Chapitre 13 : Le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Ce principe s’est progressivement imposé à la fin du 19ème siècle et constitue le principe fondateur de la séparation des compétences entre les 2 juges.

Ce principe procède de 2 textes adoptés sous la Révolution française :

  1. L’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 ;
  1. Le décret du 16 fructidor an 3.

Ces 2 textes posent un principe de non-ingérence des juridictions judiciaires dans les fonctions administratives.
Ils sont encore en vigueur aujourd’hui.

Ce principe s’est imposé à la fin du 19ème siècle, notamment avec l’arrêt Blanco du Tribunal des conflits (1873), qui est devenu la source principale de la répartition des compétences entre les 2 juges.
En effet, cet arrêt Blanco met fin à la théorie de l’état débiteur, dont on déduisait la compétence exclusive du juge administratif dès lors qu’il s’agissait de condamner l’État à une obligation pécuniaire → élargit la compétence du juge administratif.

Conseil constitutionnel, 1987, Conseil de la concurrence :
Le Conseil constitutionnel affirme que le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires n’a pas valeur constitutionnelle.
En revanche, il dégage un PFRLR : “en dehors des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, seul le juge administratif est compétent pour connaître des recours tendant à l’annulation ou à la réformation des décisions prises par les personnes publiques dans l’exercice des prérogatives de puissance publique.”
→ La compétence du juge administratif pour “annuler et réformer” les décisions administratives est un PFRLR.

Cette décision ne remet pas en cause le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
Ce qu’apporte ce PFRLR, c’est qu’il “contribue à sanctuariser une partie des compétences du juge administratif” → la loi ne peut plus faire n’importe quoi.
Néanmoins, le législateur peut créer des blocs de compétence juridictionnelle dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Section 1 : Définition du principe

§ 1. Un principe d’interprétation variable

Dans un 1er temps, l’interprétation de ce principe repose sur un critère organique : toutes les décisions de l’État échappent au contrôle du juge judiciaire.

D’autres critères ont ensuite été pris en compte :

  • Le critère formel = la nature de la technique mobilisée par l’administration.
    Clause exorbitante, prérogatives de puissance publique…
  • Le critère matériel = la nature de la finalité de l’administration.

Au début du 20ème siècle, un certain nombre d’auteurs ont avancé l’idée qu’1 critère unique permettait désormais d’interpréter le principe de séparation : le critère du service public (= un critère matériel).
Cette idée est mise en avant par “l’École du service public”, menée notamment par Léon Duguit.

Léon Duguit s’est tourné vers l’arrêt Blanco (1873), dans lequel le Tribunal des conflits affirme que la responsabilité qui peut incomber à l’État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes issus du Code civil”.

Ce critère matériel du service public existe bien, mais il n’a jamais joué un rôle exclusif dans la répartition des compétences entre les 2 ordres de juridiction, comme en attestent :

  1. Tribunal des conflits, 1921, Société commerciale de l’Ouest africain (Bac d’Eloka) :
    Il y a des services publics à gestion privée (→ SPIC) dont le contentieux est rattaché au juge judiciaire.
  1. Conseil d’État, 1942, Monpeurt :
    Des services publics administratifs (SPA) peuvent être gérés par des personnes privées. Dans ce cas-là, leur contentieux relève largement du juge judiciaire.

Dans les 2 cas, on a un service public dont le contentieux relève du juge judiciaire.

§ 2. Interprétation actuelle du principe

A – Problématique générale

Pour assurer la mise en œuvre de ce principe de séparation, il y a 2 méthodes envisageables :

  1. La méthode synthétique : on tient compte de la nature de l’activité en cause dans le litige.
    En fonction de l’activité, elle est entièrement soumise au droit public (→ juge administratif) ou entièrement soumise au droit privé (→ juge judiciaire).

    Cette méthode valorise le critère matériel : c’est la nature de l’activité qui détermine le droit et le juge compétent.

  1. La méthode analytique : on tient compte des différents éléments qui concrétisent l’activité en cause dans le litige.
    La mise en œuvre du principe de séparation suppose de déterminer si tel acte est un acte administratif ou un acte de droit privé, si tel bien est un bien public ou privé…

    Cette méthode prend aussi en compte les critères formel et organique.

Concrètement, c’est pour l’essentiel la méthode analytique qui a prévalu dans l’application du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

Par exemple, il aurait été possible que, dès lors qu’il y a une activité qui est un SPIC, alors le droit privé s’applique et le juge judiciaire est compétent.

Traditionnellement, c’est effectivement le cas.
Voir notamment : Conseil d’État, 1961, Campanon-Rey :
Le Conseil d’État considère qu’un contrat entre un SPIC et un usager relève de la compétence du juge judiciaire, même s’il comporte une clause exorbitante du droit commun.
Cela laisse entendre qu’on est indifférent au critère formel : la présence d’une clause exorbitante du droit commun.

Cependant, les choses ne sont pas aussi simples.
Par exemple : Conseil d’État, 1957, Jalenques de Labeau :
Si un SPIC est géré par un établissement public, son directeur aura la qualité d’agent public → le juge administratif est compétent.

Autre exemple : Tribunal des conflits, 1968, Barbier :
Les actes unilatéraux règlementaires des SPIC relatifs à l’organisation du service public sont des actes administratifs → le juge administratif est compétent.

On en conclut que le raisonnement mobilisé pour déterminer la juridiction compétente : la compétence suit la notion.
Autrement dit, la détermination de la compétence juridictionnelle dépend d’une opération de qualification préalable d’une activité, d’un acte ou d’un bien.

B – Mise en œuvre

Conseil d’État, 1961, Magnier :
Lorsqu’un SPA est géré par une personne privée, ses actes sont des actes administratifs lorsqu’ils manifestent l’exercice de prérogatives de puissance publique.

Comment ce principe de séparation est-il appliqué lorsqu’est en cause le service public de la justice judiciaire ?

Tribunal des conflits, 1952, Préfet de la Guyane :
Le juge judiciaire est compétent dès lors qu’est en cause l’exercice de la fonction juridictionnelle.
Lorsqu’est en cause l’organisation du service public de la justice judiciaire, c’est le juge administratif qui est compétent.

Il en résulte que le juge administratif est parfois compétent pour connaître de décisions prises par des magistrats de l’ordre judiciaire.
Exemple : Conseil d’État, 1975, Volff et Exertier :
Un chef de juridiction est amené à noter ses magistrats. La notation d’un magistrat relève de l’organisation du service public de la justice judiciaire → le juge administratif est compétent.

Conseil d’État, 2016, Le Pen :
Était en cause la HATVP, une AAI qui est amenée à contrôler le patrimoine des élus.
En contrôlant le patrimoine de Marine le Pen, elle relève des incohérences susceptibles de relever du droit pénal ; elle saisit le procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale (qui oblige les fonctionnaires à dénoncer à la justice les infractions dont ils ont connaissance).
Marine le Pen engage un recours contre cette décision de la HATVP ; le juge compétent pour en connaître est le juge judicaire, parce que la saisine du procureur de la République est susceptible d’entraîner des poursuites pénales → fonction juridictionnelle assurée par le juge judiciaire.
→ Une décision d’une AAI est susceptible de relever du juge judiciaire.

Exemple d’actes qui sont détachables de la fonction juridictionnelle : création d’un tribunal, sanctions prises contre des magistrats…

Exemples d’actes qui ne sont pas détachables de la fonction juridictionnelle : les actes juridictionnels, toutes les opérations relevant de la police judiciaire, les mesures tendant à la saisine des tribunaux…

Il y a des domaines dans lesquels il peut être difficile de départager, par exemple pour les actes relatifs au fonctionnement interne des juridictions.
Aujourd’hui, on constate une tendance du Tribunal des conflits à se rattacher à la compétence du juge judiciaire lorsqu’il y a un doute.

Exemple : Conseil d’État, 2010, Syndicat de la Magistrature :
Le 1er président d’une cour d’appel procède à la répartition des magistrats dans les différentes chambres → ressemble à l’organisation du service public de la justice judiciaire.
Mais le Conseil d’État considère que cette question met en cause la fonction juridictionnelle → le juge judiciaire est seul compétent pour en connaître.

Exemple : Tribunal des conflits, 8 février 2021, (box) :
Installation d’un box dans la salle d’audience d’une juridiction, permettant d’isoler le prévenu.
Cette décision relève du juge judiciaire, parce qu’elle concerne les conditions de déroulement de l’audience et les modalités de comparution du prévenu pendant cette audience.

Il y a aussi des difficultés sur les actes qui sont en rapport avec l’exécution des décisions du juge judiciaire :

  1. Lorsqu’on souhaite contester le refus d’un préfet d’apporter le concours de la force publique à l’exécution d’une décision du juge judiciaire, le juge administratif est compétent.
    En effet, on considère que la loi laisse une certaine marge d’appréciation au préfet (voir jurisprudence Couitéas) → décision qui relève de la compétence du juge administratif.
  1. Le contentieux pénitentiaire est principalement administratif.

    Le juge judiciaire reste compétent pour connaître des décisions qui mettent en cause la nature et les limites d’une peine infligée par le juge pénal et “dont l’exécution est assurée à la diligence du ministère public”.
    Donc les contentieux concernant la libération conditionnelle, le calcul des réductions de peine, la suspension du droit de visite… sont des contentieux judiciaires.

Dernier exemple qui illustre les subtilités de l’application de la jurisprudence Préfet de la Guyane :
Conseil d’État, 2011, Beaumont :
Un détenu est placé sous le régime de placement sous surveillance électronique et est confronté à des dysfonctionnements de son bracelet électronique qui lui compliquent la vie.
Il engage une action devant le juge administratif demandant à ce que ce bracelet électronique soit remplacé ou retiré.
Le Conseil d’État répond que son action est partiellement mal orientée : la décision de son placement sous bracelet électronique dépend du juge judiciaire ; mais le juge administratif est compétent pour connaître des dysfonctionnements du dispositif de surveillance électronique.

Section 2 : Les altérations du principe

La décision Conseil de la concurrence a mis en valeur les 2 types d’exceptions de ce principe.
Le Conseil constitutionnel y pose un PFRLR, mais précise qu’il ne s’applique pas dans 2 hypothèses :

  1. Il y a des contentieux qui relèvent “par nature” du juge judiciaire (§ 1) ;
  1. Le législateur, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, “peut unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein d’un ordre juridictionnel principalement intéressé” (§ 2).

§ 1. Les contentieux réservés par nature à l’autorité judiciaire

A – Le protection de la propriété et de la liberté individuelle

La sauvegarde de la liberté individuelle et la protection de la propriété privée entrent dans les attributions du juge judiciaire.
Cette idée interfère dans l’application du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

L’article 66 de la Constitution érige le juge judiciaire en gardien de la liberté individuelle :
”L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.”
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel considère que les compétences du juge judiciaire pour la protection de la propriété privée relève des PFRLR.

Cette idée se traduit par des textes législatifs et des jurisprudences qui attribuent des contentieux au juge judiciaire.

L’interprétation de cet article 66 par le Conseil constitutionnel a évolué dans le temps, de telle sorte que la compétence du juge judiciaire qui en résulte s’est contractée.

Conseil constitutionnel, 1999, n°99-411 :
Extrait de la notion de liberté individuelle la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile, le respect de la vie privée… pour les protéger sur d’autres fondements.
Il en résulte une contraction de la notion.
Aujourd’hui, la liberté individuelle, c’est la protection contre la privation de liberté.

1) Les textes

3 exemples de textes qui illustrent l’idée que le juge judiciaire est le gardien de la liberté individuelle et de la propriété privée :

  1. L’admission en soins psychiatriques sans consentement : hypothèse dans laquelle une personne est internée de force dans un établissement psychiatrique sur décision du préfet ou du directeur de l’établissement (personnes dangereuses pour les autres ou pour elles-mêmes).
    L’article L3216-1 du Code de la santé publique dispose : “La régularité des décisions administratives prises [en matière d’admission en soins psychiatriques sans consentement] ne peut être contestée que devant le juge judiciaire”.
  1. Depuis une loi de 1981 aujourd’hui intégrée au CESEDA, il est possible de placer un étranger en rétention administrative en attendant de pouvoir procéder à son éloignement.
    L’article L741-10 du CESEDA dispose que le juge compétent pour connaître des recours contre les décisions de placement en rétention administrative est le juge des libertés et de la détention, alors même que c’est une décision de l’administration.
  1. La procédure d’expropriation pour utilité publique.
    Cette procédure est entièrement administrative, mais le juge compétent pour prononcer l’expropriation et en fixer l’indemnité est le juge judiciaire.

2) Les jurisprudences

a) La voie de fait

Il y a voie de fait lorsqu’une décision ou une action de l’administration porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté individuelle ou conduit à l’extinction d’un droit de propriété.

Tribunal des conflits, 2013, Bergoend :
Marque une contraction de la théorie de la voie de fait, pour 2 raisons :

  1. Depuis les années 2000, le juge administratif est doté de pouvoirs nouveaux qui rendent la voie de fait moins utile, avec notamment le référé liberté introduit par la loi du 15 juin 2000.
  1. Le Tribunal des conflits a fait le choix d’aligner la compétence du juge judiciaire en matière de voie de fait sur la nouvelle définition constitutionnelle de la liberté individuelle.

→ Évolution de la théorie jurisprudentielle de la voie de fait.

Les conditions de la voie de fait :

Il faut d’abord une atteinte grave à la liberté individuelle ou l’extinction d’un droit de propriété.
C’est sur ce point que porte la contraction de l’arrêt Bergoend.
Avant l’arrêt Bergoend, la voie de fait était constituée dans l’hypothèse d’une atteinte grave à une liberté fondamentale (pas seulement à la liberté individuelle) ou en cas d’atteinte grave au droit de propriété (pas seulement en cas d’extinction).
→ Double contraction.

Par exemple, avant l’arrêt Bergoend, la voie de fait pouvait être invoquée en cas d’atteinte à la liberté de la presse, à la liberté d’expression…
Désormais, elle ne peut jouer qu’en cas d’atteinte à la liberté individuelle.

De même, avant l’arrêt Bergoend, la voie de fait pouvait jouer en cas d’implantation d’un ouvrage public sans autorisation.
Désormais, ça n’est plus possible.

Exemple : Civ. 1, 19 mars 2015 :
Était en cause une entrave à la liberté syndicale. Le requérant invoquait la voie de fait pour les juridictions judiciaires.
La Cour de cassation constate que la liberté syndicale n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution → la voie de fait ne peut pas jouer.

Exemple : Cour de cassation (Assemblée plénière), 2019, Lambert :
Les parents de Vincent Lambert considèrent que la décision du médecin d’interrompre le traitement est constitutif d’une voie de fait et souhaite donc que le juge judiciaire intervienne.
L’Assemblée plénière retient que la voie de fait ne joue qu’en cas d’atteinte à la liberté individuelle ; or l’affaire Lambert met en cause le droit à la vie.

Exemple : Civ. 1, 15 juin 2022, (gamètes) :
Un jeune homme dépose ses gamètes dans une banque de sperme puis décède.
En France, il y a un principe de prohibition de l’insémination post mortem.
Sa mère souhaite obtenir la restitution des gamètes, notamment devant le juge judiciaire en invoquant la voie de fait.
Est-ce que la non restitution des gamètes est constitutive de la privation d’un droit de propriété ou de la liberté ?
La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel : les gamètes humaines ne constituent pas un bien, on ne peut donc pas parler d’un droit de propriété ; par ailleurs, la liberté de procréer n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle.

Concernant l’atteinte manifestement illégale : il y a plusieurs hypothèses :

  1. Lorsqu’est en cause l’exécution d’office d’une décision administrative dans des conditions irrégulières.
    Exécution d’office = elle n’a pas demandé l’autorisation d’un juge.

    💡
    En principe, lorsque l’administration prend une décision et que celle-ci rencontre une résistance, elle ne peut pas procéder d’office à son exécution. Elle doit d’abord demander l’autorisation à un juge.

    Mais il y a 3 hypothèses dans lesquelles l’administration peut procéder d’office à l’exécution forcée de cette décision. Ces hypothèses résultent de l’arrêt :

    Tribunal des conflits, 1902, Société immobilière Saint-Just :
    1- Lorsque la loi le prévoit ;
    2- Lorsqu’il y a urgence ;
    3- Lorsqu’il n’y existe pas d’autres voies de droit pour assurer l’exécution de cette décision.

    Exemple : Tribunal des conflits, 1998, Préfet de la Guadeloupe / TGI de Basse Terre :
    Un cyclone détruit des habitations illégalement construites. Un arrêté municipal interdit les travaux de reconstruction d’habitations illégales.
    Certaines personnes ne respectent pas cet arrêté, et des agents municipaux viennent détruire l’une de ces habitations reconstruites en infraction.
    Le Tribunal des conflits relève qu’aucun texte n’autorisait cette destruction, qu’il n’y avait pas d’urgence pour agir et qu’il existe des voies de droit pour agir → exécution forcée dans des conditions irrégulières → il y a voie de fait.

  1. Lorsqu’est en cause la décision elle-même : la décision est “insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’administration”.
    Idée : toute illégalité ne justifie pas la voie de fait ; il faut une illégalité d’une particulière gravité.

    L’appréciation de la voie de fait dans ce contexte est assez délicate.
    L’administration doit avoir utilisé un pouvoir dont elle ne dispose pas dans le cadre de l’exercice de la compétence en cause.

    Exemple : Tribunal des conflits, 2001, Mohamed / Ministre de l’Intérieur :
    Était en cause le refus des autorités françaises de restituer son passeport à une ressortissante étrangère. Il a été considéré que cette décision était manifestement illégale et constitutive d’une voie de fait, parce que même si l’administration peut retenir le passeport d’une personne dans certaines situations, ça n’était pas possible dans le cadre de la compétence à l’œuvre (police des étrangers).

La mise en œuvre de la voie de fait :

La voie de fait a essentiellement des conséquences sur la répartition des compétences entre les 2 ordres de juridiction.
Idée de la voie de fait : donner compétence au juge judiciaire pour mettre fin à la voie de fait et pour éventuellement en réparer les conséquences préjudiciables.

⚠️ L’existence d’une voie de fait ne prive pas le juge administratif de tout pouvoir.
Il peut toujours être saisi dans le cadre d’un REP d’une demande d’annulation d’une décision entachée de voie de fait = le REP reste possible (Tribunal des conflits, 1966, Guigon).
De même, par ailleurs, il reste possible de saisir le juge administratif d’un référé liberté (Conseil d’État, 2013, Commune de Chirongui).

En revanche, seul le juge judiciaire peut connaître de l’action tendant à la réparation des conséquences dommageables de la voie de fait.

Que peut faire le juge judiciaire ?
Le juge judiciaire a une plénitude de juridiction : il peut apprécier la légalité d’un acte administratif + il peut prononcer des injonctions à l’égard de l’administration + il a compétence exclusive pour réparer les conséquences dommageables de la voie de fait.

Jusqu’à la mise en place du référé liberté en 2000, il y avait un principe très prégnant en droit administratif : le juge administratif ne pouvait pas prononcer d’injonctions à l’égard de l’administration. Il n’y avait pas non plus de procédure d’urgence permettant d’obtenir rapidement des injonctions. La voie de fait avait donc une grande importance.

b) L’emprise irrégulière

La théorie de l’emprise irrégulière est une autre théorique jurisprudentielle qui contribue à donner compétence au juge judiciaire alors qu’est en cause une décision de l’administration.

L’emprise irrégulière ne concerne que les atteintes à la propriété privée.
Cette théorie a vécu le même phénomène de contraction que la voie de fait : son équivalent de l’arrêt Bergoend est :

Tribunal des conflits, 2013, Panizzon / Commune de Saint-Palais :
Avant cette décision, la théorie de l’emprise irrégulière était importante, puisqu’elle pouvait jouer lorsque l’administration avait porté atteinte à la propriété privée par “une prise de possession irrégulière, totale ou partielle, provisoire ou définitive”.
Exemple : EDF implante un transformateur sur une propriété privée sans demander l’accord du propriétaire.

Désormais (depuis la décision Panizzon), l’emprise irrégulière n’est constituée qu’en présence d’une décision qui a pour effet l’extinction d’un droit de propriété.

Conséquences : Civ. 3, 18 janvier 2018 :
La Cour de cassation juge que la décision d’édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée n’est pas constitutive d’une situation d’emprise irrégulière, puisqu’elle n’a pas pour effet l’extinction du droit de propriété sur cette parcelle.

💡
La théorie de la voie de fait ne joue qu’en présence d’une atteinte manifestement illégale = une illégalité grave.
La théorie de l’emprise irrégulière peut jouer en présence d’une simple illégalité.

La théorie de l’emprise irrégulière peut-elle jouer en présence d’autres droits réels immobiliers que le droit de propriété ?
Oui : l’emprise irrégulière peut aussi jouer en présence de droits réels immobiliers.

Exemple type : dépossession d’une concession funéraire, qui paraît à l’abandon.
Exemple : bail emphytéotique = droit réel immobilier.

Lorsque la situation d’emprise irrégulière est avérée, le juge judiciaire a une compétence exclusive pour connaître des actions tendant à la réparation du préjudice subi (Civ. 1, 9 janv. 2007, Commune de Saint-Prix).
Mais le juge judiciaire ne peut pas contrôler lui-même la régularité d’une décision administrative.
Il ne dispose pas d’un pouvoir d’injonction à l’égard de l’administration.

La seule constatation de l’existence d’une emprise irrégulière donne droit à une indemnisation.

B – L’État et la capacité des personnes

Il s’agit d’un autre domaine qui relève en principe de la compétence du juge judiciaire.
Concrètement, cela signifie que le contentieux des actes de l’administration mettant en cause l’État et la capacité des personnes relève en principe de la compétence du juge judiciaire.

C – La nationalité

Les questions de nationalité des personnes physiques relèvent aussi par nature du juge judiciaire.
L’article 1038 du Code de procédure civile dispose en effet que “Le tribunal judiciaire est seul compétent pour connaître en premier ressort des contestations sur la nationalité française ou étrangère des personnes physiques”.

Conseil d’État, 2008, Machbour :
Concerne l’acquisition de la nationalité française par mariage.
Mais l’administration peut s’opposer, par un décret d’opposition, à l’acquisition de la nationalité française par mariage.

§ 2. Les titres de compétence institués par la loi

Le législateur fait parfois le choix d’instituer des blocs de compétence juridictionnelle au bénéfice du juge judiciaire ou du juge administratif.
Le Conseil constitutionnel considère depuis 1987 (décision Conseil de la concurrence) que cela est possible dans l’intérêt d’une “bonne administration de la justice”.

A – En matière contractuelle

En matière contractuelle, un certain nombre de textes interviennent pour attribuer la compétence du contentieux au juge administratif ou au juge judiciaire (voir supra).

Exemples :
L’article L6 du Code de la commande publique dispose que les contrats de commande publique conclus par des personnes publiques sont des contrats administratifs.
L’article L2331-1 du Code général des propriétés publiques prévoit que les contrats d’occupation du domaine public sont des contrats administratifs par détermination de la loi.
→ Compétence du juge administratif.

Exemple :
Les contrats aidés (= contrats visant à favoriser l’insertion des jeunes, chômeurs ; par exemple, “contrats d’avenir”) sont des contrats de droit privé.
→ Compétence du juge judiciaire.

B – En matière de responsabilité

La loi du 31 décembre 1957 confie le soin aux juridictions judiciaires de connaître les actions en responsabilité pour les dommages causés par les véhicules administratifs.

C – En matière économique

De nombreux contentieux des AAI relèvent de la justice judiciaire, parce qu’on considère traditionnellement que le juge judiciaire est le juge des victimes économiques.
Par ailleurs, les investisseurs peuvent être des étrangers, qui sont méfiants vis-à-vis de la juridiction administrative.

Exemple type : le contentieux des sanctions prises par l’Autorité de la concurrence.
L’article 464-8 du Code de commerce attribue à la cour d’appel de Paris la compétence pour connaître des recours contre les sanctions prises par l’Autorité de la concurrence.

Exemple : les recours contre les décisions prises par l’ARCEP.

D – En matière fiscale

Le contentieux des contributions directes (impôt sur les sociétés, sur le revenu…) est un contentieux administratif.
En revanche, le contentieux des contributions indirectes (droits de douane, droits d’enregistrement…) est attribué au juge judiciaire en vertu de l’article L199 du Livre des procédures fiscales.

E – Protection sociale

L’article L142-8 du Code de la sécurité sociale attribue au juge judiciaire l’essentiel du contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale.

Par exemple, le juge judiciaire est compétent pour connaître des litiges individuels relatifs aux relations entre les organismes de sécurité sociale et leurs affiliés ou les praticiens.

Le contentieux des actes règlementaires ou disciplinaires pris par la Sécurité sociale reste un contentieux administratif.

F – En matière de propriété intellectuelle

Depuis 2011, l’article L331-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique sont exclusivement portées devant le tribunal judiciaire.

Exemple type : une action en responsabilité engagée contre un établissement public qui aurait utilisé une photographie sans l’autorisation de son auteur doit être portée devant les juridictions judiciaires.

§ 3. Les questions accessoires au litige

Très souvent, à l’occasion d’une instance devant une juridiction, se pose une question dont la résolution relève en principe de l’autre ordre de juridiction.
Il y a 2 solutions possibles :

  1. On peut donner plénitude de juridiction au juge saisi du principal.
    Le risque, c’est qu’il développe une jurisprudence en contradiction avec celle du juge compétent.
  1. Le juge saisi du principal peut surseoir à statuer et envoyer la question accessoire au juge compétent.
    Le problème, c’est que cette solution est plus lente.

Un décret du 27 février 2015 s’est efforcé de fluidifier le système des questions préjudicielles.
Avant ce décret, c’était aux parties au litige de saisir la juridiction compétente d’une question préjudicielle.
Désormais, les juges s’adressent directement les questions entre eux.
Ce décret de 2015 établit aussi que les juges qui statuent sur les questions préjudicielles le font en premier et dernier ressort → les jugements rendus sur des questions préjudicielles ne sont plus susceptibles d’appel (la cassation reste possible).

A – Les questions préjudicielles devant le juge judiciaire

1) L’appréciation de la légalité des actes administratifs

Dans ce domaine, il faut distinguer :
> le juge civil et le juge pénal statuant sur les intérêts civils ;

> le juge pénal.

Concernant le juge civil et le juge pénal statuant sur les intérêts civils, le principe est l’obligation de renvoi, mais il y a des exceptions.

Tribunal des conflits, 1923, Septfonds :
En principe, le juge administratif demeure exclusivement compétent pour connaître de toute difficulté relative à l’interprétation et à l’appréciation de la légalité d’un acte administratif.
Mais nuance concernant l’interprétation : on considérait que le juge judiciaire était compétent pour statuer sur les difficultés d’interprétation des actes règlementaires.
Cette solution paraît logique : si le juge judicaire peut interpréter la loi, il peut interpréter les règlements.

Ce cadre général supporte des exceptions.
La jurisprudence était peu lisible, mais le Tribunal des conflits a simplifié les choses :

Tribunal des conflits, 2011, SCEA du Cheneau :
Il y a 2 hypothèses dans lesquelles le juge civil et le juge pénal statuant sur les intérêts civils peut lui-même trancher la question accessoire au litige :

  1. L’hypothèse justifiée par la bonne administration de la justice : le juge judiciaire peut apprécier lui-même la légalité d’un acte administratif dès lors que, au vu d’une jurisprudence bien établie du juge administratif, la contestation peut être accueillie par le juge civil du principal.

    Exemple : Tribunal des conflits, 2011, Société Green Yellow :
    Dans un contentieux devant le juge judiciaire, se pose la question de savoir si un principe de rétroactivité des actes administratifs devait s’appliquer dans l’affaire en cause.
    En l’espèce, il y a une jurisprudence bien établie → il n’est pas nécessaire de poser une question préjudicielle.

    Exemple : Civ. 1, 24 avril 2013, Commune de Sancoins :
    Était en cause la régularité d’un contrat administratif.
    La Cour de cassation a considéré qu’il n’était pas nécessaire de renvoyer la question au juge administratif, puisqu’il apparaissait, au regard d’une jurisprudence bien établie du Conseil d’État, que l’irrégularité invoquée n’était pas d’une gravité telle qu’il y avait lieu d’écarter l’application du contrat.
    (fait écho à la jurisprudence Béziers 1)

  1. Lorsqu’est en cause la compatibilité d’un acte administratif avec le droit de l’Union européenne, le juge saisi du principal pourra lui-même trancher cette question.
    S’il a un doute, il peut lui-même saisir la CJUE d’un renvoi préjudiciel en interprétation.

    CJCE, 1978, Simmenthal :
    Dès lors qu’un juge est confronté à la question de la comptabilité d’un acte interne avec le droit de l’Union européenne, il doit pouvoir lui-même écarter l’application de cet acte interne.

Concernant le juge pénal statuant sur l’intérêt public, il bénéficie de la plénitude de juridiction, qui lui est attribuée par l’article 111-5 du Code pénal :
“Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis.”

Cette solution a des implications importantes, parce qu’il y a de très nombreuses hypothèses dans lesquelles le non respect d’un acte administratif peut entraîner des poursuites pénales.
Article R610-5 du Code pénal :
”La violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe.”

En cas d’illégalité, le juge pénal ne fait qu’écarter l’application de l’acte dans l’affaire qu’il a à trancher.


2) L’appartenance d’un bien au domaine public

Lorsque, à l’occasion d’un litige devant le juge judiciaire, se pose la question de l’existence / de l’étendue / des limites / de la consistance du domaine public, il y a lieu à question préjudicielle.

B – Les questions préjudicielles devant le juge administratif

Le juge judiciaire bénéficie d’un titre de compétence (= c’est une matière qui lui est réservée par nature) :

  • Concernant les questions de nationalité des personnes physiques.

    Exemple : Conseil d’État, 1994, Gueye :
    Un consulat refuse d’immatriculer une personne comme ayant une nationalité française. M. Gueye exerce un recours contre ce refus.
    Il y avait un doute sur sa nationalité → le juge administratif renvoie cette question au juge judiciaire.

    C’est important, parce que tout le contentieux de la régularité du séjour et du droit d’asile dépend du juge administratif.

  • Concernant les questions de propriété.

    Lorsque, à l’occasion d’un litige administratif, il y a un doute pour savoir si tel bien appartient ou non à telle personne, il y a lieu à renvoi préjudiciel.
    ”Le juge judiciaire est le gardien naturel de la propriété privée”.

  • Concernant la licéité des actes juridiques de droit privé.

    Lorsque, à l’occasion d’un litige devant le juge administratif, se pose la question de l’interprétation de la légalité d’un acte juridique de droit privé (testament, convention collective…) :

    • Historiquement, il y a lieu à renvoi.
      Exemple : Conseil d’État, 2001, Polignac :
      Était en cause l’interprétation d’un testament. Le juge administratif renvoie la question au juge judiciaire.
    • Mais il peut y avoir un doute sur l’étendue de cette solution.
      Le juge administratif a fait le choix de transposer à cette hypothèse les principes de la jurisprudence SCEA du Cheneau, qui pose des dérogations à l’obligation de renvoi pesant sur le juge civil lorsque se pose la question de la licéité d’un acte administratif.

      Le juge administratif s’est inspiré de cette solution dans l’hypothèse inverse, en particulier dans les contentieux relatifs aux accords collectifs et conventions collectives.

      Conseil d’État, 2012, Fédération SUD Santé Sociaux :
      Il y a 3 hypothèses dans lesquelles le juge n’est pas tenu de renvoyer la question au juge judiciaire :

      1. La bonne administration de la justice (lorsqu’il apparaît au regard d’une jurisprudence bien établie du juge judiciaire que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal) ;
      1. Compatibilité de l’accord collectif ou de la convention collective avec le droit de l’UE : le juge administratif peut directement statuer sur la question et, si nécessaire, poser une question préjudicielle à la CJUE ;
      1. Nouvelle hypothèse !
        Lorsque le législateur a prévu que les mesures d’application d’une loi seront définies par un accord collectif, il appartient au juge administratif de se prononcer lui-même sur les moyens mettant en cause la légalité de l’accord.

Section 3 : Le règlement des conflits de compétence : le Tribunal des conflits

§ 1. Persistance des difficultés de compétence

Les difficultés de compétence existent toujours.
Elles sont récurrentes, et le législateur ne simplifie que rarement les choses.

Parfois, c’est le législateur lui-même qui crée une incertitude.
Exemple :
L’article L621-30 du Code monétaire et financier concerne les recours contre les décisions de l’AMF.
Cet article pose une règle de répartition des compétences assez subtile :
> le juge judiciaire est compétent pour les sanctions prononcées à l’égard des non professionnels ;
> le juge administratif est compétent pour les sanctions prononcées à l’égard des professionnels.

Problème : un analyste financier fait l’objet d’un recours contre sa sanction pour manquement d’initié. À l’occasion de ce recours, il explique que le juge administratif était incompétent parce que la sanction qui lui a été infligée n’est pas spécifique aux professionnels et peut aussi s’appliquer aux non professionnels.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a dû constater qu’il faut tenir compte de la qualité de la personne sanctionnée et non du caractère professionnel ou non de l’activité et donc de la sanction en cause.

Parfois, la complexité de la répartition des compétences découle de la cohabitation de plusieurs lois.
Exemple : Civ. 1, 23 février 2012 :
Est en cause une action en responsabilité engagée en raison des nuisances sonores en rapport avec le fonctionnement d’un héliport aéronaval.
2 lois peuvent ici s’appliquer :
> la loi du 28 pluviôse an 8, qui donne compétence au juge administratif dès lors qu’est en cause le contentieux lié au fonctionnement d’un ouvrage public ;
> la loi du 31 décembre 1957, qui donne compétence au juge judiciaire pour tous les dommages liés aux véhicules administratifs.

Parfois, la complexité découle de la cohabitation entre un texte législatif et la jurisprudence sur le principe de séparation.
Exemple : Tribunal des conflits, 7 juillet 2014 :
Un établissement public administratif porte atteinte au droit d’auteur d’un photographe.
2 titres de compétence envisageables :
> le juge administratif est compétent des actions en responsabilité contre les personnes publiques gérant un SPA ;
> l’article L331-1 du Code de la propriété intellectuelle crée un bloc de compétence au profit du juge judiciaire pour les questions de propriété intellectuelle.

§ 2. Résolution des difficultés de compétence

Le Tribunal des conflits a d’abord été créé en 1849 puis supprimé en 1852.
Il a ensuite été recréé par la grande loi du 24 mai 1872.

Une réforme d’ampleur a eu lieu en 2015, pour simplifier son organisation.

A – Composition

  • Membres :
    C’est une juridiction paritaire, composée de 4 représentants du Conseil d’État + 4 magistrats de la Cour de cassation.
  • Présidence :

    Jusqu’en 2015, le président du Tribunal des conflits était le ministre de la Justice. Il était chargé de trancher en cas d’égalité dans les voix, ce qui pouvait poser problème en matière d’impartialité.
    Affaire emblématique : Tribunal des conflits, 1997, Préfet de Police / Ben Salem :
    Opposition entre représentants du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Le ministre de la Justice tranche le conflit en faveur de la compétence du juge administratif, ce qui a créé des remous importants.

    Depuis 2015, le ministre de la Justice ne préside plus le Tribunal des conflits.
    La présidence est assurée en alternance par 1 conseiller d’État et par 1 membre de la Cour de cassation, pour 3 ans.

  • Formation élargie :
    En cas de partage des voix, l’affaire est soumise à une formation élargie composée des 8 membres habituels + 2 autres membres du Conseil d’État + 2 autres membres de la Cour de cassation.
  • Procédure accélérée :
    Lorsque la question de compétence appelle à une réponse évidente, le président du Tribunal des conflits, conjointement avec le doyen appartenant à l’autre ordre de juridiction, peut statuer par voie d’ordonnance.

B – Attributions

La réforme de 2015 a mis à jour les compétences du Tribunal des conflits, sans bouleverser les choses.

1) Prévention des conflits

2 hypothèses envisagées par la loi :

  1. La juridiction d’un ordre juridictionnel a décliné sa compétence par une décision insusceptible de recours. Un juge de l’autre ordre de juridiction est saisi et il estime que le litige relève de la compétence de l’autre ordre de juridiction.
    Ce second juge est obligé de renvoyer au Tribunal des conflits la question de compétence.
  1. Lorsqu’une juridiction est saisie d’un litige présentant une difficulté sérieuse de compétence, elle peut renvoyer cette question au Tribunal des conflits.
    Cette possibilité était réservée jusqu’en 2015 au Conseil d’État et à la Cour de cassation ; désormais, toute juridiction peut saisir le Tribunal des conflits d’une difficulté de compétence.

2) Règlement des conflits

Conflit positif :

Lorsque le juge judiciaire s’estime compétent pour connaître d’un contentieux alors que l’autorité administrative, représentée par le préfet, considère que c’est le juge administratif qui est compétent.
→ Cette procédure joue à sens unique.

Cette procédure ne joue pas en matière pénale. Elle concerne uniquement les contentieux impliquant les juridictions civiles.

En général, une action est engagée contre l’administration devant les juridictions judiciaires.
Le préfet estime que la question, principale ou accessoire, relève du juge administratif.
Il adresse à la juridiction judiciaire saisie un déclinatoire de compétence, qui est une demande formulée à juridiction de se déclarer incompétente, pour laisser le champ libre à la juridiction administrative.

