Cours 13 : La faute

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L’exigence d’une faute reste exceptionnelle en droit pénal.
Puisque le droit pénal ne s’adresse qu’aux comportements les plus graves, il suppose l’emploi de moyens dangereux (essentiellement la violence et la ruse) dans le but de mal faire.
Idée : c’est cette démarche de l’agent, mû par une volonté de mal faire, qui paraît intolérable et qui justifie le blâme social accompagnant la répression.

À priori, les simples imprudences ou négligences ne sont pas concernées par le droit pénal.
En 1810, le développement des accidents (notamment du travail et de la route) n’étaient pas prévisibles, donc l’ancien Code pénal ne s’est guère préoccupé de ces fautes.
Les questions articles qui incriminaient l’homicide et les violences involontaires n’avaient pas été pensés pour les accidents nés de la Révolution industrielle.

La multiplication des accidents au cours du 19ème siècle a rendu ce contentieux peu à peu ingérable et injuste : entre le maladroit qui, par sa faute, pouvait causer un dommage à autrui, et le chef d’entreprise qui n’avait pas fait engager les réparations nécessaires dans l’usine, il n’y a pas grand chose de comparable, pourtant ils étaient soumis au même texte.

Le nouveau Code pénal de 1992 tenta d’améliorer en distinguant 2 types de fautes non intentionnelles :
> la faute simple : l’imprévoyance inconsciente ;
> la faute délibérée : l’imprévoyance consciente.

§ 1. Les fautes simples

A – La diversité des fautes simples

Les fautes simples ont toutes en commun de n’impliquer aucune adhésion psychologique au comportement dommageable.
Elles existent en l’absence de prise de risque consciente.

Il est reproché à l’auteur des faits d’avoir ignoré l’éventualité de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui qui est finalement survenue → cela paraît inacceptable ; idée : le respect par chacun d’une obligation de vigilance s’impose, dès lors que sa conduite est susceptible d’affecter également ceux qui l’entourent.

Toutefois, les défauts de vigilance peuvent apparaître d’intensité variable. Le législateur a tardé à reconnaître ces nuances qui s’imposaient, alors qu’une clause générale évoquant la faute sans distinguer est contraire au principe de légalité.

Depuis la loi du 10 juillet 2000, le législateur distingue aux alinéas 3 et 4 de l’article 121-3 du Code pénal la faute “ordinaire” d’une faute “caractérisée”.
→ 2 types de fautes simples, parce qu’elles ne sont pas spécialement aggravées et qu’elles n’impliquent aucune adhésion psychologique à l’acte.

1) La faute ordinaire

Le Code pénal ne désigne pas la faute ordinaire – il ne la nomme même pas ainsi.
En revanche, l’article 121-3 alinéa 3 du Code pénal énumère les différentes manifestations de cette faute : il peut y avoir délit non intentionnel en cas de :
> faute d’imprudence ;
> faute de négligence ;
> manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Cette formulation peut sembler maladroite, mais elle dénote le souci du législateur d’envisager largement l’inattention.
Idée : même sans violation d’un texte particulier, il peut y avoir faute. Il suffit d’un comportement qui n’apparaît pas à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre d’un bon citoyen dans une situation donnée.

En pratique, l’imprudence et la négligence sont souvent tenues pour synonymes, mais il ne s’agit pas de la même chose :

  1. l’imprudence, c’est le fait d’agir sans précaution
    → la faute est révélée par un acte positif
  1. la négligence, c’est le fait de ne pas se soucier des conséquences de son abstention
    → la faute correspond à une attitude passive

La 3e catégorie de fautes est définie comme un manquement à une obligation formellement mise à la charge de l’agent par un texte particulier.
Lorsqu’ils invoquent ce dernier type de faute, les magistrats doivent pouvoir indiquer la source et la nature exacte de l’obligation qui a été violée par l’agent.

L’obligation doit alors avoir nécessairement été précisée dans un texte qui préexistait à l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui.
La faute se déduit de la non-conformité du comportement constaté au comportement préconisé par la loi ou le règlement qui fixait l’obligation.

Les textes prescrivant de telles obligations de prudence ou de sécurité en imposant des comportements déterminés ont tendance à se multiplier, donc l’appréciation du juge est assez limitée → c’est une bonne chose en matière pénale.

2) La faute caractérisée

La faute caractérisée est de même nature que la faute ordinaire, mais elle présente un degré de gravité supplémentaire.

Pour l’établir, il faut toujours pouvoir démontrer un acte non intentionnel susceptible d’être qualifié “d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement”.
→ La faute caractérisée de manifeste de la même façon que la faute ordinaire.

C’est une faute simple, donc :
> le résultat dommageable n’a pas été voulu ;
> l’acte qui l’a causé résulte d’une mauvaise appréciation de l’agent.

Néanmoins, ce relâchement d’attention s’avère plus grave que le précédent, en raison :
> des circonstances de l’acte ; ou
> des fonctions qui étaient exercées par l’agent.

En effet, on pouvait s’attendre à une vigilance accrue de sa part qui lui aurait permis d’éviter l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui, compte tenu des circonstances ou de ses fonctions.
→ La faute apparaît grossière, inacceptable.

Toute faute grave n’est pas prise en compte au titre de la faute caractérisée, puisqu’une faute caractérisée n’est relevée qu’à partir du moment où elle a exposé autrui à un risque d’une particulière gravité que l’agent ne pouvait pas ignorer.

La faute caractérisée est d’appréciation délicate.
La gravité requise par l’article 121-3 alinéa 4 tient au risque plus qu’au dommage qui peut s’être révélé insignifiant.
Une faute caractérisée peut avoir engendré un dommage grave lorsque le risque grave auquel autrui était exposé s’est entièrement réalisé, mais peut aussi n’avoir engendré qu’un dommage de principe.

L’article 121-3 alinéa 4 affirme également que le risque d’une particulière gravité pour autrui ne doit pas avoir été perçu par l’agent.
Il ne doit pas l’avoir accepté, parce qu’il n’a pas cherché à agir de la sorte.

Le grief qui lui est agressé tient précisément au fait d’avoir, sans s’en rendre compte, exposé autrui à un risque grave dont l’agent aurait dû avoir conscience et dont il aurait dû en conséquence empêcher la réalisation.

L’article 121-3 alinéa 4 vise le fait d’exposer autrui à un risque que l’agent “ne pouvait ignorer” → cette formule ne signifie pas que l’agent mesurait parfaitement le risque auquel il a exposé autrui, ce qui reviendrait à lui reprocher une faute délibérée.
Cette formule signifie que l’agent aurait dû avoir conscience de ce risque, parce qu’il était prévisible compte tenu des circonstances ou des fonctions exercées par l’agent.
L’emploi du conditionnel est caractéristique de la démarche qui doit être suivie par le juge.

Une telle interprétation de l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal s’impose d’autant plus que la gravité de la faute est quant à elle appréciée à raison des circonstances ou de la fonction exercée par l’agent.
Elle évite aussi toute difficulté de preuve quant à la connaissance que l’agent aurait effectivement eu du risque en question.

B – Le régime des fautes simples

Ces fautes sont appréciées in abstracto → il n’y a pas à distinguer selon la gravité de la faute simple.

En revanche, une distinction s’impose entre faute ordinaire et caractérisée s’agissant du lien de causalité qui doit exister entre ces fautes et l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui qui peut en résulter.

1) L’appréciation des fautes simples

La faute ordinaire et la faute caractérisée doivent être appréciées de la même façon : in abstracto.
Cela n’exclut pas la prise en compte effective du comportement de l’agent, mais il en faut plus pour engager sa responsabilité pénale.

La faute simple qui lui est reprochée ne peut résulter que d’une comparaison entre la façon dont l’agent s’est comporté et la façon dont il aurait dû agir.
En effet, selon l’article 121-3 du Code pénal, pour établir une faute simple, il faut démontrer que l’auteur des faits “n’a pas accompli les diligences normales, compte tenu le cas échéant de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences et des pouvoirs ou des moyens dont il disposait”.

Le juge doit donc comparer le comportement de l’agent avec celui d’un modèle placé dans les mêmes circonstances, qui accomplit lui les diligences normales.
→ Le juge doit adapter son modèle de référence aux circonstances.

Cette appréciation reste une appréciation in abstracto, mais atténuée, puisqu’elle prend en compte les circonstances.
En effet, le seul comportement de l’agent n’est pas apprécié pour lui-même, indépendamment de ce que l’on aurait pu attendre de lui dans les mêmes circonstances.

L’appréciation des fautes simples, ordinaires ou caractérisées, est donc une appréciation in abstracto.

⚠️
Ce point du vue du professeur Dreyer semble ne pas être le point de vue majoritaire de la doctrine…

2) La causalité des fautes simples

On a vu que la causalité en matière pénale est en principe directe : l’acte incriminé doit lui-même produire le résultat visé au texte d’incrimination.
Autrement dit, cet acte ne doit pas simplement contribuer à la réalisation du résultat redouté par le législateur.
Mais il ne s’agit là que d’un principe, qui connaît des exceptions.

Le lien de causalité avec l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui peut n’être qu’indirect lorsque la faute à sa base est caractérisée.
→ Compte tenu de sa gravité, la faute caractérisée peut toujours être relevée, même lorsqu’elle a indirectement causé la mort ou des blessures à autrui.

C’est le seul enjeu pénal d’une telle qualification, car la faute caractérisée est punie comme une faute ordinaire.

En pratique, on constate une perversion du raisonnement : il arrive que les magistrats se demandent d’abord si le fait à l’origine de l’atteinte a causé celle-ci directement ou indirectement.
On commence à raisonner sur le lien de causalité, qui devrait pourtant être la dernière étape d’un raisonnement logique.

Lorsque les magistrats doivent admettre que les faits dont ils sont saisis n’ont qu’indirectement causé la mort ou des blessures à autrui, ils doivent alors vérifier la gravité de la faute simple exprimée par ces faits.
Si cette faute simple n’est qu’une faute ordinaire, ils ne peuvent engager la responsabilité pénale de son auteur, parce que la faute ordinaire doit toujours être reliée par un lien de causalité direct avec le dommage qu’elle a occasionné.
Au contraire, si la faute simple est une faute caractérisée, ils peuvent engager la responsabilité de son auteur.

§ 2. La faute délibérée

La faute délibérée n’est pas définie par le Code pénal, mais il l’évoque très clairement et lui donne des conséquences importantes.

L’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal permet d’engager la responsabilité pénale des personnes qui ont violé, de façon manifestement délibérée, une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, dès lors qu’il en a résulté (directement ou indirectement) une atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui.

Par ailleurs, dans la partie spéciale du Code, différents textes incriminent l’homicide et les violences involontaires qui font référence à cette faute délibérée en augmentant les sanctions encourues compte tenu de sa gravité intrinsèque.
→ Contrairement à son caractère caractérisé, le caractère délibéré de la faute est érigé en circonstance aggravante des délits d’homicide et de violence involontaire.

A – La notion de faute délibérée

La faute délibérée est une faute de nature différente des fautes simples.
Elle consiste à prendre bêtement des risques graves pour autrui.
Elle implique une adhésion psychologique au comportement lui-même.

Idée : l’agent était tenu de respecter une obligation particulière, et il l’a violée sciemment. Il a donc accepté ce manquement.

Ici, on ne lui reproche pas d’avoir ignoré l’obligation qui s’imposait à lui ; on admet qu’il savait et qu’il a agi quand même, en étant convaincu que l’atteinte ne surviendrait pas ou qu’il parviendrait à l’éviter.

La seule différence avec l’intention, c’est que l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui n’a pas été recherchée ni voulue par l’agent.
Ici, l’agent s’est trompé sur la puissance causale de son acte.
Il n’en a pas voulu le résultat final, mais sa démarche était volontaire.

Cependant, toute faute délibérée n’est pas prise en compte par le droit pénal.
Une faute délibérée suppose la violation d’une “obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement”.
Cela signifie que le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité non écrite ne peut pas être prise en compte pour établir une faute délibérée (au sens pénal du terme).
Il faut que l’obligation ait été formellement prévue par une loi ou un règlement (au sens constitutionnel du terme).

La Cour de cassation a exclu que la violation délibérée d’un arrêt préfectoral ayant imposé des travaux de mise en conformité au propriétaire d’un immeuble insalubre puisse être prise en compte au titre d’un homicide ou de violences involontaires.
En effet, cet arrêté constitue un acte administratif individuel, et non règlementaire → la violation délibérée de cet acte-là ne peut pas être prise en compte pour aggraver la répression de l’homicide ou des violences involontaires ayant pu en résulter.

Il faut ensuite que cette violation ait porté sur une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Cette exigence s’avère elle aussi essentielle, car elle ne s’impose pas à l’égard des fautes simples, qui peuvent résulter d’un simple manquement à une telle obligation.

Pour identifier une faute délibérée, il ne suffit donc pas qu’une loi ou un règlement ait créé une obligation d’agir – il faut en plus que cette obligation ait été précisément déterminée.
Au-delà d’un simple devoir de prévention, elle doit commander une action ou une obtention précise.

Ce n’est pas le cas s’agissant de l’obligation d’évaluer les risques pour la sécurité et la santé des salariés mise à la charge des employeurs par le Code du travail, qui n’est pas une obligation particulière de prudence et de sécurité au sens de l’article 121-3.
Idem pour l’obligation faite aux maires de prévenir et de faire cesser tous les éléments de nature à compromettre la sécurité des personnes sur le territoire de leur commune.

La précision de l’obligation de prudence ou de sécurité s’avère donc essentielle.
La seule perception d’un risque par l’agent et le fait de passer outre ne suffisent pas pour établir une faute délibérée au sens de l’article 121-3 alinéa 4.

Cela induit une dualité de régime assez discutable, en contraignant la Cour de cassation à traiter comme des fautes caractérisées certaines fautes délibérées imparfaites, qui sont délibérées mais qui ne remplissent pas tous les critères requis par l’article 121-3 alinéa 3.

