Cours 8 : L’application des règles pénales de forme dans le temps

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Par “règles de forme”, on entend tout ce qui ne relève pas des règles de fond (= tout ce qui ne relève pas de la définition d’une infraction, de sa sanction, ou du régime de responsabilité).

Les lois de forme obéissent à un principe général différent des lois de fond : elles s’appliquent immédiatement.
L’équité joue un rôle bien plus réduit.

§ 1. L’application immédiate des règles nouvelles de forme

A – L’application immédiate des règles de procédure

L’article 112-2 du Code pénal dispose que “sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : les lois de compétence et d’organisation judiciaire, les lois fixant les modalités de poursuite et d’organisation judiciaire, les lois fixant les modalités de poursuites et les formes de la procédure”.
→ Les règles de forme, au sens large, sont d’application immédiate.

1) Le principe d’application immédiate des règles nouvelles de procédure

Ce principe signifie que ces règles nouvelles s’appliquent dans les procédures déjà ouvertes, pour tous les actes restant à accomplir ; peu importe le contenu de ces actes et peu importe que la règle nouvelle ait été adoptée afin de faciliter la répression ou de renforcer les droits de la défense.

La loi nouvelle de procédure s’applique à la poursuite de toute infraction qui n’a pas encore fait l’objet d’une condamnation passée en force de chose jugée irrévocable au moment de son entrée en vigueur.

Par exemple, si une loi nouvelle élargit les conditions d’application de la comparution immédiate (= procédure expéditive), elle peut être appliquée aux infractions antérieures non encore poursuivies.

2) La justification de l’application immédiate des règles nouvelles de procédure

Les défenseurs de l’application immédiate des règles de procédure mettent en avant 3 justifications :

  1. Les lois nouvelles de procédure ne portent atteinte à aucun droit fondamental, donc leur application n’a pas la même garantie que les lois nouvelles de fond ;

    Mais une telle justification n’est pas pertinente, parce qu’une loi nouvelle qui supprimerait une voie de recours ou qui réduit les hypothèses dans lesquelles une demande d’acte peut être formée porte atteinte aux droits de la défense et menace l’équité du procès.

  1. La fonction d’avertissement attribuée à la loi pénale ne se vérifierait qu’en droit pénal de fond :
    Les règles de procédure ne sont pas prises en compte par les criminels et délinquants avant leurs forfaits, donc leurs prévisions ne sont pas modifiées par la modification ultérieure des règles de procédure ;

    Mais il n’y a aucune raison de limiter le calcul de risque mené par un individu aux seules règles de fond.
    Si le délinquant est capable de lire le Code pénal, il est capable de lire le Code de procédure pénale.

  1. L’application immédiate des règles nouvelles de procédure favorise une meilleure administration de la justice, car toute règle nouvelle est présumée meilleure que l’ancienne, donc chacun profiterait de son application immédiate.

    En pratique, cette justification se heurte à une réalité bien différente : à chaque fois que la loi de procédure est renforcée dans un souci d’efficacité répressive, elle méconnaît les intérêts de la personne poursuivie.
    On ne peut donc pas la considérer comme forcément meilleure que l’ancienne.

→ Le principe d’application immédiate des règles nouvelles de procédure repose sur des bases fragiles.

B – L’application immédiate des règles de prescription

1) Le principe de l’application immédiate des règles nouvelles de prescription

La prescription publique est le délai au bout duquel le ministère public ne peut plus engager de poursuites contre l’auteur des faits.
La prescription de la peine est le délai au bout duquel il n’est plus possible de faire exécuter une condamnation pénale.

L’article 112-2 du Code pénal dispose que les lois nouvelles “relatives à la prescription de l’action publique ou relative à la prescription des peines” sont applicables immédiatement.

💡 Si le délai de prescription est entièrement expiré, une loi nouvelle ne peut pas rouvrir ce délai.
Il faut que l’action publique ou les peines ne soient pas déjà prescrites.

En revanche, la loi nouvelle peut en modifier le régime dans tous ses aspects : elle peut modifier le point de départ du délai, la durée du délai, ou attribuer un nouvel effet interruptif de prescription à certains actes de procédure.

Une importante réforme de la prescription de l’action publique est entrée en vigueur en 2017 : elle a doublé le délai de l’action publique en matières correctionnelle (désormais 6 ans) et criminelle (20 ans).
→ Cette loi est entrée en vigueur immédiatement.

2) Les justifications de l’application immédiate des règles de prescription

Justification : un délinquant ou un criminel ne peut pas prétendre à un droit à la prescription, tant que celle-ci ne s’est pas entièrement réalisée.

Cette justification discutable rappelle l’hostilité du législateur et de la jurisprudence à l’égard du phénomène de prescription.
Idée : le criminel ou le délinquant ne profite que de manière exceptionnelle de l’impuissance de l’autorité de poursuite.

Les règles gouvernant la prescription de l’action publique sont traditionnellement analysées comme des règles de forme, parce qu’elles participent du régime de cette action.
La Cour de cassation en déduit que la prescription a pour seul effet de faire obstacle à l’exercice des poursuites → ne neutraliserait que le droit de forme.

