Commentaire d’arrêt complet : Crim., 12 mars 1997 (le délit de risque causé à autrui)

Fiche rédigée par Bénédicte Vidal, alors étudiante en maitrise de droit privé à l’Université d’Evry Val d’Essonne.

Le délit de risques causés à autrui est apparu en 1994 avec le Nouveau Code Pénal et n’a jusqu’ici fait l’objet que de peu de jurisprudence. De plus, de nombreux arrêts rendus à son sujet font souvent l’objet de critiques en raison du défaut d’application stricte par les juges de ce texte.

L’Article 223-1 Code pénal relatif à la mise en danger délibérée d’autrui incrimine le  » fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 frs d’amende « .

En l’espèce, le conducteur d’un véhicule automobile a, sur une bretelle d’autoroute ne comportant qu’une voie de circulation, procédé, à vive allure, au dépassement par la droite du véhicule le précédant avant de se rabattre brusquement et de contraindre celui-ci à un écart.

En raison de ces faits, il a été prévenu du chef de délit de mise en danger délibérée d’autrui, infraction réprimée par l’Article 223-1 du Code pénal.

La chambre correctionnelle de la Cour d’appel a déduit de ces faits, que le prévenu avait violé délibérément une obligation particulière de sécurité et exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves. Les juges du fond l’ont condamné à 10 000 frs d’amende et à une suspension de son permis de conduire pendant 3 mois.

Le prévenu se pourvoit en cassation. En effet, il considère que la Cour d’appel n’a pas caractérisé l’élément intentionnel du délit ni en quoi les faits relevés étaient susceptibles d’entraîner la mort ou des blessures graves.

La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 12 mars 1997, a rejeté le pourvoi. Elle confirme que le comportement du prévenu constitue une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité et qu’en conséquence, celui-ci a exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves.

La question qui est posée à la Cour de cassation est celle de savoir si les éléments constitutifs du délit de mise en danger délibérée d’autrui sont suffisamment caractérisés par les juges du fond. A cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative.

Cette décision semble justifiée au regard des faits et des éléments constitutifs du délit. Cependant, la motivation laconique et lacunaire tant de la Cour d’appel que de la Cour de cassation font qu’elle est critiquable sur ce point. En effet, l’Article 213-1 du Code pénal exige, pour que l’infraction soit constituée la violation manifestement délibérée d’une règle particulière de sécurité et de prudence (II) ainsi que l’exposition d’autrui à un risque direct et immédiat de mort ou de blessures (I), éléments que les juges ont déduit des faits sans les motiver.

I – Un risque direct et immédiat pour autrui de mort ou de blessures graves de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente

Il s’agit ici du premier élément constitutif de l’infraction, à savoir l’élément matériel. Pour être caractérisé, il nécessite l’existence d’un risque pour l’intégrité corporelle d’autrui (A). De plus, ce risque doit être directement et immédiatement lié à la violation d’une règle particulière de sécurité par l’agent (B).

A – Un risque pour l’intégrité corporelle d’autrui

La notion de risque inclus dans l’Article 223-1 du Code pénal implique que ce qui fait le délit n’est pas le résultat mais l’exposition à un danger éventuel plus ou moins prévisible. Ainsi, en l’absence de prise en compte du résultat, il appartient au juge, pour chaque cas d’espèce, d’établir que le comportement du prévenu est, d’une part, de nature à entraîner un risque pour autrui et, d’autre part, que ce risque porte sur l’intégrité corporelle d’autrui.

En l’espèce, le prévenu faisait valoir dans son pourvoi que les juges du fond n’avaient pas précisé en quoi les faits incriminés étaient de nature à porter atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui.

En effet, en jurisprudence, les juges qui ont à juger de la condamnation du chef de mise en danger délibérée d’autrui suite à des violations de dispositions du Code de la route s’attachent à un ensemble de faits tels que la visibilité, la vitesse et la distance de freinage eu égard à l’état de la route et du véhicule ou encore à la fluidité de la circulation.

Ici, les juges se sont contentés de relever que le comportement du prévenu avait obligé l’autre automobiliste à faire un écart. Ils n’établissent donc pas en quoi cet écart était susceptible de causer un dommage à l’intégrité corporelle du conducteur. En effet, ils auraient pu préciser si cet écart avait conduit l’automobiliste à s’approcher dangereusement d’un autre véhicule ou du rail de sécurité de la bretelle d’autoroute par exemple ; ou encore si l’incident avait eu lieu à une heure de grande circulation, ou dans des conditions climatiques rendant la visibilité ou la maîtrise du véhicule difficiles.

Ainsi, les faits sur lesquels les juges se sont appuyés sont insuffisamment pertinents pour caractériser le risque et l’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui.

Cette constatation est à rapprocher et à compléter par l’analyse de la motivation des juges quant à l’existence d’un risque direct et immédiat (B).

B – Un risque direct et immédiat

L’Article 223-1 du Code pénal incrimine le fait  » d’exposer directement autrui à un risque immédiat « . Il s’agit bien de l’exigence de causalité entre le comportement du prévenu et les risques encourus par autrui.

Il s’ensuit que le seul fait pour les juges de relever la violation d’une obligation de sécurité ne suffit pas à caractériser l’existence d’un risque immédiat pour autrui, car comme l’a souligné la doctrine il n’existe pas de présomption de mise en danger délibérée d’autrui et de surcroît cela ôterait toute raison d’être à l’incrimination de ce délit. En effet, s’il suffisait de relever la violation de la règle pour en déduire un comportement dangereux, l’existence préalable de la règle de sécurité violée se fondrait avec les autres éléments constitutifs du délit, tant et si bien que toute violation d’une règle de sécurité, quelles que soient les circonstances, serait constitutive du délit de mise en danger. En ainsi, le fait de violer une règle de sécurité conduirait dans tous les cas à être condamné pour deux infractions (la violation de la règle et le délit de mise en danger). Il est donc manifeste que le législateur, en 1994, avait l’intention d’avoir une conception stricte de ce délit.