La juridiction doit statuer sur le déclinatoire, mais elle ne le fait pas toujours.
Lorsque la demande du préfet n’a pas été suivie d’effet, celui-ci peut élever le conflit par la voie d’un arrêté de conflit dans un délai de 15 jours après la décision du juge judiciaire.
La juridiction concernée doit surseoir à statuer. Le dossier est transmis au Tribunal des conflits, qui doit se prononcer dans un délai de 3 mois.

Conflit négatif :

Les 2 ordres de juridiction se déclarent incompétents.
Les parties peuvent saisir le Tribunal des conflits pour que celui-ci désigne la juridiction compétente, en déclarant nul l’un des jugements d’incompétence.

Cette hypothèse est assez rare.


3) Contrariété des décisions

2 décisions définitives contradictoires sont rendues par le juge administratif et le juge judiciaire pour des litiges portant sur le même objet.
Les parties peuvent alors saisir le Tribunal des conflits, qui peut alors trancher l’affaire au fond.


4) Durée excessive d’une procédure juridictionnelle

Cette compétence est nouvelle (elle date de 2015).

Les contribuables ont un droit à un délai raisonnable de jugement.
Lorsqu’une personne considère que la procédure juridictionnelle l’impliquant a une durée excessive, elle peut engager une action en responsabilité pour demander réparation du fait de la durée excessive de la procédure.

Problème : parfois, la durée excessive relève du fait que les 2 ordres juridictionnels doivent se prononcer.
Qui est le juge compétent lorsque l’action en responsabilité est soumise à la fois au juge judiciaire et au juge administratif ?

Pendant longtemps, on a considéré que le juge compétent était celui principalement saisi de l’affaire.
Puis, en 2015, il a été décidé d’attribuer au Tribunal des conflits la compétence pour connaître des actions en responsabilité tenant à la réparation des atteintes au droit à un délai raisonnable de jugement lorsque la procédure s’est déroulée à la fois devant le juge administratif et devant le juge judiciaire.

Chapitre 12 : La mise en œuvre de la responsabilité

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Section 1 : L’action en responsabilité

§ 1. Compétence juridictionnelle

Principe : dès lors qu’est en cause la responsabilité d’une personne publique, le juge administratif est compétent pour en connaître.

Exceptions : il y a des hypothèses où le juge judiciaire est compétent pour connaître d’une action en responsabilité contre une personne publique :

  1. La responsabilité pour les dommages survenus à l’occasion du fonctionnement de la justice judiciaire (jurisprudence Préfet de la Guyane) ou lors d’une opération de police judiciaire ;
  1. Les dommages causés par la gestion du domaine privé ;
  1. Les dommages causés par la gestion d’un SPIC, sauf en ce que le dommage trouve sa cause dans l’exécution de travaux publics ou dans le fonctionnement d’un ouvrage public ;
  1. La responsabilité des personnes publiques dans les hypothèses de voie de fait et d’emprise irrégulière (voir suite du cours) ;
  1. Lorsque le législateur le prévoit.
    Exemple : loi du 31 décembre 1957 concernant les dommages provoqués par les véhicules de l’administration.

§ 2. Action collective

L’action en responsabilité a vocation à être portée par la victime directe, ou éventuellement par une victime par ricochet.
Lorsque la victime décède, son action tombe dans le patrimoine de ses ayants droits et héritiers.

Il existe en droit administration plusieurs types d’actions collectives :

  1. La requête collective peut être engagée par plusieurs personnes placées dans une situation juridique identique et confrontées au même fait dommageable.

    Exemple type : une personne décède au cours d’une opération médicale ; ses proches vont engager une requête collective.

  1. Les actions engagées par les associations.
    Les associations peuvent agir en leur nom pour défendre les intérêts collectifs dont elles entendent assurer la défense.
    Il s’agit souvent d’obtenir la réparation d’un préjudice moral consécutif à la lésion de l’intérêt collectif que l’association cherche à défendre.

    Exemple : “affaire du siècle”, qui vise à faire agir l’État sur le domaine du climat.

  1. L’action de groupe a été mise en place par la loi du 18 novembre 2016 dans certains domaines qui concernant l’administration : lutte contre la discrimination, santé publique, environnement…

    Elle concerne l’hypothèse de plusieurs personnes placées dans une situation similaire qui subissent un dommage causé par une personne publique ayant pour cause commune un manquement de même nature à une obligation légale ou contractuelle.

    Cette action est portée par une association ou un syndicat.
    Le juge statue sur la responsabilité du défendeur ; il définit le groupe de personnes à l’égard desquels la responsabilité du défendeur est engagée, en fixant les critères de rattachement au groupe ; il détermine quels préjudices pourront être réparés ; il définit un délai durant lequel les personnes remplissant les critères peuvent adhérer au groupe pour obtenir réparation.

    Exemple : un texte de loi relatif aux pensions de certains agents de la fonction publique est discriminatoire à l’égard des femmes ; un syndicat engage une action de groupe pour obtenir réparation des préjudices subis.

    Aujourd’hui (mars 2023), aucune action de groupe n’est parvenue à son terme devant le juge administratif.

§ 3. Procédure

La règle de la décision préalable figure à l’article R421-1 du CJA.
La juridiction administrative ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision dans les 2 mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Cette règle n’est pas très surprenante dans le cadre d’un REP.
Ce qui est surprenant, c’est qu’elle s’applique également dans le cadre de l’action en responsabilité.

Concrètement, cela signifie qu’une personne qui estime avoir subi un dommage du fait de l’administration ne peut pas directement engager une action en responsabilité contre l’administration ; elle doit d’abord saisir l’administration d’une demande d’indemnisation, puis faire un recours de la décision implicite de rejet de sa demande.
Si ce processus n’est pas suivi, l’action est considérée comme irrecevable et la rejette.

Cette règle est d’application générale en droit administratif, mais le Conseil d’État en a une approche pragmatique.
Il a notamment jugé qu’un requérant qui engage une action en responsabilité contre une commune sans avoir respecté la règle de la décision préalable peut saisir l’administration d’une demande d’indemnisation en cours d’instance avant que le TA ne se prononce.

Section 2 : La réparation

§ 1. Le droit à réparation

A – Exercice

L’exercice de l’action n’est pas forcément porté par l’action elle-même.
Ce sont souvent des ayants droits qui portent l’action de la victime.

Parfois, les assureurs ou les caisses de sécurité sociale sont subrogés dans les droits de la victime qu’ils ont indemnisé au préalable.

B – Privation

Il y a des hypothèses dans lesquelles les conditions d’engagement de la responsabilité sont réunies, mais le juge ne va pas réparer le préjudice en raison de la situation particulière de la victime.
Autrement dit, la victime ne peut pas, compte tenu de sa situation, se prévaloir d’un droit à la réparation.

Cette hypothèse renvoie à 3 situations distinctes :

  1. L’exception d’irrégularité est l’hypothèse dans laquelle la victime est dans une situation irrégulière qui ne lui permet pas de se prévaloir d’un droit à réparation.

    Exemple emblématique : Conseil d’État, 1980, SARL Cinq-Sept :
    Une boîte de nuit est ravagée par un incendie terrible en 1970, ce qui cause 146 morts.
    Il est apparu que les gérants de la discothèque avaient commis de multiples manquements aux règles de sécurité et sont condamnés au civil et au pénal.
    Ils tentent cependant d’engager une action en responsabilité contre la commune, en soutenant qu’elle n’aurait pas pris les mesures de contrôle suffisantes à l’égard de la discothèque.
    Le Conseil d’État rejette cette action, en soutenant que la société ne pouvait pas, compte tenu de sa situation, se prévaloir d’une faute lourde de la commune.

    Autre exemple : des gendarmes mettent feu à des paillotes illégales sur les plages corses dans les années 2000 (ce qui avait provoqué un scandale d’ampleur).
    Le propriétaire d’une de ces paillotes, qui occupait illégalement une dépendance du domaine public, engage une action en responsabilité contre l’État pour obtenir réparation du préjudice subi. Là encore, compte tenu de sa situation, le juge administratif rejette l’action.

  1. L’exception de précarité renvoie au principe en droit administratif des biens suivant lequel les autorisations d’occupation du domaine public sont précaires (= l’administration peut y mettre fin à tout moment).
    Il n’est pas possible pour le titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine public de solliciter réparation du préjudice qu’il subirait du non-renouvellement d’une telle autorisation.
  1. L’exception d’acceptation des risques existe encore en droit administratif.
    La victime qui s’est sciemment exposée à un danger n’est pas fondée à en demander réparation lorsqu’il en résulte un dommage pour elle.

    Exemple : une voiture est victime d’une avalanche sur une route, mais le conducteur n’avait pas respecté la signalisation indiquant les dangers ; il ne peut pas bénéficier d’une réparation devant la juridiction administrative.

    Exemple : un surfeur réunionnais est attaqué par un requin ; le juge relève qu’il était expérimenté, qu’il connaissait les lieux et les informations fournies par les autorités publiques avertissant des risques graves, et qu’il est y est quand même allé → il ne pouvait pas ignorer les risques → ce dommage est imputable à sa seule imprudence.

§ 2. La nature de la réparation

A – Principe de réparation par équivalent

Principe : réparation par équivalent = réparation sous forme monétaire.
L’administration est condamnée à indemniser la victime en lui versant une somme d’argent, que l’on appelle dommages et intérêts.
Ce versement peut prendre la forme d’un capital, ou parfois d’une rente (notamment lorsqu’est en cause la responsabilité médicale).

Dans quelques hypothèses, le juge administratif a parfois recours à la condamnation alternative : il laisse le choix à l’administration :

  • Soit de réparer le dommage par équivalent ;
  • Soit, si cela est possible, d’opérer cette réparation en nature.

B – Cessation de la cause du dommage

Quand on parle d’action en responsabilité, on a en général l’idée que cette action tend à obtenir la réparation d’un préjudice ; mais ce n’a jamais été la seule fonction de la responsabilité.
On lui agrège souvent la cessation de l’illicite → le juge ne fait pas qu’indemniser ; il veille aussi que la cause du dommage cesse.

Traditionnellement, le juge administratif de la responsabilité se montre réservé à l’idée de prononcer des injonctions à l’égard de l’administration.
Compte tenu de ce qu’il se passe en droit civil, le juge administratif a fini par évoluer sur ce sujet.

Conseil d’État, 2015, M. Baey / Commune d’Hébuterne :
”Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d’un préjudice imputable à un comportement fautif d’une personne publique et qu’il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut enjoindre à la personne publique de mettre fin à ce comportement ou d’en pallier les effets.”
On peut donc demander au juge de la responsabilité d’enjoindre à l’administration de faire cesser la cause du dommage.

Le Conseil d’État est allé plus loin :
Conseil d’État, 2019, Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill :
”Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l’exécution de travaux publics ou dans l’existence ou le fonctionnement d’un ouvrage public [→ peut être une action en responsabilité sans faute], il peut, saisi de conclusions en ce sens, s’il constate qu’un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s’abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures.”

Conseil d’État (avis), 2022, Société La Closerie :
Le Conseil d’État estime que ces conclusions en cessation du dommage présentées devant le juge administratif ne sont possibles qu’en complément de conclusions indemnitaires.

Cette évolution s’est donnée à voir dans l’Affaire du Siècle (jugée par le Tribunal administratif de Paris le 14 octobre 2021).
En l’espèce, les associations requérantes sollicitaient + la cessation de l’illicite qu’une indemnisation.
Sauf que l’action était fondée sur un texte du Code civil : article 1252, qui concerne le préjudice écologique : “Indépendamment de la réparation du préjudice écologique, le juge […] peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage.”

§ 3. L’étendue de la réparation

A – Principe de réparation intégrale

La victime a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’elle subit.
Cela apparaît comme une évidence, mais ça n’a pas toujours été le cas.

Les agents publics notamment, lorsqu’ils subissaient un dommage dans le cadre de leur activité professionnelle, voyaient leur réparation définie sur la base du forfait à pension.
Idée : la réparation du préjudice subi par l’agent public se faisait en application du droit des accidents du travail. Il était donc indemnisé en considération d’un forfait déterminé au regard de son taux d’invalidité ou d’incapacité.

Conséquence : ces indemnités ne réparaient pas les souffrances physiques ni le préjudice moral. Parfois, le préjudice matériel pouvait être considéré comme sous-estimé.

Le Conseil d’État a fini par mettre fin à ce régime profondément injuste :
Conseil d’État, 2003, Moya-Caville :
Les dispositions du Code des pensions déterminent de manière forfaitaire la réparation à laquelle a droit la victime, mais elles ne font pas obstacle à ce que l’agent qui a subi des souffrances physiques/morales/esthétiques… obtienne de la personne publique qui l’emploie une indemnité complémentaire, même en l’absence de faute.
Par ailleurs, si, à l’origine de l’accident, il y a une faute de l’administration ou un mauvais entretien d’un ouvrage public, la victime pourra engager une action en responsabilité de droit commun pour obtenir la réparation de l’intégralité du préjudice.

B – Date d’évaluation du dommage

À quelle date doit se placer le juge pour évaluer le préjudice ?
Est-ce que le juge doit se placer au jour du dommage ? Au jour du jugement ?

Pendant longtemps, le juge se plaçait au jour de la réalisation du dommage pour évaluer le préjudice.
Ce système était considéré comme inéquitable, notamment sous la pression de l’inflation.

Aujourd’hui, il faut distinguer 2 types de dommages :

  1. Concernant les dommages aux personnes (notamment le préjudice corporel) :
    Conseil d’État, 1947, Aubry :
    L’évaluation s’opère au jour du jugement.
    Cela permet de prendre en compte l’intégralité du préjudice subi par la victime.
  1. Concernant les dommages aux biens :
    Conseil d’État, 1947, Compagnie générale des Eaux :
    L’évaluation des dommages aux biens doit être opérée à la date où la cause du dommage ayant pris fin et leur étendue connue, il peut être procédé à leur réparation.

    Pourquoi ne pas retenir la date du jour du jugement ?
    Idée : la victime est censée prendre les initiatives nécessaires pour remettre le bien en état.
    La victime (ou son assureur) est censée avancer les frais.

    Cette jurisprudence apparaît inéquitable, mais elle connaît inéquitable, connaît un correctif : l’évaluation du dommage est reportée à la date où l’exécution des travaux est devenue possible lorsque l’exécution des travaux n’était pas possible pour des raisons techniques, juridiques, financières…

Chapitre 11 : Les conditions d’engagement de la responsabilité

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Ces conditions apparaissent les mêmes qu’en droit civil.
Pour que la responsabilité d’une personne publique soit engagée :
> un fait dommageable ;
> un dommage ;
> un lien de causalité entre les deux.

En droit administratif, il y a des spécificités. La responsabilité sans faute y tient notamment une place très importante.

Section 1 : Le fait dommageable

§ 1. L’imputabilité du fait dommageable

A – L’imputabilité entre personnes publiques

En théorie, la personne publique qui est responsable et a vocation à réparer le dommage est celle dont les services / les agents / les actes juridiques sont à l’origine du dommage.

Il existe cependant des hypothèses dans lesquelles cette imputabilité est plus délicate à déterminer, notamment en présence de plusieurs personnes publiques.

1) La responsabilité du fait de l’exercice des fonctions juridictionnelles

Lorsqu’est en cause la fonction juridictionnelle, la responsabilité ne peut être que celle de l’État, puisque la justice est rendue au nom de l’État.
C’est important parce qu’il arrive que la fonction juridictionnelle soit exercée par des organes relevant d’autres personnes publiques.

Exemple : les sections disciplinaires au sein des universités, chargées de juger les fautes commises par les étudiants et personnels de l’université. Jusqu’à récemment, ces sections disciplinaires étaient de véritables juridictions administratives spécialisées.

Dès lors qu’on souhaite engager une action en responsabilité du fait d’un mauvais fonctionnement de ces juridictions spécialisées, l’action en responsabilité ne peut être engagée que contre l’État.
C’est ce qu’à rappelé le Conseil d’État dans son arrêt Popin (2004).


2) L’usage des pouvoirs de substitution d’action

Si un maire ne prend pas une mesure de police qu’impose la situation : après mise en demeure d’agir, le préfet se substitue au maire. Mais manque de bol : la mesure prise par le préfet cause un dommage et quelqu’un engage une action en responsabilité.
L’action doit alors être portée contre la commune.


3) La délégation de service public ou de l’exploitation d’un ouvrage public

En principe, c’est au délégataire qu’il incombe d’assumer la réparation du préjudice (l’action est généralement portée devant les juridictions judiciaires).

Conseil d’État, 2000, Agofroy :
Si le délégataire est insolvable, la victime peut engager à titre subsidiaire la responsabilité de la collectivité publique délégante.


4) L’acte dommageable est un acte d’exécution du droit de l’Union européenne

Conseil d’État, 2004, Gillot :
Dès lors que l’acte dommageable est la conséquence directe et inéluctable d’un acte de droit dérivé de l’Union européenne, de telle sorte que l’autorité administrative ne disposait d’aucun pouvoir d’appréciation dans sa mise en œuvre, cet acte ne peut pas engager la responsabilité de l’État.
Voir L’imputation de la responsabilité du fait de l’exécution nationale d’actes communautaires, observations sur CE Sect., 12 mai 2004, Société Gillot.


5) Est en cause une activité à laquelle collaborent plusieurs personnes publiques

Dans l’hypothèse où sont en cause des fautes commises par plusieurs personnes publiques, la victime pourra engager une action en responsabilité pour l’ensemble de son préjudice contre une seule de ces personnes publiques.

Exemple : un détenu décède dans la cellule à la suite de fautes commises par l’établissement pénitentiaire + l’hôpital.

B – L’imputabilité entre la personne publique et son agent

De manière générale, il y a un fil rouge : permettre à la victime d’engager la responsabilité de l’administration plutôt que celle de ses agents, même dans des hypothèses où elle n’a rien à se reprocher.
Objectif : favoriser l’indemnisation de la victime, avec le constat que l’administration est toujours plus solvable que ses agents.

Il faut maîtriser 2 distinctions :

  1. La faute de service // la faute personnelle ;
  1. L’obligation à la dette // la contribution à la dette.

1) Faute personnelle et faute de service

L’explication de cette distinction est liée au système mis en place par la constitution du Consulat : la garantie du fonctionnaire = dès lors qu’une personne souhaitait mettre en cause la responsabilité des agents de l’administration pour des faits relatifs à leurs fonctions devant la juridiction judiciaire, on devait obtenir l’autorisation du Conseil d’État.
Ce régime a été abrogé par un décret-loi du 19 septembre 1870.

Problème : dès lors qu’il n’y avait plus besoin de l’autorisation du Conseil d’État, il y avait le risque que la responsabilité des agents de l’administration soit systématiquement engagée devant les juridictions judiciaires dans un contexte de responsabilité des agents de l’administration.

Tribunal des conflits, 30 juillet 1873, Pelletier :
Pour éviter ce contournement, le Tribunal des conflits pose le principe suivant lequel ce décret-loi “n’a pu déroger au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires (voir la suite du cours) et donc attribuer au juge judiciaire la connaissance d’actes effectués dans l’exécution de leurs services par les agents de l’administration”.
Autrement dit, dès lors que sont en cause des actes des agents de l’administration commis dans le cadre de leur service, ils ne peuvent pas être poursuivis devant le juge judiciaire.

→ Distinction entre la faute de service et la faute personnelle.

Aujourd’hui, on considère qu’il y a 2 types de fautes personnelles :

  1. La faute commise en dehors du service ;
    Exemple : un accident de la route provoqué par un agent avec son véhicule personnel en dehors de ses heures de service.
  1. Le faute commise à l’occasion du service, mais considérée comme détachable de ce service.
    Elle est détachable pour 2 raisons : soit parce qu’elle est d’une particulière gravité, soit parce qu’elle manifeste de la part de l’agent une intention de nuire.

Tribunal des conflits, 1908, Girodet contre Morizot :
Propos obscènes tenus par un instituteur dans sa classe.
On considère qu’il s’agit d’une faute personnelle compte tenu de sa particulière gravité.

Tribunal des conflits, 1935, Thepaz :
Le simple fait que le comportement d’un agent est constitutif d’une infraction pénale n’entraîne pas la qualification de faute personnelle.
Exemple : lorsqu’un fonctionnaire au volant d’un véhicule de service commet une faute de conduite.

Tribunal des conflits, 1935, Action française :
Le simple fait que le comportement d’un agent est constitutif d’une voie de fait n’entraîne pas automatiquement la qualification de faute personnelle.

Il arrive qu’à l’occasion d’un dommage, on trouve à la fois une faute de service et une faute personnelle. C’est l’hypothèse du cumul de fautes, qui est assez courante.

Conseil d’État, 1911, Anguet :
Un bureau de poste ferme alors qu’un usager est encore dans les locaux ; des agents constatent sa présence alors qu’ils sont en train de manipuler des fonds et l’expulsent violemment. Il engage une action en responsabilité.
Dans cette affaire, le Conseil d’État a reconnu l’existence de 2 fautes : une faute personnelle des agents (qui ont été violents) + une faute de service (en raison de la fermeture anticipée).

L’intérêt d’identifier un cumul de fautes : ça permet à la victime de pouvoir engager son action en responsabilité devant la juridiction administrative pour demander l’indemnisation de l’ensemble de son préjudice.
Ensuite, l’administration pourra se retourner contre ses agents.

Conseil d’État, 2002, Papon :
En 1942-1943, Maurice Papon est secrétaire général de la préfecture de la Gironde. Il participe à l’organisation de convois pour déporter des juifs vers l’Allemagne.
Un procès pénal a lieu et il est condamné pour complicité de crimes contre l’humanité ; il est aussi condamné civilement à indemniser les descendants de déportés.
Il considère qu’il n’était qu’un agent de l’administration et engage une action devant les juridictions administratives pour obtenir la condamnation de l’administration à lui rembourser les sommes auxquelles il a été condamné devant le juge pénal.

Le Conseil d’État considère qu’à l’origine du préjudice supporté par les victimes, il y avait à la fois une faute personnelle de Maurice Papon et une faute de service (= une faute de l’État).

💡
En cas de faute de service, c’est la responsabilité de l’administration fautive qui est engagée. Puisque la préfecture de la Gironde est un service de l’État, c’est ici l’État qui est responsable.

La faute à double face est l’hypothèse dans laquelle un même comportement peut être qualifié de faute personnelle et de faute de service.
Exemple type :

Conseil d’État, 1918, Époux Lemonnier :
Une fête de village est organisée avec notamment un stand de tir, qui a été mal placé, de telle sorte que certaines balles continuent leur course jusqu’à une promenade située plus loin.
Le maire de la commune est prévenu et ne fait rien ; plus tard, une femme reçoit une balle dans le visage émanant de ce stand de tir.
Est-ce une présence d’une faute personnelle du maire ou de service (= de la commune) ?

Le Conseil d’État considère que la carence du maire à agir pour être qualifiée à la fois de faute personnelle et de faute de service, ce qui permet de donner à la victime une option concernant l’action en justice.
Pour obtenir réparation de son préjudice, elle peut soit agir en responsabilité civile contre le maire, soit agir en responsabilité administrative contre la commune.

Cette jurisprudence Lemonnier est tombée en désuétude en raison de l’affirmation d’une autre jurisprudence du Conseil d’État qui s’est développée à partir des années 1940, qui permet de parvenir au même résultat sans passer par l’idée de faute à double face :


2) Obligation et contribution à la dette

La distinction entre l’obligation à la dette et la contribution à la dette est essentielle pour comprendre ce qu’est le droit positif.

Toute la jurisprudence administrative sur la responsabilité est fondée sur la nécessité de permettre à la victime d’obtenir une indemnisation en favorisant l’action de cette victime contre la personne publique.

L’obligation à la dette, c’est contre qui la victime peut engager une action en responsabilité.
La contribution à la dette, c’est qui va en définitive supporter le coût de l’indemnisation de la victime.

a) L’obligation à la dette

Contre qui peut agir une personne qui s’estime victime d’un dommage consécutivement à l’action de l’administration ou de ses agents ?
En présence d’une faute de service, l’action doit être portée contre l’administration.
En présence d’une faute personnelle, l’action doit être portée devant le juge judiciaire contre l’agent.

En cas de cumul de faute ou de faute à double face, la victime a une option ; elle peut donc engager une action en responsabilité contre la personne publique pour obtenir l’indemnisation de l’ensemble de son préjudice.

Conseil d’État, 1949, Mimeur :
Le Conseil d’État dégage une nouvelle notion : “la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service”.
Il résulte de cette jurisprudence que lorsqu’il y a à l’origine du dommage seulement une faute personnelle de l’agent, mais que cette faute personnelle n’est pas dépourvue de tout lien avec le service, la victime pourra engager l’action devant le juge administratif contre l’administration pour obtenir l’indemnité.

Pour se trouver dans cette situation, il faut que la faute personnelle ait un lien matériel, spatial ou temporel avec le service.
Le lien matériel : lorsque le dommage a été provoqué à l’aide des moyens du service.
Le
lien spatial : lorsque les faits ont été commis sur le lieu du service.
Le
lien temporel : lorsque les faits ont été commis pendant les heures de service.

Cette jurisprudence Mimeur permet ainsi d’engager une action contre la personne publique devant le juge administratif alors qu’il n’y a pas de faute de service, mais uniquement une faute personnelle de l’agent à l’origine du dommage.

2 illustrations de la jurisprudence Mimeur :

Conseil d’État, 1951, Laruelle et Delville :
Un policier tue accidentellement son collègue avec son arme de service au cours d’une soirée hors du lieu de service, alors qu’il ne sont pas en service.
Le Conseil d’État permet aux ayants-droits de la victime d’engager leur action devant le juge administratif, parce que la faute personnelle de l’agent n’est pas dépourvue de tout lien avec le service, parce qu’à l’époque les agents avaient l’obligation de conserver leur arme à leur domicile, et que la victime a été tuée avec l’arme de service → lien matériel.

Conseil d’État, 1988, Raszewski :
Affaire criminelle importante des années 1980 dite du “tueur de l’Oise”, qui était un gendarme qui a pu échapper aux enquêteurs grâce à son poste.
Les parents engagent une action en responsabilité contre l’État.
Le Conseil d’État considère qu’il y a une faute personnelle, qui n’est pas dépourvue de tout lien avec le service, parce qu’en sa qualité de gendarme le meurtrier a eu accès à des informations qui lui ont permis de continuer à perpétrer ses crimes.

b) La contribution à la dette

Conseil d’État, 1951, Laruelle et Delville :

  1. La victime avait engagé son action devant le juge civil ou le juge pénal statuant sur les intérêts civils :

    Dans cette hypothèse, il sera possible pour l’agent de l’administration de se retourner contre l’administration s’il estime qu’une faute de service a contribué en tout ou partie à la contribution du dommage.
    Cette action est portée devant le juge administratif.

    • Si le juge administratif considère qu’il n’y a qu’une faute de service à l’origine du dommage, il oblige l’administration à indemniser l’agent pour toutes les sommes auxquelles il a été condamné devant le juge judiciaire.
    • Si le juge administratif considère que l’agent a commis une faute personnelle mais qu’il est aussi possible d’identifier une faute de service de l’administration, il opère une indemnisation partielle de l’agent.
    • Si le juge administratif considère qu’il n’y a qu’une faute personnelle à l’origine du dommage, il rejette le recours de l’agent.
  1. L’administration a été condamnée devant le juge administratif :

    Elle peut engager une action récursoire devant le juge administratif, afin que l’agent soit condamné à prendre en charge tout ou partie des sommes que l’administration a versé à la victime.
    Atypique : l’administration engage une action en responsabilité contre son propre agent devant le juge administratif, alors que le défendeur est une personne privée.

    L’appréciation de la faute de l’agent dans ce contexte prend une forte coloration disciplinaire.
    Le juge administratif s’intéresse moins au lien entre le comportement de l’agent et le dommage et plus à l’existence de manquements de l’agent à ses manquements professionnels.

§ 2. Nature du fait dommageable

Il ne sera ici question que de la responsabilité de l’administration.

A – La responsabilité pour faute

1) Définition de la faute

La définition de la faute en droit de la responsabilité administrative est la même qu’en droit civil.
Marcel Plagnol : “un manquement à une obligation préexistante”.

Cette faute peut résulter :

  • D’un acte matériel (ex : violences des forces de l’ordre) ;
  • D’un acte juridique.

    Conseil d’État, 2003, SA Laboratoire pharmaceutique Bergaderm :
    L’acte juridique constitutif d’une faute n’est pas forcément un acte décisoire : un simple avis peut engager la responsabilité de l’administration.
    En l’espèce, la Commission de sécurité des consommateurs avait publié un avis exprimant des réserves vis-à-vis d’un produit du laboratoire Bergaderm ; le Conseil d’État retient que cet avis avait fait baisser les ventes du produit.

En principe, toute illégalité commise par l’administration est constitutive d’une faute.
En revanche, toute illégalité fautive n’entraîne pas forcément l’engagement de la responsabilité de l’administration.
Autrement dit, pour que l’administration soit condamnée, il faut qu’il existe un lien entre l’illégalité et le dommage.

Pour déterminer si une décision illégale peut entraîner une condamnation de l’administration à réparer un dommage, il faut déterminer si, en l’absence de cette illégalité, l’administration aurait pu ou n’aurait pas pu prendre la même décision.

Exemple :
Une commune délivre un permis de construire à une personne. Cette délivrance peut causer un dommage à des tiers (par exemple, un voisin).
La construction du bâtiment est terminée mais le juge, saisi d’un REP, annule le permis de conduire pour vice de procédure.
Le permis de construire est illégal → faute de l’administration.
+ Il y a un dommage, qui est consécutif à la construction du bâtiment.
Problème : il n’y a pas de lien entre l’illégalité et le dommage, puisque si l’administration avait respecté la procédure elle aurait délivré le même permis de construire.
→ Il n’y a pas de lien de causalité entre la faute et le dommage subi par la victime.

Exemple :
Un médecin contractuel travaille dans un hôpital ; l’administration refuse de renouveler son contrat.
Le médecin engage un REP contre cette décision et obtient satisfaction pour erreur de droit.
Cependant, il n’obtient pas réparation, parce que certes l’administration ne s’est pas saisie d’un motif permettant de ne pas renouveler le contrat, mais il y avait d’autres motifs pour ne pas renouveler le contrat.
→ Pas de lien de causalité entre l’illégalité à l’origine du dommage et le dommage.


2) Auteur de la faute

L’auteur de la faute de nature à engager la responsabilité d’une personne publique n’est pas forcément un démembrement du pouvoir exécutif.
La responsabilité de l’État peut être engagée devant le juge administratif à raison de textes / de décisions émanant du pouvoir législatif ou de juridictions administratives ou judiciaires.

La loi est censée émaner des représentants du peuple. En France, on a eu des difficultés avec l’idée que les représentants du peuple pourraient mal faire et que la responsabilité de l’État puisse être engagée sur la base d’illégalités commises par le législateur.

Il existe depuis très longtemps une responsabilité de l’État sans faute du fait des lois.
En revanche, l’idée que la responsabilité de l’État soit engagée à raison d’une loi qui serait contraire à la Constitution et/ou à un engagement international est beaucoup plus récente. Elle s’est imposée à la suite de l’arrêt Nicolo du Conseil d’État (suivi par l’introduction de la QPC).

Question : dès lors qu’une loi est inconstitutionnelle et/ou inconventionnelle, est-il possible d’engager la responsabilité de l’État où cela aurait causé un dommage ?
Oui. 2 arrêts à retenir :

Conseil d’État, 2007, Gardedieu :
Inaugure l’éventuelle responsabilité de l’État du fait d’un manquement de la loi à un engagement international.
Le Conseil d’État précise que la responsabilité de l’État du fait des lois est susceptible d’être engagée pour l’ensemble du préjudice qui résulte de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance d’un engagement international.

Formellement, le Conseil d’État ne parle pas de “faute” : il ne dit pas que le législateur a commis une faute ni que la loi est fautive.
Certains auteurs expliquent donc que c’est une responsabilité sui generis et non une responsabilité pour faute.
Cependant, le Conseil d’État évoque bien le manquement de l’État à une obligation internationale préexistante → ça ressemble bien à une faute.

La jurisprudence Gardedieu pose des conditions à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait d’un manquement de la loi à un engagement international :

  1. Il faut que l’engagement international en question remplisse les conditions posées à son application dans l’ordre juridique interne par l’article 55 de la Constitution (ratification régulière + publication + application réciproque).
  1. Il faut que la disposition en question soit d’effet direct (voir : Conseil d’État, 2012, GISTI 2).

Conseil d’État, 2018, A et Syndicat local CGT des chômeurs et précaires de Gennevilliers-Vileneuve-Asnières :
Un syndicat tente d’engager la responsabilité de l’État du fait d’une loi incompatible avec un engagement international.
Le Conseil d’État rejette la requête, parce que les dispositions internationales supposément violées par la loi étaient dépourvues d’effet direct en droit français.

Conseil d’État, 2019, Société hôtelière Paris Eiffel Suffren :
Était en cause la responsabilité éventuelle de l’État du fait de dispositions législatives inconstitutionnelles.
Le Conseil d’État précise qu’effectivement, la responsabilité de l’État peut être engagée pour réparer l’ensemble des préjudices qui résulte de l’application d’une loi méconnaissant la Constitution.

Il précise 2 exigences :

  1. La responsabilité de l’État ne peut être engagée que si le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution (= dans le cadre de la procédure de QPC) ;
  1. Il ne faut pas que le Conseil constitutionnel, dans sa décision, ait entendu de matière explicite ou implicite écarter toute action indemnitaire du fait de l’inconstitutionnalité de la loi.

Au-delà du législateur, autre auteur susceptible d’engager la responsabilité de l’État : les juges administratifs.
⚠️ Le juge judiciaire est exclu. En effet, c’est lui qui est compétent pour connaître d’actions en responsabilité du fait de supposés dysfonctionnements de la justice judiciaire (voir article L781-1 du Code de l’organisation judiciaire).

Conseil d’État, 1978, Darmont :
Pose le cadre général de la responsabilité de l’État du fait des juridictions administratives.

  1. Une faute lourde commise par une juridiction administrative dans l’exercice de la fonction juridictionnelle est susceptible d’ouvrir un droit à indemnisation.
    → Principe : régime de faute lourde.
  1. En revanche, la responsabilité de l’État ne peut pas être engagée dès lors que la faute lourde alléguée résulterait du contenu même d’une décision juridictionnelle devenue définitive.
    → Mais irresponsabilité de principe lorsqu’est en cause le contenu d’une décision devenue définitive (autorité de la chose jugée).

Ce schéma a été remis en cause sous l’influence du droit de l’Union européenne.
La CJUE a affirmé que l’État est responsable pour tout manquement à l’égard du droit de l’UE, y compris si ce manquement est imputable à ses juridictions.

Conseil d’État, 2008, Gestas :
Tire les conséquences des décisions de la CJUE et précise la jurisprudence Darmont : la responsabilité de l’État peut être engagée dans le cas où “le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d’une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers”.

Darmont continue à exister (faute lourde + principe d’immunité lorsqu’est en cause le contenu d’une décision de justice administrative), sauf dans l’hypothèse où est en cause une “violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers”.

Conseil d’État, 2022, Société Kermadec :
La seule violation de l’obligation de renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE ne suffit pas pour caractériser la violation manifeste du droit de l’Union européenne.

Conséquence : est-ce que le fait que le Conseil d’État soit la juridiction compétente pour se prononcer sur l’existence d’une éventuelle faute commise par le Conseil d’État lui-même ne pose pas de problème au regard des exigences d’impartialité ?
Non, mais il faut que les membres de la formation de jugement qui ont adopté la formation litigieuse s’abstiennent de siéger dans la nouvelle instance.

Que se passe-t-il en cas du Conseil d’État de constater la violation ?
La CJUE peut condamner la France.


3) Preuve de la faute

Il appartient au demandeur de démontrer l’existence d’une faute de l’administration.
Toutefois, il existe des mécanismes de présomption de faute, dans des domaines où il serait difficile pour la victime de démontrer une faute.

Exemple : la responsabilité des personnes publiques à l’égard des usagers du fait du fonctionnement des ouvrages publics (cas classique : accidents de la route).
En la matière, il y a un mécanisme de présomption de faute : si la victime souhaite mettre en cause la responsabilité de l’administration, elle n’a pas besoin d’apporter des éléments démontrant un mauvais entretien de l’ouvrage public ; c’est au contraire à la personne publique de démontrer qu’il n’y a pas de défaut d’entretien normal de l’ouvrage.
→ C’est à l’administration de démontrer qu’elle n’a pas commis de faute.

Illustration : Conseil d’État, 2000, Département de la Dordogne :
Une personne décède au volant de sa moto.
Il est constaté que la chaussée présentait des déformations + il n’y avait pas de panneau annonçant le danger → l’administration n’a pas démontré que l’ouvrage était normalement entretenu.


4) Exigence d’une faute qualifiée : la faute lourde

Pendant longtemps, la responsabilité de l’administration ne pouvait être engagée que pour faute lourde ; cela constituait un intermédiaire entre l’irresponsabilité de l’administration et la responsabilité pour faute classique.

💡
Pendant tout le 19ème siècle, le principe était l’irresponsabilité de l’administration.
En 1905, l’arrêt Tomaso Greco (Conseil d’État) abandonne l’irresponsabilité de l’administration en matière de police administrative, mais seulement en cas de faute lourde.

