Cours 10 : Le résultat du comportement incriminé

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§ 1. La notion de résultat pénal

La notion de résultat joue un rôle essentiel en droit pénal, mais il est difficile de la cerner.

A – La place du résultat dans la théorie de l’infraction

On parle parfois de “résultat de l’infraction”, mais cette expression est impropre.
Le résultat peut jouer un rôle dans la définition d’une infraction, mais ce qui est envisagé, c’est moins le résultat de l’infraction elle-même que le résultat du comportement incriminé à ce titre.

Cette mise au point permet une simplification : il faut utiliser le concept de résultat dans son sens ordinaire, en envisageant la suite logique du comportement incriminé.

2 questions se posent :

  1. Toutes les infractions impliquent-elles que le comportement incriminé ait produit un résultat particulier ?
  1. Parmi celles qui impliquent la production d’un résultat, toutes supposent-elles que la preuve de son obtention soit rapportées ?

1) Le critère tiré de l’absence de proximité du comportement incriminé avec un résultat donné

Certains comportements sont, de manière exceptionnelle, sanctionnés pour eux-mêmes, indépendamment de la preuve de production d’un résultat déterminé, parce qu’ils semblent intrinsèquement dangereux.
→ Il sont érigés en infraction obstacle (= absence de proximité avec un résultat donné).

Idée : une sanction rapide de tels comportements s’impose, pour faire obstacle à la commission d’infractions plus graves.

En législation, on distingue 2 types d’infractions obstacle, selon que le risque d’infraction future a été plus ou moins identifié par le législateur.

  1. Les infractions obstacle indéterminées tendent à prévenir la commission d’une ou plusieurs infractions ultérieures qui restent encore à déterminer.
    Elles correspondent le plus souvent à des comportements positifs incriminés pour eux-mêmes.

    Par exemple, la conduite en état d’ivresse est pénalement réprimée sans attendre que le chauffeur ne se rende coupable d’homicide involontaire, peu importe s’il ne commet aucun accident.

  1. Lorsque le risque d’infraction future a clairement été envisagé par le législateur, ces infractions obstacle restent éloignées du résultat qu’il s’agit de prévenir.
    Objectif : sanctionner uniquement les actes préparatoires d’une infraction future, dont la réalisation est hypothétique.

    Par exemple, l’article 450-1 du Code pénal définit le délit d’association de malfaiteurs comme la “participation à tout groupement formé en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement”.
    Le législateur a voulu donner au juge le moyen de prévenir la commission des infractions qui sont préparées au sein du groupement.

Ces infractions se caractérisent ainsi par un lien assez large entre le comportement incriminé et un résultat à venir (soit pas déterminé, soit pas certain).

2) Le critère tiré de la proximité avec un résultat redouté

La plupart des comportements incriminés le sont parce que le législateur redoute un résultat déterminé susceptible de troubler l’ordre public.
Mais toutes les infractions définies à raison de leur proximité avec un résultat déterminé ne sont pas soumises au même régime :

La plupart du temps, la consommation de l’infraction suppose de rapporter l’obtention du résultat redouté par le législateur → infraction matérielle.
Parfois, la consommation de l’infraction est indifférente de savoir si le résultat redouté s’est effectivement produit ou pas → infraction formelle.

Lorsque l’infraction est matérielle, son texte d’incrimination exige la preuve de l’obtention du résultat redouté par le législateur.
Les infractions matérielles se consomment par la production du résultat redouté.
▶️ Par exemple, en matière de violences, l’infraction n’est constituée que si le juge parvient à établir que le comportement violent de l’agent a effectivement entraîné une atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui (il ne suffit pas de démontrer qu’il y avait un comportement violent).

Lorsque l’infraction est formelle, il suffit que le comportement incriminé ait été en mesure de produire le résultat redouté par le texte d’incrimination.
La consommation des infractions formelles ne dépend pas de l’obtention du résultat. Elles se rapprochent donc des infractions obstacle : seul un comportement est incriminé, mais ce comportement doit être de nature à provoquer le résultat redouté par le législateur.
▶️ Par exemple, le délit d’appel téléphonique malveillant est un délit formel, constitué au seul constat que des appels téléphoniques malveillants ont été adressés (il n’est pas nécessaire de démonter en plus que la tranquillité a été troublée).

