Commentaire d’arrêt complet : Crim., 7 mars 1989 (violation de secret professionnel)

Fiche rédigée par Bénédicte Vidal, alors étudiante en maitrise de droit privé à l’Université d’Evry Val d’Essonne.

Cet arrêt est relatif à la violation du secret professionnel et plus précisément à la nature du secret révélé.

En l’espèce, un particulier (Mr Robert Etienne) envisage de créer une station de sports d’hiver en Haute-Savoie. Pour ce faire, celle-ci a acquis la majorité des actions d’une société anonyme exploitant un téléphérique. Cependant, suite à une décision préfectorale interdisant cette exploitation, la société anonyme a été déclarée en faillite et ses biens ont été mis en vente. Etant dans l’impossibilité de les acquérir, les biens ont été adjugés. Au dernier jour de la surenchère, à savoir le 10 juin 1963, son avocat, qui de par sa profession connaissait les difficultés financières que rencontrait son client, à informé un tiers (Mme Balkani) de cette situation et lui a proposé de surenchérir en lui affirmant qu’il s’agit d’une bonne affaire. Ainsi, la conséquence de cette surenchère est que tous les biens de la société ont été définitivement adjugés à une autre société qui avait comme associé ce tiers et l’épouse de l’avocat.

Le client a porté plainte contre son avocat pour violation du secret professionnel. En première instance, le tribunal correctionnel a accueilli cette requête et a reconnu l’avocat coupable de cette infraction. N’approuvant pas cette décision, l’avocat a interjeté appel. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 30 juin 1987, a rendu un arrêt confirmatif. En effet, les juges du fond ont reconnu l’avocat coupable au motif que celui-ci a outrepassé l’obligation de discrétion à laquelle il était tenu de par sa profession.

N’étant pas d’accord avec la décision de la Cour d’appel de Paris, l’avocat s’est pourvu en cassation pour violation de l’Article 378 du Code pénal. L’avocat fonde sa défense sur deux éléments. Tout d’abord, il affirme que l’infraction de violation du secret professionnel suppose, bien entendu, l’existence d’un secret. Or, en l’espèce, l’information avait fait l’objet d’une large diffusion. Ensuite, il affirme que cette infraction nécessite un élément intentionnel qui, en l’espèce, n’était pas caractérisé.

La question à laquelle doit répondre la chambre criminelle de la Cour de cassation est de savoir si les éléments constitutifs de l’infraction de violation du secret professionnel sont réunis ou pas. Il semble que la Cour de cassation ait du répondre à deux questions : la première est celle de savoir si l’information divulguée a le caractère de secret ou non. La seconde est celle de savoir si le dépositaire du secret peut invoquer l’intérêt de l’intéressé pour justifier une violation du secret.

La Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel de Paris et a rejeté le pourvoi au motif que les éléments, tant matériels qu’intentionnels, caractérisant l’infraction de violation du secret professionnel ont été caractérisés. En effet, l’avocat a bien révélé une information à caractère secret. De plus, l’avocat a bien eu conscience de révéler un secret, même si cette révélation avait pour but l’intérêt de son client.

Il convient d’étudier, dans une première partie, la matérialité de l’infraction de violation du secret professionnel (I). Puis, dans une deuxième partie, il convient de s’attarder à l’intention de révéler, et plus particulièrement, le cas où cette intention est justifiée par la défense des intérêts de la victime (II)

I – La matérialité de l’infraction de violation du secret professionnel

Il convient, tout d’abord, de vérifier que les différents éléments matériels ont été caractérisés (A), puis de s’attarder à la qualification du caractère du principe posé par l’Article 378 du Code pénal.

A – Les différents éléments indispensables pour que le délit de violation de secret professionnel soit constitué

Les termes de l’Article 378 du Code pénal (  » personnes dépositaires par état ou profession « ,  » secret qu’on leur confie « ,  » auront révélé  » ) permettent de dégager les trois conditions matérielles indispensables pour que le délit de violation de secret professionnel soit constitué. Pour résumer ces trois conditions, il faut un confident (c’est-à-dire que la personne dont on examine la conduite doit appartenir à certaines professions), un secret (c’est-à-dire qu’un secret doit avoir été confié à cette personne en raison de sa profession), et une révélation (il faut que cette personne ait, bien entendu, révélé l’information secrète).On peut donc étudier si, en l’espèce, ces trois conditions ont été remplies, auquel cas la matérialité de l’infraction sera caractérisée.

