Sommaire : cours complet de Science politique (L1 de droit)

Ce cours complet de Science politique est inspiré de celui enseigné par le professeur Julien Fretel à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2022.
Il s’agit d’une initiation à la science politique et ses principaux domaines d’étude.

Quels sont les 3 modèles explicatifs de l’action collective ?

On distingue 3 modèles explicatifs de l’action collective :

  1. Le modèle du passager clandestin de Mancur Olson, selon lequel les citoyens se demandent “est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?” avant de se lancer dans l’action collective (qui comporte des risques, demande du temps…).
    Idée : tout individu à intérêt à jouer le free rider (”passager clandestin”).

    Néanmoins, ceux qui s’engagent dans l’action collective en tirent un bénéfice supplémentaire : on parle d’incitation sélective.
    Par exemple, une adhésion à un syndicat pourrait permettre d’obtenir une garantie de l’emploi (incitation sélective positive), et le refus de se syndiquer pourrait entraîner des brimades (incitation sélective négative).

  1. Le modèle de la frustration de Ted Gurr, selon lequel une frustration se crée lorsque les biens accessibles à une population sont inférieurs aux biens attendus.
    Pour Ted Gurr, c’est cette frustration relative qui est source d’actions collectives.
  1. Le modèle de la mobilisation des ressources de Doug McAdam, selon lequel les individus qui ont le plus de chances de se mobiliser dans l’action collective sont ceux qui peuvent mobiliser des ressources humaines, sociales, affectives et identitaires utiles.

Pour en savoir plus sur ces 3 modèles et sur l’action collective en général, cliquer ici.

Chapitre 3 : L’action collective

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Il y a de nombreuses autres manières de participer à la politique que par le vote.
L’action collective repose sur les comportements politiques non conventionnels.

On peut penser à la mobilisation des gilets jaunes, qui constituait une situation presque improbable sociologiquement.

Pour qu’il y ait une action collective, il faut une histoire ayant précédé cette action politique.
Les gens pensent politiquement comme ils ont été socialement ; c’est le témoin du passé qui permet aux individus qui découvrent les événements de se remettre rapidement à jour dans l’histoire.
→ image de l’orchestration sans chef d’orchestre

Exemple des frères musulmans en Algérie dans les années 1970, qui étaient interdits en raison du parti unique, qui se sont organisés en petites unités pour devenir une masse.

Une action politique n’est jamais une action nouvelle.
En matière d’action collective, il n’y a pas d’immaculée conception.

Par rapport aux gilets jaunes :
Les classes sociales qui se sont mobilisées durant les gilets jaunes sont celles qui habituellement ne s’engagent pas.

Il faut un adversaire.
Exemple : pour Occupy Wall Street, l’adversaire = les banquiers.

Une action collective désigne une coordination des activités des membres d’un groupe souhaitant défendre ses intérêts.
Une mobilisation collective a pour but de changer une situation sociale en un sens favorable au groupe, selon ses valeurs et ses motivations.

Exemple : un grève, un meeting, une manifestation, un boycott… sont des mobilisations collectives.
Les formes de mobilisation sont donc multiples ; elles sont souvent éphémères et relativement spontanées.

Les mobilisations collectives témoignent d’une conscience collective de ceux qui y participent, et d’une constitution des identités sociales.

Comment naît une mobilisation collective ?
D’après Alain Touraine :

  1. Les acteurs doivent développer une identité commune, en partageant les mêmes buts et des intérêts communs.
  1. Le groupe formé doit s’opposer fermement aux groupes concurrents (il faut donc une forte solidarité interne).
  1. Les protagonistes doivent avoir conscience des enjeux de leurs actions et de leur finalité.

Quels sont les moyens d’une mobilisation collective ?
Les mobilisations collectives nécessitent de l’organisation et sont donc souvent initiées par des groupes de pression, des syndicats ou des partis politiques.

Avec la montée de l’individualisme, on constate que les mobilisations collectives sont aujourd’hui plus difficiles à développer et rassemblent moins de gens qu’avant.

Ce n’est pas parce qu’il existe un groupe d’individus aux intérêts communs qu’une mobilisation collective apparaît.
Plus le groupe est grand, plus la probabilité d’action commune est faible, en raison d’une analyse coût/avantage de la participation individuelle à l’action collective (la non participation devient plus rentable quand la taille du groupe augmente).
→ La stratégie la plus efficace du point de vue individuel est celle du passager clandestin (free rider) ; mais lorsque tout le monde raisonne de la sorte, il n’y a plus d’action collective possible.

⚠️ Il ne faut pas confondre mobilisations collectives (principe général) avec mouvements sociaux et luttes des classes (formes particulières d’actions sociales).

Les groupes les plus organisés ont recours à des avocats et/ou des juristes.
→ le droit devient une arme de protestation, qui permet d’établir un ordre social

Les gens sont dans des groupes parce que :
> ils ont des raisons de se mobiliser
> ils ont des croyances

Il y a 2 éléments importants :

  1. L’identification de l’adversaire, qui renforce la cohésion du groupe.
  1. L’action politique interpelle au moins 2 entités abstraites :
    1. L’État : il y a un lien fort entre la montée de l’action collective et la construction de l’État.
      Au 19e siècle, la construction de l’État et la modernisation ont permis aux villes de devenir des arènes de manifestations et de politisation.
      Par l’action collective, on cherche à interpeller l’État.
    1. Le droit et les juridictions : on a de plus en plus de mobilisations et de concentrations politiques qui s’appuient sur le droit, parce que le droit est une arme de contestation efficace.
      La désobéissance peut pousser le droit à intervenir, mais aussi à légitimer.

Comment on proteste ? Comment contester un cercle politique ?
On ne suffit pas de s’organiser – il faut aussi réfléchir à comment se faire entendre.
Une action collective émerge rarement de façon spontanée ; elle repose d’abord sur des organisations plus ou moins institutionnalisées : les partis politiques, les syndicats, les associations, …

  • Les partis politiques sont des organisations partisanes durables, denses et ramifiées, qui cherchent le soutien populaire dans l’objectif d’exercer le pouvoir.
  • Les syndicats sont une forme de société civile organisée qui ont pour fonction la défense des salariés.
    Ils ont une fonction revendicative et de contestation sociale, mais ils agissent aussi en tant que relais institutionnel permettant de coopérer avec le pouvoir politique.
  • Les groupements sont des formes plus informelles et moins structurées, contrairement aux associations. Ce sont souvent des acteurs éphémères.
    Certaines actions collectives récentes ont été menées par des groupements :
    > les actions politiques d’associations pour faire reconnaître le bien-être animal (ex : L214 rend publiques des vidéos tournées dans des abattoirs)
    > les groupements d’action qui organisent des marches pour le climat
    > les organisations qui portent la question de l’accueil des migrants en France
    > etc.

→ Les syndicats et partis ne sont plus les seuls à agir dans le champ du politique.

Les gilets jaunes ont insisté sur le fait qu’ils ne se sentaient pas représentés politiquement → désignation de la politique comme ennemi.

II – Les modèles explicatifs de l’action collective

A – Les incitations matérielles et symboliques à s’engager (modèle n°1)

Mancur Olson a établi la notion de passager clandestin, suivant un raisonnement utilitariste.
Idée : les citoyens font un calcul (”est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?”) avant de se lancer dans l’action collective (ce qui comporte des risques, demande du temps, …).
Si les coûts sont supérieurs aux avantages, la décision sera prise de ne pas y aller.

Paradoxe d’Olson : “Les grands groupes peuvent rester inorganisés et ne jamais passer à l’action même si un consensus sur les objectifs et les moyens existe.”
Idée : tout individu a intérêt à jouer le
free rider (”passager clandestin”).

Néanmoins, ceux qui s’engagent dans l’action vont en tirer un bénéfice supplémentaire. C’est la notion d’incitation sélective.
Exemple :
Une adhésion à un syndicat permettrait, aux États-Unis, d’obtenir des avantages (garantie de l’emploi…) → incitation sélective positive.
Le refus de se syndiquer pourrait entraîner des mesures de rétorsion (ostracisme, brimade, exclusion) → incitation sélective négative.

Virtuosité ascétique : engagement qui se veut le plus étranger possible à toute rétribution ; se retrouve dans certains engagements politico-religieux.