B – L’enjeu du résultat dans la théorie de l’infraction

La distinction entre ces 3 catégories d’infraction (matérielle, formelle, obstacle) produit des conséquences sur le terrain des peines.

Pour les infractions matérielles, un même comportement est parfois sanctionné différemment compte tenu de la gravité du résultat qui l’a provoqué.
La preuve de l’obtention de ce résultat devant être rapportée, son étendue peut ensuite être facilement utilisée pour influer sur la répression.
Par exemple, il existe plusieurs infractions de violence, en fonction de la gravité du résultat souffert par autrui.

Pour les infractions formelles, on ne peut pas concevoir une échelle des peines en fonction de la gravité réelle d’un résultat dont l’obtention n’a pas à être démontrée.
Seul le comportement est pris en compte.

Au-delà de cette question de répression, la prise en compte du résultat pénal produit des effets en ce qui concerne la preuve de l’infraction et le moment de sa consommation.
Lorsqu’un résultat est requis, il est plus facile d’établir l’infraction et de la localiser.

1) La preuve de l’infraction

La nécessité d’établir l’obtention du résultat redouté facilite la preuve des infractions matérielles.
Dès lors que l’infraction est établie, les magistrats admettent que l’auteur du fait causal a nécessairement eu le comportement requis par le texte d’incrimination.
Cela explique le peu de précision donné quant à la matérialité des violences ou du meurtre : ici, le comportement importe moins que son résultat.
Par exemple, l’atteinte portée à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui suffit à caractériser le meurtre au plan matériel.

Au contraire, s’agissant des infractions formelles, le juge ne peut pas se contenter de faire référence à un résultat qui parlerait de lui-même.
Par définition, la preuve de l’obtention de ce résultat n’a pas à être rapportée.
Le juge doit établir la vérité du comportement censé engendrer le résultat redouté, donc le législateur est contrainte de se montrer plus rigoureux.

Par exemple, l’article 221-1 du Code pénal incrimine le meurtre et l’article 221-5 incrimine l’empoisonnement.
Ce sont 2 infractions très proches (un homicide volontaire = un acte positif qui cause la mort d’autrui), mais ils ne sont pas rédigés de la même façon :

  • Le meurtre, infraction matérielle, est défini sommairement que le seul fait de donner volontairement la mort à autrui.
    → Ne précise pas le moyen dont la mort est donnée.
  • L’empoisonnement, infraction formelle, est défini comme l’administration d’une substance mortifère → plus précis.

Lorsque l’infraction est une infraction de comportement, l’effort pour prouver la réalité du comportement incriminé est plus important, parce qu’il ne peut pas s’appuyer sur un élément extérieur.

2) Le moment de l’infraction

Une infraction matérielle est consommée lorsque le comportement incriminé a produit le comportement redouté par le législateur.
C’est à cet instant qu’il faut se placer pour localiser dans le temps l’infraction.

Par exemple, si on donne des coups mortels à autrui, la victime va mourir, mais pas forcément instantanément.
Cette infraction de meurtre sera localisée au jour du décès, et non au jour où les coups ont été portés.

Par exemple, il a été jugé qu’il ne peut pas y avoir homicide involontaire d’un enfant avant sa naissance.
L’homicide involontaire est une infraction matérielle – il faut constater la mort d’autrui.
Si l’enfant naît puis meurt quelques instants plus tard, il peut y avoir infraction. Si l’enfant ne naît pas, il ne peut pas y avoir infraction.

Le moment où se produit le résultat redouté détermine le régime juridique applicable à l’infraction matérielle.
Le moment où l’infraction existe = le point de départ du délai de prescription + permet de déterminer la loi qui lui est applicable + permet de savoir si un droit d’amnistie est applicable.

