Conclusion du cours d’histoire du droit des biens

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On a constaté que la possession et la propriété s’excluent l’une l’autre, parce qu’elles relèvent de 2 régimes procéduraux tout à fait différents.
On a aussi constaté que la possession comme système procédural est destinée à répondre à des objectifs qui sont très pragmatiques :
1- je ne dispose pas d’une action réelle ;
2- je m’adresse au magistrat pour être maintenu en possession ; et
3- le magistrat m’accorde un interdit possessoire.

Cette exclusion conceptuelle et procédurale n’empêche pas parfois quelques points de contact.
Il peut arriver qu’une possessio débouche sur une propriété → il peut arriver qu’avoir été possesseur d’une chose dans la durée permette d’avoir une action réelle à raison de cette chose.
C’est le cas de l’usucapion, qui est une technique très archaïque.

En matière de transfert d’une res mancipi entre citoyens romains, l’usage de cette chose par l’acquéreur pendant 1 an ou 2 permet à l’acquéreur de devenir propriétaire quiritaire.

L’usucapion est une technique plus ancienne que la technique de la possession.
À l’origine, ce que l’on exige dans l’usucapion ne peut donc pas être une possession paisible et durable ; on demande un usage.

Mais dès que la notion juridique de possession s’étoffe et devient de + en + subtile, on voit les juristes romains appréhender le régime de l’usucapion avec les concepts de la possession.
On voit donc les juristes réclamer une possession pleine et entière de la chose que l’on veut usucaper : le corpus, la possession nec vi, nec clam, nec pracrio, et éventuellement l’animus possidendi.
Le juste titre prend de + en + d’importance.

À partir de l’époque classique, l’usucapion devient une technique qui rend moins irréductible la distinction entre possession et propriété → point de contact.

À l’époque classique, les romains distinguent entre prescription et usucapion (on ne le fait plus aujourd’hui) ; mais il n’empêche que la prescription permet un autre contact entre propriété et possession.
Praescriptio (= prescription) est un terme de procédure : c’est une sorte d’exception à l’effet radicalement péremptoire.
Comme son nom l’indique, praescriptio, c’est ce qui est écrit au début de la formule du préteur.
C’est un moyen de défense qui permet au défendeur d’empêcher, à l’ouverture du procès, que le procès ne se noue / qu’on atteigne la litis contestatio.

Cette technique de la prescription va être utilisée en matière de droit des biens, grâce à un papyrus, qui contient une constitution de l’empereur Sévère de 199.
Cette constitution introduit la prescription de temps long = que le possesseur d’une chose assigné en revendication par un propriétaire qui a négligé pendant une 20aine d’années d’exercer l’action en revendication, eu égard à la négligence du propriétaire, pourra repousser la demande en justice en invoquant cette prescription.
→ On empêche le procès de se nouer parce que le demandeur a été négligent.

Cette protection de temps long met en échec la revendication du propriétaire contre le possesseur.
Le délai de prescription est de 10 ans quand ils sont dans la même circonscription et de 20 ans quand ils sont domiciliés dans une circonscription différente.

Dans la constitution de 199, il est très clair que le possesseur de temps long ne devient pas propriétaire de la chose ; il peut simplement repousser victorieusement l’action en revendication du propriétaire (qui reste le propriétaire).
Ça ne touche que la procédure, ça ne touche pas le fond du droit.

À la fin de l’époque classique, on a tendance à mélanger les notions.
Une constitution de Constantin des années 330 introduit une prescription spéciale avec un délai spécial de 40 ans, ensuite ramené à 30 ans.
Ce délai spécial concerne les possessions vicieuses, lorsqu’il y a un vice mais pas un vice de violence : on parle de prescription de très long temps (praescriptio longissimi temporis).

Tout déraille en 365, avec une nouvelle constitution qui interprète la prescription constantinienne et qui affirme que cette prescription permet de faire usage du droit de propriété pour le possesseur.
Le code théodosien reconnaît à celui qui peut invoquer la prescription constantinienne la possibilité de revendiquer son bien.

Ici, il y a une confusion entre l’usucapion, qui permet d’être propriétaire, et la prescription qui, à l’origine, ne concernait pas le fond du droit.

Justinien remet les choses en ordre et cherche à mieux articuler l’usucapion et la prescription.
L’usucapion devient un genre de prescription : désormais, on analyse l’usus de l’usucapion comme une possession.

Or, à l’époque de Justinien, la distinction entre res mancipi et res nec mancipi n’existe plus → tous les biens peuvent faire l’objet d’une propriété civile → ils peuvent être usucapés, puisque l’usucapion est une technique civile.

À partir de 528/531, tout le régime de la prescription (l’usucapio étant devenu une espèce de prescription) tourne autour du juste titre et de la bonne foi.
C’est l’aboutissement de cette dématérialisation / spiritualisation de la possession.

Si le bien est meuble, on applique le régime de l’usucapion, mais on porte le délai à 3 ans.
L’ancien usucapion devient le régime spécifique des biens meubles, avec plus qu’un délai de 3 ans.

Si le bien est immeuble, on applique le régime de la prescription de temps long, avec un délai de 10 ou 20 ans.
La législation de Justinien prévoit que le possesseur est réputé propriétaire de la chose.

Si le possesseur est dépourvu de juste titre, on utilise la prescription de très long temps (= prescription constantinienne de 30 ans).
L’absence de juste titre est équivalente à l’absence de bonne foi dans la doctrine de cette époque ; cette idée de fraude que l’on vient couvrir par un délai de prescription exceptionnel explique pourquoi on ne va pas reconnaître le titre de propriétaire au possesseur qui a possédé de manière vicieuse.
Ce possesseur de mauvaise foi va bénéficier du régime originel de la possession : il pourra toujours repousser l’action en revendication du propriétaire, mais il ne pourra jamais avoir lui-même la qualité de propriétaire.

Ce droit sera enrichi par l’expérience médiévale du droit des biens, dominée par l’idée de saisine que l’on trouve encore en droit des successions et qui ignore la distinction entre possession et propriété (elle est à la fois possession et propriété).
La saisine médiévale est une manifestation de puissance → elle se rapproche de la possession.

Chapitre 2 : “La propriété n’a rien de commun avec la possession”

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Ulpien, dans son commentaire sur l’édit du préteur (repris au Digeste), écrit “qu’il n’y a rien de commun entre la propriété et la possession” (nihil habet commune proprietas cum possessione).
Ce n’est pas une affirmation de principe qui relèverait du postulat, mais simplement une constatation de nature procédurale.

On ne peut pas accorder à la fois l’action en revendication et un remède possessoire, tout simplement parce que ce n’est pas la même qualité sur le fondement de laquelle on va plaider :

  • Si l’on plaide sur le fondement de l’action du propriétaire → action pétitoire ;
  • Si l’on plaide sur le fondement du possesseur → remède possessoire.

Propriété et possession s’excluent l’une l’autre, pour des motifs d’ordre procédural.
On ne demande pas la même chose au juge et on ne met pas en avant les mêmes moyens.
Le régime procédural de la possession est radicalement différent du régime procédural de la propriété.

La protection de la possession ne relève pas du pouvoir de juris dictio ; elle relève du pouvoir d’imperium du magistrat.
Il s’agit d’un pouvoir de commander / de contraindre, qui est utilisé de manière quasi discrétionnaire voire despotique par le magistrat à l’origine.

À l’origine, la possession, c’est un magistrat qui commande.
→ 2 systèmes de protection totalement différents

Cette distinction radicale entre les 2 modes de protection s’explique par la nature juridique radicalement différente de la possession rapportée à la propriété.
La propriété relève du jus (du droit), alors que la possession relève du factum (du pur fait).
→ C’est en tant que fait que la possession va être protégée.

En effet, la possession naît comme technique à la fin de la période archaïque, où la propriété quiritaire règne en maîtresse dans le champ du droit des biens.

Or la propriété quiritaire se caractérise par son élitisme / sa rareté, de sorte que la maîtrise d’une chose se trouve vite propulsée en dehors du terrain du jus.
Faute de pouvoir invoquer le droit des quirites, on sort du jus pour basculer dans le fait.
C’est de ce fait dont se saisit le préteur sous le nom de « possession » → c’est ce fait qu’il va protéger en utilisant l’imperium.

Concernant la possession, l’imperium s’exprime relativement à la possession dans ce que l’on appelle dans un interdictum, qui consiste dans un ordre adressé à un particulier qui trouble l’usage légitime d’une chose par une personne qui la détient sans contestation apparente.

Les 1ers exemples de l’utilisation de cette technique interdictale concernent l’ager publicus, au tout début de la République romaine.

L’ager publicus, ce sont les domaines qui ont été conquis par Rome (c’est l’ager qui appartient au peuple romain).
Ces terrains sont allotis et mis à la disposition de citoyens romains souvent infortunés ; mais le Sénat gère l’ager, de sorte que la classe sénatoriale a parfois un peu tendance à confondre les intérêts publics avec ses intérêts particuliers.
→ Spoliation manifeste de l’ager par la classe sénatoriale.

Cet accaparement de l’ager se fait souvent au détriment de ceux qui l’occupent légitimement, qui sont les agri occupatori.

L’ager est une espèce de propriété publique, puisqu’elle a été conquise par le peuple romain qui en est le véritable propriétaire.
Ceux qui occupent l’ager même avec un juste titre (les agri occupatori) ne peuvent pas se dire propriétaires quiritaires.

Pour protéger les agri occupatori qui ne disposent pas de l’action en revendication quand ils ont été spoliés ou chassés de leurs fonds, le préteur intervient par cette espèce de mesure de police qu’est l’interdit, qui découle de son pouvoir de commandement.
C’est une mesure de police qui permet de maintenir les agri occupatori dans leur situation à première vue légitime : elle permet à celui qui occupe l’ager d’avoir la possibilité de continuer de l’occuper.

Cette technique trouve très vite un emploi dans toute une série d’autres situations de fait, où quelqu’un détient légitimement une chose sans pouvoir exercer une action en revendication

Ce succès de la technique interdictale va conduire à préciser l’ordre formulé par le préteur en fonction de la situation de fait qu’il présente.
Par ailleurs, la simple mesure de police des origines est appelée à acquérir un certain degré de subtilité, puisque les situations pratiques concrètes qu’on soumet au préteur pour les résoudre au moyen de la technique interdictale sont de + en + complexes.
→ Subtilité croissante des mesures de police.

Section 1 : Les moyens sommaires d’une défense de la matérialité de la possession

§ 1. La perte du corpus possessionis

Le cas que l’on soumet au préteur à l’origine est d’une grande simplicité : les agri occupatori passent la charrue sur un fond de terre, exploitent la terre, prélèvent les fruits de la terre, y ont construit un local / une maison qu’ils occupent.
C’est cette maîtrise de la chose, qui s’exprime dans différents modes d’exploitation de la terre, que le préteur va défendre.
Il est très simple d’administrer la preuve de la matérialité de ce fait d’exploiter la terre, d’y habiter…
Cette maîtrise, c’est ce qu’on appelle le corpus possessionis.

À l’origine, il n’y a que le corpus qui compte.
L’apparence est défendue par un moyen très sommaire : l’interdit.

Cette primauté du corpus dans le droit romain de la possession va se maintenir durablement.
L’animus ne sera jamais qu’un correctif : la possession, c’est d’abord le corpus.

Les agri occupatori qui viennent devant le préteur peuvent exhiber un titre, mais il est insusceptible de leur ouvrir une action devant le préteur.
Le préteur peut soit détourner le regard (ce qui n’est pas un déni de droit, puisqu’on n’est pas dans le jus), soit chercher des éléments permettant d’agir.
Ces éléments sont les actes de maîtrise d’une terre par quelqu’un qui a un titre et à qui on ne peut rien reprocher.

Ce qui est pertinent, c’est la maîtrise (le corpus) et rien de plus !
Dans certains cas limites, le préteur est amené à examiner la légitimité / l’effectivité de cette maîtrise → à affiner son regard.

A – La manifestation d’une maîtrise sur la chose

Posséder, c’est d’abord exercer une maîtrise sur la chose.
La possession a pour étymologie le terme potis, qui renvoie à l’idée de maître / de personne qui exerce une puissance et le terme sedeo, qui renvoie à l’idée de stabilité.
Donc posséder, c’est d’abord un acte matériel de maîtrise d’une chose de manière stable.

C’est ce qu’affirme Paulus : la possession, c’est d’abord le corpus = puissance physique exercée sur la chose.

Lorsque l’on s’adresse au préteur pour obtenir un remède possessoire, il faut que cette maîtrise ait reçu des manifestations évidentes.
Il faut des indices de ce comportement.

Pour les immeubles, c’est le fait d’entrer sur un fonds de terre / l’arpenter / le labourer.
Mais es romains se contentent parfois d’actes symboliques qui expriment cette volonté de se comporter comme propriétaire ; par exemple, briser la branche d’un arbre.
Pour les meubles, c’est le fait de prendre la chose et de l’emporter chez soi.

Le fait que le corpus soit premier exclut à l’origine la possession de choses incorporelles.
Il y a une incompatibilité conceptuelle entre la possession conçue comme le corpus et l’impossibilité de maîtriser matériellement une chose incorporelle.
C’est ce que constate Paulus :

C’est ainsi que les romains admettent tardivement la quasi possession des choses incorporelles.
Ce n’est pas une possession : c’est un remède qui ressemble à la possession.

On voit quand même apparaître des modes symboliques d’acquisition du corpus.
On admet, pour les meubles, que remettre la clé du local dans lequel se trouvent les marchandises fait de nous le possesseur des marchandises, ou encore le fait d’imposer sa marque sur une chose.
On admet, pour les immeubles, que la remise du titre de propriété suffit pour faire de nous le possesseur.


Débat doctrinal :

Rapidement, on se demande si 2 personnes peuvent être possesseurs d’une même chose.
La question a été très longuement débattue à partir du moment où l’on admet que le corpus est premier dans la possession.
Par exemple, si quelqu’un prélève les fruits du verger et l’autre prélève les fourrages ?

Paulus nous rapporte les termes de ces débats doctrinaux :

L’enjeu du débat est tiraillé entre la matérialité du corpus, la possibilité d’admettre une prise de possession symbolique d’une chose et la qualité de la maîtrise exercée.

Dans la tradition juridique européenne, tous les états issus du droit romain ne vont pas retenir la même solution.
Le Code civil allemand admet la possibilité qu’une même chose soit possédée par 2 possesseurs.

À l’inverse, cela est jugé contre nature par Labéon, qui met en avant le corpus.
C’est plutôt la solution retenue par le Code civil français.

Pour certains auteurs, les termes du débat sont attirés sur la justesse / la légitimité de cette possession. Labéon affirme qu’il faut d’abord savoir s’il y a possession avant de se demander si elle est juste.
Mais la légitimité de cette maîtrise qu’est la possession permet de questionner le droit qu’aura telle ou telle personne qui se déclare possesseur d’obtenir du préteur ou non un interdit possessoire.

B – La prise en compte de la qualité de la maîtrise

Il est incontestable qu’il n’y a pas de possession sans corpus.
Il n’empêche que la pratique du préteur conduit, dans certains cas, à interroger la qualité de cette maîtrise → les circonstances dans lesquelles on est devenu possesseur, pour éventuellement refuser l’aide de l’interdit à quelqu’un qui, de tout évidence, invoque abusivement cette qualité de possesseur.
→ N’importe quelle maîtrise ne peut pas déboucher sur l’obtention de l’interdit.

On va voir, dans la formule des interdits, paraître une triade : nec vi, nec clam, nec precario.

  1. Nec vi : pas de violence → la possession doit être pacifique.
    Si la maîtrise prolonge des actes de violence, il n’est pas possible pour le préteur de prêter son concours à cet acte.
  1. Nec clam : pas de clandestinité → la possession ne doit pas être clandestine.
    Ici, on n’est pas loin de l’idée de dol : on ne doit pas chercher, par des procédés déloyaux voire frauduleux, à cacher la maîtrise de la chose.
  1. Nec precario : la possession invoquée ne doit pas être destinée à protéger la situation du précariste.

    La précarité renvoie à Rome à une technique d’occupation du sol qu’on appelle la précaire.
    La précaire permet à quelqu’un d’occuper un fond de terre, en sachant que le propriétaire se réserve le droit de récupérer le fonds quand il l’entendra : sur simple demande, l’occupant devra vider les lieux.
    Le précariste ne pourra jamais invoquer cette qualité de possesseur.

Il faut donc un examen des faits, parce que la possesseur relève du pur fait.
Une fois que le préteur a constaté l’existence de la possession + qu’elle était dénuée de tout vice, il peut décider de mettre en œuvre son pouvoir de commandement pour rétablir l’ordre public.

§ 2. La répression interdictale des actes de spoliation

Dans l’interdit, le préteur ne juge pas : il commande.
Il peut commander à quelqu’un qui a privé le propriétaire d’une chose de restituer la chose.

En fonction de la situation de faits qu’expose celui qui se prétend possesseur / en fonction des circonstances entourant le trouble possessoire / en fonction de la nature de la chose possédée, le commandement du préteur prendra une forme différente.

A – Les moyens de conservation de la possession

Interdicta retinendæ possessionis : ce sont les interdits à retenir à soi la possession.
C’est un commandement revêtu de l’imperium.

  1. En matière immobilière : l’interdit uti possidetis.
    Il s’agit de l’interdit le plus archaïque.
    Objectif : protéger l’occupant d’un fonds de terre, en prohibant tout acte qui serait de nature à troubler la possession du possesseur.

    Celui qui réclame l’interdit a le corpus et veut maintenir dans la durée cette maîtrise contre le parasitage des tiers.

     

    La littérature juridique romaine explique que l’on peut utiliser l’interdit uti possidetis pour empêcher son voisin de nous empêcher de bâtir une maison sur notre propre fonds.
    Autre exemple : personne qui passe son troupeau tous les jours sur son fonds de terre.

    Cet interdit a une finalité qui reste très sommaire.
    Il est utilisé en matière de contentieux immobilier pour déterminer qui va détenir la chose pendant le procès.

  1. En matière mobilière : l’interdit utrubi.
    Le problème des meubles, c’est qu’ils sont mobiles.
    Le préteur ne se préoccupe donc pas de celui qui a actuellement la chose entre les mains : il s’intéresse à qui a possédé le plus longtemps pendant l’année qui précède la requête en interdit.

     

    Cet interdit semble avoir été utilisé à l’origine pour l’esclave.

  1. L’interdit momentariæ possessionis.
    Les réformes de Justinien vont revenir sur ce critère de la durée de la maîtrise.
    Ce sera l’objet de l’interdit momentariæ possessionis (= possession instantanée).

     

    Ainsi, dès Justinien, ce qui compte est le possesseur actuel de la chose, et non plus celui qui en a été le plus longtemps possesseur.

B – Faire cesser une dépossession violente

La 2ème catégorie d’interdits est destinée à récupérer la chose quand on en a été privé par une violence directe (volontaire et assumée comme telle).
Ici, on ne cherche pas à prévenir un trouble possessoire par un véto : on ordonne à celui ayant arraché la chose par la violence de la rendre.

Comme il s’agit de mettre fin de manière très sommaire à des brutalités perpétrées par un particulier avide de mettre la main sur une chose, l’interdit doit être réclamé dans l’année qui suit le trouble possessoire violent.

Cet interdit connaît une évolution à la fin de la République romaine, au moment des troubles civils, pour tenir compte des violences exceptionnelles de cette époque.

Il y a 2 régimes d’interdits qui tiennent compte de l’intensité de la violence :

  1. Pour la violence ordinaire, on utilise l’interdit unde vi cottidiana.
    Idée : lorsque la possession a été interrompue par un acte de violence, le préteur vient corriger cette interruption violente.
    Le préteur corrige l’évènement ayant empêché la possession de durer et demande la restitution de la chose.

     

  1. Interdit unde vi armata :
    À la fin de la République romaine, on assiste à des manifestations violentes dans les rues avec des vols à main armée, des meurtres… surtout à l’époque de Sylla, un général très violent.

     

    Cet interdit fait tomber la triple réserve nec vi, nec clam, nec precario.
    Face à une grande violence, il n’est pas pertinent de questionner la manière dont celui qui a été dépossédé est entré en possession.
    Dans l’urgence, il faut rendre la chose au précédent possesseur, quand bien même il pourrait se voir reprocher de n’être pas entré régulièrement en possession.

    Cet interdit n’est pas un simple moyen de justice privé, mais surtout un moyen de rétablir l’ordre public entre les mains du magistrat.
    Cet interdit ne peut pas être contesté.

Le succès de l’action possessoire amène les justiciables à utiliser l’interdit possessoire pour des situations de plus en plus complexes (par la nature des faits de la cause, par la situation juridique à laquelle on essaie d’adapter cette arme…).
Cette arme est tellement efficace qu’on l’utilise pour des situations pour lesquelles l’interdit n’est pas adapté. Il faut alors réfléchir à l’adapter.

Section 2 : Les voies procédurales nouvelles répondant à une vision complexe de la possession

À mesure que les moyens, interdits et remèdes possessoires sont utilisés plus largement, ce moyen sommaire accuse certains défauts qui sont liés à son inadaptation à des situations complexes.
Ce sont désormais de véritables procès possessoires qui se nouent, à raison de questions juridiques d’une très grande complexité.

L’interdit possessoire n’est plus une espèce d’outil au service du maintien de l’ordre, c’est un moyen qui est en train de se judiciariser et qui est utilisé dans des stratégies judiciaires complexes.
Exemple : la possession intérimaire (qui possède pendant le procès).

→ On intègre la protection possessoire dans des questions juridiques très complexes.

Il faut alors repenser ce qu’est la possession et imaginer comment cet interdit peut n’être pas le fin mot de l’histoire.

§ 1. La technique interdictale dépouillée de son caractère sommaire

Les 1ères formes d’interdit illustrent parfaitement le caractère sommaire de ce moyen.
Je constate un fait → ce fait est une possession → j’interdis que l’on trouble la possession.

Comme ces constatations sont faciles, il n’est pas anormal que l’ordre délivré par le préteur soit péremptoire / absolu / inconditionnel.
Idée : il est facile de constater qu’il pousse la charrue → ça ne pose pas de problème de conscience de dire que celui qui l’empêche de passer sa charrue doit s’en aller…

Dans la société romaine de l’époque classique, on ne peut plus passer d’une constatation simple à un ordre péremptoire, parce que tout est devenu complexe (dans les rapports juridiques et économiques).
On veut utiliser l’interdit pour résoudre des situations liées à des contentieux de + de + complexes, mais ça n’est plus adapté.

Mais le préteur commande sans contestation possible.
En effet, en matière possessoire, il faut absolument conserver le caractère sommaire qui s’attache à l’interdit pour permettre à l’interdit d’être réactif = de répondre de toute urgence à une situation qui appelle à une résolution.
C’est très efficace, mais ça commence à être inadapté.

On conserve à l’interdit son caractère péremptoire (= le caractère péremptoire de l’ordre du préteur), mais on trouve les moyens de le contourner en attirant la question possessoire sur le terrain juridictionnel.
On déplace la question du possessoire vers le champ du juridictionnel.
Il faut trouver les moyens d’avoir un procès possessoire pour contourner un ordre en principe incontestable, pour corriger cet ordre de cette imperfection liée à son caractère sommaire.
À partir de là, on autorise les parties à imaginer tout moyen de contestation.

A – La naissance d’un procès destiné à contester l’interdit

L’ordre du préteur exprimé dans l’interdit est fondé sur l’imperium.
Ne pas exécuter ce que commande le préteur nous expose à la coercition
(amende, contrainte physique).

Si la mission du préteur est de constater un fait flagrant qui n’est pas susceptible de contestation, la plupart du temps il n’est pas nécessaire de chercher une porte de sortie au destinataire de l’ordre.

Il faut cependant faire un choix : retarder la délivrance de l’interdit et le priver de cette réactivité, ou bien conserver cette réactivité au risque de commander des choses qui ne sont pas adaptées faute d’avoir pu instruire en amont de la délivrance de l’ordre ; mais, dans ce cas, il faut ménager une porte de sortie à celui qui a intérêt à réintroduire de la complexité.

Le moyen trouvé, c’est de faire figurer dans la formulation même de l’interdit les virtualités d’une contestation.
La mention
nec vi, nec clam, nec precario est destinée à cela : l’ordre inconditionnel du préteur est en réalité conditionné.
On réserve les hypothèses complexes à des interrogations ultérieures.

On ne peut pas contester l’ordre lui-même, mais l’on contestera n’être pas concerné par l’ordre à raison d’une violence, d’une clandestinité ou d’une précarité.

Objectif : trouver une voie de dérivation pour permettre d’activer les virtualités de la formule nec vi, nec clam, nec precario.
Il s’agit de mettre en cause judiciairement l’attitude de celui qui n’a pas respecté l’interdit, parce qu’il est persuadé qu’il n’est pas concerné par cet interdit (= qu’il ne connaît aucune irrégularité).

Pour passer de l’extrajudiciaire (champ de l’interdit) au judiciaire (qui donne la voie au destinataire de l’interdit), il faut trouver les moyens d’engager l’instance (comme toujours à Rome !).
Il faut que celui qui a demandé l’interdit et qui n’a pas vu le destinataire de l’interdit respecter l’ordre puisse diriger une action contre la personne qu’il va accuser d’insubordination.

On ne connaît pas trop ces moyens – les sources manquent.
À l’époque de Justinien, les actions possessoires sont devenues des actions sommaires, donc tout ce que l’on a imaginé pour contourner l’action classique n’existe plus.
La codification de Justinien ne comporte pas beaucoup d’éléments permettant de comprendre comment on peut engager un procès possessoire à l’époque classique.

On peut cependant spéculer : il est vraisemblable que l’on ait permis, par une action in factum, d’assigner le destinataire de l’interdit qui n’aurait pas respecté l’ordre.
Comme moyen de défense, il aurait eu à sa disposition la possibilité de faire jouer la clause
nec vi, nec clam, nec precario.
L’office du judex pendant la deuxième phase du procès consiste à vérifier si le destinataire de l’ordre avait raison de ne pas obtempérer en tant qu’il n’était pas concerné.

Un autre moyen possible serait de faire intervenir le préteur pour qu’il contraigne les 2 particuliers à conclure des contrats qui vont servir de base à l’engagement d’un procès → on déplace l’enjeu du procès du terrain réel au terrain personnel.
Pour régler la question personnelle, le juré doit examiner si le défendeur avait raison ou non de ne pas obtempérer.
Ici, le magistrat contraint les parties à trouver une base juridique sur laquelle engager un procès qui va dire si oui ou non le destinataire de l’interdit avait raison de ne pas obtempérer.

La possession ne concerne plus seulement que le possesseur : c’est une contradiction…

B – Un élargissement au détenteur du régime de la protection possessoire

La mention nec precario était destinée à priver le précariste de la protection possessoire, quand bien même il exploite la terre / il exerce des actes de maîtrise de la terre → il exerce un corpus sur la chose.

Ce corpus va être qualifié de possessio naturalis = possession naturelle.
C’est une réalité qui s’apparente extérieurement à la possession, mais elle est naturelle, elle n’est pas juridique → elle n’entraîne pas d’effets juridiques.

À la situation du précariste, les romains ont tendance à rapprocher celle des locataires.
De manière générale, dès lors que l’on occupe un terrain à raison d’un bail / d’un pacte précaire, on ne peut pas réclamer la protection possessoire.
On refuse la protection possessoire au locataire comme on l’a refusée au précariste, même si dans l’absolu il exerce le corpus sur la chose.