B – Le modèle de la frustration (modèle n°2)

Le sociologue Ted Gurr fonde en 1970 le modèle de la frustration.
Chez Gurr, la frustration n’est pas péjorative ; il part du principe que les individus ont leurs raisons.

Pour Gurr, la frustration se crée lorsque des individus qui ont connu une amélioration de leur situation projettent que cette évolution perdure, mais qu’ils se retrouvent au final dans la même situation ou dans une situation pire.
(lorsque les biens accessibles < biens attendus)

Exemple :
Une population X connaît une amélioration de son niveau de vie (hausse du pouvoir d’achat, Trente Glorieuses…) et a donc une vision pleine d’espoir de l’avenir.
Mais une crise surgit (crise de 2008, choc pétrolier…) qui va démentir cette espérance des individus.
C’est ici que, pour Gurr, la frustration se crée, entre les espérances des individus est la réalité.

C’est cette frustration relative qui est source d’actions collectives.

C – Le modèle de la mobilisation des ressources (modèle n°3)

Le chercheur Doug McAdam, dans son ouvrage Freedom Summer, propose le modèle de la mobilisation des ressources, qui explique pourquoi on peut se mobiliser pour une cause qui ne nous concerne pas directement.

Le Mississippi Summer Project est l’un des événements marquants du mouvement américain des droits civiques. Durant l’été 1964, environ un millier de volontaires Blancs du Nord, pour l’immense majorité issus de la bourgeoisie américaine, étudiants dans les plus prestigieuses universités du pays, partent dans le Mississippi participer à une campagne d’inscriptions des électeurs Noirs sur les listes électorales.

Doug McAdam constate que ceux qui se sont rendus au Mississippi tendent à partager les mêmes caractéristiques :

  1. Disponibilité biographique
  1. Affinité de convictions
  1. Intégration sociale

    Les volontaires sont des militants jeunes, mais suffisamment âgés pour échapper à la tutelle familiale. Ils sont en majorité étudiants ou jeunes travailleurs (le plus souvent étudiants), célibataires et sans enfants.

  1. Ressources matérielles confortables

    Ils se soustraient aux contraintes familiales, conjugales, professionnelles, financières, etc. qui s’imposent aux autres catégories, pour “faire du militantisme une activité trop chronophage ou trop risquée”.

Sur le plan idéologique, par-delà une réelle diversité des inspirations, présents et absents partagent des valeurs en affinité avec celles défendues par le mouvement. Les participants manifestent cependant une propension plus importante à s’identifier à un groupe de référence (socialistes/marxistes, démocrates libéraux, groupe religieux, etc.).

Le “sentiment de confiance et d’obligation que procure le fait d’appartenir ou de s’identifier à une communauté” constitue un facteur favorable à l’engagement.
Les volontaires sont d’ailleurs presque systématiquement membres d’au moins une organisation politique, syndicale ou religieuse et ont pour la plupart déjà participé, de près ou de loin, au mouvement des droits civiques.

En outre, des liens interpersonnels préexistent souvent entre les militants – une dynamique de groupe étant parfois même à l’origine de l’engagement.
En définitive, ceux qui se rendront dans le Mississippi se distinguent des absents par leurs liens et leur implication plus importants avec et dans le mouvement, ces derniers étant à l’inverse davantage isolés.

McAdam montre ainsi que le “militantisme ne repose pas uniquement sur l’idéalisme” mais qu’il est nécessaire que des “organisations officielles ou des réseaux sociaux informels structurent et prolongent l’action collective”.
Somme toute peu différenciés avant l’été 1964, les présents et les absents connaissent en revanche des destins fortement contrastés par la suite : les trajectoires biographiques des volontaires furent de fait profondément et durablement déviées par leur participation au Freedom Summer.

McAdam parle d’un “été extatique”. Pour cette jeunesse bien née, ayant foi en les vertus de l’Amérique, la découverte empirique des conditions de vie des populations noires du Sud, de la violence, des discriminations et de l’illégalisme généralisé constitue une expérience particulièrement marquante et transformatrice.
”Généralement éduqués dans une atmosphère optimiste et idéaliste, les volontaires n’étaient guère préparés au revers du rêve américain”

La découverte de la réalité accouche de sentiments mêlés : culpabilité, colère, tristesse, révolte ; sentiments contrebalancés par l’accueil tolérant qui leur est fait, la « spontanéité et la puissante assise communautaire de la population noire ».

Ce cas d’étude permet de comprendre quelles sont les conditions grâce auxquelles une action collective peut surgir. Ici, ces étudiants jouissaient d’une image et d’une confiance qui ont joué sur leur motivation et leur envie d’agir.
Ils appartenaient au même monde, mais ils faisaient partie des réseaux sociaux proches.

Ce modèle d’analyse focalisé sur la “mobilisation des ressources” insiste sur l’importance des ressources humaines, sociales, affectives et identitaires que peuvent mobiliser certains individus, tandis que d’autres qui sont largement dépourvus de ces ressources ont peu de chances de se mobiliser.

Chapitre 2 : Le vote

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La science politique est fondée sur l’étude du vote : il s’agit peut-être du chapitre le plus important.

On dit souvent que “le vote est à fois une évidence et une énigme”.

Une évidence d’abord parce qu’il apparaît comme naturel de passer par le vote pour nous départager et aller tous ensemble quelque part.

Le vote est devenu un symbole de la démocratie. C’est une institution qui n’est pas réservée à la vie politique, mais aussi à d’autres formes de vie sociale.
À l’école, les simulacres d’élection étaient nombreux (ex : délégués).

Si le vote a quasiment toujours existé depuis la Grèce antique (la boulè), les formes et les règles varient : il n’a pas toujours été universel.
Exemple : en 1848, on instaure le suffrage universel, mais les femmes ne votaient pas ! Les hommes représentaient leur famille.

Aujourd’hui, beaucoup de français ne savent pas voter :
> ne savent pas comment faire ; ou
> ne savent pas pour qui voter.

Le vote est aussi une énigme.
L’institution électorale en France s’est conçue autour du secret. (ex : les électeurs FN/RN ont pendant longtemps refusé de le dire)
Idée : le vote est un acte intime ; la souveraineté de l’individu est à l’abri de toutes les influences.

On dispose aujourd’hui néanmoins d’outils scientifiques qui nous permettent d’évaluer et d’étudier le vote.

Le vote est aussi attaché à des questions sociologiques. On n’a pas le même rapport au vote que nos grands-parents en raison de transformations du monde social.

I – Les modèles explicatifs du vote

Un modèle correspond aux conditions générales dans lesquelles les électrices et les électeurs sont amenés à voter.
On l’entend en fonction du lieu de vote et de son environnement.
Exemple : à Paris, les arrondissements sont très différents.

A – Le modèle écologique

Le premier modèle a été forgé par André Siegfried (1875-1959), qui est juriste de profession avant de s’intéresser progressivement à l’élection.
La science politique est la fille du droit.

Il fait campagne plusieurs fois de suite aux élections législatives, avant de se poser la question : “pourquoi est-ce que j’échoue ?”.

Il constate que le vote ne relève parfois pas de la volonté : la distribution des votes est stable sous la 3e République.
Il y a des frontières électorales invisibles qui séparent les territoires.

Idée : le vote est un fait social. Il ne relève pas seulement de la psychologie des habitants.
Exemple : il y a des terres et des communes monarchistes.

Les éléments qui lui semblent déterminants pour le vote sont :
> le type d’habitat
> la forme de la propriété foncière/immobilière
> le type de structure sociale et groupes sociaux fréquentés
> la religion
Aujourd’hui encore, la propriété comme la religion font partie des facteurs du vote.

Il explique notamment les préférences électorales par la nature des sols :

  1. L’accès plus facile à l’eau sur les sols granitiques tend à concentrer les terres entre les mains de grands propriétaires et donc à disperser les populations, qui ne se fréquentent donc le plus souvent qu’à l’église. De ce fait, les populations des sols granitiques étaient sous l’influence, très puissante pendant la Troisième république, des propriétaires terriens et des prêtres qui favorisaient les partis conservateurs.
  1. Du côté des sols calcaires, les points d’eau étaient moins nombreux, les populations plus pauvres et plus concentrées avaient plus l’occasion de se fréquenter ailleurs qu’à l’église (marché, taverne, etc.). Ainsi, ces populations se tournaient majoritairement vers les partis progressistes de l’époque.