Inversement, lorsque l’infraction est formelle ou obstacle, l’obtention du résultat redouté par le législateur (pour peu qu’il puisse être déterminé) est indifférente.
L’obtention de ce résultat ne permet pas de localiser les infractions formelles ou obstacle ; elles sont entièrement consommées au jour où le comportement a lieu.
La loi applicable est celle en vigueur au jour où le comportement a incriminé a été accompli.

On localise l’infraction formelle ou obstacle au moment où le comportement a cessé de se produire, peu importe que la preuve de l’obtention du résultat redouté par le législateur puisse être rapportée.

§ 2. L’origine du résultat pénal

On ne peut reprocher à autrui qu’un résultat en rapport avec son comportement.

Si le juge constate une modification de la réalité qui pourrait être due à une infraction, le juge doit commencer par identifier l’action humaine qui l’a provoquée → il part du résultat pour remonter jusqu’à l’auteur de l’acte qui l’a produit.

La causalité doit être certaine entre le résultat et l’acte qui en serait à l’origine.

En principe, le lien de causalité est nécessairement certain pour être direct ; en revanche, il n’a pas besoin d’être exclusif, ni même immédiat.

A – Le caractère direct de principe de la causalité pénale

Il semble acquis que le causalité en matière pénale doit être directe, mais le législateur n’a jamais défini en quoi consiste une “causalité directe”.
Il s’agit d’une exigence de principe en matière pénale ; ponctuellement, une causalité indirecte est admise.

1) La définition de la causalité directe

Exiger un lien de causalité direct entre un comportement et un résultat redouté peut laisser croire que le comportement et le résultat doivent se situer dans un rapport de proximité tel qu’un événement intermédiaire ne les sépare pas.

La causalité serait donc directe lorsque l’auteur du comportement incriminé est lui-même en mesure de produire le résultat redouté.
C’est le cas lorsqu’il l’a produit de ses propres mains, ou à l’aide d’un instrument quelconque.
Cela évoque une théorie très restrictive de la causalité : la théorie de la causa proxima (idée : peut être considéré comme cause directe de la production du résultat redouté l’élément le plus proche).

Cette théorie est simple, mais elle paraît trop restrictive.
Les juges répressifs considèrent que la causalité reste directe dès lors que, sans être proche, elle s’avère efficiente, c’est-à-dire apte à produire le résultat redouté.
Les juges répressifs privilégient la théorie de la causalité adéquate sur la théorie de la causa proxima.
La causalité reste directe entre un comportement et le résultat redouté par le législateur, même si ce comportement n’est pas le plus proche, dès lors qu’il apparaît apte à produire ce résultat.

Par exemple, les infractions aux règles d’hygiène et de sécurité dans l’entreprise sont directement reprochées au chef d’entreprise, alors qu’elles sont souvent révélées par le fait de l’un de ses salariés.
Idée : il importe au chef d’entreprise de veiller à ce que ces règles s’appliquent correctement pour que la santé des salariés ne soit pas menacée.
La faute d’organisation et de surveillance du chef d’entreprise est considérée comme cause directe du résultat produit, alors que souvent il n’aurait pas été révélé sans le comportement imprudent ou négligent d’un salarié (mais ça n’est pas au salarié d’assumer la responsabilité pénale de l’application de la loi dans l’entreprise).

Au contraire, créer les circonstances qui permettront la production du résultat par autrui n’est pas réprimé : il n’existe qu’un lien de causalité indirect, qui est en principe trop lâche pour engager la responsabilité de l’auteur de l’acte.
Mais ponctuellement, il est dérogé à cette exigence de causalité directe :

2) Les dérogations à la causalité directe

Ces dérogations ne sont légitimes qu’à partir du moment où elles sont posées par la loi.
Exceptionnellement, en matière d’infractions intentionnelles, le législateur permet d’incriminer non seulement celui qui fait quelque chose, mais aussi celui qui fait faire quelque chose → on remonte dans l’échelle des causes, ce qui permet d’engager la responsabilité pénale d’un auteur indirect.

Par exemple, dans le cadre de la répression des crimes contre l’humanité, l’article 211 du Code pénal assimile celui qui fait commettre le crime de génocide à celui qui le commet.

