Chapitre 3 : L’action collective

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Il y a de nombreuses autres manières de participer à la politique que par le vote.
L’action collective repose sur les comportements politiques non conventionnels.

On peut penser à la mobilisation des gilets jaunes, qui constituait une situation presque improbable sociologiquement.

Pour qu’il y ait une action collective, il faut une histoire ayant précédé cette action politique.
Les gens pensent politiquement comme ils ont été socialement ; c’est le témoin du passé qui permet aux individus qui découvrent les événements de se remettre rapidement à jour dans l’histoire.
→ image de l’orchestration sans chef d’orchestre

Exemple des frères musulmans en Algérie dans les années 1970, qui étaient interdits en raison du parti unique, qui se sont organisés en petites unités pour devenir une masse.

Une action politique n’est jamais une action nouvelle.
En matière d’action collective, il n’y a pas d’immaculée conception.

Par rapport aux gilets jaunes :
Les classes sociales qui se sont mobilisées durant les gilets jaunes sont celles qui habituellement ne s’engagent pas.

Il faut un adversaire.
Exemple : pour Occupy Wall Street, l’adversaire = les banquiers.

Une action collective désigne une coordination des activités des membres d’un groupe souhaitant défendre ses intérêts.
Une mobilisation collective a pour but de changer une situation sociale en un sens favorable au groupe, selon ses valeurs et ses motivations.

Exemple : un grève, un meeting, une manifestation, un boycott… sont des mobilisations collectives.
Les formes de mobilisation sont donc multiples ; elles sont souvent éphémères et relativement spontanées.

Les mobilisations collectives témoignent d’une conscience collective de ceux qui y participent, et d’une constitution des identités sociales.

Comment naît une mobilisation collective ?
D’après Alain Touraine :

  1. Les acteurs doivent développer une identité commune, en partageant les mêmes buts et des intérêts communs.
  1. Le groupe formé doit s’opposer fermement aux groupes concurrents (il faut donc une forte solidarité interne).
  1. Les protagonistes doivent avoir conscience des enjeux de leurs actions et de leur finalité.

Quels sont les moyens d’une mobilisation collective ?
Les mobilisations collectives nécessitent de l’organisation et sont donc souvent initiées par des groupes de pression, des syndicats ou des partis politiques.

Avec la montée de l’individualisme, on constate que les mobilisations collectives sont aujourd’hui plus difficiles à développer et rassemblent moins de gens qu’avant.

Ce n’est pas parce qu’il existe un groupe d’individus aux intérêts communs qu’une mobilisation collective apparaît.
Plus le groupe est grand, plus la probabilité d’action commune est faible, en raison d’une analyse coût/avantage de la participation individuelle à l’action collective (la non participation devient plus rentable quand la taille du groupe augmente).
→ La stratégie la plus efficace du point de vue individuel est celle du passager clandestin (free rider) ; mais lorsque tout le monde raisonne de la sorte, il n’y a plus d’action collective possible.

⚠️ Il ne faut pas confondre mobilisations collectives (principe général) avec mouvements sociaux et luttes des classes (formes particulières d’actions sociales).

Les groupes les plus organisés ont recours à des avocats et/ou des juristes.
→ le droit devient une arme de protestation, qui permet d’établir un ordre social

Les gens sont dans des groupes parce que :
> ils ont des raisons de se mobiliser
> ils ont des croyances

Il y a 2 éléments importants :

  1. L’identification de l’adversaire, qui renforce la cohésion du groupe.
  1. L’action politique interpelle au moins 2 entités abstraites :
    1. L’État : il y a un lien fort entre la montée de l’action collective et la construction de l’État.
      Au 19e siècle, la construction de l’État et la modernisation ont permis aux villes de devenir des arènes de manifestations et de politisation.
      Par l’action collective, on cherche à interpeller l’État.
    1. Le droit et les juridictions : on a de plus en plus de mobilisations et de concentrations politiques qui s’appuient sur le droit, parce que le droit est une arme de contestation efficace.
      La désobéissance peut pousser le droit à intervenir, mais aussi à légitimer.

