Commentaire d’arrêt complet : Crim., 27 mars 1991 (les délits d’omission)

Fiche rédigée par Bénédicte Vidal, alors étudiante en maitrise de droit privé à l’Université d’Evry Val d’Essonne.

Cet arrêt est relatif à l’omission de porter secours et plus précisément aux modalités de l’assistance.

En l’espèce, un couple se dispute. A la suite de cette dispute, l’épouse absorbe, devant son mari, qui est médecin, des médicaments. Après l’avoir veillée et surveillée toute la nuit, le mari a quitté le domicile conjugal le lendemain matin. Malheureusement, à son retour en fin d’après-midi, il trouve sa femme décédée.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 29 mai 1990, a condamné le mari à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et à 100000 frs d’amende pour non-assistance à personne en danger. En application de l’Article 63 al 2 de l’ancien Code pénal (devenu depuis 1994, l’Article 223-6), les juges du fond ont estimé que l’épouse était bien en état de péril imminent en raison de la quantité de comprimés absorbés et du mélange de médicaments. De plus, les juges du fond ont estimé qu’en raison de sa qualité de médecin, le mari avait conscience du caractère d’imminente gravité du péril auquel était exposée son épouse et surtout de la nécessité d’une intervention immédiate. Enfin, la Cour d’appel relève que certes le mari est resté au chevet de son épouse toute la nuit mais le lendemain matin, il l’a quittée sans aviser qui que se soit de son état. Donc, la Cour d’appel de Paris en a déduit que l’assistance ne s’est pas manifestée sous forme d’un engagement personnel suffisant et adapté à la situation.

N’approuvant pas cette décision, le mari se pourvoit en cassation pour violation de l’Article 63 al 2 ancien Code pénal et pour insuffisance de motifs. Le mari argue que le péril n’était pas réel puisque les causes de la mort n’ont pas pu être déterminées. De plus, selon le mari, il n’y avait pas de péril imminent nécessitant une intervention immédiate puisque, le lendemain matin, son épouse s’était levée et « allait bien ». Enfin, le demandeur au pourvoi reproche aux juges d’appel de n’avoir pas vérifier si ses déclarations affirmant que son épouse allait bien étaient mensongères ou pas.

La question à laquelle doit répondre la chambre criminelle de la Cour de cassation est de savoir si les éléments constitutifs de l’infraction de non-assistance à personne en péril sont réunis ou pas.

La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le mari au motif que tous les éléments, tant matériels qu’intentionnels, caractérisant le délit de non-assistance à personne en péril ont été caractérisés par la Cour d’appel de Paris.

Il convient d’étudier, dans un première partie, les éléments constitutifs de l’omission de porter secours (I). Puis, dans une deuxième partie, il convient de s’attarder à ce qui pose problème dans cet arrêt, à savoir les modalités de l’assistance (II).

I – Les éléments constitutifs de l’infraction

Comme pour toute infraction, le délit de non-assistance à personne en péril nécessite un élément matériel (A) et un élément moral (B). Si un de ces éléments fait défaut, l’infraction ne peut pas être constituée.

A – L’élément matériel : la nécessité d’un péril

Il faut un péril (1) constant, imminent et grave (2).

1 – L’existence d’un péril

Pour que l’infraction de non-assistance à personne en danger soit retenue, il faut qu’une personne soit en péril, puisque c’est précisément cette situation qui motive le secours nécessaire.

On peut se poser la question de savoir ce que veut dire le terme  » péril « . Il n’existe pas de définition légale. L’état de péril serait un état dangereux, une situation critique qui fait craindre de graves conséquences pour la personne qui y est exposée : elle risque soit de perdre la vie, soit des blessures, soit une altération grave de sa santé…Bref une menace sérieuse pèse sur la personne physique.