Grâce à André Siegfried, on a pour la 1ère fois un modèle explicatif qui offre une grille d’interprétation du vote.
Limite : il retient 4 grands critères pour élaborer ce modèle écologique du vote, mais on pourrait ajouter d’autres critères.

B – Le modèle de Columbia

C’est Paul Lazarsfeld (1901-1976) qui crée le modèle de Columbia.
Ce modèle s’appuie sur la loi des grands nombres (selon laquelle, si on prélève au hasard un échantillon suffisamment important d’une population donnée, il est très probable qu’il soit à l’image de la population).

Paul Lazarsfeld interroge à plusieurs reprises des échantillons de population, pour mener une enquête à la méthodologie exigeante.

1) Enseignement n°1 : déterminisme social et héritage

Paul Lazarsfeld constate un très fort déterminisme social en matière de politique : “une personne pense politiquement comme elle est sociale”.
Quand on vote, on révèle qui on est socialement.

Les individus voient leurs opinions et leur pensée politique orientées par leurs conditions de travail, leurs conditions de vie, leurs revenus, leur famille, etc.

Le vote est un comportement individuel, mais aussi un comportement de communauté.

Lazarsfeld identifie 3 grands facteurs qui ont déterminé le vote des électeurs américains en 1940 :
> le statut socio-économique : conditions de vie, etc.
> le statut sociologique
> le statut économique

Le lieu de résidence est aussi un critère déterminant ; les villes votent exclusivement démocrates.

La religion est aussi importante : pour Lazarsfeld, les protestants votent républicain et les catholiques votent démocrates.
En France, la religion n’a pas d’influence déterminante.

Lazarsfeld identifie aussi le rôle de la tradition familiale.

Tous ces critères sont en corrélation.
On ne vote pas indépendamment de ses caractéristiques sociales.

2) Enseignement n°2 : le rôle et le poids des campagnes électorales

Le modèle de Columbia montre aussi que les campagnes électorales n’ont qu’un effet limité sur le choix des électeurs, parce que ce sont les rapports familiaux et notre rapport au monde (notre univers de vie) qui forment nos opinions politiques.
”Une campagne ne fait pas l’élection”

Idée : la majorité des électeurs s’est décidé avant l’ouverture des campagnes, et reste fidèle à son choix.
Ce qui fait bouger les lignes sont ceux qui ne se sont pas exprimés.

Les réseaux sociaux ont peu d’impact sur les campagnes, notamment Facebook.

💡
Un “vrai” réseau social nous donne du capital social, parce qu’on y a beaucoup de liens faibles.

Les meetings permettent de susciter la curiosité des médias, mais coûtent cher.
L’affaire du dépassement des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy nous montre que, pour les candidats, une campagne fait l’élection.
Pour Lazarsfeld, la campagne ne fait pas l’élection puisque la plupart des gens ont déjà choisi.

Paul Lazarsfeld explique néanmoins que la campagne n’est pas inutile, puisqu’elle vient chahuter et mettre en éveil des dispositions plus ou moins enfouies.
En effet, ceux qui suivent la campagne sont les plus politisés ; les meetings sont un moyen pour ceux qui ne sont que peu politisés de choisir une position politique.

La campagne est donc utile pour les plus politisés comme pour les moins politisés parce que :
1- ils s’intéressent ;
2- ils emmagasinent et imprègnent des convictions qu’ils avaient déjà.

Les candidats investissent donc dans des sites internet, sur les réseaux sociaux et dans des meetings tout au long de la campagne électorale. Celle-ci peut venir renforcer certaines idées et arguments.

3) Enseignement n°3 : les relations interpersonnelles

Pour Paul Lazarsfeld, les relations interpersonnelles jouent un rôle majeur dans la construction de nos positions politiques.

Idée : il y a, dans le corps électoral, des “leaders d’opinion”, qui sont des personnes sympathiques ayant une influence sur leur entourage.
Exemple : je suis en droit, donc mon entourage va sûrement s’appuyer sur mon expertise.

Ces leaders d’opinion ont un rôle triple :

  1. Rôle de faire voter ou de ne pas faire voter.
  1. Rôle de traducteur : ils peuvent expliquer les idées complexes et ainsi orienter les propos.
  1. Rôle d’aide dans le choix.
    ”Toi qui es sérieux, qui fait du droit, tu en penses quoi ?”

Il s’agit de la two step flow theory, selon laquelle les médias n’ont pas d’influence directe sur les électeurs, mais ils structurent les perceptions des leaders d’opinion qui, eux, possèdent une très forte influence sur les électeurs.
Une campagne électorale efficace s’appuie donc sur des passeurs qui permettent de convaincre.

C – Le modèle de Michigan

Le modèle de Michigan naît dans les années 1950 en réaction au modèle de Columbia.
Il confirme le déterminisme social et l’importance de l’héritage aux États-Unis, mais s’intéresse aussi à l’identification partisane et à la sociologie cognitive.

Selon le modèle de Michigan, il ne faut pas dissocier la vie individuelle de l’individu et son vote.
Idée : l’identification partisante est un acte de foi qui ne se manipule pas par une simple campagne.

Le corps électoral n’est pas homogène.

Il faut noter qu’aujourd’hui, aux États-Unis, l’identification partisane est moins importante que dans les années 1950. Les électeurs ne se sont pas pour autant totalement détachés des codes sociaux.

D – Le modèle économiste

Selon les partisans du modèle économiste, on peut expliquer le vote par le paradigme de l’agent économique.
Chaque électeur cherche à faire prévaloir ses intérêts.
Cette approche est très individualiste.

“L’homo politicus serait relié à l’homo economicus
Les individus parviennent à se placer par un calcul coût/avantage.
On ne voterait pour un candidat “que si le jeu en vaut la chandelle”.

Le problème de ce modèle, c’est que c’est un modèle individualiste qui ne prend pas en compte tous les facteurs.

➡️
Avant, ne pas voter était très mal vu. Le vote intermittent n’était pas la norme.
Dans les années 1960 et 1970, on parlait du vote communiste des ouvriers en France. Aujourd’hui, l’abstention prime chez les ouvriers.
Les élections sont souvent un moment où ne votent que ceux ayant un statut socio-professionnel privilégié (sauf pour l’élection présidentielle).

II – Les sens du vote

Les plus gros facteurs mis au jour par les modèles sont :
> le lieu de résidence
> la religion
> la catégorie socioprofessionnelle
> le travail
> l’âge
> le genre
> la situation matrimoniale

L’âge :
Plus on est jeune, moins on vote.
Plus on est jeune, plus on est critique.

La retraite est aussi un élément important : le vote peut être perçu par les personnes âgées comme un moyen de rester en lien avec la vie et la société.
→ le vote est un acte collectif

Le travail :
Ceux qui enchaînent les CDD et ceux qui sont en intérim s’abstiennent beaucoup.

Le genre :
Les femmes ont obtenu le droit de vote en France en 1944, mais il a fallu attendre les années 1980 pour qu’elles votent autant que les hommes.
En 2007, lors du second tour entre N. Sarkozy et S. Royal, on n’a pas pu démontrer l’existence d’un mécanisme de genre.

Le patrimoine :
Une étude a démontré que, plus on a de patrimoine, plus on vote à droite, et ce indépendamment du revenu :
> haut revenu + peu de patrimoine = votent majoritairement à gauche
> petit revenu + haut patrimoine = votent majoritairement à droite
Toutes choses égales par ailleurs, on a constaté jusqu’à présent en France des effets patrimoine, mais pas des effets revenu : le patrimoine est une variable déterminante, mais pas le revenu.

Selon une étude de 2017, le vote Macron était le vote des personnes heureuses, qui s’en sortaient bien et regardaient l’avenir très favorablement.
Le vote Le Pen était plus modeste et moins diplômé.

III – La démobilisation électorale

A – La démobilisation due aux facteurs sociaux

Depuis l’établissement du suffrage universel (d’abord masculin uniquement), on n’a jamais aussi peu voté : le taux d’abstention ne cesse de croître.
Certains parlent de “crise de la représentation”, voire de “crise de la démocratie”.
→ défiance croissante à l’encontre du politique

L’abstention est persistante et croissante. Il y a de plus en plus d’abstention systématique.
Il y a aussi beaucoup de votes intermittents (ex : une fois tous les 10 ans). Le vote intermittent est plus élevé chez les jeunes.