B – Le régime de la faute délibérée

Le régime de la faute délibérée présente la particularité de relever davantage des enseignements du droit pénal spécial, puisque la gravité de la faute délibérée est expressément prise en compte par le législateur pour constituer une circonstance aggravante des délits d’homicide et de violence involontaire.

1) L’appréciation de la faute délibérée

C’est ici que la différence entre la faute simple et la faute délibérée produit tous ses effets.
La faute simple s’apprécie nécessairement in abstracto tandis que la faute délibérée s’apprécie in concreto : on ne raisonne plus par rapport à un modèle de comportement.

L’article 121-3 alinéa 4 exige que le manquement ait été “manifestement délibéré”.
→ Exigence de preuve supplémentaire, incompatible avec une appréciation in abstracto.

Idée : il doit sauter aux yeux que l’agent a sciemment violé l’obligation particulière de prudence ou de sécurité qui s’imposait à lui.

Cette exigence de preuve réduit considérablement la répression, puisqu’en pratique il est rare qu’une faute délibérée puisse être établie.

Si un chef d’entreprise demande expressément à ses salariés de ne pas utiliser un équipement de sécurité imposé par le règlement ou par la loi dans une situation déterminée, il fait ainsi la preuve qu’il sait que cet équipement est obligatoire et qu’il viole l’obligation.
Si l’agent ment sur le fait qu’il a respecté l’obligation qui s’imposait à lui, c’est qu’il a bien conscience qu’il devait le faire → on peut en déduire le caractère délibéré de sa faute s’il en a découlé un dommage.

La faute délibérée ne pourra être admise qu’en démontrant que l’agent était informé du danger et est passé outre les avertissements qui lui ont été faits.

Exemple : des skieurs qui descendent une piste interdite aux skieurs en raison d’un risque d’avalanches violent de manière consciente une obligation de prudence et de sécurité qui s’impose à eux ; si l’avalanche se réalise réellement, ils peuvent être poursuivis pour homicide ou violences involontaires aggravées.

Il faut déplorer quelques décisions qui semblent ignorer ces nuances et qui admettent l’existence d’un homicide ou de violences involontaires aggravées au motif qu’un chef d’entreprise est tenu de faire respecter la législation du travail dans son entreprise → il arrive que les juges raisonnent davantage in abstracto qu’in concreto.
Les juges peuvent avoir la tentation de considérer que la violation était nécessairement délibérée, parce que toute violation par un chef d’entreprise est nécessairement volontaire, dès lors qu’il ne peut pas prétendre avoir ignoré les obligations qui s’imposaient à lui.
Pour essayer de surmonter la difficulté de preuve du caractère manifestement délibéré de la faute, les magistrats finissent par présumer le caractère manifestement délibéré de la faute, en se montrant ainsi peu respectueux de la volonté du législateur.

2) La causalité de la faute délibérée

Lorsqu’un homicide ou des violences involontaires procèdent d’une faute délibérée, il suffit que le lien de causalité entre cette faute délibérée et l’atteinte à la vie ou l’intégrité physique d’autrui paraisse certain.

Contrairement à la solution applicable aux fautes ordinaires, le caractère indirect du lien de causalité ne fait donc pas obstacle à la répression.
Comme la faute caractérisée, la faute délibérée peut être punie indépendamment de sa plus ou moins grande proximité avec l’atteinte qu’elle a provoqué.

Le législateur admet cette extension du champ de la répression, qui résulte de l’article 121-3 alinéa 4.

Des difficultés d’interprétation se posent cependant :
Une fraction de la doctrine, qui voulait montrer que la réforme de l’an 2000 n’a pas de sens, a prétendu que le caractère délibéré de la faute constitue une circonstance aggravante pour l’auteur direct de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui + un élément constitutif de l’infraction reprochable à l’auteur indirect de cet acte.
La faute délibérée produirait donc des effets différents suivant le lien de causalité qui la rattache à l’atteinte.

En réalité, l’objectif de la loi du 10 juillet 2000 est d’aggraver la répression en toutes hypothèses lorsque la violation manifestement délibérée à une obligation particulière de prudence ou de sécurité peut être établie.
Ce que n’a pas vu la doctrine contestataire, c’est que :

  1. Si l’atteinte a été directement causée par une faute, alors l’auteur de cette faute peut être plus sévèrement sanctionné lorsqu’elle apparaît délibérée que si elle était simple ;
    → Il y a un effet aggravant lorsque le lien de causalité est direct.
  1. Si l’atteinte a été indirectement causée par une faute, l’auteur de cette faute peut être plus sévèrement sanctionné lorsqu’elle apparaît délibérée que si elle était caractérisée ;
    → Lorsque le lien de causalité est indirect, le caractère délibéré de la faute produit toujours son effet aggravant, et n’a pas en plus un effet d’expansion du champ de l’incrimination, parce que l’aggravation s’opère non par référence à la faute ordinaire mais par référence à une faute caractérisée qui a le même champ d’application que la faute délibérée.

La faute délibérée ne fait donc qu’aggraver la répression par rapport aux hypothèses de faute ordinaire en cas de causalité directe ou de faute caractérisée en cas de causalité indirecte sur lesquelles elle se greffe.

Conclusion :
Lorsque le législateur entend punir des infractions non intentionnelles (= des infractions qui requièrent la preuve d’une faute), un élément moral particulier est exceptionnellement requis.
Dans toutes les autres hypothèses, il se contente d’une intention
→ voir cours 14.

Cours 11 : Les causes de non-imputabilité

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Quand le juge pénal est saisi d’un fait, après avoir vérifié la réalité du fait en question, il doit s’assurer qu’il est imputable à la personne qui est suspectée de l’avoir commis.
⚠️ Il ne s’agit pas de savoir si le fait constitue une infraction ou si la personne est coupable, mais juste de vérifier que l’auteur était libre de le commettre et a compris ce qu’il faisait.

Le droit pénal est un droit optimiste : il présume l’homme intelligent et volontaire, dès lors qu’il est majeur.

C’est le postulat de toute intervention répressive, et cela semble évident.
Le législateur n’a jamais dit qu’on ne peut engager la responsabilité pénale que des individus doués d’intelligence et de volonté.
En réalité, cette règle d’évidence est sous-entendue, puisque le législateur admet dans les articles 122-1 et 122-2 du Code pénal que l’on engage pas sa responsabilité lorsque l’on est privé de son intelligence ou de sa volonté.

La présomption d’intelligence et de volonté est une présomption simple : c’est à celui qui se prétend irresponsable d’en rapporter la preuve.
Le droit pénal fait ici preuve de souplesse en permettant la prise en compte de situations inhabituelles dans lesquelles on agit sans comprendre ni voir ce que l’on fait.

§ 1. Le trouble affectant l’auteur des faits

A – La cause de non-imputabilité

L’article 122-1 du Code pénal s’intéresse à l’hypothèse dans laquelle l’auteur des faits est atteint d’un trouble particulier, d’une intensité suffisante pour qu’il soit fait échec à sa responsabilité pénale.

1) La nature du trouble

L’ancien Code pénal (jusqu’en 1994) parlait de démence (synonyme de folie).
Cette notion de démence, peu scientifique, est apparue trop imprécise.

Le nouveau Code pénal parle de “troubles psychiques ou neuropsychiques”, en retenant pour critère les effets produits par toute forme de maladie mentale.

Ce critère des effets est large, mais il est pertinent : l’essentiel est de savoir si les facultés intellectuelles de celui qui a agi étaient affectées au moment de l’acte.
L’origine du trouble n’est pas prise en compte.

L’appréciation du trouble est une question de fait, réalisée au cas par cas ; il n’y a pas, en droit pénal, de statut de fou qui empêcherait toute poursuite.
Le juge pénal n’est pas lié par les mesures de protection, de sauvegarde ou de tutelle décidées par le juge civil ; il lui appartient de vérifier, concrètement et dans chaque affaire, l’état de santé de l’agent au moment des faits.
→ L’irresponsabilité civile n’empêche pas la responsabilité pénale.

L’article 122-1 ne se contente pas d’évoquer un trouble abolissant le discernement de l’agent ; il mentionne aussi le trouble qui prive l’agent du contrôle de ses actes.
Le législateur a ici voulu réserver l’hypothèse d’un individu qui, tout en comprenant ce qu’il faisait, s’est trouvé par l’effet d’un trouble empêché de ne pas le faire.

2) L’intensité du trouble

Un trouble psychique ou neuropsychique ne fait obstacle à l’imputabilité que s’il a effectivement empêché l’agent de comprendre et de vouloir ce qu’il faisait.
→ L’acte accompli doit s’être réalisé à son insu.

L’alinéa 2 de l’article 122-1 ajoute qu’en cas de simple altération au discernement ou de simple entrave au contrôle de ses actes (≠ abolition), l’auteur des faits reste pénalement responsable.
Il peut tout au plus espérer une atténuation de peine, dont la loi impose désormais l’étendue au juge (article 122-2 : réduite d’un tiers, ou ramenée à 30 ans en cas de crime).
→ Lorsqu’elle n’est pas totale, la démence ne constitue pas une cause de non-imputabilité.

En cas de véritable abolition du discernement, la responsabilité pénale n’est pas envisageable : on ne peut pas reprocher à quelqu’un d’avoir fait quelque chose s’il ne s’est pas rendu compte de ce qu’il faisait.
Pour que le juge accorde le bénéfice de cette cause de non-imputabilité, il doit être convaincu que l’agent n’a pas pu s’empêcher d’agir comme il l’a fait ; cela reste donc exceptionnel.

Le juge apprécie souverainement l’existence du trouble et son intensité. S’il demande son avis à un psychiatre ou un expert, celui-ci ne peut que se prononce sur l’état présent de l’agent ; c’est au juge d’effectuer un jugement rétrospectif à partir des indices qui lui sont donnés par le pouvoir médical.

B – L’indifférence à la non-imputabilité des faits

Ces règles font désormais l’objet d’aménagements, parce que l’opinion publique aurait été émue par la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental dont a bénéficié un individu schizophrène dans l’affaire Halimi.
(Une vieille dame juive a été défenestrée par son voisin à l’occasion d’une crise de démence accentuée par la consommation de produits stupéfiants → affaire close par l’arrêt Crim., 14 avril 2021).

Certains ont soutenu que l’auteur des faits, même s’il se croyait possédé par le diable, devait être jugé parce qu’il a voulu agir de la sorte en consommant des stupéfiants à ces fins.
Idée : le caractère antisémite de son acte + consommation volontaire de stupéfiants = il aurait disposé de suffisamment d’intelligence pour engager sa responsabilité pénale.

Le raisonnement est contestable, parce qu’il revient à apprécier le discernement non au moment des faits, mais avant les faits.

La loi du 24 février 2022 atténue l’irresponsabilité pénale, en ajoutant 2 articles au Code pénal :

  1. L’article 122-1-1 dispose que « le 1er alinéa de l’article 122-1 (→ abolition du discernement) n’est pas applicable si l’abolition temporaire du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit résulte de ce que, dans un temps très voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ou d’en faciliter la commission”.
  1. L’article 122-1-2 dispose que “la diminution de peine prévue au second alinéa (→ simple altération du discernement) n’est pas applicable […] lorsque cette altération résulte d’une consommation volontaire de façon illicite ou manifestement excessive de substances psychoactives”.

Ces 2 textes font donc exception à la cause de non imputabilité + la cause d’atténuation de la peine.
Ils ont vocation à s’appliquer lorsque la perte ou la limite du contrôle des actes ont été provoqués volontairement par l’agent qui a consommé à cette fin des substances psychoactives.

Ces substances psychoactives ne sont pas définies par le législateur.
Les scientifiques y voient des substances qui agissent directement sur le cerveau, modifiant le comportement / l’humeur / la perception / l’activité mentale des personnes qui les consomment.
→ Le législateur a voulu envisager largement cette exception : prend en compte les stupéfiants, mais aussi le tabac et l’alcool.

Pour le législateur contemporain, la responsabilité pénale de l’auteur d’un acte peut donc être engagée alors même qu’au moment de cet acte, l’auteur n’a pas compris ce qu’il faisait ni voulu le faire, dès lors qu’il a préalablement consommé des substances psychoactives dans ce but.

Pour le législateur, l’intention de mal agir pourrait persister à travers le trouble mental ainsi provoqué.
Idée : le lien de causalité pouvant être établi entre la consommation de substances psychoactives et l’acte accompli suffirait pour oublier qu’au moment de l’acte l’agent ne savait pas ce qu’il faisait et n’avait pas la liberté nécessaire pour s’en abstenir.

L’hypothèse de l’article 122-1-2 (→ discernement seulement altéré) peut être admise, alors même qu’il n’est pas exigé que la consommation de produits stupéfiants ait été faite dans le but de commettre une infraction.
Idée : celui qui consomme des substances psychoactives prend le risque de passer plus facilement à l’acte et de commettre des infractions dont il a vocation à répondre, puisqu’il ne perd pas pour autant tout contrôle de ses sens.

Cependant, l’hypothèse de l’article 122-1-1 s’avère beaucoup plus critiquable : elle revient à punir l’auteur d’un fait non imputable en raison de sa faute antérieure.
Or, on a dit dès le départ que l’origine du trouble psychique ou neuropsychique ne compte pas : seul compte son effet.
Comment reprocher à quelqu’un d’avoir fait quelque chose qu’il n’a pas compris au moment où il l’a fait et n’a donc pas voulu faire ?

L’idée que l’auteur des faits aurait voulu, avant d’agir, le résultat de son acte, ne peut être suffisant ; en effet, l’hypothèse de l’article 121-1-1 semble impossible à vérifier en pratique, car le comportement d’un individu qui a perdu tout discernement ou tout contrôle de ses actes est par définition imprévisible.
Autrement dit : un individu peut avoir un projet d’infraction en tête au moment où il consomme une substance psychoactive, mais le risque qu’un tel projet se réalise alors que cette consommation a été telle que l’individu a perdu toute intelligence et toute volonté est potentiellement nul.
→ Il ne sera jamais possible d’établir le but que poursuivait l’agent au moment où il a consommé des produits stupéfiants.