Le locataire qui est troublé dans la jouissance tranquille de la chose par un tiers doit demander au bailleur de le protéger en recourant à l’action possessoire.
Il faut aller voir le bailleur pour avoir l’interdit possessoire, puisqu’en tant que locataire on n’est pas possesseur.
→ C’est au seul bailleur que l’on reconnaît la qualité de possesseur.

À l’origine, si le bailleur trouble le locataire dans sa possession naturelle, le locataire ne peut pas lui opposer un interdit possessoire. Il plaidera sur le fondement du contrat de bail.
Il sera bien indemnisé si le contrat n’a pas été respecté par le bailleur, mais il ne pourra pas récupérer la chose.

Si la pratique romaine préfère cette solution à l’origine, c’est pour pour éviter que le locataire ne se constitue une situation inexpugnable au possessoire, avec le danger de pouvoir invoquer l’usucapion ou la prescription.

Ainsi, dans le régime classique, c’est le bailleur qui doit utiliser les remèdes possessoires contre le tiers qui vient troubler la possession du locataire.
Si le locataire est troublé dans la jouissance paisible de la chose, il plaide sur le fondement d’une action personnelle : sur le fondement du contrat de location.

À la fin de l’époque classique, on ressent le besoin de s’émanciper de cette analyse rigoureuse de la situation du locataire et des rapports entre le locataire et son bailleur.
En effet, à la fin du 2e siècle, il y a des troubles très graves dans l’Empire liés aux invasions barbares. → il faut aggraver la répression pénale contre ces différents troubles.

On aggrave la répression pénale, alors que le droit pénal romain classique est assez libéral (on prononce peu la peine de mort, la torture est limitée hors esclaves…) pour l’Antiquité.
L’interdit possessoire trouve sa place dans l’arsenal destiné à limiter les troubles à l’ordre public.

→ Adaptation de l’interdit afin qu’il réponde aux nouveaux besoins de protection de l’ordre public.

Une constitution de Constantin de 326 crée un nouveau remède possessoire : l’interdit momentariæ possessionis.
Cet interdit semble avoir de nombreuses vertus, notamment celle d’être accordé au simple détenteur (= à celui qui n’est pas possesseur).

À partir de 326, le locataire peut utiliser cet interdit.
Idée : accorder à un non possesseur ce remède possessoire pour éviter les pertes de temps, notamment celles qui consistent à aller chercher le bailleur possesseur pour obtenir un remède possessoire contre les tiers.

La bonne répression est rapide, et il faut réagir très vite en cas de spoliation.
Par exemple, si je suis un simple locataire et que mon bailleur est parfois à 50 kilomètres d’ici : jusque là, je n’avais pas d’interdit à sa disposition – même pas l’interdit unde vi (= interdit destiné à réprimer les actes violents) ; je devais faire appel au bailleur possesseur.

La réforme de 326 n’accorde pas encore l’interdit au locataire contre le bailleur.
Mais si le bailleur se montre violent / s’il veut expulser le locataire, il a toujours à sa disposition l’action du contrat.
+ Si les violences sont très graves, il dispose d’actions pénales voire criminelles contre les actes violents de son bailleur.

Pour cette raison, en 389, l’interdit possessoire est accordé au locataire lui-même contre son bailleur.
Comme la mesure est insuffisante, on accorde à celui qui est affligé par des troubles possessoires violents un bénéfice extraordinaire : il pourra obtenir la propriété de la chose dont il a été privé du propriétaire violent.
→ On met fin à la violence du bailleur en lui retirant la propriété !

Ainsi, par cercles concentriques, on étend l’action possessoire à des cas qui n’étaient pas considérés comme des cas de possessions à l’époque classique.

Techniquement, on accorde cette technique possessoire à des gens qui ne sont pas possesseurs.
Dès lors, on va repenser ce qu’est la possession pour qu’elle colle à des situations beaucoup plus complexes que celle des agri occupatori.

§ 2. La technique de la possession conquise par l’abstraction

Possession et abstraction devraient s’exclure l’une l’autre : ce qui caractérise la possession, c’est le corpus → quelque chose de très concret.

Les romains vont néanmoins accepter de procéder à ce que Jean de Malafosse appelait une « dématérialisation de la possession ».
La fiction juridique, qui caractérise le mode romain d’adapter le droit, va s’appliquer aussi en matière possessoire.

À l’origine, la possession est un fait, mais ce fait peut être présumé ; il peut être même affirmé en dépit de la réalité.

→ Nouvelle dimension de la possession, beaucoup mieux adaptée à la subtilité conceptuelle de la doctrine classique.

A – La dématérialisation inéluctable de la possession

C’est l’analyse des cas concrets qui amène à préciser et diversifier les concepts pour mieux rendre compte de la réalité.
C’est à l’occasion de ce travail d’analyse des cas concrets que s’impose la notion d’animus.
À l’origine, elle n’est pas destinée à se substituer au corpus, même si c’est ce à quoi on va parfois aboutir dans les faits.

1) La possibilité d’une possession solo animo (”par le seul animus”)

Les romains ne diront jamais, comme on le fait aujourd’hui, que “la possession, c’est le corpus + l’animus”.

La possession, c’est d’abord le corpus. On ne voit intervenir l’animus que dans des cas limites, pour pouvoir forcer la situation pour appliquer un remède possessoire.
Ce sont des situations particulières qui amènent à parler d’animus.

Par exemple, le cas de quelqu’un qui s’endort sous un arbre en serrant un objet dans ses bras exerce le corpus. Pour autant, peut-on dire qu’il est possesseur de la chose ?

L’animus possidendi, la volonté de posséder, va servir de correctif.
Certes, j’exerçais une maîtrise matérielle de la chose, mais cette maîtrise n’était pas consciente ni volontaire → je n’avais pas l’
animus possidendi = la volonté de posséder.

La même chose peut être dite des enfants et des fous, qui n’ont pas une volonté juridiquement efficace.

La prise en compte de l’animus (= d’un élément psychologique) peut permettre d’invoquer l’erreur.
Quelqu’un qui veut posséder le fonds X alors qu’il possède le fonds Y commet une erreur.
→ Dans l’animus, on trouve une correction à l’erreur.

On peut aussi avoir recours à l’animus lorsque l’on a perdu le corpus involontairement.
Cela permet de régler certaines situations qui autrement ne pourraient être réglées au moyen de l’interdit possessoire.

Le cas le plus connu est celui de l’estive : je mène mon troupeau sur des prairies, puis, à la fin de l’été, je ramène mon troupeau dans la vallée, avec l’intention d’y retourner l’année suivante, parce que c’est ce que j’ai toujours fait.
En toute rigueur, le fait de quitter les prairies me fait perdre le corpus ; si je trouve quelqu’un sur le fonds l’année suivante, je ne peux pas invoquer la possession.

On peut imaginer le même cas pour quelqu’un qui laisse tomber un objet ou qui voit un animal emporté par le fleuve : je perds le corpus, mais je cours le long de la berge pour essayer le rattraper.
S’il est repêché par un tiers, il exerce le corpus sur cette chose.

Ici, les romains considèrent que je n’ai pas voulu renoncer à la possession, quant bien même j’ai suspendu l’exercice du corpus sur la chose.
→ L’
animus supplée le corpus.

Donc je possède solo animo = par la seule volonté.
On est devant une espèce de fiction, puisque la possession se caractérise par le
corpus, et qu’il n’y a pas de corpus.

Cette disjonction entre corpus et animus va être utilisée dans toute une série d’autres cas où l’utilisation du remède possessoire peut s’avérer très utile.
C’est notamment le cas dans les rapports entre le locataire et son bailleur.

En effet, refuse les remèdes possessoires au locataire pour qu’il ne les utilise pas contre les bailleurs et qu’il se constitue une situation inexpugnable au possessoire, mais cette situation a quelque chose d’aberrant, puisque celui qui maîtrise la chose, c’est le locataire.
La disjonction entre animus et corpus permet de rendre compte de cette situation : le bailleur possède solo animo et le locataire possède pro alio (”pour autrui”).

Autrement dit, le locataire exerce le corpus pour celui qui possède par le seul animus.
→ Transformation du concept pour y intégrer une notion subordonnée, pour pouvoir rendre compte de situations beaucoup + complexes.

Cela permet aussi de résoudre des cas très utiles économiquement.
En particulier : le cas de l’esclave qui exerce le corpus sur une chose permettra de rendre son maître possesseur de la chose.
En effet, l’esclave ne peut jamais posséder pour lui-même, mais la volonté du maître de posséder par son esclave grâce au corpus d’un autre placé sous sa puissance lui permet de devenir possesseur.
→ Paulus : “on possède corporellement par autrui”.


2) L’admission de la quasi-possession des choses incorporelles

Dans les conceptions du début de l’époque classique, on ne peut posséder que des choses corporelles, puisqu’il est nécessaire d’exercer le corpus !
Cela se maintient dans la doctrine classique malgré l’apparition de l’animus.
De droit commun, la possibilité ou non d’exercer le corpus permet d’introduire cette summa divisio entre choses corporelles et choses incorporelles.

Par principe, la possession ne s’exerce que sur les choses corporelles.
Le souci, c’est que la protection possessoire est tellement efficace qu’on se demande si on ne peut pas utiliser ce remède pour des choses incorporelles.

Cette perspective rencontre l’opposition d’une partie de la doctrine : Paulus rappelle que l’on ne peut posséder que des choses corporelles.

Mais, à la fin de l’époque classique, on parle de quasi-possession des choses incorporelles, sur le modèle de la possession.

💡
Il ne faut pas penser que ce concept s’est développé de manière abstraite : les juristes romains font preuve d’un très grand pragmatisme.
Ce sont des cas particuliers qui amènent la pratique à introduire un régime juridique en faveur des choses incorporelles, sur le modèle de la possession.

Un exemple de cas pratique est le cas d’une personne qui invoque une servitude sans titre.
Il s’agit d’une servitude de passage, suivant un usage immémorial connu et toléré.

Dans le cas d’une servitude de passage, le magistrat constate factuellement qu’un particulier a toujours utilisé un passage sur le fonds d’autrui.
Il accorde un interdit possessoire pour permettre à celui qui passe de passer.
L’interdit est délivré quand on peut prouver que, pendant 30 jours au moins dans l’année, on est passé par là
nec vi, nec clam, nec precario.

→ Le préteur fait en sorte que le propriétaire ne trouble pas l’exercice de cette possibilité de passer, qui se voit reconnue quand bien même il n’existe pas de titre prouvé de servitude.

Ici, le magistrat agit comme si celui qui prétend avoir une servitude était en possession paisible de cette servitude de passage.
Le problème, c’est qu’on ne peut pas posséder de servitude.
Il y a donc un remède possessoire qui nous garantit la possession d’une chose incorporelle : le droit de passer.
→ L’intervention très volontariste du préteur bouleverse les catégories juridiques.

La quasi-possession va permettre de résoudre d’autres cas concrets.
Il y a une querelle entre les proculiens, représentés par Labéon, et les sabiniens, représentés par Javolenus, sur le cas concret de la vente d’une servitude de passage.
En effet, la vente romaine n’entraîne pas d’effets réels : à Rome, l’acheteur ne devient pas propriétaire par l’effet de la vente.
La vente, qui est un contrat, entraîne l’obligation de transférer la possession de la chose du vendeur à l’acquéreur au moyen d’une traditio.
Mais problème : la servitude est un jus → on ne peut pas pratiquer la traditio.
Comment donner un effet réel à cette vente d’une chose incorporelle ?

Labéon suggère un expédient un peu bancal : il suggère que les parties à la vente adjoignent une stipulation spéciale par laquelle le vendeur de la servitude promet de laisser passer l’acquéreur de cette servitude.
Dans les faits, contractuellement, le vendeur de la servitude promet de ne pas faire obstacle à l’exercice du droit de passage.

Le problème de cette solution est mis en lumière par Javolenus : l’action du contrat est une action personnelle, in personam, et non une action réelle ; elle est donc beaucoup moins efficace.

Javolenus critique la position de Labéon et propose le moyen d’obtenir l’action réelle à l’acquéreur de la servitude en recourant à la fiction juridique.
Il propose une fiction juridique : l’usage de la servitude par son acquéreur doit être considéré comme une traditio (= une mise en possession de cette chose incorporelle).

Autrement dit, l’utilisation du droit transmis doit être fictivement considérée comme une mise en possession de ce droit.
C’est une fiction, parce que ça n’est pas possible d’entrer en possession d’une chose incorporelle.

Cette proposition est un peu provocante, parce qu’elle nie l’essence de la possession, qui est liée au corpus. Gaïus refuse donc cette proposition de Javolenus.
Mais Paulus l’admet sans difficulté et, à la fin de l’époque classique, la solution finit par être admise.

B – L’importance croissante de la causa possessionis

De plus en plus, la possession devient un concept abstrait.
La possession est censée désigner un fait ; or, la possession saisie par la fiction juridique est la négation d’un fait.

Au départ, ce qui compte dans la possession / ce qui la rend en pratique efficace, c’est l’existence d’une absence de titre.
Désormais, la question du titre juridique s’invite pour imposer l’octroi d’un interdit possessoire.

Cette question du juste titre, de la causa possessionis, permet de résoudre 2 situations très concrètes au moyen de 2 techniques possessoires :

1) L’interversion des titres

Si, ce qui compte de plus en plus souvent, c’est la question de savoir à quel titre on procède, on peut se poser la question : ne peut-on pas changer le titre en vertu duquel on possède ?
Surtout si on possède pour autrui…

Exemple : le mandataire :

Si je confie à quelqu’un d’aller prendre possession d’un fonds de terre pour moi, mon mandataire possède la chose pour moi.
Imaginons que le mandataire ne soit pas complètement honnête : au lieu de prendre possession de la chose pour moi (conformément au contrat de mandat), il décide d’inaugurer une possession pour lui-même.

En pratique, la résolution de ce cas est compliquée :

  • Si on a une conception matérialiste de la possession, ce qui compte, c’est l’apparence / la manifestation d’une prise en main de la chose / l’exercice d’une puissance de fait sur la chose.
    L’animus est secondaire et compte moins que cette maîtrise concrète exercée par une personne sur une chose.
  • Si on a une conception plus spirituelle de la possession, on affirme que l’existence du titre (le mandat) en vertu duquel on prend possession prévaut sur tout le reste.

Le basculement de conception a lieu en doctrine au 3e siècle après J-C : à partir de là, on considère que le titre fait obstacle à la possession pour soi-même.

Autre hypothèse voisine : celle du locataire

Ici, un locataire (= simple détenteur) décide de posséder non plus pour un autre, mais pour lui-même. Pour éviter de voir se constituer des positions inexpugnables au possessoire contre le bailleur, on affirme que “nul ne peut changer pour lui-même la cause de sa possession”.

Pour que le simple détenteur commence à posséder pour lui-même, on peut envisager 2 solutions pratiques :

La 1ère solution est très matérialiste :
Le possesseur / le bailleur manifeste, de manière extérieure et non équivoque, qu’il entend cesser de posséder.
Puisque l’animus possidendi du détenteur s’éteint, l’animus possidendi du possesseur peut s’exprimer.

L’interversion de titre est une alternative possible :

Le locataire cherche à devenir possesseur : au titre originel qui constitue le juste titre, on substitue un nouveau contrat / un nouveau titre : la causa possessionis.

Le cas le plus habituel de l’interversion des titres, c’est le cas du locataire qui devient propriétaire du fonds de terre.
Désormais, il faut qu’il possède pour lui-même → que le vendeur possesseur transmette la possession à l’acquéreur détenteur.
Pour que le nouveau propriétaire puisse devenir possesseur, il faudrait alors que l’ancien locataire devenu propriétaire procède à une traditio en faveur de l’ancien propriétaire (= pour cesser de posséder pour autrui) et que le propriétaire procède à une contre traditio pour mettre le nouveau propriétaire en possession (= pour qu’il commence à posséder pour lui-même).

Pour éviter cette double tradition, on estime que le titre / l’acte de vente va permettre l’interversion des titres.
Celui qui possédait pour autrui en vertu du contrat de bail est désormais censé posséder pour lui-même du fait de l’intervention du contrat de vente.

On est en pleine dématérialisation : il faut un acte de prise en main de la chose, mais on élude complètement cette considération.
→ On présume, par une réalité qui est fausse, qu’un titre vaut double traditio.

Mais on peut aller encore + loin :


2) Le constitut possessoire

C’est l’hypothèse symétrique à celle qu’on vient d’étudier.

Quelqu’un propriétaire de la chose possède pour lui-même, mais il veut vendre la chose en se réservant l’usufruit ou la possibilité de devenir locataire.
Il faudrait pratiquer 2 traditio :
1- que le vendeur mette en possession l’acquéreur ; et
2- que l’acquéreur mette en détention le vendeur afin qu’il inaugure une possession pour autrui.

La réserve d’usufruit ou la constitution d’un bail vont être considérées comme un transfert de possession.
L’intervention d’un de ces actes permet de faire l’économie des 2 mises en possession réciproques.

Le constitut possessoire (→ je suis propriétaire et je veux inaugurer une nouvelle possession pour autrui) va avoir un rôle extrêmement important dans l’histoire du droit de la propriété en France et dans le fait qu’en France, aujourd’hui, la vente entraîne un effet réel.

Le constitut possessoire aura un rôle très important, car le notaire au Moyen Âge a l’habitude d’intégrer une clause de constitut révoquée quelques jours après, qui permet un transfert de la propriété immédiate en faveur de l’acquéreur sans avoir à faire de traditio.
L’acte de vente contenant la clause de constitut possessoire opère fictivement la traditio permettant à l’acquéreur de devenir propriétaire.
Cette clause de constitut est tellement habituelle dans les actes notariés qu’elle était considérée comme tacitement contenue dans l’acte quand bien même elle ne serait pas écrite.

Chapitre 1 : “En vertu du droit des quirites, j’affirme que ceci est mien”

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des biens (L2).

“Ex jure quiritium, meum esse aio”.

💡
Les quirites sont les premiers romains.

La propriété est un droit réel : c’est même le droit réel par excellence, puisque c’est de ce droit réel que découlent tous les autres droits réels.
Cette conception très moderne / idéaliste est totalement étrangère à la mentalité romaine !

La propriété à Rome n’est pas désignée par la propriété. On parlera de dominium.
Le dominium, c’est la prérogative du dominus = le maître.
Le dominium, c’est la prérogative du maître de la chose : elle est totale, absolue, despotique.

La propriété renvoie plus à une dimension patrimoniale, à la lisière de l’économie.
Le terme de propriété n’est pas très habituel dans l’ancien droit romain.
Ce qui caractérise le dominium, c’est la possibilité pour le maître (= le dominus) d’affirmer légitimement que « ceci » est à lui.

Au coeur de la revendication du dominium, il y aura toujours cette affirmation centrale : Ex jure quiritium, meum esse aio = “En vertu du droit des quirites, j’affirme que ceci est mien”.

Ce dominium reste une notion juridique de l’ancien droit.
Il ne peut s’exercer que dans certaines situations.
Le fait que l’on puisse affirmer que, dans des cas bien particuliers, Ex jure quiritium, meum esse aio, explique pourquoi il sera nécessaire de protéger des situations de fait par des moyens possessoires, dans des situations de fait à propos desquelles on ne peut pas le dire.

C’est très violent / brutal / efficace… mais ce régime est limité : on ne l’invoque que très rarement.
Il correspond donc bien à la civilité archaïque : on fait reculer le champ de la violence au sein de la société en isolant un certain nombre de situations, les plus dramatiques, dans lesquelles “on cogne”.

En dehors de ça, on est dans le fait, d’où la nécessité de s’intéresser aux faits.

La propriété quiritaire est toujours associée à la propriété civile légitime.
Le
dominium est la puissance absolue exercée par le maître sur la chose.
C’est une institution du droit romain ancien / des cités archaïques.

Cette propriété est extrêmement efficace, mais elle pâtit d’une insuffisance manifeste : le champ d’application du dominium ex jure quiritium est restreint :

  1. D’un point de vue objectif : le dominium ex jure quiritium ne concerne que les quirites, c’est-à-dire les seuls citoyens romains, à l’exclusion de tous les autres (= les prérégrins).
  1. D’un point de vue subjectif : les choses sur lesquelles peut s’exercer le dominium sont les res mancipi, c’est-à-dire les choses les plus précieuses / les choses qui ont un prix le plus élevé.

    Il est intéressant ici de noter qu’il s’agit des choses les plus précieuses suivant les conceptions archaïques = les choses les plus précieuses dans une cité qui a une économie essentiellement agraire.
    Il s’agit tout d’abord de la terre elle-même (celle de Rome et d’Italie → la terre italique) ; puis les choses qui permettent l’exploitation de la terre. Ainsi, l’esclave est la res mancipi par excellence. On peut aussi citer tous les animaux susceptibles d’être utilisés pour l’exploitation agricole : bœufs, chevaux, ânes… mais pas les éléphants d’Hannibal !

Pour invoquer le régime du dominium, il faut que les conditions subjectives et objectives soient réunies.
Le non romain qui n’est pas un esclave ne peut pas invoquer le dominium, même si la chose est une chose civile.

Cet aspect très restrictif du dominium quiritaire explique largement pourquoi les interdits possessoires auront autant de succès.
Outre les interdits possessoires, l’orfèvrerie juridique romaine va inventer des techniques juridiques sur le modèle du régime du dominium ex jure quiritium pour protéger plus efficacement et durablement la détention légitime de tel ou tel bien, quand bien même le régime quiritaire ne serait pas applicable.

Il y a donc une opposition entre le modèle quiritaire absolu et des modèles relatifs.

Section 1 : L’affirmation de l’absolutisme du dominium

Le dominium est un pouvoir absolu qui renvoie à des conceptions archaïques – et donc relativement sommaires – du pouvoir exercé sur une chose.

Le dominium a pour synonyme le mancipium.
Par dérivation du sens du mot, on va aussi appeler mancipium l’esclave (= la chose qui, par excellence, est l’objet de ce pouvoir qu’est le dominium).

L’étymologie de mancipium permet de comprendre ce qu’est le dominium.
En effet, mancipium vient de manus (= la main) et de capere (= prendre).
Un esclave est un prisonnier de guerre, qui est tombé sous notre maîtrise / notre pouvoir.
Or, le pouvoir a symboliquement son siège dans la main qui saisit.

En droit archaïque, la frontière est floue entre droit réel et droit personnel.
Le pouvoir qui se trouve dans la main s’exerce sur des choses + sur des personnes.
Par exemple, l’esclave (personne traitée juridiquement comme une chose), mais aussi l’enfant ou l’épouse.

De même que le dominium sur les choses va jusqu’à l’abusus (→ la possibilité de vendre et même de détruire sa propre chose), la main exercée sur sa famille implique que l’on peut vendre ses enfants, et que l’on a un droit de vie ou de mort sur les membres de sa famille.

Ce pouvoir qu’est le dominium se transmet et, quand il est perdu illégitimement, il peut être récupéré : en revendiquant le dominium ex jure quiritium, on s’affirme propriétaire de la chose.

§ 1. Les modes de transfert du dominium ex jure quiritium

Le dominium quiritaire est une institution du droit civil (jus civile).
C’est ce droit civil (= droit des citoyens romains, pour les citoyens romains) qui fixe les conditions dans lesquelles on peut transférer cette puissance qu’est le dominium.

Pour l’époque archaïque, on connaît 2 techniques : l’1 est extra-judiciaire, l’autre est judiciaire.
La formule extra-judiciaire suppose le respect de solennités :

A – Le transfert solennel : la mancipatio

Le droit civil prévoit une mise en scène autour de l’imposition de la main par celui qui veut acquérir la propriété sur une chose (sur une res mancipi) en présence de son propriétaire quiritaire actuel.
C’est la solennité même qui assure le transfert du dominant au cédant.

La mancipation est une sorte de vente symbolique.
Gaïus nous explique comment cela se passe :

“Doivent être présents au moins cinq témoins romains pubères et aussi une autre personne de la même condition qui tient une balance d’airain.
L’acquéreur dit : par le droit des quirites, j’affirme que cet homme m’appartient. Que celui-ci soit acheté par moi avec cette monnaie et cette balance de bronze.
Ensuite, il frappe la balance avec la pièce de monnaie et donne cet argent au vendeur comme symbole du prix.”

Cette procédure doit être scrupuleusement suivie.
Il s’agit d’une cérémonie très codifiée, car l’efficacité de l’action dépend du respect des solennités.

Il y a 5 témoins, qui sont des citoyens romains pubères ; un sixième (lui aussi romain et pubère) porte la balance que l’on fait tinter au moyen d’un lingot de bronze pour symboliser le paiement du prix avant de le remettre à celui qui se défait de son dominium.

Ce qui est essentiel, c’est la présence de la chose et le fait que le nouveau propriétaire s’en saisisse en présence de l’ancien maître de la chose.

Il est parfois difficile de transporter la chose (par exemple, l’immobilier), les romains peuvent donc avoir recours au symbolisme.
Par exemple, les formalités s’exercent autour d’une tuile de la maison, ou bien d’une motte de terre arrachée au champ.

B – Le transfert judiciaire : l’in jure cessio

Le procès romain se déroule en 2 phases :

  1. La phase in jure se déroule devant le magistrat : le préteur.
    Elle correspond à la phase de mise en état du procès + de la résolution de toutes les questions qui intéressent la procédure.
  1. La phase in judicio a lieu devant l’arbitre : le judex.
    Ici, on ouvre le procès au fond ; on l’instruit ; et on tranche le procès au fond.

Les romains détournent l’action en revendication, puisque celui qui veut acquérir le dominium ex jure quiritium va assigner en revendication le propriétaire actuel de la chose.
Ici, c’est un procès fictif : il n’y a pas vraiment de contentieux.

Le demandeur (= l’acquéreur) affirme devant le préteur “ex jure quiritium, meum esse aio.
→ Il se déclare propriétaire en présence du magistrat + du propriétaire actuel, qui a été assigné.

Après cette déclaration solennelle, le magistrat se tourne vers le défendeur cédant, lequel va soit acquiescer à l’affirmation du demandeur, soit se taire (les 2 sont bons).
Il reste au magistrat de donner acte des affirmations qui ont été faites en sa présence : le demandeur est judiciairement reconnu propriétaire quiritaire de la chose.

Cela est tout à fait logique, car la déclaration du demandeur a été faite dans le cadre d’une action civile qui concerne le dominium.

💡
Cette solution peut encore fonctionner aujourd’hui : elle permet d’éviter les frais de notaire…

§ 2. L’efficacité de la revendication du dominium ex jure quiritium

💡 Revendiquer, c’est agir au pétitoire.
Le pétitoire vient de l’expression rem petere (= réclamer la chose), alors que revendiquer a un sens plus guerrier : cela vient de vindicta, qui est la petite baguette que les parties à l’instance pétitoire imposent sur la chose qui est l’objet du litige.
La hasta est la lance que l’on plante en signe de défi.

En droit romain archaïque, on revendique en utilisant la procédure du sacrementum in rem.

Cette procédure est d’une très grande lourdeur et complexité.
Les romains n’abolissent pas le
sacramentum, mais ils vont utiliser à côté d’autres procédures plus simples.

