Chapitre 1 : La socialisation politique

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I – La socialisation

Murielle Darmon, une spécialiste de la socialisation politique, définissait la socialisation comme étant “l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit (formé, façonné, fabriqué, conditionné) par la société dans laquelle il vit”.
(processus par lequel on acquiert, apprend, intériorise, intègre)

A – La socialisation primaire

La socialisation primaire est la socialisation de la prime enfance, jusqu’à 10/12 ans.
Il s’agit d’une phase intense de règles de la société ; on cherche à comprendre les choses et à dialoguer.

C’est un processus interactif entre la société et l’individu qui se socialise.

B – La socialisation secondaire

C’est pendant la socialisation secondaire que l’individu devient plus actif.
Exemple : l’université, l’entreprise, les liens conjugaux, les scouts, etc.

Norbert Elias définit l’individuation comme le processus de “distinction d’un individu des autres de la même espèce ou du groupe, de la société dont il fait partie”.
La conscience d’être soi-même ne détruit pas le fait qu’il y a des traits communs à des sociétés entières.

Pour Kardiner (un patient de Freud), un mécanisme psychologique présent dans certaines sociétés influence nos relations.

L’habitus est un terme utilisé par Norbert Elias et Bourdieu. Il s’agit du fait de se socialiser dans un peuple traditionnel, définition qu’il résume comme un « système de dispositions réglées ». Il permet à un individu de se mouvoir dans le monde social et de l’interpréter d’une manière qui d’une part lui est propre, et d’autre part est commune aux membres des catégories sociales auxquelles il appartient.

Pour Bourdieu, nos goûts résultent de nos habitus.
Les différences de goût renvoient à des appartenances sociales différentes (exemple : il est rare que les personnes âgées adorent l’opéra et Christophe Maé).
→ La distribution des préférences politiques est liée aux goûts culturels.

II – La socialisation politique

La socialisation politique s’opère en continu au cœur de la socialisation primaire comme secondaire.
Le cadre familial et socio-éducatif influence grandement la position politique.

Les études montrent que les enfants (aînés des aînés) ont des orientations politiques très proches de leurs parents.
Exemple : 80% des enfants se déclarant de gauche avaient un père de gauche.

Règle statistique : on est généralement tous le produit politique de ses parents.
En matière de préférences politiques, on hérite de ses parents.

💡 On n’a pas forcément connu la même réalité politique que ses parents (par exemple, certains parents n’ont pas toujours connu le FN/RN).
En général, on a le même positionnement politique que ses parents.

On constate que les parents de droite explicitent moins leur positionnement politique que les parents de gauche.
À droite, on cherche à échapper au clivage gauche/droite.

En France, la socialisation politique se remarque par une transmission souvent assez explicite.
Ceux et celles qui avaient des parents qui s’intéressaient à la politique épousaient la position de ceux-ci.

Dans les enquêtes, beaucoup d’enfants soulignent les émotions de leurs parents : “j’ai vu que mes parents ont pleuré”.
Cette socialisation politique se fait aussi dans des rapports affectifs et émotionnels.

Aujourd’hui, on constate dans les enquêtes que les mères ont un rôle plus important en matière de transmission.
Un enfant qui naît dans un couple mixte (un est de droite, l’autre de gauche) a plus de chances d’être du parti de la mère que d’être de gauche.
Il y a statistiquement moins d’enfants mixtes que d’enfants hétérogènes.

L’éducation est donc très importante.

La famille au sens général du terme est le creuset de la transmission des préférences et opinions politiques.
La transmission n’est pas toujours ouverte : il y a des familles plus ou moins politiques.

Anne Muxel a montré dans une enquête que seuls 8% des français ont changé de camp politique par rapport à leurs parents.

L’argumentation ne permet pas le changement de position ; seul le temps le peut.
Dès lors, quelle est la méthode la plus efficace pour convaincre un maximum de personnes ?

Exemple : Valérie Pécresse aurait “raté” son meeting de Villepinte, mais en réalité cela n’a pas changé grand chose. Aucun candidat ne semble avoir de moyen de nous faire changer d’avis en votant à droite si nous sommes de gauche.

Pour convaincre, les candidats politiques doivent donc trouver des techniques de campagne qui s’immiscent dans nos rapports les plus ordinaires.

La campagne peut ainsi passer par l’école et les médias.
Les enseignants n’ont cependant pas un rôle majeur dans la socialisation politique.

III – La politique à l’école

Camille Amilhat s’est demandée à quoi sert l’EMC (Éducation morale et civique), matière enseignée du CP à la terminale.

On constate que les programmes portent plus sur l’aspect morale que civique.
La morale : “à ton avis”, “avec les autres”, respecter les valeurs, racisme, antisémitisme…
Le civique : institutions et participation à ces institutions, notamment électorales.

L’EMC n’a pas parlé à tous les élèves de la même façon.
Pour ceux qui étaient déjà politisés, l’EMC a renforcé cet aspect : ils se sont investis dans le cours.
Les autres n’ont pas retenu grand chose de l’EMC, sauf quand il y a eu une sortie (par exemple à l’Assemblée nationale) → la visite a un effet fort.

