Cours 11 : Les causes de non-imputabilité

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Quand le juge pénal est saisi d’un fait, après avoir vérifié la réalité du fait en question, il doit s’assurer qu’il est imputable à la personne qui est suspectée de l’avoir commis.
⚠️ Il ne s’agit pas de savoir si le fait constitue une infraction ou si la personne est coupable, mais juste de vérifier que l’auteur était libre de le commettre et a compris ce qu’il faisait.

Le droit pénal est un droit optimiste : il présume l’homme intelligent et volontaire, dès lors qu’il est majeur.

C’est le postulat de toute intervention répressive, et cela semble évident.
Le législateur n’a jamais dit qu’on ne peut engager la responsabilité pénale que des individus doués d’intelligence et de volonté.
En réalité, cette règle d’évidence est sous-entendue, puisque le législateur admet dans les articles 122-1 et 122-2 du Code pénal que l’on engage pas sa responsabilité lorsque l’on est privé de son intelligence ou de sa volonté.

La présomption d’intelligence et de volonté est une présomption simple : c’est à celui qui se prétend irresponsable d’en rapporter la preuve.
Le droit pénal fait ici preuve de souplesse en permettant la prise en compte de situations inhabituelles dans lesquelles on agit sans comprendre ni voir ce que l’on fait.

§ 1. Le trouble affectant l’auteur des faits

A – La cause de non-imputabilité

L’article 122-1 du Code pénal s’intéresse à l’hypothèse dans laquelle l’auteur des faits est atteint d’un trouble particulier, d’une intensité suffisante pour qu’il soit fait échec à sa responsabilité pénale.

1) La nature du trouble

L’ancien Code pénal (jusqu’en 1994) parlait de démence (synonyme de folie).
Cette notion de démence, peu scientifique, est apparue trop imprécise.

Le nouveau Code pénal parle de “troubles psychiques ou neuropsychiques”, en retenant pour critère les effets produits par toute forme de maladie mentale.

Ce critère des effets est large, mais il est pertinent : l’essentiel est de savoir si les facultés intellectuelles de celui qui a agi étaient affectées au moment de l’acte.
L’origine du trouble n’est pas prise en compte.

L’appréciation du trouble est une question de fait, réalisée au cas par cas ; il n’y a pas, en droit pénal, de statut de fou qui empêcherait toute poursuite.
Le juge pénal n’est pas lié par les mesures de protection, de sauvegarde ou de tutelle décidées par le juge civil ; il lui appartient de vérifier, concrètement et dans chaque affaire, l’état de santé de l’agent au moment des faits.
→ L’irresponsabilité civile n’empêche pas la responsabilité pénale.

L’article 122-1 ne se contente pas d’évoquer un trouble abolissant le discernement de l’agent ; il mentionne aussi le trouble qui prive l’agent du contrôle de ses actes.
Le législateur a ici voulu réserver l’hypothèse d’un individu qui, tout en comprenant ce qu’il faisait, s’est trouvé par l’effet d’un trouble empêché de ne pas le faire.

2) L’intensité du trouble

Un trouble psychique ou neuropsychique ne fait obstacle à l’imputabilité que s’il a effectivement empêché l’agent de comprendre et de vouloir ce qu’il faisait.
→ L’acte accompli doit s’être réalisé à son insu.

L’alinéa 2 de l’article 122-1 ajoute qu’en cas de simple altération au discernement ou de simple entrave au contrôle de ses actes (≠ abolition), l’auteur des faits reste pénalement responsable.
Il peut tout au plus espérer une atténuation de peine, dont la loi impose désormais l’étendue au juge (article 122-2 : réduite d’un tiers, ou ramenée à 30 ans en cas de crime).
→ Lorsqu’elle n’est pas totale, la démence ne constitue pas une cause de non-imputabilité.

