Cours 9 : Le fait matérialisant l’infraction

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Objectif de ce cours : présenter le fait pénal qui est à l’origine de la saisine du juge + le raisonnement que celui-ci peut mettre en oeuvre pour caractériser une infraction.

Dans le processus qui mène à la commission d’une infraction, on distingue schématiquement plusieurs étapes.
La première, celle où l’agent décide de commettre l’infraction, échappe au droit : cela relève de son for intérieur.

Même si elle est déjà connue à ce stade, la dangerosité de l’agent n’autorise pas encore la société à prendre une sanction contre lui.
💡 Peu importe s’il a déclaré vouloir commettre une infraction, puisqu’on ne peut pas être sûr qu’il mettra son projet à exécution.

→ Le droit pénal suppose un passage à l’acte.
Il faut que la décision de commettre une infraction soit mise à exécution, qu’elle trouble l’ordre public et qu’elle appelle à ce titre au prononcé d’une sanction particulière.
Autrement dit : il n’y a de responsabilité pénale que sur la base d’un comportement humain extériorisé.

Mais la loi pénale prend en compte les faits les plus variés : il faut donc classer les différentes infractions en fonction de leur forme et de leur durée pour faciliter la détermination du régime auquel elles peuvent être soumises.

§ 1. La forme des comportements incriminés

Infractions de commission ≠ infractions d’omission.
Infractions simples ≠ infractions composites.

A – Les infractions de commission ou d’omission

Il y a infraction de commission lorsque le comportement incriminé est un comportement positif = une action.
Il y a
infraction d’omission lorsque le comportement incriminé est un comportement passif = une omission.

La plupart des infractions sont des infractions de commission.

1) Le choix du législateur, nécessairement légitime au regard du principe de légalité

La plupart des infractions sont intentionnelles : elles sont sanctionnées parce qu’une volonté coupable s’est extériorisée dans un fait.
→ Ce sont essentiellement des actes positifs qui furent incriminés à l’origine.

Au 19ème siècle, l’abstention était considérée comme ambiguë : on considérait qu’il était difficile de reconnaître une intention coupable chez quelqu’un resté passif.
L’évocation de la matérialité d’une abstention semblait impensable, parce qu’en reconnaissant ainsi une portée normative au droit pénal, on craignait d’imposer pour l’avenir un comportement déterminé, qui porterait atteinte à la liberté individuelle.

Ces objections ont peu à peu été surmontées. Aujourd’hui, l’abstention n’est plus dépourvue de toute matérialité ; elle est simplement extérieure au comportement reproché.
Elle peut s’apprécier par rapport à l’environnement qui n’a pas été modifié comme il l’aurait dû l’être si l’agent avait agi correctement.

À ce titre, l’abstention aussi est susceptible d’une appréciation objective, compte tenu notamment du résultat auquel elle aboutit.
Exemple : si un parent s’abstient indûment de rendre un enfant à une autre personne qui était en droit de le réclamer → non représentation d’enfant.

Le droit pénal, lorsqu’il sanctionne une abstention, n’a pas de portée normative.
L’obligation d’agir est extérieure au droit pénal ; elle découle d’une autre branche du droit (ou du droit naturel), et elle est dépourvue de toute généralité. Elle ne s’impose que dans l’hypothèse ultime décrite dans le texte d’incrimination.
Exemple : cette obligation de représenter l’enfant à la personne qui est en droit de le réclamer n’est pas posée par le droit pénal.

Dans d’autres hypothèses, il est plus délicat d’identifier l’obligation qui imposait d’agir et dont la méconnaissance est sanctionnée pénalement, parce qu’elle n’est pas écrite.
Cette obligation est extérieure au droit pénal (ce n’est pas le droit pénal qui commande d’agir).

Exemple : délit de non-assistance à personne en péril.
Si l’on constate qu’autrui est en danger et que l’on peut faire quelque chose, on doit agir immédiatement ; si l’on intervient pas, on commet une infraction pénale ; mais ça n’est pas le droit pénal qui nous commande d’agir, c’est notre conscience.
→ Obligation naturelle qui s’impose à chacun, dont la violation est pénalement sanctionnée.

Depuis ~50 ans, un nombre important d’infractions d’omission ont été instituées dans le droit pénal des affaires. Il est devenu aujourd’hui banal de constater que de simples abstentions peuvent être sanctionnées pénalement.

On notera aussi que certains textes n’indiquent pas clairement s’ils incriminent une action ou une abstention : ils se contentent de promettre une sanction à celui qui produira un résultat déterminé.
→ L’infraction peut alors être aussi bien une commission qu’une omission.

On retrouve cela particulièrement en matière d’homicide et de violences involontaires, qui sont des infractions très peu définies.

2) L’office du juge, nécessairement illégitime au regard du principe de légalité

Au 19ème siècle, afin de répondre aux nécessités de la répression, une partie de la doctrine développa la théorie des infractions de commission par omission (oxymore), qui invite les juges à réprimer les abstentions les plus dommageables, en les assimilant aux comportements de commission les plus proches.