En l’espèce, c’est à juste titre que les juges d’appel ont retenu l’existence d’un péril. Le fait que l’épouse ait absorbé une grosse quantité de médicaments dont le mélange peut être motel constitue bien un péril. En effet, cela peut avoir des conséquences graves et même entraîner sa mort comme c’est le cas. Donc, on peut en déduire que, de par l’existence d’un péril, le mari aurait du porter secours à son épouse.

2 – L’existence d’un péril constant, imminent et grave

Le péril constant est celui qui est incontestable ce qui n’impose pas, par exemple, de vigilance particulière à l’égard de la personne qui menace à tout bout de champ de se suicider et n’oblige pas à anticiper sur un péril qui pourrait se révéler ultérieurement.

Le péril imminent est celui qui est sur le point de se réaliser. Il importe, en effet, d’insister sur le fait que l’infraction de non-assistance est une infraction instantanée punissant le refus de porter secours à un moment donné en présence d’une situation dangereuse à ce moment-là.

Le péril grave est celui dont le caractère est plus difficile à apprécier. L’infraction étant définie par une situation d’urgence, la gravité du péril doit s’apprécier en fonction des apparences et ne suppose pas une issue funeste à l’abstention.

En l’espèce, les juges d’appel ont retenu que le péril dont était victime l’épouse était constant, imminent et grave. En effet, le caractère constant du péril peut se justifier par le fait que la victime était en état de dépression. Cela rendait le péril incontestable car une personne déprimée peut à tout moment décider de mettre fin à ses jours et nécessite une attention, une assistance particulière. Le caractère imminent du péril peut aussi se justifier par la quantité de médicaments absorbés et par le mélange (l’épouse a mélangé du Lexomil et du Xanac). Donc, il est clair qu’à la suite de cette absorption, le péril est sur le point de se réaliser. Quant à la gravité du péril, on a vue qu’elle n’était pas toujours aisée à apprécier. Cependant, en l’espèce, le mari étant médecin, il était tout à fait apte pour apprécier la gravité ou non du geste de son épouse. De plus, il savait si les doses absorbées par son épouse ainsi que les médicaments choisis seraient mortelles ou non. C’est donc à juste titre que la Cour d’appel rappelle avait tout à fait conscience de la gravité de la situation.

Cet arrêt est intéressant car il permet de faire la différence entre le péril immédiat et le péril imminent qui peuvent peser sur une personne. En effet, on peut se poser la question de savoir si un péril imminent est un péril immédiat ou non. Il résulte de cet arrêt que le péril imminent doit être distingué du péril immédiat. En effet, lorsque son épouse a absorbé les médicaments devant lui, le médecin lui a porté secours. A ce moment, le péril a été immédiat. En revanche, le lendemain matin, le péril n’était plus immédiat mais imminent, c’est-à-dire sur le point de se réaliser en raison de la fragilité psychologique de la victime. Or, à ce moment, le mari était absent au motif, selon lui, que la vie de son épouse était hors de danger et qu’elle  » allait bien « . On peut donc dire que le mari est coupable de non-assistance à personne en péril imminent mais pas de non-assistance à personne en péril immédiat.

B – L’élément moral : la connaissance du péril et l’abstention volontaire en l’absence de risques

Les dispositions de l’Article 63 al 2 ancien Code pénal, qui visent le refus de porter secours à une personne en péril, exigent, pour être applicables, que le prévenu ait eu personnellement conscience du caractère d’imminente gravité du péril auquel se trouvait exposée la personne sont l’état requérait secours et qu’il n’ait pu mettre en doute la nécessité d’intervenir immédiatement en vue de le conjurer.

Ce même texte prévoit également que l’on peut s’exonérer de porter secours si l’assistance est risquée pour son auteur ou pour des tiers. Très vite doctrine et jurisprudence ont considéré que cette formule n’imposait pas héroïsme ou témérité, mais qu’elle ne signifiait pas qu’un risque léger puisse justifier le refus de porter assistance à une personne exposée à un grave péril. Concrètement, les tribunaux ont le pouvoir d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, s’il y a une certaine proportionnalité entre le danger auquel est exposé la victime et le risque auquel s’exposerait son sauveteur. Mais la jurisprudence a une interprétation très stricte de cette notion de risque puisque, dans un Arrêt du 4 février 1998, elle ne retient aucun arguments avancés par un médecin qui invoquait la distance à parcourir ainsi que les conditions climatiques difficiles pour justifier son non-déplacement.