A – La revendication per sacramentum

Cette procédure se caractérise encore une fois par l’affirmation en présence du magistrat par les litigants ex jure Quiritium.

Dans les actions réelles on revendiquait de la façon suivante les choses mobilières et qui se meuvent, du moins si elles pouvaient être apportées ou amenées en justice. Le revendiquant tenait une baguette ; puis il appréhendait l’objet du litige — mettons un homme — et disait : « J’affirme que cet esclave est mien en vertu du droit des Quirites, selon sa causa. Comme je l’ai dit, j’ai imposé la vindicta ».
Source : Gaius : le sacramentum in rem (Trad. française) (univ-grenoble-alpes.fr).

C’est une procédure très complexe, puisque les 2 parties s’affirment propriétaire quiritaire en faisant les mêmes gestes et en prononçant les mêmes paroles.
→ Il n’y a pas véritablement de demandeur ni de défendeur.

Celui qui parle en 1er lance un défi – qui n’est qu’un défi judiciaire, mais qui, à l’origine, était peut-être + que ça -, puis celui-ci aboutit sur une espèce de serment / d’affirmation solennelle en présence des dieux.
Cela a pour conséquence l’obligation de consigner une somme d’argent.

L’instance per sacramentum, à la fin de la 2nde phase, amène le judex à dire lequel des deux a fait un serment qui correspond à la vérité.
⚠️ Celui qui a fait le vrai serment n’est pas nécessairement celui qui est le possesseur actuel de la chose, ce qui peut causer des difficultés pour récupérer la chose.

Le sacramentum in rem est une technique très archaïque et partiellement inefficace.
Les romains la contournent donc en cherchant d’autres procédures moins lourdes.

B – Les alternatives à la revendication per sacramentum

Ce sont les parties elles-mêmes qui vont chercher à la contourner.
De façon très astucieuse, ils vont la faire sortir du droit réel sur le terrain du droit personnel.

La lex aebutia, une loi de réforme judiciaire datée entre -149 et -125, prévoit que la procédure formulaire pourra être appliquée aussi au procès pétitoire, ce qui n’est pas évident dans la mentalité des romains.

1) L’utilisation de la procédure per sponsionem

💡
Il ne faut pas perdre à l’esprit que l’on est ici dans la pure opportunité : on veut simplement éviter un long procès difficile per sacramentum.

La spontio est un contrat verbal solennel, se nouant par des déclarations solennelles en présence de témoins.

La technique de la spontio consiste, pour les parties qui ont un différend à propos d’une res mancipi, de procéder à une double spontio.

  1. Dans une 1ère spontio, le détenteur actuel de la chose (= le possesseur) promet de restituer la chose à celui qui la réclame s’il est reconnu propriétaire de cette chose à l’occasion d’un procès.
  1. Dans une 2nde spontio, le détenteur promet à celui qui réclame la chose de lui remettre une somme d’argent tout à fait dérisoire s’il est propriétaire de la chose.

Sur le fondement de ce 2nd contrat / de cette 2nde sponsio, celui qui réclame la chose assigne le débiteur en paiement de la somme d’argent dérisoire.
Pour qu’il soit condamné à payer cette somme d’argent dérisoire, il faut résoudre la question de savoir si le débiteur de cette somme la doit effectivement.

Ensuite, le créancier de la somme d’argent possède désormais un jugement qui l’a reconnu créancier parce qu’il l’a reconnu propriétaire.
Il peut donc désormais utiliser la 1ère spontio et exiger de celui qui a promis de donner la chose si l’autre était reconnu propriétaire de restituer la chose à son légitime propriétaire.

Ici, on plaide sur le fondement d’un contrat qui lui-même n’a aucun intérêt patrimonial, mais en assortissant la question de la somme d’argent d’une 2nde question plus importante.
L’instruction du procès conduit à dire que « vous, défendeur, vous devez la somme d’argent, parce que le demandeur créancier est propriétaire de la chose ».


2) L’institution de la formule pétitoire

Ici, ce n’est pas une initiative des particuliers, mais une initiative du législateur.
En effet, au milieu de 2ème siècle avant J.-C., il y a une grande réforme de la procédure du procès civil romain dans le sens d’une simplification de la procédure.

Cette réforme consiste à remplacer tout le formalisme de gestes et de paroles en présence du magistrat par des déclarations qui sont enregistrées par le préteur sur un document qu’on appelle la formula.

C’est l’objet d’une très célèbre loi romaine : la lex aebutia (datée du milieu du -2e siècle).
💡 Avant cette loi, les parties étaient contraintes d’introduire le procès en s’astreignant à poser des paroles solennelles et des actes rituels déterminés, faute de quoi le procès n’était pas engagé.

Désormais, les parties comparaissent devant le magistrat et expriment sans aucune formalité leurs demandes, fins et moyens.
Le magistrat désigne le judex, qui instruit le procès au fond pendant la 2nde partie du procès.

La formule est donc la lettre de mission du judex.
Cette procédure per formulam est offerte comme une alternative au sacramentum.

La formule est rédigée in rem, puisqu’il s’agit d’un procès réel (= qui porte sur une chose).

La formule est aussi rédigée de manière arbitraire, dans le sens romain du terme, ce qui veut dire que le demandeur à l’action doit évaluer sous serment la valeur de la chose qu’il réclame. On suppose que cette évaluation sera favorable au demandeur sans pour autant être fortement surévaluée.
À la fin de l’instance, le judex offre une alternative au défendeur contre lequel il prononce une sentence de condamnation (→ il a la possibilité d’arbitrer, d’où le nom de l’action !) : le défendeur qui succombe à l’action peut :
> soit de rendre la chose ;
> soit de payer des dommages-intérêts dont le montant excède évidemment la valeur de la chose qu’il veut garder.
→ Il a intérêt à rendre la chose.

Cette formule arbitraire facilite la restitution de la chose, parce que le judex n’a pas le pouvoir de contraindre le possesseur actuel de la chose, qui a perdu au procès pétitoire, de rendre la chose.
Il n’a que le pouvoir de demander des dommages-intérêts.

Ici, on déleste la procédure de son formalisme, mais on y injecte une puissance technique à très forte dose. En effet, cette procédure est beaucoup plus technique que la sacramentum in rem (qu’il reste possible d’utiliser).

Ce système civil assez complet de transmission et de revendication progresse donc en technicité et en agilité avec le temps : la formule pétitoire arbitraire permet de résoudre une difficulté en débouchant sur des dommages-intérêts.

En conclusion, le régime de la propriété quiritaire à Rome est techniquement très complet et très efficace, sous réserve de la difficulté d’obtenir la chose elle-même lorsqu’on a gagné le procès en revendication.
Mais la vraie difficulté dans le maniement du droit quiritaire vient du fait que ce droit quiritaire ne concerne que les seuls citoyens romains à raison des seules choses romaines.

Section 2 : La relativité des formes de propriété secondaires

Difficulté de la propriétaire quiritaire : son champ d’application est très restreint, ce qui explique pourquoi, très tôt (dès la fin de l’époque archaïque), le préteur imagine des remèdes possessoires.

Ces remèdes possessoires constituent un filet de sécurité lorsqu’on ne peut pas recourir aux actions du droit des Quirites :
> soit parce que la chose concernée n’est pas une chose romaine ;
> soit parce que la chose est romaine mais que l’on n’est pas soi-même romain.
= lorsqu’il manque 1 des 2 conditions (condition objective ou subjective).

Même quand les conditions d’application du régime quiritaire sont en place et que l’on peut donc appliquer le remède puissant du droit quiritaire à une situation particulière, un obstacle inattendu peut être découvert et faire obstacle au droit quiritaire : le formalisme quiritaire.

Par exemple, il peut arriver qu’une erreur dans le formalisme empêche de pouvoir recourir au régime quiritaire.
Parfois, les parties éludent les formalités (par exemple, la mancipatio) car elles sont trop pesantes ou trop complexes.

Le préteur imagine donc des correctifs : il cherche les moyens de créer des régimes de propriété secondaires qui s’articulent et s’ordonnent à la propriété quiritaire en faveur de particuliers qui sont de bonne foi et qui, de bonne foi, se trouvent empêchés d’invoquer le régime quiritaire pour protéger une situation qu’ils pensaient incontestable.

§ 1. Un remède au formalisme quiritaire : la propriété prétorienne

On parle de propriété prétorienne par opposition à la propriété civile (ou propriété quiritaire), mais les romains ne la désignent pas ainsi : c’est une invention d’historiens.
Ce régime de propriété est le fait du magistrat judiciaire (= le préteur), qui, en inventant des actions, invente du droit.

Cette propriété dite prétorienne a un caractère transitoire, parce qu’elle est appelée à disparaître pour laisser place à la propriété pleine et entière / à la propriété parfaite = la propriété quiritaire.
Elle a aussi un caractère relatif, en ce qu’elle est ordonnée à (= a pour finalité) l’absolutisme quiritaire.

Le préteur a la volonté de résoudre une difficulté pratique avec les moyens qu’il a à sa disposition : la maîtrise de la procédure.
La difficulté concrète ici est un échec dans la transmission du dominum ex jure quiritum (par exemple, à cause d’un échec dans la mancipatio).

Heureusement, le droit civil lui-même (= le droit quiritaire) contient un remède contre ce genre d’incidents : l’usucapio.
⚠️ Ce n’est pas une prescription acquisitive.

L’usucapio est une technique civile qui permet au possesseur de bonne foi qui peut être propriétaire quiritaire de devenir propriétaire quiritaire par l’écoulement d’un délai (le délai d’usucapion), qui est d’1 an pour les meubles et de 2 ans pour les immeubles.

Même si ce délai est particulièrement bref, il laisse celui qui est en train d’usucaper (qui est probablement de bonne foi) à la merci du véritable propriétaire civil.
Donc idée : mettre celui qui est en train d’usucaper sous la protection du préteur, en réputant propriétaire prétorien pendant 1 an ou 2 celui qui est appelé à devenir propriétaire quiritaire.

A – La protection prétorienne de l’acquéreur pendant le délai d’usucapion

Il faut partir d’une situation de fait très concrète : il y a un échec dans le formalisme quiritaire, et cet échec m’empêche de devenir propriétaire quiritaire.

L’acquéreur d’une chose (→ d’une res mancipi) a de bonne foi cette chose dans son patrimoine.
La plupart du temps, le délai d’usucapion s’écoule donc paisiblement.

Mais, si un différend survient que se passe-t-il ?
Au bout d’1 an ou 2, l’acquéreur quiritaire pourrait soulever cette technique pour écraser les revendications que l’on aurait pu tirer du formalisme ; mais, pendant le délai d’1 an ou 2, que se passe-t-il si celui qui est resté le véritable propriétaire quiritaire (après l’échec de l’opération de transfert quiritaire) réclame la chose au possesseur qui ne peut pas encore réclamer l’usucapion ?

Par exemple, le propriétaire quiritaire restant propriétaire quiritaire, il peut validement transférer la propriété quiritaire à un tiers.
Ce tiers deviendra propriétaire quiritaire, éventuellement de bonne foi, et pourra invoquer sa qualité de propriétaire civil pour réclamer la chose à celui qui est en train d’usucaper.

Le préteur doit choisir entre :
> celui qui est en train d’usucaper de bonne foi mais n’est pas propriétaire quiritaire, et ;
> quelqu’un d’autre qui est propriétaire quiritaire mais dont le titre est éventuellement écorné par une certaine mauvaise foi.

Or, il se trouve que nous sommes à l’époque classique et que les romains ont été heureusement influencés par l’éthique grecque et par l’idée qu’au delà du droit strict il y a le bien et l’équitable.

Au droit issu du formalisme, le préteur préfère l’équité au propriétaire quiritaire.
Il examine une situation de fait : celui qui invoque le fait que la res mancipi est dans son patrimoine de bonne foi et qu’il est en train d’usucaper devra prouver comment il est devenu détenteur de la chose.
Mais, quand il est conforté dans sa bonne foi, le magistrat va lui accorder certaines faveurs, parce que le détenteur actuel se trouve assigné par le propriétaire quiritaire en revendication.

Il s’agit d’un procès pétitoire : le demandeur possède un titre et a sûrement les moyens de prouver que le défendeur est seulement en train d’usucaper mais n’est pas encore arrivé au terme du délai.
En toute rigueur, le préteur et le judex devraient faire droit à la demande : celui qui est en train d’usucaper devrait restituer la chose ou payer des dommages et intérêts, car il n’est pas propriétaire quiritaire.

Pour aider l’usucapion, le préteur apporte une modification dans le formule de l’action pétitoire : il introduit une mention d’exception.
L’exception est un moyen de défense qui permet de repousser la demande du demandeur.

L’exception opposable au propriétaire quiritaire qui a remis la chose à celui qui est en train d’usucaper est l’exceptio doli : l’exception de dol.
Idée : pourquoi tu me réclames quelque chose que tu m’as remis ?

Situation plus délicate : la situation où le propriétaire quiritaire a transféré régulièrement la chose à un tiers qui est devenu propriétaire quiritaire par l’accomplissement du formalisme → ce dernier est présumé de bonne foi.
L’arbitrage du préteur sera alors plus difficile : il est complexe de prouver la bonne ou la mauvaise foi.
Il fait le choix de celui qui est en train d’usucaper, parce que sa situation s’est nouée antérieurement à celle du demandeur à l’action pétitoire.
C’est l’exception rei venditae et traditae (”exception de chose vendue et livrée”).

C’est intéressant, parce que le droit romain est d’abord un droit formaliste, qui repose sur des symboles. Donc préférer quelqu’un qui s’est constitué une action de fait plus ancienne à quelqu’un qui s’est constitué un titre via le formalisme constitue un saut !

Mais comment faire pour mettre la main sur la chose ?
Cette intervention prétorienne permet à celui qui est en train d’usucaper de repousser toutes les initiatives judiciaires qui l’empêcheraient.
Ici, le préteur ne propose qu’un moyen défensif → une exception.

Il faut maintenant franchir une étape en permettant à celui qui est en train d’usucaper de reprendre la chose s’il l’a perdue. En effet, tant que le délai n’est pas arrivé à son terme, il ne dispose pas de l’action en revendication, qui est une action civile / quiritaire.

B – Une revendication prétorienne de la chose livrée : actio publiciana

La situation concrète que résout le préteur est encore + complexe.
Ici, celui qui est en train d’usucaper veut réclamer la chose, éventuellement entre les mains d’une personne qui est le véritable propriétaire.
Comment fonder la situation de quelqu’un qui est en train de devenir propriétaire mais qui ne l’est pas ? Comment justifier qu’on préfère celui qui est en train d’usucaper à celui qui est propriétaire quiritaire ?

Du point de vue de la pure équité, le préteur va prêter son concours à celui qui est en train d’usucaper, en ne prenant en considération que l’acte d’alinéation (la traditio), qui a inauguré le délai d’usucapion.

Il reste à savoir comment, techniquement, on peut accorder une action qui a la même vertu qu’une action pétitoire à quelqu’un qui n’est pas propriétaire quiritaire et qui ne doit pas disposer de l’action pétitoire.

Le préteur utilise l’une des techniques les plus courantes dans l’élaboration du droit prétorien : la fiction.
Celui qui est en train d’usucaper se présente au tribunal, il réclame l’action civile pétitoire qu’en principe il ne peut pas obtenir faute d’être propriétaire civil, mais le préteur lui accorde quand même cette action pétitoire au prix d’une altération marginale de la formule de l’action pétitoire.

Le préteur introduit une fiction qui consiste à réputer celui qui est en train d’usucaper avoir usucapé, et donc on le répute propriétaire contre le véritable propriétaire civil actuel.
→ On présume contre la vérité qu’il a la qualité pour agir au pétitoire.
→ On fait comme s’il était propriétaire quiritaire.

Cette action inventée par Publicius est une véritable action en revendication prétorienne, eu égard à l’altération de la formule de l’action pétitoire par le préteur.

Cette formule de l’action publicienne donne les conditions de la situation de fait protégée par le préteur + le délai d’usucapion.

Mais la 2nde difficulté est plus complexe : lorsque celui est demandeur à l’action publicienne dirige son action contre le propriétaire quiritaire.
Idée : je suis en train d’usucaper, je suis en train de venir propriétaire quiritaire mais je ne le suis pas encore.

Il y a une espèce d’hérésie juridique qu’il faut résoudre : un non propriétaire dirige une action en revendication contre le véritable propriétaire !
Cette solution est embarrassante : un non propriétaire utilise une action en revendication prétorienne pour réclamer à un véritable propriétaire sa chose.

D’un point de vue procédural, l’initiative de celui qui est en train d’usucaper devrait conduire à un échec évident : le défendeur qui est véritable propriétaire quiritaire n’a qu’à invoquer l’exception de véritable maître.
La solution du procès devrait être nette et sans bavure : j’ai intenté l’action en revendication contre le véritable propriétaire, lequel exhibe son titre de propriétaire et invoque l’exception précitée → le procès devrait être perdu.

Mais le préteur va déjouer l’effet normal de cette arme de destruction massive qu’est au pétitoire l’exception de véritable maître.
Pour enrayer cette logique, il stérilise les effets de cette exception.
Le préteur accorde une réplique au demandeur pour briser l’effet péremptoire de l’exception de véritable propriétaire : c’est une
réplique doli (de dol).

Idée : le propriétaire sait qu’il a mis en possession en vertu d’un acte d’alinéation le demandeur à l’action publicienne.
Ici encore, on préfère celui qui est train d’usucaper de bonne foi au véritable propriétaire.

Ainsi, aussi longtemps que le délai d’usucapion ne sera pas arrivé à son terme, celui qui est en train d’usucaper et qui est parfaitement de bonne foi pour avoir été mis en possession de la chose par le propriétaire quiritaire aura le moyen de repousser toutes les prétentions, y compris celles du propriétaire quiritaire, et de récupérer la chose en quelque main qu’elle se trouve, même entre les mains du véritable propriétaire.

Ici, nous avons évoqué la situation où la propriété quiritaire est possible à moyen terme, parce que l’acquéreur et l’aliénateur sont tous 2 des citoyens romains + la chose est une res mancipi.
Il faut voir à présent une autre forme d’aménagement du régime quiritaire, qui est un contournement :

§ 2. Le contournement prétorien de l’élitisme quiritaire : la propriété pérégrine et la propriété provinciale

La propriété quiritaire est très élitiste du point de vue objectif et subjectif :
> quand à son objet, elle ne concerne que les res mancipi ;
> quant à son sujet, elle ne concerne que les citoyens romains.
Elle est donc très rare.

L’extension du domaine du droit quiritaire par la fiction dans le cadre de la propriété prétorienne est une exception qui confirme et renforce la règle de l’élitisme.
Dans la propriété romaine, l’acquéreur comme l’aliénateur sont romains.
C’est simplement une anticipation par la fiction → la propriété prétorienne réaffirme l’existence de la propriété quiritaire.

Il n’empêche que la philosophie générale de la propriété prétorienne peut être utilisée dans d’autres situations où un particulier détient une chose sans pouvoir s’en dire propriétaire quiritaire (soit parce qu’il n’est pas lui-même citoyen romain, soit parce que la chose dont il s’agit n’est pas une res mancipi).

Pendant une partie de l’époque classique, quand on ne pouvait pas invoquer la propriété quiritaire, on en était réduit à faire appel au remède possessoire.
Idée : celui qui ne peut pas invoquer le régime quiritaire doit se situer sur le terrain du fait et réclamer des remèdes possessoires, qui ne sont pas des actions en justice à proprement parler.

La protection possessoire, par son caractère très sommaire et lapidaire, ne permet pas forcément de résoudre des contentieux ayant trait au droit des biens, qui peuvent revêtir un très haut degré de complexité juridique.
Le préteur va donc créer des régimes de propriété parallèles au régime quiritaire, en lui empruntant des procédures.

A – Quant aux personnes : le développement d’une propriété pérégrine

Le pérégrin (”celui qui voyage”) est celui qui n’est pas un citoyen romain.
Mais, en 212, l’édit de Caracalla fait entrer dans la citoyenneté romaine tous les sujets de l’empire romain.

💡
L’édit de Caracalla est parfois aussi appelé Constitution antonine.

À partir de 212, tous ceux ceux qui vivent dans l’empire peuvent invoquer le droit quiritaire à raison de res mancipi (jusque là, c’était impossible).

Cet édit de Caracalla est gênant pour l’histoire du droit de la propriété à Rome, parce qu’il entraîne la disparition des actions inventées par le préteur.
On ne connaît donc pas avec certitude la manière dont s’organisait la propriété pérégrine, qui était la possibilité pour les pérégrins d’obtenir des actions réelles pour défendre la situation juridique légitimement constituée.

Néanmoins, on peut utiliser des indices pour imaginer comment ça se passe.
Il est vraisemblable que le préteur ait eu à nouveau recours à la fiction en présumant citoyen romain celui qui ne l’était pas pour lui offrir l’action en revendication.

On connaît mal les champs d’application de ces moyens offerts aux pérégrins.
Y a-t-on recours à Rome pour tous types de biens ? Est-ce une invention du préteur pérégrin ? Ces éléments restent sans réponse.

Il est intéressant de constater que le modèle du droit quiritaire est dupliqué en dehors de son champ d’application naturel au profit de particuliers qui sont exclus de la propriété quiritaire.

Il s’agit d’une initiative prétorienne qui répond à un besoin économique et social, avec le réemploi d’une technique qui ne choque pas les mentalités
Cela reste une fiction, puisqu’elle nie la réalité (ce qui permet de maintenir l’aristocratie de la civilisation romaine).

On n’altère donc pas le vieux droit quiritaire, mais on le prend pour modèle d’un droit prétorien mieux adapté à ce qu’est devenu le monde romain.

B – Quant aux biens : le développement de la propriété provinciale

Seuls les fonds italiques sont réputés res mancipi.
Cela signifie qu’on ne peut jamais utiliser l’action en revendication à raison d’un fonds provincial (= situé en dehors de l’Italie).

Cela s’explique par le statut particulier des fonds provinciaux qui ont été gagnés par Rome lors des conquêtes.

Toutes les conquêtes de Rome au-delà de l’Italie relèvent de la propriété du peuple romain. Rome dispose donc de manière discrétionnaire de toutes ces terres conquises par le peuple romain.
Naturellement, Rome peut les réserver pour certaines d’entre elles à la colonisation = à l’installation de colons, qui vont imposer une présence romaine en dehors de Rome et tenir militairement telle ou telle partie de l’empire romain.

Rome s’accapare donc des terres à l’extérieur de la cité.
Pour le reste, quand elles n’ont pas été accaparées par l’autorité romaine, ces terres sont abandonnées aux populations locales.
Elles restent sous le régime législatif ou coutumier des peuples conquis.

Les romains reconnaissent l’existence de ces droits locaux qui encadrent la transmission des biens conquis.
Ils considèrent que ne relèvent pas du droit civil, mais du droit des gens (jus gentium).

Ces transmissions foncières en dehors de l’Italie ne constituent pas un pur fait pour les romains, mais ça ne constitue pas non plus de la propriété quiritaire.
Le préteur va donc avoir tendance à chercher un moyen de sortir de cette contradiction.

Sur le modèle de la propriété prétorienne, il invente un régime de propriété provincial, en introduisant dans la formule de l’action en revendication 1 ou 2 fictions :

  • La fiction suivant laquelle la terre revendiquée est une terre romaine (alors qu’elle ne l’est pas) ;
  • La fiction qui répute le demandeur et/ou de la défendeur romain.

Le droit prétorien protège cette propriété secondaire qu’est la propriété des fonds provinciaux, si besoin en utilisant certaines techniques telles que celle de la prescription, dont le délai est beaucoup plus long que celui de l’usucapion (20, 30 voire 40 ans).
L’usucapion est une technique purement civile, ce qui n’est pas le cas de la prescription.

À la fin de l’époque classique, on voit que le régime de la propriété romaine est très divers.
La propriété quiritaire conserve cette primauté due à son caractère purement civil, même si elle est relativement rare dans le commerce juridique quotidien.
Cette propriété quiritaire s’articule avec la propriété prétorienne et les propriétés pérégrines et provinciales.
Ces emboîtements de régimes posent une très haute technicité et donc une très grande complexité.

Justinien met fin à cet empilement de régimes au 6ème siècle en venant clore une évolution qui a été inaugurée par l’édit de Caracalla.
En effet, à partir de 212, la quasi totalité des sujets de Rome entrent dans la citoyenneté romaine, ce qui fait disparaître en pratique la propriété pérégrine : quasiment tous les habitants de l’empire peuvent accéder à la propriété quiritaire, à raison de res mancipi.

Cette distinction archaïque entre res manicipi et res nec mancipi se retrouve ensuite menacée par un édit de Dioclétien (292), qui prévoit que désormais les fonds provinciaux devront être considérés comme des res mancipi.
De plus, à la fin du 3ème siècle, cette distinction de de l’époque archaïque ne correspond plus à l’état de l’économie ni à l’état des mentalités.

Justinien mettra de l’ordre : une constitution de 531 abolit formellement la distinction entre res mancipi et res nec mancipi, qui est totalement artificielle.
À partir de 531, la transmission de tous les biens se réalise par la simple
traditio = par la simple remise de la main à la main.

Introduction au cours d’histoire du droit des biens

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des biens (L2).

🔖
Ce cours est inspiré du livre Histoire du droit civil d’André Castaldo.

Nous allons ici porter le regard sur la distinction entre propriété et possession en droit romain.

La distinction entre propriété et possession n’a de sens que pour les juristes : le profane ne fait pas la distinction.
Pour expliquer au profane la nécessité de distinguer entre les 2 termes pour souligner l’existence de 2 réalités différents, il faut faire des détours.
On peut par exemple essayer d’expliquer la situation du locataire qui agit comme un propriétaire sans avoir un titre de propriété ; mais, en droit, le locataire n’est pas un véritable propriétaire (+ et il le sait), donc la distinction entre avoir un titre de propriété ou ne pas en avoir n’est pas suffisant.

Il peut arriver que quelqu’un qui occupe un fond pense être propriétaire ; autrement dit, il il peut arriver qu’il soit de bonne foi.
Cette bonne foi appelle sur lui une certaine commisération de la part du juge.

Les romains ne partent pas des concepts ; ils partent des faits et des situations concrètes.
Ils réfléchissent aux moyens procéduraux de défendre telle ou telle situation de fait.

Ils inventent le terme de possession pour désigner la situation concrète d’un non propriétaire dont il faut défendre les intérêts. Bien qu’il ne soit pas propriétaire, on lui permet d’invoquer sa qualité de possesseur pour se maintenir sur le fonds.

Les romains diront Nihil commune habet proprietas cum possessione” = “la propriété n’a rien de commun avec la possession”.
Encore aujourd’hui, on ne peut pas agir à la fois sur le possessoire et sur le pétitoire.

La propriété à Rome est un terme juridiquement très vague, imprécis et confus.
La propriété, c’est ce qui se trouve légitimement dans mon patrimoine.

La possession est une situation de pur fait.
C’est un fait que l’on protège.
La possession, dans son étymologie même, renvoie même à cette situation de fait : possession vient de ‘potis‘, qui revient à l’idée de puissance / de pouvoir, et ‘cedeo‘, qui signifie siéger ou être assis.
Autrement dit, c’est une puissance de fait qui s’exerce durablement sur une chose.