Lors de l’élection présidentielle de 2017, il y avait :
> 51,5 millions de français en âge de voter
> 46,3 millions d’inscrits sur les listes électorales
> 37 millions de votants (avec les bulletins nuls et blancs)
> 36 millions de voix exprimées

Une étude d’un politologue américain a étudié “l’effet première fois”.
Hypothèse : dans les 1ers temps, on vote à tout → on a toutes nos chances de devenir un électeur permanent ; mais il y a des incidents biographiques qui font qu’on peut s’arrêter de voter.

Il constate aussi que la position sur le marché du travail joue aussi : quand on a un CDI, on a beaucoup plus de chances de voter que quand on est en CDD.
Ceux qui sont en insécurité professionnelle se résignent, car la politique ne va pas leur paraître comme l’urgence (mais plutôt le pouvoir d’achat, le salaire, …).

Le diplôme, l’âge, la catégorie socio-professionnelle et le niveau de vie sont les facteurs sociaux les plus déterminants du vote et du non-vote.

L’abstention contemporaine amplifie les inégalités sociales, car ce sont les milieux les plus populaires qui sont amenés à s’abstenir.
L’ubérisation joue en faveur de l’abstentionnisme : ce sont les classes sociales les plus avancées qui vont voter le plus.

Jusqu’à la fin des années 1970, les milieux les plus populaires étaient ceux qui votaient le plus ; aujourd’hui, ce sont souvent des déserts électoraux.

L’étude “La démocratie de l’abstention”, réalisée dans le quartier des cosmonautes à Saint-Denis, qui est aujourd’hui un quartier de l’abstention alors qu’il était très actif en termes de vote jusque dans les années 1980, a identifié les facteurs suivants :
> le Parti communiste a perdu son emprise
> des couches populaires ont quitté le quartier
> certains ouvriers sont partis pour accéder à la propriété
> la population est jeune, et plus immigrée qu’ailleurs
> les associations laïques qui assuraient un travail de socialisation ont disparu

B – La démobilisation face à la critique

Il existe aussi un abstentionnisme politique, qui relève d’une analyse critique de la politique.
Idée : le vote n’est pas essentiel.

On parle de “crise de la participation”, mais c’est la démocratie représentative qui est en crise.

En France, pour les élections présidentielles, on a :
> 13% d’électeurs “permanents” (qui votent à chaque fois)
> 34% de protestataires (qui agissent dans la rue et votent de manière intermittente)
> 37% de multi-participants (votent à chaque fois + agissent dans la rue)

Les français ayant déposé leur bulletin vont être interrogés par des politologues, qui vont contribuer à la formation d’un “troisième tour” médiatique.
Ils vont chercher à donner une signification à des bulletins de vote. On est donc habitué à ce que ces professionnels de la représentation occultent le débat et la motivation électorale.

On a donc une dimension très subjective de l’élection.

  1. Plus on a d’entourage qui nous rappelle que l’élection approche, plus on a de chances d’aller voter.
    → importance des relations interpersonnelles et des leaders d’opinion
  1. Le problème d’inscription ou de mal inscription est très présent aux États-Unis et se développe en France, à mesure que le rapport à l’institution électorale se distingue.
  1. Il y a une attitude, dans les médias, à transformer les défaites en victoires et les victoires des autres en semi victoire (”victoire à la Pyrrhus”).

Chapitre 1 : La socialisation politique

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I – La socialisation

Murielle Darmon, une spécialiste de la socialisation politique, définissait la socialisation comme étant “l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit (formé, façonné, fabriqué, conditionné) par la société dans laquelle il vit”.
(processus par lequel on acquiert, apprend, intériorise, intègre)

A – La socialisation primaire

La socialisation primaire est la socialisation de la prime enfance, jusqu’à 10/12 ans.
Il s’agit d’une phase intense de règles de la société ; on cherche à comprendre les choses et à dialoguer.

C’est un processus interactif entre la société et l’individu qui se socialise.

B – La socialisation secondaire

C’est pendant la socialisation secondaire que l’individu devient plus actif.
Exemple : l’université, l’entreprise, les liens conjugaux, les scouts, etc.

Norbert Elias définit l’individuation comme le processus de “distinction d’un individu des autres de la même espèce ou du groupe, de la société dont il fait partie”.
La conscience d’être soi-même ne détruit pas le fait qu’il y a des traits communs à des sociétés entières.

Pour Kardiner (un patient de Freud), un mécanisme psychologique présent dans certaines sociétés influence nos relations.

L’habitus est un terme utilisé par Norbert Elias et Bourdieu. Il s’agit du fait de se socialiser dans un peuple traditionnel, définition qu’il résume comme un « système de dispositions réglées ». Il permet à un individu de se mouvoir dans le monde social et de l’interpréter d’une manière qui d’une part lui est propre, et d’autre part est commune aux membres des catégories sociales auxquelles il appartient.

Pour Bourdieu, nos goûts résultent de nos habitus.
Les différences de goût renvoient à des appartenances sociales différentes (exemple : il est rare que les personnes âgées adorent l’opéra et Christophe Maé).
→ La distribution des préférences politiques est liée aux goûts culturels.

II – La socialisation politique

La socialisation politique s’opère en continu au cœur de la socialisation primaire comme secondaire.
Le cadre familial et socio-éducatif influence grandement la position politique.

Les études montrent que les enfants (aînés des aînés) ont des orientations politiques très proches de leurs parents.
Exemple : 80% des enfants se déclarant de gauche avaient un père de gauche.

Règle statistique : on est généralement tous le produit politique de ses parents.
En matière de préférences politiques, on hérite de ses parents.

💡 On n’a pas forcément connu la même réalité politique que ses parents (par exemple, certains parents n’ont pas toujours connu le FN/RN).
En général, on a le même positionnement politique que ses parents.

On constate que les parents de droite explicitent moins leur positionnement politique que les parents de gauche.
À droite, on cherche à échapper au clivage gauche/droite.

En France, la socialisation politique se remarque par une transmission souvent assez explicite.
Ceux et celles qui avaient des parents qui s’intéressaient à la politique épousaient la position de ceux-ci.

Dans les enquêtes, beaucoup d’enfants soulignent les émotions de leurs parents : “j’ai vu que mes parents ont pleuré”.
Cette socialisation politique se fait aussi dans des rapports affectifs et émotionnels.

Aujourd’hui, on constate dans les enquêtes que les mères ont un rôle plus important en matière de transmission.
Un enfant qui naît dans un couple mixte (un est de droite, l’autre de gauche) a plus de chances d’être du parti de la mère que d’être de gauche.
Il y a statistiquement moins d’enfants mixtes que d’enfants hétérogènes.

L’éducation est donc très importante.

La famille au sens général du terme est le creuset de la transmission des préférences et opinions politiques.
La transmission n’est pas toujours ouverte : il y a des familles plus ou moins politiques.

Anne Muxel a montré dans une enquête que seuls 8% des français ont changé de camp politique par rapport à leurs parents.

L’argumentation ne permet pas le changement de position ; seul le temps le peut.
Dès lors, quelle est la méthode la plus efficace pour convaincre un maximum de personnes ?

Exemple : Valérie Pécresse aurait “raté” son meeting de Villepinte, mais en réalité cela n’a pas changé grand chose. Aucun candidat ne semble avoir de moyen de nous faire changer d’avis en votant à droite si nous sommes de gauche.

Pour convaincre, les candidats politiques doivent donc trouver des techniques de campagne qui s’immiscent dans nos rapports les plus ordinaires.

La campagne peut ainsi passer par l’école et les médias.
Les enseignants n’ont cependant pas un rôle majeur dans la socialisation politique.

III – La politique à l’école

Camille Amilhat s’est demandée à quoi sert l’EMC (Éducation morale et civique), matière enseignée du CP à la terminale.

On constate que les programmes portent plus sur l’aspect morale que civique.
La morale : “à ton avis”, “avec les autres”, respecter les valeurs, racisme, antisémitisme…
Le civique : institutions et participation à ces institutions, notamment électorales.