L’erreur du législateur est de croire qu’il reste quelque chose de volontaire.
Or la volonté qui s’exprime alors n’a plus de dimension pénale, parce qu’elle n’est pas éclairée par l’intelligence et s’impose à l’agent du fait du trouble qui s’est emparé de lui :
on ne peut pas demander à quelqu’un de répondre d’un fait qu’il a accompli à son insu.
Il faut admettre qu’en cas d’abolition du discernement ou de perte de contrôle de ses actes, l’acte accompli est le fruit des circonstances : le lien entre l’avant et l’après s’avère indémontrable.

Il semble dommage que le législateur ait voulu remettre en cause une jurisprudence millénaire par un texte de toute manière inapplicable.

De plus, la loi pénale plus sévère n’étant pas rétroactive, cette évolution ne change rien pour l’agresseur de Mme Halimi…
Elle a vocation à s’appliquer pour l’avenir, mais les conditions ne seront sans doute pas réunies.

Nous vivons dans une société à risques. Nous ne sommes pas garantis de ne pas être confrontés un jour à un malade mental – ce n’est pas le rôle du droit de nous protéger de ce genre de situations.
Cette loi est donc malheureuse : elle n’aurait pas dû exister, même si en pratique elle ne remet pas véritablement en cause la non-imputabilité.

§ 2. La pression exercée sur l’auteur des faits

De façon toute aussi exceptionnelle, le législateur reconnaît qu’un individu peut n’avoir pas voulu l’acte qu’il a accompli.

L’article 122-2 du Code pénal dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister« .
Cela empêche le juge d’examiner la question de la responsabilité pénale d’un individu qui est sain d’esprit et qui a été obligé d’agir sans pouvoir se conformer à la loi.

Cet individu apparaît étranger à son acte, qu’il a matériellement accompli, mais dont il n’a pas pris moralement l’initiative.
Idée : l’individu a compris la signification de son acte, mais il n’a pas choisi de le réaliser. Sa liberté ayant disparu, on considère qu’il n’a pas à répondre de son acte.

A – Les formes de la pression

L’article 122-2 du Code pénal semble introduire une nuance entre force et contrainte.

1) La force

La force est ici une pression extérieure à l’agent.
Elle peut être une pression physique (lorsqu’elle s’exerce sur le corps de l’agent → naturelle, animale, ou humaine) ou morale.

Exemple : dans le cadre d’une infraction de non-assistance à personne en péril, si la victime était naturellement inaccessible, parce que son chien interdisait à quiconque de s’en approcher.
Exemple : si l’on rédige un faux document alors qu’on a un pistolet sur notre temps.

2) La contrainte

À la différence de la force, la contrainte est une pression interne propre à l’agent, qui le prive de sa liberté d’action.
À priori, cette pression peut être aussi bien physique que morale. Toutefois, si l’on conçoit bien la contrainte physique, on a du mal à concevoir la contrainte morale.

Exemple de contrainte physique : dommage causé à autrui, alors que son auteur était victime de somnambulisme ou d’une attaque cardiaque.

La contrainte morale est plus difficile à caractériser. On ne voit pas vraiment en quoi elle pourrait consister → la contrainte ne peut donc être que physique.

B – Les caractères de la pression

Peu importe son effet, seules comptent ses conséquences : l’agent n’a pas pu y résister.
La jurisprudence se montre particulièrement exigeante dans l’appréciation du caractère irrésistible que doit présenter cette pression pour rendre non imputable le fait poursuivi.

La pression doit s’être révélée “invincible et imprévisible”.
C’est seulement à cette double condition qu’on peut dire que l’agent a accompli un acte qu’il n’a pas voulu.

1) L’invincibilité de la pression

Invincible = insurmontable.

La pression doit avoir été telle que l’agent fut privé de toute possibilité de choix.
Idée : il n’a pas voulu l’acte qu’il a commis, mais il l’a subi.

Les exemples sont rares.
Exemple : un individu en parfaite santé au volant de sa voiture qui, pris d’une crise cardiaque, percute un passant.

Cette pression invincible ne peut concerner que des éléments exceptionnels.
Peu importe les difficultés que peut rencontrer un individu à satisfaire ses obligations légales, tant qu’elles ne sont pas insurmontables, elles n’empêchent pas l’imputabilité des faits à leurs auteurs.

2) L’imprévisibilité de la pression

Pour que le fait soit déclaré non imputable, il faut établir que l’agent ne pouvait se douter de ce qu’il allait se passer.
Idée : l’agent anticipant sur son comportement à venir aurait dû faire en sorte que le dommage qui en ait résulté ne survienne pas.

Exemple : le conducteur d’un véhicule qui se sait cardiaque et qui accepte en connaissance de cause de prendre le volant, au risque d’être victime d’une attaque au moment où il conduit, est privé du bénéfice de cette cause de non-imputabilité.

La Cour de cassation estime qu’une cause de non-imputabilité doit être refusée lorsque l’auteur d’un fait s’est lui-même placé dans la situation d’avoir à subir une pression invincible.

Ce raisonnement a été développé à l’origine dans l’affaire du petit Trimatin :
Un mousse s’était engagé dans la marine militaire et s’enivrait à chaque fois que le bâtiment rejoignait un port. Il a été interpellé par la police du port et placé en geôle de dégrisement, sauf qu’au petit matin, le bateau est reparti et il a été poursuivi pour désertion.
Il s’est défendu en disant qu’il n’avait pas voulu déserter, qu’une pression invincible s’était exercée sur lui.

Dans un arrêt de principe de 1921, la Cour de cassation l’a déchu du droit d’invoquer cette clause d’imputabilité, dès lors qu’il s’était enivré, prenant ainsi le risque de ne pas être présent le lendemain matin au moment de l’appel.

L’importation de cette règle civiliste prête à discussion en matière pénale. En effet, le caractère imprévisible de la force ou de la contrainte n’est pas requis par l’article 122-2 du Code pénal, qui n’évoque qu’une pression « irrésistible ».
Il faudrait considérer qu’en 1992, en ne reprenant pas à son compte cette exigence dégagée par la Cour de cassation, le législateur l’a implicitement condamnée.

Ce n’est pas parce qu’une faute antérieure est désormais de nature à exclure l’irresponsabilité pénale en cas d’abolition du discernement ou de perte du contrôle des actes, que la même solution doit être maintenue en matière de force et de contrainte.

On peut donc considérer que les juges répressifs statuent contra legem dans de telles hypothèses.
De toute évidence, cette jurisprudence est trop sévère et elle mériterait d’évoluer – même si l’air du temps n’est pas à l’impunité pénale…

Cours 10 : Le résultat du comportement incriminé

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit pénal général (L2).

§ 1. La notion de résultat pénal

La notion de résultat joue un rôle essentiel en droit pénal, mais il est difficile de la cerner.

A – La place du résultat dans la théorie de l’infraction

On parle parfois de “résultat de l’infraction”, mais cette expression est impropre.
Le résultat peut jouer un rôle dans la définition d’une infraction, mais ce qui est envisagé, c’est moins le résultat de l’infraction elle-même que le résultat du comportement incriminé à ce titre.

Cette mise au point permet une simplification : il faut utiliser le concept de résultat dans son sens ordinaire, en envisageant la suite logique du comportement incriminé.

2 questions se posent :

  1. Toutes les infractions impliquent-elles que le comportement incriminé ait produit un résultat particulier ?
  1. Parmi celles qui impliquent la production d’un résultat, toutes supposent-elles que la preuve de son obtention soit rapportées ?

1) Le critère tiré de l’absence de proximité du comportement incriminé avec un résultat donné

Certains comportements sont, de manière exceptionnelle, sanctionnés pour eux-mêmes, indépendamment de la preuve de production d’un résultat déterminé, parce qu’ils semblent intrinsèquement dangereux.
→ Il sont érigés en infraction obstacle (= absence de proximité avec un résultat donné).

Idée : une sanction rapide de tels comportements s’impose, pour faire obstacle à la commission d’infractions plus graves.

En législation, on distingue 2 types d’infractions obstacle, selon que le risque d’infraction future a été plus ou moins identifié par le législateur.

  1. Les infractions obstacle indéterminées tendent à prévenir la commission d’une ou plusieurs infractions ultérieures qui restent encore à déterminer.
    Elles correspondent le plus souvent à des comportements positifs incriminés pour eux-mêmes.

    Par exemple, la conduite en état d’ivresse est pénalement réprimée sans attendre que le chauffeur ne se rende coupable d’homicide involontaire, peu importe s’il ne commet aucun accident.

  1. Lorsque le risque d’infraction future a clairement été envisagé par le législateur, ces infractions obstacle restent éloignées du résultat qu’il s’agit de prévenir.
    Objectif : sanctionner uniquement les actes préparatoires d’une infraction future, dont la réalisation est hypothétique.

    Par exemple, l’article 450-1 du Code pénal définit le délit d’association de malfaiteurs comme la “participation à tout groupement formé en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement”.
    Le législateur a voulu donner au juge le moyen de prévenir la commission des infractions qui sont préparées au sein du groupement.

Ces infractions se caractérisent ainsi par un lien assez large entre le comportement incriminé et un résultat à venir (soit pas déterminé, soit pas certain).

2) Le critère tiré de la proximité avec un résultat redouté

La plupart des comportements incriminés le sont parce que le législateur redoute un résultat déterminé susceptible de troubler l’ordre public.
Mais toutes les infractions définies à raison de leur proximité avec un résultat déterminé ne sont pas soumises au même régime :

La plupart du temps, la consommation de l’infraction suppose de rapporter l’obtention du résultat redouté par le législateur → infraction matérielle.
Parfois, la consommation de l’infraction est indifférente de savoir si le résultat redouté s’est effectivement produit ou pas → infraction formelle.

Lorsque l’infraction est matérielle, son texte d’incrimination exige la preuve de l’obtention du résultat redouté par le législateur.
Les infractions matérielles se consomment par la production du résultat redouté.
▶️ Par exemple, en matière de violences, l’infraction n’est constituée que si le juge parvient à établir que le comportement violent de l’agent a effectivement entraîné une atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui (il ne suffit pas de démontrer qu’il y avait un comportement violent).

Lorsque l’infraction est formelle, il suffit que le comportement incriminé ait été en mesure de produire le résultat redouté par le texte d’incrimination.
La consommation des infractions formelles ne dépend pas de l’obtention du résultat. Elles se rapprochent donc des infractions obstacle : seul un comportement est incriminé, mais ce comportement doit être de nature à provoquer le résultat redouté par le législateur.
▶️ Par exemple, le délit d’appel téléphonique malveillant est un délit formel, constitué au seul constat que des appels téléphoniques malveillants ont été adressés (il n’est pas nécessaire de démonter en plus que la tranquillité a été troublée).

B – L’enjeu du résultat dans la théorie de l’infraction

La distinction entre ces 3 catégories d’infraction (matérielle, formelle, obstacle) produit des conséquences sur le terrain des peines.

Pour les infractions matérielles, un même comportement est parfois sanctionné différemment compte tenu de la gravité du résultat qui l’a provoqué.
La preuve de l’obtention de ce résultat devant être rapportée, son étendue peut ensuite être facilement utilisée pour influer sur la répression.
Par exemple, il existe plusieurs infractions de violence, en fonction de la gravité du résultat souffert par autrui.

Pour les infractions formelles, on ne peut pas concevoir une échelle des peines en fonction de la gravité réelle d’un résultat dont l’obtention n’a pas à être démontrée.
Seul le comportement est pris en compte.

Au-delà de cette question de répression, la prise en compte du résultat pénal produit des effets en ce qui concerne la preuve de l’infraction et le moment de sa consommation.
Lorsqu’un résultat est requis, il est plus facile d’établir l’infraction et de la localiser.

1) La preuve de l’infraction

La nécessité d’établir l’obtention du résultat redouté facilite la preuve des infractions matérielles.
Dès lors que l’infraction est établie, les magistrats admettent que l’auteur du fait causal a nécessairement eu le comportement requis par le texte d’incrimination.
Cela explique le peu de précision donné quant à la matérialité des violences ou du meurtre : ici, le comportement importe moins que son résultat.
Par exemple, l’atteinte portée à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui suffit à caractériser le meurtre au plan matériel.

Au contraire, s’agissant des infractions formelles, le juge ne peut pas se contenter de faire référence à un résultat qui parlerait de lui-même.
Par définition, la preuve de l’obtention de ce résultat n’a pas à être rapportée.
Le juge doit établir la vérité du comportement censé engendrer le résultat redouté, donc le législateur est contrainte de se montrer plus rigoureux.

Par exemple, l’article 221-1 du Code pénal incrimine le meurtre et l’article 221-5 incrimine l’empoisonnement.
Ce sont 2 infractions très proches (un homicide volontaire = un acte positif qui cause la mort d’autrui), mais ils ne sont pas rédigés de la même façon :

  • Le meurtre, infraction matérielle, est défini sommairement que le seul fait de donner volontairement la mort à autrui.
    → Ne précise pas le moyen dont la mort est donnée.
  • L’empoisonnement, infraction formelle, est défini comme l’administration d’une substance mortifère → plus précis.

Lorsque l’infraction est une infraction de comportement, l’effort pour prouver la réalité du comportement incriminé est plus important, parce qu’il ne peut pas s’appuyer sur un élément extérieur.

2) Le moment de l’infraction

Une infraction matérielle est consommée lorsque le comportement incriminé a produit le comportement redouté par le législateur.
C’est à cet instant qu’il faut se placer pour localiser dans le temps l’infraction.

Par exemple, si on donne des coups mortels à autrui, la victime va mourir, mais pas forcément instantanément.
Cette infraction de meurtre sera localisée au jour du décès, et non au jour où les coups ont été portés.