→ Lorsque la loi le prévoit, cette causalité indirecte peut être admise en matière d’infractions intentionnelles.

En matière d’infractions non intentionnelles, la technique utilisée pour étendre le lien de causalité est celle de l’article 121-3 du Code pénal : on peut engager la responsabilité d’un individu qui, par sa faute délibérée ou caractérisée, “a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation d’un dommage”.

La causalité doit donc en principe être directe en matière pénale, même si quelques exceptions sont admises en matière pénale.

B – Les caractères indifférents de la causalité pénale

Si la causalité pénale doit en principe être directe, elle n’a pas à être exclusive, ni même immédiate.

1) Le caractère non exclusif de la causalité pénale

La causalité pénale peut être envisagée largement, parce qu’elle n’a pas à être exclusive.
Lorsque plusieurs personnes ont contribué à la production du même résultat = cumul de faits à l’origine d’un même résultat. Ce cumul n’est pas un obstacle à la sanction des différentes infractions qui pourront être caractérisées.

Lorsque 2 personnes s’acharnent à donner des coups mortels à une 3ème personne qui en décède, elles sont toutes deux auteurs de l’acte.
La responsabilité de l’une ne réduit pas la responsabilité de l’autre.
Il n’y a pas de partage de la responsabilité pénale, contrairement à la responsabilité civile : chacun répond de son fait comme s’il en était le seul auteur.

2) Le caractère non immédiat de la causalité pénale

Ici, on n’apprécie pas le lien de causalité entre un comportement et le résultat qu’il occasionne, mais entre l’atteinte résultant aussitôt de ce comportement et ses conséquences finales alors que l’atteinte est susceptible de s’aggraver.

A priori, on peut imaginer que la faute imputée à l’auteur d’une faute est l’élément moral de l’infraction. Si l’infraction est intentionnelle, son résultat est voulu, donc l’auteur ne devrait répondre que du résultat immédiat qu’il a pu avoir en tête.

Les magistrats ne raisonnent pas ainsi. Ils considèrent que, pour les infractions intentionnelles et non intentionnelles, il faut raisonner par rapport au résultat final.
→ Principe : le lien de causalité en matière pénale n’a pas à être immédiat.

Peu importe donc le caractère imprévisible du résultat final.
Peu importe si ce résultat tient au comportement de la victime, qui aurait aggravé par sa propre faute l’atteinte qui lui aurait été causée, ou à des prédispositions de la victime.
L’agent doit répondre du résultat final, et non du résultat immédiat qu’il a occasionné.

Cette règle connaît 2 exceptions :

  1. Une atténuation légale : les coups ayant entraîné la mort d’autrui sans intention de la donner.
    Le législateur distingue cette infraction du meurtre et renonce à imputer le résultat final : il accepte que l’auteur des coups ne réponde que du dommage qu’il a immédiatement causé.
  1. Une atténuation jurisprudentielle, qui réserve une place à la cause étrangère.
    Lorsque le dommage final est aggravé par une cause étrangère, on renonce à en faire le reproche à l’auteur de l’infraction.

    Par exemple, si la victime d’un coup de couteau est conduite à l’hôpital où elle décède à la suite d’une défaillance d’un appareil de réanimation, on accepte que l’auteur ne réponde que des violences, et non de meurtre.
    Idée : cette défaillance d’un appareil de réanimation est une cause étrangère, qui a aggravé le dommage causé ; la victime n’aurait jamais dû décéder si cet accident ne s’était pas produit.

    Les magistrats acceptent que la cause étrangère rompe le lien de causalité entre le comportement de l’agent et le dommage final dont ils constatent la réalisation.
    Cette hypothèse reste exceptionnelle : il est rare qu’un évènement soit totalement étranger à celui qui a provoqué un dommage.
    La plupart du temps, un lien de causalité est établi dès lors qu’il est certain : il suffit d’engager la responsabilité pénale de celui qui, par son action ou son abstention, a produit le résultat redouté par le législateur.

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