→ La faute lourde a historiquement joué un rôle important en responsabilité administrative.

Une faute lourde est une faute d’une particulière gravité.
Historiquement, on la retrouve dans 2 grands domaines :

  1. Les activités régaliennes (notamment la police) ;
  1. Les activités présentant des difficultés particulières au vu de leur technicité (ex : les activités médicales).

La faute lourde est en recul depuis 30 ans :

  • En matière de responsabilité des actes médicaux, le régime applicable a été pendant très longtemps un régime de faute lourde.
    Le Conseil d’État a abandonné cette jurisprudence avec l’arrêt Époux V. (1992) : on passe à un régime de faute simple.
    Cette solution a été codifiée à l’article L4142-1 du Code de la santé publique.
  • En matière d’activités de secours (SAMU, lutte contre les incendies…), le Conseil d’État a choisi de basculer vers un régime de faute simple.
  • La responsabilité de l’État du fait des services publics pénitentiaires a longtemps été subordonnée à un régime de faute lourde.
    Depuis l’arrêt Chabba (2003), c’est un régime de faute simple.
  • L’action des services fiscaux a été longtemps soumise à un régime de faute lourde.
    Conseil d’État, 2011, Krupa : basculement dans un régime de faute simple.
  • En matière de police administrative (générale ou spéciales), le Conseil d’État n’a jamais explicitement exprimé cette idée, mais on s’est progressivement rendus compte que la faute lourde avait disparu du domaine de la police.

Il subsiste néanmoins des hypothèses de faute lourde.
Il y a notamment 3 domaines où la responsabilité de l’État pour faute ne peut être engagée que si la victime démontre l’existence d’une faute d’une particulière gravité :

  1. Les activités de contrôle assurées par le préfet (Conseil d’État, 2000, Commune de Saint-Florent) et par les AAI (Conseil d’État, 2001, Kéchichian).

    Pourquoi avoir maintenu la faute lourde dans ce domaine ?

    1. Pour éviter que la responsabilité passe subrepticement du contrôlé au contrôleur.
      Cela évite que la responsabilité du contrôleur soit trop facilement engagée.
    1. Si la responsabilité du contrôleur est trop facilement engagée, il y a un risque que ce contrôleur développe un contrôle trop pointu à l’égard du contrôlé, de telle sorte que ce contrôle en deviendrait trop étouffant.

    Il existe cependant des exceptions (ex : inspection du travail).

  1. La responsabilité de l’État du fait de la justice administrative (Conseil d’État, 1978, Darmont).

    Ce régime fondé sur la faute lourde existe toujours aujourd’hui, sauf que ce régime de faute lourde a été limité dans un domaine particulier en raison de la Convention EDH.
    Depuis 30 à 40 ans, la CEDH est engorgée, notamment sur les affaires relatives à l’article 6-1 de la Convention qui garantit un délai raisonnable de jugement.
    Elle a cherché à opérer une déconcentration de ce raisonnement, en imposant aux États de mettre en place des mécanismes de réparation permettant aux personnes d’obtenir réparation des manquements à ce droit devant les juridictions nationales.

    Ce constat a posé problème en France, parce que le régime applicable aux actions en responsabilité fondées sur le manquement à un délai raisonnable de jugement étaient soumises à un régime de faute lourde, sur la base de la jurisprudence Darmont.
    L’État n’a donc jamais été condamné en la matière.

    CEDH, 2002, Lutz contre France :
    Constate qu’aucune condamnation n’avait été prononcée par le juge administration pour des violations du droit à un délai raisonnable de jugement devant la justice administrative ; considère qu’il n’y a pas en droit français de recours effectif en la matière.
    Quelques mois plus tard, le Conseil d’État a opéré un petit revirement de jurisprudence :

    Conseil d’État, 2002, Ministre de la Justice contre Magiera :
    Dès lors qu’est en cause la violation du droit à un délai raisonnable de jugement, la responsabilité de l’État peut être engagée pour une simple faute.

    La jurisprudence Darmont (1978) a donc connu un double aménagement sur mesure :
    > Gestas (2008) pour tenir compte de la jurisprudence de la CJUE ;
    > Magiera (2002) pour tenir compte de la jurisprudence de la CEDH.
    Elle perdure cependant aujourd’hui et avec elle l’exigence de faute lourde.
  1. Conseil d’État, 2018, Chennouf :
    Pour engager la responsabilité de l’État du fait de l’activité des services de renseignement, la preuve d’une faute lourde est nécessaire.

B – La responsabilité sans faute

En droit administratif, la responsabilité sans faute recouvre les hypothèses dans lesquelles l’administration est à l’origine d’un fait dommageable, mais il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve d’une faute pour engager sa responsabilité.

Cette responsabilité sans faute a connu un développement important depuis la fin du 19ème siècle.
Elle est aujourd’hui plus importante qu’en responsabilité civile.

💡 Cette responsabilité sans faute de l’administration reste subsidiaire. Le principe reste celui de la responsabilité pour faute.

En droit administratif, il existe 2 grands fondements de la responsabilité sans faute :

  1. La responsabilité pour risque ;
    Idée : l’activité de l’administration crée des risques ; lorsqu’ils se réalisent, il appartient à l’administration d’indemniser les victimes.
  1. La responsabilité pour rupture d’égalité.
    Idée : la vie en société suppose que chacun supporte une part de la contrainte publique ; dès lors que cette contrainte est anormale, il convient d’indemniser ces personnes.

1) La responsabilité pour risque

L’activité de l’administration est susceptible d’exposer certaines personnes à des risques.
Si ce risque se réalise, il appartient à l’administration de réparer l’intégralité du dommage subi par la victime.
→ C’est la responsabilité fondée sur le risque.

Il existe 6 cas de responsabilité sans faute pour risque :

a) La responsabilité au profit des collaborateurs occasionnels du service public

En ce qui concerne les collaborateurs permanents du service public :
Idée : lorsqu’à l’occasion de ses fonctions, un agent de l’administration subit un dommage, il appartient à l’administration de l’indemniser de l’ensemble du préjudice subi.

Conseil d’État, 1895, Cames :
Inaugure ce régime d’indemnisation des dommages subis par les agents de l’administration à l’occasion de leurs fonctions.
→ Indemnisation des accidents du travail pour les agents publics.

Le législateur a ensuite pris le relai en instaurant un régime législatif des pensions et des accidents du travail.
Cela met fin au régime issu de l’arrêt Cames pour les collaborateurs permanents du service public.

En revanche, ce régime reste en vigueur concernant les collaborateurs occasionnels du service public. Ce sont les personnes qui apportent un concours ponctuel au fonctionnement d’une administration.
Exemple : les parents qui accompagnent une sortie scolaire dans une école.

💡
La responsabilité en cause est celle de la personne publique en charge du service public auquel la victime a apporté sa collaboration.

Précisions :

  1. Il n’est pas nécessaire que le concours soit sollicité par l’administration.
  1. Le concours doit être justifié et nécessaire (= il ne peut pas être superflu).
    Si le concours est superflu, le régime ne s’applique pas.
  1. Le concours doit être apporté à une mission de service public.
  1. Il importe peu qu’il existe un lien de solidarité spécifique entre le collaborateur et la personne qui bénéficie de ce concours.

    Exemple : Conseil d’État, 1977, Commune de Coggia :
    En Corse, une famille se baigne sur une plage municipale ; un membre de cette famille est en voie de se noyer ; un autre membre tente de lui porter secours ; les 2 finissent noyés.
    Il y a un lien spécifique de solidarité entre les 2 personnes : ils sont de la même famille.
    Le Conseil d’État considère que peu importe : la personne qui a agi pour tenter de sauver le membre de sa famille a collaboré à une mission de service public (le sauvetage et la sécurité sur les plages) qui incombe à la commune.

  1. Le lien entre le collaborateur et la mission de service public peut être indirect.

    Dans une affaire de sauvetage en mer dans les eaux internationales au large de l’Afrique : le service compétent français mandate la société privée Elf-Aquitaine pour porter secours et l’hélicoptère s’abîme en mer.
    Nonobstant le lien très indirect entre le collaborateur et le service public, il a été considéré que ce régime de responsabilité pouvait s’appliquer au cas de ce pilote d’hélicoptère.

b) La responsabilité au profit des tiers victimes de dommages accidentels de travaux publics ou provoqués par un ouvrage public

La responsabilité au profit des tiers victimes de dommages accidentels de travaux publics ou provoqués par un ouvrage public est aussi un régime de responsabilité sans faute fondé sur le risque.

Conseil d’État, 1965, Arbez-Gindre :
Un ouvrage public subit un incendie qui s’étend aux immeubles voisins.
Les propriétaires des immeubles voisins sont des tiers à l’ouvrage public (ils ne sont pas usagers), mais ils sont indemnisés sans faute.

Conseil d’État, 2022, Commune de Pont-Salomon :
Ce régime s’applique en présence de dommages accidentels liés au fonctionnement d’un ouvrage public, mais il ne s’applique pas à raison de dommages résultant de l’absence d’un ouvrage public.
En l’espèce, la crue d’une rivière provoque de nombreux dommages parce que des ouvrages publics étaient manquants. Ce régime de responsabilité sans faute n’est pas applicable.

c) La responsabilité du fait des choses dangereuses

Dans le cadre de certaines de ses missions, l’administration utilise des choses dangereuses, qui présentent un risque exceptionnel : dès lors que ce risque ce réalise, il incombe à l’administration d’indemniser les victimes.

Conseil d’État, 1919, Regnault-Desroziers :
Un stock de grenades explose dans un fort, tue une 20aine de personnes et détruisant des immeubles.
Les explosifs constituent des choses dangereuses présentant un risque exceptionnel, donc les victimes ont été indemnisées sans faute par le juge administratif.

Cet arrêt présent au GAJA parle d’explosifs, mais ce régime a ensuite été transposé à d’autres hypothèses où l’administration fait usage d’armes et d’engins dangereux :

Conseil d’État, 1949, Lecompte et Daramy :
Les forces de l’ordre utilisent des armes de type pistolet.
Si, à l’occasion d’une opération de police administrative, une personne est blessée par un tir des forces de l’ordre, elle bénéficie d’une indemnisation sans avoir à démontrer la faute de l’administration, mais uniquement si elle est tiers à l’opération de police.
(hypothèse de la balle perdue)

En revanche, ce régime de responsabilité ne concerne pas les personnes qui sont visées par l’opération de police.
Pour celles-ci, le régime de responsabilité reste le régime de responsabilité pour faute.

Ce régime de responsabilité peut-il être étendu à d’autres types de matériels ?
Le juge administratif a refusé d’appliquer ce régime de responsabilité au cas où les forces de police utilisent des gaz lacrymogènes.
Idem pour l’utilisation du LBD.

La responsabilité du fait des ouvrages publics présentant un risque exceptionnel : c’est un cas très marginal.
Conseil d’État, 1973, Dalleau :
Était en cause un ouvrage public présentant un danger exceptionnel : la route n°1 de l’île de la Réunion, historiquement très dangereuse.
Le Conseil d’État a décidé qu’un usager de cette route qui subirait un dommage bénéficiera d’un régime de responsabilité sans faute fondé sur le risque à raison du caractère particulier de cet ouvrage.

d) La responsabilité du fait des méthodes dangereuses présentant un risque exceptionnel

L’administration a parfois recours à des méthodes dangereuses, qui peuvent créer des risques ; si ce risque se réalise, la victime sera indemnisée sur ce fondement sans avoir à démontrer une faute de l’administration.

Historiquement, cette jurisprudence s’est appliquée dans des hypothèses où l’administration a recours à des méthodes libérales de rééducation ou de réinsertion au sein d’établissements accueillants des publics “à risques”.

Conseil d’État, 1956, Thouzellier :
Un établissement accueille des mineurs délinquants. Certains quittent l’établissement sans autorisation et provoquent des cambriolages.
Les victimes du cambriolage bénéficient d’une indemnisation via ce régime de responsabilité sans faute fondée sur le risque.

⚠️ Ce régime de responsabilité ne joue qu’au bénéfice des tiers aux établissements en question.
Si un mineur en blesse un autre au sein de l’établissement, cette responsabilité ne joue pas.

Cette jurisprudence a été étendue à l’hypothèse des autorisations de sortie accordées à des détenus.

Le Conseil d’État a refusé d’étendre l’application de ce régime de responsabilité à des mesures qui ne s’inscrivent pas dans la réinsertion des détenus mais qui ont pour conséquence une libération anticipée.
Exemples : décrets de grâce collective ; mesures de réduction de peine ; …

Conseil d’État, 1993, Bianchi :
Lorsqu’un acte médical nécessaire au traitement d’un malade présente un risque dont la réalisation est exceptionnelle, la responsabilité du service public hospitalier est engagée dès lors que l’exécution de cet acte serait la cause directe d’un dommage sans rapport avec l’état initial du patient.

Cette jurisprudence a entraîné beaucoup de débats : est-ce normal de faire peser sur l’hôpital le coût de l’indemnisation d’un acte médical qui en général se passe bien mais qui présente des risques exceptionnels ?
Cela a conduit la loi Kouchner du 4 mars 2002 à redéfinir les conditions d’indemnisation de la victime dans ce genre d’hypothèses, en prévoyant la mise en place d’un régime d’indemnisation fondé sur la solidarité nationale (fonds de solidarité : l’ONIAM).

e) La responsabilité du fait des situations présentant un risque exceptionnel

Il s’agit des hypothèses où des personnes (en général, des agents de l’administration) se voient exposées à des risques exceptionnels de par leur fonctions ; si un risque se réalise, ils sont indemnisés sans faute.

Conseil d’État, 2008, Ginoux :
Un médecin militaire (= un agent de l’administration) est affecté en Centrafrique. Après une mutinerie de la part de militaires centrafricains, les biens de ce médecin sont pillés.
Ce régime de responsabilité sans faute fondé sur le risque est applicable : de par sa situation et ses obligations professionnelles, ce médecin a été exposé à un risque professionnel qui s’est réalisé.
Il peut obtenir réparation sans avoir à démontrer une faute de l’administration.

f) La responsabilité du fait des produits et appareils de santé utilisés dans le cadre du service public hospitalier

Ce régime est à la fois une traduction et une trahison d’un régime de responsabilité qui trouve son origine dans le droit de l’Union européenne, et plus précisément dans la directive européenne du 25 juillet 1985 qui ordonne la mise en place un régime de responsabilité du fait des fabricants.
Ce régime de responsabilité a entraîné l’introduction dans le Code civil de l’article 1386-1.

Le Conseil d’État s’est émancipé de ce cadre :

Conseil d’État, 2003, Marzouk :
Concerne la responsabilité du fait des produits et appareils de santé utilisés dans le cadre du service public hospitalier.
Prévoit une responsabilité du service public hospitalier (et non du fabricant !) pour les dommages consécutifs à l’utilisation ou à la défaillance des produits ou appareils de santé.
”Même en l’absence de faute de sa part, le service public hospitalier est responsable des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise”.

Objectif : favoriser l’indemnisation de la victime.
Cela n’empêche pas l’administration d’engager une action en garantie contre le fabricant du produit.


2) La responsabilité pour rupture d’égalité

La vie en société fait supporter à chacun un certain nombre de contraintes.
La responsabilité de l’administration peut être engagée lorsqu’une personne aura supporté des charges anormales.

Compte tenu de cette idée, il est logique que l’engagement de la responsabilité est subordonné à la condition que le dommage subi par la victoire est anormal et spécial (= il ne doit concerner qu’un nombre limité de personnes).
(≠ responsabilité pour faute)

Au titre de ce régime, la victime ne pourra pas demander la réparation de l’ensemble de son préjudice : elle ne pourra demander que la réparation de la part du préjudice qui est anormale.

Ce régime de responsabilité pour rupture d’égalité a pour l’essentiel vocation à jouer lorsque sont en cause des actes juridiques réguliers mais dont l’application entraîne un préjudice anormal et spécial pour un certain nombre de personnes.

a) La responsabilité du fait des dommages permanents de travaux publics

Dès lors que la victime arrive à démontrer qu’elle subit un préjudice anormal et spécial, elle pourra obtenir réparation sur ce fondement.
Ici, la victime est tiers par rapport à l’ouvrage en question.

Conseil d’État, 1931, Commune de Vic-Fezensac :
Était en cause ici la place d’un village (= ouvrage public) sur laquelle étaient répartis des platanes. À l’automne, des feuilles mortes s’amoncellent sur le toit d’une propriété privée, ce qui conduit régulièrement à des fuites d’eau (= des dommages).
La proximité avec un ouvrage public n’est pas censé entraîner des fuites d’eau récurrentes, le dommage du voisin a donc été réparé.

Autre exemple : hypothèse d’une personne située à proximité d’un stade de foot, recevait régulièrement des ballons dans son jardin → préjudice anormal et spécial.

b) La responsabilité du fait d’actes juridiques licites

Il existe des actes juridiques qui sont légaux mais qui vont faire peser sur certaines personnes des charges anormales et spéciales. Ces personnes peuvent obtenir réparation.

Ces actes sont très nombreux : décisions administratives, lois, et même conventions internationales !

1ère hypothèse : lorsqu’une décision administrative individuelle fait peser sur une personne une charge anormale et spéciale.

Cette jurisprudence a d’abord joué dans des hypothèses où une personne a sollicité le concours de la force publique, l’administration a refusé ce concours, mais ce refus est considéré comme licite.

Conseil d’État, 1923, Couitéas :
Dans le sud tunisien sous la période coloniale, M. Couitéas est propriétaire d’un terrain de 40 000 hectares. Il déplore la présence sur ce territoire d’une tribu locale de 8 000 personnes qui occupe une partie de ce terrain.
Il engage une action en justice et obtient un jugement d’expulsion de cette tribu, mais elle ne quitte pas les lieux.
M. Couitéas demande à l’État le concours des forces de l’ordre pour exécuter le jugement d’expulsion, mais l’État refuse.

Le Conseil d’État affirme que ce refus de l’État est licite, parce qu’il y avait un risque de trouble à l’ordre public.
Mais il condamne aussi l’État à indemniser M. Couitéas sur le fondement de la rupture d’égalité, au motif que le refus de concours ne pouvait être regardé, s’il excédait une certaine durée, comme une charge lui incombant normalement.

Conseil d’État, 1995, Lavaud :
Un pharmacien a un office dans une banlieue difficile de Lyon. L’office HLM qui gérait les tours du quartier décide de détruire 10 tours pour réhabiliter le quartier, ce qui entraîne une perte massive de chiffre d’affaires pour le pharmacien.
Il engage une action en responsabilité contre l’office HLM sur le fondement de la responsabilité sans faute. Le Conseil d’État considère qu’il a subi un dommage anormal et spécial qui justifie son indemnisation.

Quand on gère une pharmacie ou tout autre commerce, il y a toujours un aléa économique normal. Ici, ce qui justifie l’indemnisation, c’est l’existence d’un préjudice anormal ; seule la part d’anormalité est réparée dans le dommage subi par le commerçant.

Autre exemple :
Il existe un droit de préemption pour les communes : lorsqu’un terrain est vendu, elles peuvent récupérer le bien en lieu et place de l’acheteur initial.
Dans une affaire, une commune avait exercé son droit de préemption puis a renoncé à l’exercice de ce droit ; en résultat, le bien a été squatté pendant plusieurs mois.
Il n’y avait pas d’irrégularité (la commune avait le droit de renoncer à ce droit de préemption), mais le vendeur a pu obtenir réparation sur le fondement de ce préjudice.

2ème hypothèse : la responsabilité du fait d’actes règlementaires.

C’est beaucoup plus rare, parce qu’un acte règlementaire est un acte général et impersonnel.

Conseil d’État, 1963, Commune de Gavarnie :
Le maire de la commune prend un arrêté interdisant la circulation des piétons sur des routes d’accès au célèbre cirque de Gavarnie.
Problème : un commerçant tenait un commerce sur l’une de ces routes.
Ici, il y a bien un acte règlementaire dont l’exécution fait peser sur ce commerçant une charge anormale et spéciale ; il obtient une indemnisation.

3ème hypothèse : la responsabilité du fait de la loi.

On a déjà envisagé la responsabilité de l’État du fait de la loi au titre de la responsabilité pour faute, avec l’arrêt Gardedieu (2007).
Mais bien avant 2007, le Conseil d’État avait déjà reconnu la possibilité d’un engagement de la responsabilité sans faute de l’État du fait de la loi.

Conseil d’État, 1938, Société des produits laitiers La Fleurette :
Reconnaît pour la première fois l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des lois.
Dans les années 1930, une loi interdit la production et la commercialisation en France de la “Gradine”, qui est un substitut du lait.
Le Conseil d’État reconnaît que la société La Fleurette a subi un préjudice anormal (perte de la quasi totalité de son chiffre d’affaires) et spécial (elle était l’une des seules sociétés en France qui produisait ce produit), qui justifie l’engagement de la responsabilité de l’État.

Dans ce contexte là, l’engagement de la responsabilité de l’État est subordonné à une condition supplémentaire : il ne faut pas que la loi ou les travaux préparatoires de la loi aient entendu exclure, même implicitement, toute indemnisation.
Cette condition est appliquée de manière très exigeante : le Conseil d’État a considéré que dès lors que la loi répondait à un intérêt général et prééminent, le législateur avait entendu exclure la possibilité d’une indemnisation.

Cette solution a été considérée comme inéquitable ; le Conseil d’État a progressivement fait évoluer sa jurisprudence :

Conseil d’État, 2005, Société coopérative agricole Ax’ion :
Le Conseil d’État réduit la portée de cette seconde condition en précisant que, désormais, l’objet de la loi n’est plus un critère opérant pour déterminer la volonté implicite du législateur sur l’éventualité d’un droit à réparation.
Désormais, pour exclure l’indemnisation, il faut qu’il figure dans la loi ou dans les travaux préparatoires de la loi une affirmation explicite que le législateur entend ne pas permettre l’indemnisation des personnes qui subiraient un dommage consécutivement à l’entrée en vigueur de la loi.
→ Permet la mise en œuvre effective de la jurisprudence La Fleurette.

Conseil d’État, 1998, Bitouzet :
S’inscrit dans la continuité de la jurisprudence La Fleurette, mais trouve son origine dans la Convention EDH.
Cette jurisprudence joue dans les hypothèses où la loi permet à l’autorité publique d’interférer dans l’existence ou dans la jouissance d’un droit de propriété sans indemnisation (→ la jurisprudence La Fleurette ne peut pas s’appliquer).
Pour éviter une condamnation de la France par la CEDH, le Conseil d’État a considéré que nonobstant le refus d’indemnisation posé par la loi, le propriétaire pourra obtenir une indemnisation lorsqu’il démontre qu’il supporte une charge exorbitante et spéciale sans rapport avec l’objectif poursuivi.

4ème hypothèse : la responsabilité du fait de conventions internationales.

Conseil d’État, 1966, Compagnie générale radio-électrique :
L’application d’une convention internationale peut entraîner la mise en cause de la responsabilité de l’État pour rupture d’égalité devant les charges publiques.
La victime doit démontrer qu’elle a subi un trouble anormal et spécial, mais il y a 2 conditions supplémentaires :

  1. (Exigence disparue en 2004)
    L’engagement international doit être régulièrement ratifié.
  1. Ni la convention ni la loi qui en autorise la ratification ne doivent pouvoir être interprétées comme ayant entendu exclure le principe d’une indemnisation.

Depuis 1966, la responsabilité de l’État sur le fondement de cette jurisprudence n’a été engagée qu’à 3 reprises.
Cela renvoie par exemple à l’hypothèse de l’immunité diplomatique.

Cette jurisprudence a connu des extensions :
> à la coutume internationale (Conseil d’État, 2011, Saleh) ;
> aux actes de gouvernement (Conseil d’État, 2016, Bernabé : la responsabilité de l’État pour rupture d’égalité devant les charges publiques peut être engagée du fait d’un acte de gouvernement).


3) La responsabilité fondée sur les principes de droit commun

Cette responsabilité est la transposition en droit administratif des principes du droit civil, et en particulier la responsabilité fondée sur la garde de l’enfant mineur (article 1242 du Code civil).
⚠️ On n’applique pas le Code civil en droit administratif, mais le régime s’inspire de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Des enfants mineurs peuvent être placés dans des institutions privées ou publiques.
La Cour de cassation a défini un régime de responsabilité lorsque sont en cause des mineurs placés dans des institutions privées.
Le Conseil d’État a considéré que, par équité pour les victimes, il convenait d’appliquer le même régime pour les mineurs placés dans des institutions publiques.

Conseil d’État, 2005, GIE Axa courtage :
En présence d’un dommage provoqué par un enfant mineur placé au titre de l’assistance éducative (articles 375 et suivants du Code civil), le Conseil d’État considère que la décision de placement de l’enfant a pour effet de transférer à l’institution chargée de l’accueillir la responsabilité d’organiser, de diriger et de contrôler la vie du mineur.
En raison des pouvoirs dont l’institution se trouve ainsi investie, sa responsabilité est engagée même sans faute pour les dommages causés au tiers par ce mineur.
Cette responsabilité ne peut être atténuée ou supprimée qu’en cas de faute majeure ou de faute de la victime.

Le Conseil d’État a affiné cette jurisprudence :

  • La garde au sens juridique n’est pas la garde matérielle : l’institution peut être considérée comme responsable alors même que l’enfant mineur passait le week-end chez ses grands parents.
  • Cette jurisprudence joue aussi lorsque le placement a été décidé par une autorité administrative et non par un juge.
  • Cette jurisprudence joue pour les dommages subis par les tiers, mais aussi au bénéfice des usagers du service public en cause (ex : autres mineurs placés dans le même établissement).
  • Conseil d’État, 2006, Ministre de la Justice contre MAÏF :
    Ce régime de responsabilité joue non seulement au sujet des enfants placés au titre de l’assistance éducative, mais aussi au sujet des mineurs délinquants.

Pour les mineurs délinquants, la victime a donc le choix d’invoquer :

  1. La jurisprudence Thouzellier (1956) → fondée sur le risque ;
    • Permet d’engager la responsabilité de l’État, parce que c’est lui qui a fait le choix de méthodes libérales de réinsertion des mineurs délinquants.
    • Ne peut pas jouer au bénéfice des usagers du service public (ex : les autres mineurs de l’établissement).
  1. La jurisprudence GIE Axa courtage (2005) → fondée sur la garde.
    • Permet parfois d’engager la responsabilité d’une collectivité territoriale (généralement le département).
    • Peut jouer au bénéfice des usagers du service public.

Peut-on étendre cette jurisprudence en considérant que l’État a la garde des détenus ?
Non : le Conseil d’État n’a pas donné suite à ces réflexions.


4) Les régimes législatifs de responsabilité d’indemnisation

Ces régimes se sont multipliés depuis ~30 ans.
Certains régimes législatifs mettent en place une responsabilité de l’État tandis que d’autres mettent en place des régimes d’indemnisation (en n’imposant pas à l’État de réparer, mais en reposant sur des fonds d’indemnisation).

Le régime applicable aux victimes commis par les attroupements est un régime législatif de responsabilité qui figure à l’article L2216-3 du CGCT.
C’est un régime législatif de responsabilité sans faute qui permet aux victimes d’attroupements “armés ou non armés” d’obtenir réparation.
Constitue un attroupement “une assemblée accidentelle que des circonstances non voulues ont fait naître” → l’attroupement est spontané. Des dégâts commis dans une manifestation ne sont pas couverts par ce régime législatif.

Quand on regarde la jurisprudence, ce régime s’applique :
1- aux dégâts commis lors d’attroupement spontanés, souvent consécutifs à un évènement violent ;
2- lorsque des groupes violents s’extraient d’une manifestation et commettent des dégâts.

Section 2 : Le préjudice

💡
Rappel : dans certains domaines, la responsabilité d’une personne publique ne peut être engagée que si la victime démontre un préjudice anormal et spécial.

Le préjudice réparable doit être certain.
Bien sûr, le préjudice peut être futur, dès lors qu’il y a une forte probabilité de sa réalisation.

Le juge administratif a mis du temps à accepter le principe d’une réparation du préjudice moral.
Il a fallu attendre la décision Conseil d’État, 1961, Letisserand :
Le Conseil d’État accepte l’idée d’une réparation de la douleur morale.

Comme le juge judiciaire, le juge administratif dispose d’une nomenclature des préjudices liés aux dommages corporels (ça n’est pas la même → pas la nomenclature Dinthillac).

Le préjudice indemnisable peut être aussi bien le préjudice de la victime directe que celui de la victime par ricochet.

Il existe en droit administratif des présomptions de préjudice.
Ces présomptions existent aussi en droit privé et concernent le préjudice moral.
Pour l’essentiel, on les trouve lorsque sont en cause des atteintes à des droits fondamentaux.

Exemple : Conseil d’État, 13 janvier 2017 :
Lorsqu’un détenu subit une atteinte à sa dignité ou est exposée à des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, cette atteinte est de nature à engendrer par elle-même pour la personne qui en est victime un préjudice moral qu’il incombe à l’État de réparer.

On retrouve aussi ce genre de jurisprudences lorsqu’est en cause à un droit à un délai raisonnable de jugement.

Comment justifier ces présomptions ?

  1. Il y a une vraie difficulté à démontrer l’existence du préjudice moral dans certaines circonstances ;
  1. Il y a une volonté du juge de stigmatiser les atteintes à des droits fondamentaux → la responsabilité devient une forme de sanction implicite.

Section 3 : Le lien de causalité

§ 1. L’appréciation de causalité

Il existe 3 théories doctrinales en matière de causalité :

  1. La théorie de l’équivalence des conditions tient compte de tous les faits qui ont conduit à la réalisation du dommage.
    → Conception très souple du lien de causalité.
  1. La théorie de la causalité adéquate ne retient que les faits qui ont joué un rôle décisif dans la réalisation du dommage.
  1. La théorie de la causa proxima considère que le fait à l’origine du dommage est celui qui précède immédiatement la réalisation du dommage → lien temporel.
    → Conception très restrictive du lien de causalité.

On considère en général que le juge administratif s’inspire plutôt de la théorie de la causalité adéquate, qui constitue une sorte de compromis entre les 2 autres théories.
Arrêt emblématique :

Conseil d’État, 1969, Société établissement Lassailly et Bichebois :
Des travaux de goudronnage ont lieu sur la place devant un cinéma ; les moquettes du cinéma se retrouvent souillées.
Le propriétaire du cinéma engage une action en responsabilité contre l’entrepreneur de ces travaux publics.
Existe-t-il un lien de causalité entre les faits (le goudronnage de la place) et le dommage (les moquettes souillées) ?
Difficulté : entre les travaux sur la place et le dommage, il y a un fait de l’homme = les clients qui ont marché dans le goudron.

Le Conseil d’État estime que le fait de l’homme en question était la conséquence inéluctable de l’état dans lequel l’entrepreneur avait laissé le chantier → c’est le goudronnage de la place + la légèreté de l’entrepreneur de travaux publics qui ont joué un rôle décisif dans le dommage.
Cet arrêt est emblématique d’une application de la théorie de la causalité adéquate.

Exemple d’actualité :
TA Paris, 28 juin 2022, (Covid 19) :
Une personne fortement atteinte par la Covid-19 engage une action en responsabilité contre l’État en stigmatisant une faute : l’État avait communiqué sur l’inutilité du recours aux masques après ne pas en avoir prévu suffisamment.
Question : quid du lien de causalité ?

Le TA de Paris constate bien une faute commise par l’État ; néanmoins, il considère qu’il n’y a pas de lien de causalité suffisamment direct entre la faute et le dommage, pour 3 raisons :

  1. La nature très contagieuse du virus → aléa sur la contamination ;
  1. L’absence de caractère infaillible des mesures de prévention telles que le port du masque ;
  1. L’existence d’autres mesures permettant de se protéger.

§ 2. Les présomptions de causalité

Il existe des présomptions de causalité.
Certaines sont d’origine légale.
Par exemple, l’article L3122-2 du Code de la santé publique prévoit que les personnes qui ont contracté le SIDA par transfusion sanguine n’ont pas à démontrer que cette contamination est liée aux transfusions sanguines qu’elles ont subi.

Dans des grands scandales, notamment sanitaires, les juges ont aussi posé des présomptions.
Exemples : présomptions établies au bénéfice des salariés victimes de l’amiante, des vaccinés contre l’hépatite B ayant contracté une sclérose en plaques…

§ 3. Les causes étrangères

On parle de cause étrangère ou cause exonératoire lorsque le juge administratif prend en compte d’autres considérations que l’action du défendeur qui ont pu jouer dans la réalisation du dommage, pour éventuellement atténuer en tout ou partie la responsabilité du défendeur.

A – Faute de la victime

La faute de la victime entraîne une exonération totale ou partielle de l’auteur du dommage, dans tous les cas de responsabilité administrative (responsabilité pour faute et sans faute).

Exemple pour le régime de responsabilité au bénéfice de l’usager d’un ouvrage public, qui est un régime de droit commun qui repose sur la faute présumée : la victime n’a pas à démontrer une faute de l’administration, c’est à l’administration de démonter qu’elle a normalement entretenu l’ouvrage (= régime du défaut d’entretien normal).

Conseil d’État, 2000, Département de la Dordogne :
Un motard emprunte une route mal entretenue et décède suite à un accident.
Il y avait une faute du département.
Ici, le Conseil d’État décide d’atténuer la responsabilité du département au motif que la victime n’avait pas fait preuve de toute la prudence nécessaire pour adapter sa conduite au danger de la chaussée → faute de la victime, qui conduit à l’exonération partielle du département.

B – Force majeure

L’évènement de force majeure doit présenter 3 caractéristiques :

  1. Extériorité ;
  1. Imprévisibilité ;
  1. Irrésistibilité.

Le juge administratif fait une application assez stricte de ces 3 conditions posées par la jurisprudence.

Exemple : Conseil d’État, 1986, Commune de Val d’Isère :
Une avalanche avait emporté un grand chalet de l’UCPA ayant fait 39 morts.
Le Conseil d’État juge que, malgré sa violence, cette avalanche ne constitue pas un évènement de force majeure, en raison du fait qu’une avalanche était déjà intervenue 3 fois à ce même endroit depuis 70 ans.

Exemple : Conseil d’État, 2021, Association syndicale autorisée de la Vallée du Lay :
La tempête Xynthia (dans les années 2000) cause des dégâts importants.
Le Conseil d’État que cet évènement n’est pas constitutif d’un évènement de force majeure, en retenant que des submersions importantes avaient déjà eu lieu au long du 20ème siècle dans la zone touchée + plusieurs études scientifiques avaient mis en évidence les risques dans cette zone.

C – Fait d’un tiers

Ici, il faut distinguer la responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute.

Lorsqu’est en cause la responsabilité pour faute, le fait d’un tiers joue le même rôle que la faute de la victime : l’exonération totale ou partielle du défendeur.

Exemple :
Un jeune enfant se noie dans une piscine municipale. Ce jeune enfant était sous la garde de sa tante, qui avait également sous sa surveillance 3 autres enfants âgés de 1 à 12 ans. L’enfant en question ne portait pas de protections, ne savait pas nager, et était déjà tombé le matin-même dans le même bassin et avait été secouru par un usager. Au moment de l’accident, la tante était à 50 mètres.
Quelle est la responsabilité de la commune ?
Dans cette affaire, le juge considère que l’existence d’une surveillance de la baignade ne dispense pas les adultes de veiller sur les enfants placés sous leur responsabilité.
Le manquement de la tante à son devoir de surveillance a permis d’exonérer la commune de la moitié des conséquences dommageables de l’accident.

En présence de la responsabilité sans faute, le fait d’un tiers est sans effets sur la responsabilité du défendeur.

Chapitre 10 : La police administrative

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Précisions préalables

La police est aussi une mission de service public → elle est soumise aux lois du service public.
Cependant, de par son objet et les outils qu’elle mobilise, elle doit être abordée de manière spécifique.

Il faut opérer une distinction entre la police comme fonction de l’administration (= telle que nous l’évoquerons ici) et la police comme fonction de l’État en général.

La mission de police consiste à garantir l’ordre public. Cette mission pèse sur l’ensemble des institutions de l’État, et notamment le législateur.
Cette politique peut prendre plusieurs formes : la police administrative, mais aussi des régimes répressifs (= loi pénale).
Conseil constitutionnel, dans une décision sur les droits des étrangers : “Il existe un objectif de valeur constitutionnelle qui est la sauvegarde de l’ordre public. Cet objectif de valeur constitutionnelle peut reposer à la fois sur des règles de police (= la police administrative) ou sur un régime de sanctions pénales (= la répression pénale) ou sur la combinaison des 2.”

Donc en théorie de l’État, le droit pénal – au même titre que la police administrative – participe de la fonction de l’État qui est la fonction de police.

Section 1 : Définition

La police administrative est l’activité prise en charge par différentes autorités administratives qui consiste à assurer la sauvegarde de l’ordre public.

On va d’abord s’intéresser à ce que n’est pas la police administrative (§ 1.) avant de dire ce qu’elle est (§ 2.).

§ 1. Définition négative

A – Police comme institution ≠ police comme sanction

Dans le langage courant, il 2 notions de police :

  1. la police au sens organique, en tant qu’institution ;
  1. la police en tant qu’activité.

Ici, on s’intéresse à la police en tant qu’activité de l’administration consistant à assurer la sauvegarde de l’ordre public : c’est ce qu’on appelle la police administrative.