1 – Un confident

Au lieu de fournir une liste exhaustive des professionnels tombant sous le coup de la loi, le droit français a procédé autrement. En effet, l’Article 378 du Code pénal vise expressément les professions de santé qui sont notamment désignées  » les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens et les sages-femmes ». Puis, il ajoute une formule générale englobant  » toutes autres personnes dépositaires par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie « .En l’espèce, le dépositaire du secret est un avocat, c’est-à-dire un professionnel compris dans la formule générale de l’Article 378 du Code pénal. En effet, les membres des professions libérales qui participent à l’exercice de la justice et qui, de ce fait, se voient confier par leur client des secrets d’ordre moral ou patrimonial sont considérés comme des confidents nécessaires. Cependant, le cas des avocats est un cas un peu particulier. En effet, si les avocats sont des confidents nécessaires, il ne faut pas confondre ces solutions avec celles édictées par l’Article 89 du décret du 4 juin 1972. Ce texte qui organise la profession d’avocat, soumet les avocats à une discipline et l’Article 89 soumet l’avocat à une obligation déontologique de secret indépendante de la répression pénale de la divulgation d’un secret professionnel.

2 – Un secret

Les peines de l’Article 378du Code pénal ne sont encourues que si l’on a affaire à des secrets confiés à des professionnels. Cependant, deux conditions doivent être réalisées : l’information reçue doit avoir un caractère caché et elle doit avoir été confiée à la personne en raison de sa qualité de professionnel.

Les termes de  » secrets  » utilisés par ce texte mettent l’accent sur des informations connues de la seule personne qui se confie au professionnel. Or, la doctrine s’accorde pour constater que l’Article 378 du Code pénal ne définit pas ce qu’est un secret et que cette notion est délicate à préciser.

A première approche consiste à conférer un caractère secret aux informations expressément confiées par l’intéressé aussi bien à un confident nécessaire (magistrat ou policier) qu’à un confident choisi (médecin, avocat..). Mais la Cour de cassation a depuis longtemps estimé que l’interprétation littérale de ce texte était trop réductrice et qu’au-delà des faits confiés, le secret s’étendait à tout ce que la personne tenue au secret a pu constater, découvrir ou déduire personnellement à l’occasion ou en raison de son état, de sa profession ou de sa mission. Autrement dit, le secret couvre tout ce qui relève de l’exercice de l’activité ou de la qualité professionnelle.

Une première approche consiste à conférer un caractère secret aux informations expressément confiées par l’intéressé aussi bien à un confident nécessaire (magistrat ou policier) qu’à un confident choisi (médecin, avocat…). Mais la Cour de cassation a depuis longtemps estimé que l’interprétation littérale de ce texte était trop réductrice et qu’au-delà des faits confiés, le secret s’étendait à tout ce que la personne tenue au secret a pu constater, découvrir ou déduire personnellement à l’occasion de sa mission. Autrement dit, le secret couvre tout ce qui relève de l’exercice de l’activité ou de la qualité professionnelle.

En l’espèce, l’existence ou non d’un secret est discutée. En effet, l’avocat affirme que l’information qu’il a communiquée n’est pas secrète puisqu’elle est  » déjà connue des personnes auxquelles elle a été donnée  » et qu’elle a fait l’objet d’une  » large diffusion « . Il part du principe que l’on ne peut pas considérer qu’une mise en faillite soit une information secrète. Selon lui, il serait contraire à l’Article 378 du Code pénal de retenir, à l’encontre de l’avocat, l’infraction de violation du secret professionnel, alors que l’information divulguée lors de ce dîner était déjà connue de tous, et ne constituerait donc pas un secret.