Les autorités publiques romaines ne voient pas dans cette situation quelque chose de contraire à l’ordre public ; il s’agit même d’une situation protégée au nom de l’équité, voire parfois au nom de la protection de l’ordre public.

Cette distinction a alimenté les débats doctrinaux en Allemagne au 19e siècle :

  • En 1803, Ihering fait paraître son essai sur le fondement de la protection possessoire.
    Il s’interroge sur le ressort théorique qui a amené le droit romain à protéger (parfois même contre le propriétaire !) la situation de fait d’un particulier.

    Il définit la possession comme le « bastion avancé de la propriété ».
    Idée : la plupart du temps, le propriétaire est le possesseur, donc en protégeant la possession, on protège la propriété (il est bien + facile d’administrer la preuve d’un fait qu’administrer la preuve d’un droit).

  • À l’inverse, Savigny met en avant dans son Traité de la possession certains cas limites dans lesquels on protège le possesseur contre le propriétaire.
    Il n’explique cette étrangeté que par le recours à l’idée d’ordre public.
    Idée : en défendant une situation de fait, on défend l’ordre de la cité + on prohibe toute velléité à se faire justice soi-même.

Ni Ihering ni Savigny n’ont totalement raison.
Le défaut de leurs théories, c’est qu’il s’agit de théories, alors que la possession romaine est un outil, qui est guidé par des besoins changeants.

Il peut aussi arriver que le remède possessoire soit un moyen à la disposition du magistrat pour rétablir l’ordre.
Ihering et Savigny cherchent la théorie de la possession à Rome, mais il n’y en a pas : il n’y a que des techniques possessoires, qui inspirent des actions possessoires.

Comme souvent en matière de procédure, c’est le droit canonique qui va permettre de réinstaurer les techniques romaines.
Par exemple, l’action de réintégrande concernait à l’origine l’évêque expulsé de son diocèse par un principe territorial qui avait voulu nommer sur la chaire un autre évêque.

L’action de réintégrande est une action possessoire ouverte à tout détenteur d’un bien pour recouvrer la possession qui lui a été enlevée par une voie de fait commise avec ou sans violence.
Cette action dérive d’un intérêt possessoire romain, qui s’appelle l’interdit unde vi.

À côté existait aussi la complainte, qui permettait au juge de faire cesser des troubles possessoires très divers.
→ La complainte est la “voiture balai” de l’action possessoire : on l’utilise si on ne peut pas en utiliser une autre.

Enfin, la dénonciation de nouvelle œuvre était la 3ème action possible.

Ce triptyque de l’action possessoire, créé par la pratique de l’ancien droit héritier du droit romain, est repris implicitement dans la codification napoléonienne et confirmé explicitement par la loi du 25 mai 1838.

Le législateur confirme en 1875 l’existence des 3 actions traditionnelles.
Désormais, leur existence est signalée non plus seulement dans le Code de procédure civile, mais aussi dans le Code civil.

À partir des années 1980, certains avocats astucieux vont chercher à utiliser la procédure de référé pour éluder le recours aux dispositions des codes relatives aux actions possessoires.
Plutôt que de s’engager sur la voie possessoire, en marge d’un contentieux pétitoire, les parties préféraient ainsi demander au président du tribunal de grande instance de prendre certaines mesures conservatoires en raison de l’urgence.

Mais problème : y a-t-il un caractère d’ordre public ?
Dans un arrêt du 28 juin 1996, l’assemblée plénière de la Cour de cassation accepte que le référé soit une alternative à l’utilisation des actes possessoires.
→ On parle de référé possessoire, dans les conditions de la vie judiciaire concrète.

En effet, intenter un procès possessoire peut durer des années.
Les jours de cette action sont désormais comptés.
En 2015, la loi n°2015-177 relative à la simplification du droit et des procédures a abrogé les dispositions spécifiques aux actions possessoires.
Le législateur parle toujours du principe de non cumul du pétitoire et du possessoire ; il fait toujours référence à la notion de possession ; mais la protection de la possession relève du régime commun des référés.

Aujourd’hui, dans notre législation, le possessoire existe donc toujours ; mais, en l’absence de régime procédural spécifique, la spécificité de la possession et du possessoire a tendance à s’effacer.
Ainsi, la réalité juridique existe toujours, mais son régime n’existe plus : il a été absorbé par le droit commun → par la notion d’urgence, par l’idée de préservation d’une situation donnée.

À Rome, la frontière est infiniment plus marquée : l’action en revendication (= le pétitoire) exclut le possessoire radicalement, parce que pétitoire et possessoire n’ont pas le même objet.

Sommaire : cours complet d’histoire du droit des biens (L2)

Ce cours complet d’histoire du droit des biens, principalement centré sur le droit des biens romain, a été construit sur la base d’un séminaire mené par le professeur Nicolas Warembourg à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2023.

Section 4 : Le contenu de la législation commerciale royale

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des affaires (L2).

Le roi est souverain, et l’une des marques de la souveraineté, c’est de faire et défaire les lois.
→ La loi devient un moyen de gouvernement.

Le roi cherche donc à rationaliser le droit en l’unifiant.
Il impose dans ses grandes ordonnances ses vues et sa politique, notamment en imposant l’administration royale et les questions de procédure.

La monarchie absolue est aussi appelée monarchie administrative : l’administration fait office de noyau central.

On appellera ces ordonnances, qui cherchent à rationaliser et unifier le droit, « ordonnances de codification ».
Elles reprennent les coutumes existantes en matière de droit privé, tout en enlevant les mauvaises coutumes (désuètes, trop sévères…).

§ 1. L’ordonnance de Colbert : un Code pour le commerce

I – Rédaction et esprit

En 1665, on crée un Conseil supérieur de la justice pour lancer les grandes ordonnances de codification.
3 commissions se créent, dont une commission pénale.

La commission qui donne lieu à l’ordonnance du commerce est la commission relative à la justice civile et commerciale.
C’est Colbert qui dirige cette commission.

Pour cela, il s’aide de Jacques Savary, qui est un marchand érudit ayant une très bonne connaissance du droit, notamment romain.
Savary prend en main l’ordonnance, tout en écoutant les attentes de la monarchie.

Cette ordonnance est publiée en mars 1673.
Elle comporte 12 titres et 122 articles → elle n’est pas imposante, elle est claire ⇒ très bien faite pour le commerce.

Elle devient la base légale pour le commerce dans l’Ancien Régime.
Elle comporte des règles générales, qu’elle puise dans les coutumes des marchands, sans aller dans les détails.

💡 L’ordonnance de Colbert est aussi appelée Code marchand, Code Savary ou ordonnance du commerce.

Plusieurs commentaires de cette ordonnance seront proposés :

II – Un modèle : Le Parfait Négociant

Le Parfait Négociant est le titre d’un livre écrit en 1695 par Jacques Savary.
Il s’agit d’un commentaire de vulgarisation de l’ordonnance.

Ce n’est pas un commentaire très lourd tel que ceux écrits par les professeurs de droit.
Il comporte cependant des éléments juridiques.
Savary n’hésite pas à y donner quelques idées libérales, alors même que l’on est en pleine période colbertiste !

Jacques Savary montre comment être un parfait commerçant :

  • Être bon en affaires ;
  • Suivre une morale des affaires.
    Il s’agit là d’une grande nouveauté : Savary montre, alors que l’Église est assez réticente aux marchands à cette époque, que le commerce est peut-être une activité honorable et vertueuse, et qu’en outre il est pacificateur et bienfaiteur pour l’économie.

Il donne des explications techniques : formulaires, exemples de lettres de change…

Le Parfait Négociant est donc à la fois un guide technique, mais aussi des explications des règles posées par l’ordonnance, avec aussi une morale des affaires.

§ 2. Le contenu de l’ordonnance

Dans l’ordonnance de 1673, Colbert et Savary consacrent les grandes coutumes du commerce, sans aller dans les détails.
À côté de ces grands usages, parfois les commerçants ont leurs petits usages à eux → on les laisse libres.

L’ordonnance s’adresse aux commerçants.

  • Qui peut être commerçant ?
    Peuvent être commerçants à l’époque tous les hommes majeurs.
    • La femme célibataire ou veuve peut être commerçante.
    • La femme mariée ne peut être commerçante que si elle est marchande publique.
      Elle n’est marchande publique que si son mari lui a donné une autorisation générale de faire du commerce (pour faciliter le commerce, cette autorisation peut être tacite) et elle doit faire un commerce séparé de celui de son mari (sinon elle est considérée comme sa subordonnée).
    • Le mineur ne peut pas être commerçant.
      (sauf s’il est mineur émancipé ou s’il est fils de commerçant ayant eu l’autorisation de son père)

    ⚠️ Attention, que ce soit pour la femme marchande publique ou le mineur, cette capacité ne vaut que pour les actes de commerce.

I – Les juridictions consulaires

Là encore, on parle des tribunaux de commerce ; on ne fait que reprendre ce qui existait déjà.
Exactement comme avec les chambres de commerce, on assite à des créations spontanées avant que la royauté ne vienne généraliser.

Les juridictions consulaires sont des juridictions paritaires : les commerçants sont jugés par leurs pairs.

A – Création des juridictions consulaires

On avait vu au Moyen Âge des juridictions de commerçants qui se sont créées spontanément.

Là encore, des juridictions de commerce voient le jour spontanément.
Elles sont composées de commerçants.
On y rend une justice “prompte et experte”.

Pour exister, elles devaient être homologuées par une autorité : au départ, les seigneurs, puis le roi.
En effet, en 1549, un édit d’Henri 2 accepte la création d’une juridiction à Toulouse.

  • D’où vient le nom “juridiction consulaire” ?

    Les juridictions consulaires sont appelées ainsi parce qu’elles sont nées à Toulouse !
    La ville de Toulouse était composée de consuls, qui sont des conseillers municipaux + des commerçants.
    C’est pour ça qu’on parle de juridictions consulaires, avec des juges consuls.

En 1563, des juridictions consulaires sont créées à Rouen puis à Paris, mais il n’y a pas encore de système général.
En 1579, le roi cherche à imposer de telles juridictions dans les “villes principales”, mais sans préciser lesquelles !

Or il y a d’autres juridictions que ça embête un peu : les parlements.
Les parlements sont des cours de justice ordinaires, qui vont faire blocage par peur qu’on leur enlève des bouts de compétence.

Il faut attendre 1669 pour voir les juridictions consulaires se développer davantage.
En effet, c’est en 1669 qu’on supprime les juridictions des foires, dans un souci de rationalisation du droit → les commerçants, qui ont toujours besoin de juridictions, créent des juridictions homologuées.

C’est l’ordonnance de commerce de 1673 qui les officialise et les généralise, en imposant la création de juridictions consulaires dans les villes qu’elle estime importante.
À la fin du 19e siècle, il existe 40 juridictions consulaires ; il y en aura 67 à la veille de la Révolution française.

C’est la seule juridiction que les révolutionnaires ne vont pas supprimer, parce qu’ils la trouvent très démocratique : les commerçants y sont jugés par d’autres commerçants + elles sont composés de juges élus pour 1 an + elles portent sur une matière à laquelle les autres juridictions ne connaissent rien.

B – Composition des juridictions consulaires

Les juridictions consulaires se composent de 5 juges élus pour 1 an par un corps de marchands.
Selon les villes, parfois tous les marchands votent et parfois uniquement les commerçants les plus riches.
→ C’est un système + ploutocratique que démocratique.

Parmi ces 5 juges élus, on désigne un président.

Il s’agit de la règle générale de composition, mais on laisse aux commerçants la liberté d’ajouter des précisions coutumières.
Dans certaines villes, on voit que 10 années d’exercice de commerce sont imposées pour pouvoir devenir consul (= juge du tribunal de commerce).
Parfois, le président est un ancien consul.
Dans certaines villes, le président s’arroge le droit de dresser des listes de commerçants éligibles.

La juridiction statue valablement à 3 : le président + 2 juges consuls.
L’ordonnance permet également d’adjoindre des assesseurs aux procès selon les besoins ; le plus souvent, les juridictions dressent une liste d’assesseurs à retenir au cas par cas.
À Toulouse, cette liste s’appelle la retenue.

La fonction de juge est gratuite des 2 côtés :

  1. Le juge n’est pas rémunéré ;
  1. Il ne doit pas payer pour devenir juge.

Cela fait grincer les dents des parlementaires, qui sont rémunérés + doivent payer leur office.
La jalousie des parlementaires est attisée par le fait que les chambres de commerce – parfois même le roi – se mettent ensuite à distribuer des gratifications aux juges.

C – Compétences des juridictions consulaires

Ces juridictions s’occupent de tout le contentieux entre commerçants ou relatif aux actes de commerce.

L’ordonnance élargit encore leurs compétences au contentieux relatif aux lettres de change, même signées par des particuliers.
De même, elle leur permet de juger en dernier ressort les litiges en matière de commerce d’une valeur inférieure à 500 livres.
Enfin, elle rend aussi ces juridictions accessibles aux propriétaires de bestiaux et aux producteurs de denrées (alors qu’un paysan n’est pas un commerçant !).

Les parlements ne sont pas contents, parce que tout ce contentieux leur échappe.
On leur laisse cependant une compétence : la faillite, même entre commerçants.
Une déclaration royale de 1739 leur attribue aussi l’examen des pièces des procès pour les litiges supérieurs à 500 livres.

Certains domaines échappent à la fois aux juridictions consulaires et aux juridictions ordinaires (= les parlements).
Par exemple, le domaine de la marine : l’ordonnance de 1673 avait laissé au juge consulaire la compétence en matière de contrat d’assurance maritime, prêt à la grande aventure et armement des vaisseaux, mais le grand amiral de France n’a pas été content et a demandé au roi le retrait de cette disposition.
Il obtient gain de cause en 1679 : la disposition est retirée, et l’ordonnance de la marine de 1681 abroge expressément cette disposition. Tout le contentieux du droit maritime revient aux amirautés, qui sont des tribunaux maritimes.

De même, la matière des eaux et forêts échappe à ces juridictions, parce qu’on considère que le domaine public dépend des juridictions administratives.

D – Procédure devant les juridictions consulaires

Il y a un principe de non représentation des commerçants qui sont partie aux procès : ceux-ci doivent être « ouïs par la bouche » (= entendus par leur propre bouche).
Ils doivent obligatoirement venir au procès et ne peuvent pas se faire représenter par quelqu’un d’autre.

Toutefois, cette règle s’assouplit au 18e siècle. En effet, malgré le principe posé par l’ordonnance, la pratique va accepter que les commerçants se fassent représenter lors des procès par des praticiens que l’on appelle le procureur.

Ces personnes-là vont pouvoir représenter complètement les commerçants.
C’est très pratique, parce que le commerçant a des affaires et doit bouger.
→ L’ordonnance impose des règles, mais la pratique les fait évoluer.

Le juge se fonde sur des indices qui l’aident à évaluer la bonne foi ou non du commerçant.
Parmi ces indices : la tenue du registre.
De même, le témoignage est fréquemment utilisé.

Enfin, ces juridictions ne jugent en dernier ressort que les litiges d’une valeur inférieure à 500 livres.
L’appel ne se fait que devant les juridictions ordinaires.
Les juridictions consulaires ne peuvent pas exécuter de sentences quand il y en a (par exemple, la contrainte par corps).

II – Les sociétés de commerce

L’idée de l’ordonnance de Colbert est à la fois de consacrer les usages en les mettant dans une ordonnance, et en même temps d’insuffler la politique royale, qui veut que le commerce soit bien tenu, qu’il y ait un certain ordre, et que le commerce aide au rayonnement de la royauté.

A – Les différents types de société évoqués par l’ordonnance

Les sociétés évoquées par l’ordonnance sont des sociétés de personnes, c’est-à-dire que ce ne sont pas les sociétés composées uniquement de capitaux.
Ces sociétés sont intuitu personae : des personnes décident de s’unir pour créer une société entre elles.

Il y avait déjà des sociétés de commerce qui fonctionnaient avec la réunion de capital. Ainsi, en 1673, il y avait déjà des sociétés de commerce → pourquoi ne sont-elles pas dans l’ordonnance ?

  1. Elles n’étaient pas encore suffisamment importantes ;
  1. C’étaient des compagnies à charte : elles avaient leur droit qui était inscrit dans la charte signée par le roi comprenant les privilèges.
    On considérait donc que ces compagnies faisaient partie du domaine public.

Sociétés concernées par l’ordonnance :

  1. La société générale, qui ressemble beaucoup à notre actuelle société en nom collectif (SNC), créée par la loi de 1968.
    Ce sont surtout des sociétés familiales ou des sociétés créées par des associations de maîtres enrichis.
    Dans ces sociétés, on a un intuitu personae très fort, qui se manifeste par une responsabilité solidaire et illimitée.
  1. La société en commandite, qu’on avait déjà évoquée à Rome et au Moyen Âge.
    On a ici une forme hybride de société, avec :

    • D’un côté, des commandités (= gérants) qui fonctionnent presque comme une société générale ;
      Entre eux, la responsabilité est solidaire et infinie.
    • De l’autre, des commanditaires, qui sont de simples apporteurs de capitaux.
      Parfois, on ne les connaît même pas !
      Leur responsabilité est limitée à leur apport.
  1. La “société anonyme” : Colbert l’appelle ainsi, mais ce sont en fait de petites sociétés momentanées qui se font le plus souvent autour des ports.
    Idée : un groupe d’amis se retrouve dans un port et décide de mettre de l’argent en commun pour armer un navire.

B – La règlementation formelle des sociétés dans l’ordonnance de Colbert

Toutes ces sociétés vont être soumises à un formalisme, avec un double objectif :

  1. Imposer des règles et un cadre, en reprenant les coutumes des marchands et en disant quelles sociétés existent et sous quelle forme ;
  1. Moraliser le commerce en protégeant les tiers, en demandant aux sociétés de produire des écrits pour que les tiers sachent avec qui ils vont faire des affaires.

→ Formalisme important pour mieux encadrer les sociétés et protéger les tiers.

1) L’exigence d’un écrit

Colbert impose à toutes les sociétés de se constituer par écrit.
Cette exigence était déjà posée par l’édit de Moulins en 1560.
→ On doit écrire l’acte de société ou le contrat de société.

À partir du 18e siècle, la forme devient + impersonnelle, même dans les sociétés de personnes.

Les grosses sociétés ont recours au notaire.
La science du notaire est importante, car elle permet de faire évoluer les contrats de société et les statuts de société.

Finalement, ces notaires les font évoluer vers une forme d’uniformité, parce qu’ils ont l’habitude de rédiger ces actes : ils tiennent des permanences dans les chambres de commerce, où ils prennent l’habitude de rédiger des statuts toujours sous le même plan et finissent pas créer des formulaires.

On met un préambule avec l’objectif de la société.
Ses desseins peuvent être très larges ; par exemple, “explorer des terres lointaines”.

On insère des considérations religieuses :
> parce qu’à l’époque on est religieux ;
> parce qu’on est superstitieux ;
> pour plaire à l’Église.
Exemple : « par nom de Dieu, cette société est créée ».

On y trouve des clauses relatives au capital social.
Il est intéressant de voir que la jurisprudence des juridictions consulaires vient préciser certains points ; par exemple, l’idée de répartition des gains et profits au prorata des apports, même au sein des sociétés de personnes.

La jurisprudence interdit ensuite les clauses léonines.
Viennent de « lion » → on interdit de se tailler la part du lion.

De même, la jurisprudence vient préciser la distinction entre les apports en argent et les apports en marchandise/en nature.
De manière générale, les apports en argent sont considérés comme la propriété de la société alors que les apports en marchandise/en nature restent la propriété de chaque associé.

On insère des clauses sur la dissolution de la société.

Enfin, on insère des clauses d’aumône, où la société dit que tous les ans elle versera X à la paroisse.
(époque religieuse + superstition + volonté de plaire à l’Église).


2) La publicité

💡 On parle ici de publicité légale.
Colbert crée les règles de publicité légale, qui déterminent comment la société devra être publiée pour être connue par le roi et par le public.
Objectif : informer et protéger les tiers.

L’ordonnance de Colbert exige le dépôt au greffe de la juridiction consulaire d’un extrait de l’acte de société.
Cet extrait contient :
> le nom des associés ;
> leur qualité ;
> leur signature ;
> la durée de vie de la société ;
> les clauses spéciales qui ne sont pas conformes à l’usage.
Tout changement doit faire l’objet de la même publicité.

Idée de Colbert : si les règles de publicité légale ne sont pas suivies, nullité de la société.
Cela restera un vœu pieux, parce qu’en pratique la nullité n’a jamais été appliquée.
Les commerçants de l’Ancien Régime ont du mal avec la publicité légale et préféraient leurs propres usages.

De manière générale, quand ils constituent une société, ils écrivent à des amis ou à leurs clients potentiels des lettres ; idem quand ils modifient une société : ils réunissent leurs partenaires et leurs clients potentiels.
Ils préfèrent le secret des affaires.

→ Cette publicité légale a très mal fonctionné sous l’Ancien Régime.

Sur la question de la personnalité morale :

À cette époque, on n’était pas encore à cette abstraction là : on ne parle pas encore de personnalité morale.
En revanche, on constate qu’on désigne petit à petit un administrateur, qui signe d’abord au nom des associés, puis au nom de la société.

La personnalité morale permet de donner une personnalité juridique à un corps social, comme s’il était une personne privée.
Les sociétés ont leur carte d’identité : nom, domicile, qualité (= forme), diverses formes de droits, et un patrimoine.

La personnalité morale, c’est pratique en droit, parce que ça sert à s’adresser à un seul corps.

Sur la question de la responsabilité :

La responsabilité est solidaire.
Cela peut dérouter les civilistes, parce que normalement la responsabilité est individuelle, et non solidaire.

Savary conseille dans Le Parfait Négociant (⚠️ pas dans l’ordonnance) d’utiliser le terme « et compagnie » pour bien faire comprendre aux tiers et au juge ordinaire qu’il y a derrière nous d’autres personnes.

C – Les sociétés de capitaux, une création de la pratique

Les sociétés de capitaux sont uniquement constituées par le capital (notamment par des actions). L’intuitu personae n’y apparaît pas du tout. Elles ont une raison sociale (= un nom) qui ne comporte pas de nom de personne ni de “et compagnie ».

Les sociétés de capitaux sont ignorées par l’ordonnance.
Toutefois, à partir de la seconde moitié du 18ème siècle, on voit ces sociétés apparaître au niveau du droit privé.

En effet, au 17ème siècle, les compagnies de commerce avaient déjà cette forme (ex : Compagnie des indes) ; en revanche, l’ordonnance de Colbert n’en parle pas, parce qu’elles sont du domaine public : c’est le roi qui s’en occupe, avec les privilèges et les chartes.

Ce n’est qu’ensuite qu’on constate l’arrivée de sociétés privées qui sont des sociétés de capitaux.
Parmi ces sociétés privées, 2 types de société apparaissent :

  1. Les sociétés en commandite par actions, dont le capital est composé d’actions ;
  1. Les sociétés uniquement composées d’actionnaires.

Ces sociétés se développent sur 2 grandes idées :

  1. La négociabilité des parts : les actions sont négociables ;
  1. La responsabilité limitée au montant de l’apport.

On distingue 2 types de titres :

  1. Les titres nominatifs : on achète et vend des actions en passant par le registre des sociétés ;
  1. Les titres au porteur : le nom des personnes n’est pas écrit, il y a juste un numéro.
    Ces titres se négocient sur le marché boursier comme des marchandises.
    La Bourse officielle de Paris est instituée en 1724 et, avec elle, le monopole des agents de change pour la négociation des effets publics (= effets importants).

Le droit des affaires évolue au sein de ces sociétés.
On voit par exemple apparaître des parts de fondateurs = petits paquets d’actions que l’on offre pour remercier et rétribuer une personne qui a apporté quelque chose à la société.

De même, on voit la pratique organiser le fonctionnement des sociétés.
On s’organise de manière oligarchique en réunissant des assemblées d’actionnaires, où l’on discute de la répartition des dividendes.
En 1893, la loi imposera la représentation des petits actionnaires, qui s’organiseront en syndicats et seront représentés dans les votes.

Ces assemblées désignent le plus souvent un conseil d’administration, avec des administrateurs rémunérés par jetons de présence (= à la séance).
Parfois, ces assemblées désignent aussi un conseil plus restreint : le conseil de direction.
→ Organisation pragmatique, avec une assemblée d’actionnaires qui désigne un CA.

Les actionnaires élisent parfois des syndics, qui vont les représenter.
Ces syndics sont les ancêtres des commissaires au compte, qui sont devenus obligatoires avec une loi du 19e siècle.
Ces syndics peuvent par exemple demander le contrôle de l’emploi des fonds de la société.

Dans ces sociétés, il n’y a pas de règles préconçues : on s’organise de la manière que l’on veut.
Il faudra attendre le Code de commerce de Napoléon de 1807 pour que ces sociétés soient clairement réglementées.

III – La lettre de change

L’esprit de l’ordonnance de Colbert est surtout de clarifier / simplifier / concentrer la coutume des commerçants. Il n’invente donc rien.
En revanche, il ajoute la pâte monarchique : un certain encadrement.

Il reprend donc les usages et coutumes issues de la pratique de la lettre de change, mais il précise et impose des règles de forme afin d’éviter les abus.

L’ordonnance de Colbert impose des mentions obligatoires à la lettre de change, sous peine de nullité.
La lettre de change doit comporter :
> le nom du bénéficiaire ;
> le nom du tiré.
En revanche, elle n’impose pas celui du tireur.

Ces lettres doivent préciser le temps du paiement ou un laps de temps à partir de la présentation de la lettre de change.
Exemple : « cette lettre doit être payée 10 jours après la présentation de la lettre de change ».

La lettre de change doit aussi préciser si la valeur sera reçue en deniers, en marchandises ou en tout autre effet.

Colbert n’a pas précisé la différence de lieu. Ce sont donc les tribunaux qui, si cette différence de lieu n’apparaît pas, vont requalifier la lettre de change en prêt à intérêt (on voit l’influence de l’Église…).

Colbert impose un certain formalisme pour encadrer la lettre de change.
La pratique intègre 2 pratiques qui ne sont pas inscrites dans l’ordonnance de Colbert :

  1. L’aval est une forme de caution (= garantie) : à côté de la lettre de change, on greffe une lettre séparée qui portera le nom de la caution du tiré.
  1. Le protêt est un acte de protestation.
    En cas de refus de paiement de la lettre de change, le tireur fait un écrit de protestation qui constate le refus de paiement.
    Cette pratique du protêt est instaurée par les commerçants et par les notaires.
    Ce protêt est ensuite utilisé en justice. Il est aussi utilisé pour la faillite.

IV – Les faillites et banqueroutes

L’ordonnance consacre 25 articles aux faillites et banqueroutes.
Elles concernent le commerçant dont l’activité est en difficulté ou cesse, mais on a dans cette ordonnance encore un point particulier : la faillite et la banqueroute sont les mêmes notions pour les simples particuliers comme pour les mêmes commerçants.

La nouveauté très importante introduite par l’ordonnance est celle de la distinction entre la faillite ordinaire (le commerçant malheureux) et la banqueroute (qui suppose une faute ou une fraude).
Le juge peut apprécier la faute (ex : imprudence).

Auparavant, on distinguait la banqueroute simple (faute) et la banqueroute frauduleuse (fraude).
Désormais, sous Colbert, on ne distingue pas : la banqueroute est un crime.

