Chapitre 4 : L’application du droit international dans l’ordre interne

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Droit international public (L3).

L'application est une opération juridique qui consiste à établir les effets individuels des règles de droit international.
Autrement dit, c'est une opération juridique par laquelle les sujets se voient opposer les effets individuels de règles internationales.
Cela revient à étudier comment les règles internationales vont produire des effets individuels dans l'ordre juridique interne.

Conseil constitutionnel, 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire :
Rappelle qu'un traité valablement ratifié et entré en vigueur doit être exécuté en France en application de la règle pacta sunt servanda.
→ Le droit international doit être exécuté.

Très souvent, l'exécution d'une obligation internationale implique l'adaptation du droit interne.
C’est ici que le rapport de systèmes apparaît.

Pour le droit international, le droit interne n'est que du fait, et jamais un argument pour ne pas respecter une règle.
L’État doit modifier et supprimer dans son droit interne toutes les dispositions qui sont incompatibles avec ses engagements internationaux.

Pour le droit interne français, il est de jurisprudence constante que divers organes doivent veiller à l'application des conventions internationales ; on fait intervenir pour cela toutes les autorités législatives, politiques et judiciaires.

De plus, le droit international évolue.
Il y a aujourd’hui de plus en plus traités qui confèrent des droits individuels à la personne (traités en matière d'investissements ou en matière de droits de l'homme).
L’État doit donc créer ces droits au profit des personnes dans son ordre juridique interne.

Dès lors, différentes questions se posent :

  • Comment la règle internationale entre-t-elle dans l'ordre juridique interne ?
  • À quelles conditions une règle internationale sera applicable dans l'ordre juridique interne ?
  • À quelles conditions une règle internationale sera invocable dans l'ordre juridique interne ?
  • Quel est le rang interne du droit international par rapport aux autres règles de droit interne ?
💡
Nous allons ici prendre le point de vue du droit français.
Il ne faut pas oublier qu'en général, on laisse les modalités de l'application du droit international aux États.

Section 1 : L'incorporation des normes internationales dans l'ordre interne

§ 1. Analyse théorique

Le dualisme présuppose qu'il y a 2 ordres juridiques : l'ordre juridique international d'un côté et l'autre juridique interne de l'autre.
Le
monisme considère qu'il n'y a qu'1 seul ordre juridique.

La distinction entre dualisme et monisme porte principalement sur les modalités de l’incorporation du droit international dans le droit interne :

  • dans un système dualiste, il y a réception du droit international ;
  • dans un système moniste, il y a un automatisme de l’application du droit international.

A – Le dualisme

Le dualisme suppose la juxtaposition de l'ordre juridique international et des ordres juridiques internes.
Idée : ce sont des ordres juridiques différents, qui dépendent de conditions de validité spécifiques qui s'appliquent à des situations spécifiques.
Dans l'ordre juridique international, les Etats sont principalement destinataires du droit international. Quand le droit international concerne les individus, il les traite davantage comme des objets que comme des sujets ; mais l'ordre juridique international est un ordre principalement étatique.

Il faut un acte de transposition du droit international dans l'ordre juridique interne.
L'acte interne assure la réception du droit international dans le droit interne.
Exemple : une loi de transposition aura un contenu identique à celui du traité, et on appliquera la loi.
Idée : l'acte de transposition est choisi par le droit interne.

B – Le monisme

Le monisme suppose que, dans les 2 cas, droit international et droit interne ont le même objet : il s'agit de régir des rapports sociaux entre les individus, et la source du droit est identique puisqu'il s'agit toujours d'États.
Dans le système moniste, le droit international s'applique immédiatement.
Il y a seulement une clause, généralement dans la Constitution, qui assure une réception automatique du droit international en droit interne.
L'engagement international aura la valeur que lui donne la clause d'adaptation / de réception automatique.

Quelles sont les solutions retenues dans le système français ?

§ 2. Solutions du droit français

Le droit interne français organise la réception du droit international :

A – Le droit conventionnel : article 55 de la Constitution

L'article 55 de la Constitution prévoit que :
"Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie".

À la lecture de ce texte, on considère que la France a adopté un régime moniste : on n'a pas à transposer les traités.

Mais, selon la professeure Daphné Dreysse, il faut relativiser ce monisme, parce que l'article 55 fixe des conditions : il n'y a pas d'application inconditionnelle du droit international.
De plus, la Constitution française ne traite pas du tout de la coutume ni d'autres sources du droit international.

