Cours 7 : L’application des règles pénales de fond dans le temps

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Le Code pénal de 1810 se contentait de disposer que nulle contravention/délit/crime ne peut être puni de peine qui n’était pas prononcée par la loi avant qu’il ne soit commis.

Le Code pénal actuel (adopté en 1992 et entré en vigueur en 1994) a consacré cette vision : il déduit du principe de légalité la non-rétroactivité de principe des nouveaux textes en matière pénale.
Mais il admet aussi qu’il peut être dérogé à ce principe de non-rétroactivité du texte pénal nouveau chaque fois que celui-ci apparaît plus doux que l’ancien.

§ 1. La non-rétroactivité des nouveaux textes plus sévères en droit pénal de fond

Le droit pénal de fond fixe les règles relatives à l’incrimination et à la sanction d’un comportement, ainsi que celles relatives aux mécanismes de responsabilité pénale.

Le principe de légalité veut que l’on applique ces règles de fond telles qu’elles existaient au moment des faits, peu importe les textes ultérieurs.
Ainsi, l’analyse juridique d’une infraction doit rester figée dans le temps selon les termes de la loi ou du règlement en vigueur au moment où les faits ont été accomplis.

Cette solution se fonde aussi sur la crainte – historiquement fondée – de voir incriminé un comportement a posteriori dans le seul but de nuire à son auteur.

A – Le maintien des anciens textes d’incrimination

L’application du texte d’incrimination en vigueur au moment des faits est un principe constitutionnel, qui découle de l’article 8 de la DDHC.
”Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit”.
La même solution est consacrée à l’article 7 de la Convention EDH.

L’article 112-1 du Code pénal dispose que “sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis”.

Ce principe s’impose au pouvoir réglementaire, qui ne peut pas prétendre conférer une application rétroactive à un nouveau règlement d’incrimination.

Ce principe oblige également le législateur :
Conseil constitutionnel, 9 janvier 1980 :
Le Conseil constitutionnel étend cette exigence à toute la matière pénale, peu importe l’autorité qui prononce la sanction.
💡 Parfois, c’est une autorité administrative qui prononce la sanction pénale, et non le juge pénal.

Même si une loi nouvelle échappait au contrôle du Conseil constitutionnel, le droit européen et le droit international font obligation au juge français d’écarter tout texte d’incrimination qui aurait été déclaré abusivement applicable à des faits commis avant son entrée en vigueur.
La CEDH exige des juges nationaux qu’ils s’opposent à l’entrée en vigueur d’une loi pénale plus ancienne.

B – Le maintien de l’ancien texte de pénalité

Article 112-1 du Code pénal : la sanction prononcée contre l’auteur d’une infraction est celle prévue quand les faits ont été commis.

Idée : la répression est fondée sur l’avertissement fait à l’auteur.
L’auteur commet les faits “en connaissance de cause”.
Un délinquant est un être rationnel, car “nul ne peut méconnaître la loi”.

Il existe une dérogation essentielle à cette règle : lorsque le texte nouveau s’avère plus doux que l’ancien :

§ 2. La rétroactivité des nouveaux textes plus doux en droit pénal de fond

L’article 112-1 ajoute que :
”Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.”

Une telle solution paraît étrange, parce qu’un texte n’existant pas au moment des faits n’a pas pu être pris en compte par leur auteur.
Elle repose sur une exigence d’équité, qui autorise le juge à dire qu’au jour où il statue, par l’application d’une loi nouvelle, les faits ne sont plus ce qu’ils étaient au moment où ils ont été commis.

On parle de rétroactivité in mitius pour identifier la rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus douce.

A – Le principe de la rétroactivité in mitius

Aujourd’hui, la rétroactivité in mitius est un principe fondamental rarement exprimé dans les grands instruments de protection des droits de l’homme.
Ce principe s’impose pourtant comme une exigence de justice élémentaire et d’équité, puisque l’intérêt de la société à la punition semble avoir disparu.

La rétroactivité in mitius ne bénéficie pas d’une reconnaissance formelle aussi générale que le maintien de la loi pénale ancienne en vertu du principe de légalité.
Elle n’est pas mentionnée expressément dans la déclaration de 1789, ni dans l’ancien Code pénal, ni dans la Convention EDH.
Cela peut s’expliquer parce qu’il paraît difficile d’enfermer ce qui est “juste” dans un texte. Cela semblait aussi comme une évidence.

Conseil constitutionnel, 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes :
Le Conseil constitutionnel fait découler cette rétroactivité de la loi pénale plus douce du principe de nécessité des peines, établi par l’article 8 de la DDHC.
Idée : l’ancienne peine, selon l’appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires.