Dans ces conditions, on peut donc dire que dans notre espèce, qu’en restant le lendemain auprès de son épouse ou, le cas échant, en prévenant un voisin ou de la famille ou même un confrère afin que son épouse ne soit pas seule, le mari ne s’exposait à aucun risque.

En l’espèce, le mari a bien eu personnellement conscience du caractère d’imminente gravité du péril puisqu’il est médecin. En effet, de par sa profession, il savait dès la réalisation ce que risquait son épouse lorsqu’elle a absorbé les médicaments. Cependant, dans cette affaire, il ne me semble pas juste d’affirmer qu’au moment du péril, le mari a omis de porter secours à son épouse. En effet, il l’a veillée toute la nuit en surveillant sa tension et on rythme cardiaque. Il semble même que le mari s’est justement servi de ses connaissances médicales pour sauver la vie de son épouse au moment où elle a absorbé les substances mortelles. En revanche, on peut se poser la question de savoir si celui-ci a commis l’infraction de non-assistance à personne en danger en quittant le domicile conjugal, laissant une femme qui la veille avait tenté de se suicider seule, au seul motif que selon ses dires elle « allait bien ». Il me semble que si le mari a apprécié l’état de santé de son épouse en tant que médecin, il ne devrait pas être coupable d’omission de porter secours. Il ne serait pas normal de n’invoquer sa profession que pour prouver qu’il était en mesure d’apprécier la gravité du péril et de refuser de le faire pour prouver qu’il était capable aussi, de par sa profession de médecin, d’apprécier l’état de santé de son épouse le lendemain matin. Cependant, il est vrai que les personnes dépressives et suicidaires sont toujours imprévisibles et, en tant que médecin, le mari étant bien placé pour le savoir. Se faisant, la Cour d’appel de Paris a raison de précisé qu’il n’aurait jamais dû laisser son épouse seule. Il aurait dû soit rester avec elle, soit prévenir quelqu’un. C’est en ce sens que le mari a commis l’infraction de non-assistance à personne en danger.

II – Les modalités de l’assistance et les sanctions en cas de défaut d’assistance

Il convient d’étudier, dans une première partie, les modalités de l’assistance (A). Puis, dans une seconde partie, les sanctions du défaut d’assistance (B).

A – Les modalités de l’assistance à personne en péril

Il résulte de l’Article 63 al 2 ancien Code pénal que l’assistance ne doit pas entraîner un risque pour celui qui aide ni pour les tiers. En effet, la loi n’impose pas l’héroïsme. Cette disposition est de nature à restreindre le domaine d’application de l’infraction, mais on doit convenir que, de même que le terme de péril, le terme  » risque  » est extrêmement vague. le risque qui justifie la non-intevention paraît être  » celui qui ferait reculer l’homme honnête et pondéré, placé dans les mêmes circonstances « .

Dans cet arrêt, ce qui caractérise vraiment l’assistance c’est  » l’engagement personnel suffisant et adapté à la situation « . Il résulte qu’eu égard au caractère imminent, à la gravité de l’acte, à la profession du mari, en quittant son épouse que douze heures après l’absorption des médicaments, celui-ci ne s’est pas suffisamment engagé personnellement. En effet, on peut dire que cet arrêt pose la règle selon laquelle l’assistance doit se manifester sous forme d’un engagement personnel suffisant et adapté à la situation. C’est une formule un peu vague et qui a vocation à s’appliquer suivant les cas d’espèce (  » adapté à la situation « ). Il faut donc se demander en quoi, dans les faits, le mari n’a pas manifesté un engagement personnel suffisant.