Il n'y a pas de système purement moniste ou purement dualiste.
Les systèmes dualistes prévoient généralement des clauses d'adaptation pour les coutumes.

L'article 55 fixe des conditions et un rang hiérarchique.
Les traités vont pouvoir produire des effets non pas en raison de la validité des procédures internationales, mais en raison des dispositions constitutionnelles.
→ La France semble quand même dualiste.

B – Le droit coutumier : Préambule de la Constitution de 1946 (CE, Aquarone)

Il n'y a qu'1 seule référence constitutionnelle à la coutume internationale : dans le préambule de la Constitution de 1946.
"La République française se conforme aux règles du droit public international".

Conseil d'État, 1997, Aquarone :
Ni l'article 55 ni aucune disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n'implique que le juge fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces 2 normes.
→ La coutume est applicable en droit français tant qu'elle n'est pas contraire à la loi.

Cette solution a été confirmée dans un arrêt de 2011 (Conseil d’État, 2011, Mme. Saleh).

Section 2 : L'applicabilité des normes internationales dans l'ordre interne

§ 1. Pour le droit conventionnel

A – Existence de l’engagement

1) Ratification ou approbation régulière

Il n'y a pas de contrôle de la signature, qui est considéré comme étant un acte de gouvernement
mais il y a un contrôle sur la régularité de la ratification, qui porte à la fois sur l'existence de la ratification (CE, 1956, Ministère chargé des relations avec les Etats associés : le conseil d'état a vérifié si la convention avait été ratifiée, ce qui n'était pas le cas en l'espèce)
donc on vérifie l'existence d'une ratification

le contrôle porte aussi sur la régularité de la ratification, et notamment contrôle sur la coopération entre les différentes autorités législatives et exécutives

Principe : Conseil d’État, 1998, SARL Parc d'activités de Blotzheim :
Le Conseil d’État se reconnaît compétent pour vérifier que la convention a été ratifiée à la suite d'une loi, comme l'exige l'article 53 de la Constitution.

Le contrôle se fait généralement par un contrôle du décret de publication.

Application : Conseil d’État, 2000, Bamba Dieng :
Le Conseil d’État annule le décret de publication d'un accord parce qu'il n'avait pas été soumis au Parlement alors qu'il entrait dans les traités listés à l'article 53 de la Constitution.

Cour de cassation (Civ. 1), 2001, ASECNA :
La Cour de cassation vérifie que les conditions posées par l'article 53 de la Constitution sont remplies et que le législateur est intervenu.
Ça n’était pas le cas en l'espèce → la Cour de cassation a considéré que l'accord n'avait pas été régulièrement ratifié ou approuvé.


2) Publication : décrets du 14 mars 1953 et du 11 avril 1986

Conseil d’État, 1961, Franck :
Le Conseil d’État explique que la publication des traités internationaux constitue une condition de leur entrée en vigueur dans l'ordre juridique interne.

Doivent être publiés au Journal Officiel : le traité dans son intégralité + les réserves + les déclarations interprétatives + l'acte de dénonciation d'un traité.

Aucune condition de délai n’est fixée par les textes : la publication peut être différée dans le temps.
Cependant,
tant que le traité n'est pas publié, il n'est pas applicable et n'entre pas en vigueur dans l'ordre juridique interne.

Le Conseil d'État refuse de prendre en considération les traités non publiés au Journal Officiel, même s'ils ont été publiés par une autre voie.
Il s'agit d'un moyen d'ordre public (le juge doit le soulever d’office).
Les traités doivent aussi être publiés dans la bonne section du Journal Officiel.

L’application d'un traité non publié peut engager la responsabilité pour faute de l'administration.

B – Application de l’engagement

il y a ensuite des conditions qui tiennent à l'application de l'engagement

1) Entre les parties : la condition de réciprocité

Le juge constitutionnel laisse la question de la réciprocité aux juridictions ordinaires.
Il a simplement précisé qu'
il ne faut pas respecter cette condition pour les traités relatifs à l'Union européenne + pour les traités relatifs aux droits de l'homme + pour les traités présentant un caractère humanitaire.
→ Pour tous les autres traités, le juge ordinaire doit apprécier cette condition de réciprocité.