Or, en l’espèce, la Cour de cassation n’explique pas en quoi le comportement du prévenu exposait les autres usagers de l’autoroute à un risque immédiat de collision ou autre. La Cour se contente donc du seul constat de la faute du prévenu sans exiger la preuve de l’existence d’un risque immédiat pour autrui, c’est-à-dire sans exiger de lien de causalité entre la violation et le risque. Là encore, les juges n’ont pas satisfait aux exigences légales de l’Article 223-1 du Code pénal en ne caractérisant pas ce lien de causalité.

Ainsi, toute la motivation tant des juges d’appel que de cassation est critiquable dans cet arrêt car elle ne caractérise pas suffisamment les éléments constitutifs du délit de mise en danger d’autrui, même si, en l’espèce, ces éléments semblaient présents au regard des faits.

II – La violation manifestement délibérée d’une règle particulière de sécurité

Il s’agit du second élément constitutif de l’infraction, à savoir l’élément moral. Pour être caractérisé, il faut que soit préalablement relevé l’existence d’une règle particulière de sécurité (A) et qu’il soit établi en quoi l’agent avait conscience de violer cette règle (B).

A – L’existence d’une règle particulière de sécurité

Le délit suppose comme condition préalable que l’agent ait été tenu d’une obligation particulière de sécurité imposée par la loi ou par le règlement. La jurisprudence a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la notion de  » règlement » qui doit être entendue au sens constitutionnel ainsi que sur la notion  » d’obligation particulière « . La tendance est de considérer que les dispositions du Code de la route constituent des obligations particulières de sécurité et de prudence. Et par opposition, ne sont pas condamnés ceux qui sont tenus par des obligations générales de sécurité et de prudence.

Or, en l’espèce, les juges, tant d’appel que de cassation, n’ont à aucun moment cherché à viser l’obligation particulière de sécurité qui avait été violée. Ceci est contraire à une bonne administration de la justice car comment savoir , dans ce cas, si une règle de sécurité imposée par la loi et le règlement a été violée, d’une part ; et d’autre part, s’il s’agissait d’une règle particulière de sécurité. Ici, il est vrai que le prévenu semble avoir violé les Articles R 12 (  » les croisements s’effectuent à droite et les dépassements à gauche « ), R 14 (  » avant de dépasser, le conducteur doit s’assurer qu’il peut le faire sans danger… » ) et R 15 (  » par exception à la règle prévue à l’Article R 12, mais avec des précautions identiques à celles de l’Article R 14, un véhicule doit être dépassé par la droite lorsque le conducteur de ce véhicule à signalé qu’il se disposait à tourner à gauche… »). De plus, il semble logique de ne pas avoir d’occasion de doubler (que ce soit par la gauche ou par la droite) sur une bretelle d’autoroute à une voie. Ainsi, en l’espèce, il y a eu violation d’une règle de sécurité mais il appartient aux juges de le relever.

En outre, dans un arrêt postérieur (Cass Crim du 23 juin 1999), la Cour de cassation a décidé que  » l’Article 223-1 du Code pénal n’exige pas, pour son application, que soit visé dans la citation ou la convocation en justice le texte législatif ou réglementaire prévoyant et réprimant l’obligation particulière de sécurité ou de prudence « . Mais, en l’espèce, la Cour d’appel avait au moins cité la règle violée sans en donner le contenu.

De même, les juges n’ont pas non plus précisé un quoi il y avait violation délibérée des règles de sécurité précitées (B).

B – La violation manifestement délibérée d’une règle de sécurité

En doctrine, il est admis que le délit de mise en danger délibérée d’autrui est une infraction formelle. En effet, le dommage corporel n’est pas pris en compte. Seule compte la méconnaissance volontaire d’une obligation de sécurité particulière et la conscience de faire prendre des risques corporels à autrui. Ainsi, ceci exclut, pour que le délit soit caractérisé, tout manquement par imprudence ou négligence.

En l’espèce, l’argument du prévenu était justement axé sur ce point puisqu’il reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir précisé en quoi l’infraction retenue avait été intentionnelle.

Cet argument, qui pourtant n’a pas été retenu, semblait justifié. En effet, comment justifier l’existence même du délit de mise en danger d’autrui par rapport à la règle violée qui en est la base, si ce n’est notamment en relevant l’intention de violer cette règle.

En l’espèce, s’agissant d’un dépassement par la droite sur une bretelle d’autoroute à une voie, le prévenu avait nécessairement connaissance de ce qu’il violait une règle de sécurité. En effet, quiconque sait, même les personnes ne possédant pas leur permis de conduire, qu’il est interdit de dépasser une voiture par le droite et de surcroît que c’est particulièrement dangereux lorsqu’il n’y a qu’une voie de circulation. Les juges n’avaient donc pas à préciser que le prévenu avait connaissance de la violation de la règle de sécurité. En revanche, il leur appartenait de relever en quoi cette méconnaissance de la règle était volontaire. Il pouvait très bien s’agir d’une simple imprudence ou négligence.

Cependant, il est vrai que si cela avait été le cas, les avocats du prévenu n’auraient pas manqué de le souligner. Mais bien que cet argument permette de comprendre la lacune des juges sur ce point, il est néanmoins de leu devoir de le préciser.

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