. On peut aisément comprendre la motivation des juges protecteurs de l’individu révoqué par un groupe, si l’on déduit de la soudaineté un manque de réflexion avant la décision, et révélant un manque de considération à l’encontre de l’intéressé, voire une volonté d’humilier celui-ci, si on considère la brutalité de la révocation.

Ainsi, la décision rendue par la Cour d’appel le 20 novembre 1980 s’inscrit bien dans ce mouvement jurisprudentiel en rejetant l’abus de droit, relevant une absence de menace à l’encontre de De la Gravière, ainsi qu’une publicité de l’événement limitée à celle légale.

Cette décision a été suivie par un important contentieux dans le même domaine, confiant aux juges la délicate mission de protéger les mandataires à la merci des associés, sans pour autant vider l’article 121 de la loi du 24 juillet 1966 de son sens et de sa portée.