Il y a ici une importante évolution de la jurisprudence : les juges ont d'abord refusé d’exercer ce contrôle, avant de changer d’avis à la suite d’une condamnation de la France par la CEDH.

Conseil d’État, 1981, Rekhou :
Le Conseil d’État s’estime incompétent pour contrôler la condition de réciprocité.
Le juge demande son avis au ministre des Affaires étrangères français, qui lui écrit une note sur le sujet ; le juge se considère ensuite lié par le contenu de celle-ci, parce qu’il se considère incompétent en la matière.

CEDH, 2003, Chevrol c/ France :
Le système mis en place par le Conseil d’État, qui consiste à demander l’avis du ministre, est contraire à l’article 6 de la Convention EDH, qui pose le principe du “droit à être jugé par un tribunal impartial et indépendant”.
Idée : un juge lié par la note d’un ministère n’est plus indépendant ni impartial, parce qu’il n’a pas de recul à l’égard de l’avis qui lui est donné.

Conseil d’État, 2010, Mme. Cheriet-Benseghir :
Le Conseil d’État fait évoluer sa jurisprudence : il se reconnaît enfin compétent pour contrôler l’application réciproque.
Il affirme qu’il n’est désormais
plus lié par l’avis du ministre des Affaires étrangères.

Il estime que le juge administratif doit désormais se former sa propre opinion sur le sujet, en utilisant tous les outils à sa disposition pour obtenir des informations sur l’application réciproque.
Il peut toujours demander son avis au ministre des Affaires étrangères, mais ne s’estime plus lié par celui-ci.
Il peut procéder à l’audition de l’ambassadeur de l’État concerné en France.
Il peut se rendre sur place.

→ Aujourd'hui, ce sont les juridictions qui contrôlent s'il y a bien une application réciproque.


2) Situation de fait

Comment interpréter l'engagement ? Quelle juridiction est compétente pour déterminer la teneur de l'engagement ?

Pendant longtemps, les juridictions refusaient d'interpréter les traités, avant qu’un double revirement n’intervienne :

  1. Conseil d’État, 1990, GISTI :

    La question posée était de déterminer le sens d'une disposition d'un traité bilatéral entre la France et l'Algérie relatif aux bénéficiaires du droit au regroupement familial, et notamment les enfants mineurs.
    L’association requérante considérait qu'il fallait interpréter le père des enfants mineurs selon le Code civil algérien, tandis que l'État français interprétait au sens du droit français.

    Le Conseil d’État demande son avis au ministère des Affaires étrangères et suit son avis, mais en se fondant sur "l'ensemble des pièces du dossier" → il s’estime compétent pour déterminer le sens à donner au traité.

  1. Cour de cassation (Civ. 1), 1995, Banque africaine de développement.

Ainsi, pour le droit conventionnel, il faut bien que ces 3 conditions (ratification ou approbation régulière + publication + réciprocité) soient remplies.
Il y a un contrôle systématique des juridictions pour vérifier qu'elles sont remplies avant d’appliquer le traité à une situation d'espèce.

§ 2. Pour le droit coutumier

La coutume trouve à s'appliquer directement sans conditions (Conseil d'État, 1997, Aquarone).

Les juges civils semblent retenir la même solution :
Cour de cassation (Crim.), 2001, Kadhafi :
La Cour de cassation considère que Kadhafi a le droit d'invoquer devant la juridiction française le droit international coutumier relatif à l'immunité qui protège le chef d'État étranger en exercice.

La seule question pour la coutume est celle de son rang hiérarchique, qui n'est pas précisée par la Constitution → voir section 4.

Section 3 : L’effet direct des normes internationales

§ 1. La définition de l’effet direct

La question de l'effet direct relève du droit interne et est propre à chaque système juridique.
Il s'agit de savoir si une norme internationale peut produire des effets de droit et être invocable directement dans l'ordre interne.

L'effet direct renvoie à l'aptitude d'une norme à créer par elle-même des droits ou des obligations au bénéfice ou à la charge des personnes privées.

L'effet direct est lié à la notion d'invocabilité.
Il y a des débats en doctrine qui visent à distinguer l'effet direct à proprement parler, c'est-à-dire la faculté d'une règle à produire directement des droits et des obligations, et l'invocabilité.