Cependant, la Cour d’appel de Paris ainsi que la Cour de cassation n’ont pas retenu cet argument au motif que l’intervention de l’avocat est punissable non pas parce qu’il a discuté de l’opération immobilière en elle-même (car tout le monde était déjà informé de cette opération) mais parce qu’il a divulgué les difficultés financières ainsi que certaines précisions (notamment en conseillant à un tiers de surenchérir lors de l’adjudication des biens de la société mise en faillite) que lui seul connaissait de par sa profession. C’est en ce sens que l’avocat a outrepassé son obligation de discrétion.

3 – Une révélation

L’Article 378 du Code pénal fait dépendre de la révélation du secret la constitution de l’infraction qu’il définit. Il faut rappeler que la révélation est une divulgation et non une communication. En effet, divulguer la confidence, c’est rendre public un fait jusque là secret.La jurisprudence a eu à définir les contours de cette notion de révélation. Ainsi, tout fait volontaire qui a pour conséquence directe ou indirecte de faire connaître à un tiers, en tout ou en partie, ce qui relève du secret professionnel constitue une révélation au sens de l’Article 378 du Code pénal.En l’espèce, la révélation était une divulgation directe du secret fait oralement au tiers par le professionnel en privé lors d’une conversation. L’avocat a bien révélé un secret à Madame Balkani. Il ressort des faits que celle-ci était au courant de l’opération immobilière en cours en Haute-Savoie mais elle ignorait totalement la situation dans laquelle se trouvait la société de Monsieur Etienne. Ainsi, en l’informant de cette situation et en lui proposant de surenchérir, l’avocat a révélé un secret dont lui seul avait connaissance de par sa profession.

B – Le caractère général et absolu du principe posé par l’Article 378

Cet arrêt est intéressant car il apporte des éléments de réponse aux difficultés que l’on rencontre lorsqu’un fait a été révélé par un professionnel alors qu’il était partiellement connu. En effet, la Cour de cassation affirme que  » le principe posé par l’Article 378 du Code pénal est général et absolu même s’il s’agit d’un fait connu dans son ensemble lorsque l’intervention du dépositaire du secret entraîne la divulgation de précisions qu’il était seul à connaître « .Il est important de distinguer selon que le fait divulgué était totalement ou partiellement connu. Dans la première hypothèse, il n’y a aucun problème puisqu’aucun secret n’existe, il n’y a aucune violation. En revanche, la seconde hypothèse est beaucoup plus problématique. Seule la révélation d’une information qui n’a pu être connue que dans un cadre professionnel est punissable.

En l’espèce, la Cour de cassation a fait une application stricte de cette règle. Elle a affirmé que ce qui est punissable ce n’est pas le fait d’avoir discuté de l’opération immobilière avec des personnes qui connaissaient déjà l’existence de cette affaire. Non, ce qui est punissable c’est le fait d’avoir  » brosser un tableau d’ensemble très précis de la situation de l’affaire « . En effet, les juges du fond ainsi que la Cour de cassation reprochent à l’avocat d’avoir divulgué une information qui n’a pu être connue que dans le cadre professionnel. C’est d’autant plus grave que si Monsieur Etienne a confié à Maître Cohen sa situation, c’est parce qu’il avait confiance et parce qu’il savait, qu’en raison de sa profession, un avocat est tenu au secret professionnel. Les informations confiées par un client à son avocat sont secrètes et en les divulguant à des tiers, l’avocat méconnaît l’Article 378 du Code pénal qui impose l’obligation de secret en ce qui concerne les faits dont la connaissance est liée à l’exercice d’une certaine profession.

II – L’intention frauduleuse de révéler un secret

Il convient d’étudier, dans un premier temps, l’élément moral de cette infraction (A). Puis, on peut s’attarder à ce qui pose problème dans cet arrêt, à savoir la notion d’intérêt du client en tant que justification de la révélation du secret (B).

A – L’intention de révéler

L’Article 378 du Code pénal est peu explicite sur l’élément moral nécessaire à la constitution de l’infraction qu’il concerne. En effet, la formule  » auront révélé  » ne permet pas, a priori, de dire si l’infraction est ou non intentionnelle. Cependant, la jurisprudence a très tôt reconnu que la violation du secret professionnel constitue un délit intentionnel. L’intention exigée consiste dans ce que les pénalistes appellent le dol général, sans que la volonté de nuire soit indispensable.