⚠️ Il n’y a pas de correspondance certaine entre ces 2 notions. Illustrations :

  1. Les autorités de police administrative les plus importantes ne sont pas les institutions policières.
    En France, l’autorité de police administrative la plus importante est le Premier ministre, suivi par les préfets, puis les maires…
    Les policiers participent à l’activité de police administrative, mais au simple échelon d’exécution.
  1. Les institutions policières n’assurent pas que des missions de police administrative : elles participent aussi à la répression pénale.
    Elles sont aussi au service de la police judiciaire (≠ police administrative).

B – Police administrative ≠ police judiciaire

Cette distinction est complexe mais a des enjeux juridiques importants :

  • Enjeu de compétence juridictionnelle : le contentieux de la police administrative relève du juge administratif ; le contentieux de la police judiciaire relève du juge judiciaire.
  • Enjeu sur le terrain de la responsabilité : ces activités peuvent provoquer des dommages → en fonction du type de police, ce ne sont pas toujours les mêmes personnes publiques qui sont responsables.
    • La police judiciaire est le monopole de l’État : si, à l’occasion d’une de ses missions, un dommage survient, alors l’action en responsabilité ne peut être engagée que contre l’État.
    • Les missions de police administrative sont assurées par différentes autorités qui ne relèvent pas des mêmes personnes publiques (maire → commune ; Premier ministre → État…).
      En cas de dommage, la responsabilité engagée sera celle de la personne publique au nom de laquelle la personne agit.

Cette distinction est complexe, parce que ce sont souvent les mêmes personnes qui assurent ces 2 types de missions, avec notamment l’institution policière.
Dans certaines situations, on peut avoir des doutes sur la mission au titre de laquelle elles agissent.
Exemple : lorsqu’un policier utilise son arme, agit-il en tant qu’autorité de police administrative ou en tant qu’autorité de police judiciaire ?

Les critères de distinction entre ces 2 activités de police ont été posées par le Tribunal des conflits en application du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
Ce principe est issu de la loi des 16 et 24 août 1790.

Tribunal des conflits, 1952, Préfet de la Guyane :
Dans cette affaire assez classique, un officier ministériel engage une action en responsabilité contre l’État du fait de l’interruption du fonctionnement des tribunaux judiciaires.
Quel est le juge compétent ? Est-ce que le juge administratif est compétent, parce qu’est en cause l’organisation du service public ? Est-ce que le juge judiciaire est compétent, parce qu’est en cause la justice judiciaire ?

Le Tribunal des conflits dit qu’il faut tenir compte du lien entre les actes incriminés et l’exercice de la fonction juridictionnelle assurée par la justice judiciaire.

  • Si les actes sont en lien avec cette fonction juridictionnelle, c’est le juge judiciaire qui sera compétent.
  • Si l’acte incriminé a seulement à voir avec l’organisation du service public en question, c’est le juge administratif qui sera compétent.

Une activité relevant de la police judiciaire, c’est une acte ou une action qui est en lien avec la fonction juridictionnelle assurée par les juridictions judiciaires.
Dès lors que l’action en question n’a pas de lien avec la fonction juridictionnelle, elle relève de la police administrative.
→ Critère initial.

Exemple : lorsque les policiers participent à une enquête pénale ou établissent un PV d’infraction → mission de police judiciaire.

C’est un critère finaliste : on s’intéresse au but poursuivi par l’agent au moment où il a commis l’acte incriminé.
Les 2 arrêts qui ont affirmé ce critère concernant l’action des forces de l’ordre :
Conseil d’État, 1951, Baud + Tribunal des conflits, 1951, Noualek.

Il y a opération de police judiciaire lorsque l’opération est en relation avec la répression d’une infraction pénale déterminée commise ou à commettre (= la personne s’apprête à passer à l’acte).

Tribunal des conflits, 1977, Motsch :
Un conducteur force un barrage de police établi pour procéder à des contrôles d’identité.
Les policiers se lancent à sa poursuite ; un policier tire et blesse la passagère du véhicule, qui était une autostoppeuse prise en charge par ce véhicule.
Question : quel juge saisir ?
→ Quelle était la nature de l’opération au moment du fait dommageable ?

La mise en place d’un barrage de police pour procéder à des contrôles d’identité est une activité de police administrative.
Mais, dès lors que l’intention de l’agent qui a tiré était d’appréhender l’individu qui venait de commettre plusieurs infractions, on est bien en présence d’une activité de police judiciaire.

Tribunal des conflits, 1978, Société Le Profil :
Un employé d’une société assure le transport d’une mallette sécurisée par les forces de l’ordre.
Un malfaiteur parvient néanmoins à se saisir de la mallette et s’échappe.
La société Le Profil engage une action en responsabilité.
L’action des forces de l’ordre au moment où a eu lieu le vol relève-t-elle de la police administrative ou de la police judiciaire ?

Le Tribunal des conflits considère que le préjudice invoqué par la société trouve essentiellement son origine dans les conditions dans lesquelles a été organisée l’opération de sécurisation de la police → c’est une opération de police administrative.

C – Police administrative ≠ pouvoir de sanction administrative

Les autorités administratives se voient de + en + dotées d’un pouvoir de sanction.
Les sanctions administratives sont souvent adoptées par des autorités administratives à l’égard de professionnels pour non-respect de la règlementation professionnelle.
Elles sont extrêmement courantes. Les AAI disposent de ce pouvoir de sanction.

Il y a des actes qui peuvent être analysés aussi bien comme un acte de police administrative que comme une sanction administrative.
Exemple : une décision de retrait d’autorisation est-elle une mesure de police ou une sanction ?
Exemple : une mesure d’interdiction de stade prononcée par une autorité administrative ?

Enjeu : le régime des sanctions administratives est plus exigeant pour l’administration que le régime des mesures de police, parce qu’il s’inspire en partie des procédures de sanction pénale.

Ici encore, c’est le critère finaliste qui permet de distinguer.
On est en présence d’une sanction administrative si la finalité de la mesure est répressive (→ elle procède d’une intention de punir).
On est en présence d’une mesure de police administrative si la finalité de la mesure est préventive (→ l’objectif est de préserver l’ordre public).

Exemple : Conseil d’État, 2001, Société Athis :
La Commission des opérations de bourse (ex-AMF) prend la décision de retirer l’agréement d’une société de gestion de portefeuille.
Cette décision est-elle une mesure de police ou de sanction ?
Le Conseil d’État juge qu’en prenant cette décision, la COB n’avait pas entendu sanctionner le manquement de la société à ses obligations, mais avait entendu – dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché – d’assurer la sécurité des investisseurs → relève de la police administrative.

Exemple : quand on est mauvais conducteur, on s’expose à un retrait de permis et/ou à des retraits de points. La mesure de retrait de points relève de la sanction administrative. En revanche, la mesure de suspension de permis de conduire relève de la police administrative, parce qu’elle vise à prévenir des risques pour les autres conducteurs.

§ 2. Définition positive

Qu’est-ce que l’ordre public ? C’est une notion complexe.
On peut faire une distinction entre l’ordre public général, qui renvoie à la police générale, et des ordres publics spéciaux, qui renvoient à des polices spéciales.

L’ordre public de base (on parle aussi d’ordre public général) est un ordre public matériel : il s’agit de la sécurité et de la santé des personnes et de leurs biens.
Cette mission incombe à la
police administrative générale.

L’ordre public de base consiste à assurer la sécurité publique, la salubrité publique et la tranquillité.

À côté de cet ordre public de base, il existe des traductions spécifiques de l’ordre public dans des domaines dans lesquels le législateur a considéré qu’il convenait de poser des règles plus précises et plus contraignantes.
Le législateur a institué des régimes de polices spéciales pour garantir le respect de ces règles spécifiques.
Ces polices spéciales se sont multipliées depuis 40 ans.

Exemple :
Dans un 1er temps, l’État a réagi à la pandémie de Covid-19 en mobilisant la police administrative générale, avec un confinement.
Très vite, il est apparu que ce régime était insuffisant ; on a créé un régime de police spéciale spécifique, qui a été appelé “état d’urgence sanitaire”.

On peut distinguer ces 2 polices de différentes manières :

  1. Quant aux finalités :

    Les finalités des polices spéciales se recoupent souvent avec la finalité de la police générale.
    Les polices spéciales ont souvent pour objectif d’approfondir les compétences des autorités administratives.

    Pour reprendre l’exemple de la lutte contre la Covid-19 : les 2 régimes avaient pour objectif la protection de la santé des personnes.
    Pourquoi mettre en place un régime de police spéciale ? Parce qu’on a considéré qu’il était nécessaire de préciser de manière plus détaillée les types de mesures pouvant être prises par les autorités administratives.

    Mais parfois, les finalités des polices spéciales ne sont pas les mêmes que ce qui relève de l’ordre public général. 2 exemples :

    1. La police en matière d’affichage est assurée par le maire a plusieurs finalités, et notamment la préservation de l’esthétique → ce n’est pas une finalité de la police générale.
    1. La police de la chasse a pour finalité un objectif de préservation des espèces → ce n’est pas une finalité de la police générale.

    → Différences concernant les finalités.

  1. Quant aux autorités qui assurent ce type de mission :

    On constate qu’il n’y a que quelques autorités de police générale (Premier ministre, préfet, maire…) ≠ de très nombreuses autorités de polices spéciales (idem, mais aussi AAI…).
    Ce point est détaillé plus loin dans le cours.

  1. Quant aux actes édictés :

    Ces polices ne se traduisent pas par l’édiction du même type d’actes.
    L’autorisation est un type de mesure administrative qui ne peut pas être prise dans le cadre de la police générale, alors qu’il y a de très nombreux régimes de polices spéciales qui reposent sur des mécanismes d’autorisation.

A – L’ordre public général

L’ordre public de base a vocation à pourvoir aux conditions minimales de la vie en société.
→ Protection de la vie, la santé et les biens des personnes.

Paradoxe : cet ordre public général n’est que peu ou pas défini par les textes.
La seule disposition concerne la police générale assurée par le maire (= la police municipale) : l’article L2212-2 du CGCT dispose que “la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique”.

Il vise à assurer :
1- la sécurité publique (des personnes et des biens) ;
2- la tranquillité publique ;
3- la salubrité publique (= la protection de l’hygiène et de la santé).

C’est un ordre public qui est essentiellement matériel / physique, mais il n’a jamais été pensé uniquement comme tel.

Peut-on y intégrer des considérations esthétiques ?
Conseil d’État, 1983, Commune de Bures-sur-Yvette :
Le Conseil d’État répond par la négative.
Était en cause le cimetière de la commune : le maire avait voulu y règlementer les monuments et fleurs qui y étaient placés pour des raisons esthétiques.
→ La considération immatérielle de l’esthétique ne peut pas être intégrée par le maire.

Qu’en est-il de la moralité publique ?
Oui : les autorités de police générale ont pu interdire des combats de boxe (1924), interdire à des baigneurs de se déshabiller et de s’habiller sur la plage (1930), interdire le port de costumes masculins aux femmes (1941).
→ Le pouvoir de police générale a toujours intégré des considérations immatérielles.

Plus récemment, le contentieux s’est concentré sur la question des films.
Au titre de l’ordre public général, un maire peut-il interdire la projection d’un film dans sa commune s’il estime qu’il est de nature à remettre en cause la moralité publique ?
2 arrêts emblématiques :

  1. Conseil d’État, 1959, Société Les Films Lutétia :

    Il en ressort qu’un maire peut interdire la projection d’un film sur sa commune non seulement en cas de risque d’atteintes à la sécurité ou à la tranquillité publiques, mais aussi lorsque sa projection est susceptible d’être, à raison du caractère immoral du film et de circonstances locales, préjudiciables à l’ordre public.

  1. Conseil d’État, 1985, Ville d’Aix-en-Provence :

    Était en cause le film Le pull-over rouge, inspiré d’un fait divers qui avait suscité beaucoup de tensions dans la région de Marseille.
    Le maire d’Aix-en-Provence décide d’interdire la représentation de ce film sur la base de son contenu. Était-il fondé à la faire au regard du cadre posé par Société Les Films Lutétia ?

    Le Conseil d’État a considéré que non : il n’y avait pas de circonstances locales particulières qui étaient de nature à fonder l’interdiction de la représentation de ce film à Aix.
    → La porte ouverte par l’arrêt de 1959 est limitée.

Ces considérations de moralité publique n’ont donc vocation à recevoir application que de manière extrêmement limitée et au regard de circonstances locales particulières.

Qu’en est-il de la protection de la dignité humaine ?

Conseil d’État, 1995, Commune de Morsang-sur-Orge :
Une discothèque souhaite mettre en place un spectacle de lancer de nains.
Le maire de Morsang-sur-Orge prend un arrêté au titre de la police générale interdisant la tenue de ce spectacle dans sa commune.

Le respect de la dignité de la personne humaine est l’une des composantes de l’ordre public. L’autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l’absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine.”

3 remarques sur cet arrêt :

  1. Cet arrêt n’intervient pas par hasard : c’est à cette époque qu’on voit émerger une volonté de mieux protéger la dignité de la personne humaine.
    En 1994, le Conseil constitutionnel avait, à l’occasion des lois bioéthique (qui ont introduit l’article 16 du Code civil), érigé ce principe en principe de valeur constitutionnelle.
  1. Contrairement à la moralité publique, qui ne peut être invoquée qu’au regard de circonstances locales particulières, le Conseil d’État insiste bien ici que l’exigence de la protection de la dignité humaine s’applique nonobstant la présence de circonstances locales particulières.
    Idée : la considération de la dignité de la personne humaine est égale sur tout le territoire français, contrairement à la moralité publique.
  1. Cet arrêt a été très critiqué, parce qu’on y a vu le retour d’une forme de moralité publique.
    C’est un risque, parce qu’on prend en compte des considérations morales sur ce que l’homme doit faire ou ne pas faire.

    Le nain, confronté à cette perte de revenu, a porté l’affaire jusqu’au Comité des droits de l’homme des Nations Unies.
    La dignité de la personne humaine conduit à restreindre l’exercice d’une ou plusieurs libertés, éventuellement à l’encontre de la personne dont on souhaite protéger la dignité !

La pérennité de cette jurisprudence reste assez modeste.
Lorsque l’on regarde la jurisprudence du Conseil d’État depuis 1995, on constate que les mesures de police validées sur le fondement de la protection de la dignité humaine ont été adoptées pour empêcher des pratiques ou des discours de nature à stigmatiser un groupe sur la base d’un critère physique (Morsang-sur-Orge), religieux ou ethnique.

Conseil d’État, 2007, Association “Solidarité des français” :
Un groupe d’extrême-droite met en place une soupe populaire à destination des SDF intitulée “La soupe du cochon”.
Le préfet de police a interdit la tenue de cette soupe populaire sur le fondement de l’exigence de respect de la dignité de la personne humaine.

Conseil d’État, 2014, Ministère de l’Intérieur contre Société Les Productions de la Plume et Dieudonné M’Bala :
Le préfet interdit un spectacle de Dieudonné au Zénith de Nantes, en se référant au risque de troubles à l’ordre public et sur le respect de la dignité de la personne humaine.
Validé par le Conseil d’État.

Le Conseil d’État a aussi déduit du respect du principe de la dignité humaine l’obligation, pour les autorités titulaires du pouvoir de police, de veiller notamment à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti.
C’est une obligation : les autorités administratives ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les personnes ne soient pas soumises à des traitements incompatibles avec la dignité humaine.
→ Obligation d’agir.

Cette obligation a été mentionnée dans 2 affaires :

  1. Conseil d’État, 2015, Association Médecins du Monde :
    Obligation pour l’autorité de police de prendre des mesures pour améliorer l’hygiène dans la Lande de Calais, où vivaient des migrants dans des conditions très difficiles.
  1. Conseil d’État, 2017, GISTI :
    Précise l’obligation pour l’autorité de police de prendre des mesures pour assurer la prise en charge des mineurs isolés.
➡️
En résumé :
L’ordre public général, ce sont d’abord des considérations matérielles (la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques) ; selon les périodes, avec une intensité plus ou moins variables, des considérations de nature immatérielle sont aussi prises en compte.

B – Les ordres publics spéciaux

Les ordres publics spéciaux dépendent de chaque régime de police spéciale institué par la loi.

Exemple :
La police du cinéma est prévue par le Code du cinéma.
Cette police s’exprime à travers la compétence du ministre de la Culture à travers la délivrance des visas d’exploitation des films.
Les finalités de cette police spéciale sont très largement de nature immatérielle.

Exemple :
La police des installations classées (= installations qui présentent des dangers, notamment pour l’environnement).
Les textes concernant cette police spéciale définissent les finalités de cette police : la santé publique, la protection des paysages…

À chaque régime de police spéciale correspondent des finalités qui dépendent du domaine dans lequel il intervient.

Section 2 : Les compétences de police

Qui peut prendre les mesures de police ?

§ 1. Les titulaires du pouvoir de police

A – Police générale

1) Au niveau national

Le pouvoir de police au niveau national ne repose pas sur un texte particulier.
Il a été reconnu par un arrêt important du Conseil d’État :
Conseil d’État, 1919, Labonne :
Il appartient au chef de l’État, en dehors de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer les mesures de police applicables sur l’ensemble du territoire national.

À l’époque, on est sous la 3e République : le Président de la République était celui qui était titulaire du pouvoir règlementaire.
Ce pouvoir de police sera transféré au Premier ministre à partir de la 4ème République.

Aujourd’hui, cette jurisprudence s’applique encore, mais c’est le Premier ministre qui est titulaire du pouvoir de police générale.

Au moment de l’adoption de la Constitution de 1958, on s’est posé la question de la pérennité de cette jurisprudence.
L’article 34 de la Constitution prévoit que le législateur est compétent “pour fixer les règles relatives aux droits civiques et aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques”.
Or les mesures de police restreignent souvent l’exercice des libertés.
Conseil d’État, 1982, Association Auto défense :
L’entrée en vigueur de l’article 34 n’a pas retiré au gouvernement les pouvoirs de police générale qu’il exerçait antérieurement.
Il trouve même une base constitutionnelle à cette compétence de police : articles 21 et 37 de la Constitution.

Ce pouvoir de police au niveau national peut paraître assez choquant, mais il a reçu relativement peu d’applications.
La période de la Covid-19 a vu le retour de ce pouvoir : c’est sur le fondement de l’arrêt Labonne qu’a été édicté le décret du 16 mars 2020 qui a décidé du confinement de la population française.
(On a ensuite mis en place un régime de police spéciale.)


2) Au niveau local

Au niveau local, plusieurs autorités participent à l’exercice du pouvoir de police générale.

L’autorité de principe est le maire de la commune, qui est le titulaire du pouvoir de police générale au niveau local, qu’on appelle souvent la police municipale.
Cette police très ancienne a aujourd’hui un fondement législatif (article L2212-1 du CGCT).

⚠️ C’est un pouvoir propre du maire : ces mesures sont prises par le maire, et non par l’organe délibératif de la commune.

Une autre autorité joue un rôle important en matière de police générale au niveau local : le préfet.
Il est titulaire du pouvoir de police générale à 4 égards :

  1. Il assure la police de la circulation sur les sections de route nationale situées hors agglomération ;
  1. Il est exclusivement compétent pour prendre des mesures de police générale dont le champ d’application excède le territoire d’1 commune ;

    Exemple : interdiction du remplissages des piscines en cas de sécheresse.
    Exemple : Conseil d’État, 2022, Société Périgord Shooting club :
    Une société exploite une activité de ball-trap. Des voisins, qui vivent dans plusieurs communes limitrophes, se plaignent de nuisances.
    Le préfet prend un arrêté de police pour interdire cette activité. Est-il compétent ?
    Le Conseil d’État a considéré que non, c’était le maire qui était compétent pour prendre cette mesure.

  1. Il a un pouvoir de substitution d’action dans l’hypothèse où le maire ne prendrait pas les mesures de police qu’impose la situation ;
  1. Il dispose d’un pouvoir de police renforcé dans certaines communes où la police est étatisée.

    L’essentiel des communes de plus de 20 000 habitants en France sont placées sous un régime de police d’État.
    Le préfet dispose alors de pouvoirs plus importants, au dépens du maire.
    Il exerce une partie du pouvoir de police en matière de tranquillité publique.

Il y a une 3ème autorité de police au niveau local : le président du conseil départemental.
Il dispose d’un pouvoir de police générale extrêmement limité : il assure la police de la circulation sur les sections de routes départementales situées hors agglomération.

B – Polices spéciales

Les polices spéciales sont extrêmement nombreuses, donc les autorités compétentes en la matière sont très diverses.

Parmi ces titulaires de pouvoirs de polices spéciales, il y a des autorités qui ne sont pas titulaires du pouvoir de police générale.
Par exemple, les ministres ne participent pas à la police générale, mais le ministre de l’Intérieur joue un rôle important en matière de police des étrangers (il prend les mesures d’expulsion…).

On y trouve des ministres, mais aussi des AAI et API.
Par exemple, l’ARCOM (ex CSA) participe à la police de la communication audiovisuelle.

Il y a aussi des directeurs d’établissement public qui exercent un pouvoir de police spéciale.
Exemple : le président d’une université peut prendre des mesures de police telles que la fermeture des locaux.

Les titulaires de police générale exercent aussi des compétences de polices spéciales.
Exemple : le Premier ministre joue un rôle essentiel dans le régime de police spéciale de l’état d’urgence sanitaire mis en place à partir de 2020.
Exemple : le préfet exerce la police des installations classées.
Exemple : le maire contribue à la police des funérailles.

En matière de polices spéciales, il est courant que plusieurs autorités soient associées à l’exercice de la compétence.
Exemple : l’état d’urgence sanitaire faisait intervenir le Premier ministre, le ministre de la Santé et les préfets.
Exemple : la police des télécommunications est partagée entre le ministre chargé des communications électroniques, l’ANFR et l’ARCEP.

§ 2. Les concours de polices

Il existe de très nombreux régimes de polices spéciales.
Certaines situations sont susceptibles de relever de plusieurs régimes de polices.
Comment ces régimes cohabitent-ils ?

Exemple :
L’état d’urgence sanitaire est un régime de police spéciale a été mis en place en 2020.
Dans certaines communes, des maires ont aussi imposé des mesures sanitaires.
Si le gouvernement national n’a pas imposé le port du masque au titre de la police spéciale, est-ce que le maire peut utiliser son pouvoir de police générale pour le faire ?

A – Concours entre polices générales

Cette question se pose peu, parce qu’au niveau national, le pouvoir de police générale est rarement exercé.

Lorsque des mesures sont prises à un échelon supérieur à celui de la commune, le maire peut néanmoins utiliser son pouvoir de police générale au regard de circonstances locales particulières, mais uniquement pour renforcer la règlementation.
Autrement dit, il peut aggraver les règles posées par l’échelon supérieur, mais il ne peut pas les alléger.

Conseil d’État, 1902, Commune de Néris-les-Bains :
Était en cause l’articulation entre les mesures de police générale prises par le préfet et le pouvoir de police municipal.
Le Conseil d’État prise qu’aucune disposition n’interdit au maire de prendre, sur le même objet et pour sa commune, des mesures plus rigoureuses que celles décidées par le préfet.

Conseil d’État, 1919, Labonne :
Il est possible pour les maires de prendre des règlementations plus rigoureuses au regard des circonstances locales.
Cette solution reste valable aujourd’hui. Elle figure dans le Code de la route.

B – Concours entre police générale et polices spéciales

Les choses sont plus complexes, parce qu’il y a une grande diversité de polices spéciales.

Le juge administratif s’intéresse à l’intention du législateur.
Est-ce que le législateur a entendu confier au titulaire du pouvoir de police spéciale une compétence exclusive ?
S’il apparaît que le législateur a entendu confier une compétence exclusive, alors le maire ne pourra pas intervenir sur le même objet.

On peut identifier 3 articulations :

  1. Il arrive que le titulaire du pouvoir de police générale (souvent, le maire) puisse interférer dans l’exercice d’un pouvoir de police spéciale dès lors qu’il peut mettre en avant des circonstances locales particulières.

    Exemple type : il existe une police du cinéma à l’échelon national, qui n’empêche pas le maire d’une commune d’interdire la représentation d’un film sur sa commune dès lors qu’il existe un risque de trouble à l’ordre public.
    (Conseil d’État, 1959, Société Les Films Lutétia)

  1. Il arrive que l’autorité locale peut aussi intervenir, mais uniquement dans des “circonstances exceptionnelles”, en cas de “péril imminent”…

    Exemple : le préfet est le titulaire de la police des installations classées ; le maire, en cas de péril imminent, peut prendre des mesures concernant ces installations.
    (Conseil d’État, 2003, Houillères du bassin de Lorraine)

    Exemple : Conseil d’État, 2020, Commune de Sceaux :
    Le maire de Sceaux prend un arrêté pour imposer le port du masque dans sa commune, alors qu’il n’était pas encore généralisé sur le territoire national. Cet arrêté municipal est-il licite ?
    Le Conseil d’État considère qu’en principe l’existence du pouvoir de police spéciale de l’état d’urgence sanitaire empêche le maire de prendre des mesures au titre de son pouvoir de police générale, “à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable, et à condition de ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par les autorités de l’État”.

  1. Parfois, le juge administratif considère qu’il relève de la volonté du législateur que la compétence du titulaire de police spéciale soit exclusive.
    L’autorité locale ne peut pas exercer son pouvoir de police générale à l’égard du même objet.

    Cette hypothèse est plus récente. On voit se multiplier des hypothèses de ce type depuis 10 ans, dans des contentieux emblématiques portant sur des sujets assez conflictuels.

    Exemple : Conseil d’État, 2011, Commune de Pennes-Mirabeau :
    La police spéciale des télécommunications s’occupe de la mise en place des antennes réseau.
    Le maire ne saurait porter atteinte au pouvoir de police spéciale confié par la loi à différentes autorités de l’État en adoptant une règlementation portant sur l’implémentation des antennes-relais de téléphonie mobile.

    Exemple : Conseil d’État, 2012, Commune de Valence :
    Il existe une police spéciale de la dissémination volontaire des OGM (en France, il n’y a pas d’autorisation générale, mais uniquement des expérimentations).
    Pour éviter des incohérences, le Conseil d’État reconnaît que cette police spéciale s’exerce de manière exclusive.

    Exemple : Conseil d’État, 1er juillet 2021 :
    Sur le sujet sensible du glyphosate. Des maires prennent des règlementations plus contraignantes relatives à ce produit.
    Le Conseil d’État considère que ça n’est pas possible : c’est une police spéciale exercée exclusivement par des autorités de l’État.

    Même chose concernant la généralisation des compteurs Linky.

§ 3. La délégation des compétences de police

En la matière, les principes sont clairs : dès lors que les compétences de police sont des compétences régaliennes, elles ne peuvent pas être déléguées.

Exemple : Conseil d’État, 1997, Commune d’Ostricourt :
Une commune charge une société privée de surveillance d’assurer la surveillance des rues de la commune pendant la nuit.
Le Conseil d’État considère que ce contrat est entaché de nullité, parce qu’il a pour effet d’associer cette société privée à une mission qui relève de la police.

Exemple : Conseil constitutionnel, 2011, Loi LOPPSI 2 :
Une loi permettait de déléguer à des sociétés privées l’exploitation et le visionnage de la vidéosurveillance sur les voies publiques.
Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur l’article 12 de la DDHC pour constater l’inconstitutionnalité de cette disposition législative.
L’article 12 rend impossible la délégation à une personne privée de compétences de police générale inhérentes à la force publique.

Néanmoins, il y a plusieurs décisions du juge administratif qui montrent qu’il existe des possibilités de délégation d’activités relevant de la police, mais uniquement pour des opérations relevant de l’exécution matérielle de décisions prises par les autorités de police.

Exemple : Conseil d’État, 2019, Association 40 millions d’automobilistes :
Un décret confie, à titre expérimental, le soin à des sociétés privés de faire circuler des véhicules équipés de radars.
Cette décision ne permet de déléguer que la seule tâche matérielle de conduite de véhicules équipés de radars – tâche accessoire aux missions de police qui restent dévolues aux forces de l’ordre.
Le Conseil d’État relève que les trajets des véhicules sont déterminés sous le contrôle des services de l’État et que les conducteurs de ces véhicules n’ont pas accès au matériel de contrôle.

Section 3 : L’exercice du pouvoir de police

§ 1. Obligation ou faculté ?

Les autorités de police sont obligées de prendre les mesures qu’imposent la situation, que ce soit des mesures règlementaires ou individuelles.
Il s’agit d’une obligation de moyens.

Comment sanctionner ou compenser l’inaction des autorités de police ?
Le préfet dispose d’un pouvoir de substitution d’action en cas de carence du maire.
Il existe aussi des recours juridictionnels :

  1. Le REP :

    Conseil d’État, 1959, Doublet :
    La passivité de l’autorité de police s’analyse comme une décision de refus, qui peut faire l’objet d’un REP.
    Le contrôle assuré par le juge administratif dans le cadre du REP reste limité, puisque l’annulation du refus d’agir ne s’impose “que lorsque la mesure est indispensable pour faire cesser un péril grave résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour l’ordre public”.

  1. Le référé liberté constitue le 2ème recours envisageable pour contrecarrer la passivité d’une autorité administrative dans son pouvoir de police.
    💡 Il s’agit d’une procédure d’urgence, qui a été mise en place par la loi du 30 juin 2000. Elle figure à l’article L521-2 du CJA.

    Conseil d’État, 2011, Ville de Paris :
    Étaient en cause des travaux sur la dalle des Halles, durant lesquels un engin de chantier a percé la dalle, faisant tomber des gravats dans le magasin H&M en dessous.
    Le magasin H&M a engagé un référé liberté contre la ville de Paris pour qu’il soit enjoint à la ville de Paris de suspendre les travaux jusqu’à la consolidation de la dalle.

    Le Conseil d’État dit que lorsque la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, elle porte une atteinte grave et manifestement égale à cette liberté fondamentale.
    Le juge peut alors prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser le danger résultant de cette carence.

    Cette jurisprudence s’est développée dans 2 hypothèses :

    1. Lorsqu’est en cause le droit à la vie ;
    1. Lorsqu’est en cause l’article 3 de la Convention EDH, qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants.

    Exemple : Conseil d’État, 23 novembre 2005, Commune de Calais :
    Le Conseil d’État impose aux autorités de police de mettre en place des points d’eau, pour permettre aux migrants l’accès à l’eau potable, parce que la situation créait des risques de condition de vie inhumaines.

    Cette jurisprudence a connu des développements assez exotiques lors de la crise sanitaire.
    Conseil d’État (ordonnance), 2020, Syndicat Jeunes médecins :
    Ce syndicat considérait qu’il fallait réduire le nombre de dérogations à l’obligation de confinement de la population. Il saisit le Conseil d’État, qui tient le même raisonnement : y a-t-il une carence des autorités de police de nature à créer un danger imminent pour la vie des personnes ?
    Il considère que les mesures qui ont été prises étaient suffisantes, mais il enjoint au Premier ministre de mieux définir les contours des dérogations existantes.
    → Sur la base du même raisonnement, le juge administratif se met en situation d’imposer aux autorités administratives de renforcer les restrictions sur la population.

  1. La 3ème piste envisageable est l’action en responsabilité, lorsque le mal est fait.
    Idée : l’autorité administrative aurait dû agir, elle ne l’a pas fait et ça a causé un dommage.

    Conseil d’État, 2000, Compagnie d’assurances Zurich international :
    Étaient en cause des dommages liés à la présence de gens du voyage et la carence d’un maire à prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les troubles à l’ordre public et les atteintes portées aux biens.

§ 2. Typologie des mesures de police

Les mesures de police sont extrêmement diverses.
En principe, elles sont fortement marquées d’unilatéralité (le contrat est rare et très largement interdit en matière de police).

Ce sont soit des mesures de nature juridique, soit des mesures matérielles.
On se concentre ici sur les actes juridiques, qui sont extrêmement divers : mesures réglementaires, mesures individuelles, autorisations/agréments/…

Précision : ces autorités/agréments/… ne peuvent exister que dans le domaine des polices spéciales.
Concrètement, ça veut dire qu’une autorité de police générale ne peut pas instituer un régime d’autorisation qui subordonnerait l’exercice d’une liberté à l’autorisation de l’autorité de police.

Exemple : Conseil d’État, 1951, Daudignac :
Concerne les photographes filmeurs au Mont-Saint-Michel → activité assez lucrative, qui a conduit à des problèmes de régulation des flux.
Le maire compétent met en place un régime d’autorisation.
Le Conseil d’État annule cet arrêté, en précisant qu’une autorité de police générale ne peut pas instituer un régime d’autorisation.

Contentieux plus récent : une route est fréquentée et fragilisée par des camions. Le maire peut poser un régime d’interdiction de circulation des poids lourds, mais peut-il associer à cette interdiction la possibilité d’obtenir des dérogations ?
Non. L’arrêté est annulé, parce que ça revient à mettre en place un régime d’autorisation.

§ 3. Contrôle des mesures de police

Le droit de la police administrative est largement un droit des atteintes administratives aux libertés fondamentales (la plupart des mesures de police emportent des restrictions à l’exercice de certaines libertés).
L’enjeu du contrôle est donc important.

A – L’auteur du contrôle

Qui contrôle ? Quelle est la juridiction compétente pour connaître des recours contre les mesures de police administratives ?

En principe, l’autorité compétente est le juge administratif.
Mais il existe plusieurs circonstances dans lesquelles un tiers sera compétent pour connaître d’un recours contre une mesure de police.

  1. Lorsque la mesure de police est entachée d’une voie de fait (voir partie 6 du cours), le juge compétent est le juge judiciaire.
  1. Le juge pénal peut apprécier la légalité des mesures de police :
    • L’article R610-5 du Code pénal dispose que la violation des mesures de police est sanctionnée d’une contravention de 2ème classe.
      → Toutes les mesures de police sont sanctionnées d’une contravention.

      💡
      Rien n’empêche par ailleurs le pouvoir règlementaire de poser des sanctions pénales plus lourdes pour la méconnaissance de certaines mesures de police.
    • L’article 111-5 du Code pénal dispose que les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter et apprécier la validité des actes administratifs lorsque la solution du procès pénal qui leur est soumis en dépend.
      → Les juridictions pénales ont la plénitude de juridiction.

    Exemple : Cour de cassation, Crim., 3 avril 2001 :
    Était en cause un arrêté préfectoral interdisant une manifestation anti-IVG à proximité d’un établissement hospitalier.
    Des manifestations se réunissent et sont verbalisés → poursuite devant les juridictions pénales.
    Le juge pénal apprécie la légalité de la mesure de police prise par le préfet.

B – L’intensité du contrôle

Il ne sera ici question que du contrôle assuré par le juge administratif.

Historiquement, le contrôle des mesures de police était variable : il y avait des mesures dites de “haute police” dont le contrôle était limité à l’erreur manifeste d’appréciation.
→ Le juge ne les annulait que si elles étaient manifestement illégales.

La haute police, c’était principalement la police des étrangers.
Idée : ça concernait les rapports de la France avec d’autres pays, donc le contrôle du juge administratif était plus limité.

Cette spécificité a disparu : désormais, les mesures de police font l’objet d’un contrôle harmonisé.
Lorsque le juge administratif est saisi de la légalité d’une mesure de police, il en contrôle la légalité externe + la légalité interne.

Conseil d’État, 1933, Benjamin :
Oblige le maire à invoquer des circonstances particulières (locales, de temps ou d’espace) lorsqu’il veut restreindre les libertés publiques au nom de ses pouvoirs de police administrative.
Le juge contrôle ainsi pleinement les motifs qui ont justifié la mesure de police – les risques de troubles à l’ordre public – ainsi que la proportionnalité de la mesure retenue au regard de ces risques.

La nature de ce contrôle a été précisée en 2011 avec le triple test de proportionnalité :

Conseil d’État, 2011, API :
“Les mesures de police doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées”.
Les mesures de police font aussi l’objet d’un contrôle de l’adéquation, de la nécessité et de la proportionnalité.

  1. Contrôle d’adéquation : l’atteinte portée à une liberté qui résulte de la mesure de police est-elle de nature à permettre la réalisation de l’objectif poursuivi ?
  1. Contrôle de nécessité : la mesure de police est-elle nécessaire pour parvenir à l’objectif poursuivi ?
    C’est un contrôle plus exigeant, parce qu’on peut imaginer que d’autres mesures de police peuvent être prises pour parvenir à ce résultat sans porter les mêmes atteintes aux libertés.
  1. Contrôle de proportionnalité : la mesure porte-t-elle une atteinte excessive à l’exercice d’une liberté au regard de l’objectif poursuivi ?

→ Ce triple contrôle s’ajoute au reste (contrôles de la légalité interne et externe).

4 remarques complémentaires concernant ces différentes formes de contrôle :

  1. Sur le contrôle de nécessité : la nécessité d’une mesure s’apprécie au regard de faits à la date à laquelle la mesure a été prise.
    Néanmoins, limite : dès lors qu’une mesure s’est avérée inutile, il incombe à l’autorité de police de l’abroger ou de la modifier (Conseil d’État, 2009, Commune de Cregols).
  1. La proportionnalité d’une mesure s’apprécie souvent au regard de l’étendue (= son champ d’application spatial, temporel et matériel) de la mesure en question.
    Lorsqu’est en cause la police générale, il n’est en principe pas possible de prendre des mesures d’interdiction générale.