Par exemple, il a été jugé qu’il ne peut pas y avoir homicide involontaire d’un enfant avant sa naissance.
L’homicide involontaire est une infraction matérielle – il faut constater la mort d’autrui.
Si l’enfant naît puis meurt quelques instants plus tard, il peut y avoir infraction. Si l’enfant ne naît pas, il ne peut pas y avoir infraction.

Le moment où se produit le résultat redouté détermine le régime juridique applicable à l’infraction matérielle.
Le moment où l’infraction existe = le point de départ du délai de prescription + permet de déterminer la loi qui lui est applicable + permet de savoir si un droit d’amnistie est applicable.

Inversement, lorsque l’infraction est formelle ou obstacle, l’obtention du résultat redouté par le législateur (pour peu qu’il puisse être déterminé) est indifférente.
L’obtention de ce résultat ne permet pas de localiser les infractions formelles ou obstacle ; elles sont entièrement consommées au jour où le comportement a lieu.
La loi applicable est celle en vigueur au jour où le comportement a incriminé a été accompli.

On localise l’infraction formelle ou obstacle au moment où le comportement a cessé de se produire, peu importe que la preuve de l’obtention du résultat redouté par le législateur puisse être rapportée.

§ 2. L’origine du résultat pénal

On ne peut reprocher à autrui qu’un résultat en rapport avec son comportement.

Si le juge constate une modification de la réalité qui pourrait être due à une infraction, le juge doit commencer par identifier l’action humaine qui l’a provoquée → il part du résultat pour remonter jusqu’à l’auteur de l’acte qui l’a produit.

La causalité doit être certaine entre le résultat et l’acte qui en serait à l’origine.

En principe, le lien de causalité est nécessairement certain pour être direct ; en revanche, il n’a pas besoin d’être exclusif, ni même immédiat.

A – Le caractère direct de principe de la causalité pénale

Il semble acquis que le causalité en matière pénale doit être directe, mais le législateur n’a jamais défini en quoi consiste une “causalité directe”.
Il s’agit d’une exigence de principe en matière pénale ; ponctuellement, une causalité indirecte est admise.

1) La définition de la causalité directe

Exiger un lien de causalité direct entre un comportement et un résultat redouté peut laisser croire que le comportement et le résultat doivent se situer dans un rapport de proximité tel qu’un événement intermédiaire ne les sépare pas.

La causalité serait donc directe lorsque l’auteur du comportement incriminé est lui-même en mesure de produire le résultat redouté.
C’est le cas lorsqu’il l’a produit de ses propres mains, ou à l’aide d’un instrument quelconque.
Cela évoque une théorie très restrictive de la causalité : la théorie de la causa proxima (idée : peut être considéré comme cause directe de la production du résultat redouté l’élément le plus proche).

Cette théorie est simple, mais elle paraît trop restrictive.
Les juges répressifs considèrent que la causalité reste directe dès lors que, sans être proche, elle s’avère efficiente, c’est-à-dire apte à produire le résultat redouté.
Les juges répressifs privilégient la théorie de la causalité adéquate sur la théorie de la causa proxima.
La causalité reste directe entre un comportement et le résultat redouté par le législateur, même si ce comportement n’est pas le plus proche, dès lors qu’il apparaît apte à produire ce résultat.

Par exemple, les infractions aux règles d’hygiène et de sécurité dans l’entreprise sont directement reprochées au chef d’entreprise, alors qu’elles sont souvent révélées par le fait de l’un de ses salariés.
Idée : il importe au chef d’entreprise de veiller à ce que ces règles s’appliquent correctement pour que la santé des salariés ne soit pas menacée.
La faute d’organisation et de surveillance du chef d’entreprise est considérée comme cause directe du résultat produit, alors que souvent il n’aurait pas été révélé sans le comportement imprudent ou négligent d’un salarié (mais ça n’est pas au salarié d’assumer la responsabilité pénale de l’application de la loi dans l’entreprise).

Au contraire, créer les circonstances qui permettront la production du résultat par autrui n’est pas réprimé : il n’existe qu’un lien de causalité indirect, qui est en principe trop lâche pour engager la responsabilité de l’auteur de l’acte.
Mais ponctuellement, il est dérogé à cette exigence de causalité directe :

2) Les dérogations à la causalité directe

Ces dérogations ne sont légitimes qu’à partir du moment où elles sont posées par la loi.
Exceptionnellement, en matière d’infractions intentionnelles, le législateur permet d’incriminer non seulement celui qui fait quelque chose, mais aussi celui qui fait faire quelque chose → on remonte dans l’échelle des causes, ce qui permet d’engager la responsabilité pénale d’un auteur indirect.

Par exemple, dans le cadre de la répression des crimes contre l’humanité, l’article 211 du Code pénal assimile celui qui fait commettre le crime de génocide à celui qui le commet.

→ Lorsque la loi le prévoit, cette causalité indirecte peut être admise en matière d’infractions intentionnelles.

En matière d’infractions non intentionnelles, la technique utilisée pour étendre le lien de causalité est celle de l’article 121-3 du Code pénal : on peut engager la responsabilité d’un individu qui, par sa faute délibérée ou caractérisée, “a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation d’un dommage”.

La causalité doit donc en principe être directe en matière pénale, même si quelques exceptions sont admises en matière pénale.

B – Les caractères indifférents de la causalité pénale

Si la causalité pénale doit en principe être directe, elle n’a pas à être exclusive, ni même immédiate.

1) Le caractère non exclusif de la causalité pénale

La causalité pénale peut être envisagée largement, parce qu’elle n’a pas à être exclusive.
Lorsque plusieurs personnes ont contribué à la production du même résultat = cumul de faits à l’origine d’un même résultat. Ce cumul n’est pas un obstacle à la sanction des différentes infractions qui pourront être caractérisées.

Lorsque 2 personnes s’acharnent à donner des coups mortels à une 3ème personne qui en décède, elles sont toutes deux auteurs de l’acte.
La responsabilité de l’une ne réduit pas la responsabilité de l’autre.
Il n’y a pas de partage de la responsabilité pénale, contrairement à la responsabilité civile : chacun répond de son fait comme s’il en était le seul auteur.

2) Le caractère non immédiat de la causalité pénale

Ici, on n’apprécie pas le lien de causalité entre un comportement et le résultat qu’il occasionne, mais entre l’atteinte résultant aussitôt de ce comportement et ses conséquences finales alors que l’atteinte est susceptible de s’aggraver.

A priori, on peut imaginer que la faute imputée à l’auteur d’une faute est l’élément moral de l’infraction. Si l’infraction est intentionnelle, son résultat est voulu, donc l’auteur ne devrait répondre que du résultat immédiat qu’il a pu avoir en tête.

Les magistrats ne raisonnent pas ainsi. Ils considèrent que, pour les infractions intentionnelles et non intentionnelles, il faut raisonner par rapport au résultat final.
→ Principe : le lien de causalité en matière pénale n’a pas à être immédiat.

Peu importe donc le caractère imprévisible du résultat final.
Peu importe si ce résultat tient au comportement de la victime, qui aurait aggravé par sa propre faute l’atteinte qui lui aurait été causée, ou à des prédispositions de la victime.
L’agent doit répondre du résultat final, et non du résultat immédiat qu’il a occasionné.

Cette règle connaît 2 exceptions :

  1. Une atténuation légale : les coups ayant entraîné la mort d’autrui sans intention de la donner.
    Le législateur distingue cette infraction du meurtre et renonce à imputer le résultat final : il accepte que l’auteur des coups ne réponde que du dommage qu’il a immédiatement causé.
  1. Une atténuation jurisprudentielle, qui réserve une place à la cause étrangère.
    Lorsque le dommage final est aggravé par une cause étrangère, on renonce à en faire le reproche à l’auteur de l’infraction.

    Par exemple, si la victime d’un coup de couteau est conduite à l’hôpital où elle décède à la suite d’une défaillance d’un appareil de réanimation, on accepte que l’auteur ne réponde que des violences, et non de meurtre.
    Idée : cette défaillance d’un appareil de réanimation est une cause étrangère, qui a aggravé le dommage causé ; la victime n’aurait jamais dû décéder si cet accident ne s’était pas produit.

    Les magistrats acceptent que la cause étrangère rompe le lien de causalité entre le comportement de l’agent et le dommage final dont ils constatent la réalisation.
    Cette hypothèse reste exceptionnelle : il est rare qu’un évènement soit totalement étranger à celui qui a provoqué un dommage.
    La plupart du temps, un lien de causalité est établi dès lors qu’il est certain : il suffit d’engager la responsabilité pénale de celui qui, par son action ou son abstention, a produit le résultat redouté par le législateur.

Cours 9 : Le fait matérialisant l’infraction

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit pénal général (L2).

Objectif de ce cours : présenter le fait pénal qui est à l’origine de la saisine du juge + le raisonnement que celui-ci peut mettre en oeuvre pour caractériser une infraction.

Dans le processus qui mène à la commission d’une infraction, on distingue schématiquement plusieurs étapes.
La première, celle où l’agent décide de commettre l’infraction, échappe au droit : cela relève de son for intérieur.

Même si elle est déjà connue à ce stade, la dangerosité de l’agent n’autorise pas encore la société à prendre une sanction contre lui.
💡 Peu importe s’il a déclaré vouloir commettre une infraction, puisqu’on ne peut pas être sûr qu’il mettra son projet à exécution.

→ Le droit pénal suppose un passage à l’acte.
Il faut que la décision de commettre une infraction soit mise à exécution, qu’elle trouble l’ordre public et qu’elle appelle à ce titre au prononcé d’une sanction particulière.
Autrement dit : il n’y a de responsabilité pénale que sur la base d’un comportement humain extériorisé.

Mais la loi pénale prend en compte les faits les plus variés : il faut donc classer les différentes infractions en fonction de leur forme et de leur durée pour faciliter la détermination du régime auquel elles peuvent être soumises.

§ 1. La forme des comportements incriminés

Infractions de commission ≠ infractions d’omission.
Infractions simples ≠ infractions composites.

A – Les infractions de commission ou d’omission

Il y a infraction de commission lorsque le comportement incriminé est un comportement positif = une action.
Il y a
infraction d’omission lorsque le comportement incriminé est un comportement passif = une omission.

La plupart des infractions sont des infractions de commission.

1) Le choix du législateur, nécessairement légitime au regard du principe de légalité

La plupart des infractions sont intentionnelles : elles sont sanctionnées parce qu’une volonté coupable s’est extériorisée dans un fait.
→ Ce sont essentiellement des actes positifs qui furent incriminés à l’origine.

Au 19ème siècle, l’abstention était considérée comme ambiguë : on considérait qu’il était difficile de reconnaître une intention coupable chez quelqu’un resté passif.
L’évocation de la matérialité d’une abstention semblait impensable, parce qu’en reconnaissant ainsi une portée normative au droit pénal, on craignait d’imposer pour l’avenir un comportement déterminé, qui porterait atteinte à la liberté individuelle.

Ces objections ont peu à peu été surmontées. Aujourd’hui, l’abstention n’est plus dépourvue de toute matérialité ; elle est simplement extérieure au comportement reproché.
Elle peut s’apprécier par rapport à l’environnement qui n’a pas été modifié comme il l’aurait dû l’être si l’agent avait agi correctement.

À ce titre, l’abstention aussi est susceptible d’une appréciation objective, compte tenu notamment du résultat auquel elle aboutit.
Exemple : si un parent s’abstient indûment de rendre un enfant à une autre personne qui était en droit de le réclamer → non représentation d’enfant.

Le droit pénal, lorsqu’il sanctionne une abstention, n’a pas de portée normative.
L’obligation d’agir est extérieure au droit pénal ; elle découle d’une autre branche du droit (ou du droit naturel), et elle est dépourvue de toute généralité. Elle ne s’impose que dans l’hypothèse ultime décrite dans le texte d’incrimination.
Exemple : cette obligation de représenter l’enfant à la personne qui est en droit de le réclamer n’est pas posée par le droit pénal.

Dans d’autres hypothèses, il est plus délicat d’identifier l’obligation qui imposait d’agir et dont la méconnaissance est sanctionnée pénalement, parce qu’elle n’est pas écrite.
Cette obligation est extérieure au droit pénal (ce n’est pas le droit pénal qui commande d’agir).

Exemple : délit de non-assistance à personne en péril.
Si l’on constate qu’autrui est en danger et que l’on peut faire quelque chose, on doit agir immédiatement ; si l’on intervient pas, on commet une infraction pénale ; mais ça n’est pas le droit pénal qui nous commande d’agir, c’est notre conscience.
→ Obligation naturelle qui s’impose à chacun, dont la violation est pénalement sanctionnée.

Depuis ~50 ans, un nombre important d’infractions d’omission ont été instituées dans le droit pénal des affaires. Il est devenu aujourd’hui banal de constater que de simples abstentions peuvent être sanctionnées pénalement.

On notera aussi que certains textes n’indiquent pas clairement s’ils incriminent une action ou une abstention : ils se contentent de promettre une sanction à celui qui produira un résultat déterminé.
→ L’infraction peut alors être aussi bien une commission qu’une omission.

On retrouve cela particulièrement en matière d’homicide et de violences involontaires, qui sont des infractions très peu définies.

2) L’office du juge, nécessairement illégitime au regard du principe de légalité

Au 19ème siècle, afin de répondre aux nécessités de la répression, une partie de la doctrine développa la théorie des infractions de commission par omission (oxymore), qui invite les juges à réprimer les abstentions les plus dommageables, en les assimilant aux comportements de commission les plus proches.