Le juge administratif refuse toute invocabilité d'une norme internationale dès lors qu'elle est dépourvue d'effet direct.
Exemple : Conseil d'État, 1984, Mme Dalton :
Le Conseil d’État explique que l'article 4-4 de la Charte sociale européenne ne produit pas d'effet direct à l'égard des nationaux et en déduit l'impossibilité pour la requérante de se prévaloir de cet article en justice.
Donc, pour le Conseil d'État, effet direct = invocabilité.
Cette solution est ensuite rappelée dans l'arrêt Conseil d'État, 2012, GISTI et FAPIL.

Ce cours étudiera ces notions en même temps, en partant de l’idée que si l’on bénéficie d'un droit, c'est pour pouvoir l'invoquer en justice.

Toutes les normes internationales ne sont pas dotées d'effet direct et ne sont pas invocables en justice.
Par exemple, les résolutions du Conseil de sécurité sont obligatoires pour les États et peuvent produire des effets de droit pour les particuliers, mais n'impliquent pas d'effet direct.
En 2006, la Cour de cassation a expliqué que si les résolutions du Conseil de sécurité s'imposent aux États membres, elles n'ont pas d'effet direct en France ; à défaut, elles peuvent être prises en compte par le juge en tant que faits juridiques.

§ 2. Les solutions du droit positif

Fondamentalement, la question de l'effet direct relève du droit interne, mais elle est aussi prise en compte par le droit international qui a posé des conditions pour qu'une règle soit d'effet direct.

A – Dans l'ordre juridique international

Est-ce qu'un traité peut créer des droits directement dans le chef des particuliers ?
💡 "dans le chef" signifie "dans la personne".

Arrêt fondateur : CPJI, 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig :
Question qui se posait : l'accord conclu entre la Pologne et la Ville de Dantzig relatif aux chemins de fer pouvait-il créer des droits directement invocables devant les tribunaux ?
Des personnes privées invoquaient les dispositions conclues dans le traité devant les tribunaux de Dantzig, mais les tribunaux refusent en retenant que le traité est un accord interétatique et ne peut donc jamais être invocable par un particulier.
→ Un traité peut-il créer des droits pour les personnes privées ?

Aujourd'hui, la réponse est très claire, mais à l'époque ça n'était pas évident ; au contraire, on voyait le droit international comme un droit interétatique qui ne s'adressaient qu'aux États.

Dans un considérant de principe, la CPJI explique que, selon un principe du droit international bien établi, un accord international ne peut pas créer directement des droits et des obligations pour les particuliers.
Cependant, elle rajoute qu'on ne saurait contester que l'objet même d'un accord international, dans l'intention des parties contractantes, puisse être l'adoption de règles créant des droits et des obligations pour les individus et susceptibles d'être appliquées par les tribunaux nationaux.

Donc le principe est clair : le droit international ne crée pas de droits ni d'obligations pour les particuliers ; mais il y a une exception importante : si les parties ont voulu le faire, alors c'est possible.
→ Principe de la liberté des États de s'engager comme ils l'entendent.

Il y a 2 conditions :

  1. L’intention des parties : il faut interpréter le traité pour voir si c'est ce que les États ont voulu faire ;
  1. Les droits et les obligations créés au profit des personnes privées doivent être suffisamment clairs pour être appliqués par les tribunaux nationaux.

CIJ, 2001, LaGrand (Allemagne c. États-Unis d'Amérique) :
L’affaire LaGrand a créé une nouvelle catégorie : les droits individuels internationaux.
Dans cette affaire, qui opposait l'Allemagne aux États-Unis, les frères Lagrand, qui sont des truands ressortissants allemands ayant commis un braquage de banque aux États-unis durant lequel un agent de sécurité meurt, ils sont arrêtés, détenus, jugés et condamnés à la peine de mort aux États-Unis.
Très tardivement, l'Allemagne apprend que ses 2 ressortissants ont été condamnés à la peine de mort ; elle saisit la CIJ parce que les États-Unis ont oublié d'informer l'Allemagne de l'arrestation de ses 2 ressortissants.
Or la Convention de Vienne sur les relations consulaires (1963) prévoit le droit pour toute personne arrêtée à l'étranger d'obtenir une assistance de la part de son État à son article 36 paragraphe 1.

La CIJ a jugé que la formulation de l'article 36 paragraphe 1 est tellement claire que le droit de prévenir son consulat et d'obtenir une assistance est un droit international individuel.
→ Les traités peuvent créer des droits au profit des personnes privées.