CEDH, 2009, Scoppola c/ Italie :
La CEDH voit dans la rétroactivité in mitius un principe fondamental du droit pénal.
Elle considère que l’article 7 de la Convention EDH ne garantit pas seulement le principe de non-rétroactivité des lois pénales nouvelles plus sévères, mais aussi le principe de rétroactivité des lois pénales plus douces.

La CJUE rend une décision dans le même sens en 2005.

B – La remise en cause de la rétroactivité in mitius

En pratique, la rétroactivité in mitius pose des difficultés et conduit à des comportements abusifs.
Elle peut conduire à un allongement artificiel des procédures, dans le seul but de permettre à l’auteur d’une infraction de bénéficier de l’application d’un nouveau texte plus doux.

Malgré la reconnaissance de ce principe au plus haut niveau, le législateur français continue donc de neutraliser ponctuellement la rétroactivité in mitius, par crainte d’encourager les phénomènes d’anticipation à l’approche des grandes lois de dépénalisation.
→ Sème le doute sur la portée de ce principe.

En 1997, cet objectif de lutte contre la fraude a prévalu jusque devant la Cour de cassation, qui a admis que le législateur peut bien déroger à l’exigence de la rétroactivité in mitius dès lors qu’il le fait pour éviter la fraude consistant selon lui à exercer des recours pour profiter de l’application de la loi pénale nouvelle à des faits anciens.

Cette position est devenue difficilement tenable lorsque la CJUE et la CEDH ont consacré ce principe de rétroactivité in mitius comme droit fondamental.
La Cour de cassation a fini par transmettre au Conseil constitutionnel en 2010 une QPC sur le sujet, dans le cadre de poursuites pour le délit de revente à perte.

Conseil constitutionnel, 3 décembre 2010 :
Admet la neutralisation ponctuelle de la rétroactivité in mitius.
Ajoute que la rétroactivité in mitius s’applique “sauf à ce que la répression antérieure plus sévère soit inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s’est substituée”.

Le Conseil constitutionnel consacre ainsi l’atteinte portée par le législateur à la rétroactivité in mitius en matière économique.
→ Il se place en contradiction avec la CJUE et la CEDH.

Certains considèrent qu’il organise ainsi la violation des droits fondamentaux, alors qu’il est celui qui est censé les protéger…

C – L’application de la rétroactivité in mitius

Cette application dépend de l’appréciation par le juge du caractère plus doux ou plus sévère de cette loi nouvelle.

1) Les conditions de la rétroactivité in mitius

L’hypothèse la plus simple est celle dans laquelle une loi nouvelle abroge le texte ancien d’incrimination et la pénalité : elle est considérée plus douce et elle a vocation à s’appliquer immédiatement.
Si les faits n’ont pas été définitivement jugés, leur auteur peut prétendre à une relaxe ou à un acquittement.

Mais il arrive qu’une loi nouvelle se contente de modifier le périmètre d’une incrimination, sans modifier les peines qui lui sont applicables.
Elle est considérée comme plus douce si elle réduit le champ d’application de la loi pénale.

Il arrive aussi qu’une loi nouvelle modifie l’incrimination et la peine, mais dans des sens différents : on parle d’une loi nouvelle complexe.
Autant que possible, il faut essayer d’isoler dans la loi nouvelle les dispositions plus douces, qui ont vocation à s’appliquer immédiatement (y compris de façon rétroactive), et les dispositions plus sévères, qui n’ont vocation à s’appliquer que pour l’avenir.

Certains pensent que le juge exagère son pouvoir d’interprétation, en donnant à la loi nouvelle une portée que le Parlement n’a pas voulu lui confier.
→ Une partie de la doctrine suggère de ne pas diviser la loi nouvelle.

2) Le régime de la rétroactivité in mitius

⚠️ L’application immédiate d’un texte nouveau plus doux n’est envisageable que lorsqu’une décision n’est pas passée en force de chose jugée.
→ Exigence de sécurité juridique.

Cette règle connaît une atténuation à l’article 112-4 du Code pénal :
”La peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale”.

La dépénalisation d’un comportement a donc pour conséquence d’interrompre l’exécution des peines antérieurement prononcées.
⚠️ Elle n’agit que sur l’exécution des peines en cours et ne remet pas en cause la condamnation.
Exemple : une amende déjà payée ne peut pas être remboursée.

Le texte nouveau plus doux est susceptible de s’appliquer rétroactivement à n’importe quel stade de la procédure : première instance, appel, cassation…

Dans cette hypothèse, si la Cour de cassation est saisie, elle annule l’arrêt et met fin aux poursuites immédiatement.

En effet, la rétroactivité in mitius est considérée comme un droit fondamental → elle est d’ordre public, les juges ont donc l’obligation d’en faire bénéficier le prévenu, même s’il ne le demande pas.

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