Mais, dans d’autres hypothèses, la Cour de cassation semble y voir des règles de fond, parce que lorsque cette prescription est acquise, les faits prescrits ne constituent plus des infractions.
Cette justification n’est donc guère satisfaisante.

§ 2. Les dérogations à l’application immédiate des règles nouvelles de forme

Le principe est celui de l’application immédiate des règles nouvelles de forme, quel que soit leur objet.
Ce principe s’applique aux procédures à venir, mais aussi à toutes celles qui ne sont pas encore achevées au moment de leur entrée en vigueur.

Cela constitue un facteur d’insécurité juridique doublement contestable et menace la bonne administration de la justice.
L’application immédiate de la règle nouvelle de forme voit donc sa portée limitée.

A – Les limites à l’application immédiate des règles nouvelles de forme

De façon pragmatique, le législateur considère qu’une loi nouvelle ne doit jamais remettre en cause ce qui a été fait sous l’empire de la loi ancienne.

Article 112-4 du Code pénal :
”L’application immédiate de la loi nouvelle est sans effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne”.
→ Même si elles sont d’application immédiate, les lois nouvelles fixant la poursuite et la procédure ne peuvent pas être utilisées pour contester la validité d’un acte fait antérieurement.

L’article 112-3 du Code pénal dispose que :

Les lois relatives à la nature et aux cas d’ouverture des voies de recours ainsi qu’aux délais dans lesquels elles doivent être exercées et à la qualité des personnes admises à se pourvoir sont applicables aux recours formés contre les décisions prononcées après leur entrée en vigueur.

Le prononcé d’une décision crée donc un droit acquis aux voies de recours existant à ce moment pour celui que la décision concerne ; sa stratégie judiciaire ne doit pas être perturbée par l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.
→ Le législateur ne peut pas priver un individu du droit de recours dont il disposait en vertu de la décision qui le condamne.

Enfin, l’article 112-2 du Code pénal déclare applicables immédiatement “les règles nouvelles de compétences et d’organisation judiciaire, tant qu’un jugement au fond n’a pas été rendu en première instance”.
→ L’organisation du procès se cristallise dès l’instant où un jugement est rendu au fond.
Objectif : éviter une instabilité dans les procédures.

Il n’est pas certain que toutes ces atténuations du caractère immédiat de l’application de la loi nouvelle de forme suffisent pour ménager les intérêts de la personne poursuivie.

B – La rétroactivité nécessaire de certaines règles nouvelles de forme

Ce débat est relativement ancien, même si le législateur français a tardé à en tirer les conséquences qui s’imposent.
Roubier disait dans les années 1940 que, si l’on accepte la rétroactivité des lois pénales de fond, il faut également l’accepter pour les règles de procédure.

Idée : on ne peut pas traiter les règles de forme comme si elles étaient indifférentes à la situation des personnes poursuivies, parce que ces règles peuvent affecter l’honneur et la liberté des justiciables.

Il existe aussi un risque de manipulation du pouvoir, qui déciderait de soumettre une poursuite à des règles plus rigoureuses dans un objectif politique.

1) Le cas particulier de la loi relative à l’exécution et à l’application des peines

La loi relative à l’exécution et à l’application des peines contient des règles qui peuvent alourdir le régime de la peine prononcée : règles qui modifient la contrainte judiciaire / l’emprisonnement, les règles relatives à la libération conditionnelle…
Cette catégorie est soumise dans le Code pénal à un régime spécifique.

L’article 112-2 du Code pénal dispose que les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, mais que, au nom du principe d’équité :

“Toutefois, ces lois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur.”

Cette application immédiate ne concerne donc que les lois nouvelles relatives à l’exécution ou à l’application des peines qui sont plus douces.
→ En pratique, ces lois sont traitées comme des lois pénales de fond.

2) L’élargissement du correctif à toutes les lois nouvelles de forme

La solution retenue en France aujourd’hui, qui conduit à une application immédiate des lois nouvelles de forme moins favorables à la personne poursuivie, a été condamnée par la CEDH :

CEDH, 1995, Jamil contre France :

Une loi de 1987 porte de 4 mois à 2 ans la durée de contrainte par corps (= emprisonnement pouvant être infligé à celui qui refuse de payer une amende).

M. Jamil est trafiquant de produits stupéfiants. Il est définitivement condamné à payer une forte amende après l’entrée en vigueur de cette loi nouvelle ; il s’expose donc à 2 ans d’enfermement.

Il saisit la CEDH, qui condamne la France.
Elle considère que la contrainte par corps constitue une peine et que, puisqu’elle est plus sévère, elle ne peut donc pas être appliquée de manière rétroactive.

→ Remise en cause du système dégagé par la jurisprudence à l’époque et aujourd’hui consacré dans notre Code pénal.

CEDH, 2009, Scoppola contre Italie :

La CEDH juge que l’application immédiate d’une loi nouvelle durcissant le régime de la procédure italienne lorsque l’on plaide coupable est illégitime.

Il apparaît urgent d’appliquer ce correctif aux lois nouvelles de forme, qui pourraient avoir une influence défavorable sur le poursuivi.

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