A – La procédure de faillite

L’ordonnance laisse la faillite aux juridictions ordinaires (Parlement), parce qu’elles concernent autant les particuliers que les commerçants.

L’ordonnance maintient la contrainte par corps = l’emprisonnement.
Elle précise la procédure de faillite :

Tout d’abord, on décide de l’ouverture de la faillite, qui s’ouvre le jour de la cessation de paiement.

On ouvre la “période suspecte”, qui est la période qui précède la cessation des paiements.
À la cessation des paiements, on regarde donc ~15 jours / ~ 1 mois avant ce qu’il s’est passé pendant cette période.
Les juges peuvent y détecter des actes frauduleux.

On fait le bilan de l’actif et du passif.
On regarde la tenue des livres et des registres.
Le débiteur est dessaisi de ses biens.
Il est frappé d’infâmie, ce qui veut dire qu’il n’aura plus accès à certains éléments de la vie judiciaire et sociale ; par exemple, il ne peut plus agir en justice, il ne peut plus être témoin, il ne peut plus contracter en son nom, il n’a plus le droit d’entrer à la bourse.

Les créanciers peuvent demander la nullité de tous les actes qu’ils auraient passés avec le débiteur après l’ouverture de la faillite (parce qu’ils peuvent ne pas immédiatement être au courant du problème).

Il n’y a pas de procédure collective de faillite : chaque créancier doit actionner un droit de saisie individuel.
Face à cela, la pratique s’organise : la pratique contourne rapidement cette lacune par 2 contrats successifs :

  1. Un contrat d’union que tous les créanciers signent pour s’accorder sur le principe de la collectivité ;
  1. Un contrat de direction, dans lequel est désigné celui qui conduira la procédure → le syndic.

Toutefois, le législateur de 1673 (Colbert et Savary) pense quand même au débiteur malheureux et tente de la protéger.
Cette protection est prévue par l’ordonnance avec 2 possibilités de protection.

En effet, le failli de bonne foi, c’est-à-dire celui qui a géré prudemment mais qui n’a pas eu de chance, dispose de 2 possibilités de protection grâce à ce que l’on appelle les exceptions :

  1. Les lettres de répit sont des délais de grâce, en général de 6 mois mais qui peuvent être plus longues, qui sont accordés par le roi, le chancelier ou les parlements.
    Il s’agit d’une exception : si un créancier veut être payé, le débiteur peut lui opposer son délai de grâce.
  1. La cession judiciaire des biens veut que le débiteur cède ses biens à la justice.
    Cette cession judiciaire lui permet d’éviter l’infâmie et d’éviter la prison pour dettes (= la contrainte par corps), parce qu’en cédant ses biens à la justice, il montre sa bonne foi + qu’il a quand même des biens.

Au cours du 18ème siècle, les commerçants s’organisent entre eux ; à côté de ces exceptions légales, ils créent leurs propres arrangements amiables :

  1. L’atermoiement : les créanciers décident d’accorder au débiteur un nouveau délai pour payer ses dettes ;
    On suppose l’union de tous les créanciers qui acceptent ce nouveau délai.
  1. La remise : les créanciers s’accordent sur une remise partielle des biens du débiteur.
  1. L’abandonnement de biens existe à côté de la cession judiciaire.
    Ici, le débiteur abandonne volontairement certains biens à ses créanciers, en s’arrangeant avec eux sans passer par le juge → en abandonnant volontairement sa propriété, il montre qu’il est de bonne foi.

Ces arrangements amiables constituent des procédures parallèles qui ne passent pas devant les juridictions civiles.
→ Les commerçants préfèrent s’arranger entre eux.

Au 19ème siècle, ces arrangement seront interdits, parce qu’ils donneront lieu à des abus de la part des débiteurs.

B – La banqueroute

Les juges qualifient la faillite en banqueroute lorsque, dans la période suspecte, ils découvrent des actes frauduleux ou l’absence de production du livre du commerce.

Si le commerçant concerné ne présente pas ses livres de commerce, il y a une présomption (simple) de fraude.
Cette présomption de fraude peut être renversée. Elle montre aussi la négligence du commerçant.

La sanction de la banqueroute prévue par l’ordonnance est la peine de mort.
Mais cette peine de mort n’a jamais été appliquée pour les cas de banqueroute.

On voit souvent sous l’Ancien Régime des peines beaucoup trop importantes qui ne sont habituellement pas appliquées.

Conclusion

De prime abord, cette ordonnance sert aux commerçants, mais on découvre très vite ses lacunes et elle devient obsolète.
Les besoins des commerçants évoluent très vite. À chaque fois, la pratique s’arrange, soit parce qu’on est face à une lacune ou une lourdeur, soit parce que l’ordonnance ne l’a pas prévu.

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Pour aller plus loin : Jean Hilaire, Le droit des affaires et l’histoire.
Dans cet ouvrage, l’auteur consacre tout un long chapitre sur les ressources de la pratique.
Dans un autre chapitre intitulé Le commerçant, un fiscaliste impénitent, il montre comment le commerçant s’arrange toujours pour ne pas grever son commerce d’un surpoids d’impôt.

Section 3 : La mainmise de l’État sur les affaires

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des affaires (L2).

1673 est marquée par l’ordonnance sur le commerce, écrite par Jacques Savary sous la direction du ministre Colbert.
Cette ordonnance est aussi appelée à cette époque le « Code de commerce ». Elle réunit les coutumes des commerçants.
Elle marque l’entrée dans une ère nouvelle, avec une implication beaucoup plus importante du législateur dans le domaine du droit des affaires.

À partir du 17e siècle, les affaires changent de visage et suivent des transformations économiques profondes.

Tout d’abord, une crise économique nationale commence dans la 2ème moitié du 17e siècle, en raison des guerres :
> Fronde (groupement de princes qui agissent contre le pouvoir royal) ;
> Guerre de 30 ans, qui engage la France contre l’empire des Habsbourg et se termine en 1648 ;
> Guerres de religion entre guerres entre catholiques et protestants.

Il y a aussi une émigration des gens d’affaires.
À partir de 1685, l’édit de Fontainebleau met fin à l’édit de Nantes qui, en 1598, avait permis aux protestants de vivre librement.
En 1685, les protestants fuient donc le royaume et emportent avec eux leurs savoirs, notamment bancaires.

Ces guerres de religion engendrent aussi une crise démographique.

De plus, en France, les nobles ne pouvaient pas faire de commerce, sinon ils étaient frappés de dérogeance (= ils dérogeaient à leur rang).

Cette crise arrive à un moment de grandes transformations dans le contexte économique général.
En effet, en 1492, les espagnols découvrent le nouveau monde, qui permet la création d’un nouveau commerce : le commerce atlantique.
Le commerce atlantique commence pour la France en 1648 avec le traité de Westphalie, qui est un traité de paix qui permet l’ouvrir l’Atlantique à d’autres puissances que les alliés des Habsbourg.
Cela donne lieu à la création de grandes compagnies de commerce maritime.

On découvre des mines d’or au Mexique, qui engendrent petit à petit un afflux de capital dans les États.

On découvre de nouvelles techniques, et notamment 1 très importante : la machine à vapeur, inventée par James Watt à la fin du 17ème siècle.
L’être humain actionne une machine qui a beaucoup plus de force que lui → facilite la fabrication.
On entre ainsi dans l’industrie ; mais cette invention n’arrivera en France qu’au 18ème siècle.

Une autre invention très importante est le métier à tisser.
Lui aussi est inventé Angleterre et n’arrive en France que dans la 2e moitié du 18ème siècle.

À partir du 18ème siècle, on est dans le contexte particulier de l’absolutisme royal.
En effet, depuis le 17ème siècle, une nouvelle théorie entoure le roi : il devient un souverain absolu (cela commence sous Louis 13).

On est face à un absolutisme royal, ce qui signifie que le roi est absous des lois : il peut faire et défaire la loi et il contrôle les 3 pouvoirs.
Il n’y a aucun corps intermédiaire entre le peuple et lui.
Louis 14 endort les parlements, en leur disant qu’ils ne peuvent faire des remontrances qu’après avoir enregistré la loi. Il ne réunit plus les États généraux.

On entre dans une monarchie de droit divin.
C’est une idée développée par Bossuet, qui est un évêque/théologien, qui écrit que le roi prend son pouvoir directement de Dieu → il est sacré.

L’absolutisme se traduit dans le monde des affaires : le roi gouverne l’économie et les affaires.
C’est une nouveauté, parce qu’auparavant on laissait beaucoup les commerçants s’organiser eux-mêmes (ils devaient simplement s’homologuer).

À partir de Louis 13 et Louis 14, on voit l’instauration d’une véritable politique économique, qui aura une influence très importante pour le droit des affaires.
Le roi conduit les affaires.

§ 1. Le commerce réglementé : la mise en œuvre du mercantilisme

Le mercantilisme est une théorie née sous Henri IV via son ministre des finances Sully.
Idée : l’État doit conduire l’économie en conservant un maximum de richesses à l’intérieur du pays et en rayonnant dans le commerce international.

Cette théorie ne sera mise en application que sous Louis 13, avec son ministre Richelieu, mais surtout sous Louis 14, avec son ministre Colbert, qui applique cette théorie à sa façon à lui, que l’on appellera le colbertisme.

I – Une théorie propre à l’absolutisme

L’idée générale du mercantilisme est d’enrichir les nations par l’accumulation des richesses.
Ces richesses peuvent être des marchandises, et notamment les marchandises que l’on gagne avec les colonies.

En Angleterre, il existe aussi le bullionisme qui est un courant de pensée qui repose sur la conviction que la quantité de métaux précieux détenue par un pays est la mesure de sa richesse. C’est aussi une théorie mercantiliste basée sur l’accumulation des métaux précieux ; le colbertisme va plus loin avec l’accumulation de toutes les richesses.

Colbert développe l’industrie de luxe : Montesquieu écrira ensuite dans L’Esprit des lois (1748) qu’il voit le luxe comme un bienfait économique.
Idée : on produit sur le territoire français des produits de luxe sont des produits extrêmement précieux, qui seront estampillés français, ce qui va attirer les plus riches du pays + qui vont se vendre à l’étranger pour faire entrer des capitaux et améliorer l’image du pays.
À l’époque, les produits de luxe sont la faïence, la soie et autres tissus, les miroirs, la porcelaine, le cristal…

Il crée des manufactures, qui entrent en concurrence avec les corporations.
Il encourage la création de grandes compagnies commerciales.
→ Modification du paysage économique.

Ce système utilise l’un des ressorts juridiques de l’absolutisme : le monopole.
L’État n’hésite pas à octroyer des monopoles d’État à ces manufactures et ces grandes compagnies commerciales.

Colbert dira qu’il est pour la liberté du commerce, parce qu’il considère que le fait que le roi concède la possibilité de faire des monopoles est une liberté.
C’est une liberté collective → on laisse aux commerçants le droit de faire.

→ Économie dirigée, favorisée par le pouvoir.

Le mercantilisme connaît ensuite une évolution sous la Régence avec le néomercantilisme.

💡
La Régence est une période particulière qui s’étend de 1715 à 1723 : pendant la période entre la mort de Louis 14 et l’arrivée sur le trône de Louis 15, Philippe d’Orléans est le régent.

Philippe d’Orléans écoute les conseils de l’écossais John Law et adopte l’idée du néomercantilisme, qui élargit le mercantilisme au domaine des banques et des finances.
John Law devient même ministre des Finances et met en place le système de Law (prononcé “lass”).

Idée : créer une banque d’État qui émet du papier monnaie en échange de l’or.
On dit aux personnes d’apporter leur or, en échange duquel on leur donne du papier monnaie.
On peut même payer les impôts avec le papier-monnaie.

Law crée aussi en 1717 une grande compagnie maritime : la Compagnie des Indes, qui englobe toutes les autres compagnies de commerce qui existaient à l’époque.
Elle a un monopole d’exploitation de 25 ans et elle reçoit le monopole d’émission des billets.

Elle émet des actions (même s’il n’y a pas encore de lieu physique, la compagnie était située rue Quincampoix, au futur lieu de la Bourse de Paris) et des billets.
Au départ, les actions ont un tel succès que leur cours est multiplié par 3000 → on fait de la spéculation avec ces actions.
On peut payer ces actions en billets, mais les deux reposent sur de l’or que la Compagnie est sûre de trouver au Mississipi ; mais, au final, l’or du Mississippi n’arrive pas.
Les deux se mordent finalement la queue sur leur base en or.

Certains individus puissant et jaloux, qui n’aiment pas la compagnie, commencent à diffuser de fausses nouvelles sur la compagnie, au point où le public demande le remboursement en liquide de leur actions.
En 1720, ceci ne tient plus et entraîne la banqueroute de Law = un gros krach boursier.
Malgré ce krach, la compagnie réussit à éponger une grande partie des dettes de Louis 14 et à renflouer les caisses de l’État.

La banqueroute de Law crée une grande peur du papier monnaie ; on arrêtera donc d’en émettre jusqu’à la Révolution (où ça se passera mal), puis sous Napoléon avec la Banque de France.

Dans les années 1750, l’impact des Lumières amène l’idée de libéralisme.
Pour les physiocrates (école de pensée économique dont la thèse centrale est que la valeur provient de l’agriculture, et que cette dernière doit être laissée à elle-même), il faut absolument appliquer le libéralisme.
Parmi eux, il y a Quesnay, médecin de Mme de Pompadour. Il est très intéressé par la circulation sanguine et il se dit que le sang circule bien quand il n’y a rien qui bouche les veines ; sur cette base, il milite pour la liberté de circulation des grains pour que tout circule bien.
Gournay développe également l’idée du “Laisser passer, laisser faire”.

Après eux, les économistes ont eux aussi des idées libérales, mais beaucoup plus générales.
Pour eux, ce ne sont pas que les produits agricoles qui doivent être en libre circulation, mais toutes les marchandises.
Dupont de Nemours et Turgot militent pour la libre circulation du commerce et de l’industrie.
Turgot veut par exemple libérer les métiers en abolissant les corporations. Avec 2 édits, il libère les corporations et la circulation des grains ; mais son libéralisme arrivera trop tôt, ce qui entrainera son échec à ce moment.

En revanche, en 1786, un traité de libre-échange est conclu entre la France et l’Angleterre.

II – Le rayonnement extérieur

Ici, toujours dans l’idée de rayonnement international, on veut briller sur les mers.
Pour ceci, l’État favorise la création des compagnies à privilèges ; par la suite, il met en place un système anti-libéral appelé l’Exclusif colonial, où l’État dicte aux compagnies comment commercer.

A – Les compagnies à privilèges

Ces compagnies apparaissent au 17e siècle ; on en voit les toutes premières avec Richelieu, mais elles n’auront pas grand succès.

Il faut attendre 1648 pour que l’Atlantique soit totalement libérée.
Elles voient quand même voir le jour avec la Compagnie du Morbihan et la Compagnie des Indes orientales. Ces dernières ne vont pas encore aux Amériques, mais elles sont installées en 1625 avec un système de monopole + des privilèges.

En faisant ceci, Richelieu imite des systèmes qui existent déjà en Angleterre et en Hollande.
En effet, la Compagnie des Indes hollandaise existe déjà depuis 1602 (mais cette dernière a accès au commerce vers les Amériques).

Pour pouvoir être constituées, elles doivent obtenir l’autorisation du roi par lettres patentes (= des lettres ouvertes, visibles par tous).
Le roi autorise la constitution de ces sociétés par actions, qui divisent leur capital en titres d’actions.
Ces titres sont achetés par des actionnaires ; au départ, ce sont des titres nominatifs : il n’y a pas encore un grand marché des actions.
Ces actionnaires reçoivent des dividendes.

Toutefois, le roi et sa famille royale prennent au moins 20% des actions.
De plus, Colbert met en place une surveillance de la souscription des actions de ces compagnies. Il oblige les officiers et les secrétaires d’État (= ancêtres des ministres) à détenir des actions.

Le roi, au moment où il constitue la compagnie, lui attribue des privilèges (= petites lois privées).
Ces privilèges sont inscrits dans une charte : c’est pour cela que l’on parle de compagnies à privilège ou de compagnies à charte.

Parmi ces privilèges, elles reçoivent même des droits régaliens, qui sont liés leur mission de colonisation. Cette mission de colonisation participe à la volonté du roi de faire rayonner le Royaume à l’extérieur.
C’est ainsi que l’île de Madagascar devient propriété de la Compagnie des Indes occidentales en 1664.

Parmi ces droits régaliens, elles ont des droits de justice, des droits de commandement… elles s’installent dans ces colonies et ont des droits similaires à ceux du roi.
Ces privilèges sont attribués pour de très longues années (souvent 30 ans).

Le roi attribue aussi à ces compagnies des monopoles économiques : elles reçoivent un monopole commercial sur certains ports ou certains comptoirs qui leur étaient réservés.
Dans ces comptoirs, elles actionnent notamment le commerce triangulaire : acheminement des esclaves pour exploiter les champs de coton / de canne à sucre / …

Le commerce triangulaire part de l’Europe, où les bateaux sont chargés de marchandises ; ils s’arrêtent en Afrique, pour les échanger contre des esclaves ; ces derniers sont amenés aux Amériques pour servir de main d’œuvre.
Louis 16 interdit l’esclavage en métropole en 1772 : à partir du moment où un esclave met pied sur le sol français, il est affranchi et doit être rémunéré.

Ces compagnies ont aussi une mission d’évangélisation.
Ils apportent aussi des femmes blanches pour les hommes blancs pour éviter les mélanges.
Il y a aussi des compagnies biologistes qui se déplacent pour étudier et déplacer les produits.

Ces compagnies connaissent toutefois des débuts difficiles, autant sous Richelieu que sous Colbert.
Elles étaient souvent un peu trop ambitieuses.
Exemples : la compagnie des Indes occidentales, des Indes orientales, du Levant, du Nord, de Chine, du Sénégal, …
C’est John Law, en 1717, qui trouve une solution en initiant la fusion de 5 grosses compagnies en une unique Compagnie des Indes.

B – L’Exclusif colonial

Pour protéger ce système du commerce maritime, le roi met en place une protection supplémentaire : l’Exclusif colonial.

L’Exclusif colonial, que l’on appelle aussi l’Exclusif ou le Pacte colonial, est un système mis en place avec 2 ordonnances royales de 1717 et 1727.
Il s’agit d’une série de lois prohibitives sur le commerce étranger dans l’économie.
Idée : éviter que le commerce des compagnies étrangères ne gêne le commerce français.

La plus importante de ces mesures est que les colonies ne peuvent pas faire de commerce entre elles, ni avec des puissances étrangères : elles doivent obligatoirement passer les bateaux des compagnies à privilège.

Le roi décide donc d’installer des ports privilégiés, qui sont tenus par ces compagnies privilégiées, et dans lesquels on commerce avec les colonies.
Il y a 13 ports privilégiés en 1717 et 20 en 1763.

Dans ces ports privilégiés, il y a très peu d’impôts pour éviter la contrebande.
Il existe même des ports francs, où on ne paie aucun impôt.
Les compagnies gagnent très peu en taxes directes, mais elles gagnent beaucoup grâce au protectionnisme.

Il est interdit de faire entrer des produits étrangers dans ces ports.
Les bateaux des compagnies étrangères n’ont pas le droit de s’approcher à moins d’1 lieue des côtes.
Il y a beaucoup de contrebande dans ces lieux, sanctionnée par la peine de mort.

Ce système est critiqué dès 1765, mais il faut attendre 1783 pour que soit créé l’Exclusif mitigé, qui permet l’installation d’entrepôts étrangers autorisés par le roi, mais qui ne pourront entreposer que certains produits listés.

Les critiques libérales portent aussi sur le système des privilèges en général.
On voit qu’à partir de 1753, la Compagnie des Indes perd le privilège l’Inde orientale ; elle perd ensuite celui de l’Océan Indien en 1759 ; mais elle récupère tout en 1783.
En effet, à partir des années 1750, le libéralisme économique commence à infléchir le mercantilisme et le protectionnisme de la politique du royaume.
On limite donc les privilèges ; toutefois, la compagnie récupère tous ses privilèges en 1783.
La Compagnie des Indes est supprimée en 1789.

III – La direction intérieure

A – La règlementation des communautés de métiers

Les édits de 1581 et 1597 généralisent encore + le système des corporations : tout nouveau métier qui se constitue est obligé de le faire en corporation.
Colbert, le 23 mars 1673, au moment de l’ordonnance sur le commerce, rappelle l’obligation de s’organiser en corporations (certains ne l’étaient pas encore).
À Paris, on parle aussi de métiers jurés.

Après ce rappel, on passe à Paris de 60 corporations à 129.

Colbert ne s’arrête pas là : à partir de 1673, il veut moderniser les statuts des corporations en imposant des statuts types.

On a vu que la jurande (= ceux qui sont en haut des corporations) avaient parmi leurs membres des gardes (= l’équivalent des inspecteurs techniques).
Colbert fait disparaître les gardes, pour leur substituer un corps spécial d’inspecteurs nommés par le roi et rattachés au Bureau du commerce.
Colbert dit que c’est pour assurer le prestige de richesses intérieures.

Ces corporations subissent des critiques.
La première est la tendance à l’hérédité, qui crée petit à petit une sorte de plafond de verre
qui empêche les compagnons de devenir maîtres et certains maîtres de devenir jurés.

En effet, à partir de 1691, les fonctions des jurés deviennent vénales = on doit payer pour devenir juré. On achète pour cela une charge au roi → ce système est critiqué, car il est moins démocratique.

De même, on se rend compte qu’il est difficile, quand on est compagnon, de devenir maître.
Pour devenir maître, il faut réaliser un chef d’œuvre (= pièce qui montre son savoir-faire) après un tour de France et le présenter devant des maîtres.
Mais réaliser un chef d’œuvre coûte cher. Par ailleurs, un usage se met en place, qui veut que le compagnon offre un immense banquet le jour de la présentation de son chef d’œuvre.
Les compagnons commencent donc à se réunir en compagnonnage pour payer le chef d’œuvre d’un compagnon.

L’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 interdit les banquets ; cela est réaffirmé en 1581, ce qui signifie que l’usage continue…

Louis 14 tente d’imposer aux corporations un certain nombre d’enfants orphelins qui doivent devenir maîtres → on essaie d’ouvrir davantage les corporations.

Le système des corporations est critiqué pour sa tendance à l’hérédité, pour le fait qu’il porte atteinte à la libre concurrence…
On leur attribue aussi des privilèges de fabrication et de vente qui pénalisent la concurrence → affaiblit l’économie.

En 1776, Turgot (le ministre des Finances de Louis 16) met en place l’édit de Turgot, qui supprime toutes les corporations.
Cet édit est une catastrophe : le lendemain, les corporations manifestent et, de manière surprenante, les compagnons sont les plus nombreux parmi les manifestants.
L’édit est abrogé 7 mois plus tard.
La libéralisation du commerce des grains est faite au même moment et est elle aussi un échec.

B – Les manufactures

Les manufactures apparaissent à la fin du 17ème siècle, mais surtout au 18ème siècle.

Dans ces manufactures, on concentre le travail en embauchant un grand nombre de personnes.
→ Apparition de l’ouvrier.
La manufacture utilise une main d’œuvre, mais aussi la machine, et notamment le métier à tisser.

À cette époque, les manufactures participent au colbertisme et à la volonté de développer une industrie de luxe.
Elles se développent en dehors du circuit des corporations et sont sous la surveillance du ministre des Finances.
Leur constitution est soumise à l’autorisation du roi, qui leur attribue des monopoles de fabrication et des privilèges.

Il existe 2 types de manufactures :

  1. Dans la manufacture d’État, le roi est l’entrepreneur.
    Il nomme un régisseur chargé du fonctionnement de la manufacture.
    Ces manufactures gèrent souvent les produits qui concernent la Cour et les produits de l’État.

    Par exemple, la savonnerie et les ateliers militaires étaient des manufactures d’État.

  1. Les manufactures royales sont beaucoup plus nombreuses et fonctionnent comme les compagnies à privilège.
    Ce sont des compagnies privées, subventionnées par l’État, qui disposent de privilèges.

    Par exemple, la manufacture de Saint Gobain, fondée en 1665, se voit attribuer le privilège de la verrerie de Milano : elle seule peut utiliser ce procédé de fabrication.

    L’État s’implique en se faisant recruteur : il encourage l’appel à des ouvriers étrangers pour leur savoir-faire.

    Ces manufactures sont nombreuses.
    Par exemple, la porcelaine et la faïence.
    Par exemple, la manufacture d’Oberkampf est connue pour être le créateur de la toile de Jouy.
    Il y a aussi des manufactures avec de la métallurgie, comme celle de Wilkinson en 1770.

    Ces manufactures seront la base des futures usines industrielles.

Ce grand nombre de manufactures cherche à assurer le prestige de l’industrie française.
Dans ces corporations, on impose des marques et des poinçons qui garantissent la provenance de ces produits → naissance de la marque.

L’État réglemente également certains règlements de travail.

Ces manufacturent étaient soumises à des contrôles du corps des inspecteurs créé en 1673 pour surveiller les corporations.

Ces manufactures sont critiquées par les libéraux à cause de la présence de l’État (directe dans les manufactures d’État, tutélaire dans les manufactures royales).
Elles sont aussi critiquées par les corporations, qui sont en concurrence avec elles, notamment dans les domaines où il y a une manufacture et une corporation sur le même domaine (par exemple, les manufactures et corporations de porcelaine).

À cette époque, on constate aussi le développement de l’industrie minière et de l’industrie de Javel.

§ 2. La représentativité des commerçants

Le roi veut gouverner avec son administration et en même temps connaître les commerçants.
Pour cela, il utilise les chambres de commerce, puis le Bureau du commerce.

I – Les Chambres de commerce

A – La création et l’organisation des chambres

Les chambres de commerce s’étaient développées spontanément : les commerçants se réunissaient pour tenir au courant le roi.
La toute première est la chambre de commerce de Marseille, créée en 1599. Elle est au départ rattachée à la ville de Marseille avec des officiers municipaux, puis elle devient autonome en 1650.

Ces chambres vont se créer peu à peu.
À partir de 1700, lorsque le Bureau de commerce sera créé, toutes ces chambres de commerce installées dans les villes commerçantes vont élire un représentant qui va y siéger.

Une décision royale de 1701 généralise l’institution des chambres de commerce : en 1701, le roi décide que dans toutes les villes où il n’y a pas de chambres de commerce, elles doivent être créées.
→ Toutes les villes vont avoir une chambre de commerce.

Ces chambres comptent 5 à 10 membres élus. Ce sont très souvent des membres du corps de la ville (souvent, le maire est un membre de droit de la chambre de commerce).
Ces membres forment la chambre de commerce.

Les requérants y sont accueillis pour toutes leurs demandes.

On prend ensuite conscience d’une lacune dans la composition des chambres de commerce : on ne voit pas de représentants des manufactures (= les fabricants).
C’est l’indentant Trudaine qui pousse dans les années 1730 les chambres de commerce à intégrer dans leurs membres des fabricants de manufacture.
💡 Trudaine est surtout connu pour avoir développé le corps des ponts et chaussées et le réseau routier français.

B – Les attributions des chambres

Les attributions des chambres de commerce sont essentiellement consultatives.
Elles élisent chacune 1 représentant qui va siéger au bureau de commerce.

Ce député va porter avec lui le cahier de doléances des commerçants.
→ Il fait passer l’intérêt local au niveau national.