💡
Cette évolution se constate même dans la formulation des arrêts de la CIJ : dans les anciens arrêts, on parle "d'individu” pour désigner un particulier ; aujourd’hui, on parle de "personne privée".

B – Dans l'ordre juridique français

Le droit français distingue entre les traités et les coutumes.

1) Les traités internationaux

Conseil d'État, 2012, GISTI et FAPIL :
Les stipulations d'un arrêt ou accord régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution peuvent utilement être invoquées à l'appui d'une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l'application d'une loi dès lors qu'elle crée des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir.
Une stipulation doit être reconnue d'effet direct lorsque, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elle n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets.

Il y a donc 2 conditions :

  1. L’intention des parties : il faut que les dispositions d'un traité aient bien pour objet de créer des droits subjectifs pour les personnes, et pas simplement de régir les relations entre États ;
  1. Le caractère caractère complet de la disposition en cause.

Ces conditions sont cumulatives : la disposition doit être suffisamment précise pour être applicable par elle-même.
Il faut que le juge puisse appliquer la disposition au cas de l'espèce, sans aucun texte.

Exemple : dans l’article 12 du PIDESC, les États parties reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental.
Cette disposition n'est pas d'effet direct et ce droit n'est pas invocable, parce qu'il est imprécis.

Les juridictions vérifient au cas par cas, alinéa par alinéa, si les dispositions d'un traité remplissent les conditions.


2) Les coutumes

Pour les coutumes, la solution est différente.

Cour de cassation (Crim.), 1964, Argoud :
La Cour de cassation explique clairement qu'un particulier est sans qualité pour se prévaloir d'une infraction aux règles du droit international public.
En l'espèce, M. Argoud, ressortissant français, est enlevé en Allemagne pour se faire juger en France.
Devant le tribunal, il considère qu'il a été enlevé, ce qui est une violation de la souveraineté de l'Allemagne ; la Cour de cassation répond que seule l'Allemagne peut se plaindre de cette violation de sa souveraineté.

Cour de cassation (Crim.), 2001, Kadhafi :
La Cour de cassation considère que Kadhafi a le droit d'invoquer devant la juridiction française le droit international coutumier relatif à l'immunité qui protège le chef d'État étranger en exercice.

Il n'y a pas vraiment de contradiction entre ces 2 décisions.
En effet, Kadhafi n'invoque pas la coutume en tant que personne, mais en tant qu'agent de l'État

Quel est l'effet juridique de l'effet direct ?
Quand on invoque le droit international, c'est pour le faire primer sur le droit interne ; mais l'effet que ça va produire dépend du rang qu'ont les normes internationales dans l'ordre interne :

Section 4 : Le rang interne des normes résultant d'engagements internationaux

§ 1. En droit international

Le droit international considère qu'il doit primer sur le droit interne.
Par exemple, le droit international prévoit dans de très nombreuses stipulations dans des traités (et cela est rappelé par une jurisprudence constante), que le droit interne ne peut pas justifier l'inexécution d'un traité.
Exemple : article 27 de la Convention de Vienne.

Cela a été rappelé par l'arrêt CPJI, 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig et réaffirmé en 1930 dans l’avis consultatif CPJI, 1930, “Communautés” greco-bulgares.

CIJ, 1988, Applicabilité de l'obligation d'arbitrage en vertu de la section 21 de l'accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l'Organisation des Nations unies (avis) :
La prééminence du droit international sur le droit interne est un principe fondamental du droit international.

Le droit international accorde au droit interne un statut très faible, en considérant que le droit interne n'est qu'un fait juridique.
CPJI, 1929, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise :
Les lois internes sont des simples faits, tout comme les constitutions des États.

§ 2. En droit interne français

Dans l'ordre interne, on distingue entre les traités et les coutumes.

A – Le cas des traités internationaux

1) Conflit entre traité et norme de rang administratif

Conseil d’État, 1952, Dame Kirkwood :
Le juge administratif peut annuler un acte administratif contraire à une convention internationale valablement ratifiée.

Ce contrôle n'est possible que si l'acte administratif est autonome et ne met pas en œuvre une loi.
Sinon, on considère que la loi fait "écran" et que contrôler l’acte aboutirait à un contrôle de conventionnalité de la loi.