Tout d’abord, le mari estime que lorsque son épouse a absorbé les médicaments, il était à ses côté et il l’a soignée toute la nuit. Il a surveillé sa tension et son rythme cardiaque. Cela veut dire que lorsque le péril s’est réalisé, il lui a porté secours et peut être mieux qu’un tiers puisqu’il est médecin. Il a su, immédiatement, ce qu’il fallait faire et il lui a peut être sauvé la vie. En revanche, ce qui pose problème c’est son défaut d’assistance le lendemain. Selon le mari, il ne peut pas parler de défaut d’assistance puisque le lendemain il n’y avait plus de péril imminent nécessitant une intervention immédiate. Selon lui, au vu des examens pratiqués sur son épouse au cours de la nuit et tôt le matin, celle-ci allait bien. Le mari en a déduit que l’état de son épouse n’était pas susceptible d’entraîner un nouveau péril et que sa présence à ses côtés n’était plus justifiée.

La cour d’appel de Paris s’est prononcée dans une optique complètement différente. En effet, elle a affirmé qu’en raison de l’état dépressif et suicidaire de son épouse, il existait toujours un état imminent. Cependant, les juges du fond rappellent bien que cette décision a été prise en fonction des faits de cette espèce. Ce n’est pas une règle générale. C’est pour cela que la Cour précise que le comportement du mari n’est pas adapté à la situation. En effet, il ressort des faits qu’avant de quitter le domicile conjugal le lendemain matin, les époux se sont disputés. Or, la veille, ce qui avait entraîné le geste de son épouse c’était une dispute qu’ils avaient eu. Donc, lors de la seconde dispute, le lendemain matin, le mari aurait dû se douter de l’impact que pourrait avoir cet affrontement sur son épouse, qui était psychologiquement faible et dépressive. Or, il n’a pas réagi. Il est parti comme si de rien était, sans prévenir qui que se soit de l’état moral et physique de son épouse et en la laissant seule. De plus, de par sa profession, il savait les conséquences de cette dispute sur l’état de son épouse. Or, il n’a pris aucune mesure afin d’éviter le péril qui a, cette fois, entraîné la mort de son épouse. Il ne semble pas non plus avoir contacté son épouse, dans la journée, afin de prendre de ses nouvelles. Donc, c’est à juste titre que les juges du fond ainsi que la Cour de cassation ont estimé que le péril imminent, grave existait toujours le lendemain matin.

Puisque le mari a agi, en toute connaissance de cause, c’est également à juste titre que la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ont caractérisé l’abstention volontaire.

En l’espèce, en tant que mari de la victime, il la connaissait bien et il aurait dû s’engager personnellement. Il connaissait son état moral et physique et, suite à sa première tentative de suicide, il aurait dû rester avec elle ou, éventuellement, prévenir quelqu’un, un ami, des voisins, un médecin. En la laissant seule, c’est comme s’il l’avait tuée.

B – Les sanctions du défaut d’assistance

L’Article 63 ancien Code pénal prévoit que ceux qui s’abstiennent volontairement de porter assistance à une personne en péril seront puni d’un emprisonnement de 3 mois à 5 ans et d’une amende de 360 frs à 20 000 frs.

L’Article 223-6 Nouveau Code pénal est beaucoup plus sévère puisqu’il prévoit une peine d’emprisonnement de 5 ans et une amende de 500 000 frs.