    Exemple : Conseil d’État, 1984, Préfet de police de Paris contre Guez :
    Un arrêté préfectoral interdisait de façon générale et permanente des activités musicales de toutes natures sur les voies piétonnes de Paris.
    Le Conseil d’État a jugé que cette mesure d’interdiction générale était disproportionnée.

    Exemple : Conseil d’État, 2021, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen :
    Un arrêté du maire de Saint-Étienne interdisait pour 3 mois toute une série d’activités dans le centre-ville (interdiction de rester dans l’espace public, d’y consommer de l’alcool, de fouiller dans les poubelles…).
    Cet arrêté a été annulé pour le Conseil d’État, qui a constaté que l’interdiction s’appliquait 24h/24, portait sur l’ensemble du centre-ville et sur un très grand nombre d’activités → interdictions “générales et absolues” → arrêté illégal.

  1. La mesure doit être simple et lisible pour le citoyen.
    La question s’est posée lors de la crise sanitaire, lorsque les préfets pouvaient imposer le port du masque dans certaines zones.
    Difficulté : ça pouvait être compliqué pour les administrés de circuler entre les zones.

    Pour éviter cette difficulté, les autorités ont eu tendance à étendre l’obligation du port du masque excédant ce qui était nécessaire.
    Ces arrêtés ont fait l’objet d’un REP. Le juge administratif a ajouté à son contrôle de proportionnalité la nécessité pour les autorités administratives d’assurer l’effectivité des mesures prises, en assurant la simplicité et la lisibilité des mesures de police.
    (Conseil d’État, 2020, Ministre de la santé contre Association “Les Essentialistes – région Auvergne-Rhône-Alpes”)

    Cette décision a été critiquée, parce qu’elle valide des mesures de police dont le champ était peut-être trop important.

  1. L’articulation entre les mesures de police et le droit des discriminations :

    Conseil d’État, 2017, LDH contre Commune de La Madeleine :
    Était en cause un arrêté pris par un maire interdisant la fouille des poubelles sur le territoire de sa commune dans le contexte de l’installation d’un groupe de roms.
    Question : quel articulation entre le contrôle habituel des mesures de police et le droit des discriminations ?

    La mesure prise par le maire ne visait pas explicitement les roms.
    Le Conseil d’État juge que le simple fait qu’une mesure de police affecte particulièrement la situation de certaines personnes ne suffit pas à lui conférer un caractère discriminatoire.

    Il revient au juge administratif si la mesure est justifiée par des considérations relatives à l’ordre public et de contrôler son caractère proportionné en tenant compte de ses conséquences pour les personnes dont elle affecte la situation, en particulier lorsqu’elle apporte une restriction à l’exercice des droits.
    En l’espèce, le Conseil d’État souligne qu’il n’y a pas de droit en cause (il n’y a pas de “droit à fouiller les poubelles”).

Chapitre 9 : Le service public

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

La notion de service public a des significations assez variables.
Le professeur Jacques Chevallier identifie 3 conceptions du service public :

  1. Une conception institutionnelle : le service public, c’est une pluralité d’institutions, avec des agents et des biens.
    C’est la conception du langage courant.
  1. Une conception idéologique : la notion de service public est d’abord un principe de légitimation de l’action des personnes publiques, ce qui justifie leur importance / de payer des impôts / de leur accorder des prérogatives de puissance publique.
  1. Une conception juridique : le service public est une activité d’intérêt général prise en charge directement ou indirectement par une personne publique et qui est dotée d’un régime juridique spécifique.
    Exemple du régime juridique spécifique du service public : le respect du principe de laïcité.

→ 3 dimensions du service public qui sont liées entre elles.

La critique néolibérale du service public, qui émerge dans les années 1970, illustre l’imbrication de ces 3 dimensions du service public.
Cette critique se déploie à l’égard de ces 3 dimensions.

  1. La dimension idéologique : le discours néolibéral tend à contester la légitimité de l’action de l’administration à travers l’activité de service public, sur la base d’un double constat :
    1- l’intervention de l’État porte atteinte aux libertés des personnes (et en particulier à la liberté d’entreprendre) ;
    2- cette action de l’État est inefficace.

    Cela justifie des conséquences sur les autres conceptions du service public :

  1. Sur la dimension institutionnelle : sur le long terme, on constate que les politiques néolibérales mises en place dans un 1er temps au Royaume-Uni ont entraîné une contraction de la sphère publique, avec un phénomène de privatisation.
  1. Sur la dimension juridique : la prise en compte au sein du régime de service public du droit de la concurrence et du droit de la consommation.

→ Ces 3 dimensions de la notion de service public sont liées entre elles.

Section 1 : La définition de l’activité de service public

Une activité de service public est une activité d’intérêt général prise en charge directement ou indirectement par une personne publique.

Cette qualification ne pose pas de problèmes en présence d’activités prises en charge par des personnes publiques.
Il y a une présomption : dès lors qu’une activité est prise en charge par une personne publique, on considère qu’elle est une activité de service public.

En revanche, si elle est prise en charge par une personne privée, la question se pose et des difficultés de qualification émergent.

Parfois, la loi affirme que telle ou telle activité est une activité de service public → qualification législative.
Exemple : la loi du 2 juin 1891 définit les activités des sociétés de courses de chevaux comme des activités de service public.

En l’absence de qualification législative, il faut se reporter à la jurisprudence pour savoir ce qui constitue une activité de service public.

Conseil d’État, 2007, APREI :
Le Conseil d’État synthétise la définition d’activité de service public.
Il y a 2 critères essentiels :
1- l’exercice d’une activité d’intérêt général ;
2- assurée sous le contrôle d’une personne publique.

La détention de prérogatives de puissances publiques n’est plus un critère.

§ 1. Une activité d’intérêt général

L’expression “intérêt général” est assez floue.

Suivant une approche utilitariste, l’intérêt général est l’addition des intérêts particuliers.
Suivant une approche volontariste, l’intérêt général est défini collectivement par les institutions de l’État.

Comment le juge procède-t-il pour qualifier une activité d’intérêt général ou non ?
S’il suit la conception subjective de l’intérêt général, alors il considère que la qualification d’une activité d’intérêt général dépend d’un choix politique, opéré par le législateur ou le pouvoir règlementaire.

S’il suit la conception objective, alors il estime qu’il y a des activités qui seraient par nature des activités d’intérêt général (armée, police, justice ?), et d’autres qui par nature ne pourraient pas l’être (jeu, sport ?).

C’est très clairement l’approche subjective qui domine.
Autrement dit, le choix d’ériger une activité en activité d’intérêt général résulte d’un choix de l’autorité politique.
Le Conseil d’État identifie cette volonté politique à travers toute une série d’indices qui illustreraient cette volonté.

En conséquence, le label “activité d’intérêt général” peut être largement distribué, y compris à des activités dont on pourrait considérer qu’elles n’auraient pas par nature une dimension d’intérêt général.
Illustrations :

  1. Tribunal des conflits, 1988, Ville de Cannes contre Ponce :
    L’exploitation du Palais des Congrès de Cannes est une activité d’intérêt général, parce qu’elle participe au développement de la culture et du tourisme.
  1. Conseil d’État, 2000, SARL Plage “Chez Joseph” :
    L’exploitation d’une plage peut constituer une activité d’intérêt général, parce que l’exploitation de cette plage permettait le développement d’une station balnéaire.

C’est donc un label très généreusement attribué par le juge, dès lors qu’il lui semble que l’autorité politique a fait le choix d’ériger cette activité en activité d’intérêt général.

Il semble cependant que le juge administratif est assez réservé à l’idée de qualifier d’activité d’intérêt général une activité dont l’intérêt pour l’administration est essentiellement patrimonial.
Conseil d’État, 1999, Rolin :
En tant qu’elle définit les règles et organise des jeux, la FDJ n’assure pas une activité d’intérêt général.
La seule circonstance que cette activité procure d’importantes recettes à l’État ne suffit pas.

§ 2. Une activité rattachée à une personne publique

Ici, « rattachée » peut vouloir dire 2 choses :

  1. Soit l’activité est directement prise en charge par une personne publique ;
  1. Soit l’activité est gérée par une personne privée sous le contrôle d’une personne publique.

C’est là que réside la difficulté : lorsqu’une personne privée prend en charge une activité, comment déterminer son rattachement à une personne publique qui serait tel qu’on pourrait ériger son activité en activité de service public ?

Cette question comprend des enjeux :

  • Enjeu juridique : si une activité d’une personne privée est identifiée comme étant rattachée à une personne publique et donc érigée en service public, alors on applique le régime spécifique du service public.
  • Enjeu politique : il existe de nombreuses de structures privées – notamment des associations – dont on peut considérer que l’activité relève de l’intérêt général.
    Il peut être tentant d’ériger leur activité en service public, sauf que l’action de ces personnes privées est aussi l’expression de leur liberté (liberté d’entreprendre et liberté d’association).
    Quel équilibre trouver entre la liberté des individus et l’interventionnisme des personnes publiques ?

Pour considérer qu’une activité d’une personne privée doit être rattachée à une personne publique et peut donc être érigée en service public, l’hypothèse la plus simple est la qualification législative.
Par exemple, l’article L131-9 du Code du sport précise que “les fédérations sportives agréées participent à la mise en œuvre des missions de service public relatives au développement et à la démocratisation des activités physiques et sportives”.

En l’absence de qualification législative, le rattachement à la personne publique d’une activité d’intérêt général s’opère à partir d’une série de 5 critères :

  1. L’origine de la création de l’entité privée et/ou de l’activité qu’elle prend en charge.
    Par exemple, si l’entité est créée par une personne publique, cela va dans le sens d’une activité de service public.
  1. Le contrôle assuré par une personne publique sur les organes de cette entité privée et/ou sur son activité privée.
    Par exemple, si une partie importante des membres du bureau sont des élus locaux.
  1. Le financement (si l’activité est tout ou partie financée par une personne publique).
  1. Lorsque l’entité fonctionne grâce à des moyens mis à disposition par une personne publique (moyens humains, matériels…).
  1. Lorsque l’entité se voit dotée de prérogatives de puissance publique pour assurer son activité.
    Par exemple, s’il y a un mécanisme d’adhésion obligatoire.

Ce ne sont pas des critères cumulatifs.
Ces critères illustrent la volonté d’une personne publique de prendre en charge une activité → illustrent l’existence d’une activité de service public.

Parmi ces 5, il y a 2 indices qui jouent un rôle important (sans être indispensables pour autant) :

Le critère de la création :
L’initiative de la création de l’activité illustre parfaitement la volonté de la personne publique.
Pour autant, le Conseil d’État a reconnu qu’il arrive que même des activités pour lesquelles la personne publique n’est pas à l’initiative puissent être érigées en activités de service public.

Arrêt de référence :
Conseil d’État, 2007, Commune d’Aix-en-Provence :
Contexte : un festival international d’art lyrique qui se tient tous les ans à Aix-en-Provence. Ce festival a été créé par une association de passionnés d’art lyrique et non par la commune d’Aix.
Question : l’organisation de ce festival constitue-t-il une activité de service public ?
Problème : le critère de l’initiative ne permet pas ici d’ériger ce festival en activité de service public.

Le Conseil d’État suit ici un raisonnement en 2 temps :

  1. « Lorsqu’une personne privée exerce sous sa responsabilité et sans qu’une personne publique en détermine le contenu une activité dont elle a pris l’initiative, elle ne peut être regardée comme bénéficiant de la part d’une personne publique de la dévolution d’une mission de service public ».
    Principe de base : quand une personne privée gère une activité dont elle a pris l’initiative sous sa responsabilité, elle ne peut pas en principe être regardée comme prenant en charge une activité de service public qui lui aurait été attribuée par une personne publique.

    ⚠️ Mais :

  1. « Une activité peut cependant se voir reconnaître le caractère d’une activité de service public si une personne publique, en raison de l’intérêt général qui s’y attache et de l’importance qu’elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde des financements« .

Le Conseil d’État cherche à répondre à la question : que veut la personne publique ?
Il y a des indices qui illustrent la volonté de la personne publique d’agréger cette activité aux activités de service public.
Ces 2 éléments (droit de regard sur l’organisation + financements importants) illustrent la volonté de la personne publique d’ériger cette activité en service public.

En l’espèce, le Conseil d’État relève que les organes du festival sont largement composés de représentants des collectivités publiques. Il constate que les subventions représentent 50% du budget de la manifestation, sans compter l’aide en nature fournie par la ville.
Ces éléments le conduisent à considérer que l’État, la région, le département et la ville ont ainsi décidé de faire du festival international d’Aix-en-Provence un service public culturel.

→ Le Conseil d’État ouvre la porte à l’idée qu’une activité peut être considérée comme une activité de service public même si, à l’origine, elle n’a pas été créée par une personne publique.

Conseil d’État, 2016, SARL Cathédrale d’Images :
Une association avait créé un spectacle audiovisuel dans des carrières qu’elle louait.
Question : est-ce que ce spectacle doit être considéré comme un service public ?
Le Conseil d’État répond que non, en constatant que le bail ne donnait aucun rôle à la commune dans la programmation et l’organisation de l’activité ni aucun pouvoir de contrôle sur cette organisation.
Il en conclut que la commune ne pouvait être regardée comme ayant organisé un service public et confié sa gestion à la société en cause, ni comme ayant entendu reconnaître un caractère de service public à cette activité.
→ Il faut quelque chose qui illustre la volonté de la personne publique d’ériger cette activité en activité de service public.

Concrètement, toutes les activités d’intérêt général ne sont pas des activités de service public.
Exemple : les EHPAD.

La détention de prérogatives de puissance publique :

Conseil d’État, 1963, Narcy :
Pour qu’il y ait un service public, il faut absolument que l’entité soit dotée de prérogatives de puissances publiques.

Mais plusieurs arrêts ont ensuite infirmé cette conviction :
Conseil d’État, 1990, Ville de Melun et Association Melun-Culture-Loisirs :
Le Conseil d’État reconnaît qu’une association assure une activité de service public alors même qu’elle ne s’est pas vue dotée de prérogatives de puissance publique pour ce faire.

C’est donc un critère important, mais pas un critère indispensable.

Section 2 : L’organisation du service public

§ 1. La création de l’activité de service public

A – Compétence

Pour savoir quelles autorités sont compétentes pour décider la création d’une activité de service public, il faut distinguer les services publics à vocation nationale de ceux à vocation locale.

1) Au niveau national

Conseil d’État, 1997, Ordre des avocats à la cour d’appel :
Concerne la création de Légifrance.
Le Conseil d’État précise que c’est en principe au pouvoir règlementaire qu’il appartient de fixer les modalités de l’organisation d’un service public, sous réserve des matières réservées au législateur par l’article 34 de la Constitution.

Autrement dit, la mise en place d’un service public au niveau national incombe en principe au pouvoir règlementaire, sauf lorsqu’on est dans le cadre d’une matière que l’article 34 de la Constitution réserve au législateur.

Par exemple, l’éducation : c’est au législateur qu’il incombe de fixer les règles relatives à l’organisation du service public de l’enseignement public.

Dans cette affaire de 1997, le Conseil d’État se pose la question de savoir si le service public des bases de données juridiques peut être ou doit être rattaché aux matières réservées par l’article 34 au législateur.
Il constate que non. C’est donc bien au pouvoir réglementaire qu’il incombait de créer cette nouvelle activité de service public.

Lorsque la création d’une activité de service public suppose la création d’une catégorie d’établissements publics, l’article 34 précise que c’est là encore au législateur qu’appartient la compétence.

2) Au niveau local

Les autorités compétentes pour décider de la création d’une activité de service public au niveau local sont les organes délibérants des collectivités publiques en cause (commune, département…).

B – Création obligatoire ou facultative

Dans certaines hypothèses, cette création est obligatoire : l’autorité en cause n’a pas le choix de créer ou de ne pas créer l’activité.
Dans d’autres hypothèses, il s’agit d’une liberté dont dispose la collectivité publique ; mais le risque, c’est qu’elle se heurte à des intérêts privés.

1) Création obligatoire

À l’échelon national, on considère qu’il existe des services publics dont la création s’impose en vertu d’exigences constitutionnelles.
Autrement dit, la Constitution imposerait la création ou la prise en charge par l’État d’un certain nombre d’activités de services publics.

Conseil constitutionnel, 1986, Lois de privatisation :
Le Conseil constitutionnel précise que la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle.

On déduit de cette affirmation l’idée qu’il y a des services publics dont la création qui s’impose en vertu de normes constitutionnelles.
On parle de services publics constitutionnels, parce que leur création est imposée par la Constitution.

Difficulté : finalement, le Conseil constitutionnel n’a pas vraiment précisé ce que recouvre ces fameuses exigences constitutionnelles qui imposent la création de service public.
Il y a des services publics qu’on peut rattacher assez facilement à des exigences constitutionnelles : les activités en matière de police, de défense et de justice.

On se tourne aussi souvent vers le préambule de la Constitution de 1946, qui énumère des droits sociaux “créances” ou “droits de solidarité” : le droit à l’emploi, la protection de la santé…
On peut considérer que l’on retrouve là des exigences constitutionnelles qui imposent à l’État de mettre en place des services publics.

Son alinéa 5 proclame le droit à l’emploi suppose la mise en place d’un service public de l’emploi (aujourd’hui, Pôle emploi).
Son alinéa 10 renvoie à l’idée de protection de la santé, suppose la mise en place de services publics en matière de santé notamment : hôpitaux publics, etc.
Son alinéa 13 consacre le droit à l’instruction impose explicitement l’organisation d’un enseignement public, laïc…

→ Il existe de très nombreux services publics constitutionnels.

Dès lors que l’on n’est plus en présence d’exigences constitutionnelles, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur et du pouvoir réglementaire.
Exemple type : le service public des données juridiques évoqué précédemment est un choix qui a été fait par le législateur.

On pourrait considérer à certains égards que la création de certains services publics s’impose non en vertu d’exigences constitutionnelles, mais en vertu d’exigences conventionnelles : des traités et engagements internationaux vont imposer la mise en place d’activités ou de création d’entités éventuellement publiques et assurant des activités de service public.
Exemple : le protocole additionnel de 2002 au traité relatif à la lutte contre les traitements inhumains ou dégradants de 1984 a imposé aux États de mettre en place un organe indépendant en charge de visiter des lieux de détention et éventuellement de rendre compte de mauvaises conditions de détention. Pour assurer la mise en œuvre de ce protocole, on a créé en France une nouvelle AAI : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).

À l’échelon local, la loi (via le CGCT) détermine un certain nombre d’activités qui doivent obligatoirement être prises en charge par les collectivités publiques.

Exemples pour les communes : l’assainissement de l’eau, les pompes funèbres.
Ces activités doivent être impérativement mises en place par les communes.


2) Création facultative

Ici, c’est assez différent, parce que la personne publique qui souhaite prendre en charge une nouvelle activité est ici susceptible de se heurter à d’autres intérêts qui sont légitimes.

Enjeu : articulation entre cette possibilité qu’a la collectivité publique et la liberté d’entreprendre (protégé par l’article 4 de la DDHC).
Opposition doctrinale entre les “libéraux” et les “socialisants”.

💡 Il y a un contentieux constitutionnel en la matière, mais ce cours va plutôt s’intéresser au contentieux administratif.
Exemple :

Conseil constitutionnel, 2001, Archéologie préventive :
Archéologie préventive : aujourd’hui en France, on impose dans un certain nombre de domaines aux constructeurs d’avoir recours à une prestation d’archéologie préventive pour vérifier qu’ils ne soient pas en train de construire sur des vestiges archéologiques importants.
Le législateur a choisi récemment de mettre en place un établissement public en charge d’opérer des fouilles archéologiques en amont des travaux publics et privés, avec l’objectif de préserver le patrimoine archéologique français.
Problème : il y avait déjà des acteurs privés dans ce domaine qui assurent des prestations d’archéologie préventives.
Le Conseil constitutionnel a considéré cette création compatible avec l’article 4 de la DDHC.
Ce qui a joué ici : cet établissement public est doté d’un monopole pour mettre en place les opérations d’archéologie préventive mais il peut déléguer la réalisation de ces opérations à des entités privées.

Sur ce terrain, la jurisprudence a très largement évolué, dans un sens favorable aux collectivités publiques.

Dans un 1er temps :
Conseil d’État, 1901, Casanova :
Le Conseil d’État se montre très réticent à l’idée qu’une collectivité publique mette en place une nouvelle activité alors qu’il existe des opérateurs privés.
En l’espèce, était en cause la décision d’un conseil municipal de financer le traitement d’un médecin qui devait donner des soins gratuits aux habitants de la commune → mise en place d’une nouvelle activité à travers le financement du traitement d’un médecin.
Il y avait déjà 2 médecins qui exerçaient dans la commune.
Le Conseil d’État explique ici que les conseils municipaux ne peuvent intervenir pour procurer des soins médicaux aux habitants que dans des circonstances exceptionnelles.

→ La mise en place d’une activité qui concurrencerait une activité privée ne peut se justifier que dans des circonstances exceptionnelles.
→ Approche restrictive.

Cette approche va assez rapidement dans un second temps être nuancée.
Cet assouplissement s’explique notamment par la montée en puissance des idées socialistes dans un contexte de crise économique : courant du “socialisme municipal” = la volonté de communes de mettre en place toute une série d’activités fournissant des prestations à la population.

Le Conseil d’État a assoupli sa jurisprudence pour permettre – dans une certaine mesure – la création de ces nouvelles activités.

Conseil d’État, 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers :
En cause ici : le choix de la ville de Nevers de mettre en place un service municipal du ravitaillement pour permettre aux personnes de de se procurer un stand de bien à moindre frais.
Le Conseil d’État considère ici que les activités de nature commerciale restent en principe réservées à l’initiative privée et que les conseils municipaux ne peuvent ériger de telles activités en service public que si, en raison de circonstances particulières de temps ou de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en la matière.

Ce n’est plus les circonstances exceptionnelles de l’arrêt Casanova.
Il faut démontrer qu’il y a un intérêt public + des circonstances particulières de temps et de lieu.
→ Assouplit les conditions dans lesquelles les personnes publiques peuvent choisir de mettre en place de nouvelles activités de service public.

On en a déduit qu’il y a 2 conditions cumulatives qui sont nécessaires pour qu’un conseil municipal puisse créer une nouvelle activité de service public :

  1. Un intérêt public local ;
  1. Une carence quantitative ou qualitative de l’initiative privée.

    Carence quantitative : il n’y a pas assez d’offre.
    Carence qualitative : s’intéresse au prix ; il y a une initiative privée, mais à un prix tel que certains habitants ne peuvent pas y accéder.

Exemple :
Conseil d’État, 1964, Ville de Nanterre :
La ville de Nanterre décide de mettre en place d’un cabinet dentaire municipal alors même qu’il existe des cabinets libéraux de dentistes sur le territoire de la commune.
La commune était-elle en droit ?
Le Conseil d’État répond que oui :
1- Il existe un intérêt public local : l’accès de l’ensemble de la population de la commune (à l’époque majoritairement constituée de salariés modestes) aux soins dentaires.
2- Il y a une carence de l’initiative privée : le Conseil d’État constate qu’il y a un nombre insuffisant de praticiens privés (carence quantitatif) et que ceux-ci pratiquent pour la plupart des tarifs supérieurs au tarif de secteur 1 (carence qualitative).
→ 2ème temps de l’évolution de la jurisprudence.

Reformulation de cette jurisprudence (adaptation au droit de l’Union européenne) :

Conseil d’État, 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris :
Il ne s’agit pas d’une rupture, mais d’une reformulation du cadre défini à partir des années 1930.
Cet arrêt opère une distinction parmi les activités créées et prises en charge par les personnes publiques.

D’un côté, il y a ce que le Conseil d’État appelle “les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont les personnes publiques sont investies et pour lesquelles elles bénéficient de prérogatives de puissance publique”.
Concernant ces activités là, il considère que ne peut pas leur être opposées le principe de liberté du commerce et de l’industrie (= liberté d’entreprendre).
Idée : ce sont des activités non économiques → elles n’entrent pas en concurrence avec des opérateurs privés, qui interviennent eux sur un marché.

Exemple n°1 : dans cette affaire de 2006, ce qui était en cause, c’était la décision de l’État de mettre en place une mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat (aujourd’hui, “marchés de partenariat”) pour aider les collectivités publiques.
Cette création a été contestée par l’ordre des avocats au barreau de Paris, parce qu’il existe déjà des prestations d’assistance à la conclusion de marchés de partenariats qui existent dans des grands cabinets d’avocats.
Le Conseil d’État constate que certes, il existe déjà un marché, mais il considère néanmoins que l’activité de cette mission se rattache à la mission dévolue à l’État de veiller à la bonne application de la règle de droit, qui est une activité administrative par essence en quelque sorte → en créant cette mission, l’État ne prend pas en charge une activité économique.

Exemple n°2 : Conseil d’État, 2017, M. Perez et Ordre des avocats de Paris :
Était contestée la décision du ministère de l’économie de mettre en place un Médiateur des entreprises, avec comme objectif de favoriser la résolution amiable des différents en matière de marchés publics.
Là encore, on peut se poser la question : la médiation peut faire partie des prestations offertes par les avocats.
Néanmoins, le Conseil d’État considère qu’en instituant ce médiateur, l’État n’a pas pris en charge une activité de nature économique, donc n’intervient pas sur un marché ; il s’est borné à mettre en œuvre sa mission d’intérêt général de développer les modes alternatifs de règlement des litiges, corollaire d’une bonne administration de la justice.

Concrètement, cette jurisprudence laisse une certaine liberté à l’État.
Certes, la mise en place de ces activités contribue peut-être à la réalisation de finalités d’intérêt général (par exemple, la bonne administration de la justice), mais elle conduit à concurrencer les initiatives privées qui existent déjà.

Cette jurisprudence assez souple doit être complétée par 2 autres jurisprudences.

1ère jurisprudence : Conseil d’État, 1933, Blanc :
Certaines activités peuvent être librement créées par des collectivités publiques sans que ne puisse leur être opposé le principe de liberté du commerce et de l’industrie (notamment des activités à forte dimension sociale).
En l’espèce, la création de bains-douches peut être librement décidée par une commune sans que puisse lui être opposée la liberté du commerce et de l’industrie ; c’est une activité à forte dimension sociale.

De la même manière, dans un arrêt de 1970, une commune avait mis en place un service municipal de consultation juridique, qui s’adresse à des populations qui n’ont pas facilement accès à des avocats. On ne peut pas lui opposer ici le principe de liberté du commerce et de l’industrie.

→ La création d’activités à vocation sociale ne peut se voir opposer le principe de liberté du commerce et de l’industrie.

2nde jurisprudence :
Il est toujours possible, pour une personne publique, de pourvoir elle-même à ses propres besoins, quand bien même ses besoins pourraient être assurés par une personne privée.
Exemples :

Conseil d’État, 1970, Unipain :
Dans une commune, il y avait une caserne qui produisait elle-même son pain pour nourrir le personnel militaire. Cette boulangerie militaire a étendu légèrement son activité pour fournir du pain à un établissement pénitentiaire situé dans la commune.
Le Conseil d’État a considéré qu’il est tout à fait possible pour l’État de pouvoir à ses propres besoins ; en l’occurrence, les établissements pénitentiaires relèvent de l’État.

Conseil d’État, 2011, API (Association pour la promotion de l’image) :
Aujourd’hui, lorsqu’on refait faire des titres d’identité, il y a parfois dans les mairies un service qui prend la photographie.
Difficulté : les entités qui fournissent cette prestation de photos d’identité ont considéré que cette prestation accessoire était illicite.
Le Conseil d’État a considéré que la prise directe des images par les agents chargés de l’instruction des demandes de titres d’identité ne peut pas être contesté au regard de la liberté du commerce et de l’industrie ni du droit de la concurrence, puisque les personnes publiques peuvent décider d’exercer elles-mêmes les activités qui découlent de la satisfaction de leurs besoins.
→ Même raisonnement qu’Unipain.
→ Élargit la possibilité pour les personnes publiques de prendre elles-mêmes en charge certaines activités.

Si on revient à l’arrêt Ordre des avocats du barreau de Paris (2006), on constate qu’il oppose 2 types d’activités des personnes publiques : les activités non économiques, dont on vient de parler, et les activités économiques.
Dans cet arrêt, le Conseil d’État précise que si une personne publique souhaite prendre en charge de telles activités activités économiques, elle doit non seulement agir dans les limites de ses compétences, mais également justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l’initiative privée.

On présente souvent cette jurisprudence comme une rupture, mais elle s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence Ville de Nanterre.
Ce que dit ici le Conseil d’État, c’est qu’il faut d’une part que l’autorité publique qui crée l’activité soit compétente (exigence qui existait déjà avant) + elle doit justifier d’un intérêt public (ce qui évoque fortement la carence de l’initiative privée).

Exemple : Conseil d’État, 2010, Département de la Corrèze :
Ce département vieillissant a choisi de mettre en place un service de téléassistance aux personnes âgées ou personnes handicapées.
💡 Ce sont les départements qui sont compétents pour l’aide sociale.
Objectif : permettre aux personnes âgées d’alerter lorsqu’elles sont en difficulté. Ce type de prestation est déjà proposé par des opérateurs privés.
Le Conseil d’État considère licite la création de cette nouvelle activité : même si des sociétés privées offrent des prestations de téléassistance, la création de ce service ouvert à toutes les personnes âgées ou dépendantes indépendamment de leur ressources satisfait aux besoins de la population et répond à un intérêt public local.
Ceux qui vont solliciter ce service, ce sont d’abord ceux qui ne peuvent pas accéder aux opérateurs privés en raison de leurs moyens → carence qualitative de l’initiative privée.

Une autre jurisprudence étend la possibilité pour une administration d’intervenir sur un marché.
Idée : la liberté du commerce et de l’industrie n’est pas opposable à une activité d’une personne publique lorsqu’elle constitue le complément d’une activité de service public existante, y compris lorsque cette activité annexe a pour objectif de permettre l’équilibre financier de l’activité en question.
2 exemples :

Conseil d’État, 1959, Delansorme :
La commune a décidé d’associer à un parking municipal une station essence, qui intervient donc sur un marché.
Le Conseil d’État considère néanmoins que cette création était licite parce qu’elle incitait les automobilistes à utiliser le parking municipal plutôt que de garer leur véhicule dans la rue.

Dans un autre arrêt, une activité de vente de fournitures funéraires est associée à un service public des pompes funèbres.
La commune a pu mettre en place ce service de vente de fournitures funéraires, alors qu’il y a des commerces qui vendent ces produits aux alentours des cimetières, parce qu’on est dans une activité annexe d’une activité de service public.

§ 2. Les modalités de gestion des activités de service public

La personne publique a 2 options possibles :
> gérer elle-même le service public ;
> confier le soin à un opérateur privé d’assurer cette gestion.

En principe, ce choix est libre.

A – La gestion directe

L’arrêt Aix-en-Provence (2007) mentionné précédemment évoque longuement les différentes possibilités qui s’offrent à une personne publique lorsqu’elle souhaite prendre en charge une nouvelle activité.
Si la personne publique gère le service public elle-même, 3 régimes sont possibles :

  1. La régie simple : l’activité est gérée directement par la collectivité publique avec ses propres moyens ;
  1. La régie directe ou quasi-régie (n’existe que pour les collectivités territoriales) : permet d’individualiser la gestion du service sur le plan budgétaire.
    Cette autonomisation peut prendre 2 formes :

    • La régie autonome : on met en place un budget annexe spécifique dédié à l’activité ;
    • La régie personnalisée : on met en place une personne morale spécifique.
  1. La gestion par un organisme créé à cet effet.

    Le droit de l’Union européenne n’impose la mise en concurrence que lorsqu’on est dans l’hypothèse d’une gestion indirecte de l’activité.
    Lorsqu’une collectivité publique choisit de prendre directement en charge une activité, on ne lui impose pas de respecter les règles de concurrence.
    Pour ne pas avoir à s’embêter avec les règles de concurrence, des collectivités ont pensé à faire prendre en charge l’activité par une entité qui peut apparaître différente mais qu’elles contrôlent entièrement.
    Cette 3ème modalité renvoie souvent à cette hypothèse.

    Le Conseil d’État précise que les collectivités publiques doivent être regardées comme gérant directement un service public si elles créent à cette fin un organisme dont l’objectif statutaire exclusif est, sous réserve d’une diversification purement accessoire, de gérer ce service et si elles exercent sur cette organisme un contrôle comparable à celui qu’elles exercent sur leurs propres services, leur donnant notamment les moyens de s’assurer du strict respect de son objet statutaire.
    → Assez restrictif.

    Si ces conditions sont réunies, on est dans la gestion directe par une personne publique → elle n’est pas soumise aux règles de concurrence.

B – La gestion par un tiers

L’arrêt Aix-en-Provence évoque aussi les hypothèses de gestion indirecte.

1) Modalités de la dévolution

Dans sa décision Aix-en-Provence, le Conseil d’État précise que, lorsqu’il est question d’accorder ou de confier à un tiers le soin de prendre en charge une activité de service public, le mode est de dévolution normal est le contrat (soit un marché public, soit une concession).
On doit respecter les exigences relatives au Code de la commande publique.

Il y a des exceptions :

  1. L’intervention de la loi : parfois, un texte législatif interfère dans les modalités de dévolution.
    Il y a 2 manières possibles :

    1. Parfois, c’est la loi elle-même qui procède à la dévolution.
      Exemple : la loi du 30 septembre 1986 confie notamment le service public de la communication audiovisuelle à des sociétés nationales de production (France Télévisions et Radio France).
    1. Parfois, la loi confie le soin à une autorité publique de désigner les bénéficiaires par la voie d’un acte unilatéral (≠ un contrat).
      Exemple : l’article L131-14 du Code du sport concernant la délégation des missions de service public aux fédérations sportives prévoit que cette délégation se fait par voie de décision unilatérale de l’État, et non par la voie contractuelle.
  1. Les collectivités publiques peuvent se passer de conclure un contrat lorsque eu “eu égard à la nature de l’activité en cause et aux conditions particulières dans lesquelles il l’exerce, le tiers ne saurait être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentiel”.

    Ici, on est dans l’hypothèse où l’activité en cause est censée ne pas être une activité économique, donc pas de concurrence nécessaire, donc pas de contrat.
    Cette exception a vocation à jouer pour les activités de nature sociale et pour les services publics culturels.


2) Bénéficiaires de la dévolution

Peuvent être bénéficiaires d’une telle dévolution : personnes privées, associations, sociétés d’économie mixte et sociétés publiques locales…
Question : est-ce qu’une personne publique peut candidater pour pouvoir prendre en charge des missions de service public ?
C’est une question délicate, parce qu’on craint que cette personne publique ne bénéficie d’avantages qui fausserait la concurrence.

Conseil d’État, 2014, Société Armor SNC :
S’inspire de l’arrêt Ordre des avocats du barreau de Paris (2006).
Il faut que la personne publique soit compétente pour délivrer la prestation + qu’il y ait un intérêt public qui légitime cette activité de nature économique.
Le Conseil d’État précise que la candidature répond à un intérêt public si elle constitue “le prolongement d’une mission de service public dont la personne publique a la charge dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service, ou d’assurer son équilibre financier”.

Les faits de l’affaire : un département a investi dans du matériel de dragage. Il candidate à un marché dans un autre département pour y assurer le dragage dans ce département.
Le Conseil d’État retient que cette candidature est licite, parce que le 1er département a candidaté pour amortir les coûts d’investissement du matériel de dragage.

2ème temps de l’arrêt : il faut que les modalités de cette candidature ne faussent pas le jeu de la concurrence. Le prix proposé par la personne publique doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix + en veillant à ce qu’ils n’intègrent pas des ressources ou moyens qui sont attribués à la personne publique par les missions de service public qui lui sont octroyées.

Section 3 : Le régime des activités de service public

Ce régime juridique n’est pas univoque. Il y a une diversité de régimes.

§ 1. Facteurs de variation

3 considérations expliquent la diversité du régime applicable au service public :
1- qui prend en charge l’activité ?
2- quelle est la nature de l’activité ?
3- quel est l’objet de l’activité ?

A – La distinction personne publique / personne privée

En fonction de la nature de l’entité qui prend en charge l’activité de service public, le régime juridique varie.
On va donner ici 3 exemples :

  1. Le régime fiscal n’est pas le même.
    Certaines personnes publiques, pour l’exercice de certaines activités de service public, bénéficient d’une exonération de TVA ;
  1. Le régime des biens mobilisés au service de l’activité de service public.
    Il y a un principe d’insaisissabilité des biens des personnes publiques.
  1. Le droit applicable aux relations avec les agents / les usagers du service.
    Si une personne publique prend en charge l’activité, ses agents sont susceptibles d’être des agents publics, avec tout le régime qui leur est applicable.
    Si une personne privée prend en charge l’activité, ses agents sont des personnes privées soumis au Code du travail.

B – La distinction SPIC/SPA

Aujourd’hui, on considère que l’ensemble des activités de service public relèvent :
> soit de la catégorie des services publics administratifs (SPA) ;
> soit de la catégorie des services publics industriels et commerciaux (SPIC).

Cette distinction est essentielle pour déterminer les règles applicables au service + les règles de compétence juridictionnelle.
En règle générale, le contentieux des SPA relève du juge administratif et le contentieux des SPIC relève du juge judiciaire.

Cette distinction trouve son origine au 20ème siècle dans l’interventionnisme croissant des personnes publiques dans l’économie.
Dès lors que des personnes publiques ont commencé à prendre en charge des activités auparavant prises en charge par des personnes privées, il paraissait logique de leur appliquer le même régime juridique → émergence des services publics à gestion privée.

