Chapitre 1 : Ordre public et police administrative

Ordre public : défense de la sécurité, de la salubrité, de la dignité humaine et de la tranquillité publique.

La notion d’ordre public est floue :
> qui est habilité à le définir ?
> quelle interprétation lui donner ?
Souvent, c’est le pouvoir qui le définit.

Section 1 : De la police des cultes à la séparation de l’Église et de l’État

§ 1. De la nationalisation de 1789 au Concordat de 1801

Le Concordat est le traité qui a régi les relations entre l’Église et l’État pendant 2 siècles.

À la fin de l’Ancien Régime, le catholicisme est la religion majoritairement pratiquée en France.
On considère alors que l’Église et l’État sont indissolublement liés.

Les révolutionnaires tentent de remplacer la religion catholique par une religion civile (culte des symboles de la Révolution), mais c’est un échec.

Nationalisation des biens de l’Église : novembre 1789.
L’Église était le plus grand propriétaire du royaume, et touchait la dîme (1/10e des récoltes).
+ la dette de l’État atteint des sommets (→ 51% des revenus annuels vont à son paiement)
→ l’État absorbe les biens de l’Église pour rembourser la dette

Les révolutionnaires affirment que l’Église n’est pas propriétaire, mais simplement dépositaire.
→ idée : la nationalisation est un retour à leur propriétaire légitime.
L’État vend les biens de l’Église aux enchères.
→ crée de fortes tensions entre la France et le Saint-Siège
→ crée une fracture sociale entre les français

En 1799, Bonaparte veut rétablir la paix. Il voit dans la religion un instrument de pouvoir.
Il signe une sorte de traité de paix avec le pape Pie 7 :
> ratifié le 10 septembre 1801
> en vigueur jusqu’en 1905

Des concessions y sont faites de part et d’autre :

  • le pape reconnaît la légitimité de la République française
    + le caractère irrévocable de la vente des biens nationaux
    + admet que la religion catholique ne redeviendra pas religion d’État ; juste “religion de la majorité des français”
    + le chef de l’État nomme les évêques
  • l’État met à disposition de l’Église les églises qu’il n’a pas vendues
    + verse un traitement aux membres du clergé

Le Concordat est ratifié en 1801 mais promulgué loi de la République que le 7 avril 1802, en même temps qu’un règlement de police administrative de 77 articles (”Articles organiques”), qui restreint les pouvoirs prévus du pape.
> les actes du Saint-Siège ne peuvent pas entrer en vigueur sans l’accord du gouvernement
> les évêques doivent obtenir une autorisation pour se rendre à un concile à l’étranger
> règlemente les habits ecclésiastiques, le sonnage des cloches, les jours des processions…
> tous les membres du clergé (→ fonctionnaires) doivent prêter serment de fidélité au régime
→ le culte est domestiqué par les autorités civiles et intégré dans l’ordre public

§ 2. La République contre l’Église de France

En 1875, la République s’installe.
Les républicains considèrent que la religion constitue une menace, parce qu’elle est un soutien de la monarchie.

Ils commencent par s’attaquer aux congrégations religieuses (= sociétés religieuses composées d’individus d’un même sexe qui vivent ensemble pour accomplir une ou plusieurs missions spirituelles ; ex : bénédictins, jésuites, etc.).
Théoriquement, elles ont besoin de l’accord du gouvernement, mais en pratique plus besoin.

Les républicains s’y attaquent car ce sont elles qui sont exclusivement en charge de l’enseignement.
+ les seules à offrir assistance aux pauvres et aux malades
+ elles sont composées de beaucoup d’étrangers, soupçonnés de distiller des idées anti-républicaines

En 1879, Jules Ferry engage la lutte contre les congrégations.
Il rédige un projet de loi qui interdit l’enseignement aux congrégations non autorisées, mais le Sénat refuse.