Certains juges n’ont pas hésité à la faire, comme par exemple dans la célèbre affaire de la séquestrée de Poitiers.
Un frère avait laissé sans soins sa sœur infirme et atteinte de déficiences mentales. À l’époque, il n’y avait aucun texte qui réprimait le fait de priver de soins autrui ou de s’abstenir de venir au secours d’autrui.
Le ministère public a estimé qu’il fallait agir, et a poursuivi le frère devant le tribunal correctionnel pour violences (→ une infraction de commission). Le tribunal correctionnel l’a condamné, en feignant d’ignorer que les violences sont une infraction de commission.
La condamnation est ensuite réformée en appel : la cour d’appel rappelle qu’il n’appartient pas au juge d’assimiler une abstention à l’action produisant le même résultat.

Il n’appartient donc pas au magistrat de raisonner par analogie afin d’étendre le champ d’application d’un texte au mépris du principe de légalité : seul le législateur peut incriminer une abstention.
Il l’a fait ensuite en 1941 pour incriminer la non-assistance à personne en péril.

En réalité, la tentation du juge existe toujours : la jurisprudence assimile parfois certaines abstentions à des actions, lorsque les circonstances de fait démontrent qu’un individu s’est dispensé d’agir en acceptant le résultat qui devait en tolérer.

La Cour de cassation elle-même le tolère.
Par exemple, elle a assimilé le fait de ne pas rendre quelque chose à un acte de soustraction constitutif de vol.
Or, le vol est défini comme la soustraction de la chose d’autrui, il suppose une action → c’est une infraction de commission. Dès lors, la Cour de cassation ne devrait pas autoriser les juges du fond à assimiler l’abstention de celui qui ne restitue pas à celui qui enlève le bien d’autrui (même si le résultat est le même).
→ Cette liberté que se reconnaît la Cour de cassation est contraire au principe de légalité.

Il ne s’agit pas d’un exemple isolé : en matière d’escroquerie, elle assimile certains silences aux mensonges requis par l’article 313-3 du Code pénal, qui incrimine l’escroquerie.
De même, elle a déjà jugé que celui qui s’est abstenu de déclarer qu’il a retrouvé un travail alors qu’il perçoit les allocations chômage commet une escroquerie au préjudice de l’assurance chômage, comme s’il avait expressément menti en se déclarant sans emploi pour les toucher.

Le juge raisonne ici par analogie, en étendant le champ d’une incrimination bien au-delà de ce que le législateur envisageait.
Idée : dès lors que l’agent disposait du pouvoir d’agir, son abstention peut être assimilée à une action.
Ce raisonnement est inacceptable en droit pénal, compte tenu du principe de légalité.

B – Les infractions simples ou composites

Les infractions simples sont qualifiées ainsi parce qu’elle ne requièrent l’accomplissement par l’agent que d’un seul acte.
Les infractions composites supposent l’exécution par l’agent de plusieurs actes au termes desquelles l’infraction est consommée.

Enjeu : localisation dans le temps et dans l’espace de ces infractions.
Une infraction simple est commise à l’endroit et au moment où l’acte d’exécution est réalisé.

Une infraction composite n’est consommée qu’à partir du moment où tous les actes d’exécution ont été réalisés.
Elle est susceptible d’être constatée au ressort de chaque juridiction où l’un de ses actes d’exécution a pu être commis.
→ Elle existe dans le temps au moment du dernier acte d’exécution, mais dans l’espace partout où des actes d’exécution sont constatés.

Il existerait 2 catégories d’infractions composites : les infractions complexes et les infractions d’habitude ; mais une telle catégorisation semble artificielle.

1) Les infractions complexes

L’infraction complexe est fréquemment définie comme une infraction constituée de plusieurs faits distincts et consécutifs, globalement imputables à la même personne.

Mais une telle catégorie d’infractions existe-t-elle réellement ?
Le principal exemple donné par la doctrine est l’escroquerie, mais elle répond assez mal à cette définition.
L’escroquerie est constituée lorsqu’un mensonge qualifié, ou un mensonge simple doublé de mesures frauduleuses, pousse autrui à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque.
Pour une partie de la doctrine, l’escroquerie est une infraction complexe, parce qu’elle requiert un mensonge + une remise.
Mais cette remise ne se dissocie pas du mensonge : elle ne constitue pas un second acte accompli par l’agent qui s’ajouterait au premier ; c’est un acte accompli par la victime, qui est extérieur au comportement délictueux.

Une autre fraction de la doctrine soutient que la complexité de l’escroquerie peut se déduire du fait que le mensonge, lorsqu’il est simple, doit être corroboré par des manœuvres.
Mais l’escroquerie doit être envisagée de façon unitaire : elle ne suppose pas plusieurs tromperies.

2) Les infractions d’habitude

Les infractions d’habitude sont caractérisées par plusieurs faits identiques accomplis successivement par la même personne.
⚠️ Il ne s’agit pas de plusieurs faits distincts : ils s’articulent les uns avec les autres pour produire un résultat déterminé.
Le comportement en question ne tombe sous le coup de la loi pénale qu’à raison de cette répétition.