L’autorité royale les consulte pour qu’elles rendent des avis.
On voit des clans qui se forment, avec des idéologies opposées : les libéraux (par exemple, les fabricants de vin) s’opposent à ceux qui sont favorables au protectionnisme (par exemple, les fabricants de textile).
Il est intéressant de voir que la confrontation entre libéralisme et protectionnisme existe depuis l’Antiquité.

Toute une doctrine de droit commercial se développe dans ces chambres : des experts en droit commercial y conseillent les commerçants et forment peu à peu une doctrine.

Les chambres de commerce ont par ailleurs certaines tâches d’administration.
Par exemple, à Marseille, c’est la chambre de commerce qui veille à l’entretien du port.

Au 18e siècle, sous l’Ancien Régime, on comptera 11 chambres de commerce.
En 1791, elles sont sans surprise supprimées ; mais Bonaparte les rétablit en 1802.

II – Le Bureau du commerce

Le Bureau du commerce est une institution spécifique, destinée à représenter les intérêts généraux du commerce.
Ce Bureau est constitué des députés des chambres de commerce.
L’objectif du roi est d’avoir un organe central pour demander des avis et d’écouter les doléances des commerçants.

Cet organe central mettra du temps à s’installer.
Sous Henri 4, son ministre des finances Sully tente d’organiser un Conseil de commerce avec une douzaine de membres, mais ses activités cessent vite.

L’idée est reprise par Colbert, qui crée un Conseil de commerce en 1669, mais il ne le fait qu’avec les ministres concernés par les affaires. Il finit par supprimer rapidement ce Conseil en 1676.

Ce n’est qu’en 1700 qu’on recrée un Conseil de commerce, qui prendra en 1722 le nom de Bureau de commerce en 1722.

Voir : Conseil et bureau du commerce — Wikipédia.

On y examine toutes les propositions et les requêtes.
Il est composé d’1 membre de chacune des 11 chambres de commerce + 1 membre qui représente les îles.
On ajoute à ces 12 représentants des conseillers d’État + les ministres des Finances, de la Marine, des Affaires étrangères + des intendants de commerce.

Les représentants n’ont pas de voix délibérative : seuls les représentants du pouvoir royal (les ministres) votent.
Mais l’avis du Bureau est très important
: ils rédigent un “Avis du Bureau du commerce » que le roi a tendance à suivre.

Le Bureau a une influence sur la législation : on y voit se rédiger des projets de texte.
→ Pouvoir politique très important.

Lorsque, dans ce Bureau de commerce, se trouvent des intendants comme Trudaine et Gournay, ils font évoluer la politique royale vers le libéralisme.

Bonaparte transforme cet organe purement consultatif en organe délibératif.

Section 2 : L’invention d’un droit pour les marchands au Moyen Âge et sous la Renaissance

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des affaires (L2).

§ 1. Le monde des marchands créateur de règles nouvelles

Le Moyen Âge commence en 476, avec la chute de Rome, et dure jusqu’en 1453, avec la fin de la Guerre de Cent Ans, la chute de Constantinople et début de l’empire Ottoman.
La Renaissance commence ensuite à la fin du 15e siècle et au début du 16e siècle.

Les historiens scindent parfois le Moyen Âge.
Le Haut Moyen Âge est surtout marqué par la féodalité.
Il y a un roi et un territoire royal, mais partout autour on a des seigneurs, à cause de l’affaiblissement de l’empire carolingien.
La société est marquée par les liens vassaliques.
Le Roi n’est qu’un seigneur parmi tant d’autres, mais à partir du 11e/12e siècle, il est reconnu comme suzerain (= le seigneur des seigneurs → il n’est le vassal de personne).
→ Apparition de la figure royale.

À partir du 12e siècle, on connaît un renouveau économique. On parle parfois de “1ère renaissance”.
En effet, on invente le soc, lame de terre qui tranche le sol et qui permet d’aller beaucoup plus vite. Cette invention technique permet de produire plus : on a même du surplus !
C’est aussi une période où certaines choses sont en train d’évoluer : on bouge géographiquement (ex : les croisades) + les marchands apparaissent.

Les marchands, qui au début sont des nomades qui vendent leurs produits dans les seigneuries, commencent à se regrouper dans des marchés et dans des foires ; ils finissent par se sédentariser et créer des villes.

3 possibilités :

  1. Soit le seigneur les accueille et en fait une ville à lui (prévôté) : il installe un agent, et cette ville apporte de la richesse à sa seigneurie.
  1. Parfois, ces marchands veulent créer une ville dont les seigneurs ne veulent pas : cela crée de véritables guerres. À l’issue de la bataille, ces villes deviennent autonomes.
  1. La ville s’installe et négocie une charte avec le seigneur : il met pas son prévôt, mais en contrepartie cette ville est vassale.

Ce mouvement des villes profite au roi.
Il apporte son aide à la création et à l’émancipation des villes.

On assiste aussi à la création de ligues internationales de marchands, qui font circuler des échanges entre l’Italie et les Flandres dans d’immenses foires.
Par exemple, les Foires de Champagne sont des foires immenses dans lesquelles ces gros marchands internationaux vont se croiser.

Ce mouvement est affecté par la Guerre de Cent Ans (la guerre n’est jamais bonne pour le commerce).

Grâce à ces échanges, on voit apparaître de nouvelles techniques.

2 énormes contraintes forcent les marchands à s’adapter :

  1. L’insécurité : les commerçants doivent s’adapter aux dangers et développer des techniques comptables et bancaires telles que l’assurance.
  1. L’Église : à partir de la réforme grégorienne, l’Église fait figure d’universelle et impose ses règles, sa morale et son dogme.
    1 chose heurte les commerçants : l’interdiction du prêt à intérêt par le droit canonique → impacte sérieusement le droit des affaires et la vie du commerce.

§ 1. Le monde des marchands créateur de règles nouvelles

I – Une activité subversive face aux cadres traditionnels

A – L’émancipation du marchand face à l’économie seigneuriale

Les marchands se déplacent le plus souvent en caravanes.
Pour pouvoir pénétrer dans les seigneuries et pouvoir vendre, ils doivent obtenir l’accord du seigneur, qui fait payer des taxes.
→ Ils doivent se conformer aux lois du seigneur + ils sont justiciables du seigneur.

Avec l’augmentation du monde des marchands, certains seigneurs créent des grandes foires, notamment en Champagne.
Pour attirer les marchands, les comtes de Champagne leur attribuent des privilèges : ils garantissent leur sécurité et lèvent l’interdiction du prêt à intérêt dans la foire.

Pour gagner en liberté face aux seigneurs, ces marchands finissent par se regrouper et s’organiser en corporations (spontanées cette fois-ci !), afin de tenter d’obtenir des libertés et des franchises auprès des seigneurs.
Ils créent même des villes à plusieurs corporations et marchands !
≠ les prévôtés sont des villes seigneuriales.

Dans ces villes, les marchands commencent à avoir un rôle politique, à créer des institutions politiques, à créer une hiérarchie avec les bourgeois…
Ils créent de véritables institutions, et notamment des beffrois (= tours de gardes), des murailles, des places fortes…
Ces villes fonctionnent un peu comme des seigneuries, mais de manière oligarchique.

« L’air de la ville rend libre ».

À Paris, la corporation de l’approvisionnement par eau fluviale est une puissante corporation qui existe depuis 1170. C’est elle qui constitue la 1ère municipalité de Paris.
D’où l’expression fluctuat nec mergitur !

Le roi Saint Louis décide de réformer cette municipalité.
Il discute avec leur chef pour en faire un prévôt des marchands.

Il y a donc, à Paris, une gestion à 2 têtes, avec un prévôt des marchands + un prévôt de Paris institué par le roi.

Dans ce mouvement d’émancipation urbaine, des villes se créent.
Avec les villes, le commerce s’épanouit : magasins, places marchandes, foires…

Les foires de Champagne sont les foires les plus connues.
Elles vont notamment accueillir des marchands internationaux, avec une organisation qu’on appelle la Hanse (on les appelle les hanséates).

Une hanse est une association de marchands au Moyen Âge.
On distingue 2 hanses :
> l’une part du sud de l’Italie et remonte vers l’Europe ;
> l’autre est située vers la mer Baltique.

Ces marchands sont très organisés : ils se déplacent ensemble et s’organisent ensemble, avec 1 assemblée générale qui réunit 70 cités de toute l’Europe (elle a un rôle consultatif).

Les hanséates peuvent communiquer avec les souverains.
Ils ont par exemple pu obtenir la protection royale du roi d’Angleterre, qui leur permet d’installer des convois à Londres.

Cette Hanse est une organisation puissante : elle est même dotée de sa propre armée.
C’est une organisation internationale qui n’est pas rattachée à un souverain en particulier, et qui quelque part est elle-même souveraine.

Ils ont même un style : celui des maisons en brique rouge, que l’on retrouve notamment à Amsterdam.

Ils bénéficient aussi de règlements avantageux qui leur permettent d’installer des comptoirs, notamment en Belgique et en Russie.
Ces comptoirs sont des endroits d’échange qui leur appartiennent.

Ils obtiennent des contrats avantageux.
Dans certains territoires, ils obtiennent le droit d’épave (= le droit de récupérer les bateaux échoués sur les côtes).

La hanse sera très puissante, mais elle commence à décliner au 15e siècle, lorsque d’autres marchands apparaissent et que beaucoup de marchands commencent à se sédentariser.
Cette organisation perd alors en importance.

Le commerce bouscule aussi d’autres cadres, notamment le cadre religieux :

B – Une évolution nécessaire face à la prohibition canonique du prêt à intérêt

La prohibition du prêt à intérêt est la prohibition de l’usura (« intérêt »).
⚠️ De nos jours, quand on dit « usure », on pense uniquement à l’intérêt excessif.

L’Église interdit le prêt à intérêt à partir du 11e/12e siècle, parce qu’à cette époque, la royauté a perdu en vigueur : après Charles le Chauve (9e siècle), c’est la féodalité.
L’Église fait alors figure d’autorité universelle dans le territoire : au-dessus du pouvoir des seigneurs, elle impose petit à petit son droit et sa manière de voir, notamment avec la réforme grégorienne menée au 11ème siècle par le pape Grégoire 9.

L’Église s’intéresse à l’économie.
Depuis longtemps, elle n’aime pas les marchands, et encore moins le prêt à intérêt.
Voir déjà, dans la Bible : Jésus qui chasse les marchands du temple.

Dans le Décret de Gratien (12ème siècle), qui est un gros livre qui réunit un grand nombre de décisions ecclésiastiques + la propre doctrine de Gratien, il écrit que « le marchand ne peut plaire à Dieu, ou difficilement ».
Plus tard, le théologien St Thomas d’Aquin, dans La somme théologique (13e siècle) écrit “il est plus difficile à un riche d’entrer au paradis qu’à un chameau de passer dans le chas d’une aiguille”.

L’Église s’attaque au prêt à intérêt, qu’elle interdit dans la société française à partir du 11e siècle.
Mais cette interdiction a des racines + anciennes : en effet, l’Église se fonde d’abord sur des raisons empiriques (= ce qu’on a appris de l’expérience) pour interdire le droit à intérêt.

  • On voit que, quand il y a des intérêts trop forts, il y a de l’usure → l’argent devient cher, ce qui met en danger l’économie.
  • Elle s’appuie sur des raisons morales générales : condamnation de l’esprit de lucre.
  • Elle s’appuie sur des raisons plus théologiques / philosophiques, qui disent que l’usure est contre nature.
    En effet, lorsque l’on plante un grain dans la terre, il fait une plante.
    Lorsque l’on plante de l’argent, l’argent ne se reproduit pas ; il est donc contre-nature de décider soi-même que l’argent va créer de l’argent.
    💡 Cet argument était déjà donné par Aristote, un laïc.
  • Elle s’appuie sur une raison religieuse : les théologies disent que « le temps n’appartient qu’à Dieu » ; or, le préteur prend le temps à son profit.
  • Elle s’appuie sur une raison théologique et sociétale : la relation au travail.
    Pour l’Église, c’est le labeur qui justifie un enrichissement : le verset 19 du chapitre 3 de la Genèse affirme que « à la sueur de ton front tu gagneras ton pain ».
    Or, on estime que le préteur à intérêt ne travaille pas (même si le préteur prend un risque…).

Quand l’Église s’impose dans la société, des tribunaux civils la suivent.
L’Église applique sa peine (→ l’excommunication), mais elle est relayée par les tribunaux civils qui condamnent eux aussi l’usure.
En 1787, le Parlement de Lyon condamne encore un préteur qui a prêté à 2%.

Dans la société à cette époque, les marchands catholiques doivent se tourner vers des non catholiques (parce que le droit canonique ne s’impose qu’aux catholiques).
Il y a 3 types de personnes qui vont pratiquer du prêt à intérêt à cette époque :

  1. Les juifs.
  1. Les lombards, qui sont des chrétiens qui viennent de régions où le prêt à intérêt est légalisé.
    En effet, à l’époque, l’Italie est chrétienne, mais les villes marchandes ont gardé une certaine liberté vis-à-vis de l’Église.
  1. Les cahorsins, qui sont des banquiers et préteurs chrétiens usuriers.
    La ville de Cahors était une place bancaire très importante au Moyen Âge.

Certains ordres mendiants ont aussi voulu que le prêt à intérêt soit possible.
Idée : on ne prête qu’aux riches, parce qu’on sait qu’ils vont nous rembourser → comment vont faire les pauvres ?
Cette prohibition aura un effet important sur leurs activités.

En 1236, le pape interdit le prêt à la grosse aventure.

Les marchands vont inventer des techniques pour se détourner de ces interdictions.

Cette prohibition explique le retard des pays catholiques sur les pays protestants.
Le protestantisme est né en 1517 avec Martin Luther, qui proteste contre l’Église et propose sa réforme. Ce qu’il déteste, c’est qu’avec l’Église catholique il y a un ministre de Dieu entre les dieux et les hommes.
Par exemple, selon lui, il n’y a pas besoin du sacrement du mariage → on laisse les hommes se marier.
Ce qui déteste le plus Luther, ce sont les indulgences ; voir

Calvin, un autre moine protestant, considère qu’il faut autoriser le prêt à intérêt.
Pour les protestants, ce n’est pas mauvais de faire du prêt à intérêt : les protestants sont déculpabilisés vis-à-vis de l’argent.

Cette doctrine avancée par le philosophe Marx Weber au début du 20e siècle, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Il y explique que les nations catholiques sont + en retard.

En France, les protestants sont poursuivis, sauf entre 1598 et 1685 (le temps de l’édit de Nantes).
À partir de l’édit de tolérance de 1787, certains reviennent et installent des « maisons de Haute banque » (= banques).

En 1789, il n’y a plus de prohibition du prêt à intérêt, mais cela va rester dans les façons de faire des banques gérées par des catholiques.

II – L’adaptation de la pratique au renouveau des affaires

Au Moyen Âge et sous la Renaissance, on assiste à l’apparition de nouvelles pratiques et de nouvelles règles qui forment un embryon de droit commercial.

A – Les foires et la naissance d’un droit des marchands

1) La création d’institutions originales

Le commerce a besoin de rapidité et de simplicité ; il faut donc mettre en place très tôt des juridictions qui vont permettre un règlement rapide des procès.

Dans certaines villes, on crée des tribunaux consulaires (= les commerçants créent leurs propres tribunaux).
Mais, surtout, on voit se mettre en place ce genre de tribunaux dans les foires.

Les foires sont une sorte d’immense marché éphémère ; dans ces foires, se mettent très rapidement en place un grand nombre d’institutions → droit des foires.

L’autorité en place chez laquelle s’installe la foire (seigneur, comte, roi…) désigne des officiers qui seront là pour veiller au maintien de l’ordre → mise en place d’une véritable police de foire par le seigneur du lieu.
Cette police de foire veille au maintien de l’ordre, mais vérifie aussi la qualité des marchandises, leur provenance et les poids et mesures.
💡 Ce n’est que sous la Révolution française qu’on unifie les poids et mesures.

On surveille les cours des monnaies, parce que les monnaies sont différentes.
On recommence à utiliser la monnaie surtout à partir du 12e siècle, mais chaque seigneur peut battre sa propre monnaie → travail essentiel du changeur.

Les marchands eux-mêmes vont au-dessus de ce droit des foires, en mettant en place des gardes des foires, qui ont des pouvoirs de justice et de police.
Ils sont compétents pour tout litige qui survient dans la foire.

En cas de problème sur une vente, un contrat… ces gardes ne sont pas compétents, parce qu’ils ne sont pas très calés en affaires ni en droit.
Les marchands préfèrent donc organiser leurs propre juridictions internes.

Dans les villes, on voit de + en + se constituer des tribunaux consulaires, comme ceux qui existaient dans l’Antiquité, qui ont la particularité d’être paritaires.
Encore aujourd’hui, les tribunaux du commerce sont des tribunaux consulaires et paritaires !

On les voit surtout s’implanter à partir du 15ème siècle.
La 1ère juridiction dédiée aux marchands est fondée en 1419 : la Conservation des foires de Lyon.

Ils ont des compétences à la fois :

  1. Rationae materiae : compétence sur les biens vendus dans la foire ;
  1. Rationae personae : compétence sur les personnes (= les commerçants) ;
  1. Rationae loci : compétence de lien (→ ils s’occupent des procès ayant lieu dans la foire ou nés sur la foire).

Ces juridictions, qui n’étaient là qu’au moment des foires, finissent par s’implanter de manière permanente dans les villes avec une activité économique importante.

Elles constituent l’embryon du droit commercial, puisqu’elles appliquent les coutumes des commerçants (+ les règles du lieu lui-même) et fixent petit à petit le droit avec leurs décisions.

Les foires prennent surtout place aux 13ème et 14ème siècles.

Dès le 13ème siècle, on met en place dans les foires un notaire, qui est une personne qui a la possibilité de rendre un acte probant et de l’authentifier.
Ce notaire, qui est également choisi et mis en place par les autorités, porte le sceau de la foire, qui va donner une force probante et exécutoire à certains documents.

Tous les marchands n’utilisent pas le notaire (beaucoup d’actes se passent sous seeing privé) ; mais quand on a besoin d’une force probante supplémentaire, on recourt au notaire.
Les créanciers qui ont un acte qui porte ce sceau peuvent le présenter aux gardes des foires pour exécution.

De même, sur place, les officiers peuvent délivrer des mandats d’exécution, que l’on appelle les lettres de foire.
Elles permettent de poursuivre un débiteur jusque dans la juridiction de son habitation.
→ Le droit des foires s’exporte au-delà des foires.

Ainsi, un débiteur qui a une dette avec un marchand de la foire peut être poursuivi en dehors de la foire grâce à ce mandat d’exécution.
La juridiction de domicile du débiteur peut organiser la saisie des biens du débiteur récalcitrant.

L’officier a un moyen de pression supplémentaire auprès de cette juridiction : la défense des foires.
Par la défense des foires, on incite la juridiction du lieu du débiteur à exécuter le jugement.
Si la juridiction refuse de mettre en exécution ce jugement auprès du débiteur récalcitrant, les officiers de la foire peuvent décider que les ressortissants du lieu de cette juridiction ne seront plus autorisés à venir à la foire.

Le créancier qui détient un acte notarié peut, sans passer par l’officier, utiliser son acte avec le sceau de la foire pour poursuivre jusque chez lui le débiteur.
Droit de suite.

Celui qui refuse de payer peut être contraint par corps, c’est-à-dire enfermé en prison jusqu’à ce qu’il ait payé sa dette.

Ces lettres de foire permettent à ces créanciers d’être privilégiés par rapport aux autres créanciers du débiteur en question.
Ce système s’appelle la rigueur des foires.

On voit ici la mise en place de tout un système au sein des foires, avec des moyens de justice mis en place par les autorités + par les marchands eux-mêmes.
→ Invention d’un droit propre à la foire.

Mais comment le droit des contrats et des obligations évolue avec les commerçants ?


2) Le droit des obligations renouvelé

a) Un renouvellement pragmatique

Les techniques commerciales s’affinent avec le développement du commerce.

La 1ère technique qui montre cette modernisation est celle de l’assurance.
On voit en effet apparaître au 14e siècle les 1ers contrats d’assurance.

L’assurance naît d’un besoin de sécurité. Lorsque l’on fait du commerce, on prend des risques, et on veut réduire ces risques ou les partager.
Avant même que n’existe le contrat d’assurance, on voit dès le début du 12e siècle qu’une sécurité est assurée par les seigneurs : ils escortaient les marchands sur leurs terres en échange d’un paiement.
C’était le conduit, taxe qu’il fallait payer pour pouvoir traverser en sécurité le domaine du seigneur (parce qu’il y avait beaucoup de brigands à l’époque).

À partir du 13e siècle, les marchands essaient d’inventer des conventions qui leur permettent de partager un maximum les risques.
On ne détaillera pas ces conventions, mais on les voit s’accoler à des contrats (par ex : la vente).

Ces conventions deviennent peu à peu indépendantes : les marchands se mettent à créer des vrais contrats d’assurances.

Dans un contrat d’assurance, le marchand s’oriente vers une personne qui détient des capitaux.
Cette personne lui propose de le garantir contre le risque, en échange du paiement à l’avance d’une prime. On évalue le risque, on paie une prime, et si jamais le risque se produit, cette personne à laquelle on a payé la prime assure de garantir un certain montant qui a été payé à l’avance.
Si le risque se produit, on l’indemnise.

Ce contrat sera assez tôt encadré.
Le principe indemnitaire fait que l’assurance ne peut pas être un moyen pour l’assuré de gagner de l’argent.

Ce contrat n’a pas été mal vu par l’Église, parce qu’elle n’y voit pas un moyen de s’enrichir, mais plutôt du partage.

Ce contrat d’assurance apparaît à partir du 14e siècle.
Il s’exerce beaucoup en matière maritime.
Puisque la grosse aventure est interdite, c’est grâce à l’assurance qu’on trouve un moyen de faire du commerce maritime sans être inquiété si les marchandises n’arrivent pas à bon port.
L’assurance se développe surtout autour de la Méditerranée : vers le 15e siècle, on voit déjà se créer des compagnies d’assurance.

On voit aussi se développer le contrat de commande (= la commandite).
Idée : on réunit des détenteurs de capitaux qui veulent faire fructifier leur argent avec des personnes qui veulent faire des affaires.
Les marchands mettent en place un système qui veut qu’on sépare bien les fonctions des 2.
L’apporteur des capitaux ne fait qu’apporter le capital ; on le récompense en lui versant un intérêt (il n’y a pas encore d’actions). Il ne s’immisce pas dans la société.
Si la société fait faillite, l’apporteur n’est responsable qu’à hauteur de son apport.
≠ les commanditaires sont responsables soit en fonction de leurs apports, soit solidairement, en fonction de comment la société est organisée.

Au 15ème siècle, on voit déjà apparaître à Toulouse l’organisation du moulin à blé, qui met en place ce système.

Les marchands vont de plus en plus développer entre eux des règles communes.
Par exemple, pour le contrat de vente, on développe les coutumes des marchands plutôt que les coutumes du lieu.

Si la coutume des marchands se développe, c’est parce qu’ils ont leurs propres tribunaux.
Par exemple, la bonne foi étant très utilisée dans les procès en matière de commerce, cela facilite les procès.
De même, on met aussi en place des règles de solidarité en matière de commerce.

Ces règles changent peu à peu la nature de certains contrats du droit civil.

La redécouverte du droit romain, à partir du 12e siècle, va aussi être bien acceptée par les commerçants.
Le droit romain est redécouvert au 12e siècle au même moment où on voit le commerce s’épanouir, ce qui impulse par exemple le caractère consensualiste du contrat de vente → très peu de formalités, ce qui est être apprécié des commerçants.

De manière générale, ces contrats qui se forment vont peu à peu se cristalliser au sein des tribunaux et être pensés par des juristes.

→ Création d’une coutume de commerçants + premiers commentaires de la part de juristes :

b) L’écriture du droit commercial

Pour l’écriture du droit commercial, outre les jugements, certains recueils de coutume finissent par être écrits.
Par exemple, le recueil Les coutumes, styles et usages des foires de Champagne et de Brie est écrit au 13ème siècle.

Par ailleurs, certaines villes publient les jugements des tribunaux de commerce.
Exemple : la ville de Gênes (Italie) publie un recueil des jugements de ses tribunaux.

Il y a également des recueils en matière maritime qui apparaissent très tôt.
Exemple : le Livre du consulat de la mer du tribunal de Barcelone est publié en 1262 ; c’est un gros recueil de jurisprudence du tribunal maritime de Barcelone.

Plus tard, au 16e siècle, le Royaume de France aura aussi sa coutume, avec le guidon de la mer, qui s’inspire beaucoup du livre du consulat de la mer, même s’il comporte au moins 2 mesures protectionnistes.

→ Peu à peu, et surtout dans le domaine maritime, les coutumes sont rédigées.

Cette coutume est plutôt internationale.
Sous l’Ancien Régime, l’écriture du droit commercial a lieu avec l’ordonnance du commerce de 1673.

Certains juristes vont commenter ces coutumes.
Par exemple, le portugais Pierre de Santarem, installé à Venise ; ou l’italien Straccha d’Ancône, qui écrit Du commerce et du commerçant en 1575.
Ces ouvrages sont faits pour être lus par des commerçants pour qu’ils comprennent les usages.
Ils fondent le droit commercial : Straccha d’Ancône est considéré comme le fondateur de la science moderne du droit commercial.
À ce moment-là, il n’y a pas encore une telle coutume en France.

En France, à la même époque, on s’intéresse surtout au droit civil.
Certains auteurs, comme Charles Dumoulin, rédigent des ouvrages qui comprennent des points de droit commercial, mais ce n’est pas majeur.

💡
En résumé :
Au Moyen Âge, les marchands créent eux-mêmes des règles, qui deviennent de + en + fines à mesure que le commerce se développe.
En même temps, les autorités – notamment les seigneurs – imposent aussi leurs règles et leurs règlementations locales.
Exemple : le droit des foires est principalement organisé par les marchands mais est aussi une règlementation qui vient des seigneurs (qui fixent la fiscalité, l’ordre à respecter…).

Les juridictions, quant à elles, sont surtout des juridictions de commerçants.
Au départ, les seigneurs installent leur propres juridictions sur les foires, mais elles ne sont pas assez rapides pour les commerçants, qui finissent par organiser eux-mêmes les leurs (d’abord par l’arbitrage, puis avec les juridictions consulaires).

On reverra tout ça à l’époque de Louis 14, où le roi s’intéressera vraiment au droit commercial.

B – Les communautés de métiers créatrices de règles : les corporations

À partir du 12e siècle, avec le développement du commerce, les métiers s’organisent en corporations : dans chaque ville, les personnes qui exercent un même métier se réunissent autour de règles communes et de représentants selon une organisation hiérarchique.
On avait déjà connu ces groupements sous l’Antiquité.

💡 On parle de corporation parce que plusieurs personnes qui font le même métier font corps.

2 types de métiers voient le jour :

  1. Les métiers réglés (ou métiers libres) sont relativement autonomes.
    Ce sont des métiers qui sont très rares et qui n’ont pas une grande importance.

    Ils sont soumis aux règles de l’autorité locale de la localité dans laquelle ils exercent.
    Exemple : petits commerçants qui vendent au détail.
  1. Les métiers jurés sont aussi appelés à l’origine « guildes » et « anses ».
    On parle de métiers « jurés » parce qu’on prête serment.