L’EMC n’a pas parlé à tous les élèves de la même façon.
Pour ceux qui étaient déjà politisés, l’EMC a renforcé cet aspect : ils se sont investis dans le cours.
Les autres n’ont pas retenu grand chose de l’EMC, sauf quand il y a eu une sortie (par exemple à l’Assemblée nationale) → la visite a un effet fort.

L’EMC peut être utile en donnant l’occasion de s’approprier des règles juridiques et politiques, notamment pour les élèves issus de migrations.

Ainsi, l’EMC fonctionne, mais à géométrie très variable : quand ça marche, ça permet aux élèves d’acquérir un capital culturel civique.
Pour d’autres, l’acquisition des disciplines se fait s’abord par la pratique.

Pour attirer les médias, il faut être original et savoir convaincre.
On constate aujourd’hui une “snapchatisation” des médias.

Est-ce que Cnews “zemmourise” ?
Non : ce sont les spectateurs qui “zemmourisent” Cnews.

Les médias à eux seuls ne forment pas nos orientations politiques : nous sommes aujourd’hui hyperexposés médiatiquement, mais nous savons lâcher prise.
Notre socialisation politique fait que nous avons des usages déterminés des médias (ex : la radio qu’on écoute le matin).

IV – La compétence politique

La compétence politique consiste, en autres, en savoir dire si tel candidat est de gauche ou de droite, savoir cites des noms, savoir expliquer ses positionnements politiques en des termes politiques, etc.

Aujourd’hui, quasiment tous les individus votent et disposent des mêmes droits. Les individus semblent être égaux en ce qui concerne le droit de vote ; ils décident ensuite d’avoir recours ou non à ce droit.

On constate qu’en réalité peu de gens s’intéressent à la politique. Peu de gens parlent de politique et peu de gens “savent” parler de politique.

Il y a une proportion élevée d’individus qui ne s’intéressent pas à la politique et/ou qui éprouvent de la défiance à l’égard de la politique.

Daniel Gaxie a fait des études à la fin des années 1970, qui montraient que moins de 50% de la population française s’intéressait à la politique.
On constate que ce taux a baissé depuis, avec la montée de l’abstention et le baisse de personnes inscrites ou “bien” inscrites sur les listes électorales.
Dans les années 1970, l’intérêt pour la politique était corrélé au niveau de diplôme, à la catégorie socio-professionnelle, au genre…

Dans un ouvrage qui s’intitule Le Cens caché, Daniel Gaxie met en lumière le phénomène d’auto-exclusion des profanes en politique, corrélée à leur niveau de compétence politique.
Idée : le système de suffrage universel se transforme de facto en un suffrage censitaire par l’auto-exclusion des catégories les moins bien dotées en capital culturel et en compétence politique.

⚠️ La connaissance politique ≠ l’intelligence.
La connaissance politique est cependant corrélée au niveau de diplôme.

V – Étude de cas

Le sentiment de compétence politique est un fait subjectif.
Exemple : un avocat pourra se sentir plutôt “calé” en politique, mais il peut être complètement à côté de la plaque.

Ce sentiment de compétence politique est très inégalement réparti.
Plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus on rencontre des individus dotés d’un sentiment de compétence politique (même s’ils ne sont pas forcément compétents).
Plus on descend, plus on rencontre des individus qui ne sont pas sûrs de leur savoir politique.

Ce qui est déterminant en matière d’intérêt et de sentiment de compétence politique est le niveau scolaire. Il y a une forte corrélation entre taux d’abstention et niveau de diplôme.
Le niveau de diplôme peut aussi conduire à voter à l’extrême droite.

Les personnes habitées par un sentiment d’incompétence ont du mal à parler de politique.

Alice Simon a réalisé de 2014 à 2015 une enquête auprès d’un échantillon représentatif de la population étudiant montpelliéraine : étudiants de droit, de science politique, de sport et de mathématiques.

Elle a demandé dans un QCM “qui est le ministre de la défense ?”.
Les étudiants ont globalement mal répondu : la médiane était de 6 sur 15.
Les étudiants de science politique ont eu un niveau bien plus élevé ; la différence de niveau avec les étudiants de mathématique augmentait aussi avec les années d’études.

Il y a donc un effet cursus.
Alice Simon n’a repéré aucune différence quant au genre.

Les femmes n’ont néanmoins pas le même rapport à la personnalité politique.
Les hommes connaissent un peu mieux le nom des responsables politiques, et sont un peu plus intéressés par la personnalisation de la vie politique.
On remarque aujourd’hui une peopleisation de la politique : on met en avant certaines caractéristiques de la vie privée d’une personnalité politique. Objectif : raconter une histoire aux électeurs, pour qu’ils s’identifient et votent.

Les étudiantes sont quant à elles, selon Alice Simon, plus à l’aise quand les questions de politiques font appel à la mémoire.
Les filles sont ainsi plus dans une approche sociohistorique, et les garçons plus dans l’actualité.

Dans l’enquête d’Alice Simon, les étudiantes ont eu plus tendance à ne pas répondre quand elles ne savaient pas.
Les hommes semblaient avoir un niveau de confiance plus élevé.

Sommaire : cours complet de droit de la famille (L1)

Ce cours de L1 de droit de la famille est inspiré de celui enseigné par la professeure Florence Bellivier à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2022.

Partie 1 : Le couple

Titre 1 : Le mariage

Titre 2 : Le concubinage

Titre 3 : Le pacte civil de solidarité

Titre 4 : La fin du couple marié

Partie 2 : L’enfant

Titre 1 : Le lien de filiation

Titre 2 : La condition juridique de l’enfant

Cette partie n’a pas été traitée en 2021-2022.

Chapitre 14 : Les actions relatives à la filiation

Cliquer ici pour retourner au sommaire du cours.

Il peut arriver que surgissent des conflits de filiation ; or il est essentiel de déterminer la filiation d’un enfant, parce qu’elle emporte des effets fondamentaux sur la vie d’un individu : effets successoraux, sur le nom, sur la nationalité, etc.

L’ordonnance de 2005 a harmonisé les actions en justice pour les enfants nés dans le mariage et hors mariage, mais a rendu beaucoup plus strictes les conditions auxquelles un lien de filiation peut être contesté.

Depuis les années 1950, et la découverte des groupes sanguins, on peut utiliser la preuve scientifique, mais les juges étaient contraints par le cadre légal et ne pouvaient pas facilement l’ordonner.

Aucune action n’est reçue quant à la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable ; pour reconnaître un enfant, il faut qu’il ait acquis une personnalité juridique (💡 même s’il est mort après quelques heures).

Le tribunal compétent est le tribunal judiciaire (avant : tribunal de grande instance).
Le tribunal territorialement compétent est celui du lieu où habite le défendeur.

Article 1149 du Code de procédure civile : le jugement est rendu en audience publique, mais les débats ont lieu en privé.

Les jugements relatifs à la filiation sont opposables aux tiers de plein droit : à partir du moment où le jugement est rendu, les tiers ne peuvent pas l’ignorer.
Ils ont une autorité absolue car ils sont opposables erga omnes.

Article 324 al 2 : “Les juges peuvent d’officer ordonner que soient mis en cause tous les intéressés auxquels ils estiment que le jugement doit être rendu commun.”

Article 61-3 : “L’établissement ou la modification du lien de filiation n’emporte cependant le changement du nom de famille des enfants majeurs que sous réserve de leur consentement.”

L’article 323 propose une vision plus restrictive de l’indisponibilité du lien de la filiation : “Les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation.”
Cela ne signifie pas que la filiation est indisponible (même si on ne peut pas passer de contrat sur sa filiation), mais simplement qu’on ne peut pas, par avance, renoncer à contester son lien de filiation, ou à ne jamais faire établir un lien de filiation.

I – Les règles générales gouvernant les actions relatives à la filiation

A – Le principe chronologique

L’article 320 du Code civil pose le principe chronologique : “Tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait.”

Le principe chronologique est, depuis 2005, un principe préventif de solution de conflits.
Idée : un lien de filiation légalement établi fait obstacle à l’établissement d’un autre lien contraire, tant qu’il n’a pas été contesté et annulé par une décision définitive.