En l’espèce, la Cour d’appel de Paris a condamné le mari de la victime à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 frs d’amende. Cette stricte condamnation est, me semble-t-il, justifiée par la profession de l’auteur de la non-assistance à personne en danger. En effet, on peut supposer que lorsque les faits sont relatifs à l’état de santé d’une victime, le médecin qui ne porte pas secours à cette personne en péril, sera plus pénalisé que les autres. Cependant, cette sévérité est justifiée. On peut dire que cet arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel assez sévère à l’égard des médecins. En effet, dans un Arrêt du 4 février 1998, il était établi de façon indiscutable que le médecin avait été informé de l’imminence d’un grave danger auquel se trouvait exposé un enfant de onze mois. La Cour d’appel justifiait sa condamnation (10 mois d’emprisonnement et 10 000 frs d’amende) en critiquant son action et en stigmatisant sa désinvolture au moment des faits.

Commentaire d’arrêt complet : Crim., 12 mars 1997 (le délit de risque causé à autrui)

Fiche rédigée par Bénédicte Vidal, alors étudiante en maitrise de droit privé à l’Université d’Evry Val d’Essonne.

Le délit de risques causés à autrui est apparu en 1994 avec le Nouveau Code Pénal et n’a jusqu’ici fait l’objet que de peu de jurisprudence. De plus, de nombreux arrêts rendus à son sujet font souvent l’objet de critiques en raison du défaut d’application stricte par les juges de ce texte.

L’Article 223-1 Code pénal relatif à la mise en danger délibérée d’autrui incrimine le  » fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 frs d’amende « .

En l’espèce, le conducteur d’un véhicule automobile a, sur une bretelle d’autoroute ne comportant qu’une voie de circulation, procédé, à vive allure, au dépassement par la droite du véhicule le précédant avant de se rabattre brusquement et de contraindre celui-ci à un écart.

En raison de ces faits, il a été prévenu du chef de délit de mise en danger délibérée d’autrui, infraction réprimée par l’Article 223-1 du Code pénal.

La chambre correctionnelle de la Cour d’appel a déduit de ces faits, que le prévenu avait violé délibérément une obligation particulière de sécurité et exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves. Les juges du fond l’ont condamné à 10 000 frs d’amende et à une suspension de son permis de conduire pendant 3 mois.

Le prévenu se pourvoit en cassation. En effet, il considère que la Cour d’appel n’a pas caractérisé l’élément intentionnel du délit ni en quoi les faits relevés étaient susceptibles d’entraîner la mort ou des blessures graves.

La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 12 mars 1997, a rejeté le pourvoi. Elle confirme que le comportement du prévenu constitue une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité et qu’en conséquence, celui-ci a exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves.

La question qui est posée à la Cour de cassation est celle de savoir si les éléments constitutifs du délit de mise en danger délibérée d’autrui sont suffisamment caractérisés par les juges du fond. A cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative.

Cette décision semble justifiée au regard des faits et des éléments constitutifs du délit. Cependant, la motivation laconique et lacunaire tant de la Cour d’appel que de la Cour de cassation font qu’elle est critiquable sur ce point. En effet, l’Article 213-1 du Code pénal exige, pour que l’infraction soit constituée la violation manifestement délibérée d’une règle particulière de sécurité et de prudence (II) ainsi que l’exposition d’autrui à un risque direct et immédiat de mort ou de blessures (I), éléments que les juges ont déduit des faits sans les motiver.

I – Un risque direct et immédiat pour autrui de mort ou de blessures graves de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente

Il s’agit ici du premier élément constitutif de l’infraction, à savoir l’élément matériel. Pour être caractérisé, il nécessite l’existence d’un risque pour l’intégrité corporelle d’autrui (A). De plus, ce risque doit être directement et immédiatement lié à la violation d’une règle particulière de sécurité par l’agent (B).

A – Un risque pour l’intégrité corporelle d’autrui

La notion de risque inclus dans l’Article 223-1 du Code pénal implique que ce qui fait le délit n’est pas le résultat mais l’exposition à un danger éventuel plus ou moins prévisible. Ainsi, en l’absence de prise en compte du résultat, il appartient au juge, pour chaque cas d’espèce, d’établir que le comportement du prévenu est, d’une part, de nature à entraîner un risque pour autrui et, d’autre part, que ce risque porte sur l’intégrité corporelle d’autrui.