    Ces métiers jurés sont des groupements professionnels importants qui sont dotés d’une personnalité juridique.
    Voir le Livre des métiers de 1268 pour la liste.

Les corporations de métiers réunissent tous ceux qui exercent le même métier dans un territoire donné.
Elles sont organisées de manière hiérarchique :

  • En bas de l’échelle : les apprentis, qui vivent avec la famille du maître et qui doivent payer pour être instruits ;
  • Ensuite : les compagnons, qui travaillent à l’heure et aux pièces pour le compte d’un maître ;
  • Enfin : les maîtres, qui sont les seuls à pouvoir exercer le métier pour leur compte.

Il est possible de monter dans la hiérarchie : en général, les apprentis finissent compagnons, et les compagnons peuvent devenir maître.
Mais pour devenir maître, il faut avoir atteint un certain niveau de compétence et il faut notamment réaliser un chef d’œuvre, qui est examiné par une assemblée de maîtres qui décide si l’on peut devenir maître.
Réaliser un chef d’œuvre n’est pas donné à tout le monde : c’est cher parce qu’il faut réunir des matériaux, parcourir le monde…

De manière plus ou moins clandestine, les compagnons se réunissent en associations d’entraide, que l’on va appeler le compagnonnage.
Ils réunissent de l’argent en commun pour aider l’un d’entre eux à devenir maître en payant son chef d’œuvre.
On se rendra cependant rapidement compte qu’il est très rare qu’un compagnon devienne maître sans être fils de maître.

Un petit nombre de maîtres dirigent la corporation. Ils se réunissent dans ce que l’on appelle la maîtrise ou la jurande.
On élit parmi eux des jurés, gardes et des syndics, qui sont élus par leurs pairs (= les autres maîtres) pour 1 an.
Parfois, des autorités locales (ex : seigneur) peuvent intervenir dans ces élections et en désigner, mais c’est assez rare.

  1. Les syndics représentent la corporation.
    Ils sont très importants, parce qu’ils défendent les intérêts de la corporation auprès des autorités locales ou royales.
    C’est l’origine des syndicats !

    La réunion en corporation est un très grand avantage, parce que la corporation pourra être représentée et défendre ses intérêts.
    De plus, les autorités locales ou royales vont pouvoir avoir un interlocuteur privilégié pour pouvoir par exemple faire passer des ordres → facilité de communication.
    Cette représentation montre bien que la corporation a une véritable existence juridique.

  1. Les jurés ont des fonctions judiciaires qui sont limitées aux problèmes de la corporation.
    Un juré peut juger un compagnon qui aura mal agi ou un maître qui aura commis des abus.

    Toutefois, s’il y a un gros problème, l’arbitrage final revient au seigneur ou au roi.
    Par exemple, en 1291, le seigneur de Reims a tranché un conflit entre les maîtres et les ouvriers drapiers en ordonnant la rédaction d’un statut qui interdit les alliances des uns contre les autres.

  1. Les gardes s’occupent de l’ordre général et du contrôle des fabrications.
    Ils peuvent, à n’importe quelle heure, visiter les ateliers et contrôler la qualité et la fabrication.
    Ils peuvent faire des rappels à l’ordre puis donner des sanctions.

    Exemple : les ébénistes n’utilisent que des clous en bois ; le garde de la corporation des ébénistes peut vérifier que ce principe est bien respecté.
    On peut les assimiler à des contrôleurs qualité.
    Ce contrôle qualité est important, parce que tous les métiers au Moyen Âge se font en boutique ouverte (→ les clients voient toute la fabrication).

La création de ces métiers jurés se fait toujours avec des statuts rédigés.
Ces statuts contiennent des règles internes à la corporation (règles de discipline, règles de fabrication, règles sur l’apprentissage et la possibilité de devenir compagnon, numerus clausus…) + les privilèges qui ont été attribués à la corporation par les autorités.

En effet, les statuts sont soumis à l’homologation de l’autorité locale ou du roi.
La création de la corporation peut être spontanée, mais il y toujours l’autorité locale ou le roi qui vient lui donner une existence juridique en l’homologuant.

→ Ces statuts sont l’essence de la corporation.

Les avantages qu’ils fixent sont divers : par exemple, un monopole.
Exemple : entre le 13e et le 18e siècle, il n’y a les barbiers qui peuvent être chirurgiens.

Les statuts précisent bien les frontières entre les métiers.
Exemple : il y a une différence fixe entre charpentiers et ébénistes.

Ils mettent parfois en place des numerus clausus.
Ils prévoient aussi des règles de déontologie.

À partir du 13e siècle et jusqu’en 1791, on ne peut pas exercer les métiers jurés sans être membre d’une corporation.
Par exemple : si on est boulanger, on est obligé de faire partie d’une corporation.

Ces communautés de métiers (= corporation) vont se développer tout au long du 13e siècle.

Le prévôt (= celui qui dirige une ville) de Paris Étienne Boileau demande en 1268 la rédaction du Livre des métiers de Paris.
Il l’ordonne parce qu’il a besoin de connaître le tissu économique et les statuts des corporations.

Par la suite, les souverains ont favorisé la création de ces communautés.
Par exemple, les changeurs se voient octroyer des privilèges, notamment le monopole du change.

Au 18ème siècle, la critique des corporations viendra :
> d’un point de vue idéologique, dans le contexte de l’époque des Lumières ;
> d’un point de vue économique, dans le contexte de la machine à vapeur.

§ 2. Les apports de l’ère précapitaliste

Le capitalisme est un système économique basé sur les capitaux.
Par exemple, en droit des affaires, l’institution qui représente le plus le capitalisme est la société anonyme.

Ce système exclusivement basé sur les capitaux s’épanouit au 19e siècle, mais trouve ses prémices au Moyen Âge : c’est à ce moment qu’on met en place les outils indispensables au capitalisme, en commençant par la banque, puis en inventant de nouvelles techniques comme les lettres de change et les sociétés.

I – L’émergence du banquier

Le droit canonique s’impose au Moyen Âge, avec notamment l’interdiction du prêt à intérêt.
Les préteurs à intérêt font une activité « illicite » mais tolérée.

L’activité bancaire du banquier se développe surtout autour du change des monnaies.
Le banquier est l’homme essentiel au développement du commerce, parce qu’il peut conserver l’argent dans les foires (grâce au contrat du dépôt) puis, quand les marchands se seront sédentarisés, dans les villes.

Pourquoi le change ?
Parce qu’avant le franc germinal, créé par Bonaparte en 1800, on avait 2 types de monnaie :

  1. La monnaie de compte est la livre royale.
    Elle contient le
    poids de référence.
  1. La monnaie de paiement est constituée de plein de pièces d’origine diverse, parce que chaque seigneur a le pouvoir de frapper monnaie.

Le poids de référence de la livre est important.
Par exemple, si on va acheter 1 kg de blé, qui vaut 30 livres : pour payer le vendeur, on calcule d’abord le poids de nos monnaies de paiement par rapport à la livre ; ensuite, on peut le payer avec nos monnaies de paiement.

Le changeur accompagne le développement du commerce.
Il est essentiel face à la différence entre monnaie de compte et monnaie de paiement.

Le changeur est présent dans les foires avec son banc (on parle de « banc du changeur ») et sa balance.

💡
Lorsque le changeur faisait faillite, on rompait son banc.
L’expression italienne banco rotta est l’ancêtre de “banqueroute”.

Lorsque les marchands se sédentarisent, le changeur s’installe dans les villes.

À Paris, à partir du 9ème siècle, on voit se réunir sur un pont en bois (le Pont aux changeurs, qui deviendra le pont au Change) des joailliers, des orfèvres et des changeurs.
Il est détruit en 1621 et reconstruit dans les années 1639-1647 en pierre, avec des maisons dessus.

💡
Au Moyen Âge, on construisait des maisons sur des ponts parce que la ville était entourée de murailles, qui étaient rapidement devenues trop petites.
La pression foncière invitait à occuper le maximum d’espace. Ce phénomène atteint son apogée aux 14ème et 15ème siècles.

Les banquiers (= changeurs) développent aussi des techniques intéressantes, avec notamment la technique du contrat de dépôt.

À partir du 14e siècle, ils développent la technique des virements par compensation.
Idée : si un client A envoie de l’argent à un client B du même banquier, aucun argent ne circule physiquement.
Cette technique s’étend ensuite aux transferts entre banquiers.

Avec l’argent de leurs clients, ils constituent des fonds de réserve, avec lesquels ils investissent dans le commerce de leurs clients ou ils octroient des prêts (gratuits, puisque l’intérêt est interdit).

Les commerçants utilisent de plus en plus des papiers, qui leur permettent d’éviter de faire circuler de l’argent.
Par exemple, si un commerçant A doit de l’argent à B qui en doit à C, on peut très bien utiliser des effets de commerce / lettres de change pour aller chez un banquier et demander une avance.

À la fin du 12ème siècle et au début du 13ème siècle, on voit se développer des monnaies en or qui sont très fortes comme le florin, le ducat et le sequin.
Le développement de ces monnaies limite peu à peu le change, parce que les marchands vont préférer payer ou être payées dans ces monnaies, qui sont des monnaies fortes.

Cette activité de change apparue au Moyen Âge connaît peu à peu une évolution parallèle à l’activité de banque : certains changeurs vont devenir banquiers, et d’autres vont devenir banquiers sans avoir été changeurs.

II – L’invention de techniques conventionnelles

Il s’agit ici de montrer comment, au Moyen Âge, on a déjà une évolution assez moderne dans les activités des affaires.

A – La lettre de change

La lettre de change est une technique qui a été manifestement inventée au 12ème siècle à Gênes, mais c’est surtout à partir du 14e siècle qu’on voit cette lettre de change se développer.

À la base, la lettre de change est inventée pour une raison pragmatique importante : éviter les transferts de fonds.
Quand on se déplace en étant un marchand, il est très dangereux de se promener avec des coffres de pièces. Les seigneurs et les rois développent un système de sécurité (→ le conduit, qui était parfois payant), mais ce n’est pas suffisant.

On développe donc la lettre de change.

Par exemple, un marchand vend de la laine à un acheteur (= le tiré). Il devient son débiteur.
Le tiré lui doit donc de l’argent, mais il ne l’a pas sur lui parce que c’est trop dangereux.
Il a cependant des lettres de change.

Cette lettre de change comporte le nom du tiré + la signature du tireur + le nom à l’ordre duquel le paiement doit être fait + le montant de la lettre de change.

La lettre de change peut ensuite être endossée et être utilisée comme moyen de paiement.

À partir du 14e siècle, on voit se développer l’escompte.
Normalement, la lettre de change comporte une date d’échéance à partir de laquelle le tiré est obligé de payer sa dette.
Cette date est très importante : les marchands sont itinérants et les voyages prennent du temps.

Qu’en pense l’Église ?
Elle déteste le prêt à intérêt, mais elle accepte la lettre de change, à plusieurs conditions :

  • Elle impose une condition de distance : le tireur et le tiré doivent venir de lieux différents.
    Mais, avec la technique de l’endossement, cette technique disparaît.
  • Elle impose ensuite une condition de temps : la lettre de change doit circuler pendant un temps limité (alors que le prêt à intérêt s’étale dans le temps, ce qui convoie l’idée qu’on joue avec le temps qui n’est censé n’appartenir qu’à Dieu).

Pour l’escompte, là encore, l’Église estime que ça n’est pas de l’intérêt, mais juste de la rémunération d’un service donné.
Idée : on ne fait pas un emprunt que l’on rembourse petit à petit → avec l’escompte, le banquier se fait payer une bonne fois pour toutes pour le service qu’il a rendu.

Pour l’Église, il n’y a donc pas de problème vis-à-vis du prêt à intérêt, alors que c’est quand même du crédit.
→ Les marchands jouent un peu avec la prohibition du prêt à intérêt…

Ce qui est intéressant ici, c’est de prendre conscience de l’inventivité du commerce.
Dans les affaires, il n’y a pas d’obstacles : les règlements étouffent les affaires temporairement, avant qu’on trouve une solution.

B – Les sociétés

Les sociétés sont des personnes qui se regroupent et passent un contrat pour mettre en commun des fonds pour pouvoir réaliser ensemble des projets dont ils partagent les pertes et les bénéfices.

Au début du Moyen Âge, on n’a pas encore la renaissance des sociétés.
Ce n’est qu’à partir du 11e siècle à Venise – et seulement à partir du 14e siècle en France – qu’on voit apparaître les 1ères sociétés : les sociétés en commandite, qui existaient déjà à Rome.

Les 1ères sociétés qui se développent sont familiales.
Ensuite, la commandite est un système qui permet d’associer des personnes tierces.

En effet, dans la société en commandite, il y a une séparation entre les commandités, qui sont les gérants de la société, et les commanditaires, qui sont des capitalistes (= apporteurs de capitaux).
Il y a une règle très importante : les apporteurs de capitaux ne peuvent pas être gérants.

Les commandités sont responsables ad infinitum = à l’infini → ils sont responsables des dettes de la société.
≠ les apporteurs de capitaux ne sont responsables qu’à hauteur des capitaux qu’ils ont engagés.

On verse aux apporteurs de capitaux un intérêt.
L’Église permet cette société en commandite, car il s’agit d’une société : c’est quelque chose qui œuvre, et non qui récolte juste de l’intérêt par elle-même avec le temps.

Elles réapparaissent au 11e siècle à Venise, surtout dans le domaine maritime, sous la forme des sociétés de mer.
Au départ, elles sont temporaires
: elles financent le voyage de marchandises.
Elles font aussi du prêt à la grosse aventure (qui est interdit par l’Église, mais les vénitiens s’en fichent).

  • Pourquoi l’Église autorise ?

    Parce que ce ne sont pas des préteurs, mais des sociétés.
    L’Église essaie d’évoluer avec son temps.
    Par ailleurs, en Italie, les princes italiens font fi des règles posées par l’Église.

À partir du 14ème siècle, elles commencent à doubler leur activité d’une activité bancaire.
On les appellera des banques banco ; on les appellera aussi des monte, parce qu’elles sont presque exclusivement destinées à des emprunts pour les princes.

Ces sociétés deviennent de + en + importantes.
Elles vont associer de grandes et riches familles ; la famille la plus importante donnera son nom à la société.
Exemple : la famille des Médicis.

Ces sociétés deviennent internationales.
Exemple : les Médicis créent un véritable trust = groupement de sociétés qui vont toutes dans une même direction pour avoir une influence considérable sur le marché.
Ils deviennent même les dirigeants de la république florentine !
Ce trust devient international, avec un siège social et des succursales, et bénéficie de nombreux appuis politiques.
Cette société (le trust Médicis) fait faillite en 1494.

La plus ancienne banque du monde est la Monte dei Paschi di Siena. Elle est créée en 1472 par des magistrats de Sienne en Toscane, qui se sont enrichis en faisant du prêt sur gage et du prêt agricole.
En France, il faudra attendre 1760 pour voir la création de la plus vieille maison de banque française : Courtois et Cie.

Ces sociétés évoluent vers une forme plus proche des sociétés de capitaux.
Plus le temps passe, moins le côté familial est important. L’intuitu personae s’efface dans ces grosses sociétés.

On voit que, de plus en plus, ces sociétés portent des noms de société qui ne sont pas des noms de famille → sociétés de capitaux.
Exemple : la Casa di San Giorgio, grosse société italienne créée en 1408, prend le nom du saitn patron de la ville.

Ces sociétés évoluent avec plusieurs activités.
Elles n’ont pas forcément une activité bancaire : à partir du 15ème siècle, on voit la création d’autres types de sociétés.
Exemple : levée des impôts, travaux publics pour les villes…
Exemple : sociétés spécifiques qui font des prêts pour les villes (les pouvoirs publics ont besoin d’argent ; pour avoir de l’argent, il faut lever les impôts ; recourir à une société privée est plus efficace que développer une administration).

La France est alors un peu en retard à ce niveau : elle n’a pas de grandes maisons de banque avant le 18e siècle.
En revanche, on y voit apparaître quelques sociétés de capitaux.
Par exemple, à Toulouse au 15e siècle, la Société des Moulins du Bazacle, où le capital est divisé en parts appelées « uchaux ».

Ce qu’il faut retenir, c’est que tout ce domaine bancaire qui se développe en Italie préfigure les 1ères banques d’affaires du 19e siècle.
Petit à petit, on développe ces grandes sociétés.

On assiste aussi à l’apparition des emprunts d’État en Italie : les banques prêtent aux États et émettent des titres avec son accord pour rembourser l’emprunt qui a été fait.
Les gens qui sont porteurs de ces titres deviennent préteurs de l’État.
Ces titres sont rémunérés, parce que les gens qui les achètent prêtent indirectement à l’État.
Bien plus tard, plutôt que de passer par les banques, Napoléon décidera d’émettre les titres avec la Caisse d’amortissement, qui est un organe de l’État.

Section 1 : Un droit pragmatique ancien

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des affaires (L2).

💡
Ce cours utilise les termes de marchand et de commerçant comme synonymes.

§ 1. La genèse d’institutions en devenir

I – Les premiers usages du droit commerçant des peuples commerçants

Il sera ici question des premiers usages qui ont été portés à notre connaissance grâce à l’archéologie.
On a notamment découvert des tablettes d’argile : 500 000 tablettes d’argile nous ont renseigné sur le droit des babyloniens, des phéniciens, des carthaginois… → peuples commerçants de l’Orient méditerranéen.

Le Code d’Hammurabi remonte à ~1700 avant notre ère.
Dans ce code, écrit en écriture cunéiforme, on découvre un droit rigoureux.
Hammurabi s’est intéressé aux affaires : on retrouve des dispositions sur le prêt à intérêt et des dispositions sur la société de commerce.

On voit notamment, dans le code d’Hammourabi, les contours de la société en commandite, où s’associent une personne qui apporte les capitaux et un gestionnaire.

On retrouve aussi dans les tablettes une activité bancaire.

Dans ces 1ers usages du droit commercial des peuples commerçants, certains usages viennent aussi des phéniciens.
Les phéniciens sont un peuple de la mer, qui étaient situés sur le Liban actuel, et notamment dans les ports de Tyr et de Sidon.

Avec les phéniciens, on découvre la genèse du grand commerce maritime.
Non seulement ils font des échanges, mais ils créent aussi des comptoirs, qui permettent aux navires des commerçants de ne pas faire 1 seul aller-retour mais de faire plusieurs étapes pour écouler leurs marchandises.
Alors que Tyr et Sidon étaient bien sur le territoire des phéniciens, ils placent aussi des comptoirs dans d’autres territoires, en passant des contrats d’autres cités.

Cela permet, entre l’Orient et l’Occident, la diffusion de droits qui vont devenir les mêmes.
En effet, les notions de droit des phéniciens vont passer à l’occident par le biais de Carthage.
C’est comme ça que l’on arrive à créer, petit à petit, une coutume des commerçants : on trouve des contrats intéressants qui permettent un bon développement du commerce → ils deviennent communs à tous les peuples.

II – L’apport du droit grec

💡 Athènes est alors considérée comme la cité du commerce, tandis que la cité de Sparte est la cité de la guerre. Les cités communiquent cependant.

A – L’influence des métèques sur le droit commercial

Les métèques ont une activité exclusivement liée au commerce et ne participent pas à la vie politique.
Parfois, leur installation est même momentanée : ils peuvent venir le temps d’un échange commercial et partir par la suite.

N’ayant pas d’accès à la vie politique, les métèques sont souvent obligés de vivre dans un quartier spécial dans les cités.
À Athènes, le Pirée est un quartier de métèques très célèbre.

Dans ces quartiers tels que le quartier du Pirée, on développe un droit qui va vraiment se diffuser.
Ce droit est nécessairement plus souple que celui des citoyens : il répond aux besoins des affaires → simple, rapide.
Le législateur grec s’en désintéresse.

Les métèques créent des juridictions spéciales : les tribunaux consulaires.
Ils développent des pratiques judiciaires simples comme l’
arbitrage → procédure non formaliste et courte.
Les tribunaux consulaires rendent donc une justice qui est prompte.
Ce côté prompt est nécessaire, parce que les commerçants ne sont parfois que de passage.

Les juges, qui sont des marchands, sont nommés pour 1 an.
Ils sont rémunérés en fonction de leur rapidité.

Certaines conventions plus particulières ont survécu par la suite :

B – Le legs du droit grec

Le legs est ce qu’on donne au moment de sa mort.

De manière générale, le droit privé grec nous est très peu connu.
On le connaît surtout grâce à certaines plaidoiries, comme celle de Démosthène à Athènes.

1) Le jet à la mer

Le jet à la mer a été inventé par le législateur : il s’agit de la loi de la cité de Rhodes (lex rhodia de jactu).

Quand on part à la mer, la pratique voulait que l’on puisse jeter certaines marchandises à la mer pour éviter soit une contamination (ex : caisses infestées de rats) soit, en cas de tempête, pour alléger le navire.
Il faut que ce soit ordonné par le capitaine ; ensuite, le marchand dont les marchandises ont été jetées aura une action contre le capitaine, mais le capitaine pourra se retourner vers tous les chargeurs pour leur demander solidairement de rembourser la part des marchandises perdues (parce que ça aurait pu être la leur).
→ Cette loi impose la solidarité entre les marchands.

Cette loi est reprise telle quelle par les romains ; ils continuent à l’appliquer lorsque le monde hellénique disparaît.
On retrouve la même chose dans le Code de commerce de 1807, au titre 1 sur les avaries et dans le titre 12 intitulé Du jet et de la contribution.
On la retrouve encore dans un chapitre d’une loi de 1867 intitulé Des avaries, qui décrit comment on jette à la mer ce qui est avarié.

On a ici une mutualisation des risques, qui montre l’importance de la solidarité en matière de commerce.


2) Le nautikon daneion (= prêt à la grosse aventure)

Le prêt à la grosse aventure sera repris tel quel par les romains sous le nom de nauticum fœnus.
Il sera intégré au Code de commerce, dans des dispositions abrégées en 1969.

L’idée du prêt à la grosse aventure, c’est qu’armer un navire coûte très cher.
Des personnes riches vont prêter de l’argent en demandant le remboursement avec un intérêt sur la vente des marchandises.

Si le voyage réussit, le préteur récupère son argent (= il se voit rembourser le capital) et il empoche en + un intérêt sur la vente (au minimum de 30%, parfois de 50% !).
Ces taux d’intérêt sont extrêmement forts, parce que si le voyage ne réussit pas, il perd tout → l’emprunteur n’aura pas à rembourser.
Ces forts taux d’intérêt sont donc justifiés par le risque considérable que prend le préteur.

Ces préteurs vont créer des sociétés de grosse aventure, pour prêter à plusieurs.
Ce prêt à la grosse aventure est normalement interdit par l’Église (= par le droit canonique) à partir du 13e siècle, mais certaines villes continuent à l’accepter.

Il est remplacé peu à peu par une autre technique nouvelle : l’assurance :


3) Le droit des sociétés

Les grecs (surtout des métèques) sont très tournés vers l’association : ils se réunissent pour monter des entreprises communes.
Ils créent des sociétés de grosses aventures, mais aussi des sociétés bancaires et même des sociétés de brigandage (pour traquer les brigands en mer).

Un koinon est un regroupement politique de cités, voire un État fédéral, dans la Grèce ancienne, souvent à l’échelle régionale.
Ils voient le développement de l’idée de la bonne loi.
C’est notamment le sage Solon qui crée au -6e siècle une loi sur les sociétés qui impose à chaque associé de bien libérer leurs apports lorsqu’ils créent une société.
Autrement dit, lors de la création d’une société, chacun fait un apport, mais cet apport doit être libéré : il doit être dans les caisses de la société, il ne doit pas être hypothétique.

→ Participation proportionnelle aux bénéfices et aux pertes.
Idée : cela participe d’une bonne justice distributive → d’une bonne loi.

Les grecs sont les inventeurs de l’intuitu personae.
Idée : quand on crée une société, on a une affection réciproque. On la crée pour être ensemble et pour réaliser quelque chose ensemble.
Dans cette société, chaque personne compte → intuitu personae.

En grec, philia signifie « affection » ou « amour ».
Ces principes sont à l’origine de la solidarité commerciale.

Ce droit des sociétés grec s’est diffusé avec le développement des centres portuaires, où l’on échange et où l’on crée des sociétés.
Dans ces centres portuaires, les règles commerciales se fixent peu à peu, puis se transmettent d’une cité à l’autre.

Toutefois, il ne faut pas oublier que ces centres subissent parfois l’influence de quelques lois venant de la cité.
→ Dans le droit des affaires, on a une petite part de droit public.

Athènes institue des magistrats qui viennent surveiller les questions liées au commerce des grains (notamment le blé, qui est essentiel et dont Athènes importe beaucoup).

De manière générale, sauf pour les grains et quelques taxes, le législateur grec laisse les contrats entre commerçants plutôt libres.

§ 2. Les apports essentiels du droit romain

Notre droit privé s’est en grande partie fondé sur le droit romain, surtout du point de vue des obligations et des contrats.
On retrouve ça en droit des affaires.

Un historien nommé Michel Villey écrit ainsi dans son ouvrage Le droit romain (1945) que « l’Europe a traversé 8 siècles de culture romaniste ininterrompue ».
Cette phrase est intéressante, parce qu’elle montre notre très grand passé culturel vis-à-vis du droit romain que l’on partage avec les autres nations européennes.

Pour rappel, Rome a été constituée en -753 avant notre ère.
3 grandes périodes politiques suivent :
1- la période de la Rome royale (dont nous parlerons très peu) s’étend de -753 à -509 ;
2- la période de la République romaine, avec des institutions plus ou moins démocratiques (plutôt aristocratiques), suit jusqu’en -27 ;
3- la période de l’Empire commence en -27 et s’achève en 476.

À partir du 3e siècle, Rome se scinde en 2 administrativement.
Toutefois, quand l’Ouest (Rome) chute en 476, Constantinople continue à vivre (la chute de Constantinople aura lieu en 1453).

Ces périodes connaissent une évolution du droit.
On distingue 2 périodes très importantes pour le droit romain :

  1. La période (de droit) classique, du -3e siècle à 150.
    Durant cette période, le droit des obligations se façonne peu à peu. Le fond de notre droit des obligations et du droit des contrats se constitue surtout durant cette période.
    Cette période de droit classique nous est connue grâce au Digeste de Justinien, publié en 530.
  1. La période tardive, après 250.
    On l’appelle aussi le Dominat. C’est un régime qui relève de la monarchie absolue : l’empereur tient dans ses mains tous les pouvoirs et toutes les sources du droit.
    Le droit des affaires subit alors une politique interventionniste qui l’influencera.

I – Panorama des affaires à Rome

Parce que la pratique, c’est important !

Rome est au centre du commerce mondial (l’Occident, l’Afrique, l’Orient).
L’Italie est dans le bassin méditerranéen et elle tient déjà la mer.
Rome tisse des liens commerciaux avec la Chine et avec l’Inde.
→ Réseau commercial romain très large.

Voir : carte de Peutinger.

À Rome, on est nombreux. Les villes s’accroissent et, très vite, se pose le problème du ravitaillement des villes.
Sous la République romaine, les romains créent un magistrat chargé du ravitaillement : le préfet de l’annone.