B – Les délais

La prescription extinctive fait qu’au-delà d’un certain temps, on ne peut plus exercer une action en matière de filiation.
Elle relevait auparavant du droit commun (30 ans). Depuis 2005, elle est réduite à 10 ans, pour équilibrer 2 impératifs contradictoires :
> sécuriser le lien de filiation ;
> permettre la contestation d’une filiation non conforme à la vérité.

La minorité suspend le délai en faveur de l’enfant : il peut donc agir jusqu’à 28 ans.

Les 10 ans commencent, pour les parents, au jour de la naissance de l’enfant.
L’action en contestation de paternité peut être exercée pendant 10 ans, à partir du moment où le père a commencé à jouir de l’état contesté.

II – Les règles spéciales relatives aux actions en matière de filiation

Aujourd’hui, il n’y a plus de distinctions entre les enfants nés dans le mariage et hors mariage.
Le critère n’est désormais plus celui de la légitimité des enfants, mais de la finalité de l’action.

A – Les actions ayant pour finalité l’établissement d’un lien de filiation

Cette partie traite à la fois de la maternité et de la paternité.

1) La preuve à apporter

L’action en recherche de paternité ou maternité naturelle n’est plus soumise au filtre des présomptions et indices et conditions préalables de vraisemblances.
L’article 310-3, commun aux actions, dispose que “la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l’action”.
→ pose la règle de la liberté de la preuve, sous réserve que l’action soit recevable

Si l’action tend à l’établissement d’un lien de paternité, l’enfant doit prouver que le défendeur est son père (article 327).
Si l’action tend à l’établissement d’un lien de maternité, l’enfant doit prouver que le défendeur est sa mère (article 325). Il doit déterminer le jour et l’heure de l’accouchement, et l’identité de l’enfant.

Rien n’est dit de la maternité génétique : on n’a pas à prouver que l’on est issu des ovules de telle ou telle femme.
Civ 1, 2 décembre 2015, 15.18-312 : la Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC dans laquelle le demandeur prétendait que les articles 325 et 327 portaient atteinte au principe constitutionnel d’égalité entre les hommes et les femmes, parce que les actions relatives à l’établissement de la filiation maternelle et paternelle n’étaient pas rédigés de la même manière.

L’action en matière de filiation est une action attitrée : elle ne peut être intentée que par les personnes dont la loi prévoit qu’elles peuvent les intenter.
L’action en recherche de paternité et maternité est réservée à l’enfant. S’il est mineur, il peut être représenté par le parent à l’égard duquel la filiation est établie.

2) Les fins de non-recevoir

L’article 326 du Code civil prévoit l’accouchement sous X.
L’article L222-6 du Code de l’action sociale et des familles prévoit la procédure.
L’article 325 dispose que “à défaut de titre et de possession d’état, la recherche de maternité est admise” → signifie que, techniquement parlant, l’accouchement sous X ne constitue pas une fin de non-recevoir à l’action en recherche de maternité.
→ Ce n’est pas parce que la femme a accouché sous X que d’emblée le juge dit que l’action est irrecevable.

Le fait que la femme ait accouché sous X est néanmoins une complication de cette action.
Un système d’intermédiation est mis en place par le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP).
L’article L147-7 du Code de l’action sociale et des familles dispose que “L’accès d’une personne à ses origines est sans effet sur l’état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit.”
→ Ce n’est pas parce que l’enfant accède à des informations sur sa mère qu’un lien de filiation est établi ; il doit procéder pour cela à une action en recherche de maternité.
Dans son arrêt Odièvre c France du 13 février 2003, la CEDH a déclaré le disposition français conforme à l’article 8 (droit au respect à la vie privée et familiale).

La justice doit parfois concilier l’intérêt de la femme qui accouche sous X et celui du père de l’enfant.
Exemple : affaire Benjamin, Civ 1, 7 avril 2006 : un père reconnaît prénatalement son enfant que sa femme met au monde anonymement. Solution de la Cour : “la reconnaissance prénatale avait établi la filiation paternelle de l’enfant avec effet au jour de sa naissance, de sorte que le conseil de famille des pupilles de l’Etat, qui était informé de cette reconnaissance, ne pouvait plus, le 26 avril 2001, consentir valablement à l’adoption de l’enfant, ce qui relevait du seul pouvoir de son père naturel”.

Le Conseil constitutionnel, dans une décision QPC du 16 mai 2012, a estimé que l’accouchement sous X n’était pas contraire aux droits fondamentaux.

B – Les actions en rétablissement de la présomption de paternité

En principe, les enfants nés pendant le mariage n’ont pas à prouver la maternité et paternité.

L’article 329 établit que, si la présomption de paternité a été écartée :

  • soit les époux agissent, et ils disposent de toute la majorité de l’enfant pour le faire ;
  • soit l’enfant agit, et il dispose de 10 ans après sa majorité.

C – Les actions en constatation de la possession d’état

💡
Rappel : la possession d’état est la situation apparente d’une personne, dont la façon dont elle est traitée (tractatus), sa réputation (fama) et la façon dont elle est nommée (nomen) attestent de composantes de son état civil.
Idée : lorsqu’une personne peut démontrer un certain nombre de faits qui vont à l’appui de sa revendication, le droit se contente parfois de cette démonstration de faits.

La loi de 2005 a maintenu l’action en constatation de la possession d’état, qui avait été inventée par la jurisprudence.
Elle peut être menée lorsque l’existence de la possession d’état est contestée par un tiers, ou lorsque toute autre personne (par ex : un héritier) a intérêt à faire constater la possession d’état.

L’article 330 dispose que : “La possession d’état peut être constatée, à la demande de toute personne qui y a intérêt, dans le délai de 10 ans à compter de sa cessation ou du décès du parent prétendu.”

Objectif : ne pas faire revivre, à des fins purement successorales par exemple, d’anciennes possessions d’état.

Débat doctrinal :
Hypothèse : un enfant qui n’a pas d’acte de naissance affirme qu’il est l’enfant d’untel. Sa filiation n’a pas été établie et cet enfant n’a pas exercé d’action en recherche de paternité, mais il estime que cet homme l’a traité comme son enfant et qu’il était connu comme son père.
Question : est-ce que le juge peut ordonner une expertise biologique ?
Réponse : non, parce que l’action porte sur l’existence de la possession d’état, qui est précisément un ensemble de faits non biologiques. Mais si l’objet de l’action tend à la fois à la constatation de la possession d’état et à l’établissement d’une filiation, alors la question de la vérité biologique de la filiation doit être débattue, parce que la preuve de la filiation est libre.

Chapitre 13 : L’établissement non contentieux de la filiation paternelle et maternelle

Cliquer ici pour retourner au sommaire du cours.

On distingue 3 sources d’établissement de la filiation :
1- l’effet de la loi ;
2- la volonté ;
3- un jugement.

I – La filiation établie par l’effet de la loi

Ici, “l’effet de la loi” désigne 2 modes d’établissement de la filiation :

  1. L’acte de naissance, qui fonctionne pour l’établissement de la maternité que la mère soit mariée ou non ;
  1. La présomption de paternité, qui établit la paternité seulement pour le mari de la mère.

L’article 311-25 du Code civil énonce que “la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant”.
Pendant longtemps, la règle n’a valu que pour les femmes mariées.

Cette règle est souvent exprimée sous la forme d’une maxime : “la mère est toujours certaine”.

La mère peut demander à ce que son identité ne soit pas connue (”accouchement sous X” ou “secret de son admission et de son identité”), ce qui empêche l’établissement d’un lien de filiation.

Pater is est quem nuptiæ demonstrant, ou Pater is est : “le père est celui que les noces désignent.
Idée : en principe, puisqu’une femme est mariée, elle doit être fidèle à son mari ; les enfants nés d’elle sont donc en principe les enfants de son mari.
Le devoir de cohabitation pèse sur les mariés : en épousant telle femme et en ayant des enfants avec elle, le mari accepte que les enfants qui naissent de cette femme soient les siens.

La présomption de paternité est l’un des effets du mariage.
Aujourd’hui, c’est la seule règle qui n’est pas commune à tous les enfants.

Depuis 1972, idée : la présomption de paternité ne doit pas servir à établir une paternité totalement invraisemblable par rapport à la vérité biologique.