Certains juges n’ont pas hésité à la faire, comme par exemple dans la célèbre affaire de la séquestrée de Poitiers.
Un frère avait laissé sans soins sa sœur infirme et atteinte de déficiences mentales. À l’époque, il n’y avait aucun texte qui réprimait le fait de priver de soins autrui ou de s’abstenir de venir au secours d’autrui.
Le ministère public a estimé qu’il fallait agir, et a poursuivi le frère devant le tribunal correctionnel pour violences (→ une infraction de commission). Le tribunal correctionnel l’a condamné, en feignant d’ignorer que les violences sont une infraction de commission.
La condamnation est ensuite réformée en appel : la cour d’appel rappelle qu’il n’appartient pas au juge d’assimiler une abstention à l’action produisant le même résultat.

Il n’appartient donc pas au magistrat de raisonner par analogie afin d’étendre le champ d’application d’un texte au mépris du principe de légalité : seul le législateur peut incriminer une abstention.
Il l’a fait ensuite en 1941 pour incriminer la non-assistance à personne en péril.

En réalité, la tentation du juge existe toujours : la jurisprudence assimile parfois certaines abstentions à des actions, lorsque les circonstances de fait démontrent qu’un individu s’est dispensé d’agir en acceptant le résultat qui devait en tolérer.

La Cour de cassation elle-même le tolère.
Par exemple, elle a assimilé le fait de ne pas rendre quelque chose à un acte de soustraction constitutif de vol.
Or, le vol est défini comme la soustraction de la chose d’autrui, il suppose une action → c’est une infraction de commission. Dès lors, la Cour de cassation ne devrait pas autoriser les juges du fond à assimiler l’abstention de celui qui ne restitue pas à celui qui enlève le bien d’autrui (même si le résultat est le même).
→ Cette liberté que se reconnaît la Cour de cassation est contraire au principe de légalité.

Il ne s’agit pas d’un exemple isolé : en matière d’escroquerie, elle assimile certains silences aux mensonges requis par l’article 313-3 du Code pénal, qui incrimine l’escroquerie.
De même, elle a déjà jugé que celui qui s’est abstenu de déclarer qu’il a retrouvé un travail alors qu’il perçoit les allocations chômage commet une escroquerie au préjudice de l’assurance chômage, comme s’il avait expressément menti en se déclarant sans emploi pour les toucher.

Le juge raisonne ici par analogie, en étendant le champ d’une incrimination bien au-delà de ce que le législateur envisageait.
Idée : dès lors que l’agent disposait du pouvoir d’agir, son abstention peut être assimilée à une action.
Ce raisonnement est inacceptable en droit pénal, compte tenu du principe de légalité.

B – Les infractions simples ou composites

Les infractions simples sont qualifiées ainsi parce qu’elle ne requièrent l’accomplissement par l’agent que d’un seul acte.
Les infractions composites supposent l’exécution par l’agent de plusieurs actes au termes desquelles l’infraction est consommée.

Enjeu : localisation dans le temps et dans l’espace de ces infractions.
Une infraction simple est commise à l’endroit et au moment où l’acte d’exécution est réalisé.

Une infraction composite n’est consommée qu’à partir du moment où tous les actes d’exécution ont été réalisés.
Elle est susceptible d’être constatée au ressort de chaque juridiction où l’un de ses actes d’exécution a pu être commis.
→ Elle existe dans le temps au moment du dernier acte d’exécution, mais dans l’espace partout où des actes d’exécution sont constatés.

Il existerait 2 catégories d’infractions composites : les infractions complexes et les infractions d’habitude ; mais une telle catégorisation semble artificielle.

1) Les infractions complexes

L’infraction complexe est fréquemment définie comme une infraction constituée de plusieurs faits distincts et consécutifs, globalement imputables à la même personne.

Mais une telle catégorie d’infractions existe-t-elle réellement ?
Le principal exemple donné par la doctrine est l’escroquerie, mais elle répond assez mal à cette définition.
L’escroquerie est constituée lorsqu’un mensonge qualifié, ou un mensonge simple doublé de mesures frauduleuses, pousse autrui à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque.
Pour une partie de la doctrine, l’escroquerie est une infraction complexe, parce qu’elle requiert un mensonge + une remise.
Mais cette remise ne se dissocie pas du mensonge : elle ne constitue pas un second acte accompli par l’agent qui s’ajouterait au premier ; c’est un acte accompli par la victime, qui est extérieur au comportement délictueux.

Une autre fraction de la doctrine soutient que la complexité de l’escroquerie peut se déduire du fait que le mensonge, lorsqu’il est simple, doit être corroboré par des manœuvres.
Mais l’escroquerie doit être envisagée de façon unitaire : elle ne suppose pas plusieurs tromperies.

2) Les infractions d’habitude

Les infractions d’habitude sont caractérisées par plusieurs faits identiques accomplis successivement par la même personne.
⚠️ Il ne s’agit pas de plusieurs faits distincts : ils s’articulent les uns avec les autres pour produire un résultat déterminé.
Le comportement en question ne tombe sous le coup de la loi pénale qu’à raison de cette répétition.

Par exemple : l’exercice non autorisé d’une profession règlementée.
Accomplir une fois des actes médicaux quand on ne dispose pas des qualifications requises n’est pas une infraction (il est possible d’être obligé d’apporter les premiers soins à quelqu’un), mais si on le fait plusieurs fois, cela constitue une infraction.

L’infraction d’habitude se consomme instantanément au jour du dernier acte constitutif de l’habitude.

💡
La date de la consommation de l’infraction est importante, parce que c’est le jour auquel se place le juge pour déterminer les règles applicables.

§ 2. La durée des comportements incriminés

L’infraction s’analyse dans le temps soit comme une infraction instantanée, soit comme une infraction continue.
Cette distinction témoigne du fait que la réunion de tous les éléments constitutifs d’une infraction peut ne durer qu’un instant, ou au contraire se prolonger dans le temps.

A – La distinction entre infractions instantanées et continues

L’infraction instantanée est localisée au moment où elle est commise.
L’
infraction continue est localisée au moment où l’activité illicite prend fin.
C’est à ce moment-là que l’on se place pour faire courir le délai de prescription, pour contrôler une potentielle amnistie…

C’est la durée de sa consommation qui permet d’attribuer à l’infraction un caractère instantané ou continu.
Cette qualification est attribuée abstraitement : elle ne dépend pas d’une appréciation concrète des circonstances ; seule la structure générale du comportement incriminé est pris en compte.
Idée : vérifier si le législateur a entendu punir un acte ou une activité.

Lorsque l’infraction est instantanée, sa consommation est la réunion de ses éléments constitutifs : l’acte est accompli et la volonté de son auteur s’épuise immédiatement.
Le vol constitue une infraction instantanée, parce que la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui est réalisée instantanément (peu importe le temps passé à forcer le coffre-fort…).

Lorsque l’infraction est continue, sa consommation se prolonge dans le temps. La réunion des éléments constitutifs du comportement perdure.
Une infraction continue suppose la persistence de l’infraction dans sa double dimension matérielle et morale.
Par exemple, le fait de soumettre une personne vulnérable à des conditions incompatibles avec le respect de la dignité humaine constitue par nature une infraction continue, peu importe la durée de l’hébergement.

B – Les classifications dérivées

1) Les infractions permanentes

La catégorie des infractions permanentes peut être définie aisément, mais elle ne sert à rien.
Elle est le résultat d’une proposition doctrinale qui n’a jamais été reprise par la Cour de cassation.

Les infractions permanentes sont les infractions dont les effets se poursuivent dans le temps par la seule force des choses, alors que l’infraction a déjà été consommée.
Le trouble à l’ordre public posé par l’infraction peut toujours être constaté, mais l’acte ou l’activité qui a généré ce trouble a cessé.

Par exemple, le fait de rendre public un message diffamatoire sur internet constitue un délit.
L’infraction de diffamation publique est une infraction instantanée, qui est consommée par l’acte de publication : peu importe que le message reste ensuite à la disposition du public.
L’abstention de celui qui ne supprime pas le message diffamatoire ne peut pas être assimilé à l’action de celui qui l’a publié. La diffamation en tant qu’infraction instantanée cesse au moment même de l’acte de publication.

Aucune conséquence juridique ne peut être tirée du prolongement des effets d’une infraction dans le temps. Ces effets se produisent par la force des choses, et non pas parce que le comportement incriminé se prolonge.
Ils sont postérieurs à la consommation de l’infraction ; ils ne font pas partie de ses éléments constitutifs.

Parler d’infraction permanente ne sert donc à rien, puisqu’on ne peut en tirer aucune conséquence juridique.

2) Les infractions clandestines

La Cour de cassation a affirmé que lorsque l’infraction a été dissimulée, elle doit être localisée dans le temps au jour où elle est apparue dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.
Elle laisse entendre que la consommation de l’infraction peut être reportée au jour où elle est effectivement apparue dans des conditions permettant sa poursuite.

Cette solution est néanmoins contestable, parce que la consommation de l’infraction instantanée ne s’est pas poursuivie jusqu’au jour où elle a été découverte dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.
La Cour de cassation dénature donc les infractions, en leur attribuant une durée fondée non pas sur leurs éléments constitutifs, mais sur l’aptitude de l’autorité de poursuite à les découvrir.

Cette solution n’était pas satisfaisante, le législateur a donc dû intervenir : la loi du 27 février 2017 réforme la prescription de l’action publique.
Désormais, l’article 9-1 du Code de procédure pénale dispose que, par dérogation aux articles qui précèdent qui disposent que le délai de prescription court à compter de la consommation de l’infraction, le délai de prescription de l’action publique de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’action publique.

Une telle solution est pertinente. Elle semble consacrer la jurisprudence antérieure, mais elle opère en réalité uniquement sur la forme.
Le législateur ne dit pas que l’infraction se prolonge dans le temps, mais dissocie juste la question de la consommation de l’infraction de celle du point de départ du délai de prescription.

Cours 8 : L’application des règles pénales de forme dans le temps

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit pénal général (L2).

Par “règles de forme”, on entend tout ce qui ne relève pas des règles de fond (= tout ce qui ne relève pas de la définition d’une infraction, de sa sanction, ou du régime de responsabilité).

Les lois de forme obéissent à un principe général différent des lois de fond : elles s’appliquent immédiatement.
L’équité joue un rôle bien plus réduit.

§ 1. L’application immédiate des règles nouvelles de forme

A – L’application immédiate des règles de procédure

L’article 112-2 du Code pénal dispose que “sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : les lois de compétence et d’organisation judiciaire, les lois fixant les modalités de poursuite et d’organisation judiciaire, les lois fixant les modalités de poursuites et les formes de la procédure”.
→ Les règles de forme, au sens large, sont d’application immédiate.

1) Le principe d’application immédiate des règles nouvelles de procédure

Ce principe signifie que ces règles nouvelles s’appliquent dans les procédures déjà ouvertes, pour tous les actes restant à accomplir ; peu importe le contenu de ces actes et peu importe que la règle nouvelle ait été adoptée afin de faciliter la répression ou de renforcer les droits de la défense.

La loi nouvelle de procédure s’applique à la poursuite de toute infraction qui n’a pas encore fait l’objet d’une condamnation passée en force de chose jugée irrévocable au moment de son entrée en vigueur.

Par exemple, si une loi nouvelle élargit les conditions d’application de la comparution immédiate (= procédure expéditive), elle peut être appliquée aux infractions antérieures non encore poursuivies.

2) La justification de l’application immédiate des règles nouvelles de procédure

Les défenseurs de l’application immédiate des règles de procédure mettent en avant 3 justifications :

  1. Les lois nouvelles de procédure ne portent atteinte à aucun droit fondamental, donc leur application n’a pas la même garantie que les lois nouvelles de fond ;

    Mais une telle justification n’est pas pertinente, parce qu’une loi nouvelle qui supprimerait une voie de recours ou qui réduit les hypothèses dans lesquelles une demande d’acte peut être formée porte atteinte aux droits de la défense et menace l’équité du procès.

  1. La fonction d’avertissement attribuée à la loi pénale ne se vérifierait qu’en droit pénal de fond :
    Les règles de procédure ne sont pas prises en compte par les criminels et délinquants avant leurs forfaits, donc leurs prévisions ne sont pas modifiées par la modification ultérieure des règles de procédure ;

    Mais il n’y a aucune raison de limiter le calcul de risque mené par un individu aux seules règles de fond.
    Si le délinquant est capable de lire le Code pénal, il est capable de lire le Code de procédure pénale.

  1. L’application immédiate des règles nouvelles de procédure favorise une meilleure administration de la justice, car toute règle nouvelle est présumée meilleure que l’ancienne, donc chacun profiterait de son application immédiate.

    En pratique, cette justification se heurte à une réalité bien différente : à chaque fois que la loi de procédure est renforcée dans un souci d’efficacité répressive, elle méconnaît les intérêts de la personne poursuivie.
    On ne peut donc pas la considérer comme forcément meilleure que l’ancienne.

→ Le principe d’application immédiate des règles nouvelles de procédure repose sur des bases fragiles.

B – L’application immédiate des règles de prescription

1) Le principe de l’application immédiate des règles nouvelles de prescription

La prescription publique est le délai au bout duquel le ministère public ne peut plus engager de poursuites contre l’auteur des faits.
La prescription de la peine est le délai au bout duquel il n’est plus possible de faire exécuter une condamnation pénale.

L’article 112-2 du Code pénal dispose que les lois nouvelles “relatives à la prescription de l’action publique ou relative à la prescription des peines” sont applicables immédiatement.

💡 Si le délai de prescription est entièrement expiré, une loi nouvelle ne peut pas rouvrir ce délai.
Il faut que l’action publique ou les peines ne soient pas déjà prescrites.

En revanche, la loi nouvelle peut en modifier le régime dans tous ses aspects : elle peut modifier le point de départ du délai, la durée du délai, ou attribuer un nouvel effet interruptif de prescription à certains actes de procédure.

Une importante réforme de la prescription de l’action publique est entrée en vigueur en 2017 : elle a doublé le délai de l’action publique en matières correctionnelle (désormais 6 ans) et criminelle (20 ans).
→ Cette loi est entrée en vigueur immédiatement.

2) Les justifications de l’application immédiate des règles de prescription

Justification : un délinquant ou un criminel ne peut pas prétendre à un droit à la prescription, tant que celle-ci ne s’est pas entièrement réalisée.