Le commerce tenu par les pérégrins, qui sont des étrangers qui viennent des cités conquises par Rome ou alliées à Rome. Ils s’installent dans des quartiers particuliers où ils font des affaires.
Le bon citoyen romain, quant à lui, ne devait pas se livrer à un commerce de détail qui n’était pas marchand : les grosses affaires romaines étaient plutôt celles des citoyens (sauf quelques gros commerçants étrangers).

À Rome, peu à peu, on assiste à la constitution d’une bourgeoisie d’affaires / une noblesse d’affaires, qui fait partie de l’ordre équestre.

💡
À Rome, un peu comme sous l’Ancien Régime en France, il y a une sorte de société d’ordres : les citoyens les plus importants font partie de l’ordre sénatorial ; ils détiennent les terres et s’occupent de la politique.
L’ordre équestre est tout aussi riche (surtout une fortune mobilière).

Vers la fin de la République, ces 2 ordres fusionnent.
Par exemple, Cicéron, qui était dans l’ordre équestre, entre dans l’ordre sénatorial.

Les activités de l’ordre équestre sont :

  1. La banque ;

    Les argentarii sont des membres de l’ordre équestre qui mènent les activités de la banque → ils manipulent l’argent : dépôt, change, prêt.
    Ils reçoivent les impôts des provinces romaines.
    Ces banquiers travaillent non seulement avec des riches particuliers, mais aussi avec des collectivités et des provinces impériales.

  1. Le grand commerce, surtout maritime.

    Les negociatores sont de très riches négociants qui mènent le grand commerce, surtout maritime.
    Ce n’est pas eux qui écoulent la marchandise, mais les profits leur reviennent.

    Ils doublent leur commerce de l’exploitation coloniale des provinces pour le compte de l’État.
    En effet, l’État romain est un État conquérant ; or, quand il colonise, il est intéressant pour lui d’avoir des personnes qui s’y connaissent bien en affaires pour exploiter les richesses sur le territoire.

  1. La levée des impôts.

    Les publicains sont des personnes privées issues de l’ordre équestre qui s’occupent de l’impôt.
    Le plus souvent, ce sont des gens qui ont beaucoup d’argent, parce que l’État demande des avances : la personne qui prélève les impôts doit faire une avance à l’État, puis se rembourser sur le prélèvement des impôts.
    → Système semi-public.

    Pour la levée des impôts, les romains mettent en place en -215 le système de l’affermage.
    On met en place un bail à ferme, dans lequel un fermer perçoit les impôts et les revenus de l’impôt.
    Celui-ci paie un loyer très cher, mais en même temps il prélève un pourcentage sur les impôts qu’il percevra.
    Ce fermier recueille les impôts auprès des particuliers + toutes les taxes du commerce + des revenus de l’État.
    Un système similaire est mis en place à la Renaissance dans le Royaume de France.

    Des sociétés de publicains se créent, dans l’objectif de pouvoir faire des prêts plus importants.
    Ils ont une caisse commune, appelée corpus.
    → Naissance de la personnalité morale, avec une caisse commune qui est au-delà de la fortune des associés.

II – L’émergence d’un droit pour le commerce

A – Le jus gentium à l’origine du droit des commerçants

À Rome, on a 2 droits pour les personnes :

  1. Le jus civile, qui est le droit exclusivement réservé aux citoyens romains ;
  1. Le jus gentium, beaucoup plus universel, puisé dans le droit naturel, qui vaut pour tous.
    💡 Il vaut pour les pérégrins + pour les citoyens romains lorsqu’ils traitent avec les pérégrins.
⚠️
Il n’y a que le sui juris (→ le père de famille) qui peut user du jus civile ; en effet, sa femme et ses enfants sont des alieni juris.
Le droit civil ne s’applique donc qu’aux citoyens romains, mais pas à tous les citoyens romains !

On a plusieurs types de droits civils.
Celui qui nous intéresse est le jus commercium = le droit de passer tous les actes juridiques, que ce soit des actes du commerce ou n’importe quel acte de droit civil.

Le droit civil n’est qu’à moitié intéressant pour les affaires, parce qu’il est très lourd (il est issu de la coutume romaine et des lois romaines).
Il répond à un formalisme extrêmement important, avec des rites quasiment religieux.
Un magistrat est mis en place au -4ème siècle pour appliquer ce droit : le préteur urbain.

L’activité des pérégrins devient de + en + importante, donc on crée un préteur pérégrin au -3e siècle.
Le droit qu’il applique est un droit très souple, beaucoup basé sur le consentement, le consensualisme et la bonne foi.
→ Intéresse le droit des affaires.

À partir du 2e siècle, on ne voit quasiment plus de différences entre le préteur urbain et le préteur pérégrin.
En -150, la loi aebutia réforme la procédure. Le nouveau droit civil romain est ouvert à tous ; il est très inspiré du jus gentium.
Les citoyens romains vont préférer se tourner vers le préteur pérégrin.

Le droit des affaires y trouve un droit beaucoup plus souple, qui intègre les usages et conventions que les pérégrins ont amené à Rome :

B – Le contenu du droit commercial romain

1) Les techniques générales

À partir de -150, avec la loi aebutia, la procédure menée par le préteur (désormais unique) met en place un droit simplifié, basé sur les idées de bonne foi et de consensualisme déjà développées par les grecs.
On accorde, dans les procès, beaucoup + d’importance à la volonté des parties qu’à la forme.

Par exemple, pour qu’un contrat réel (contrat de gage, de dépôt ou de prêt) soit valable, il faut une remise de la chose.
Désormais, on regarde simplement la remise de la chose, alors qu’auparavant il fallait des rites gestuels et verbaux.

Beaucoup de contrats solennels deviennent consensuels : la seule condition de validité devient celle d’un consentement valable.

L’usage de l’écrit se développe.
⚠️ Utiliser l’écrit ne signifie pas forcément qu’on est dans un contrat solennel, puisqu’on peut utiliser l’écrit pour des raisons simplement pratiques de preuve.
Les commerçants vont utiliser l’écrit, parce que ça leur permet de matérialiser leurs obligations.

Avec cet écrit, on voit aussi se développer les contrats litteris, qui sont des contrats exclusivement écrits.
Par exemple, la reconnaissance de dette n’est pas vraiment un contrat, mais plutôt une obligation → la mettre à l’écrit permet de la faire circuler.
La reconnaissance de dette va ainsi, petit à petit, circuler → assouplit encore les relations des marchands, qui vont pouvoir grâce à cela accélérer leurs affaires.

Les romains développent aussi la notion de représentation, avec le contrat de mandat.
Dans un contrat de mandat, le mandant prend la responsabilité de l’acte, qu’il fait passer par son mandataire, ce qui rassure le créancier.

La solidarité présumée est aussi l’un des grands principes du droit commercial, qui le distingue du droit civil.
En droit civil, la solidarité ne se présume pas, mais en droit commercial, elle est présumée.

Un autre principe est le caractère onéreux : dans les obligations commerciales, on a forcément une contrepartie en argent.


2) Les institutions commerciales

Dans ses Institutes, Gaïus catégorise et systématise les contrats.
Il distingue 4 catégories de contrats :

  1. Les contrats qui se forment par la remise de la chose (res) ;
  1. Les contrats qui se forment par des paroles solennelles (verbis) ;
  1. Les contrats qui se forment par les lettres (litteris) ;
  1. Les contrats qui se forment par le seul consentement (consensu).

Il existe 4 contrats consensuels : vente + louage + mandat + société.

Rien n’empêche un contrat consensuel d’être écrit ; à ce moment-là, l’écrit vaut ad probationem (= pour la preuve).
≠ pour les contrats solennels, l’écrit vaut ad validitatem (= pour la validité du contrat).

a) Le prêt

À Rome, il existe 2 sortes de prêt :
1- le prêt à usage (aussi appelé « commodat ») ;
2- le prêt à la consommation (mutuum).

Le mutuum porte sur des choses fongibles.
Il se fait soit à titre gratuit, soit à titre onéreux (dans ce cas, on paie un intérêt).
Normalement, on prélève un certain pourcentage sur la somme prêtée : à l’issue du contrat, l’emprunteur doit rembourser le capital, mais aussi les intérêts.

Ici, les romains ont eu à coeur de faire attention à lutter contre l’usure (= l’intérêt excessif) : la législation romaine est parfois intervenue pour lutter contre des taux d’intérêt excessifs.

Elle lutte aussi contre l’anatocisme, qui consiste à faire produire des intérêts aux intérêts.
Cette pratique est formellement interdite à Rome.

b) La vente romaine

Dans les 1ers temps de Rome, avant que le préteur n’assouplisse ce droit et ne le rende plus proche des attentes du droit des affaires, le contrat de vente était très lourd.

On utilisait l’action de l’emptio-vendito (« achat-vente »).
Cette action romaine archaïque se déroule en 2 temps :

  1. Le propriétaire abandonne la propriété de la chose → la chose devient res nullus (= une chose sans propriétaire).
  1. L’acheteur, par des gestes rituels, met la main sur cette chose.

Cette vente ne se faisait pas de façon instantanée : la procédure était compliquée.

Le droit prétorien a simplifié les choses.
La vente devient un contrat purement consensuel : l’accord de volontés suffit à sa formation.
En matière de commerce, on utilise aussi beaucoup la notion de bonne foi.

Conséquence : les risques pèsent dorénavant sur le nouveau propriétaire (= sur l’acheteur).
Du moment où il consent, les risques deviennent res perit emptori = la chose périt pour l’acheteur.
res perit domino

Pour ce qui est des arrhes, Rome reprend la tradition orientale suivant laquelle si on ne veut plus conclure le contrat mais qu’on a versé des arrhes, on a non seulement perdu ces arrhes, mais on doit aussi payer le double des arrhes versées.
En effet, selon la tradition orientale, les arrhes constituent un véritable engagement, et non une simple avance.

c) La société commerciale

Le professeur Jean Hilaire, qui a beaucoup travaillé sur les sociétés commerciales, a montré que la société commerciale est née de la société civile, qui était une société familiale.
Les affaires se faisaient beaucoup en famille.

Peu à peu, avec le développement du commerce, cette société devient une société entre étrangers (entre personnes qui ne sont pas de la même famille).
C’est ce qu’on appelle le consortium = une société faite pour le commerce entre personnes qui n’ont pas de liens familiaux.
Par exemple, des sociétés pour les jeux du cirque et des sociétés pour l’éducation des esclaves sont développées par Caton l’Ancien.

Mais plus l’activité est importante, plus elle demande de capitaux → comment faire pour faire venir ces capitaux ?

Les romains développent petit à petit un droit des sociétés qui permet d’unir des capitalistes à des gestionnaires.
On assiste ainsi à la naissance de la société en commandite.
D’un côté, des commanditaires apportent les capitaux ; de l’autre, des commandités gèrent la société (les commandités peuvent aussi avoir leur apport).

Pour ce droit des sociétés, les romains reprennent des idées grecques, notamment celle émanant du sage Solon de la bonne répartition / de la juste loi, qui veut qu’on répartisse les bénéfices et les pertes proportionnellement aux apports.
→ Participation aux bénéfices et aux pertes proportionnelle aux apports.

Cette règle de participation proportionnelle devient automatique, alors qu’au tout début du droit romain, les sociétaires étaient obligés d’écrire une clause pour cette participation proportionnelle (sinon, c’était par tête).

Ils reprennent aussi des grecs l’animus societatis = l’idée que l’on est animés par un but commun (”si l’un des associés va mal, tout le monde va mal”).
→ Responsabilité solidaire des associés.
À Rome, cette solidarité est très importante : souvent, la mort d’un associé entraînait la dissolution de la société.

On a donc : participation aux bénéfices et aux pertes + responsabilité solidaire + embryon de la personnalité morale + caisse commune.
On commence à parler de la société, plutôt que “d’untel et untel et untel”.

De véritables conseils d’administration se développent dans ces sociétés, notamment dans les sociétés en commandite, avec une organisation hiérarchique.
Un directeur général, que l’on appelle le magister, a en général ses bureaux à Rome et, pour les succursales dans d’autres endroits de l’Empire, a fait élire ou désigner des promagistri.

→ Bases de la société commerciale.

d) La faillite

Le problème du débiteur malheureux se pose dans la loi des Douze Tables de -450.
De la loi des Douze Tables jusqu’en -118, le débiteur malheureux doit payer de sa personne : il n’y a aucune action sur les biens → il devenait la chose du créancier.
Le créancier en faisait son prisonnier et si, au bout de 60 jours, le remboursement n’avait pas eu lieu, il devenait l’esclave de son créancier (nexus).

💡 Cette action n’était possible que si le débiteur n’était pas citoyen romain, puisqu’un citoyen romain ne peut pas devenir esclave.
En théorie, s’il y a plusieurs créanciers, ils peuvent se partager le corps du débiteur, mais ça n’a probablement jamais été appliqué…

En 118, on crée la vendito bonorum : on vend les biens du débiteur pour se rembourser.
C’est une procédure longue, qui se déroule en plusieurs temps :

  1. Le débiteur devient infâme.
    Ce n’est pas rien chez les romains, chez lesquels la fama (= réputation) est très importante.
    À Rome, un censeur vient surveiller les citoyens et les sanctionne par des mala nota qui peuvent donner lieu à des suppressions de droits ; par exemple, le citoyen qui aurait mal géré ses affaires se fait retirer le jus commercium.

    Le débiteur malheureux se retrouve infâme de manière importante : on lui enlève le commercium + ses droits politiques → il est un citoyen, mais il n’a plus aucun droit.

  1. Les créanciers demandent au préteur une action en possession des biens du débiteur.
    Un curateur chargé de surveiller le patrimoine du débiteur est désigné.
    Il donne d’abord une estimation de quand son activité s’est arrêtée.
  1. Le préteur désigne un maître des biens (magister bonorum) parmi les créanciers, qui sera chargé de la vente aux enchères.

    Mais, à Rome, on ne vend pas les biens les uns après les autres : on vend le bloc !
    Ce qu’on vend aux enchères, c’est donc tout le patrimoine du débiteur (actif + passif).

Parfois, l’actif permet de rembourser le passif.

S’il n’y a aucun acquéreur, c’est un des esclaves du débiteur qui est désigné.
L’esclave ne peut pas se mettre à la place du débiteur, parce qu’il n’est pas sujet de droits : il est chargé de liquider le patrimoine du débiteur.

C’est une procédure lourde, très longue et très aléatoire (les créanciers ne se retrouveront pas forcément désintéressés, il n’y a pas d’ordre de priorité chez les créanciers…).
Par ailleurs, cette procédure est exactement la même pour les particuliers que pour les commerçants → on ne distingue pas entre particuliers et commerçants en termes de faillite.

💡
En France, c’est l’ordonnance de 1673 qui fera pour la 1ère fois la différence entre la faillite du commerçant et la faillite du particulier.

Cette procédure est inégalitaire, puisque les membres de l’ordre sénatorial et équestre bénéficient d’une procédure allégée :

  1. Ils ne se voient pas frappés d’infamie.
  1. Ils ont droit à la distraction des biens (procédé qui permet de vendre les biens les uns après les autres jusqu’à atteindre le passif).
    Ils ne sont donc pas confrontés à une faillite totale.

→ Justice à double vitesse.
→ Droit inégalitaire, qui vaut pour tous (pas limité aux commerçants).


3) L’incidence du droit public économique

Quand les romains lancent des politiques économiques, certaines règles impactent le droit des affaires, qui va devoir s’adapter.

Les romains inventent des politiques fiscales et des règlementations économiques.
Pour les techniques fiscales, ils s’inspirent de l’Orient méditerranéen des grecs pour appliquer des impôts, notamment sur le commerce.

Les commerçants sont impactés par ce droit, parce qu’ils doivent donc payer certains impôts, et notamment des impôts sur les barrières douanières.
Les impôts portoria (= de douane) frappent les produits qui entrent sur le territoire. C’est un impôt particulièrement fructueux : à Rome, il y a des grandes villes qu’il faut approvisionner → beaucoup de marchandises sont importés.

Des questions de politique économique se posent : est-ce qu’on veut être libéral, avec des impôts très bas pour favoriser le commerce et les importations ? ou est-ce qu’on veut être protectionniste, avec une augmentation des droits de douane ?

Les impôts sur le commerce vont se multiplier.
Exemple : création d’impôts sur les ventes de marchandises → l’on fait payer aux marchands un droit d’octroi = droit que l’on doit payer pour entrer dans une ville avec des marchandises.

La dynastie des Sévères (empereurs des années 200) inventent ensuite le droit d’étalage, plus moderne et plus intéressant.
Ils instaurent une taxe sur les professions marchandes : pour avoir le droit d’être marchand, il faut payer le droit d’étalage, qui est un impôt spécifique au commerce.

Cette taxe est reprise par Constantin (~310), qui impose en + l’immatriculation obligatoire.
Les marchands doivent donc, tous les ans, payer une taxe annuelle calculée sur leurs bénéfices + s’immatriculer (s’ils ne le font pas, ils sont hors-la-loi).

À partir de la seconde moitié du 3e siècle débute la période tardive : c’est le début du dominat, qui suit le principat.
Cette période se caractérise par le règne d’un empereur qui fonctionne comme un roi absolu : il prend dans la main toutes les institutions.
D’un point de vue économique et commercial, il mène une politique interventionniste.

Cette intervention accrue de l’État s’exprime à Rome de 2 manières :
1- avec une certaine règlementation ;
2- avec la création de monopoles d’État.

Ces empereurs s’imposent en créant des monopoles d’État dans certains secteurs.
Par exemple, les industries d’extraction (mines et carrières) deviennent des monopoles d’État : les esclaves qui travaillent dessus sont des agents de l’État.
→ Fonctionnarisation.

Autres exemples : l’État prend le monopole des armes, des transports et des chevaux.
Il prend aussi le monopole de certains produits de luxe comme la soie, parce que ça apporte au rayonnement de l’Etat + c’est fructueux.

Donc les industries d’extraction + certains secteurs économies vitaux + le luxe + le sel deviennent des monopoles.
Le sel, à cette époque, n’est pas qu’un simple condiment : c’est surtout un moyen de conservation de la viande !

Les empereurs captent donc cette économie avec des monopoles → ceux qui les gèrent sont des agents de l’État.

Ensuite, les empereurs font une règlementation assez interventionniste, notamment en matière monétaire.
En matière de politique monétaire, l’édit du maximum est passé en 301 par l’empereur Dioclétien.
Cet édit fixe un prix maximum → il y a un prix au-dessus duquel les marchandises ne peuvent pas être vendues.
Objectif : ralentir l’inflation pour éviter que le peuple ne se soulève lors d’une crise à Rome.

💡
Cet édit du maximum va inspirer les jacobins sous la Révolution française, qui mèneront eux aussi une politique de fixation autoritaire des prix.

Dioclétien interdit aussi l’exportation d’une certaine quantité de métaux précieux, avec la croyance qu’un État riche est un État qui conserve ses matières précieuses (or, argent…).
C’est sous Dioclétien que les tarifs douaniers sont les + élevés…

Ce droit public économique s’intéresse aussi aux métiers.
Les empereurs imposent le corporatisme.
Normalement, le corporatisme fait peur aux dirigeants, parce qu’aucune empereur ne veut que des personnes se regroupent pour défendre leurs droits.
Mais, pour pouvoir mieux contrôler les métiers, il fallait qu’ils soient plus visibles ; on leur impose donc de se regrouper en corporations, de rédiger des statuts, et de désigner un chef (le patronus ou les patroni).

L’État s’implique aussi en imposant, pour certaines professions, des numerus clausus.
Objectif : mieux contrôler les métiers, par exemple en imposant des règles.

Au départ, le système de corporations n’est imposé qu’aux métiers nécessaires au ravitaillement des villes : boulangers, bouchers, transporteurs d’eau…
Ensuite, ce système est étendu à tous les autres métiers.

Certains professeurs font remarquer que ça n’a pas empêché la crise et la décadence de Rome…

On voit ici comment les règles du commerce se sont faites petit à petit, surtout par le bas et par la coutume, mais aussi par des règles qui viennent d’en haut.

Par la suite, le droit romain va peu à peu disparaître jusqu’au Moyen-Âge.
Les rois barbares appliqueront en partie le droit romain, avec un système de personnalité des lois.
À ce niveau-là, il n’y a pas grand chose qui puisse nous intéresser au niveau du droit des affaires, parce que les rois barbares avaient une mentalité très basée sur les pillages ; au niveau du commerce, ils vivaient plutôt du troc, avec des économies autarciques.
On ne sait pas grand chose de cette époque : le commerce a sûrement continué, mais plus du tout à la même échelle.

Introduction au cours d’histoire du droit des affaires

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des affaires (L2).

Le droit des affaires est une expression évocatrice qui s’est formée avec le temps et qui évoque l’ensemble des règles de droit qui régissent le fonctionnement des entreprises, leurs activités et les relations qu’elles entretiennent avec leurs partenaires et leurs clients.
(définition de François-Xavier Lucas)

Le droit des affaires n’est pas une branche du droit à part entière, à la différence du droit commercial ou du droit des sociétés.
C’est une expression théorique qui permet de fédérer toutes les règles relatives à la vie des affaires.

L’histoire du droit des affaires trouve ses racines dans les années 1980, avec l’idée d’abriter dans la perspective historique un ensemble de plus en plus vaste et tentaculaire qui nous permet d’étudier un très large panel de matières juridiques.

“La pratique, en matière des affaires, est une force créatrice de droit »

Les agents de la pratique créent des conventions/des contrats et finissent par communiquer avec le législateur pour que le droit puisse s’appliquer.

Le droit commercial est l’une des matières les plus importantes du droit des affaires.
Le droit commercial s’intéresse aux commerçants ou aux actes de commerces.

Qu’est-ce qui caractérise le commerce / la vie des affaires ?

Tout d’abord, le droit commercial est non formaliste.
On le remarque dès l’Antiquité : on a besoin, pour le commerce, de rapidité et de simplicité.
→ Même si l’écrit s’est imposé peu à peu, le droit commercial a un caractère peu formaliste.

Exemple : en matière commerciale, la bonne foi est présumée → on n’a pas forcément besoin de montrer un papier.

Le droit commercial est aussi un droit international.
Dans les cités antiques, et notamment à Athènes ou à Rome, le commerce était surtout le fait des étrangers qui arrivaient avec leurs propres coutumes.
Ils n’avaient pas du tout les mêmes droits que les citoyens : en Grèce, ce sont les métèques, à Rome, ce sont les pérégrins → personnes libres, mais qui n’ont pas les droits des citoyens.

Le droit commercial est devenu un droit international parce que l’on appliquait à ces étrangers le droit des gens (jus gentium).
L’idée du jus gentium est que tout le monde a des droits (il n’y a pas de société sans droit).
C’est un droit beaucoup plus large, qui s’appliquera aux étrangers dans la cité grecque comme romaine.

On a donc, très tôt, des conventions communes d’une cité à l’autre, faites par ces commerçants et petit à petit cristallisées par les décisions des tribunaux, qui avaient intrinsèquement un caractère international.

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Le droit des gens s’oppose au droit civil.

Par exemple, l’historien du droit Henri Lévy-Bruhl, pionnier de l’histoire du droit commercial et par extension de l’histoire du droit des affaires (il a commencé à développer son travail dans les années 1930), affirmait que :
« Le commerce ne transporte pas seulement des choses, mais aussi des idées et des mœurs.
Le commerce émancipe l’esprit, il contribue puissamment au rapprochement des peuples et à leur mutuelle compréhension ».

À la différence du droit civil, le droit commercial est laïque.
En effet, pendant très longtemps, le droit civil était en France très religieux, alors que le droit commercial n’était pas un droit religieux.
Il faut cependant nuancer cette affirmation :

  1. La prégnance de la pensée catholique, qui interdit l’usure (= le prêt à intérêt), même à 0,0001%, n’est pas négligeable.
    → On ne prête que gratuitement.

    C’est peut-être la seule règle de l’Église vis-à-vis du commerce.
    Elle sera handicapante pour le développement du commerce.
    Idem dans l’islam.

  1. En général, on se rend compte que le commerce est subversif : il tente de contourner les règles religieuses/morales/traditionnelles quand elles empêchent son activité.

    Par exemple, au Moyen-Âge, l’arrivée des commerçants a finalement mis à mal le système féodal, parce qu’ils sont arrivés avec leur indépendance là où le système féodal était basé sur une hiérarchie et sur le militaire.
    → Les marchands/commerçants ont affaibli le monde féodal.
    Lévy-Bruhl note que « le commerce est subversif, destructeur des anciens cadres ».

Lévy-Bruhl ajoute que le commerce est individualiste, mais il faut nuancer : les commerçants parviennent aussi à créer des communautés.
Par exemple, les marchands de la Hanse ont été une organisation importante.

Sources du droit des affaires

En plus des sources habituelles du droit, il faut ajouter la pratique
Il ne faut jamais sous-estimer l’importance des praticiens (= gens de la pratique commerciale, qui apportent leur écho à l’édifice du droit des affaires).

  1. La coutume est une pratique répétée, acceptée par tous et acceptée comme ayant une valeur contraignante.
    C’est une source du droit contraignante.

    La coutume a un caractère oral.
    À la différence de la loi, il n’y a pas d’autorité qui l’édicte et l’écrit ; elle ne vient pas d’en haut, elle vient d’en bas.
    Dans l’ordonnance de Montils-lès-Tours de 1454, le roi ordonne la mise à l’écrit générale des coutumes.

    Il faut donc retenir que la coutume est une source du droit essentielle en histoire du droit des affaires. Une coutume des commerçants se crée peu à peu et aura très vite un caractère international.

  1. La loi s’affirme comme un instrument de gouvernement surtout à partir du 16ème siècle.
    Elle atteint son summum au 17ème siècle sous Louis 14, qui apporte avec la loi un véritable cadre aux affaires.

    En droit des affaires, on constate que la loi apparaît comme source du droit dès qu’on a une idée de politique économique.
    La loi s’impose aux commerçants et influence petit à petit la pratique des affaires.

  1. La jurisprudence.
    Les commerçants ont des tribunaux particuliers : on parle de tribunaux consulaires.
    Ce sont des tribunaux paritaires : les commerçants sont jugés par des commerçants.
    💡 L’existence des tribunaux de commerce remonte à l’Antiquité.
  1. La doctrine.

À partir du 16ème siècle, on commerce à rédiger les coutumes → on voit se développer une coutume commerciale.

Petit à petit, le droit des affaires se détache du droit civil.
Avant qu’il n’y ait de véritables lois sur le commerce, on se référait toujours au droit civil en matière commerciale.
Par exemple, jusqu’au Code de commerce, les lois sur la faillite étaient les mêmes pour les particuliers et pour les commerçants.
Ensuite, le Code civil est publié en 1804 ; lorsque le Code de commerce est publié en 1808, il apparaît dominé par le droit civil.

À la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, les auteurs participent au véritable détachement du droit civil et du droit commercial.
Par exemple, les auteurs Charles Lyon-Caen, Louis Renault et Edmond Thaller prônent la distinction du droit civil et du droit commercial.
Lorsque le Livre du centenaire du Code civil est publié (1904), la distinction entre ces 2 sciences est consommée.

Le droit n’est pas une matière purement théorique et scientifique : c’est une science sociale, liée à l’évolution des mœurs.
Ce cours suivra donc un plan chronologique, qui va de l’Antiquité à la fin du 19e siècle.