En l’espèce, le prévenu faisait valoir dans son pourvoi que les juges du fond n’avaient pas précisé en quoi les faits incriminés étaient de nature à porter atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui.

En effet, en jurisprudence, les juges qui ont à juger de la condamnation du chef de mise en danger délibérée d’autrui suite à des violations de dispositions du Code de la route s’attachent à un ensemble de faits tels que la visibilité, la vitesse et la distance de freinage eu égard à l’état de la route et du véhicule ou encore à la fluidité de la circulation.

Ici, les juges se sont contentés de relever que le comportement du prévenu avait obligé l’autre automobiliste à faire un écart. Ils n’établissent donc pas en quoi cet écart était susceptible de causer un dommage à l’intégrité corporelle du conducteur. En effet, ils auraient pu préciser si cet écart avait conduit l’automobiliste à s’approcher dangereusement d’un autre véhicule ou du rail de sécurité de la bretelle d’autoroute par exemple ; ou encore si l’incident avait eu lieu à une heure de grande circulation, ou dans des conditions climatiques rendant la visibilité ou la maîtrise du véhicule difficiles.

Ainsi, les faits sur lesquels les juges se sont appuyés sont insuffisamment pertinents pour caractériser le risque et l’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui.

Cette constatation est à rapprocher et à compléter par l’analyse de la motivation des juges quant à l’existence d’un risque direct et immédiat (B).

B – Un risque direct et immédiat

L’Article 223-1 du Code pénal incrimine le fait  » d’exposer directement autrui à un risque immédiat « . Il s’agit bien de l’exigence de causalité entre le comportement du prévenu et les risques encourus par autrui.

Il s’ensuit que le seul fait pour les juges de relever la violation d’une obligation de sécurité ne suffit pas à caractériser l’existence d’un risque immédiat pour autrui, car comme l’a souligné la doctrine il n’existe pas de présomption de mise en danger délibérée d’autrui et de surcroît cela ôterait toute raison d’être à l’incrimination de ce délit. En effet, s’il suffisait de relever la violation de la règle pour en déduire un comportement dangereux, l’existence préalable de la règle de sécurité violée se fondrait avec les autres éléments constitutifs du délit, tant et si bien que toute violation d’une règle de sécurité, quelles que soient les circonstances, serait constitutive du délit de mise en danger. En ainsi, le fait de violer une règle de sécurité conduirait dans tous les cas à être condamné pour deux infractions (la violation de la règle et le délit de mise en danger). Il est donc manifeste que le législateur, en 1994, avait l’intention d’avoir une conception stricte de ce délit.

Or, en l’espèce, la Cour de cassation n’explique pas en quoi le comportement du prévenu exposait les autres usagers de l’autoroute à un risque immédiat de collision ou autre. La Cour se contente donc du seul constat de la faute du prévenu sans exiger la preuve de l’existence d’un risque immédiat pour autrui, c’est-à-dire sans exiger de lien de causalité entre la violation et le risque. Là encore, les juges n’ont pas satisfait aux exigences légales de l’Article 223-1 du Code pénal en ne caractérisant pas ce lien de causalité.

Ainsi, toute la motivation tant des juges d’appel que de cassation est critiquable dans cet arrêt car elle ne caractérise pas suffisamment les éléments constitutifs du délit de mise en danger d’autrui, même si, en l’espèce, ces éléments semblaient présents au regard des faits.

II – La violation manifestement délibérée d’une règle particulière de sécurité

Il s’agit du second élément constitutif de l’infraction, à savoir l’élément moral. Pour être caractérisé, il faut que soit préalablement relevé l’existence d’une règle particulière de sécurité (A) et qu’il soit établi en quoi l’agent avait conscience de violer cette règle (B).