Comment on proteste ? Comment contester un cercle politique ?
On ne suffit pas de s’organiser – il faut aussi réfléchir à comment se faire entendre.
Une action collective émerge rarement de façon spontanée ; elle repose d’abord sur des organisations plus ou moins institutionnalisées : les partis politiques, les syndicats, les associations, …

  • Les partis politiques sont des organisations partisanes durables, denses et ramifiées, qui cherchent le soutien populaire dans l’objectif d’exercer le pouvoir.
  • Les syndicats sont une forme de société civile organisée qui ont pour fonction la défense des salariés.
    Ils ont une fonction revendicative et de contestation sociale, mais ils agissent aussi en tant que relais institutionnel permettant de coopérer avec le pouvoir politique.
  • Les groupements sont des formes plus informelles et moins structurées, contrairement aux associations. Ce sont souvent des acteurs éphémères.
    Certaines actions collectives récentes ont été menées par des groupements :
    > les actions politiques d’associations pour faire reconnaître le bien-être animal (ex : L214 rend publiques des vidéos tournées dans des abattoirs)
    > les groupements d’action qui organisent des marches pour le climat
    > les organisations qui portent la question de l’accueil des migrants en France
    > etc.

→ Les syndicats et partis ne sont plus les seuls à agir dans le champ du politique.

Les gilets jaunes ont insisté sur le fait qu’ils ne se sentaient pas représentés politiquement → désignation de la politique comme ennemi.

II – Les modèles explicatifs de l’action collective

A – Les incitations matérielles et symboliques à s’engager (modèle n°1)

Mancur Olson a établi la notion de passager clandestin, suivant un raisonnement utilitariste.
Idée : les citoyens font un calcul (”est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?”) avant de se lancer dans l’action collective (ce qui comporte des risques, demande du temps, …).
Si les coûts sont supérieurs aux avantages, la décision sera prise de ne pas y aller.

Paradoxe d’Olson : “Les grands groupes peuvent rester inorganisés et ne jamais passer à l’action même si un consensus sur les objectifs et les moyens existe.”
Idée : tout individu a intérêt à jouer le
free rider (”passager clandestin”).

Néanmoins, ceux qui s’engagent dans l’action vont en tirer un bénéfice supplémentaire. C’est la notion d’incitation sélective.
Exemple :
Une adhésion à un syndicat permettrait, aux États-Unis, d’obtenir des avantages (garantie de l’emploi…) → incitation sélective positive.
Le refus de se syndiquer pourrait entraîner des mesures de rétorsion (ostracisme, brimade, exclusion) → incitation sélective négative.

Virtuosité ascétique : engagement qui se veut le plus étranger possible à toute rétribution ; se retrouve dans certains engagements politico-religieux.

B – Le modèle de la frustration (modèle n°2)

Le sociologue Ted Gurr fonde en 1970 le modèle de la frustration.
Chez Gurr, la frustration n’est pas péjorative ; il part du principe que les individus ont leurs raisons.

Pour Gurr, la frustration se crée lorsque des individus qui ont connu une amélioration de leur situation projettent que cette évolution perdure, mais qu’ils se retrouvent au final dans la même situation ou dans une situation pire.
(lorsque les biens accessibles < biens attendus)

Exemple :
Une population X connaît une amélioration de son niveau de vie (hausse du pouvoir d’achat, Trente Glorieuses…) et a donc une vision pleine d’espoir de l’avenir.
Mais une crise surgit (crise de 2008, choc pétrolier…) qui va démentir cette espérance des individus.
C’est ici que, pour Gurr, la frustration se crée, entre les espérances des individus est la réalité.

C’est cette frustration relative qui est source d’actions collectives.

C – Le modèle de la mobilisation des ressources (modèle n°3)

Le chercheur Doug McAdam, dans son ouvrage Freedom Summer, propose le modèle de la mobilisation des ressources, qui explique pourquoi on peut se mobiliser pour une cause qui ne nous concerne pas directement.