Tribunal des conflits, 1921, Société commerciale de l’Ouest africain (”Bac d’Eloka”) :
Contexte : colonisation en Afrique de l’Ouest. L’affaire prend place en Côte d’Ivoire, où la colonie met en place un bac pour traverser le lac d’Eloka.
Un accident se produit et une action en responsabilité est intentée.
Il s’agit d’une activité prise en charge par une personne publique (la colonie), donc quel est le juge compétent ?

Le Tribunal des conflits retient que “en effectuant, moyennant rémunération, les opérations de passage de piétons et de voitures d’une rive à l’autre du lac, la colonie de Côte d’Ivoire exploite un service de transport dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire” ; en conséquence, il n’appartient qu’à l’autorité judiciaire de connaître des conséquences dommageables de l’accident invoqué.

Idée : puisque la colonie agit comme une entreprise privée et intervient sur un marché, on lui applique le même régime → droit civil de la responsabilité.

→ Acte de naissance de la catégorie des SPIC.

1) Critères de distinction

Il existe des qualifications législatives.
2 exemples :

  1. L’article L342-13 du Code du tourisme affirme que l’exploitation des remontées mécaniques et des pistes d’une station de ski est un SPIC.
    C’était une question peu évidente au regard des critères jurisprudentiels.
  1. L’article L2224-11 du Code général des collectivités territoriales dispose que “les services publics d’eau et d’assainissement sont financièrement gérés comme des SPIC”.

Précision : lorsque le législateur fait le choix d’une telle qualification, ça ne signifie pas que l’ensemble du contentieux relatif à l’activité de cette entité relève du juge judiciaire.
Exemple : Tribunal des conflits, 2004, Blanckeman :
Était en cause l’établissement public Voies navigables de France, qui est un EPIC (= établissement public prenant en charge une activité de service public industriel et commercial) sur qualification de la loi.
Le Tribunal des conflits précise que les litiges nés de l’activité de cet EPIC relèvent en principe du juge judiciaire, mais il ajoute qu’en revanche celles de ses activités qui relèvent des prérogatives de puissance publique (règlementation, police, contrôle…) sont soumises à la compétence du juge administratif.

À défaut de qualification législative, on applique les critères jurisprudentiels :

Conseil d’État, 1956, USIA (Union syndicale des industries aéronautiques) :
Cet arrêt a fixé des critères jurisprudentiels permettant de distinguer les 2 catégories.
Pour qu’une activité soit considérée comme une activité de SPIC, il faut que 3 critères cumulatifs soient réunis :

  1. Le critère de l’objet : l’activité en cause doit être au nombre des activités susceptibles d’être prises en charge par une personne privée.
    Il existe des activités qui sont censées relever par nature des collectivités publiques et qui empêchent donc la qualification de SPIC.

    Exemple : Tribunal des conflits, 1981, Crouzet :
    L’activité de la sécurité aérienne a été considérée comme ne pouvant pas relever d’un SPIC, parce qu’elle relève par nature de la compétence des personnes publiques.

    Critère complexe à mettre en œuvre : “par nature” ?

  1. Le critère de l’origine des ressources : les ressources du service doivent être essentiellement liées aux redevances payées par les usagers en contrepartie de la prestation.

    Exemple : Tribunal des conflits, 1994, Syndicat mixte d’équipement de Marseille :
    Était en cause l’exploitation d’un centre portuaire d’accueil routier.
    Le Tribunal des conflits a considéré que cette activité ne constituait pas un SPIC puisqu’une part prépondérante de son financement provenait de subventions de la ville et de la CCI.

  1. Le critère des modalités d’organisation et de fonctionnement.
    Ce critère repose sur la technique du faisceau d’indices. Sont pris en compte :
    > le régime comptable ;
    > la détention de prérogatives de puissance publique ;
    > le statut des personnels ;
    > l’importance de la recherche de rentabilité dans la gestion du service.

    Tribunal des conflits, 2017, Société Centre Léman :
    Était en cause la commune d’Annemasse, qui exploite près du lac Léman un centre aquatique, au sein duquel il y a une activité de fitness.
    Quelle est la nature de l’exploitation de ce centre aquatique ? Il y avait des doutes importants.
    Le Tribunal des conflits a exclu la qualification du SPIC, en retenant que les agents du service étaient placés sous l’autorité du chef du service des sports de la commune d’Annemasse + le gymnase et le centre aquatique étaient rattachés au pôle culture de la commune…

La mise en œuvre de ces critères est parfois difficile.
Il faut que ces 3 critères convergent vers la qualification de SPIC pour qu’il y ait un SPIC.

Remarque :
Il arrive qu’une entité assure les 2 types d’activités (activités de SPIC + de SPA).
Exemple : Tribunal des conflits, 1986, Commune de Kintzheim :
L’ONF (Office national des forêts) est un établissement public.
Le Tribunal des conflits reconnaît que l’ONF assure des missions de SPA (activités de protection et de conservation des forêts) + des missions de SPIC (gestion et exploitation des forêts).


2) Régime applicable

En principe :
> si l’on est en présence d’un SPA, le droit public s’applique → le juge administratif est compétent ;
> si l’on est en présence d’un SPIC, le droit privé s’applique → le juge judiciaire est compétent.

Mais, dans le détail, c’est légèrement plus compliqué.

a) Relations entre le service et ses usagers

En présence d’un SPA :

  • Quand le service est géré par une personne publique, les usagers sont dans une situation légale et règlementaire.
  • En revanche, quand le service est géré par une personne privée, l’usager est dans une situation de droit privé, sauf lorsque le litige met en cause l’exercice de prérogatives de puissance publique par le gestionnaire.

Exemple :
Les fédérations sportives prennent en charge une activité de SPA.
Elles entretiennent avec leurs usagers des relations de droit privé, sauf lorsqu’elles mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique (exemple : sanctions).

En présence d’un SPIC : les usagers sont dans une situation de droit privé, quelle que soit la nature de l’entité qui gère le service, même dans le cas où le contrat qui les lie contiendrait des clauses exorbitantes (Conseil d’État, 1961, Campanon-Rey).

b) Relations entre le service et ses agents

Dans le cas d’un SPA géré par une personne publique, les agents sont de droit public.
Si le SPA est géré par une personne privée, les agents sont des salariés de droit privé.

Dans le cas d’un SPIC, les agents relèvent en principe du droit privé.
Il y a 2 exceptions dans l’hypothèse où le service est géré par une personne publique :
Conseil d’État, 1957, Jalenques de Labeau :
Les agents des SPIC sont en principe des agents de droit privé, sauf le directeur du service et le comptable, lorsque le service est géré par une personne publique.

c) Les actes unilatéraux

Lorsqu’une entité qui prend en charge une activité de service public émet des actes unilatéraux, est-ce que ce sont des actes unilatéraux administratifs ou des actes unilatéraux de droit privé ?

Lorsque l’activité en cause est un SPA :
> si c’est une personne publique qui prend en charge le service, les actes unilatéraux sont administratifs ;
> si c’est une personne privée qui prend en charge le service, les actes unilatéraux sont des actes de droit privé, sauf s’ils manifestent l’exercice de prérogatives de puissance publique.

Arrêt de référence : Conseil d’État, 1961, Magnier :
Une association est mise en place pour lutter contre un nuisible. Les agriculteurs du territoire concerné étaient obligés d’y adhérer.
Contentieux concernant les cotisations versées par les adhérents.
Il a été décidé que la décision imposant le paiement de cotisations manifestait l’exercice de prérogatives de puissance publique et est donc un AAU, puisque l’adhésion est obligatoire.

Lorsque l’activité en cause est un SPIC : ces actes sont des actes unilatéraux de droit privé, sauf pour les actes qui sont relatifs à l’organisation du service public.

Arrêt de référence : Tribunal des conflits, 1968, Barbier :
Air France est à l’époque une société commerciale qui gère un SPIC.
Il y avait un règlement intérieur qui précisait qu’une hôtesse de l’air ne pouvait plus voler dès lors qu’elle se mariait.
Une hôtesse conteste cette clause devant les juridictions judiciaires. La Cour de cassation saisit le Tribunal des conflits, qui attribue la compétence au juge administratif parce que le règlement était relatif à l’organisation du service public (→ le règlement est un AAU).

Cette jurisprudence a subi une contraction importante ces dernières années.
À l’époque de la décision Barbier, la notion “d’organisation du service public” recouvrait beaucoup de considérations différentes.
Le Tribunal des conflits a depuis considéré que les dispositions du règlement relatif aux conditions d’emploi ou aux garanties sociales des personnels des SPIC ne relèvent plus de l’organisation du service public.
Autrement dit : aujourd’hui, on peut considérer que le contentieux Barbier relèverait aujourd’hui du juge judiciaire.

d) Le contentieux de la responsabilité délictuelle

Il s’agit de la question des dommages subis par les tiers au service.

En présence d’un SPA :
> c’est une responsabilité administrative si le service est pris en charge par une personne publique ;
> c’est de la responsabilité civile si le service est pris en charge par une personne privée, sauf lorsque le dommage résulte de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ou s’il est lié au fonctionnement d’un ouvrage public.

En présence d’un SPIC : en principe, c’est du droit privé, sauf lorsque le dommage résulte de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ou s’il est lié au fonctionnement d’un ouvrage public.

SPA géré par une personne publique SPA géré par une personne privée SPIC
Relations entre le service et ses usagers L’usager est dans une situation légale et règlementaire. L’usager est dans une situation de droit privé, sauf lorsque le litige met en cause l’exercice de prérogatives de puissance publique par le gestionnaire. L’usager est dans une situation de droit privé, quelle que soit la nature de l’entité qui gère le service.
Relations entre le service et ses agents Les agents sont de droit public. Les agents sont des salariés de droit privé. Les agents sont des salariés de droit privé, sauf le directeur du service et le comptable (CE, 1957, Jalenques de Labeau).
Actes unilatéraux Les actes unilatéraux sont administratifs (AAU). Les actes unilatéraux sont des actes de droit privé, sauf s’ils manifestent l’exercice de prérogatives de puissance publique. Les actes unilatéraux sont des actes de droit privé, sauf ceux relatifs à l’organisation du service public.
Contentieux de la responsabilité délictuelle Responsabilité administrative. Responsabilité civile de droit privé, sauf lorsque le dommage résulte de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ; ou s’il est lié au fonctionnement d’un ouvrage public. Responsabilité civile de droit privé, sauf lorsque le dommage résulte de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ; ou s’il est lié au fonctionnement d’un ouvrage public.

C – La distinction des activités économiques et activités non économiques

Cette distinction est plus récente : elle vient du droit de l’Union européenne et du droit de la concurrence.
Question : dans quelle mesure s’impose le respect des règles de concurrence ?

1) Économie de la distinction

L’activité économique s’entend d’une offre de biens ou de services sur un marché déterminé.

En substance, cette distinction coïncide très largement avec la distinction entre les SPA et les SPIC.
Le problème, c’est qu’interfère entre ces 2 distinctions des qualifications législatives.
Il arrive qu’un établissement public qui prend un charge un SPA peut néanmoins être considéré comme une entreprise prenant en charge une activité économique au sens du droit de la concurrence.
Exemple type : Conseil d’État, 2003, UNICEM :
L’organisme qui prend en charge le service public de l’archéologie préventive est un établissement public administratif par qualification de la loi.
Le Conseil d’État relève ici que les opérations de fouilles d’archéologie préventive sont des activités économiques, donc malgré son statut d’établissement public administratif, l’Institut national de recherche archéologique préventive constitue une entreprise au sens des dispositions du TFUE.

Au regard de la jurisprudence, ne constituent pas des activités économiques :
> les activités régaliennes (police, justice, défense) ;
> certaines activités sociales (ex : la gestion du régime obligatoire de la Sécurité sociale) ;
> certaines activités culturelles et artistiques.


2) Portée de la distinction

Les activités non économiques (qu’on appelle parfois les “activités de puissance publique”) échappent en principe aux règles de concurrence.
Concrètement : si une entité veut conférer à une autre entité le soin de prendre en charge une activité non économique, on n’est pas obligé de passer un contrat public.
De même, si une personne publique souhaite subventionner l’entité qui prend en charge cette activité non économique, elle peut le faire librement.

Précision :
Certes, ces activités non économiques échappent au droit de la concurrence, mais à l’occasion de ces activités les personnes publiques ne doivent pas mettre des opérateurs économiques en situation d’abuser d’une position dominante.

1ère illustration d’activité non économique : la police.
Le maire exerce sur sa commune un pouvoir de police.
Dans l’exercice de cette activité, le maire ne doit pas conduire un opérateur en situation anticoncurrentielle.
Exemple : si, dans une commune, il y a 1 boulanger et 1 marché, et que le maire interdit l’installation d’un boulanger provisoire dans le marché, il place le boulanger de la commune en situation d’abuser d’une position dominante.
Exemple : Conseil d’État, 2000, Société L&P Publicité :
Les décisions prises par un maire concernant l’affichage publicitaire dans sa commune avait conduit un opérateur en situation d’abuser de sa position dominante.

2ème illustration : la gestion du domaine public est aussi une activité non économique.
Pour autant, il peut arriver que dans le cadre de cette gestion, il peut arriver que la personne publique prenne des mesures qui affectent la concurrence.
Exemple : Conseil d’État, 1999, Société EDA :
En tant qu’Aéroports de Paris gère le domaine public en attribuant des places de parking aux sociétés de location de véhicules, elle doit respecter les règles de concurrence.

En principe, le droit de la concurrence n’interdit pas l’attribution à des entités exerçant une activité économique en charge de services publics de privilèges exorbitants pour garantir la bonne exécution de la mission.
Par exemple : octroi d’un monopole, de subventions
Mais l’attribution de ces privilèges ne se justifie que lorsque cela est nécessaire à l’accomplissement de la mission de service public.

Exemple : pendant longtemps, une compagnie privée (Corsica Ferries) et une compagnie publique (la SNCM) étaient en concurrence sur la liaison Corse – continent.
La SNCM assurait une mission de service public et bénéficiait donc de subventions de la part de la collectivité de Corse.
Est-ce que les aides dont bénéficiait les SNCM étaient nécessaires à l’activité de service public ?

La CJUE a posé un cadre sur la possibilité pour les personnes publiques de subventionner une activité économique :
CJCE, 2003, Altmark :
Concerne les subventions versées à des opérateurs économiques en contrepartie de l’exécution d’une mission de service public.

  1. La compensation ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public.
  1. Définit des exigences qui permettent de vérifier l’absence de surcompensation :
    > Transparence et objectivité des critères ;
    > La compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour permettre à l’entreprise d’atteindre un niveau de rentabilité considéré comme raisonnable pour les entreprises du secteur concerné ;
    > Les obligations de service public à compenser doivent être clairement définies.

On retrouve ces exigences aujourd’hui en droit français.
Exemple : Conseil d’État, 2017, Société Corsica Ferries France :
Le Conseil d’État applique les critères Altmark pour apprécier la licéité de la compensation de service public versée à la SNCM et considère que ces critères n’ont pas été respectés.

Exemple : Cour d’appel de Marseille, 2022, SNCF Mobilités :
Un contrat est conclu entre la région PACA et SNCF Mobilités par lequel la région confie à la SNCF la gestion des services ferroviaires régionaux.
Il était prévu dans le contrat que la région verserait des subventions à la SNCF pour assurer les charges de service public.
Difficulté : ni le contrat ni aucun élément du dossier ne permettait d’évaluer le coût exact des obligations de service public assurées par la SNCF.
La cour a considéré que la subvention de la région devait être considérée comme une aide d’État illégale, parce qu’elle ne respecte pas le cadre posé par l’arrêt Altmark.

§ 2. Facteurs d’unité

Il sera ici question des grands principes qui sont censés s’appliquer à l’ensemble des services publics.

Les 3 lois du service public :
1- continuité ;
2- adaptabilité / mutabilité ;
3- égalité.

On les appelle parfois les lois de Rolland, du nom de l’universitaire Louis Rolland qui les a dégagées.

A – Le principe de continuité

Conseil constitutionnel, 1979, Continuité du service public :
Le principe de continuité du service public a valeur constitutionnelle.
La théorie de l’imprévision dans les contrats administratifs s’inspire de ce principe.

Cela signifie que l’usager doit pouvoir bénéficier des prestations de service public en toutes circonstances, mais ça ne veut pas dire que toutes les missions doivent être assurées 24h/24.

Cette exigence de continuité du service public pose problème aujourd’hui, en particulier depuis que le droit de grève a été reconnu aux agents de l’administration par le préambule de la Constitution de 1946 (Conseil d’État, 1950, Dahaene).

Les exigences de continuité du service public ont des conséquences sur l’exercice du droit de grève :

  1. Le droit de grève est interdit aux agents de certains services publics considérés comme essentiels, notamment les services publics régaliens.
    Par exemple, les policiers n’ont pas le droit de grève.
  1. Certains textes de lois mettent en place un service minimum, par exemple dans le domaine de la navigation aérienne ou de l’audiovisuel.

Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence Jamart (1936) que tout chef de service peut prendre les mesures nécessaires pour assurer la continuité de son service, y compris en règlementant l’exercice du droit de grève par les agents de son service.

Conseil d’État, 1976, Section syndicale CFDT du Centre psychothérapique de Thuir :
Reconnaît la possibilité pour le directeur de l’hôpital (= chef de service) d’opérer des réquisitions de personnels de l’hôpital alors qu’il y avait une grève pour garantir un fonctionnement minimum de l’hôpital.

Certains textes passés pendant le quinquennat Sarkozy renforcent l’encadrement du droit de grève en matière de transport terrestre régulier de voyageurs et de transport aérien de voyageurs en imposant une obligation de négociation préalable + l’obligation pour les agents d’informer le gestionnaire du service de sa volonté de se mettre en grève dans un délai minimum.

La loi du 6 août 2019 pour le transformation de la fonction publique met en place un dispositif similaire pour des services publics locaux tels que la restauration collective et scolaire ou la collecte des déchets.

B – Le principe d’adaptabilité

Le principe d’adaptabilité ou de mutabilité du service public trouve sa résonnance dans le pouvoir de modification unilatérale du contrat par l’administratif.

Il joue d’abord en faveur de l’administration et au dépens des administrés.
Ce principe joue généralement lorsque l’administration choisit de modifier un service et que ce choix est contesté par les usagers.

Conseil d’État, 1961, Vannier :
Les usagers n’ont pas le droit acquis au maintien d’un règlement relatif à l’organisation d’un service public.
Joue contre l’usager : l’administration peut changer, sans que l’usager puisse s’y opposer.

Conseil d’État, 1987, Société TV6 :
Il est toujours loisible pour l’administration de réorganiser une activité de service public (en l’espèce, une chaîne de télévision).

Ce principe de mutabilité est assez ambigu, parce qu’il est plutôt invoqué par l’administration contre l’usager.
Quels sont les droits des administrés ?

Le Conseil d’État n’a jamais reconnu un droit de l’administré à la mutabilité du service public → elle joue à sens unique.
Le juge administratif effectue un contrôle restreint : il se contente de sanctionner les erreurs manifestes d’appréciation.

C – Le principe d’égalité

Le principe d’égalité est un principe général en droit administratif.

Conseil d’État, 1951, Société des concerts du Conservatoire :
Le principe d’égalité des usagers du service public est un principe général du droit (PDG).


1) L’égalité de traitement entre les usagers

Conseil d’État, 2013, Association SOS Racisme :
Porte sur la question des tarifs d’accès au musée, où il y a des conditions de nationalité.
Considérant de principe : “Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir règlementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier”.
(Ce considérant de principe est invoqué depuis de nombreuses années par le Conseil d’État).

Il y a 3 hypothèses où l’on peut traiter différemment les usagers d’un service public :

  1. Lorsque la loi le prévoit : régulièrement, la loi intervient pour permettre des différences de traitement qui sont interdites au regard de la jurisprudence du Conseil d’État.

    Exemple : la loi du 29 juillet 1998 relative à l’exclusion visait à lever une incertitude de la jurisprudence du Conseil d’État concernant la possibilité de moduler les tarifs pour l’accès aux SPA facultatifs.
    Si une mairie met en place une école de musique, peut-on moduler les tarifs en fonction du revenu des parents ?
    Le législateur est intervenu pour dire que oui, on peut le faire.

    Exemple : une disposition du Code de la voirie routière autorise la modulation des tarifs des bacs selon qu’ils habitent ou non dans le département où se situe le bac.
    Cette disposition législative est venue contrecarrer une jurisprudence du Conseil d’État fondée sur le principe d’égalité :
    Conseil d’État, 1974, Denoyez et Chorques :
    Concerne la tarification du bac de l’île de Ré, avant qu’il n’y ait le pont.
    Le département qui gérait le bac avait décidé d’établir 3 tarifs : 1 pour les résidents de l’île de Ré < 1 pour les habitants du département < 1 pour tous les autres.
    Le Conseil d’État a validé le tarif pour les résidents de l’île mais a refusé celui pour les habitants du département au motif du principe d’égalité.

  1. La différence de situation entre usagers peut justifier une différence de traitement.

    Exemple :
    Arrêt de 2018 du Conseil d’État concernant la tarification des communications téléphoniques. Il apparaît que les communications téléphoniques coûtent plus cher pour les détenus que pour les autres usagers du téléphone fixe.
    Le Conseil d’État considère que cette différence de traitement est licite au regard de la situation spécifique des détenus.

    Précision :
    Cette faculté de traiter différemment les usagers ne dégénère pas en obligation : l’administration n’est pas obligée de traiter différemment les usagers qui sont dans des situations différentes.

  1. Un motif d’intérêt général peut justifier de traiter différemment les usagers d’un même service public.

    Exemple :
    Conseil d’État, 1997, Commune de Gennevilliers :
    Considère que le niveau de revenu des usagers peut être pris en compte pour appliquer des réductions tarifaires pour l’accès à un service administratif facultatif, à condition que le tarif le plus élevé ne dépasse pas le prix moyen du service.
    Autrement dit, il ne faut pas que l’usager qui paie le plus cher finisse par payer la prestation plus cher que ce qu’elle coûte réellement à la collectivité publique.
    → Décision fondée sur l’intérêt général.

    Exemple :
    Conseil d’État, 1999, Société Air France :
    Porte sur la modulation du montant des redevances d’atterrissage pour les avions cargo.
    Cette modulation était contestée par Air France parce que la tarification était plus favorable pour le fret que pour le transport de passagers.
    Le Conseil d’État considère qu’il y a un motif d’intérêt général qui peut justifier cette différence : celui qui s’attache au développement des aéroports parisiens comme plateformes de fret internationales.

    → On peut mettre beaucoup de choses dans le “motif d’intérêt général”.

Il ne faut pas que cette éventuelle différence de traitement soit disproportionnée.


2) Le principe de neutralité

Le principe de neutralité du service public est une déclinaison du principe d’égalité.
Il signifie que le service public (= ses agents, bâtiments, documents…) ne doit pas afficher une inclination ou un intérêt particulier pour certaines convictions politiques ou philosophiques de telle sorte qu’il serait en situation de privilégier un usager ou un groupe d’usagers au dépens d’autres.

Le principe de laïcité est l’expression la plus évidente du principe de neutralité, mais on peut penser à d’autres aspects :

Conseil d’État, 2014, Confédération nationale des associations familiales catholiques :
Une décision du ministre de l’Éducation nationale invitait les recteurs d’académie à relayer une campagne d’information relative à la lutte contre l’homophobie en milieu scolaire, reposant notamment sur un site internet et une ligne téléphonique “Ligne Azur”.
Le Conseil d’État a considéré que la décision du ministre portait atteinte au principe de neutralité du service de l’Éducation nationale, au regard de ce que présentait ce site internet :
“Le site internet vers lequel la campagne d’information renvoyait présentait l’usage de drogues comme susceptible de faire tomber les inhibitions et comme purement associé à des moments festifs sans mentionner l’illégalité de cette pratique, définissait la pédophilie comme une attirance sexuelle pour les enfants sans faire état du caractère pénalement répréhensible des atteintes ou agressions sur mineurs, et renvoyait à une brochure, intitulée Tomber la culotte, qui incitait à pratiquer l’insémination artificielle selon des modalités interdites par l’article 511-12 du Code pénal”.

Le principe de neutralité reste le plus souvent évoqué dans le cadre du principe de laïcité.

Conseil d’État (avis), 2000, Marteaux :
Le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents du service public disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses, quand bien même :
1- ils ne sont pas en contact avec les usagers ;
2- ils sont salariés d’une entité privée.

Chambre sociale de la Cour de cassation, 2013, Association Baby-Loup :
Les salariés d’une société privée ou d’une association qui prend en charge une mission de service public sont aussi soumis au respect du principe de laïcité.
En l’espèce : la directrice adjointe d’une crèche associative est revenue de vacances en portant le voile, alors que le règlement intérieur de l’association ne permettait pas de porter des signes religieux. Elle a été licenciée.
Enjeu : l’association doit-elle être considérée comme gérant une mission de service public ?
Oui. Le licenciement est régulier.

Autre question : peut-on imposer cette exigence de laïcité aux parents qui apportent une assistance ponctuelle au service public de l’éducation (par exemple en accompagnant des sorties) ?
Réponse : non.

Cette exigence de neutralité pèse sur les agents, mais elle n’est non plus sans conséquences sur les usagers ni sur la manière de traiter les usagers.
Illustrations :

Conseil d’État, 2020, Commune de Châlons-sur-Saône :
Le maire décide de supprimer le menu de substitution sans porc dans les cantines scolaires de la commune.
Réponse du Conseil d’État :

  1. Les collectivités territoriales ne sont pas tenus de proposer aux usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses.
    → Il n’y a pas de droit pour les usagers de revendiquer la possibilité de s’affranchir de la règle commune au nom de leurs convictions religieuses.
  1. En revanche, ni le principe de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers du service public ne font obstacle à ce que les collectivités territoriales proposent des repas de substitution.
  1. En l’espèce, lorsque le gestionnaire d’un service public prend des décisions concernant l’organisation du service public, il lui appartient de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public.
    → Le Conseil d’État adopte une position prudente et nuancée dans ce débat.
    Conséquence : il va falloir que le maire justifie sa décision de suppression.

Conseil d’État, 2022, Commune de Grenoble :
Aussi appelée “affaire du burkini”.
La ville de Grenoble apporte une modification au règlement intérieur de ses piscines pour autoriser le port, dans ses piscines municipales, du burkini, qui est un maillot de bain pour femmes qui permettrait de se baigner en conformité avec la pudeur islamique.
Le préfet a déféré devant le tribunal administratif cette décision.
Le Conseil d’État transpose ici le raisonnement qu’il a tenu dans sa décision Châlons-sur-Saône.

Il constate que le gestionnaire d’un service public doit veiller à la neutralité du service.
Il ajoute qu’il est loisible à un gestionnaire, pour satisfaire à l’intérêt général qui s’attache à ce que le plus grand nombre d’usagers puisse accéder au service, de tenir compte de certaines spécificités du public concerné. Le principe de laïcité et de neutralité ne font pas obstacle par eux-mêmes à ce que ces spécificités dont il est tenu compte correspondent à des convictions religieuses.
Il y a donc une possibilité d’aménagement.

En revanche, les usagers n’ont pas un droit à l’aménagement du service fondé sur leurs croyances religieuses.
Le Conseil d’État affirme que le gestionnaire d’un service public ne peut pas procéder à des adaptations du service qui :
> porteraient atteinte à l’ordre public ;
> nuiraient au fonctionnement du service.

Il précise que cet aménagement, par le caractère fortement dérogatoire aux règles de droit commun, ne doit pas rendre plus difficile le respect de ces règles par les autres usagers ni entraîner une rupture d’égalité caractérisée entre usagers.

D – D’autres lois du service public ?

1) Un principe de gratuité ?

Les SPIC sont financés par le prix acquitté par l’usager.
Les SPA sont financés par l’impôt, mais ces services sont aussi parfois financés par des redevances payées par les usagers.

Les services qui assurent des missions de souveraineté qui incombent à l’État sont gratuits ; par exemple, des services de sécurité, d’incendie et de sauvetage.

La gratuité peut aussi découler de dispositions constitutionnelles.
Exemple : alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946 :
“L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc est un devoir de l’État”.

Néanmoins, il faut nuancer cette affirmation au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel :
Conseil constitutionnel, 2019, n°2019-809 QPC :
Porte sur l’augmentation par la loi des droits d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers.
Précise que cette exigence de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur, mais elle ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte des capacités financières des étudiants.

La gratuité est donc une notion très relative. Il n’existe pas de principe de gratuité du service public.


2) Un principe de participation ?

Depuis les années 1970, les dispositions visant à permettre la participation des usagers aux choix qui sont pris concernant l’organisation et le fonctionnement des services publics se sont multipliés.

Ces dispositions extrêmement variées et plus ou moins abouties ne sont pas toujours présentes.
Il n’existe pas de norme constitutionnelle qui serve de fondement à ce principe de participation.
Il n’y a donc pas de règle générale qui impose la participation des usagers.

Chapitre 8 : Les contrats administratifs

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Section 1 : L’environnement du contrat administratif

§ 1. La place du contrat dans l’action publique

Le contrat occupe une place seconde en droit administratif parmi les actes juridiques de l’administration.
≠ en droit civil, les sources des obligations sont pour l’essentiel des contrats.

L’acte unilatéral est prédominant en droit administratif.
Cette prédominance est liée à la structure fortement hiérarchisée du modèle français de l’administration, qui est fortement autoritaire, car fondé sur la vision napoléonienne suivant laquelle l’administration agit sur la société à travers des actes unilatéraux.

Le droit administratif s’est construit très largement sur la base du recours pour excès de pouvoir (REP).
💡 Le REP est le procès fait à un acte unilatéral.

Puisque le progrès du droit administratif s’est donc fait à travers la perspective du recours contre un acte unilatéral, le droit administratif s’est construit autour de l’acte administratif unilatéral.


Les contrats administratifs occupent certes une place seconde, mais le contrat a toujours existé en droit public : le recours par l’administration au procédé contractuel est courant, pour gérer des biens ou des activités.

En effet, l’activité contractuelle a joué un rôle essentiel au 19ème siècle pour moderniser le pays dans le contexte de son industrialisation.
Le développement du chemin de fer, de l’électrification, de la distribution d’eau… se sont largement faits par le recours à la concession.

La concession est le contrat par lequel une collectivité publique confie le soin à une personne privée de construire des infrastructures et de gérer une activité sous le contrôle de cette collectivité publique et en se rémunérant auprès des usagers.

En 1945, l’essentiel de ces activités a été nationalisé, mais on remarque depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un phénomène de contractualisation du droit public.

Les années 1960 à 1980 sont marqués par une “économie contractuelle”, avec une multiplication des contrats entre l’État et les opérateurs économiques pour organiser une économie dirigée dans un contexte d’interventionnisme public important.

Après 1982, on entre dans une période d’administration territoriale, avec une montée en puissance des collectivités territoriales.
La montée en puissance des collectivités territoriales renforce la contractualisation, parce que les relations avec ces collectivités publiques sont souvent passées par des contrats.
Exemple : contrats État-région.

Aujourd’hui, nous sommes dans une période de “tout contractuel” : le contrat s’insinue dans tous les domaines de l’activité administrative.
Comment expliquer cette évolution ?

  1. On s’est rendu compte que les modèles autoritaires de l’action publique ne sont plus aussi efficaces qu’auparavant.
    L’efficacité de l’action publique suppose aujourd’hui d’associer les acteurs à la décision, par exemple via un contrat.
  1. Le discours néolibéral, qui disqualifie le modèle classique de l’administration et valorise le contrat, est monté en puissance à partir des années 1970.

On voit se développer les contrats même dans les relations entre l’administration et ses agents, par exemple avec les contrats administratifs de travail.
💡 Les fonctionnaires n’ont pas de contrat de travail, mais un statut légal.

§ 2. Contrat, faux contrat et acte unilatéral

Il faut noter que parfois, sous le terme de “contrat”, il y a en réalité un acte unilatéral.

Parfois, il y a des “contrats” qui n’ont pas de valeur juridique (ils ne créent pas d’obligations dont on peut réclamer l’exécution en justice).
Exemple : les “contrats d’objectifs et de moyens”.

En matière d’action sociale, il est aujourd’hui assez courant de subordonner la délivrance d’une prestation à un engagement des bénéficiaires de ladite prestation. Cet engagement prend souvent la forme de la signature d’un contrat.
Par exemple, le bénéficiaire du RSA doit signer un contrat par lequel il s’engage à participer à des activités d’insertion professionnelle, mais ce contrat n’a pas de valeur juridique.

Autre exemple : on peut demander à ce que, dans une université, les étudiants signent chaque année le règlement intérieur, mais il s’impose même à ceux qui ne l’ont pas signé.


À côté des vrais contrats, il existe aussi des actes unilatéraux négociés (notamment ceux négociés avec les organisations syndicales).
La jurisprudence n’est pas univoque face à ce processus et la manière d’appréhender ces accords est variable :

  1. Les protocoles d’accord ressemblent à des contrats mais n’ont, en eux-mêmes, aucune valeur juridique ;
  1. On peut recourir à la technique de l’incorporation : les clauses de l’accord en question s’incorporent dans l’acte unilatéral qui intervient ensuite.
    Il n’y a alors qu’1 seul acte : l’acte unilatéral.
  1. On peut recourir à la technique de la requalification : un acte qui a les atouts d’un contrat est requalifié en acte unilatéral.
    Par exemple, les prix des médicaments sont fixés par convention entre la Sécurité sociale et les laboratoires pharmaceutiques, mais le Conseil d’État a jugé que ces conventions sont en réalité des actes unilatéraux règlementaires.

On constate qu’il existe des contrats qui ont un effet règlementaire.

Par exemple, par le contrat de concession, une collectivité publique confie le soin à une société de prendre en charge une activité de service public.
Dans un tel contrat, il y a des clauses qui déterminent les conditions d’exploitation du service ; elles n’intéressent pas que l’opérateur, mais aussi l’usager.
Ces clauses considérées comme étant de nature règlementaire, parce qu’elles déterminent les conditions d’exercice du service public.
→ Ces clauses règlementaires peuvent faire l’objet d’un REP.

De même, si on est locataire dans un immeuble, on est tenu de respecter le règlement de copropriété, même si on ne l’a jamais lu ou si on n’y a pas accès.

La notion de contrat public repose d’abord sur la considération organique des parties au contrat.

§ 3. Contrat administratif, contrat public, contrat de la commande publique

La notion de contrat public repose d’abord sur la considération organique des parties au contrat.
Autrement dit, les contrats publics sont les contrats auxquels des personnes publiques sont partie.
Dès lors qu’une des parties au contrat est une personne publique → c’est un contrat public.

Les contrats publics intègrent à la fois les contrats administratifs (= les contrats des personnes publiques qui sont soumis à un droit exorbitant) et les contrats de droit privé passés par des personnes publiques.
→ Critère organique.

Ces 2 types de contrats publics sont soumis à des règles de passation détaillées : règles de publicité, de mise en concurrence…

Le régime de prescription des obligations est aussi spécifique.
En droit public, les dettes des personnes publiques sont soumises à un régime de prescription quadriennale (= 4 ans).
Autrement dit, que la dette d’une personne publique ait pour origine un contrat administratif ou un contrat privé, la dette se prescrira au bout de 4 ans.

Les contrats de la commande publique sont régis par le Code de la commande publique, entré en vigueur en 2019.
Quelle est l’articulation entre ces 2 notions (contrat de la commande publique ≠ contrat administratif) ?

  1. Tous les contrats de la commande publique ne sont pas des contrats administratifs.

    Le droit de l’Union européenne, en créant un grand marché unique, a développé toute une législation pour fixer un cadre commun concernant les contrats, avec notamment des règles de publicité et de mise en concurrence.
    Or le droit de l’UE ne s’est pas uniquement saisi des contrats des personnes publiques, mais aussi d’autres contrats, notamment ceux passés par une personne privée poursuivant une mission d’intérêt général et contrôlés ou financés par une personne publique + ceux passés par des personnes privées créées par des personnes publiques pour réaliser certaines activités en commun.
    → Approche réaliste de l’Union européenne.

    Ainsi, la notion de contrats de la commande publique inclut certains contrats passés par des personnes privées, qui sont en principe soumis au droit privé, et qui ne sont donc pas des contrats administratifs.

  1. Tous les contrats administratifs ne sont pas des contrats de la commande publique.

    Le Code de la commande publique s’intéresse uniquement aux contrats qui ont une fonction économique (→ les contrats pour lesquels il y aura une compétition entre les actes économiques).

    Mais il y a des contrats administratifs qui ont une faible dimension économique et qui ne sont donc pas soumis aux dispositions du Code de la commande publique ; par exemple :

    1. Les contrats d’engagement personnel (= les contrats administratifs de travail) ont une dimension économique secondaire et ne sont pas donc des contrats de la commande publique.
    1. Les conventions d’occupation du domaine public peuvent avoir une dimension économique, mais elle est très souvent secondaire → ce ne sont pas des contrats de la commande publique.

§ 4. Les sources du droit des contrats administratifs

D’où viennent les règles qui s’appliquent aux contrats administratifs ?

Le droit des contrats administratifs est historiquement et fondamentalement jurisprudentiel.

Depuis 15 ans, le Conseil d’État a complètement redéfini le contentieux des contrats administratifs.