Cette justification discutable rappelle l’hostilité du législateur et de la jurisprudence à l’égard du phénomène de prescription.
Idée : le criminel ou le délinquant ne profite que de manière exceptionnelle de l’impuissance de l’autorité de poursuite.

Les règles gouvernant la prescription de l’action publique sont traditionnellement analysées comme des règles de forme, parce qu’elles participent du régime de cette action.
La Cour de cassation en déduit que la prescription a pour seul effet de faire obstacle à l’exercice des poursuites → ne neutraliserait que le droit de forme.

Mais, dans d’autres hypothèses, la Cour de cassation semble y voir des règles de fond, parce que lorsque cette prescription est acquise, les faits prescrits ne constituent plus des infractions.
Cette justification n’est donc guère satisfaisante.

§ 2. Les dérogations à l’application immédiate des règles nouvelles de forme

Le principe est celui de l’application immédiate des règles nouvelles de forme, quel que soit leur objet.
Ce principe s’applique aux procédures à venir, mais aussi à toutes celles qui ne sont pas encore achevées au moment de leur entrée en vigueur.

Cela constitue un facteur d’insécurité juridique doublement contestable et menace la bonne administration de la justice.
L’application immédiate de la règle nouvelle de forme voit donc sa portée limitée.

A – Les limites à l’application immédiate des règles nouvelles de forme

De façon pragmatique, le législateur considère qu’une loi nouvelle ne doit jamais remettre en cause ce qui a été fait sous l’empire de la loi ancienne.

Article 112-4 du Code pénal :
”L’application immédiate de la loi nouvelle est sans effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne”.
→ Même si elles sont d’application immédiate, les lois nouvelles fixant la poursuite et la procédure ne peuvent pas être utilisées pour contester la validité d’un acte fait antérieurement.

L’article 112-3 du Code pénal dispose que :

Les lois relatives à la nature et aux cas d’ouverture des voies de recours ainsi qu’aux délais dans lesquels elles doivent être exercées et à la qualité des personnes admises à se pourvoir sont applicables aux recours formés contre les décisions prononcées après leur entrée en vigueur.

Le prononcé d’une décision crée donc un droit acquis aux voies de recours existant à ce moment pour celui que la décision concerne ; sa stratégie judiciaire ne doit pas être perturbée par l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.
→ Le législateur ne peut pas priver un individu du droit de recours dont il disposait en vertu de la décision qui le condamne.

Enfin, l’article 112-2 du Code pénal déclare applicables immédiatement “les règles nouvelles de compétences et d’organisation judiciaire, tant qu’un jugement au fond n’a pas été rendu en première instance”.
→ L’organisation du procès se cristallise dès l’instant où un jugement est rendu au fond.
Objectif : éviter une instabilité dans les procédures.

Il n’est pas certain que toutes ces atténuations du caractère immédiat de l’application de la loi nouvelle de forme suffisent pour ménager les intérêts de la personne poursuivie.

B – La rétroactivité nécessaire de certaines règles nouvelles de forme

Ce débat est relativement ancien, même si le législateur français a tardé à en tirer les conséquences qui s’imposent.
Roubier disait dans les années 1940 que, si l’on accepte la rétroactivité des lois pénales de fond, il faut également l’accepter pour les règles de procédure.

Idée : on ne peut pas traiter les règles de forme comme si elles étaient indifférentes à la situation des personnes poursuivies, parce que ces règles peuvent affecter l’honneur et la liberté des justiciables.

Il existe aussi un risque de manipulation du pouvoir, qui déciderait de soumettre une poursuite à des règles plus rigoureuses dans un objectif politique.

1) Le cas particulier de la loi relative à l’exécution et à l’application des peines

La loi relative à l’exécution et à l’application des peines contient des règles qui peuvent alourdir le régime de la peine prononcée : règles qui modifient la contrainte judiciaire / l’emprisonnement, les règles relatives à la libération conditionnelle…
Cette catégorie est soumise dans le Code pénal à un régime spécifique.

L’article 112-2 du Code pénal dispose que les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, mais que, au nom du principe d’équité :

“Toutefois, ces lois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur.”

Cette application immédiate ne concerne donc que les lois nouvelles relatives à l’exécution ou à l’application des peines qui sont plus douces.
→ En pratique, ces lois sont traitées comme des lois pénales de fond.

2) L’élargissement du correctif à toutes les lois nouvelles de forme

La solution retenue en France aujourd’hui, qui conduit à une application immédiate des lois nouvelles de forme moins favorables à la personne poursuivie, a été condamnée par la CEDH :

CEDH, 1995, Jamil contre France :

Une loi de 1987 porte de 4 mois à 2 ans la durée de contrainte par corps (= emprisonnement pouvant être infligé à celui qui refuse de payer une amende).

M. Jamil est trafiquant de produits stupéfiants. Il est définitivement condamné à payer une forte amende après l’entrée en vigueur de cette loi nouvelle ; il s’expose donc à 2 ans d’enfermement.

Il saisit la CEDH, qui condamne la France.
Elle considère que la contrainte par corps constitue une peine et que, puisqu’elle est plus sévère, elle ne peut donc pas être appliquée de manière rétroactive.

→ Remise en cause du système dégagé par la jurisprudence à l’époque et aujourd’hui consacré dans notre Code pénal.

CEDH, 2009, Scoppola contre Italie :

La CEDH juge que l’application immédiate d’une loi nouvelle durcissant le régime de la procédure italienne lorsque l’on plaide coupable est illégitime.

Il apparaît urgent d’appliquer ce correctif aux lois nouvelles de forme, qui pourraient avoir une influence défavorable sur le poursuivi.

Cours 7 : L’application des règles pénales de fond dans le temps

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit pénal général (L2).

Le Code pénal de 1810 se contentait de disposer que nulle contravention/délit/crime ne peut être puni de peine qui n’était pas prononcée par la loi avant qu’il ne soit commis.

Le Code pénal actuel (adopté en 1992 et entré en vigueur en 1994) a consacré cette vision : il déduit du principe de légalité la non-rétroactivité de principe des nouveaux textes en matière pénale.
Mais il admet aussi qu’il peut être dérogé à ce principe de non-rétroactivité du texte pénal nouveau chaque fois que celui-ci apparaît plus doux que l’ancien.

§ 1. La non-rétroactivité des nouveaux textes plus sévères en droit pénal de fond

Le droit pénal de fond fixe les règles relatives à l’incrimination et à la sanction d’un comportement, ainsi que celles relatives aux mécanismes de responsabilité pénale.

Le principe de légalité veut que l’on applique ces règles de fond telles qu’elles existaient au moment des faits, peu importe les textes ultérieurs.
Ainsi, l’analyse juridique d’une infraction doit rester figée dans le temps selon les termes de la loi ou du règlement en vigueur au moment où les faits ont été accomplis.

Cette solution se fonde aussi sur la crainte – historiquement fondée – de voir incriminé un comportement a posteriori dans le seul but de nuire à son auteur.

A – Le maintien des anciens textes d’incrimination

L’application du texte d’incrimination en vigueur au moment des faits est un principe constitutionnel, qui découle de l’article 8 de la DDHC.
”Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit”.
La même solution est consacrée à l’article 7 de la Convention EDH.

L’article 112-1 du Code pénal dispose que “sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis”.

Ce principe s’impose au pouvoir réglementaire, qui ne peut pas prétendre conférer une application rétroactive à un nouveau règlement d’incrimination.

Ce principe oblige également le législateur :
Conseil constitutionnel, 9 janvier 1980 :
Le Conseil constitutionnel étend cette exigence à toute la matière pénale, peu importe l’autorité qui prononce la sanction.
💡 Parfois, c’est une autorité administrative qui prononce la sanction pénale, et non le juge pénal.

Même si une loi nouvelle échappait au contrôle du Conseil constitutionnel, le droit européen et le droit international font obligation au juge français d’écarter tout texte d’incrimination qui aurait été déclaré abusivement applicable à des faits commis avant son entrée en vigueur.
La CEDH exige des juges nationaux qu’ils s’opposent à l’entrée en vigueur d’une loi pénale plus ancienne.

B – Le maintien de l’ancien texte de pénalité

Article 112-1 du Code pénal : la sanction prononcée contre l’auteur d’une infraction est celle prévue quand les faits ont été commis.

Idée : la répression est fondée sur l’avertissement fait à l’auteur.
L’auteur commet les faits “en connaissance de cause”.
Un délinquant est un être rationnel, car “nul ne peut méconnaître la loi”.

Il existe une dérogation essentielle à cette règle : lorsque le texte nouveau s’avère plus doux que l’ancien :

§ 2. La rétroactivité des nouveaux textes plus doux en droit pénal de fond

L’article 112-1 ajoute que :
”Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.”

Une telle solution paraît étrange, parce qu’un texte n’existant pas au moment des faits n’a pas pu être pris en compte par leur auteur.
Elle repose sur une exigence d’équité, qui autorise le juge à dire qu’au jour où il statue, par l’application d’une loi nouvelle, les faits ne sont plus ce qu’ils étaient au moment où ils ont été commis.

On parle de rétroactivité in mitius pour identifier la rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus douce.

A – Le principe de la rétroactivité in mitius

Aujourd’hui, la rétroactivité in mitius est un principe fondamental rarement exprimé dans les grands instruments de protection des droits de l’homme.
Ce principe s’impose pourtant comme une exigence de justice élémentaire et d’équité, puisque l’intérêt de la société à la punition semble avoir disparu.

La rétroactivité in mitius ne bénéficie pas d’une reconnaissance formelle aussi générale que le maintien de la loi pénale ancienne en vertu du principe de légalité.
Elle n’est pas mentionnée expressément dans la déclaration de 1789, ni dans l’ancien Code pénal, ni dans la Convention EDH.
Cela peut s’expliquer parce qu’il paraît difficile d’enfermer ce qui est “juste” dans un texte. Cela semblait aussi comme une évidence.

Conseil constitutionnel, 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes :
Le Conseil constitutionnel fait découler cette rétroactivité de la loi pénale plus douce du principe de nécessité des peines, établi par l’article 8 de la DDHC.
Idée : l’ancienne peine, selon l’appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires.

CEDH, 2009, Scoppola c/ Italie :
La CEDH voit dans la rétroactivité in mitius un principe fondamental du droit pénal.
Elle considère que l’article 7 de la Convention EDH ne garantit pas seulement le principe de non-rétroactivité des lois pénales nouvelles plus sévères, mais aussi le principe de rétroactivité des lois pénales plus douces.

La CJUE rend une décision dans le même sens en 2005.

B – La remise en cause de la rétroactivité in mitius

En pratique, la rétroactivité in mitius pose des difficultés et conduit à des comportements abusifs.
Elle peut conduire à un allongement artificiel des procédures, dans le seul but de permettre à l’auteur d’une infraction de bénéficier de l’application d’un nouveau texte plus doux.

Malgré la reconnaissance de ce principe au plus haut niveau, le législateur français continue donc de neutraliser ponctuellement la rétroactivité in mitius, par crainte d’encourager les phénomènes d’anticipation à l’approche des grandes lois de dépénalisation.
→ Sème le doute sur la portée de ce principe.

En 1997, cet objectif de lutte contre la fraude a prévalu jusque devant la Cour de cassation, qui a admis que le législateur peut bien déroger à l’exigence de la rétroactivité in mitius dès lors qu’il le fait pour éviter la fraude consistant selon lui à exercer des recours pour profiter de l’application de la loi pénale nouvelle à des faits anciens.

Cette position est devenue difficilement tenable lorsque la CJUE et la CEDH ont consacré ce principe de rétroactivité in mitius comme droit fondamental.
La Cour de cassation a fini par transmettre au Conseil constitutionnel en 2010 une QPC sur le sujet, dans le cadre de poursuites pour le délit de revente à perte.

Conseil constitutionnel, 3 décembre 2010 :
Admet la neutralisation ponctuelle de la rétroactivité in mitius.
Ajoute que la rétroactivité in mitius s’applique “sauf à ce que la répression antérieure plus sévère soit inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s’est substituée”.

Le Conseil constitutionnel consacre ainsi l’atteinte portée par le législateur à la rétroactivité in mitius en matière économique.
→ Il se place en contradiction avec la CJUE et la CEDH.

Certains considèrent qu’il organise ainsi la violation des droits fondamentaux, alors qu’il est celui qui est censé les protéger…

C – L’application de la rétroactivité in mitius

Cette application dépend de l’appréciation par le juge du caractère plus doux ou plus sévère de cette loi nouvelle.

1) Les conditions de la rétroactivité in mitius

L’hypothèse la plus simple est celle dans laquelle une loi nouvelle abroge le texte ancien d’incrimination et la pénalité : elle est considérée plus douce et elle a vocation à s’appliquer immédiatement.
Si les faits n’ont pas été définitivement jugés, leur auteur peut prétendre à une relaxe ou à un acquittement.

Mais il arrive qu’une loi nouvelle se contente de modifier le périmètre d’une incrimination, sans modifier les peines qui lui sont applicables.
Elle est considérée comme plus douce si elle réduit le champ d’application de la loi pénale.

Il arrive aussi qu’une loi nouvelle modifie l’incrimination et la peine, mais dans des sens différents : on parle d’une loi nouvelle complexe.
Autant que possible, il faut essayer d’isoler dans la loi nouvelle les dispositions plus douces, qui ont vocation à s’appliquer immédiatement (y compris de façon rétroactive), et les dispositions plus sévères, qui n’ont vocation à s’appliquer que pour l’avenir.

Certains pensent que le juge exagère son pouvoir d’interprétation, en donnant à la loi nouvelle une portée que le Parlement n’a pas voulu lui confier.
→ Une partie de la doctrine suggère de ne pas diviser la loi nouvelle.

2) Le régime de la rétroactivité in mitius

⚠️ L’application immédiate d’un texte nouveau plus doux n’est envisageable que lorsqu’une décision n’est pas passée en force de chose jugée.
→ Exigence de sécurité juridique.