En cas de véritable abolition du discernement, la responsabilité pénale n’est pas envisageable : on ne peut pas reprocher à quelqu’un d’avoir fait quelque chose s’il ne s’est pas rendu compte de ce qu’il faisait.
Pour que le juge accorde le bénéfice de cette cause de non-imputabilité, il doit être convaincu que l’agent n’a pas pu s’empêcher d’agir comme il l’a fait ; cela reste donc exceptionnel.

Le juge apprécie souverainement l’existence du trouble et son intensité. S’il demande son avis à un psychiatre ou un expert, celui-ci ne peut que se prononce sur l’état présent de l’agent ; c’est au juge d’effectuer un jugement rétrospectif à partir des indices qui lui sont donnés par le pouvoir médical.

B – L’indifférence à la non-imputabilité des faits

Ces règles font désormais l’objet d’aménagements, parce que l’opinion publique aurait été émue par la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental dont a bénéficié un individu schizophrène dans l’affaire Halimi.
(Une vieille dame juive a été défenestrée par son voisin à l’occasion d’une crise de démence accentuée par la consommation de produits stupéfiants → affaire close par l’arrêt Crim., 14 avril 2021).

Certains ont soutenu que l’auteur des faits, même s’il se croyait possédé par le diable, devait être jugé parce qu’il a voulu agir de la sorte en consommant des stupéfiants à ces fins.
Idée : le caractère antisémite de son acte + consommation volontaire de stupéfiants = il aurait disposé de suffisamment d’intelligence pour engager sa responsabilité pénale.

Le raisonnement est contestable, parce qu’il revient à apprécier le discernement non au moment des faits, mais avant les faits.

La loi du 24 février 2022 atténue l’irresponsabilité pénale, en ajoutant 2 articles au Code pénal :

  1. L’article 122-1-1 dispose que « le 1er alinéa de l’article 122-1 (→ abolition du discernement) n’est pas applicable si l’abolition temporaire du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit résulte de ce que, dans un temps très voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ou d’en faciliter la commission”.
  1. L’article 122-1-2 dispose que “la diminution de peine prévue au second alinéa (→ simple altération du discernement) n’est pas applicable […] lorsque cette altération résulte d’une consommation volontaire de façon illicite ou manifestement excessive de substances psychoactives”.

Ces 2 textes font donc exception à la cause de non imputabilité + la cause d’atténuation de la peine.
Ils ont vocation à s’appliquer lorsque la perte ou la limite du contrôle des actes ont été provoqués volontairement par l’agent qui a consommé à cette fin des substances psychoactives.

Ces substances psychoactives ne sont pas définies par le législateur.
Les scientifiques y voient des substances qui agissent directement sur le cerveau, modifiant le comportement / l’humeur / la perception / l’activité mentale des personnes qui les consomment.
→ Le législateur a voulu envisager largement cette exception : prend en compte les stupéfiants, mais aussi le tabac et l’alcool.

Pour le législateur contemporain, la responsabilité pénale de l’auteur d’un acte peut donc être engagée alors même qu’au moment de cet acte, l’auteur n’a pas compris ce qu’il faisait ni voulu le faire, dès lors qu’il a préalablement consommé des substances psychoactives dans ce but.

Pour le législateur, l’intention de mal agir pourrait persister à travers le trouble mental ainsi provoqué.
Idée : le lien de causalité pouvant être établi entre la consommation de substances psychoactives et l’acte accompli suffirait pour oublier qu’au moment de l’acte l’agent ne savait pas ce qu’il faisait et n’avait pas la liberté nécessaire pour s’en abstenir.

L’hypothèse de l’article 122-1-2 (→ discernement seulement altéré) peut être admise, alors même qu’il n’est pas exigé que la consommation de produits stupéfiants ait été faite dans le but de commettre une infraction.
Idée : celui qui consomme des substances psychoactives prend le risque de passer plus facilement à l’acte et de commettre des infractions dont il a vocation à répondre, puisqu’il ne perd pas pour autant tout contrôle de ses sens.