En mars 1880, le gouvernement adopte 2 décrets :
1- ordonne aux congrégations jésuites de se dissoudre et de quitter le sol français
2- donne 3 mois aux congrégations pour s’enregistrer

Les congrégations laissent passer les 3 mois sans s’enregistrer.
Des scènes de violence et d’expulsions prennent ensuite place.
Le gouvernement envoie l’armée.
Souvent, les civils défendent les congrégations.

Certains magistrats refusent d’appliquer les décrets.
Le gouvernement viole le principe d’inamovibilité des magistrats du siège.
Beaucoup de magistrats démissionnent.

En 1901, la 2ème phase commence.
La loi du 1er juillet 1901 sur les associations vise les congrégations.
Projet présenté par Waldeck-Rousseau, qui considère les congrégations religieuses comme contraires à l’ordre public car fondées sur le refus par leurs membres de leurs droits fondamentaux.
Idée : seules les associations civiles sont licites.

Cette loi édicte un régime spécial pour les congrégations : elles ne peuvent pas se former sans l’autorisation d’une loi.
+ l’enseignement et la direction d’un établissement d’enseignement leur sont définitivement interdits

Une congrégation autorisée peut ouvrir un établissement avec décret du Conseil d’État.

Cette loi est mise en œuvre par un gouvernement dirigé par Émile Combes (anticlérical).
Il fait fermer près de 10 000 enseignements d’établissement.
Plus de la moitié de ces écoles vont rouvrir avec des enseignants laïcs ou régularisés.

Une loi de 1904 interdit définitivement l’enseignement aux congrégations.

La séparation des Églises et de l’État est préparée par le législateur, le gouvernement et la jurisprudence du Conseil d’État.
En effet, sous le régime du Concordat, le Conseil d’État est habilité à se prononcer contre les membres du clergé : “appel comme d’abus”.
Exemple : en 1904, 4 archevêques sont condamnés par le Conseil d’État pour avoir consigné une lettre ouverte au PR pour protester contre une loi → ils perdent leur traitement.

§ 3. La rupture avec Rome et la loi de 1905

En 1904, 2 évènements précipitent la rupture avec Rome :

  1. Une visite officielle du PR Émile Loubet au roi d’Italie est considérée par le pape comme une insulte (puisque l’État italien a annexé la ville de Rome).
    Le président du Conseil Émile Combes rappelle l’ambassadeur français au Vatican.
  1. Le pape convoque 2 évêques pour qu’ils soient jugés.
    Pour le gouvernement, le pape aurait dû recourir au gouvernement.

→ rupture entre la France et le Saint-Siège.

Émile Combes dépose le projet en novembre 1904.
Mais le scandale de l’affaire des fiches le force à démissionner.
Affaire des fiches : dans le gouvernement d’Émile Combes, le général André (ministre de la guerre) veut favoriser la carrière des officiers républicains.
Il se renseigne sur leurs opinions et met en place un système de fiches fondé sur la délation, pour favoriser les républicains au détriment des catholiques.

Le projet de loi est donc défendu par Aristide Briand.
La loi est votée le 9 décembre 1905.
Elle consacre une rupture unilatérale avec le Concordat de 1901.
Ce qui change par rapport au Concordat :

  • La loi reconnaît la liberté de culte et de conscience.
    → interrompre ou empêcher un culte est un délit
  • Les membres du clergé ne sont plus salariés de l’État.
    L’administration du culte est confiée aux associations cultuelles (= associations qui regroupent les fidèles et qui doivent être constituées dans un délai d’1 an).
  • Les bâtiments du culte qui appartiennent à l’État sont laissés à la disposition de ces associations.
  • Chaque paroisse a l’obligation de faire un inventaire des biens contenus dans chaque église.
    Les biens appartenant à l’État lui sont rendus.
  • Il est désormais interdit d’apposer des symboles religieux sur des bâtiments publics.

Cette loi est condamnée par le pape, qui craint une contagion de l’exemple français.
Il appelle les fidèles à résister.

Les inventaires donnent lieu à des affrontements.
Le gouvernement fait intervenir l’armée.