Le Conseil constitutionnel a posé des principes fondamentaux de la commande publique, et notamment :
> la liberté d’accès à la commande publique ;
> l’égalité de traitement entre les candidats.

Les textes se sont cependant multipliés et ont conduit à un cantonnement relatif de la jurisprudence.

Il y a aussi une source externe du droit des contrats administratifs : le droit de l’Union européenne, qui a joué et joue encore un rôle essentiel dans la définition du régime des contrats administratifs.

Ce rôle essentiel s’est manifesté à travers une succession de directives de l’UE, dont l’objectif était bien d’assurer une ouverture à la concurrence des contrats de l’administration.
Il influence essentiellement les règles relatives à la passation et la conclusion des contrats, avec des obligations d’information et de mise en concurrence des opérateurs économiques (→ s’intéresse plus à l’avant du contrat qu’à son exécution).

Les sources internes sont la législation + la réglementation.
L’article 34 de la Constitution dispose que le législateur est compétent pour définir les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales.
L’autorité compétente pour définir le régime des contrats administratifs de l’État est donc le pouvoir règlementaire.
En revanche, pour les contrats passés par les collectivités territoriales, c’est le législateur qui est compétent, sur la base de l’article 72 de la Constitution.

On constate que les textes législatifs et règlementaires se sont multipliés dans le champ de contrats, notamment en raison de la transposition en droit français du droit de l’UE.

De manière résiduelle, on applique des règles du droit privé pour les contrats administratifs.
Par exemple, les règles du Code civil relatives au consentement sont appliquées par le juge administratifs aux contrats administratifs.
Par exemple, le juge administratif a décidé il y a quelques années d’appliquer le droit de la consommation (→ droit des clauses abusives) aux contrats administratifs.

Section 2 : L’identification du contrat administratif

§ 1. L’administrativité du contrat

Qu’est-ce qu’un contrat administratif ?

Cette question a longtemps été réglée sur la base de critères jurisprudentiels, mais on constate que les interventions du législateur se sont multipliées et ont conduit à qualifier des catégories de contrats comme étant directement ou indirectement des contrats administratifs.

La question de savoir si un contrat est administratif ou non doit être déterminée au jour de la conclusion du contrat.

Cela n’est pas évident, parce qu’en général le juge se pose cette question lorsqu’il y a un conflit qui émerge au stade de l’exécution du contrat.
Exemple de difficulté : le statut de l’une des parties au contrat a pu évoluer.

A – Les contrats administratifs par détermination de la loi

Le législateur a, pour l’essentiel, “codifié” des solutions déjà acquises en se contentant de confirmer des qualifications déjà établies par la jurisprudence.
Il est souvent intervenu pour favoriser la qualification de contrat administratif.

Cette qualification peut être directe ou indirecte :

  • qualification directe : le législateur dit “tel contrat est un contrat administratif” ;
  • qualification indirecte : le législateur dit “lorsqu’il y a un litige avec tel contrat, c’est le juge administratif qui est compétent” → le régime des contrats administratifs s’applique.

1) Qualification directe

  1. Les marchés publics sont des contrats administratifs par détermination de la loi lorsqu’ils sont conclus par des personnes publiques.
    (article L6 du Code de la commande publique)

    La loi a ici apporté une évolution : les marchés publics étaient auparavant soumis à des critères jurisprudentiels selon lesquels il y avait certains marchés publics de droit privé.
    Le législateur est intervenu par une loi de 2001, qui disposait que tous les marchés publics sont des contrats administratifs.
    Le Code de la commande publique est depuis revenu sur cette solution, en ne faisant des marchés publics des contrats administratifs que s’ils sont passés par des personnes publiques.

  1. Les contrats de concession sont des contrats administratifs par détermination de la loi.
    (article L6 du Code de la commande publique)
  1. Les contrats de partenariat ;
  1. Les contrats d’achat d’électricité passés entre EDF et les producteurs d’électricité, qui sont des personnes privées.

2) Qualification indirecte

  1. Les contrats de vente d’immeubles de l’État ;
  1. Les contrats portant occupation du domaine public ;
  1. Les baux emphytéotiques administratifs, passés par des personnes publiques.

B – Les critères jurisprudentiels d’administrativité

Ces critères ne jouent plus un grand rôle aujourd’hui, mais ce sont les critères classiques applicables en droit français.

1) Contrat entre personnes publiques

Tribunal des conflits, 1983, UAP :
Il y a une présomption d’administrativité des contrats entre personnes publiques.
C’est une présomption réfragable : un tel contrat est présumé administratif sauf si, eu égard à son objet, il ne fait naître pour les parties que des obligations de droit privé.

Exemple :
Tribunal des conflits, 1999, Commune de Bourisp :
Les contrats portant vente ou disposition de biens du domaine privé sont des contrats de droit privé, même lorsqu’ils sont conclus entre 2 personnes publiques.

2) Contrats entre une personne publique et une personne privée

a) Les critères de qualification

On distingue 3 critères :

Critère n°1 : le critère de l’objet, qui peut être double :
> le service public ; ou
> les travaux publics.
Un contrat administratif a à voir avec le service public ou avec les travaux publics.

Autrement dit, un contrat entre une personne publique et une personne privée est un contrat administratif quand il entretient une certaine proximité avec une mission de service public.
Cette proximité est avérée dans 4 situations :

  1. Le contrat a pour objet l’exécution même du service public : le cocontractant se voit confier le soin d’assurer la mission de service public.
    Arrêt de référence : Conseil d’État, 1956, Époux Bertin :
    Jusque-là, un contrat ne pouvait être qualifié d’administratif que si : participation d’une personne publique au contrat + contient des clauses exorbitantes du droit commun.
    Cet arrêt met fin à cette situation et fait du service public l’un des critères du contrat administratif au même titre que celui de la gestion publique.
    Dorénavant, un contrat est administratif s’il est conclu par une personne publique (critère organique) + s’il est en lien avec le service public ou contient des clauses exorbitantes du droit commun (critères matériels alternatifs).
  1. Le contrat a pour effet de faire participer directement le cocontractant à l’exécution du service public.

    Exemple : l’université, qui est un établissement public, compte des agents contractuels, qui participent directement à l’exécution du service public de l’université.

    Tribunal des conflits, 2018, Association pour le Musée des Îles Saint-Pierre et Miquelon :
    Un musée est créé par une association, qui décide de transférer sa gestion à une collectivité territoriale.
    La convention prévoyait que l’association pourrait contribuer à enrichir les collections, à organiser des visites…
    Le Tribunal des conflits a considéré que l’association participait bien à l’élaboration du service public dont la collectivité a la responsabilité → c’est un contrat administratifs.

  1. Le contrat constitue une modalité de l’exécution du service public.
    Cela résulte notamment de l’arrêt : Conseil d’État, 1956, Consorts Grimouard :
    Un contrat est regardé comme administratif s’il constitue, en lui-même, une modalité d’exécution du service public.
    Ici, ce n’est plus le cocontractant qui exécute le service public, mais l’administration elle-même qui, en passant le contrat, assure cette exécution.

    Exemple : le Tribunal des conflits a considéré qu’un contrat passé entre une université et une société privée en vue d’assurer la formation d’un des salariés de cette société privée est un contrat administratif, parce qu’il a pour objet l’exécution même du service public de formation continue assuré par l’université.

  1. Le contrat a pour objet d’assurer la coordination des missions de service public prises en charge par les cocontractants.

    Arrêt de référence : Conseil d’État, 2013, Société Keolis (portait sur une convention tripartite régissant les relations entre deux délégataires de service public).

Critère n°2 : le critère de la clause exorbitante :
Conseil d’État, 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges :
Un contrat comportant une clause exorbitante du droit commun est administratif → le juge administratif est compétent.

On distingue :

  1. La clause impossible : on ne peut pas la retrouver en droit privé.
    Par exemple, une clause qui donnerait la possibilité à l’une des parties de récupérer sa créance par voie de titre exécutoire sans passer par le juge ne peut pas être dans un contrat de droit privé ;
  1. La clause inhabituelle ;
    Par exemple, un contrat qui prévoit un pouvoir de contrôle important de l’une des parties sur l’autre et l’obligation de l’une des parties de fournir à l’autre un bilan comptable de ses activités.
  1. La clause illicite : si elle était dans un contrat de droit privé, elle serait illicite (elle pourrait par exemple tomber sous le coup des clauses abusives).

Tribunal des conflits, 2014, Société AXA France IARD :
Volonté de simplifier la clause exorbitante.
Désormais, le Tribunal des conflits définit la clause exorbitante comme la “clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs”.

On comprend ici 2 choses :
1- il n’est plus nécessaire de comparer avec le droit commun ;
2- la clause exorbitante est celle qui attribue une prérogative de puissance publique à la personne publique ou qui fait subir au contractant une sujétion de service public en vue de permettre la réalisation de la finalité de l’intérêt général poursuivi par le contrat.

Précision :
Tribunal des conflits, 2020, Société Eveha :
Il faut que la prérogative de puissance publique bénéficie à la personne publique.
Ici, la société résilie le contrat unilatéralement → le contrat est-il administratif, compte tenu de l’existence de la clause de rupture unilatérale du contrat ?
La clause bénéficie ici à la personne privée, donc ce n’est pas un contrat administratif.

Exemples de clauses exorbitantes :
> la clause permettant l’émission d’un titre exécutoire pour le recouvrement d’une créance ;
> la clause conférant un pouvoir de contrôle important de la personne publique sur l’activité de son cocontractant privé ;
> une clause de résiliation unilatérale est aujourd’hui considérée comme exorbitante.

Conseil d’État, 2022, ONF :
Illustre bien la rupture du raisonnement entre l’ère Société des granits porphyroïdes des Vosges et Axa France.
Cette rupture résulte de la fin de la comparaison + du fait que le simple fait qu’il n’y a pas de clauses qui confèrent des prérogatives de puissance publique ne signifie pas qu’il n’y a pas une clause exorbitante.
Si un contrat comporte des clauses qui accordent des prérogatives de puissance publique, mais qu’on ne considère pas que ce sont des clauses exorbitantes, alors le contrat n’est pas un contrat administratif.

En l’espèce, l’ONF – un établissement public – a passé un contrat avec une personne autorisée à exploiter une parcelle pendant 5 ans.
Est-ce que c’est un contrat administratif ?

La cour administrative d’appel avait considéré que c’est un contrat administratif parce qu’il y a des clauses exorbitantes (par exemple, l’ONF pouvait résilier le contrat sans indemnité ni préavis).
Le Conseil d’État affirme qu’aucune de ces clauses ne justifie toutefois que, dans l’intérêt général, cette convention relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
→ Jurisprudence subtile et incertaine.

Critère n°3 : le critère du régime exorbitant :

Conseil d’État, 1973, Société d’exploitation électrique de la rivière du Sant :
Contexte : contrat d’achat entre EDF et des producteurs indépendants.
La loi, à l’époque, imposait des obligations aux parties au contrat (obligations de contracter, mesures de conciliation auprès de certain ministres…).
→ Le contrat est soumis à un régime exorbitant, donc c’est un contrat administratif.

Tribunal des conflits, 2011, Groupement forestier de Beaume Haie c/ ONF :
Par un contrat, les parties se placent sous un régime administratif d’exploitation de la forêt fixé par la loi.
→ Ce régime administratif contraignant justifie la qualification de contrat administratif.

b) Les blocs de compétence

Il est apparu que l’apparition de ces critères jurisprudentiels pouvait parfois conduire à des résultats regrettables ; pour les limiter, on a établi des blocs de compétences.

Tribunal des conflits, 1963, Mazerand :
Cette décision montre les conséquences d’une application bête et méchante des critères jurisprudentiels de qualification des contrats.
Mme Mazerand est employée dans une crèche municipale, d’abord comme femme de ménage avant de participer à la prise en charge des enfants.
Plus tard, elle considère qu’elle n’a pas été payée au salaire correct et saisit la justice.

Le Tribunal des conflits constate dans un 1er temps que, lorsque Mme. Mazerand était femme de ménage, elle ne participait pas directement à l’activité de service public de la crèche ; c’était donc un contrat de droit privé.
Mais elle y a ensuite participé ; c’était ensuite un contrat administratif.
Elle doit donc aller devant les prud’hommes pour une partie du salaire + devant la juridiction administrative pour le reste.

Ce genre d’affaires a conduit le Tribunal des conflits à simplifier les choses en créant un bloc de compétences :

Tribunal des conflits, 1996, Berkani :
Les personnels contractuels qui travaillent pour les personnes publiques gérant un service public administratif (SPA) sont des agents de droit public.
→ Aujourd’hui, Mme. Mazerand serait un agent public.

Le contentieux des contrats entre les SPIC gérés par les services publics et leurs usagers sont des contrats de droit privés → compétence du juge judiciaire.

3) Contrats entre personnes privées

Il existe 3 dérogations où un contrat entre 2 personnes privées est considéré comme administratif :

  1. La personne privée transparente :

    CE, 2017, Commune de Boulogne-Billancourt :
    Lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être considérée comme transparente, donc les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs.
    💡 Ce genre de requalifications est assez rare ; il est souvent lié à des associations.

  1. Lorsqu’un contrat passé entre 2 personnes privées est l’accessoire d’un contrat administratif.
    Exemple type : les conventions à objet financier qui accompagnent la conclusion d’un contrat administratif (ex : un contrat de cautionnement).
  1. L’hypothèse du mandat : lorsque l’1 des 2 personnes agit pour le compte d’une personne publique.
    Par exemple, on parle de “mandat administratif” dans les hypothèses où une personne privée est réputée agir pour le compte d’une personne publique alors qu’on est même en dehors des dispositions du Code civil.

    Conseil d’État, 1975, Société d’équipement de la région montpelliéraine :
    Le Conseil d’État a considéré que la société d’aménagement devait être considérée comme agissant pour le compte de la collectivité publique, et qu’en conséquence le contrat devait être considéré comme un contrat administratif.

    Conseil d’État, 2009, Société ADP :
    Les contrats par lesquels les sociétés exploitant des aéroports confient à des sociétés privées la mission d’inspection et de filtrage des passagers et/ou de leurs bagages sont des contrats administratifs, car c’est l’État qui dispose de la police.

    L’idée de mandat a été mobilisée à toutes les sauces pour différents types de contrats, sans que cela ne soit très clair.
    Une évolution de jurisprudence récente a cependant réduit son champ :

    Tribunal des conflits, 1963, Société Entreprise Peyrot :
    Les contrats conclus pour la réalisation de routes nationales sont des contrats administratifs, parce que la construction de routes nationales incombe par nature à l’État.

    Tribunal des conflits, 2015, Rispal contre ASF :
    A mis fin à la jurisprudence Peyrot en jugeant qu’une société concessionnaire d’autoroutes qui conclut un contrat avec une autre société ayant pour objet la construction et l’entretien d’une autoroute ne peut pas être regardée comme ayant agi pour le compte de l’État.
    Cela reste très compliqué → voir le commentaire de cette décision au GAJA.

§ 2. Typologie des contrats administratifs

Pour la distinction entre marchés publics et concessions, on tient compte de 2 critères cumulatifs :

  1. L’objet du contrat :
    > marché public : l’objet du contrat est l’achat d’une prestation ;
    > concession de service public ou de travaux publics : l’objet du contrat est la gestion d’un service public et/ou d’un ouvrage public.
  1. L’économie financière du contrat :
    > marché public : le paiement d’un prix par la personne publique (elle achète) ;
    > concession : financée par les redevances payées par les usagers → le risque financier lié au contrat pèse non sur l’administration, mais sur son cocontractant.

Marchés publics et concessions sont donc les 2 types de contrats de la commande publique, mais ⚠️ ce ne sont pas toujours des contrats administratifs.

A – Les marchés publics

Les marchés publics sont ceux qui se rapprochent le plus des contrats civils.
L’article L1111-1 du Code de la commande publique les définit :
”Un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent.”

On est ici dans une logique d’achats : construction d’un immeuble, paiement d’honoraires d’avocats…
Parmi les marchés publics, on distingue plusieurs types de marchés :
> marchés de travaux ;
> marchés de fourniture ;
> marchés de services.

Les marchés de partenariat (aussi appelés partenariats public-privé) sont des contrats bien plus complexes et relativement récents.
Ils ont pour objet la conception, le financement, la construction, l’entretien et l’exploitation d’équipements immobiliers.
L’opérateur se rémunère par des loyers acquittés par les personnes publiques qui utilisent l’équipement.

Au départ, cette forme juridique a été assez limitée dans son application (la loi ne l’autorisait que pour la construction de prisons, puis elle a été étendue aux hôpitaux, puis à tout bâtiment public).

Un réel débat existe aujourd’hui : est-ce un bon calcul ? Ces contrats sont-ils soutenables sur la durée ?
Ils séduisent les personnes publiques, parce qu’ils permettent de construire des bâtiments très rapidement sans que ça n’impacte les finances publiques sur le moment, mais ils les impactent beaucoup sur la durée.

La qualification de ces marchés a longtemps été débattue, mais ils sont aujourd’hui considérés comme des marchés publics.

B – Les concessions

L’article L1121-1 du Code de la commande publique définit les concessions :
”Un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix.”

→ Ici, le risque financier du contrat pèse sur le concessionnaire.

Exemple : Conseil d’État, 2021, Ville de Paris :
La ville de Paris lance une procédure ayant pour objet l’enlèvement des véhicules abandonnés dans les fourrières, en fixant le volume et la fréquence des enlèvements.
Il est prévu dans ce contrat qu’en contrepartie, le concessionnaire peut bénéficier des pièces détachées des véhicules enlevés.
Est-ce une concession ou un marché public ?
L’enjeu est important en matière de règles de passation.
C’est une concession, parce que le risque financier pèse sur l’entreprise qui enlève les véhicules.

Exemple : Cass. com., 2022, Société Bernard dépannage :
Un concessionnaire d’autoroute publie un appel d’offres pour l’attribution des opérations de dépannage sur la portion d’autoroute qu’elle exploite.
Ce contrat confie un monopole au dépanneur, mais ne prévoit pas de versement d’une somme par le concessionnaire d’autoroute, ni la compensation des pertes éventuelles du dépanneur.
En gros, le dépanneur se finance uniquement par les usagers.

La chambre commerciale a considéré que la mission n’était pas dénuée d’aléa, donc c’est une concession.
Le critère retenu est ici celui du risque financier.
💡 Ici, ce n’est pas un contrat administratif, mais la question se pose quand même !

Il existe 3 types de concessions :
> concessions de travaux ;
> concessions de services publics ;
> concessions d’aménagement (ex : une commune qui souhaite mettre en place une ZAE).

C – Les conventions d’occupation du domaine public

Une convention d’occupation du domaine public est un contrat par lequel l’administration autorise des personnes privées à utiliser et à occuper une partie de son domaine public de manière privative pour un intérêt très souvent économique.

Certains contrats de concession conduisent à ce que les opérateurs occupent aussi le domaine public.
→ La qualification du contrat entre concession et convention d’occupation du domaine public n’est pas toujours évidente.

Jusqu’à récemment, les conventions d’occupation du domaine public n’étaient pas soumises à des règles spécifiques concernant la passation, la publicité et la mise en concurrence, donc l’administration était plus encline à qualifier comme telles les conventions qu’elle passait.

D – Les contrats de recrutement d’agent public

Ce contrat est important aujourd’hui : entre 15 et 20% du personnel de l’administration est recruté par la conclusion de ces contrats.

Section 3 : Le régime juridique du contrat administratif

Introduction : L’exorbitance du contrat administratif

Les contrats administratifs sont en partie soumis à un régime exorbitant du droit commun, au vu de l’autorité de l’administration.
C’est une exorbitance :
> qui peut fonctionner en + (→ attribution à la personne publique de prérogatives ou de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qu’un cocontractant privé aura) ;
> mais qui peut aussi fonctionner en – (→ obligations particulières qui pèsent sur la personne publique, que ne connaissent pas les cocontractants privés ; ex : règles de publicité et de mise en concurrence).

Cette exorbitance est à mettre en lien avec 2 grandes règles du Code civil :
> l’article 1102 → liberté contractuelle ;
> l’article 1103 → effet relatif du contrat.

Ces 2 principes s’appliquent aux contrats administratifs, mais ils sont nuancés.

Par exemple, l’article 1102 du Code civil pose le principe de la liberté contractuelle :
”Chacun est libre ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les formes fixées par la loi”.

Or, dans un certain nombre d’hypothèses, l’administration n’a pas le choix :

  1. Il y a des domaines dans lesquels l’administration ne peut pas contracter (exemple : la police administrative) ;
  1. L’administration subit des contraintes en matière de liberté de choix du cocontractant, avec les règles de passation des contrats ;
  1. L’administration subit aussi des contraintes en matière de liberté de déterminer le contenu et la forme du contrat (exemple : tous les contrats de la commande publique doivent être conclus pour une durée déterminée).

Dans le Code civil, les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués qu’avec le consentement des 2 parties ; mais le droit des contrats administratifs confie à l’administration des prérogatives qui vont lui permettre, dans une certaine mesure, de modifier les clauses du contrat ou de mettre fin unilatéralement à l’exécution du contrat.

⚠️
Quand on parle de contrats administratifs, on insiste sur l’exorbitance, mais il faut faire attention à ne pas avoir une image faussée des relations contractuelles : il n’y a pas réellement de “partie faible”, parce que ce sont généralement de grandes entreprises et parce que ces prérogatives ont pour contrepartie une compensation.

§ 1. Formation du contrat administratif

Il sera ici question de conditions de validité du contrat, qui ont pour objectif de préserver la concurrence et les deniers publics.

A – La passation des contrats administratifs

La plupart des contrats administratifs sont traditionnellement soumis à des règles de passation.
Historiquement, la justification première est d’éviter la corruption (par exemple, un maire qui désigne l’entreprise de son beau-frère pour faire des travaux) et de permettre la concurrence.

3 exigences sont rappelées par l’article L3 du Code de la commande publique :
1- principe d’égalité d’accès à la commande publique ;
2- principe d’égalité de traitement des candidats ;
3- principe de transparence des procédures.

Historiquement, c’est le critère du prix qui domine la passation des contrats administratifs : celui qui est retenu pour un contrat, c’est celui qui propose l’offre la mieux disante.
Mais on voit, depuis 20 ans, une montée en puissance d’autres critères que les personnes publiques sont censées prendre en compte.

Les marchés publics connaissent les contraintes les plus importantes.
Les petits marchés (inférieurs à 40 000 €) connaissent une liberté assez importante, mais dès lors qu’ils sont supérieurs à 40 000 €, les marchés publics suivent une procédure assez lourde, avec une large publicité + la réunion d’une commission des appels d’offres, composée d’élus de bords politiques différents.
Le critère principal est le prix : on retient l’offre la plus avantageuse économiquement.

Ce processus est contraignant, parce qu’en principe il n’y a pas de négociations.

Pour les concessions, on considère qu’il faut que l’intuitu personae joue un rôle important ; autrement dit, l’administration doit avoir un rôle important dans le choix de son cocontractant.
Il reste des règles de publicité + la négociation est autorisée, mais encadrée.

Pour les conventions d’occupation du domaine public, il n’y avait jusqu’à récemment pas de règles.
Cependant, certaines de ces conventions d’occupation du domaine public ont une valeur économique importante, qui incite à mettre les opérateurs privés en concurrence.
Une ordonnance de 2017 a ajouté au Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP ou CG3P) son article L222-1, qui dispose que :
”L’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.”

B – La conclusion du contrat

1) Règles relatives aux parties

Il résulte du principe de spécialité des personnes publiques que ces personnes ne peuvent agir – et donc contracter – que dans les limites de leurs compétences.

Les 3 vices du consentement sont le dol, l’erreur et la violence.
L’édiction du consentement de ces personnes morales est un processus technique qui fait intervenir plusieurs personnes, ce qui garanti une forme d’intégrité du consentement de la personne publique.

Exemple type de vice du consentement pour une personne publique :
Conseil d’État, 2020, Société Lacroix Signalisation :
Dans cette “affaire du cartel de la signalisation routière”, il est apparu que les grandes sociétés de la signalisation routière ont organisé une entente entre elles dans les années 1990 et 2000.
L’Autorité de la concurrence a condamné ces entreprises pour entente.
→ C’est un exemple de dol.

2) Règles relatives au contrat

Ces règles s’inscrivent dans 3 domaines :

  1. La durée du contrat ;
    Ces règles précisent que les contrats de la commande publique sont des contrats à durée déterminée.
    Un plafond de 20 ans est fixé par la loi.
  1. La forme du contrat ;
    La forme écrite est imposée : les contrats administratifs sont des contrats écrits.
  1. Le contenu du contrat.
    Il y a des objets illicites + il existe des clauses interdites, qui sont différentes des clauses abusives en droit civil.

    Exemple : Conseil d’État, 2012, CCI de Montpellier :
    Le Conseil d’État rappelle qu’un contrat administratif ne peut pas légalement prévoir une indemnité de résiliation ou de non renouvellement manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant de l’administration du fait de la rupture du contrat (→ objectif : protéger les deniers publics).

    Exemple de clause prohibée :
    Pour les concessions de service public, le Code de la commande publique interdit les clauses par lesquelles le concessionnaire serait tenu de prendre en charge des travaux étrangers à l’objet de la concession.

Les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) sont des documents qui recensent toute une série de clauses concernant la formation et l’exécution d’un contrat dans un domaine.
Ils sont très courants ; ils ne sont pas obligatoires pour les parties, mais elles s’y réfèrent quasiment systématiquement.

§ 2. Exécution du contrat administratif

Le contrat administratif, comme tous les contrats, est soumis à un principe de force obligatoire des contrats.

A – Les prérogatives de l’administration

Remarque : Conseil d’État, 1985, Association Eurolat :
Toutes ces prérogatives sont justifiées par le souci d’adapter le contrat aux exigences de l’intérêt général.
C’est pour ça qu’il n’est pas possible à l’administration de renoncer à l’exercice de ses prérogatives par contrat (elle peut aménager leur exercice, mais elle ne peut pas y renoncer).

La plupart de ces prérogatives existent même en l’absence de stipulation contractuelle : elles résultent des principes généraux applicables aux contrats administratifs.
Mais en pratique, les contrats contiennent quasi systématiquement des clauses relatives à ces prérogatives.

1) Le pouvoir de contrôle et de direction

De manière générale, l’administration a toujours la possibilité de contrôler la manière dont son cocontractant assure l’exécution du contrat et respecte les clauses dudit contrat.

Au sein du Code général des collectivités territoriales, il y a une disposition relative aux concessions qui impose aux concessionnaires de fournir chaque année un rapport d’activité.
Ça n’est qu’une traduction par la loi du pouvoir plus général de contrôle de l’administration.

Ce pouvoir de contrôle et de direction se prolonge par la possibilité pour l’administration de prononcer des sanctions à l’égard de son cocontractant indélicat.
La plupart de ces sanctions peuvent être décidées par l’administration sans recourir à un juge et sans qu’elles aient été prévues par le contrat.

  1. Les sanctions de nature pécuniaire sont les plus fréquentes : ce sont des pénalités en cas de retard, de manquement dans l’exécution d’un contrat…

    Le juge administratif s’est octroyé le pouvoir de contrôler le montant de ces pénalités.

  1. Les sanctions coercitives permettent à l’administration de se substituer à son cocontractant dans l’hypothèse où celui-ci manque à ses obligations.
    Cette substitution à son cocontractant se fait à ses frais et risques ; par exemple, l’administration peut faire réaliser des prestations qui n’ont pas été réalisées à la charge du cocontractant qui devait les réaliser.
    (on parle de “mise en régie” pour un marché public et de “mise sous séquestre” pour une concession)
  1. Les sanctions résolutoires désignent la résolution unilatérale par l’administration en cas d’inexécution.
    Ce n’est plus réellement exorbitant aujourd’hui : le Code civil autorise dans certaines circonstances de mettre fin unilatéralement au contrat en cas d’inexécution suffisamment grave, après mise en demeure (article 1226).

    Cependant, pour les concessions, la résolution (aussi appelée « la déchéance du concessionnaire ») ne peut intervenir qu’après l’intervention d’un juge, parce qu’elles imposent d’importants investissements de la part du concessionnaire.

Voir notamment : Conseil d’État, 1983, SARL COMEXP :
L’administration peut résilier un marché public pour faute même en l’absence de clause contractuelle spécifique.

2) Le pouvoir de modification unilatérale

Pendant longtemps, il y a eu un doute sur le fondement de ce pouvoir de modification unilatérale : est-ce qu’il a un fondement contractuel, ou est-ce qu’il existe même sans clause ?

Conseil d’État, 1910, Compagnie générale française des tramways :
Pas très explicite. Un préfet confère de nouvelles obligations au concessionnaire d’un tramway, sans plus de précisions.

Conseil d’État, 1983, Union des transports publics urbains et régionaux :
Précise que ce pouvoir existe même sans clause.
Cela est aujourd’hui expressément mentionné par l’article L6 du Code de la commande publique.

Ce pouvoir ne peut être mis en œuvre que s’il y a un motif d’intérêt général.

Ce pouvoir de modification est aussi limité : il ne peut pas toucher au cœur même du contrat :
> en principe, il ne peut pas affecter l’objet même du contrat ;
> en principe, il ne peut pas affecter les clauses financières du contrat.

Ce pouvoir n’est pas gratuit : l’administration doit intégralement compenser le surcoût lié à cette modification pour son cocontractant.
L’administration doit aussi réparer l’entier préjudice (perte subie + gain manqué) subi par son cocontractant.
(on parle alors de “responsabilité contractuelle sans faute”)

3) Le pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général

⚠️ Il ne faut pas le confondre avec le pouvoir de résiliation unilatérale pour inexécution.

Arrêt de référence :
Conseil d’État, 1958, Distillerie de Magnac-Laval :
Évoque expressément le pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, que le Conseil d’État rattache aux règles générales applicables aux contrats administratifs.

Ce pouvoir vaut pour tous les contrats administratifs.
(💡 alors que pour la résolution pour inexécution d’une concession, il faut passer par le juge)

Pendant très longtemps, cette décision ne pouvait pas être contestée par le cocontractant, qui ne pouvait que demander éventuellement des dommages-intérêts.

Conseil d’État, 2011, Commune de Béziers (”Béziers 2”) :
Le Conseil d’État reconnaît la possibilité de demander devant le juge de plein contentieux l’annulation de la décision de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général.
Le contrat est alors à nouveau exécuté.

Le juge exerce un véritable contrôle sur le motif qui justifie la rupture unilatérale du contrat.
Problème : le contrôle du juge en la matière est limité ; le juge administratif laisse une grande liberté à l’administration.
Idée : il n’incombe pas au juge administratif d’interférer dans des choix de politique publique.
→ Il ne faut pas surestimer la portée de l’arrêt Béziers 2.

Cour administrative d’appel de Versailles, 2021, Ministre de l’écologie / Société Axxès :
La cour administrative d’appel a considéré que le motif lié à un risque de trouble était un motif d’intérêt général qui pouvait justifier la rupture unilatérale du contrat.
”Il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier l’opportunité du choix ainsi effectué par le gouvernement.”

Le cocontractant aura le droit à l’indemnisation intégrale du préjudice subi, avec l’indemnisation à la fois des dépenses engagées + du gain manqué.

Le principe est la réparation intégrale du préjudice, mais les parties au contrat peuvent y faire figurer des stipulations contractuelles qui déterminent le montant des indemnités en cas de rupture du contrat.

Il ne faut pas confondre la résiliation par l’administration pour motif d’intérêt général de la résiliation pour irrégularité du contrat.
Si le motif invoqué par l’administration est l’irrégularité, alors on entre dans le régime d’action en contestation de validité du contrat à l’initiative des parties au contrat (voir décision Béziers 1).

Conseil d’État, 2020, Société Comptoir Négoce Équipements :
La personne publique peut résilier unilatéralement le contrat, mais elle ne peut invoquer que les irrégularités admissibles au regard du principe de loyauté contractuelle.
Elle ne peut pas se justifier d’irrégularités dont elle est responsable.

B – Les droits du cocontractant de l’administration

1) L’imprévision

La théorie de l’imprévision a longtemps été une spécificité du droit administratif.
Idée : lorsque l’exécution du contrat est confrontée à un aléa économique anormal, cette théorie impose à l’administration d’aider son cocontractant à surmonter ces difficultés pour garantir la bonne exécution du contrat.
Arrêt de référence : Conseil d’État, 1916, Compagnie générale d’éclairage au gaz de Bordeaux.

Cette théorie ne fait pas l’objet d’un contentieux important, parce qu’il existe souvent des clauses de révision des prix (par exemple en cas d’augmentation des prix des matières premières).

Cette théorie a fait l’objet d’une méfiance de la part de l’Union européenne et est donc surveillée.

4 éléments doivent être réunis :

  1. L’évènement à l’origine de la situation d’imprévision doit être imprévisible au moment de la conclusion du contrat : catastrophe naturelle, crise financière…
    Par exemple, une hausse modérée et limitée du prix des matières premières n’a rien d’imprévisible.
  1. Cet évènement doit entraîner un bouleversement de l’économie du contrat.
    La théorie de l’imprévision ne peut jouer que dans l’hypothèse où il y a une dégradation importante des conditions d’exécution du contrat.
    Idée : il devient compliqué pour l’opérateur d’exécuter le contrat.
  1. Cet évènement doit être extérieur aux parties.
    Exemple : si cet évènement est imputable à l’administration contractante, alors cette théorie de l’imprévision ne peut pas jouer.
  1. La situation d’imprévision doit demeurer temporaire.
    Si l’exécution du contrat est définitivement altérée, alors l’administration doit y mettre fin.

Si ces conditions sont réunies, le cocontractant de l’administration peut lui réclamer une compensation financière : une indemnité d’imprévision.
Cette indemnité a vocation à couvrir l’ensemble des conséquences imprévisibles liées à la situation d’imprévision.

Conseil d’État, 1982, Société Propétrol :
Contexte : le second choc pétrolier de 1979 entraîne la multiplication du coût du baril par 5 et rend difficile l’exécution du contrat.
Le Conseil d’État pose le principe suivant lequel le cocontractant doit avoir maintenu l’exécution du contrat pour réclamer une indemnité d’imprévision.

Dans son avis du 15 septembre 2022, le Conseil d’État fait une synthèse des possibilités qu’offre le cadre juridique aujourd’hui, dans le contexte de l’augmentation des coûts de l’énergie.
Il note 2 possibilités :

  1. Avoir recours à la théorie de l’imprévision, et donc un mécanisme d’indemnisation des charges extracontractuelles ;
  1. Modifier le contrat, en respectant le cadre posé par le Code.
    Mais les modifications sont limitées : elles ne peuvent pas être substantielles, sinon c’est un nouveau contrat.

2) Les sujétions imprévues

La théorie de la sujétion imprévue vise essentiellement à compenser l’aléa technique.
Elle est beaucoup plus modeste dans son champ d’application, parce qu’elle ne joue que dans les contrats ayant pour objet la réalisation de travaux publics.

Elle renvoie à des situations très simples ; par exemple, des intempéries importantes qui retardent la réalisation de travaux.

Si cet aléa présente un caractère exceptionnel et imprévisible, qu’il est extérieur aux parties, et qu’il entraîne pour les cocontractants de l’administration des surcoûts anormaux, alors l’entrepreneur aura droit à la réparation intégrale des charges qu’il a supportées, alors qu’il n’y aurait pas de clause en ce sens dans le contrat.


3) Le fait du principe

La théorie du fait du prince est beaucoup plus floue.
Elle a vocation à couvrir l’aléa juridico-administratif imputable à une personne publique.

Il y a cependant une incertitude sur le champ d’application de cette théorie.
On distingue 3 hypothèses :

  1. L’hypothèse où cet aléa est imputable à une autre personne publique que celle qui a contracté ;
  1. L’hypothèse dans laquelle cet aléa juridico-administratif est imputable à la personne publique qui a contracté, mais dans l’exercice d’une autre mission de service public ;
  1. L’hypothèse dans laquelle la personne publique interfère dans l’exécution du contrat, mais en tant que personne contractante.

Le fait du prince renvoie surtout à la 2ème hypothèse.
Lorsque l’action de la personne publique contractante modifie les conditions d’exécution du contrat qu’elle a passé avec un opérateur privé, cet opérateur privé pourra réclamer une indemnisation et la réparation de l’intégralité du préjudice subi.

Section 4 : Le contentieux contractuel

Le contentieux contractuel a été très largement remanié par le Conseil d’État à partir de 2007.

En effet, la vie du contrat est jalonnée par des actes unilatéraux pris par l’administration (ex : la décision de contracter avec telle entreprise, la décision de modifier le contrat…).
Le droit des contrats administratifs n’est donc pas composé que de contrats, mais aussi d’actes administratifs unilatéraux (AAU).

Avant 2007, il y avait des actes détachables.
Il était tout à fait possible pour un concurrent de contester par un REP la décision de l’administration de contracter avec une entreprise.

Depuis 2007, les pouvoirs du juge en matière contractuelle sont beaucoup plus nuancés.
Il peut procéder à la résolution du contrat (la “bombe atomique”), mais d’autres outils sont à sa disposition pour permettre la continuation de l’exécution du contrat.

§ 1. Les procédures de référé

A – Le référé précontractuel

Le référé précontractuel est prévu par l’article L551-1 du CJA.
Il s’agit d’une procédure qui peut jouer à l’égard de tous les contrats de la commande publique.