Selon la chambre criminelle, le législateur dans un intérêt d’ordre public et de moralité supérieure, a assuré de manière inébranlable la confiance qui s’impose dans l’exercice de certaines professions.

Selon la doctrine, il suffit pour que l’intention nécessaire soit caractérisée que le professionnel ait conscience de révéler le secret dont il a connaissance. Ainsi, peu importe les mobiles, les raisons psychologiques expliquant la révélation. Donc, s’il n’y a ni volonté, ni conscience de révéler le secret, le délit ne peut apparaître.

Qu’en est-il en l’espèce ? Il résulte des faits que l’avocat a tout à fait eu conscience de révéler les difficultés de son client (informations secrètes et dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa profession). Cependant, dans cette espèce, se pose un problème supplémentaire qui réside dans la justification, par l’avocat, de la révélation du secret. En effet, celui-ci invoque l’intérêt de son client pour justifier le fait qu’il ait divulgué des informations à caractère secret.

B – L’intérêt : un fait justificatif ?

Cet arrêt répond à la question suivante : le dépositaire du secret peut-il invoquer l’intérêt de son client pour justifier une violation du secret professionnel ? Un arrêt ancien, du 8 décembre 1902, a estimé que le dépositaire du secret pouvait invoquer un véritable état de nécessité. Dans cet arrêt, un avocat avait estimé que le seul moyen de défendre son client passait par la révélation des confidences qu’il en avait reçues. Se pose alors le problème, en ce qui concerne les avocats, de la difficile conciliation entre le devoir de tout mettre en œuvre pour défendre leur client et l’obligation de discrétion. D’un côté, les avocats sont susceptibles d’utiliser toutes les informations qu’ils détiennent pour défendre leur client mais, d’un autre côté, ils ne peuvent pas utiliser les confidences faites par leur client.

En l’espèce, Maître Cohen soutient qu’il a évoqué les difficultés de son client  » que pour lui procurer des concours extérieurs et ainsi lui apporter l’aide qui lui faisait défaut « . En d’autres termes, si l’avocat a divulgué le secret c’est tout simplement pour aider son client. Il prétend que le fait de proposer à Madame Balkani de surenchérir aurait permis à son client d’obtenir un délai supplémentaire pour réunir les fonds nécessaires afin d’acquérir les biens de sa société. Finalement, il résulte de l’argumentation de Maître Cohen que son action était noble puisqu’elle n’avait pour seul objectif que d’aider son client. Il prétend même, qu’il n’a agi que dans l’intérêt de son client.

A la lecture de cet arrêt, il convient de faire une distinction entre l’intérêt du client et celui du dépositaire. En effet, il semble que dans de nombreuses affaires, il y ait une confusion : le dépositaire du secret prétendant agir dans l’intérêt de son client alors, qu’au fond, il n’agit que dans son propre intérêt.

D’après la jurisprudence, seul l’état de nécessité peut justifier la violation du secret professionnel. De plus, la Cour de cassation a posé la règle que le seul intérêt du dépositaire du secret ne pouvait justifier la révélation du secret.

Il résulte des faits de l’espèce que l’avocat n’a agi que dans son propre intérêt. En effet, les biens de la société de son client ont été définitivement adjugés à une société qui, comme par hasard, avait pour associés la fameuse Madame Balkani et l’épouse de l’avocat. On peut donc affirmer que Maître Cohen avait un intérêt personnel à divulguer certaines précisions sur cette opération immobilière. Il paraît indéniable que Maître Cohen a profité des confidences de son client pour réaliser, comme il est dit dans l’arrêt, une  » bonne affaire « . Il ne fait aucun doute que l’intention frauduleuse est caractérisée puisque le dépositaire avait, non seulement conscience de révéler un secret dont il avait eu connaissance dans l’exercice de sa profession, mais également parce qu’il avait tout à fait conscience du profit personnel qu’il pourrait tirer de cette révélation.

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