Des mesures sont prises pour calmer les esprits : l’État reconnaît aux prêtres résistants le droit d’occuper les églises pour y célébrer le culte.
La loi de 1905 n’est donc pas appliquée immédiatement partout en France.
Il faudra attendre la Première Guerre mondiale, qui réconcilie les républicains et les catholiques.

Section 2 : Le contrôle de l’opposition et la surveillance des mœurs

Pendant longtemps, les gouvernements se sont emparés de techniques pour contrôler l’opposition en place.

§ 1. Le contrôle de l’opposition : la police politique

La police politique consiste en un contrôle par l’administration des ennemis du régime, réels ou supposés.
C’est généralement un attribut des régimes totalitaires.

On voit un régime autoritaire pendant la Révolution, en 1793 et 1794 (Terreur).
Les comités avaient créé une catégorie politique pour poursuivre leurs ennemis politiques : les ennemis de la patrie / de la Révolution.
Ceux-ci étaient jugés sommairement par un tribunal extraordinaire pour mis à mort.

Sous Napoléon, une autre forme de police existe : le préfet, qui représente l’État au niveau du département.
Conçu comme un instrument de contrôle sur le plan politique.
Son rôle est de surveiller les monarchistes et autres mouvements politiques pour repérer les personnes potentiellement hostiles.

A – Sous le 2nd Empire

Comme sous le 1er Empire, le préfet est le rouage essentiel du contrôle de l’opposition politique.
> intervient pendant les campagnes électorales
> coordonne la propagande bonapartiste
> fait souvent fermer des lieux où l’opposition se réunit
> donne des consignes précises aux fonctionnaires locaux (ex : maires, qui ne sont pas élus mais nommés par le gouvernement)

Le préfet se sert aussi de ses pouvoirs pour apporter des dons à certaines communes.
Les maires surveillent les électeurs.
Le candidat officiel dispose de privilèges (obj : indiquer aux électeurs quel est le candidat officiel et créer une confusion entre leur programme et les actions du gouvernement).

En février 1852, une circulaire crée les commissions mixtes, juridiction d’exception (= étrangère à l’ordre judiciaire).
1 par département.
Composée du préfet (qui représente l’empereur), du procureur général et de l’officier supérieur qui commande les troupes dans le département (force armée).
→ aucun magistrat du siège
→ pas de garantie du respect des libertés fondamentales

La procédure devant les commissions est expéditive et secrète.
La garantie des droits de la défense n’est pas assurée.
La motivation des arrêts est confuse.
Il y a violation de la non-rétroactivité de la loi pénale.

Ces commissions créent de toutes pièces des infractions.
Objectif : se débarrasser des ennemis politiques de Napoléon 3.
En quelques semaines, elles prononcent 25 000 condamnations (très efficaces).

Il n’y a pas d’épuration de la magistrature : seulement une dizaine de magistrats sont révoqués.
2 000 avocats sont rayés de l’ordre du barreau pour leurs opinions politiques.
Les magistrats soutiennent le régime.
L’administration est un instrument de contrôle du régime sur le pays.
Les fonctionnaires qui assurent ce contrôle ont des avantages.

Les établissements d’enseignement (surtout des écoles dirigées par des congrégations religieuses, mais aussi des universités publiques) vont être placés sous la surveillance du ministre de l’instruction publique.
Dans les universités, plusieurs enseignants sont révoqués.
Le gouvernement interdit certains cours (ex : droit constitutionnel).
L’agrégation d’histoire et de philosophie sont supprimées.

Les opposants sont décimés par les arrestations.

En janvier 1858, Napoléon 3 est victime d’une tentative d’assassinat par le révolutionnaire italien Orsini, critique à la politique italienne menée par l’empereur.
Il fait adopter la loi de sûreté générale, qui vise à maintenir l’ordre public en France d’une manière sévère et autoritaire.
Le ministre de l’Intérieur a le droit de faire déporter ou interner toute personne ayant subi une condamnation politique depuis 1848.
→ de nombreux opposants politiques vont s’exiler en Belgique ou en Angleterre

B – Sous la 3e République

La 3e République s’attaque rapidement à la question de l’enseignement.
Les républicains craignent que des idées contraires à la nouvelle république se diffusent dans les écoles catholiques → décrets mars 1880 : expulsion des congrégations.