C’est un référé qui a une vocation préventive.
Objectif : éviter la signature d’un contrat qui n’a pas encore été conclu.
La demande de référé sera donc irrecevable dès lors que le contrat aura déjà été signé.

Peuvent agir les personnes qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué.

Conseil d’État, 2008, SMIRGEOMES :
Le Conseil d’État interprète restrictivement cette exigence.
Il précise que les requérants ne peuvent invoquer que les manquements qui, « eu égard à leur portée et au stade de la procédure auxquels ils se rapportent, sont susceptibles de les avoir lésés ou risquent de les léser”.
Des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence n’entraînent le prononcé de mesures par le juge du référé précontractuel que s’ils sont susceptibles d’avoir lésé le requérant.

Le juge peut enjoindre à la personne publique en cause de respecter ses obligations.
Il peut décider la suspension des mesures de passation du contrat.
Il peut annuler la décision relative à la passation du contrat.
Il peut décider de l’annulation totale ou partielle de la procédure de passation.

B – Le référé contractuel

Le référé contractuel doit être formé dans un délai de 31 jours à compter de l’exécution des formalités de publicité du contrat ou, s’il n’y en a pas eu, dans un délai de 6 mois à compter de la signature du contrat.

Il peut être formé dans les hypothèses où il y a eu un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

Le juge peut :
> suspendre l’exécution du contrat ;
> prononcer sa nullité dans certaines hypothèses ;
> résilier le contrat pour l’avenir ;
> imposer des pénalités financières à l’administration.

§ 2. Le recours pour excès de pouvoir

A – Le REP contre les actes détachables du contrat

Le recours contre les actes détachables du contrat reste aujourd’hui possible, mais de manière marginale.
La vie du contrat au sens large est jalonnée de décisions de l’administration.
Pour favoriser la possibilité pour les tiers au contrat de contester les décisions de l’administration, le Conseil d’État a progressivement affirmé au 20e siècle que certaines décisions unilatérales de l’administration sont détachables du contrat.
→ Les tiers peuvent contester ces actes.

Conseil d’État, 1905, Martin :
Le juge pour excès de pouvoir commence à se reconnaître compétent pour connaître des recours des tiers contre les actes détachables du contrat.
Il s’agit essentiellement d’actes relatifs à la conclusion du contrat.
→ Le contrat reste la chose des contractants.

Cette voie n’est aujourd’hui plus ouverte aux tiers.
En effet, 2 arrêts importants ont été rendus depuis :

Conseil d’État, 2007, Société Tropic Travaux Signalisation :
Les candidats évincés lors de la procédure de passation d’un marché public peuvent former un recours devant le juge de plein contentieux.

Conseil d’État, 2014, Département de Tarn-et-Garonne :
Les tiers ayant un intérêt lésé par un contrat administratif ont désormais la possibilité de contester sa validité devant le juge du contrat (recours de pleine juridiction).
Toutefois, les tiers ne pourront se plaindre que des illégalités particulièrement graves ou en rapport direct avec leur intérêt lésé.

La voie de recours concernant les actes détachables est donc devenue inutile et est désormais fermée aux tiers.

Le REP n’a cependant pas complètement disparu en la matière ; il reste quelques actes détachables :

  • La délibération par laquelle une collectivité territoriale décide d’avoir recours à un contrat plutôt qu’à autre chose est un acte préalable au contrat.
    Cette décision peut faire l’objet d’un REP.
    La simple annulation de cette décision n’a pas de conséquence sur la validité du contrat.
  • Parfois, lorsqu’une collectivité territoriale passe un contrat, il y a un mécanisme d’approbation (on parle de “tutelle”).
    Cet acte d’approbation du contrat peut faire l’objet d’un REP.

Conseil d’État, 2022, Danthony :
⚠️ Il y a de nombreuses décisions “Danthony”.
Les tiers ne sont pas recevables à exercer un REP contre les actes qui participent au processus de la conclusion du contrat.
Seuls peuvent être soulevés contre cet acte des moyens tirés de vices propres à la décision, et non pas des moyens relatifs à la validité du contrat approuvé.

Conseil d’État, 1987, Société TV6 :
Les tiers peuvent contester par REP la décision de l’administration de mettre fin au contrat.
Cela est toujours possible aujourd’hui.

Conseil d’État, 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche :
À l’inverse, les tiers ne peuvent pas contester par REP la décision de l’administration refusant de mettre fin à un contrat, en considérant que cela relève du juge du contrat.

Les seuls actes détachables qui peuvent encore être contestés devant le juge administratif sont donc les actes qui, lorsqu’ils sont contrôlés, n’impliquent pas de contester la validité du contrat.

B – Le REP contre un contrat

Il existe des hypothèses très particulières où le REP est possible contre un contrat, ce qui constitue en apparence une hérésie totale et absolue.

Conseil d’État, 1998, Ville de Lisieux :
Les contrats d’engagement personnel peuvent faire l’objet d’un REP.
Le Conseil d’État ouvre cette voie pour une raison purement pragmatique : pour assurer une cohérence du contentieux du recrutement des personnels de l’administratif.

Conseil d’État, 1906, Syndicat du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli (à Bordeaux) :
Les usagers peuvent contester par REP les clauses du contrat administratif.

Conseil d’État, 1996, Cayzeele :
Les clauses règlementaires d’un contrat administratif peuvent faire l’objet d’un REP.
En effet, les concessions de service public contiennent des clauses qui, incontestablement, ne concernent pas que les parties au contrat (exemple : temps de fréquence et arrêts sur une ligne de bus).

§3. Le recours de pleine juridiction

A – Le contentieux de la validité

1) La validité du contrat

a) À l’initiative des parties

Jusqu’à la révolution de 2007, les pouvoirs du juge étaient assez limités : il ne pouvait que prononcer la nullité du contrat, et il ne le faisait que dans des circonstances extrêmement limitées.

Conseil d’État, 2009, Commune de Béziers (”Béziers 1”) :
Met en place un nouveau recours ouvert aux parties.
Les parties peuvent contester la validité du contrat dans 2 situations :

  1. Par voie d’action, en saisissant le juge de plein contentieux d’une action en contestation de la validité du contrat (→ c’est ça qui est nouveau) ;
  1. Par voie d’exception (= à l’occasion d’un litige).

L’apport principal de cette jurisprudence est le perfectionnement des prérogatives dont dispose le juge lorsqu’il constate que le contrat entaché d’une irrégularité.
2 éléments jouent un rôle clé :

  1. L’exigence de loyauté des relations contractuelles.
    En principe, une partie ne peut pas se prévaloir d’une irrégularité dont elle est à l’origine.
  1. L’objectif de stabilité des relations contractuelles.
    Le juge doit vérifier dans la mise en œuvre de ses pouvoirs les conséquences de ses décisions par rapport à l’intérêt général. En cas d’effet excessif sur l’intérêt général, alors le juge assure la stabilité de l’acte contractuel.

Aujourd’hui, on est dans le “sur-mesure” : le juge puise dans une panoplie d’instruments pour adapter sa réponse à l’irrégularité affectant le contrat.
Toute irrégularité n’est pas susceptible de remettre en cause le contrat.

Quand le juge est saisi par voie d’action, il peut décider la poursuite des relations contractuelles lorsque l’irrégularité est mineure.
Il peut aussi décider que la prolongation du contrat sera subordonnée à l’adoption de mesures de régularisation de la part des parties.

Si l’irrégularité est plus grave, le contrat est annulé par le juge.
Sont des hypothèses d’irrégularités très graves :
1- le caractère illicite du contenu du contrat ;
2- « un vice d’une particulière gravité relatif aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ».

Lorsque le juge est saisi par voie d’exception, il doit faire comme s’il était saisi en contestation de la validité du contrat : il écarte donc l’application du contrat dans les hypothèses où, s’il avait été saisi par voie d’action, il aurait mis fin au contrat.

b) À l’initiative des tiers

Jusqu’en 2007, il n’y a pas beaucoup de possibilités pour les tiers de contester le contrat.

Conseil d’État, 2014, Département de Tarn-et-Garonne :
Les tiers ayant un intérêt lésé par un contrat administratif ont désormais la possibilité de contester sa validité devant le juge du contrat (recours de pleine juridiction).

Les conditions de recevabilité sont cependant drastiques : ils doivent démontrer que le contrat est susceptible de léser leurs intérêts de manière suffisamment direct et certaine.
Être un concurrent évincé ne suffit pas.

Le délai est de 2 mois à compter des mesures de publicité du contrat.

Quels sont les moyens invocables par les parties ?
Les tiers privilégiés peuvent se prévaloir de tous moyens contre le contrat (= tout motif d’irrégularité du contrat).
Les autres ne peuvent invoquer que les vices qui sont en rapport direct avec l’intérêt dont ils se prévalent ou les vices d’une gravité telle que le juge devait les relever d’office.

Que peut faire le juge ?
Ici, on ne retrouve pas la loyauté contractuelle.
Il peut décider la poursuite de l’exécution du contrat (possiblement sous réserve de l’édiction de mesures de régularisation par les parties).
Il peut prononcer l’annulation du contrat pour l’avenir (tout en prenant en compte l’intérêt général, suivant la jurisprudence Béziers 1).
Si l’intérêt général le permet, il peut prononcer l’annulation rétroactive lorsqu’il y a une irrégularité grave (contenu illicite ou vice d’une particulière gravité entachant le consentement donné par les parties).

Exemple : Conseil d’État, 2019, SAGEM :
Après avoir constaté que des manquements graves lors de la mise en concurrence révélaient une volonté de la puissance publique de favoriser un candidat, le juge prononce l’annulation rétroactive du contrat.

Il est possible d’assortir cette action en contestation de la validité du contrat d’un référé suspension de l’exécution du contrat.

On a vu précédemment que dans l’hypothèse où un administré considère qu’un contrat est irrégulier, qu’il demande à l’administration d’y mettre fin et qu’elle refuse, il doit saisir le juge du plein contentieux, parce que le REP n’est plus possible.
Conseil d’État, 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche :
Le Conseil d’État précise les moyens qui peuvent être invoqués par le requérant au soutien de cette action devant le juge du contrat, en mentionnant 3 moyens :

  1. Le moyen tiré de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à l’exécution du contrat du fait de dispositions législatives applicables au contrat en cours ;
  1. Le moyen tiré de ce que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devait relever d’office ;
  1. Le moyen tiré de ce que l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général.

En revanche, le requérant ne peut pas se prévaloir de l’irrégularité relative aux conditions ou à la forme de la décision de refus de résiliation.
Enfin, pour l’ensemble des moyens, le requérant doit se prévaloir d’un vice en rapport direct avec ses intérêts.
Si la résiliation du contrat ne porte pas atteinte à l’intérêt général, le juge pourra pourra mettre fin à l’exécution du contrat (de manière rétroactive ou non).


2) La validité des mesures d’exécution du contrat

On s’intéresse ici à la contestation par les parties des mesures d’exécution du contrat.
Là encore, la jurisprudence du Conseil d’État a connu une évolution.

Jusqu’en 2011, il n’était pas possible pour les parties au contrat d’obtenir l’annulation des mesures d’exécution du contrat.
Dès lors qu’il y avait un litige et éventuellement une irrégularité d’une des mesures d’exécution du contrat prises par l’administration, le litige se réglait sur le terrain indemnitaire.
Autrement dit, lorsque le juge constatait d’une mesure prise par l’administration au cours de l’exécution du contrat était irrégulière, le cocontractant de l’administration pouvait engager la responsabilité éventuelle de l’administration.

La situation évolue avec l’arrêt :
Conseil d’État, 2011, Commune de Béziers (”Béziers 2”) :
Le Conseil d’État précise que le cocontractant de l’administration peut contester la validité de la décision de résilier un contrat administratif.
Il peut demander, si cette résiliation est illégale, que soit ordonnée la reprise des relations contractuelles.

Cela marque une rupture : le juge administratif avait toujours préféré ne pas imposer à l’administration l’exécution d’un contrat qu’elle ne voulait pas.

Pour garantir l’effectivité de cette demande, il est possible d’assortir la contestation de la validité de la décision de résiliation d’un référé suspension (prévu à l’article L521-1 du CJA).

Le juge doit prendre en compte 2 considérations :

  1. La gravité des vices qui entachent la décision de résiliation.
    Seuls les vices graves concernant la régularité de cette décision sont susceptibles de justifier la reprise des relations contractuelles.
    Si c’est un vice qui n’est pas grave, le litige se règlera sur le terrain indemnitaire.
  1. La prise en compte des intérêts en présence.
    Il ne faut pas que la reprise des relations contractuelles porte une atteinte excessive à l’intérêt général.
    + Il ne faut pas que cette décision porte une atteinte excessive aux intérêts des tiers (par exemple : si l’administration a contracté avec une autre société).

2 possibilités s’offrent ensuite au juge :

  1. L’annulation de la décision de résiliation, et donc la reprise des relations contractuelles à la date que le juge détermine lui-même ;
  1. L’indemnisation du cocontractant de l’administration.

Précision : pour les mesures d’exécution du contrat autres que la résiliation unilatérale, le litige ne peut se résoudre que sur le terrain indemnitaire.
On ne peut pas solliciter l’annulation de ces autres mesures d’exécution.
Conseil d’État, 13 juillet 2022, (Renouvellement du contrat) :
Le Conseil d’État rappelle la solution de Béziers 2 : le refus de l’administration de renouveler un contrat ne peut pas être annulé.
Ce type de décisions doit être contesté sur le terrain indemnitaire.

B – Le contentieux de la réparation

On distingue 4 types de responsabilité :

  1. La responsabilité contractuelle pour faute : l’administration prend une mesure d’exécution irrégulière pour laquelle on demande une réparation.
    Exemple : l’arrêt du 13 juillet 2022 cité précédemment.
  1. La responsabilité contractuelle sans faute : l’administration a utilisé ses prérogatives au sein du contrat en modifiant unilatéralement le contrat pour un motif d’intérêt général.
    Dans cette hypothèse, le cocontractant de l’administration a droit à une réparation intégrale de son préjudice.
    Les termes de l’indemnité sont parfois prévus par le contrat.
  1. La responsabilité quasi contractuelle ou quasi délictuelle : le juge constate des irrégularités dans le contrat + un vice d’une telle gravité que le contrat est nul → il met fin au contrat.
    La réparation est possible, mais pas sur le fondement du contrat. Par exemple, le cocontractant pourrait chercher à être indemnisé sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
  1. La responsabilité délictuelle : regroupe les hypothèses où un tiers souhaite obtenir réparation.
    Exemple : un concurrent illégalement évincé à la suite d’une procédure irrégulière.

Commentaire d’arrêt : Conseil d’État, 30 juillet 2021, n°439436

Cliquer ici pour lire la décision commentée.


“L’arrêt rendu sur la validité d’un décret d’extradition vers le Burkina Faso conduit à considérer à nouveau le sort des « promesses » émanant d’autorités étrangères. […] Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : je n’allègue pas que le juge devrait prendre en compte le droit étranger, je constate qu’il le fait déjà.” C’est ainsi que Carlo Santulli, professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas, souligne les difficultés juridiques liées à la décision n°439436 rendue par le Conseil d’État le 30 juillet 2021.

En l’espèce, le gouvernement du Burkina Faso émet un mandat d’arrêt international contre le frère de l’ancien président de ce pays, qui y est poursuivi pour incitation à assassinat, puis demande son extradition à la France, pays où il a été interpellé. Le Premier ministre français autorise son extradition par décret ; celui-ci saisit le Conseil d’État pour demander l’annulation de ce décret.

En effet, celui-ci soutient que ce décret n’est pas motivé, qu’il méconnaît le principe d’impartialité, que la procédure dont il est le résultat est irrégulière, que son extradition est demandée dans un but politique, que l’action publique relative aux poursuites le concernant est prescrite, que le mandat d’arrêt émis contre lui par les autorités burkinabés est irrégulier, que son extradition méconnaîtrait les articles 3, 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (“Convention EDH”), et enfin que le gouvernement français aurait dû consulter le gouvernement de la Côte d’Ivoire, dont il est le ressortissant. Il soulève également, à l’occasion de ce recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), portant sur l’article 696-4 du Code de procédure pénale.

Après avoir étudié ces nombreux moyens, les juges du Palais-Royal concluent que ce décret n’est pas illégal ; la requête est donc rejetée. Ils concluent également qu’il n’y a pas lieu de transmettre la QPC soulevée au Conseil constitutionnel. Puisque qu’une décision d’extradition a des conséquences majeures sur la condition de l’individu concerné ainsi que sur ses droits et libertés, il semble important de s’attarder sur les motifs ayant conduit le juge à prendre une telle décision.

Dès lors, dans quelle mesure le Conseil d’État échoue-t-il ici à mettre en équilibre le principe de confiance entre les États liés par une convention d’extradition avec la nécessité de garantie des libertés fondamentales ?

Après avoir rejeté les moyens liés à la forme du décret, les juges du Conseil d’État réitèrent leur refus historique de se substituer plus que strictement nécessaire au législateur comme au gouvernement ; ils refusent également de contrôler les actes d’incrimination à l’origine de la demande d’extradition, avant de se fonder sur les garanties apportées par l’État requérant lui-même pour écarter les moyens liés à une méconnaissance des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, ouvrant ainsi la voie à de potentielles atteintes graves aux libertés fondamentales qu’elle garantit. Il conviendra d’abord d’étudier le rappel par le juge administratif des limites de son office (I), avant de s’intéresser au rejet des moyens liés à une méconnaissance des libertés fondamentales (II).

I – Le rappel par le juge administratif des limites de son office

Pour rejeter certains des moyens qui lui sont soumis, le Conseil d’État se fonde sur les limites qu’il a lui-même fixées à sa compétence : il refuse ainsi de se substituer plus que strictement nécessaire au législateur et au gouvernement (A) et de contrôler les actes d’incrimination à l’origine de la demande d’extradition par l’État requérant (B).

A – Le refus de se substituer plus que strictement nécessaire au législateur ou au gouvernement

Le demandeur commence ici par soulever une question prioritaire de constitutionnalité : il soutient que l’article 696-4 du Code de procédure pénale, dans la rédaction de son alinéa 7 qui ne prévoit pas d’assurance de garanties fondamentales relatives à l’aménagement des peines, constitue une méconnaissance par le législateur de sa propre compétence (on parle alors “d’incompétence négative”). Le Conseil d’État refuse de transmettre cette question au Conseil constitutionnel, en relevant que l’incompétence négative ne peut pas être invoquée ici parce qu’elle tendrait à l’adoption d’une disposition portant sur un objet distinct du dispositif mis en place par le législateur dans cet alinéa 7. Cela illustre l’appréhension historique du juge administratif de devenir le juge de la loi, en limitant son contrôle sur le législateur au minimum. Cette appréhension peut paraître néanmoins dommageable, puisqu’elle ne permet pas ici l’étude de la question d’une potentielle méconnaissance par le législateur de sa propre compétence, qui semble pourtant essentielle au vu des lourdes conséquences qu’une telle méconnaissance aurait en matière de libertés individuelles.

Le demandeur soutient aussi que le gouvernement français aurait dû consulter le gouvernement ivoirien avant de décider son extradition vers le Burkina Faso. L’accord en matière de justice signé entre la République française et la République de la Côte d’Ivoire de 1961, invoqué par le demandeur et cité dans les visas de cet arrêt, prévoit en effet que ces deux pays “instituent un échange régulier d’informations en matière d’organisation judiciaire”. Le Conseil d’État rejette ce moyen, en retenant que les stipulations de ce traité ne sont pas d’effet direct, puisqu’elles “créent seulement des obligations entre États”, et ne sont dès lors pas invocables par les justiciables. Si une telle conclusion était prévisible, puisqu’elle reprend la solution développée par les décisions “GISTI” du Conseil d’État de 1997 et de 2012, il peut sembler regrettable que le juge administratif se refuse ainsi à contrôler l’inexécution de cet engagement de l’État français malgré les conséquences réelles que celle-ci pourrait avoir sur les libertés des ressortissants ivoiriens tels que le demandeur.

Si le Conseil d’État refuse ainsi de contrôler ces potentiels manquements du législateur et de l’exécutif à leurs obligations, il décline aussi l’invitation qui lui est faite d’examiner les actes d’incrimination à l’origine de la demande d’extradition.

B – Le refus de contrôler les actes d’incrimination à l’origine de la demande d’extradition

Le demandeur soutient également que les actes par lesquels les poursuites le visant ont été rouvertes par les juridictions burkinabés sont irréguliers. Le Conseil d’État écarte ce moyen en affirmant qu’il ne lui appartient pas “d’apprécier la régularité des actes des autorités judiciaires étrangères pour l’exécution duquel l’extradition a été sollicitée”. Il en va de même lorsque, saisi du moyen dénonçant l’irrégularité du mandat d’arrêt émis contre le demandeur, le Conseil d’État se déclare incompétent en la matière en se contentant de souligner qu’il n’a pas été émis “dans des conditions contraires à l’ordre public français”. Ici encore, au vu des conséquences sérieuses d’une telle décision, cette limitation par le juge administratif de son propre office peut surprendre.

De plus, le requérant affirme aussi que son extradition est demandée dans un but politique, ce qui contreviendrait au principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil d’État dans son arrêt “M. Koné” de 1996. Pour rejeter ce moyen, les juges se contentent ici de répondre “qu’il ne ressort pas des éléments versés au dossier” que cette extradition ait été demandée dans un but politique. Le refus des juges d’étudier la légalité des actes sur lesquels sont fondées les poursuites peut donc sembler d’autant plus dommageable qu’ils se fondent sur ces mêmes actes pour rejeter le moyen tenant au but politique des poursuites.

Cette confiance dans les promesses de l’État requérant ne se limite cependant pas au rejet du moyen tenant à l’extradition demandée dans un but politique, mais est également utilisée pour écarter les moyens tenant à une méconnaissance des libertés fondamentales.

II – Le rejet des moyens tenant à une méconnaissance des libertés fondamentales

Pour rejeter les moyens tirés d’une méconnaissance des libertés fondamentales, le Conseil d’État ne semble prendre en compte que les seules garanties données par l’État requérant lui-même (A), avant de consacrer une atteinte aux libertés fondamentales qu’il estime justifiée (B).

A – La confiance en l’État requérant comme seule garantie

Le demandeur soutient ensuite que, si le décret d’extradition est appliqué, il serait alors exposé à une peine incompressible de réclusion perpétuelle sans réexamen possible, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 3 de la Convention EDH qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants. On constate ici qu’il s’agit d’une situation de conflits entre deux traités, puisqu’un traité international est invoqué pour contester un acte administratif pris sur le fondement d’un autre traité. Dans sa décision « M. Kandyrine » de 2011, le Conseil d’État avait affirmé que, dans une telle situation, le juge doit d’abord chercher à concilier les stipulations des deux traités ; c’est cette méthode qu’il applique ici. Il ne retient en effet pour écarter ce moyen que le fait que le décret attaqué n’accorde l’extradition “que sous réserve que [le demandeur] puisse prétendre” à des dispositions du code burkinabé de procédure pénale prévoyant une potentielle libération conditionnelle après une période minimale de détention de vingt-cinq ans.

De la même manière, pour écarter le moyen selon lequel les conditions de détention dans les prisons burkinabés et la situation personnelle du requérant l’exposeraient à des traitements inhumains ou dégradants en violation de ce même article 3 de la Convention EDH, le Conseil d’État ne se fonde ici que les “engagements sur le lieu et les conditions de détention” pris par le ministre de la Justice burkinabé et sur le fait que le décret attaqué n’accorde l’extradition “que sous réserve du respect des conditions reprenant les garanties apportées par les autorités burkinabè”. Le Conseil d’État, pour écarter ces deux moyens tirés de la supposée violation des dispositions de l’article 3 de la Convention EDH, ne semble dès lors se fonder que sur les garanties apportées par l’État requérant lui-même, sans réellement les contrôler. Une telle solution peut paraître contestable : en effet, même si la confiance entre les États liés par une convention d’extradition est essentielle, elle ne saurait écarter la nécessité pour les justiciables de bénéficier de garanties sérieuses quant à la protection de leurs libertés fondamentales.

Le Conseil d’État ne nie pas cependant que l’exécution du décret attaqué aurait pour conséquence une violation d’une liberté fondamentale consacrée par la Convention EDH.

B – Une atteinte aux libertés fondamentales considérée comme justifiée

Le requérant soutient enfin que son extradition porterait atteinte à ses droits et libertés garantis par l’article 8 de la Convention EDH, qui porte sur le droit au respect de la vie privée et familiale, parce que sa famille – et notamment son enfant mineur – vit en France. Pour écarter cet ultime moyen, le Conseil d’État se contente de rappeler sa jurisprudence constante, suivant laquelle cette atteinte est en effet probable, mais qu’elle est justifiée par “la nature même de la procédure d’extradition” et par “l’intérêt de l’ordre public”. 

En estimant ainsi que la protection de l’ordre public à laquelle contribue le décret d’extradition mis en cause justifie une telle atteinte à une liberté garantie par la Convention EDH, les juges du Palais-Royal concluent un arrêt dont la portée peut sembler discutable. En effet, dans un tel contexte d’extradition d’un proche d’un ancien chef d’État déchu vers une région politiquement instable, et étant donné les lourdes conséquences d’une procédure d’extradition sur la condition des individus concernés, un contrôle plus approfondi du juge sur le respect des garanties fondamentales aurait peut-être été souhaitable.

Commentaire d’arrêt : Tribunal des conflits, Centre hospitalier de Cadillac (2022)

Cette décision Centre hospitalier de Cadillac, rendue par le Tribunal des conflits le 11 avril 2022, porte sur l’épineuse question du domaine des contrats administratifs.

En l’espèce, une association et un centre hospitalier concluent une convention relative “à la mise en œuvre d’une initiative culturelle transversale” qui n’aurait “aucune dimension thérapeutique”. Le centre hospitalier saisit ensuite le tribunal administratif, en tant que juge du contrat, pour obtenir le retrait de vidéos diffusées en ligne dans le cadre de l’application de ce contrat. L’association attaquée conteste la compétence du juge administratif pour connaître des litiges relatifs à ce contrat ; ce dernier renvoie au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence.

La notion de contrat administratif et son périmètre ayant connu récemment, notamment depuis la décision Société Tropic Travaux Signalisation rendue en 2007 par le Conseil d’État, de profondes évolutions d’origine jurisprudentielle mais aussi législative, il semble pertinent de s’interroger sur la manière dont le Tribunal des conflits applique ces nouveaux critères. Dès lors, dans quelle mesure cette décision synthétise-t-elle 15 ans d’évolutions majeures en matière de détermination de l’administrativité des contrats ?

En se fondant sur une évolution législative récente, le Tribunal rappelle qu’un marché public doit nécessairement répondre aux besoins en produits ou service de la personne publique contractante pour être considéré comme tel ; il relève ensuite que le contrat mis en cause échappe à la qualification de contrat administratif en raison de son absence de lien suffisant avec la mission de service public incombant à la personne publique contractante, avant de conclure en rappelant le critère récemment renouvelé de prise en compte de l’intérêt général pour pouvoir appliquer le régime exorbitant des contrats administratifs. Il conviendra d’abord d’étudier le rejet de la qualification du contrat de marché public (I), avant de s’intéresser au refus similaire de le requalifier en contrat administratif (II).

I – Le rejet de la qualification de marché public

Sur la base de la définition législative en vigueur au moment des faits, qui était alors relativement récente (A), le Tribunal des conflits retient qu’un marché public doit obligatoirement répondre aux besoins de la personne publique contractante (B) et rejette donc cette qualification en l’espèce.

A – La seule prise en compte de la définition législative du marché public

Le Tribunal commence ici par se fonder, dans le paragraphe n°2 de cette décision, sur l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, qui était alors en vigueur au moment des faits et qui définit les marchés publics et le régime qui leur est applicable. Les juges relèvent notamment que son article 3 prévoit que “les marchés publics […] passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs” et que son article 4 dispose que les marchés publics sont passés ”par un ou plusieurs acheteurs […] pour répondre à leurs besoins”.

Il faut noter que ce texte, qui avait valeur légale et qui a aujourd’hui été codifié à l’article L6 du Code de la commande publique, est venu modifier les critères de qualification des marchés publics. En effet, les marchés publics étaient auparavant soumis à des critères jurisprudentiels, suivant lesquels il y avait des marchés publics de droit privé, jusqu’à ce que le législateur n’intervienne en 2001 par la loi MURCEF, qui disposait que tous les marchés publics “ont le caractère de contrats administratifs” avant que l’ordonnance de 2015 ne vienne modifier cette disposition pour restreindre la qualification de contrats administratifs aux seuls marchés publics passés par des personnes morales de droit public. Le Tribunal fait donc ici application d’un nouveau critère de qualification des marchés publics, qui trouve son origine dans un texte à valeur législative.

C’est sur la base de cette définition législative que le Tribunal étudie les clauses de la convention concernée pour refuser sa requalification en marché public.

B – Le critère retenu de la réponse aux besoins de la personne publique contractante

Dans le paragraphe n°3 de cette décision, le Tribunal des conflits affirme que “il ne ressort ni des termes de la convention […], ni des écritures des parties que cette convention […] ait eu pour objet de répondre aux besoins du centre hospitalier […]. Elle ne constitue donc pas un marché public”. Il déduit donc des termes de l’ordonnance précitée qu’un marché public doit nécessairement répondre aux besoins de l’acheteur, et il étudie en l’espèce les clauses de la convention pour écarter sa requalification en marché public, en considérant que même si l’activité prévue par la convention s’inscrit dans une politique de l’établissement (“dans le cadre de son projet culturel”), elle ne répond pas pour autant à ses besoins.

Une telle étude des clauses de la convention semble pertinente, puisqu’elle permet d’appliquer plus finalement la condition de réponse aux besoins ainsi dégagée et donc de limiter le champ des contrats administratifs, dont le régime est moins protecteur pour les contractants que le régime commun des contrats. L’absence de précision apportée à cette condition peut cependant sembler regrettable, puisque cela signifie que le Tribunal des conflits devra à nouveau être saisi à chaque fois qu’une question similaire se pose pour qu’il étudie les clauses de la convention mise en cause, sans qu’une solution systématiquement applicable ne soit clairement dégagée. 

Après avoir refusé de requalifier la convention attaquée en marché public, le Tribunal rejette plus largement la qualification de contrat administratif.

II – Le rejet de la qualification de contrat administratif

Pour rejeter la qualification de contrat administratif, le Tribunal retient que la convention mise en cause n’a pas de lien avec la mission de service public qui incombe à la personne publique contractante qui suffirait à la caractériser de contrat administratif (A), puis applique les conditions récemment modernisées de l’application du régime des contrats administratifs en raison de clauses contractuelles exorbitantes (B).

A – La nécessité d’un lien suffisant avec la mission de service public incombant à la personne publique contractante

Pour qualifier la convention liant l’association au centre hospitalier de contrat de droit privé, le Tribunal des conflits commence par souligner qu’elle “n’a pas pour objet l’organisation ou l’exécution d’une mission de service public”. Les juges rappellent ici le principe jurisprudentiel posé par la décision Époux Bertin du Conseil d’État de 1956, qui fait du service public l’un des critères du contrat administratif. Ils déterminent cependant, en se fondant ici encore sur les clauses de la convention mais aussi sur les missions de service public confiées par le législateur aux établissements de santé par l’article L6111-1 du Code de la santé publique, que les conditions ne sont pas réunies pour appliquer cette jurisprudence, en raison de l’absence d’un lien suffisant entre la convention et cette mission de service public.

Cette application restrictive du critère de la participation à l’exécution du service public par le cocontractant doit être approuvée, puisqu’elle permet de limiter le périmètre des contrats administratifs et ainsi de mieux protéger le cocontractants des personnes publiques. Elle peut néanmoins sembler curieuse, puisque le Tribunal lui-même relève que l’activité culturelle prévue par la convention relève bien d’une politique de l’établissement.

Si une convention peut être qualifiée de contrat administratif en raison de son lien avec une activité de service public, elle peut aussi l’être en raison de la présence de clauses exorbitantes.

B – Le critère récemment renouvelé des clauses exorbitantes

Le Tribunal conclut sa décision en notant que la convention attaquée “ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquerait, dans l’intérêt général, qu’elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs”. Il s’agit ici d’une reprise mot pour mot du critère jurisprudentiel dégagé pour la première fois par le Tribunal des conflits dans sa décision SA Axa France IARD (2014), qui a mis fin au principe posé par la décision du Conseil d’État Société des granits porphyroïdes des Vosges (1912) selon laquelle tout contrat comportant une clause exorbitante du droit commun est administratif, en y ajoutant une condition d’intérêt général qui limite fortement les conditions dans lesquelles il s’applique.

En faisant application de ces nouvelles conditions encore relativement nouvelles, le Tribunal des conflits conclut une décision qui synthétise de nombreuses évolutions récentes légales comme jurisprudentielles en matière de requalification de contrats en contrats administratifs. Ces évolutions permettent de limiter le champ des contrats administratifs, dont le régime juridique se révèle être peu protecteur des cocontractants des personnes publiques, et doivent donc être saluées, même si elles ne contribuent malheureusement pas à une simplification du droit qui semblerait pourtant nécessaire en la matière.

Les 3 caractéristiques du droit administratif

Le droit administratif est un droit autonome, jurisprudentiel et d’équilibre.

A – Un droit autonome

Le droit administratif est dans une situation d’autonomie par rapport aux autres branches du droit, parce qu’il n’entretient aucune relation avec ces autres branches (il n’en dépend pas, il ne les complète pas).

Cette autonomie est la plus remarquable vis-à-vis du droit privé.
Elle vient de la décision Blanco, qui fait référence aux “règles spéciales”.
Ces règles sont spéciales dans la mesure où elles sont dérogatoires au droit commun → ne sont pas les règles du droit privé.

On constate aussi une autonomie au sein même du droit : le droit administratif est une branche du droit public, mais chacune de ces branches ont leurs propres règles et sont autonomes les unes des autres.
On constate néanmoins dans les dernières années une influence accrue exercée par les unes à l’égard des autres ; le droit européen a pris une telle importance qu’elle influence le droit administratif (internationalisation).

Le droit administratif a aussi des bases constitutionnelles.
La création de la QPC en 2008 a rapproché le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, puisque le Conseil d’État est chargé de transmettre ou non les QPC dont il est saisi.
Le Conseil constitutionnel est ainsi devenu un acteur du procès du juge administratif.

B – Un droit jurisprudentiel

Note : on parle parfois de droit prétorien.

Le droit administratif est un droit qui est pour l’essentiel composé par la jurisprudence (décisions de principe du Conseil d’État / du Tribunal des conflits), à l’inverse de la plupart des branches du droit qui sont fondées sur des règles de droit écrit.

Pourquoi ?
Parce que le droit administratif est né d’une décision du Tribunal des conflits et non de la volonté du législateur, au termine d’un processus long et en plusieurs étapes.

Les choses ont néanmoins évolué : les textes ont pris davantage de place en droit administratif, alors qu’ils étaient auparavant majoritairement inexistants, en raison d’une multiplication des textes susceptibles d’intéresser l’administration et les services publics : traités internationaux, directives européennes, Constitution, certaines lois…

L’ordonnance du 23 octobre 2015 crée le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui régit les “règles applicables aux relations que peuvent avoir le public [les personnes morales et physiques] avec l’administration”.

C – Un droit d’équilibre

Le droit administratif est un droit d’équilibre, parce qu’il tente de trouver le bon équilibre entre la nécessité pour l’administration d’avoir des pouvoirs étendus et la nécessité d’offrir des garanties aux personnes quand elles sont en relation avec l’administration.

Au début du 20ème siècle, le droit administratif incarne un droit qui protège les prérogatives exorbitantes de l’administration, plus que les droits des citoyens.
Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de droits.

Le juge administratif, sur le fondement des règles de droit administratif, a dû trouver un équilibre entre les nécessités d’ordre public / de santé / de police / … et l’exercice de nos libertés fondamentales (individuelles ou collectives), qui ont souvent un rang constitutionnel.

Et aujourd’hui ?

Le droit administratif est-il toujours autonome ? Le droit administratif est-il toujours jurisprudentiel ? Quel est l’équilibre contemporain trouvé par le droit administratif ?
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Droit administratif : conceptions organique et fonctionnelle (définitions et explications)

Le droit administratif est formé de l’ensemble des règles applicables à l’administration.
On peut définir l’administration par 2 conceptions différentes :

  1. Suivant la conception fonctionnelle, l’administration est l’ensemble des missions prises en charge de l’État pour répondre à nos besoins les plus essentiels.
    On parle de “missions d’intérêt général”, qui sont essentielles pour la cohésion sociale.

    Suivant la définition fonctionnelle, le droit administratif est donc l’ensemble des règles applicables aux missions d’intérêt général.

    Cette définition suppose un large champ d’application du droit administratif : peu importe qui prend en charge ces fonctions (État, personne privée…), la seule chose qui compte étant que la mission soit d’intérêt général.

  1. Suivant la conception organique, l’administration est l’ensemble des services, des institutions et des organes qui relèvent des personnes publiques.
    L’idée est la suivante : si un organisme relève d’une personne publique, alors il s’agit d’un service administratif.

    Suivant la définition organique, le droit administratif est donc l’ensemble des règles applicables aux services administratifs relevant des personnes publiques (État, collectivités territoriales, établissements publics…).

    Le droit administratif est alors inapplicable aux personnes privées.