L’EMC peut être utile en donnant l’occasion de s’approprier des règles juridiques et politiques, notamment pour les élèves issus de migrations.

Ainsi, l’EMC fonctionne, mais à géométrie très variable : quand ça marche, ça permet aux élèves d’acquérir un capital culturel civique.
Pour d’autres, l’acquisition des disciplines se fait s’abord par la pratique.

Pour attirer les médias, il faut être original et savoir convaincre.
On constate aujourd’hui une “snapchatisation” des médias.

Est-ce que Cnews “zemmourise” ?
Non : ce sont les spectateurs qui “zemmourisent” Cnews.

Les médias à eux seuls ne forment pas nos orientations politiques : nous sommes aujourd’hui hyperexposés médiatiquement, mais nous savons lâcher prise.
Notre socialisation politique fait que nous avons des usages déterminés des médias (ex : la radio qu’on écoute le matin).

IV – La compétence politique

La compétence politique consiste, en autres, en savoir dire si tel candidat est de gauche ou de droite, savoir cites des noms, savoir expliquer ses positionnements politiques en des termes politiques, etc.

Aujourd’hui, quasiment tous les individus votent et disposent des mêmes droits. Les individus semblent être égaux en ce qui concerne le droit de vote ; ils décident ensuite d’avoir recours ou non à ce droit.

On constate qu’en réalité peu de gens s’intéressent à la politique. Peu de gens parlent de politique et peu de gens “savent” parler de politique.

Il y a une proportion élevée d’individus qui ne s’intéressent pas à la politique et/ou qui éprouvent de la défiance à l’égard de la politique.

Daniel Gaxie a fait des études à la fin des années 1970, qui montraient que moins de 50% de la population française s’intéressait à la politique.
On constate que ce taux a baissé depuis, avec la montée de l’abstention et le baisse de personnes inscrites ou “bien” inscrites sur les listes électorales.
Dans les années 1970, l’intérêt pour la politique était corrélé au niveau de diplôme, à la catégorie socio-professionnelle, au genre…

Dans un ouvrage qui s’intitule Le Cens caché, Daniel Gaxie met en lumière le phénomène d’auto-exclusion des profanes en politique, corrélée à leur niveau de compétence politique.
Idée : le système de suffrage universel se transforme de facto en un suffrage censitaire par l’auto-exclusion des catégories les moins bien dotées en capital culturel et en compétence politique.

⚠️ La connaissance politique ≠ l’intelligence.
La connaissance politique est cependant corrélée au niveau de diplôme.

V – Étude de cas

Le sentiment de compétence politique est un fait subjectif.
Exemple : un avocat pourra se sentir plutôt “calé” en politique, mais il peut être complètement à côté de la plaque.

Ce sentiment de compétence politique est très inégalement réparti.
Plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus on rencontre des individus dotés d’un sentiment de compétence politique (même s’ils ne sont pas forcément compétents).
Plus on descend, plus on rencontre des individus qui ne sont pas sûrs de leur savoir politique.

Ce qui est déterminant en matière d’intérêt et de sentiment de compétence politique est le niveau scolaire. Il y a une forte corrélation entre taux d’abstention et niveau de diplôme.
Le niveau de diplôme peut aussi conduire à voter à l’extrême droite.

Les personnes habitées par un sentiment d’incompétence ont du mal à parler de politique.

Alice Simon a réalisé de 2014 à 2015 une enquête auprès d’un échantillon représentatif de la population étudiant montpelliéraine : étudiants de droit, de science politique, de sport et de mathématiques.

Elle a demandé dans un QCM “qui est le ministre de la défense ?”.
Les étudiants ont globalement mal répondu : la médiane était de 6 sur 15.
Les étudiants de science politique ont eu un niveau bien plus élevé ; la différence de niveau avec les étudiants de mathématique augmentait aussi avec les années d’études.

Il y a donc un effet cursus.
Alice Simon n’a repéré aucune différence quant au genre.

Les femmes n’ont néanmoins pas le même rapport à la personnalité politique.
Les hommes connaissent un peu mieux le nom des responsables politiques, et sont un peu plus intéressés par la personnalisation de la vie politique.
On remarque aujourd’hui une peopleisation de la politique : on met en avant certaines caractéristiques de la vie privée d’une personnalité politique. Objectif : raconter une histoire aux électeurs, pour qu’ils s’identifient et votent.

Les étudiantes sont quant à elles, selon Alice Simon, plus à l’aise quand les questions de politiques font appel à la mémoire.
Les filles sont ainsi plus dans une approche sociohistorique, et les garçons plus dans l’actualité.

Dans l’enquête d’Alice Simon, les étudiantes ont eu plus tendance à ne pas répondre quand elles ne savaient pas.
Les hommes semblaient avoir un niveau de confiance plus élevé.

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