En août 1883, le gouvernement opère une épuration de la magistrature.
→ inamovibilité des magistrats annulée
Technique utilisée : suppression de postes (600 postes supprimés).
Le gouvernement en profite pour se débarrasser des anciens membres des commissions mixtes de 1852.

Sous le Front populaire, des mesures sont prises contre les ligues (antiparlementaires et nationalistes).
18 juin 1936 : décret pris par le gouvernement pour dissoudre ces mouvements :
> Croix-de-Feu (favorable à un gouvernement fort ; partisans du corporatisme)
> Jeunesses patriotes (organisation paramilitaire républicaine)
> Parti franciste
> Solidarité française (aussi fasciste)
> L’Action française

§ 2. La police des mœurs

A – L’alcoolisme

Au début du 20ème siècle, on considère qu’il est normal d’entrer dans la vie privée des français.
Les gouvernements considèrent que l’ordre public passe par le contrôle des mœurs et la répression de la débauche.

1851 : décret pris pour soumettre l’ouverture des cabarets, cafés et débits de boisson à l’autorisation de l’administration.
> le préfet est autorisé à fermer les établissements déjà ouverts s’il considère qu’ils sont un danger pour la sûreté publique
> les maires peuvent fixer leurs horaires d’ouverture et de fermeture

Parce que l’alcoolisme devenait alors un danger récurrent pour la société française.
Augmentation alarmante de la consommation : entre 1830 et 1900, la consommation moyenne par adulte passe de 15 à 35L/an.
Répercussions pathologiques : les diagnostics d’aliénation mentale causés par l’alcool sont multipliés par 3.

La consommation d’alcool est concomitante au développement de l’industrie et l’apparition de la classe ouvrière, très touchée par l’alcoolisme.

Les alcools particulièrement dangereux et responsables de maladies tels que l’absinthe sont interdits en 1915.

B – La prostitution

Sous l’Ancien Régime, la prostitution est en principe interdite, mais est tolérée en pratique.

À partir de la Révolution française, la prostitution relève de la liberté individuelle et n’est pas interdite.
Mais on considère que cette pratique doit être surveillée.
Question sanitaire : transmission de maladies telles que la syphilis (maladie grave qui se traduit par l’apparition de lésions internes ou externes ; guérison uniquement par médicaments extrêmement dangereux).

Les prostituées sont surveillées et fichées par la préfecture.
Elles ne peuvent être radiées du fichier que si elles apportent la preuve qu’elles ont cessé leur activité (par exemple en montrant qu’elles ont obtenu un emploi).

Les prostituées qui exercent leur activité dans des maisons closes ont l’obligation de se faire visiter par un médecin au moins 1 fois tous les 15 jours.
→ contrôle a priori : fichier
→ contrôle a posteriori : visite médicale tous les 15 jours

C – Les malades mentaux

Les aliénés sont contrôlés par l’administration, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire sur la liberté des aliénés (elle peut décider à tout moment de les enfermer).

La loi de 1838 impose à chaque département de disposer d’un établissement public destiné à recevoir et soigner les aliénés.
On distingue 2 catégories :

  1. Le placement volontaire : demande d’au moins 1 membre de la famille ; passage devant un tribunal ; le juge décide → prend une procédure d’interdiction.
  1. Le placement d’office : le préfet peut ordonner le placement de toute personne (ayant fait l’objet d’une procédure d’interdiction ou non) lorsque son état compromet l’ordre public.
    Un certificat médical est nécessaire, mais il peut être fourni après l’internement.
    C’est le préfet qui se prononce sur la sortie de la personne concernée.
    Il se fonde sur un rapport médical, rendu 1 fois par semestre.
    Aucun contrôle du juge judiciaire.

Les préfets utilisent l’internement d’office pour faire enfermer des opposants politiques.

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