A – L’existence d’une règle particulière de sécurité

Le délit suppose comme condition préalable que l’agent ait été tenu d’une obligation particulière de sécurité imposée par la loi ou par le règlement. La jurisprudence a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la notion de  » règlement » qui doit être entendue au sens constitutionnel ainsi que sur la notion  » d’obligation particulière « . La tendance est de considérer que les dispositions du Code de la route constituent des obligations particulières de sécurité et de prudence. Et par opposition, ne sont pas condamnés ceux qui sont tenus par des obligations générales de sécurité et de prudence.

Or, en l’espèce, les juges, tant d’appel que de cassation, n’ont à aucun moment cherché à viser l’obligation particulière de sécurité qui avait été violée. Ceci est contraire à une bonne administration de la justice car comment savoir , dans ce cas, si une règle de sécurité imposée par la loi et le règlement a été violée, d’une part ; et d’autre part, s’il s’agissait d’une règle particulière de sécurité. Ici, il est vrai que le prévenu semble avoir violé les Articles R 12 (  » les croisements s’effectuent à droite et les dépassements à gauche « ), R 14 (  » avant de dépasser, le conducteur doit s’assurer qu’il peut le faire sans danger… » ) et R 15 (  » par exception à la règle prévue à l’Article R 12, mais avec des précautions identiques à celles de l’Article R 14, un véhicule doit être dépassé par la droite lorsque le conducteur de ce véhicule à signalé qu’il se disposait à tourner à gauche… »). De plus, il semble logique de ne pas avoir d’occasion de doubler (que ce soit par la gauche ou par la droite) sur une bretelle d’autoroute à une voie. Ainsi, en l’espèce, il y a eu violation d’une règle de sécurité mais il appartient aux juges de le relever.

En outre, dans un arrêt postérieur (Cass Crim du 23 juin 1999), la Cour de cassation a décidé que  » l’Article 223-1 du Code pénal n’exige pas, pour son application, que soit visé dans la citation ou la convocation en justice le texte législatif ou réglementaire prévoyant et réprimant l’obligation particulière de sécurité ou de prudence « . Mais, en l’espèce, la Cour d’appel avait au moins cité la règle violée sans en donner le contenu.

De même, les juges n’ont pas non plus précisé un quoi il y avait violation délibérée des règles de sécurité précitées (B).

B – La violation manifestement délibérée d’une règle de sécurité

En doctrine, il est admis que le délit de mise en danger délibérée d’autrui est une infraction formelle. En effet, le dommage corporel n’est pas pris en compte. Seule compte la méconnaissance volontaire d’une obligation de sécurité particulière et la conscience de faire prendre des risques corporels à autrui. Ainsi, ceci exclut, pour que le délit soit caractérisé, tout manquement par imprudence ou négligence.

En l’espèce, l’argument du prévenu était justement axé sur ce point puisqu’il reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir précisé en quoi l’infraction retenue avait été intentionnelle.

Cet argument, qui pourtant n’a pas été retenu, semblait justifié. En effet, comment justifier l’existence même du délit de mise en danger d’autrui par rapport à la règle violée qui en est la base, si ce n’est notamment en relevant l’intention de violer cette règle.

En l’espèce, s’agissant d’un dépassement par la droite sur une bretelle d’autoroute à une voie, le prévenu avait nécessairement connaissance de ce qu’il violait une règle de sécurité. En effet, quiconque sait, même les personnes ne possédant pas leur permis de conduire, qu’il est interdit de dépasser une voiture par le droite et de surcroît que c’est particulièrement dangereux lorsqu’il n’y a qu’une voie de circulation. Les juges n’avaient donc pas à préciser que le prévenu avait connaissance de la violation de la règle de sécurité. En revanche, il leur appartenait de relever en quoi cette méconnaissance de la règle était volontaire. Il pouvait très bien s’agir d’une simple imprudence ou négligence.

Cependant, il est vrai que si cela avait été le cas, les avocats du prévenu n’auraient pas manqué de le souligner. Mais bien que cet argument permette de comprendre la lacune des juges sur ce point, il est néanmoins de leu devoir de le préciser.