Le Mississippi Summer Project est l’un des événements marquants du mouvement américain des droits civiques. Durant l’été 1964, environ un millier de volontaires Blancs du Nord, pour l’immense majorité issus de la bourgeoisie américaine, étudiants dans les plus prestigieuses universités du pays, partent dans le Mississippi participer à une campagne d’inscriptions des électeurs Noirs sur les listes électorales.

Doug McAdam constate que ceux qui se sont rendus au Mississippi tendent à partager les mêmes caractéristiques :

  1. Disponibilité biographique
  1. Affinité de convictions
  1. Intégration sociale

    Les volontaires sont des militants jeunes, mais suffisamment âgés pour échapper à la tutelle familiale. Ils sont en majorité étudiants ou jeunes travailleurs (le plus souvent étudiants), célibataires et sans enfants.

  1. Ressources matérielles confortables

    Ils se soustraient aux contraintes familiales, conjugales, professionnelles, financières, etc. qui s’imposent aux autres catégories, pour “faire du militantisme une activité trop chronophage ou trop risquée”.

Sur le plan idéologique, par-delà une réelle diversité des inspirations, présents et absents partagent des valeurs en affinité avec celles défendues par le mouvement. Les participants manifestent cependant une propension plus importante à s’identifier à un groupe de référence (socialistes/marxistes, démocrates libéraux, groupe religieux, etc.).

Le “sentiment de confiance et d’obligation que procure le fait d’appartenir ou de s’identifier à une communauté” constitue un facteur favorable à l’engagement.
Les volontaires sont d’ailleurs presque systématiquement membres d’au moins une organisation politique, syndicale ou religieuse et ont pour la plupart déjà participé, de près ou de loin, au mouvement des droits civiques.

En outre, des liens interpersonnels préexistent souvent entre les militants – une dynamique de groupe étant parfois même à l’origine de l’engagement.
En définitive, ceux qui se rendront dans le Mississippi se distinguent des absents par leurs liens et leur implication plus importants avec et dans le mouvement, ces derniers étant à l’inverse davantage isolés.

McAdam montre ainsi que le “militantisme ne repose pas uniquement sur l’idéalisme” mais qu’il est nécessaire que des “organisations officielles ou des réseaux sociaux informels structurent et prolongent l’action collective”.
Somme toute peu différenciés avant l’été 1964, les présents et les absents connaissent en revanche des destins fortement contrastés par la suite : les trajectoires biographiques des volontaires furent de fait profondément et durablement déviées par leur participation au Freedom Summer.

McAdam parle d’un “été extatique”. Pour cette jeunesse bien née, ayant foi en les vertus de l’Amérique, la découverte empirique des conditions de vie des populations noires du Sud, de la violence, des discriminations et de l’illégalisme généralisé constitue une expérience particulièrement marquante et transformatrice.
”Généralement éduqués dans une atmosphère optimiste et idéaliste, les volontaires n’étaient guère préparés au revers du rêve américain”

La découverte de la réalité accouche de sentiments mêlés : culpabilité, colère, tristesse, révolte ; sentiments contrebalancés par l’accueil tolérant qui leur est fait, la « spontanéité et la puissante assise communautaire de la population noire ».

Ce cas d’étude permet de comprendre quelles sont les conditions grâce auxquelles une action collective peut surgir. Ici, ces étudiants jouissaient d’une image et d’une confiance qui ont joué sur leur motivation et leur envie d’agir.
Ils appartenaient au même monde, mais ils faisaient partie des réseaux sociaux proches.

Ce modèle d’analyse focalisé sur la “mobilisation des ressources” insiste sur l’importance des ressources humaines, sociales, affectives et identitaires que peuvent mobiliser certains individus, tandis que d’autres qui sont largement dépourvus de ces ressources ont peu de chances de se mobiliser.

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