A – Application de la règle

L’article 312 établit la présomption de paternité.
On distingue 2 conditions :

  1. Il faut un mariage, qui soit valable ou nul (l’article 202 indique que le fait que le mariage ait été annulé et que les époux aient été ou non de bonne foi n’a aucune incidence sur le sort des enfants)
    → il n’y a pas de présomption de paternité au sein d’un couple de concubins
  1. Il faut un acte de naissance qui prouve la maternité

L’article 342-11 met en place un système spécial pour établir la filiation au sein d’un couple de femmes : “La filiation est établie, à l’égard de la femme qui accouche, conformément à l’article 311-25. Elle est établie, à l’égard de l’autre femme, par la reconnaissance conjointe [précédemment établie]”.

B – Exclusion de la règle

La présomption de paternité disparaît de plein droit (= automatiquement ; il n’y a pas besoin d’une action en justice pour exclure la paternité du mari) dans 2 cas :

  1. En cas de séparation légale des époux : si les époux n’ont plus l’obligation de cohabiter, la paternité du mari vis-à-vis de l’enfant né de sa femme perd de sa vraisemblance.
    Il s’agit du cas où l’enfant est conçu plus de 300 jours (~ 9 mois) après l’introduction de la demande en divorce,
  1. Si l’acte de naissance de l’enfant ne désigne pas le mari comme père.
    L’article 313 dispose que “la présomption de paternité est écartée lorsque l’acte de naissance de l’enfant ne désigne pas le mari en qualité de père”.

C – Les effets de l’exclusion sur la filiation de l’enfant et le rétablissement éventuel de la présomption de paternité

La présomption de paternité qui a ainsi été exclue peut être rétablie.

L’article 314 dispose que, si la filiation a été écartée sur la base de l’article 313, elle se trouve rétablie de plein droit si l’enfant a la possession d’état et n’a pas déjà une filiation paternelle établie.

L’article 329 dispose qu’il est possible d’intenter une action en justice pour faire reconnaître la paternité dont la présomption a été écartée, à condition que cet enfant n’ait pas déjà 2 parents.
Cette action est ouverte à chacun des époux pendant la minorité de l’enfant et dans les 10 ans qui suivent sa majorité.

Le mari peut aussi établir la filiation par reconnaissance.
Exemple : hypothèse où une femme a accouché sous X, mais son mari sait qu’elle a eu un enfant.

II – La filiation établie par la reconnaissance

Les articles 316 et suivants organisent l’établissement de la filiation par la reconnaissance.

On constate une évolution du droit de la famille : la présomption de paternité, autrefois le fondement la filiation légitime, est devenue aujourd’hui une simple règle technique.

Certains enfants ne peuvent pas être légalement reconnus :
> ceux dont la filiation est déjà établie à l’égard d’une tierce personne ;
> lorsque l’établissement de la filiation est prohibé (en cas d’inceste).

A – La nature de la reconnaissance

La reconnaissance est à la fois un aveu et un acte juridique.

En principe, celui qui est à l’origine de la naissance d’un enfant est bien placé pour savoir qu’il est le père ou la mère.
La reconnaissance est par nature déclarative et donc rétroactive.
Puisque c’est un aveu, elle est par nature irrévocable.

Mais la source de cette reconnaissance est la volonté ; c’est un acte juridique, soumis au droit commun : il faut que cette volonté soit libre.

B – Le régime de la reconnaissance

1) La liberté de la reconnaissance

La reconnaissance est libre. Elle n’est soumise à aucun contrôle et aucune vérification.
→ Une reconnaissance d’enfant peut être de complaisance.

2) Le moment où intervient la reconnaissance

On peut reconnaître un enfant prénatalement.
Après sa naissance, un enfant peut être reconnu à tout âge, à la condition qu’il n’ait pas déjà de lien de filiation dans cette branche.
Il peut même être reconnu après après sa mort (enjeu successoral et/ou symbolique).

3) L’authenticité de la reconnaissance

La reconnaissance est un acte suffisamment important pour que le législateur ait exigé qu’elle ait lieu sous forme authentique ; un acte sous seeing privé ne suffit pas (article 316 al 3).

On distingue 3 voies possibles :

  1. L’acte de naissance contient la reconnaissance.
  1. Si la reconnaissance n’est pas faite au moment de l’acte de naissance, un acte de reconnaissance est établi, et mentionné en marge de l’acte de naissance.
    Il s’agit d’un acte notarié, spécialement destiné ou non (ex : testament).
  1. L’aveu judiciaire : quand, devant un juge, dans n’importe quelle procédure, un homme ou une femme reconnaît sa paternité/maternité.

4) La reconnaissance : un acte personnel et unilatéral

La reconnaissance est un acte personnel : elle doit émaner du parent de l’enfant reconnu.
Elle lui est strictement personnelle : on ne peut pas reconnaître un enfant à la place de quelqu’un.

C’est un acte unilatéral : il n’y a pas besoin de demander à l’enfant, ni à l’autre parent.

Si l’auteur de la reconnaissance est mineur, il doit effectuer lui-même la reconnaissance.

5) La reconnaissance : un acte irrévocable, déclaratif et absolu

Une fois faite par son auteur, la reconnaissance ne peut être rétractée.

C’est un acte déclaratif, et par conséquent rétroactif : la déclaration ne crée pas de lien de filiation, mais déclare un lien de filiation préexistant ; elle est donc rétroactive au jour de la naissance.

En principe, un acte déclaratif est relatif (aux parties concernées).
La reconnaissance est absolue : ses effets s’étendent à tout le monde (erga omnes).
→ on ne peut pas reconnaître un enfant déjà reconnu

III – La filiation établie par la possession d’état

La possession d’état est prise en compte comme un mode d’établissement de la filiation, en mariage comme hors mariage.
Elle doit être formalisée au moyen d’un acte de notoriété.
Elle revêt donc un caractère hybride : c’est une réalité factuelle qui a besoin d’un minimum de formalisme.

La possession d’état est une réalité factuelle à partir de laquelle la loi présume un lien de filiation.
Elle doit être prouvée ; puisqu’il s’agit de faits, la preuve en est libre.

L’article 317 du Code civil dispose que l’acte de notoriété est établi par le notaire à la demande de chacun des parents ou de l’enfant.

La possession d’état peut être établie post-mortem.

Chapitre 12 : Les règles générales relatives aux dispositions communes du droit de la filiation

Cliquer ici pour retourner au sommaire du cours.

Qu’elle soit contentieuse ou non contentieuse, la filiation doit être prouvée, parce qu’il s’agit d’un lien juridique.

Le lien de filiation n’est pas fondé sur le lien biologique, mais quand il est contesté l’existence ou l’inexistence d’un lien biologique devient essentielle.

La preuve de la maternité

Le droit exige la preuve que tel enfant est né de telle femme qui a accouché.
Spécificité : la grossesse et l’accouchement sont des faits biologiques, qui sont facilement repérables.

Mater semper certa est : “la mère est toujours certaine”.
→ le fait même de la naissance désigne la mère avec certitude

Sous réserve de l’accouchement sous X, la maternité d’une femme à l’égard d’un enfant est établie par :
> la date de l’accouchement ;
> l’identité de la mère.

La preuve de la paternité

Pater semper incerta est : “le père est toujours incertain”.

La science permet de connaître le père avec certitude, mais on ne veut pas porter atteinte à la paix des familles.
Encore aujourd’hui, le droit a recours à des présomptions pour établir la paternité.

I – Les présomptions

Une présomption est un raisonnement qui permet de déduire un fait inconnu en partant d’un fait connu.

Le droit de la filiation a été construit à une époque où beaucoup de faits biologiques étaient inconnus.
Il établit donc 2 présomptions :
> une relative à la période légale de conception ;
> une relative à la date précise de la conception.

A – Le contenu des présomptions

Hypothèse : le seul fait connu est la date de naissance de l’enfant.

La présomption de la période légale de conception est prévue par l’article 311 du Code civil.
”La loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du 300e au 380e jour, inclusivement, avant la date de la naissance.”
Idée : pour le droit, l’enfant a été conçu entre 6 mois et 9 mois avant sa naissance.

Cette approximation permet de fixer les limites temporelles entre lesquelles un enfant est réputé avoir été conçu, mais il peut être utile de savoir exactement à quelle date l’enfant a été conçu :

La présomption de la date précise de la conception est aussi prévue à l’article 311 (alinéa 2).
”La conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant.”