Bref historique du droit pénal

Fiche rédigée par Philippe Idelovici, professeur agrégé d’économie-gestion et professeur de droit des assurances.

Avant l’ancien droit (avant le 15ème siècle)

Dans les populations primitives coexistaient deux formes de répression aux conséquences souvent aussi tragiques. A l’intérieur des clans, certains tabous se sont érigés, la transgression était souvent synonyme de mort. De groupe à groupe, la répression, règlement de compte, était tout aussi meurtrière. Il n’existait pas d’autorité supérieure capable d’arbitrer ou de tempérer les instincts guerriers.
Ces techniques expéditives, fort coûteuses, ont été peu à peu remplacées par d’autres :
– L’abandon noxal : on abandonne aux adversaires, le coupable d’une agression.
– Le talion : la fameuse loi du talion limitait en fait la vengeance (de venger qui provient du latin vindicare : « réclamer en justice »).
– La composition pécuniaire : on paie une somme d’argent pour éviter de subir la vengeance du clan de la victime.
L’église prend également au cours de cette période une place qui va devenir cruciale. L’église devient un sanctuaire (comme les universités), certaines fêtes religieuses sont considérées comme des trêves de dieu. Cette évolution se termine au 16ème siècle, « la vengeance est interdite aux hommes. Il n’y a que le Roi qui la puisse exercer par ses officiers, en vertu du pouvoir qu’il tient de dieu » (Argou, criminaliste de l’époque).

L’ancien droit (16ème-18ème siècle)

En matière pénale, cette période se caractérise par l’arbitraire et la rigueur de la répression. La procédure est pour l’essentiel inquisitoire.


Exemple : Affaire Calas (Géo octobre 1989).Le 13 octobre 1761, le fils de Jean Calas est trouvé mort assassiné devant la maison de son père. Aussitôt les catholiques accusent le père, protestant, du meurtre de son fils (qui voulait se convertir?). Le 10 mars 1762, il subit le supplice de la roue : le bourreau lui broie successivement les quatre membres, après deux heures de souffrance, il est étranglé puis brûlé sous les applaudissements.


Les conquêtes légalistes

Les philosophes et certains juristes mettent en avant certains principes qui seront consacrés à la suite de la Révolution (cf. déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Il faut que le citoyen connaisse à l’avance la liste des infractions et les peines qui y sont rattachées. Cela suppose un texte, qui ne peut être qu’une loi, expression de la volonté générale.
Le principe de légalité sort donc du principe d’égalité. Les peines doivent être modérées. Le principe de l’Habeas corpus est retenu, tout homme est présumé innocent, jusqu’à ce qu’il soit reconnu coupable. La procédure doit donc être accusatoire, c’est-à-dire publique et contradictoire.

Les codes napoléoniens

Le principe de légalité est maintenu, mais la modération de la répression est abandonnée. La procédure est inquisitoriale au niveau de l’instruction, et accusatoire au niveau du jugement.

Depuis la période napoléonienne

Les philosophes du droit, les criminologues discutent encore le fondement de la responsabilité individuelle de l’homme social, du rôle de la sanction et de l’aptitude réelle du système carcéral à amender les « déviants ». L’individualisation de plus en plus poussée de la peine conduit en fait à un risque d’arbitraire.
Quelques questions se posent pour mener à bien une réflexion sur le rôle de la peine dans la société (Cf. la chronique de Ph Jestaz la sanction ou l’inconnue du droit D. 86 Ch. 197) :

– Le taux de récidive est voisin de 50 %, les détenus sont ils amendables ?
– Il y a surpopulation carcérale, peut-on ou doit-on isoler encore plus de délinquants ?
– Tout le monde devient-il délinquant ?
– L’opinion publique n’est elle pas sensible à la délinquance, que lorsque celle ci la concerne de près ? (exaspération contre la petite délinquance)