Cette règle connaît une atténuation à l’article 112-4 du Code pénal :
”La peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale”.

La dépénalisation d’un comportement a donc pour conséquence d’interrompre l’exécution des peines antérieurement prononcées.
⚠️ Elle n’agit que sur l’exécution des peines en cours et ne remet pas en cause la condamnation.
Exemple : une amende déjà payée ne peut pas être remboursée.

Le texte nouveau plus doux est susceptible de s’appliquer rétroactivement à n’importe quel stade de la procédure : première instance, appel, cassation…

Dans cette hypothèse, si la Cour de cassation est saisie, elle annule l’arrêt et met fin aux poursuites immédiatement.

En effet, la rétroactivité in mitius est considérée comme un droit fondamental → elle est d’ordre public, les juges ont donc l’obligation d’en faire bénéficier le prévenu, même s’il ne le demande pas.

Cours 6 : L’européanisation du droit pénal

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit pénal général (L2).

On parle souvent d’une double érosion du principe de légalité :
> “par le bas”, avec l’adjonction d’une compétence pénale au pouvoir exécutif ;
> “par le haut”, avec la multiplication des normes internationales et européennes.

L’internationalisation du droit pénal n’en est qu’à ses balbutiements, mais son européanisation est bien plus avancée.

L’article 55 de la Constitution dispose que les traités ont une valeur supérieure aux lois.
Le droit pénal fixe des bornes à la liberté individuelle qui doivent exprimer la volonté générale et être fixées par la loi. Qu’en est-il des restrictions à la liberté individuelle posées par des textes supra-législatifs ?

§ 1. La production normative du Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe est une institution internationale siégeant à Strasbourg.
Elle est responsable de nombreuses conventions, notamment en matière pénale, dont la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dont la CEDH fait une interprétation très large.

La production normative du Conseil de l’Europe exerce une influence considérable sur le droit pénal français. Effet paradoxal : en participant à la complexification du droit contemporain, elle renforce et fragilise le droit pénal au niveau national, qui n’est plus l’expression de la volonté d’un peuple souverain.

A – Les conventions thématiques du Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe est un haut lieu de l’activité diplomatique et de création de conventions, notamment en matière pénale : blanchiment d’argent, lutte contre le terrorisme…
Un certain nombre de conventions du Conseil de l’Europe ont été adoptées par la France et sont donc entrées dans l’ordre juridique français.

Au regard du principe de légalité, ces conventions posent un problème d’ordre politique, puisqu’elles orientent les choix du Parlement français qui doit s’assurer que le droit interne se concilie avec elle et, si besoin, le modifie.
Dans ces conditions, la loi pénale n’exprime plus nécessairement la volonté générale – elle prend en compte d’autres impératifs.

Même lorsque la source du droit pénal reste principalement législative, elle subit donc une forte influence extérieure qui menace sa légitimité démocratique.

B – L’application de la Convention européenne des droits de l’homme

Très souvent, la jurisprudence de la CEDH est à l’origine de réformes en droit pénal français.
Ces réformes sont la conséquence d’une politique criminelle initiée à Strasbourg durant laquelle notre Parlement doit s’incliner, alors même qu’elle n’est pas davantage que les conventions précédentes le résultat d’un processus démocratique.

Certes, la légitimité des réformes engagées après un constate de violation par la CEDH semble difficilement contestable.
Néanmoins, il faut déplorer que la modification de la loi pénale ne soit plus le résultat d’un véritable choix du Parlement français : la discussion politique s’en trouve limitée.

Or, la juridiction de Strasbourg fait une interprétation très large des termes de la Convention EDH.
Elle est la première à s’en féliciter : elle s’est toujours prévalue d’une interprétation dynamique des termes de la Convention, pour que ses garanties soient “concrètes et effectives”.

Pour y parvenir, un double procédé est mis en oeuvre :

1) L’interprétation constructive de la Convention

La juridiction de Strasbourg se fait l’interprète officiel de la Convention.
Les solutions qu’elle dégage sont applicables non seulement dans le litige dont la Cour est saisie, mais aussi dans toute autre affaire comparable.
Ses décisions n’ont pas seulement une autorité relative ; elles ont aussi une portée générale, puisque les principes qu’elle dégage ont aussi vocation à s’appliquer à l’avenir.

Cette jurisprudence source de droits malmène les principes qui sont à la base du droit pénal.
Pour garantir les droits énoncés dans la Convention, la Cour n’hésite pas à remettre en cause la légitimité de certaines incriminations.

Exemple 1 : au nom du respect de la vie privée, la CEDH a encouragé la dépénalisation de l’homosexualité, en passant outre les subsistances qui résistaient au niveau local, pour forcer les États à évoluer (Grande-Bretagne, Irlande…).
La CEDH estimait que l’application des incriminations de l’homosexualité violait l’article 8 de la Convention EDH.

La CEDH s’est donc fait juge de l’opportunité d’une incrimination.

Exemple 2 : la Turquie poursuivait et sanctionnait lourdement les kurdes qui faisaient l’apologie du PKK.
La CEDH a estimé à plusieurs reprises que la sanction pénale d’acte de prosélytisme accomplie sans violence ni pression d’aucune sorte viole l’article 10 de la Convention EDH.

Conséquence : le droit de punir n’appartient plus aux États. La loi des États n’est plus souveraine → elle n’exprime plus la volonté générale, parce qu’elle peut être contredite par une juridiction.

2) Les obligations positives de protection

Les obligations positives de protection sont une pure invention de la CEDH afin d’appliquer la Convention EDH non seulement dans une dimension verticale (rapports entre États et particuliers), mais aussi dans une vision horizontale (rapports entre les particuliers).

L’État sur le territoire duquel un droit conventionnellement garanti risque d’être violé ne peut se dispenser d’intervenir sous prétexte qu’il n’est pas à l’origine de cette violation.
La CEDH interprète plus largement la Convention, puisqu’elle estime qu’elle doit s’appliquer aussi dans les relations des particuliers entre eux.
→ Le droit pénal n’est plus envisagé comme une menace pour le respect des droits fondamentaux, mais devient un instrument au service de ces droits.

Les États peuvent être amenés à incriminer et sanctionner des comportements qui porteraient atteinte à ces droits.

Exemple : l’article 2 de la Convention consacre le droit à la vie.
La CEDH a estimé qu’il astreint les États non seulement à s’abstenir de prononcer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes.

Idée : les États parties doivent incriminer toutes les atteintes volontaires à la vie.
→ La CEDH impose le recours au droit pénal pour protéger les droits fondamentaux.

Exemple : l’article 4 de la Convention prohibe l’esclavage et le travail forcé.
La France a été condamnée pour manquement à son obligation de protection, sous prétexte qu’il n’existait pas en droit pénal français d’incrimination de l’esclavage.
Dans une affaire d’esclavage moderne, la CEDH a estimé que le droit pénal n’était pas suffisant pour lutter contre l’esclavage et le travail forcé.

Problème : d’où la CEDH tient-elle sa légitimité pour restreindre la liberté individuelle ?
Ici, le Parlement a été contraint.

Certes, le Parlement a ratifié la Convention EDH, mais cet accord ne pouvait pas valoir accord donné à toutes les extensions de la Convention que la CEDH a décidé de consacrer.
Conséquence : le Parlement français est contrait de transposer des principes de droit dégages par la CEDH dans l’exercice de son seul imperium, alors que les magistrats de la CEDH n’ont aucune légitimité démocratique.

§ 2. La production normative de l’Union européenne

L’influence de l’UE sur le droit pénal se manifeste de 2 façons :
> une influence insidieuse du droit de l’UE sur le droit pénal français, lorsque sont modifiées les conditions préalables de certaines infractions ;
> une influence directe, à raison de la compétence répressive désormais reconnue à l’Union.

A – La production indirecte de l’UE en matière pénale

La condition préalable de nombreuses infractions est définie de plus en plus souvent sous l’influence du droit de l’UE.

Par exemple, la directive du 30 novembre 2009 subordonne la mise sur la marché d’appareils à gaz à des exigences techniques, introduites en droit français.
Le non respect de ces exigences peut constituer un délit de tromperie.
Ici, les éléments constitutifs du délit de tromperie dépendent presque exclusivement des définitions des exigences de sécurité posées par le droit de l’UE ; or ce droit de l’UE n’est pas issu d’un processus véritablement démocratique.

Les directives sont préparées par la Commission ; elles sont votées par le Parlement européen, mais qui ne joue qu’un rôle accessoire. Les directives européennes expriment la volonté des exécutifs des États membres de l’UE, et non du parlement des États membres.

Une sanction pénale est donc appliquée sans qu’une volonté générale ait pu réellement s’exprimer.

B – La production directe de l’UE en matière pénale

À l’origine, les communautés européennes ne disposaient pas de compétences en matière pénale, parce que le droit de punir était la prérogative régalienne par excellence.

1) L’émergence d’un droit pénal européen

a) L’origine du droit pénal européen

Lors de la signature du TUE à Maastricht en 1992, il apparaît qu’un rapprochement plus poussé du droit des États membres était nécessaire pour permettre le développement d’une véritable citoyenneté européenne.
Idée : l’Europe ne pouvait pas se réduire à un simple marché commun ; il fallait dépasser cette vision purement économique pour lui donner une vision politique.
Objectif : garantir la sécurité des européens dans tous les États membres.

Les États membres n’étaient pas encore prêts à renoncer à leurs prérogatives pénales, donc l’UE a imaginé d’articuler les différents droits nationaux sur la base de principes communs → mise en place d’une coopération dans le domaine de la justice.

Le traité d’Amsterdam (1997) crée l’espace de sécurité, de liberté et de justice, qui constitue le 3ème pilier de l’UE.
(1er : les communautés européennes ; 2ème : la PESC)
Dans ce 3e pilier, les institutions font favoriser la recherche du consensus entre les États, en favorisant l’adoption de conventions et en intervenant avec des décisions-cadre (moins coercitif qu’une directive).

Ces décisions-cadre fixent aux États des objectifs à atteindre, mais ils restent libres des moyens utilisés pour y parvenir.
Elles sont beaucoup moins efficaces que les directives, parce qu’elles doivent être adoptées à l’unanimité par le Conseil et qu’elles ne peuvent pas être sanctionnées par une action en manquement.

À la fin des années 2000, le bilan du 3e pilier de l’UE est assez mitigé ; des critiques se font entendre quant à l’impuissance de l’UE à garantir la sécurité sur l’ensemble de son territoire.


b) La mise en oeuvre du droit pénal européen

Le traité de Lisbonne (2007, entré en vigueur en 2009) a rompu avec l’organisation complexe de l’UE en 3 piliers.
Idée : si l’on veut pouvoir exécuter une décision rendue par une juridiction pénale allemande en France, une confiance mutuelle doit être attribuée dans les différents systèmes juridiques des États membres → leurs systèmes juridiques doivent être similaires.

Pour atteindre cet objectif, on abandonne le recours aux décisions-cadre, au profit du recours au directives (→ un recours en manquement permet de sanctionner les États qui n’atteignent pas les objectifs fixés).
En vertu de l’article 82 du TFUE, le Parlement et le Conseil de l’UE statuant par voie de directive peuvent imposer des règles minimales sur les principaux aspects de la procédure pénale.
Plusieurs directives ont été adoptées afin de renforcer les droits des suspects lors de l’enquête, les droits des victimes lors du procès pénal…

Article 83 §1 du TFUE : le Parlement et le Conseil de l’UE peuvent aussi, par directive, établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement graves et revêtant une dimension transfrontalière.
Objectif : autoriser les institutions européennes à prendre l’initiative de textes lorsqu’il apparaît nécessaire de lutter contre certaines formes de délinquance ou de criminalité à l’échelle de plusieurs États.

L’UE, si elle retrouve de sa vivacité dans les prochaines années, pourra aussi agir sur le fondement de l’article 83 §2 du TFUE, qui dispose que l’UE peut intervenir en matière pénale pour garantir le respect de n’importe quelle norme qu’elle aura préalablement adoptée.
→ Portée considérable du droit pénal européen.

Il semblerait que ce type de compétence que le traité de Lisbonne a donné aux institutions européennes est tellement inquiétant que les institutions européennes ne l’ont pas utilisée, par peur de la réaction des États membres si elles venaient à imposer des sanctions pénales.

Un droit pénal européen considérable pourrait donc se développer.

2) L’influence du droit de l’UE sur la légalité pénale

À nouveau, il ne s’agit pas de contester la légitimité des objectifs poursuivis, mais il faut dénoncer l’effet pervers de cette construction européenne.
Lorsqu’un parlement national transpose une directive, sa marge de manœuvre est limitée, alors que la directive n’est pas issue d’un processus entièrement démocratique.
Désormais, le droit de l’UE nous impose d’incriminer certains comportements → transforme le parlement national en une simple chambre d’enregistrement.

Problème : la loi pénale aujourd’hui n’exprime plus le besoin de punition émanant de la société, mais la volonté des institutions européennes de rapprochement des législations pénales.

Le projet de directive est envoyé aux parlements nationaux des États membres pour qu’ils formulent des observations, puis est débattu devant le Parlement européen.
Ce processus n’est pas entièrement légitime, parce que le Parlement européen ne peut que s’opposer à l’adoption d’une directive qui lui déplaît, sans pouvoir prendre l’initiative d’une directive ni en modifier le contenu.
→ Il n’a qu’un pouvoir de veto, donc son contrôle ne peut pas être considéré comme un pouvoir démocratique ; les directives restent l’expression des volontés des exécutifs des États membres.

Conséquences :
→ Application de textes d’incrimination qui n’expriment pas réellement la volonté des peuples européens.
→ La liberté individuelle finit par être menacée par l’adoption de textes pas pleinement approuvés par les parlements nationaux.

La légitimité même du droit pénal se trouve ainsi menacée.