L’enfant est réputé avoir été conçu omni meliore momento (”au meilleur moment”).

B – L’autorité des présomptions

Une présomption peut être simple ou irréfragable ; ici, elles sont clairement simples.

Si l’intérêt de l’enfant commande telle ou telle date, on ne considère pas que la science doit s’incliner devant cet intérêt supérieur de l’enfant.

C’est à celui qui invoque une date différente d’en apporter la preuve.
Cette preuve contraire peut être apportée par tout moyen, puisqu’il s’agit de prouver la date de la conception de l’enfant, qui est un fait juridique.

II – Les moyens de preuve classiques de la filiation

A – Le titre

Jean Carbonnier parlait de “vérité officielle”.
En matière de filiation, la preuve préconstituée est l’acte de naissance, ou l’acte de reconnaissance (qui doit être porté en marge de l’acte de naissance).
(article 310-3 du Code civil)

L’acte de naissance doit respecter les exigences posées par la loi.

B – La possession d’état

Jean Carbonnier parlait de “vérité vécue”.
La possession d’état est un fait qui produit des effets juridiques, parce qu’on considère que la plupart du temps ce fait est conforme au droit.
Exemple : en général, le possesseur d’un bien en est le propriétaire.

Il s’agit d’un ensemble de faits connus qui présentent l’enfant comme issu de tel ou tel parent.
À partir d’une vérité sociologique, la loi déduit l’existence d’un fait inconnu : le rapport le filiation entre un individu et le parent auquel cet enfant prétend être rattaché.

C’est l’article 311-1 qui fixe les conditions d’établissement de la possession d’état.
Il faut que l’enfant ait été traité comme tel (tractatus), qu’il soit reconnu comme tel (fama) et qu’il porte le nom de ses parents (nomen).

L’établissement de la possession d’état permet l’établissement d’un lien de filiation, qui fait entrer l’enfant dans la famille du parent.

Il s’agit de faits : les juges du fond apprécient donc souverainement si on peut déduire de cette réunion de faits une possession d’état.
Il faut que la possession d’état soit “continue, paisible et non équivoque” (article 311-2).

En l’absence de titre, la possession d’état est un mode autonome d’établissement de la filiation.

En présence d’un titre (si un enfant a un titre et une possession d’état) :

  • Soit le titre et la possession d’état convergent : la filiation devient inattaquable ;
  • Soit le titre et la possession d’état divergent : la filiation devient très fragile.

La possession d’état repose sur des faits, qui ont une dimension subjective et qui sont appréciés souverainement par un juge.
Elle joue un rôle considérable en droit de la famille.

Depuis 2005, il ne suffit plus que le juge constate une réunion de faits pour en tirer une possession d’état ; il faut que cette possession d’état ait été officiellement constatée par un acte de notoriété (article 310-3 du Code civil).
L’article 317 dispose que “chacun des parents ou l’enfant peut demander à un notaire que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d’état jusqu’à preuve contraire”.

C – Les techniques biologiques

La preuve scientifique/biologique n’est admissible que lorsqu’un procès a été engagé, visant soit à établir un lien de filiation soit à contester un lien de filiation.

1) L’accès limité à la preuve biologique

3 conditions :

  1. Pour avoir accès à une expertise, il faut que le juge l’ordonne ;
  1. Lorsque le juge ordonne une expertise génétique, il la confie à un établissement agréé (article 16-12) ;
  1. Le consentement est requis.
    Principe d’inviolabilité du corps humain établi par l’article 16-5.

2) Les problématiques liées à la preuve biologique

Que se passe-t-il si l’on veut faire établir un lien de filiation vis-à-vis de quelqu’un déjà décédé ?

Dans l’affaire Yves Montand, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 6 novembre 1997, a ordonné l’exhumation d’un homme dont une femme prétendait être la fille.

La loi bioéthique de 2004 a modifié l’article 16-11 du Code civil, pour y mentionner que : “Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort.”

Cet ajout illustre la difficulté de concilier les 2 principes de l’intérêt à faire établir un lien de filiation et du respect dû aux morts et au cadavre.

Que se passe-t-il si, au nom de l’intégrité du corps humain, je refuse de consentir au prélèvement ?

Le juge peut, en se fondant sur le droit commun de la preuve, tirer souverainement les conséquences du refus, à partir du moment où le refus est corroboré par d’autres éléments, et établir un lien de filiation.
(article 11 du Code de procédure civile)

3) Le rôle du juge

Les progrès génétiques permettent au juge de connaître avec certitude les parents biologiques des enfants. Les empreintes génétiques sont aujourd’hui utilisées en matière civile comme en matière pénale.

Civ 1, 28 mars 2000 : arrêt de principe + revirement de jurisprudence.
Propose une solution qui sera ensuite consacrée par la loi : l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder.

En France, l’expertise génétique n’est admise que dans un cadre judiciaire.
Depuis 2000, le juge ne peut pas refuser d’ordonner une expertise biologique si une partie lui demande, sauf s’il y a un motif légitime de ne pas le faire.

Par “motif légitime”, on entend une impossibilité matérielle de procéder à ces expertises, par exemple si le père prétendu n’est pas localisable.

Certaines décisions mettent en avant le motif légitime lorsqu’une 1ère expertise sanguine avait donné des résultats concluants et que des plaideurs sollicitent une 2e expertise.

L’article 310-3 alinéa 2 établit la liberté de la preuve : “par tout moyen”.

À partir de 2000, des plaideurs ont essayé de se servir des analyses génétiques dans différents contentieux proches de la filiation (ex : l’établissement de la nationalité d’un enfant).
Réponse : l’analyse génétique est cantonnée aux actions relatives à la filiation.

Les modes de preuve sont de nature très variable.
L’acte de naissance est la preuve standard lors d’un contentieux ; elle est par définition juridique.
Les techniques biologiques sont quant à elles limitées aux actions contentieuses.

La possession d’état est une réunion de faits qui emporte des conséquences juridiques.
Elle est en principe informelle, mais est désormais officialisée par l’acte de notoriété.

Introduction au lien de filiation (cours de droit de la famille)

Cliquer ici pour retourner au sommaire du cours.

Le lien de filiation est le lien de droit qui unit l’enfant à son père ou à sa mère.
Il est plus ou moins dépendant du fait biologique, sans qu’il n’y ait nécessairement coïncidence.

Pour une partie de la doctrine, il n’y a pas de “lien de filiation biologique”.
💡 Cela ne signifie pas que filiation et biologie ne peuvent pas coïncider, mais simplement que le concept n’est pas biologique.
→ c’est un lien de droit

Exemple : la filiation adoptive : l’enfant adopté est juridiquement l’enfant des parents adoptifs.

“à son père ou à sa mère” : le lien de filiation est divisible.
Juridiquement, on n’est pas l’enfant d’un couple.

La filiation est un ensemble complexe, qui mêle des données sociales, culturelles, individuelles, familiales, réelles et imaginaires.

On distingue 2 modèles traditionnels de la filiation :

  1. La filiation charnelle (enfant issu de son père et de sa mère) ; jusqu’en 2005, elle est subdivisée en :
    1. filiation légitime (enfant nés dans le mariage) ;
    1. filiation naturelle (nés hors mariage) ;
    1. filiation adultérine.
  1. La filiation adoptive.

Aujourd’hui, on distingue un 3ème modèle : la filiation des enfants issus d’une assistance médicale à la procréation.

De 1804 à 1972, le droit de la filiation était fondé sur le primat du mariage, considéré comme la seule organisation du couple reconnue et légitime.
Aujourd’hui, il est fondé sur les notions d’égalité (les enfants sont tous égaux devant la loi, quel que soit leur mode de conception et le lien de filiation qui les unit à leurs parents) et de vérité (le lien de filiation est conforme à la vérité).
💡 mais quelle vérité : biologique, sociologique, affective ?

L’ordonnance du 4 juillet 2005 a considérablement simplifié la matière.


Voir aussi :
Chapitre 12 : Les règles générales relatives aux dispositions communes du droit de la filiation
Chapitre 13 : L’établissement non contentieux de la filiation paternelle et maternelle
Chapitre 14 : Les actions relatives à la filiation