Par exemple : l’exercice non autorisé d’une profession règlementée.
Accomplir une fois des actes médicaux quand on ne dispose pas des qualifications requises n’est pas une infraction (il est possible d’être obligé d’apporter les premiers soins à quelqu’un), mais si on le fait plusieurs fois, cela constitue une infraction.

L’infraction d’habitude se consomme instantanément au jour du dernier acte constitutif de l’habitude.

💡
La date de la consommation de l’infraction est importante, parce que c’est le jour auquel se place le juge pour déterminer les règles applicables.

§ 2. La durée des comportements incriminés

L’infraction s’analyse dans le temps soit comme une infraction instantanée, soit comme une infraction continue.
Cette distinction témoigne du fait que la réunion de tous les éléments constitutifs d’une infraction peut ne durer qu’un instant, ou au contraire se prolonger dans le temps.

A – La distinction entre infractions instantanées et continues

L’infraction instantanée est localisée au moment où elle est commise.
L’
infraction continue est localisée au moment où l’activité illicite prend fin.
C’est à ce moment-là que l’on se place pour faire courir le délai de prescription, pour contrôler une potentielle amnistie…

C’est la durée de sa consommation qui permet d’attribuer à l’infraction un caractère instantané ou continu.
Cette qualification est attribuée abstraitement : elle ne dépend pas d’une appréciation concrète des circonstances ; seule la structure générale du comportement incriminé est pris en compte.
Idée : vérifier si le législateur a entendu punir un acte ou une activité.

Lorsque l’infraction est instantanée, sa consommation est la réunion de ses éléments constitutifs : l’acte est accompli et la volonté de son auteur s’épuise immédiatement.
Le vol constitue une infraction instantanée, parce que la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui est réalisée instantanément (peu importe le temps passé à forcer le coffre-fort…).

Lorsque l’infraction est continue, sa consommation se prolonge dans le temps. La réunion des éléments constitutifs du comportement perdure.
Une infraction continue suppose la persistence de l’infraction dans sa double dimension matérielle et morale.
Par exemple, le fait de soumettre une personne vulnérable à des conditions incompatibles avec le respect de la dignité humaine constitue par nature une infraction continue, peu importe la durée de l’hébergement.

B – Les classifications dérivées

1) Les infractions permanentes

La catégorie des infractions permanentes peut être définie aisément, mais elle ne sert à rien.
Elle est le résultat d’une proposition doctrinale qui n’a jamais été reprise par la Cour de cassation.

Les infractions permanentes sont les infractions dont les effets se poursuivent dans le temps par la seule force des choses, alors que l’infraction a déjà été consommée.
Le trouble à l’ordre public posé par l’infraction peut toujours être constaté, mais l’acte ou l’activité qui a généré ce trouble a cessé.

Par exemple, le fait de rendre public un message diffamatoire sur internet constitue un délit.
L’infraction de diffamation publique est une infraction instantanée, qui est consommée par l’acte de publication : peu importe que le message reste ensuite à la disposition du public.
L’abstention de celui qui ne supprime pas le message diffamatoire ne peut pas être assimilé à l’action de celui qui l’a publié. La diffamation en tant qu’infraction instantanée cesse au moment même de l’acte de publication.

Aucune conséquence juridique ne peut être tirée du prolongement des effets d’une infraction dans le temps. Ces effets se produisent par la force des choses, et non pas parce que le comportement incriminé se prolonge.
Ils sont postérieurs à la consommation de l’infraction ; ils ne font pas partie de ses éléments constitutifs.

Parler d’infraction permanente ne sert donc à rien, puisqu’on ne peut en tirer aucune conséquence juridique.

2) Les infractions clandestines

La Cour de cassation a affirmé que lorsque l’infraction a été dissimulée, elle doit être localisée dans le temps au jour où elle est apparue dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.
Elle laisse entendre que la consommation de l’infraction peut être reportée au jour où elle est effectivement apparue dans des conditions permettant sa poursuite.

Cette solution est néanmoins contestable, parce que la consommation de l’infraction instantanée ne s’est pas poursuivie jusqu’au jour où elle a été découverte dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.
La Cour de cassation dénature donc les infractions, en leur attribuant une durée fondée non pas sur leurs éléments constitutifs, mais sur l’aptitude de l’autorité de poursuite à les découvrir.

Cette solution n’était pas satisfaisante, le législateur a donc dû intervenir : la loi du 27 février 2017 réforme la prescription de l’action publique.
Désormais, l’article 9-1 du Code de procédure pénale dispose que, par dérogation aux articles qui précèdent qui disposent que le délai de prescription court à compter de la consommation de l’infraction, le délai de prescription de l’action publique de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’action publique.

Une telle solution est pertinente. Elle semble consacrer la jurisprudence antérieure, mais elle opère en réalité uniquement sur la forme.
Le législateur ne dit pas que l’infraction se prolonge dans le temps, mais dissocie juste la question de la consommation de l’infraction de celle du point de départ du délai de prescription.

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