Cours 5 : Le rôle de l’exécutif en matière pénale

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit pénal général (L2).

Aujourd’hui, un pouvoir limité est reconnu à l’exécutif en matière pénale.
Le pouvoir réglementaire est une norme qui s’applique à tous : elle est donc tout aussi satisfaisante que la loi.

Il est possible de soulever une exception d’illégalité contre tout acte administratif, ce qui permet d’assurer le respect d’un principe de légalité minimal contre les potentiels abus de l’exécutif.

§ 1. La compétence réglementaire en matière pénale

A – La compétence réglementaire dans la Constitution

Jusqu’en 1958, le principe de légalité se comprenait comme imposant l’intervention d’une loi, parce qu’on considérait qu’elle seule pouvait limiter la liberté individuelle, en tant qu’expression de la volonté générale.

Sous la 5ème République, le Parlement est rationnalisé, et l’on constate une montée en puissance de l’exécutif.

1) Les précisions constitutionnelles

L’article 34 de la Constitution énumère les matières auxquelles s’appliquent la loi.
En matière pénale, il mentionne les crimes et les délits.
L’article 37 dispose que tout ce qui ne relève pas de la loi est du domaine du règlement.

Le Conseil constitutionnel en a déduit qu’il appartient à l’exécutif de régir les contraventions.
Cette interprétation est vivement critiquée, car l’atteinte aux droits fondamentaux devrait reposer sur la volonté générale, peu importe la gravité de l’infraction.

Cela n’a néanmoins eu qu’une influence limitée.
Les peines d’emprisonnement ont disparu depuis ce basculement vers l’exécutif : aujourd’hui, les contraventions sont exclusivement des amendes.

De plus, depuis le nouveau Code pénal de 1992, le législateur fixe les sanctions applicables en matière de contravention.
Article 111-2 du Code pénal :

La loi détermine les crimes et délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs.

Le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contrevenants.

2) Les imprécisions constitutionnelles

Le législateur et la doctrine considèrent qu’il appartient à la loi de fixer les principes en matière de droit pénal général, et que cela vaut aussi pour les contraventions.
Mais l’exécutif a parfois dégagé des règles qui relèvent du droit pénal général et qui pourtant se distinguent des règles posées par la loi.

Exemple :
L’article 121-7 du Code pénal dispose qu’est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui a sciemment facilité la préparation ou la consommation.
Cette disposition n’avait pas vocation à s’appliquer en matière contraventionnelle, mais l’exécutif a étendu les règles de la complicité au droit pénal général.

Exemple :
Pour le législateur, la contravention est punissable quelle que soit l’intention de l’auteur.
L’exécutif a pu incriminer un comportement intentionnel (→ exigeant un élément moral).

L’exécutif peut donc contrarier les principes de droit pénal général posés par la loi, même s’il ne cherche pas à le faire systématiquement.

B – La compétence règlementaire échappant à la Constitution

L’extension de la compétence du législateur s’opère grâce à la technique du renvoi, qui émane de la loi.

1) Le renvoi à l’initiative de la loi

La loi peut renvoyer au règlement ses modalités d’application lorsqu’il ne modifie pas le périmètre de l’application.
Par exemple, l’article 226-3 du Code pénal soumet à autorisation les appareils attentant à la vie privée, en renvoyant au règlement les conditions dans lesquelles ils peuvent être incriminés.

Parfois, la loi renvoie au pouvoir règlementaire l’organisation des contours d’une règle.
Le pouvoir règlementaire influe alors sur l’application de la règle au niveau au niveau national comme local (par exemple, les maires disposent du pouvoir règlementaire).

Cette technique du renvoi est contestable, parce que cette compétence règlementaire n’est pas soulignée par la Constitution : un ministre n’a pas le pouvoir d’intervenir en matière pénale.
Ces autorités n’ont pas de légitimité démocratique en la matière.

2) Le renvoi à l’initiative de l’exécutif

Le chef de l’exécutif peut déléguer à d’autres autorités administratives le soin d’incriminer, même si la Constitution ne reconnaît à aucune autorité administrative le pouvoir d’incriminer.

Le Premier ministre a délégué une partie de sa compétence en matière de contravention à ses autorités subordonnées ; par exemple, les maires.

§ 2. Le contrôle du pouvoir exécutif en matière pénale

L’article 111-5 du Code pénal dispose que les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier la légalité des règlements et des actes individuels, lorsque de cet examen dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis.

→ Le juge pénal a reçu plénitude de juridiction.
C’est une exception importante au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

A – Le champ d’application de l’exception d’illégalité

Si l’innocence ou la culpabilité de la personne poursuivie dépend du sens ou de la validité d’un acte administratif, le juge pénal n’est pas tenu de surseoir à statuer en attendant l’avis du juge administratif.
Il peut le faire, mais en pratique il ne le fait pas, pour éviter un allongement du procès pénal qui serait illégal.

Le juge pénal est gardien de la liberté individuelle.
Le législateur a alors estimé en 1992 qu’il doit avoir le droit d’interpréter les actes administratifs lorsqu’ils servent de base à des poursuites.
Idée : refuser de se conformer à un règlement illégal ne peut pas être une infraction.

Le ministère public comme la personne poursuivie peuvent contester un acte administratif par une exception d’illégalité.
Le juge pénal peut constater que tout type d’acte règlementaire est illégal (par exemple, même une ordonnance non ratifiée).

B – Le régime de l’exception d’illégalité

Le régime de l’exception d’illégalité est assez confus, puisqu’il a été fixé par la jurisprudence.

L’exception d’illégalité peut être soulevée par toute partie au procès, in limine litis (”avant toute défense au fond”).
Le juge pénal statue librement.
Il ne peut pas refuser de statuer sous prétexte que l’acte aurait déjà été déclaré valable par le juge administratif.

Il n’est pas tenu de surseoir à statuer en attendant une réponse administrative, mais il doit adopter les concepts du droit administratif.
Il doit faire attention à ne pas prendre de décisions trop contradictoires à celles de la justice administrative.

Il vérifie la validité externe de l’acte (que celui-ci n’est entaché d’aucun vice de forme).
Il contrôle ensuite le fond, c’est-à-dire la conformité aux principes généraux du droit.

Si le juge pénal estime que l’acte administratif est effectivement vicié, il l’écarte dans la poursuite dont il est saisi, constate donc qu’aucune infraction ne peut être caractérisée, et relaxe la personne poursuivie.
⚠️ L’acte n’est pas annulé ni abrogé. Il pourra s’appliquer dans d’autres poursuites pénales.

Cette exception d’illégalité est une garantie essentielle qui permet d’accepter la compétence règlementaire de l’exécutif en matière pénale.
Le juge pénal n’a pas de compétence équivalente si une loi pénale est adoptée alors qu’elle était anticonstitutionnelle.

Cours 4 : Consécration internationale et européenne du principe de légalité

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit pénal général (L2).

Tous les textes européens consacrés aux droits de l’homme rappellent le principe de légalité, qui est un gage de sécurité juridique.

§ 1. Les proclamations du principe de légalité au niveau international et européen

A – Les reconnaissances au niveau international

Le respect du principe de légalité est perçu comme une exigence de justice.

La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’ONU en 1948, dispose dans son article 11 que “nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un [délit]”.

La portée de cette déclaration n’a pas valeur de traité, mais son influence est considérable, même si en pratique, il est peu invoqué par les juristes français.

B – Les reconnaissances européennes

1) Le principe au sein du Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe a pour objectif de veiller à la défense de la paix, ce qui passe par la défense des droits de l’homme.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH, ou Convention EDH) consacre le principe de légalité dans son article 7 :

Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

Idée : il ne peut pas y avoir d’incrimination a posteriori.

2) Le principe au sein de l’Union européenne

Pendant longtemps, l’Union européenne n’a disposé que d’une compétence très réduite en matière pénale.

Le principe de légalité est un principe général du droit communautaire, qui le rattache au principe de sécurité juridique.
L’Union européenne exige donc que la loi, pour fonder une incrimination, soit précise, sans quoi la sanction apparaît comme contraire aux principes généraux du droit communautaire.

L’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adopté en 2000 (mais sans portée contraignante jusqu’au Traité de Lisbonne), consacre le principe de légalité.
Il ajoute que “il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise”.

§ 2. Les garanties de la légalité aux niveaux international et européen

Le juge national est le premier garant de la légalité : il peut faire obstacle à toute norme qui méconnaîtrait ce principe.
Il peut faire primer cette norme supra législative sur la norme législative.

A – La saisine de la CEDH

Les juges nationaux ont vocation à trancher en priorité les difficultés de conformité entre les normes supranationales et nationales.
Le justiciable peut néanmoins saisir la CEDH (Strasbourg) pour lui demander de constater la violation par un État partie d’une disposition de la convention, et notamment du principe de légalité.

La CEDH, qui ne voulait pas imposer une conception trop rigide de la loi, a développé sa propre conception de la légalité.
Idée : il n’est pas nécessaire que le comportement soit précisément écrit ; la loi peut être explicitée soit par la pratique judiciaire soit par la commune. La sanction doit simplement être raisonnablement prévisible.

Il s’agit d’une conception idéalisée qui semble avoir perdu toute implication politique.

B – La saisine de la CJUE

La CJUE (Luxembourg) n’est pas saisie directement par les justiciables, mais peut être saisie par un juge pour un recours en interprétation – on parle de “question préjudicielle”.
L’article 267 du TFUE dispose que la CJUE est compétente pour traiter de toute question préjudicielle sur l’interprétation du traité et sur les actes des institutions et organes.
La juridiction nationale doit surseoir à statuer dans l’attente d’une réponse.

Malheureusement, le contrôle exercé par la CJUE ne permet pas de renforcer la conception formelle de la légalité qui devrait prévaloir en droit français.

Cours 3 : L’affirmation étatique du principe de légalité

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit pénal général (L2).

Le respect du principe de légalité est considéré comme un droit de l’homme et domine la responsabilité pénale.

Le pouvoir de l’État de punir la violation des règles communes trouve sa légitimité dans les lois qui l’organiser.
Les règles constituent l’expression de volonté du Parlement.

Le principe de légalité garantit la liberté des citoyens, en les préservant d’un arbitraire qui est le propre des États despotiques :

  • L’article 8 de la DDHC de 1789 dispose que “nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée”.
    💡 La DDHC appartient au bloc de constitutionnalité et a donc une portée normative certaine.
  • L’article 34 de la Constitution explique que “la loi fixe les règles concernant […] la détermination des crimes et des délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, la procédure pénale et l’amnistie”.
  • L’article 111-3 du Code pénal affirme l’importance du principe de légalité :

    Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement.

    Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction est une contravention.

§ 1. La signification du principe de légalité

A – La signification politique

Selon l’article 8 de la DDHC, c’est le parlement qui choisit des comportements susceptibles de nuire à l’ordre public qu’il souhaite que le droit pénal sanctionne.

L’article 111-4 du Code pénal dispose que la loi pénale est d’interprétation stricte.
Si jamais la loi pénale a besoin d’être interprétée, cette interprétation doit être restrictive et ne doit pas aller au-delà de la volonté du législateur.

B – La signification technique

Il faut que la loi qui prévoit des sanctions pénales réponde à un certain nombre d’exigences qui justifient la répression du comportement punissable :

1) La publicité de la loi

Afin que la règle ne prenne pas un caractère arbitraire, il faut que chacun puisse l’identifier à l’avance.
La sanction pénale doit reposer sur un texte issu de la volonté de tous, mais aussi connu par tous.

2) La qualité de la loi

La loi doit être rédigée en termes précis, pour ne pas laisser au juge la possibilité de l’interpréter de manière trop éloignée de la volonté du législateur.

Une incrimination imprécise rend l’accusation imprévisible.
Cependant, la loi ne doit pas être trop précise, sinon elle deviendrait inapplicable.

Par exemple, l’article 222-3 du Code pénal sur la harcèlement sexuel est tellement précis qu’il est difficilement applicable.

Le principe de légalité est longtemps resté symbolique en l’absence de contrôle de constitutionnalité.
Aujourd’hui, le rôle du Conseil constitutionnel déçoit, puisqu’il adopte une définition très souple de la légalité pénale.

§ 2. La portée du principe de légalité

A – La garantie constitutionnelle de légalité

Il appartient au Conseil constitutionnel de vérifier la conformité des lois à la Constitution.

En matière pénale, il a déduit dans une décision importante des 19 et 20 janvier 1981 la nécessité pour le législateur de définir les infractions en des termes précis, pour exclure l’arbitraire du juge et de la police judiciaire.
La loi doit être précise et exclure les formules équivoques.

Dans une décision du 18 janvier 1985, le Conseil constitutionnel s’est opposé à l’entrée en vigueur du délit de malversation sans qu’il ne soit défini par la loi. Il refuse de prendre en compte la signification jurisprudentielle du délit.
Idée : un texte doit se suffire à soi-même.

B – L’insuffisance du contrôle constitutionnel de légalité

Dans une décision de principe de 1981, le Conseil constitutionnel a fait preuve d’un contrôle de faible intensité : il affirme que le terme de “menace” n’est ni obscur ni imprécis.
On peut douter de la pertinence d’une telle décision, puisque le terme de menace n’a jamais été défini : où commence une menace ?

Le Conseil constitutionnel a par la suite manqué d’autres occasions évidentes de déclarer non conformes certaines dispositions évidemment floues :

  • Dans une décision de 2003 concernant la transformation du racolage public en délit, le Conseil constitutionnel a jugé que ce terme était précis.
  • Dans une décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel, saisi d’une loi prétendant lutter contre la criminalité en “bande organisée” sans que l’expression ne soit clairement définie, écarte le grief.

    Il affirme que la jurisprudence des juridictions pénales suffit à la définir et que l’ONU confirme cette jurisprudence.
    Il est aberrant que le Conseil constitutionnel demande de faire confiance au juge, alors que le principe de légalité s’est construit contre le juge pour limiter son pouvoir d’interprétation.