Pour le droit administratif, il est donc nécessaire que l'acte contrôlé ne soit pas un acte de gouvernement.
Problème : en droit international, il y a énormément d'actes de gouvernement.
Exemples d’actes de gouvernement : la décision de l'exécutif de formuler une réserve à un traité, la décision d'exporter des armes…
Exemple d’actualité : la décision de ne pas rapatrier les enfants français détenus dans les camps en Syrie est un acte de gouvernement.


2) Conflit entre traité et norme de rang législatif

Conseil constitutionnel, 1975, IVG :
La Constitution confère aux traités régulièrement incorporés une autorité supérieure à celle des lois.
Ce sont les juridictions ordinaires qui sont chargées d'opérer le contrôle de conventionnalité des lois.

Ce contrôle de conventionnalité aboutit à écarter l'application de la loi.
Ce n'est donc pas un contrôle de légalité : on n'annule pas la loi, on se contente de l'écarter.
Cour de cassation, 1975, Société des cafés Jacques Vabre + Conseil d'État, 1989, Nicolo.


3) Conflit entre traité et norme de rang constitutionnel

La Constitution ne précise pas quelle est la place des traités vis-à-vis de la Constitution.
On sait cependant que le Conseil constitutionnel a reconnu et consacré l'obligation de se conformer au droit international et aux traités valablement ratifiés.

Le Conseil constitutionnel ne s'occupe que du contrôle de la constitutionnalité des lois.
Autrement dit,
il n'a pas compétence pour vérifier la compatibilité d’un traité à la Constitution.
Il refuse d'ailleurs qu'il soit possible de faire une QPC sur une loi d'habilitation à ratifier un traité.
Il a même considéré que la transposition d'une directive répondait à une exigence constitutionnelle.

Cependant, il est venu apporter une limite en précisant que l'adaptation du droit interne ne doit pas aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

Conseil constitutionnel, 2021, Réacheminement des personnes :
Considère que la Constitution interdit la délégation à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la force publique.
→ Consacre le 1er principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.
Voir : Consécration du premier « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » | Dalloz Actualité.

→ Primauté de la Constitution, qui peut faire obstacle à l'application du droit international et à son application.

Le Conseil d'Etat a considéré qu'il n'était pas compétent pour connaître des moyens tirés de l'inconstitutionnalité d'un traité international, mais a affirmé la primauté de la Constitution.
Exemple : dans l'affaire Koné (1996), le Conseil d’État interprète un traité conformément à la Constitution.

Le principal obstacle à l'application du droit international en droit interne est donc la constitution.
Cet obstacle reste cependant théorique, puisque les juridictions vont interpréter les traités conformément à la constitution.

B – Le cas des coutumes

Pour le droit coutumier, c'est différent, parce qu'il n'y a pas d'ordre hiérarchique conféré par la Constitution française, qui ne mentionne pas le droit coutumier.

L'arrêt Aquarone du Conseil d'État doit être mis en balance avec la décision Kadhafi.
Dans la mesure où les coutumes ne sont pas prévues à l'article 55, elles n'ont pas une place supra législative.

La coutume est donc incorporée à un rang immédiatement inférieur à la loi et ne permet donc pas de faire écarter l'application de la loi si elle y est contraire.
Il est possible par contre d'envisager que la coutume puisse justifier l'annulation d'un acte administratif.

Souvent, il est difficile de définir avec précision quelle est la règle coutumière.
La coutume est stable ; elle est souvent énoncée dans des décisions de la CIJ.

Enfin, il est possible d'engager la responsabilité de l'État dans l'ordre international s'il n'exécute pas ses obligations internationales ; mais il est aussi possible d'engager la responsabilité de l'État dans l'ordre interne :

Toute violation d'un traité international constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'administration.
Exemple : Conseil d’État, 1992, Société Philip Morris France.

La responsabilité de l'État peut aussi être engagée du fait de la conclusion des traités.

La responsabilité de l'État peut aussi être engagée pour l'adoption d'une loi contraire à un traité ou la non application de règles coutumières.
Si l’État n'applique pas une règle coutumière, on peut donc engager la responsabilité de l'État, mais suivant des conditions très strictes.

Conclusion

Le droit international irrigue le droit interne.
Il y a une intégration du droit international dans le droit interne ; c'est une arme dont les particuliers vont pouvoir se saisir pour la défense de leurs intérêts.

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