Cependant, l’hypothèse de l’article 122-1-1 s’avère beaucoup plus critiquable : elle revient à punir l’auteur d’un fait non imputable en raison de sa faute antérieure.
Or, on a dit dès le départ que l’origine du trouble psychique ou neuropsychique ne compte pas : seul compte son effet.
Comment reprocher à quelqu’un d’avoir fait quelque chose qu’il n’a pas compris au moment où il l’a fait et n’a donc pas voulu faire ?

L’idée que l’auteur des faits aurait voulu, avant d’agir, le résultat de son acte, ne peut être suffisant ; en effet, l’hypothèse de l’article 121-1-1 semble impossible à vérifier en pratique, car le comportement d’un individu qui a perdu tout discernement ou tout contrôle de ses actes est par définition imprévisible.
Autrement dit : un individu peut avoir un projet d’infraction en tête au moment où il consomme une substance psychoactive, mais le risque qu’un tel projet se réalise alors que cette consommation a été telle que l’individu a perdu toute intelligence et toute volonté est potentiellement nul.
→ Il ne sera jamais possible d’établir le but que poursuivait l’agent au moment où il a consommé des produits stupéfiants.

L’erreur du législateur est de croire qu’il reste quelque chose de volontaire.
Or la volonté qui s’exprime alors n’a plus de dimension pénale, parce qu’elle n’est pas éclairée par l’intelligence et s’impose à l’agent du fait du trouble qui s’est emparé de lui :
on ne peut pas demander à quelqu’un de répondre d’un fait qu’il a accompli à son insu.
Il faut admettre qu’en cas d’abolition du discernement ou de perte de contrôle de ses actes, l’acte accompli est le fruit des circonstances : le lien entre l’avant et l’après s’avère indémontrable.

Il semble dommage que le législateur ait voulu remettre en cause une jurisprudence millénaire par un texte de toute manière inapplicable.

De plus, la loi pénale plus sévère n’étant pas rétroactive, cette évolution ne change rien pour l’agresseur de Mme Halimi…
Elle a vocation à s’appliquer pour l’avenir, mais les conditions ne seront sans doute pas réunies.

Nous vivons dans une société à risques. Nous ne sommes pas garantis de ne pas être confrontés un jour à un malade mental – ce n’est pas le rôle du droit de nous protéger de ce genre de situations.
Cette loi est donc malheureuse : elle n’aurait pas dû exister, même si en pratique elle ne remet pas véritablement en cause la non-imputabilité.

§ 2. La pression exercée sur l’auteur des faits

De façon toute aussi exceptionnelle, le législateur reconnaît qu’un individu peut n’avoir pas voulu l’acte qu’il a accompli.

L’article 122-2 du Code pénal dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister« .
Cela empêche le juge d’examiner la question de la responsabilité pénale d’un individu qui est sain d’esprit et qui a été obligé d’agir sans pouvoir se conformer à la loi.

Cet individu apparaît étranger à son acte, qu’il a matériellement accompli, mais dont il n’a pas pris moralement l’initiative.
Idée : l’individu a compris la signification de son acte, mais il n’a pas choisi de le réaliser. Sa liberté ayant disparu, on considère qu’il n’a pas à répondre de son acte.

A – Les formes de la pression

L’article 122-2 du Code pénal semble introduire une nuance entre force et contrainte.

1) La force

La force est ici une pression extérieure à l’agent.
Elle peut être une pression physique (lorsqu’elle s’exerce sur le corps de l’agent → naturelle, animale, ou humaine) ou morale.

Exemple : dans le cadre d’une infraction de non-assistance à personne en péril, si la victime était naturellement inaccessible, parce que son chien interdisait à quiconque de s’en approcher.
Exemple : si l’on rédige un faux document alors qu’on a un pistolet sur notre temps.

2) La contrainte

À la différence de la force, la contrainte est une pression interne propre à l’agent, qui le prive de sa liberté d’action.
À priori, cette pression peut être aussi bien physique que morale. Toutefois, si l’on conçoit bien la contrainte physique, on a du mal à concevoir la contrainte morale.

Exemple de contrainte physique : dommage causé à autrui, alors que son auteur était victime de somnambulisme ou d’une attaque cardiaque.

La contrainte morale est plus difficile à caractériser. On ne voit pas vraiment en quoi elle pourrait consister → la contrainte ne peut donc être que physique.

B – Les caractères de la pression

Peu importe son effet, seules comptent ses conséquences : l’agent n’a pas pu y résister.
La jurisprudence se montre particulièrement exigeante dans l’appréciation du caractère irrésistible que doit présenter cette pression pour rendre non imputable le fait poursuivi.

La pression doit s’être révélée “invincible et imprévisible”.
C’est seulement à cette double condition qu’on peut dire que l’agent a accompli un acte qu’il n’a pas voulu.

1) L’invincibilité de la pression

Invincible = insurmontable.

La pression doit avoir été telle que l’agent fut privé de toute possibilité de choix.
Idée : il n’a pas voulu l’acte qu’il a commis, mais il l’a subi.

Les exemples sont rares.
Exemple : un individu en parfaite santé au volant de sa voiture qui, pris d’une crise cardiaque, percute un passant.

Cette pression invincible ne peut concerner que des éléments exceptionnels.
Peu importe les difficultés que peut rencontrer un individu à satisfaire ses obligations légales, tant qu’elles ne sont pas insurmontables, elles n’empêchent pas l’imputabilité des faits à leurs auteurs.

2) L’imprévisibilité de la pression

Pour que le fait soit déclaré non imputable, il faut établir que l’agent ne pouvait se douter de ce qu’il allait se passer.
Idée : l’agent anticipant sur son comportement à venir aurait dû faire en sorte que le dommage qui en ait résulté ne survienne pas.

Exemple : le conducteur d’un véhicule qui se sait cardiaque et qui accepte en connaissance de cause de prendre le volant, au risque d’être victime d’une attaque au moment où il conduit, est privé du bénéfice de cette cause de non-imputabilité.

La Cour de cassation estime qu’une cause de non-imputabilité doit être refusée lorsque l’auteur d’un fait s’est lui-même placé dans la situation d’avoir à subir une pression invincible.

Ce raisonnement a été développé à l’origine dans l’affaire du petit Trimatin :
Un mousse s’était engagé dans la marine militaire et s’enivrait à chaque fois que le bâtiment rejoignait un port. Il a été interpellé par la police du port et placé en geôle de dégrisement, sauf qu’au petit matin, le bateau est reparti et il a été poursuivi pour désertion.
Il s’est défendu en disant qu’il n’avait pas voulu déserter, qu’une pression invincible s’était exercée sur lui.

Dans un arrêt de principe de 1921, la Cour de cassation l’a déchu du droit d’invoquer cette clause d’imputabilité, dès lors qu’il s’était enivré, prenant ainsi le risque de ne pas être présent le lendemain matin au moment de l’appel.

L’importation de cette règle civiliste prête à discussion en matière pénale. En effet, le caractère imprévisible de la force ou de la contrainte n’est pas requis par l’article 122-2 du Code pénal, qui n’évoque qu’une pression « irrésistible ».
Il faudrait considérer qu’en 1992, en ne reprenant pas à son compte cette exigence dégagée par la Cour de cassation, le législateur l’a implicitement condamnée.

Ce n’est pas parce qu’une faute antérieure est désormais de nature à exclure l’irresponsabilité pénale en cas d’abolition du discernement ou de perte du contrôle des actes, que la même solution doit être maintenue en matière de force et de contrainte.

On peut donc considérer que les juges répressifs statuent contra legem dans de telles hypothèses.
De toute évidence, cette jurisprudence est trop sévère et elle mériterait d’évoluer – même si l’air du temps n’est pas à l’impunité pénale…

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