Chapitre 2 : État, économie, société

Le droit du travail est une branche qui apparaît ; elle est issue de la naissance de la classe ouvrière.

Contexte : révolution ouvrière (terme utilisé par Engels en 1845, repris par Marx en 1865).
Les énergies traditionnelles (homme, animaux, eau, vent) sont progressivement remplacées par la vapeur (combustion du charbon).

On assiste à un remplacement progressif du travail à la main par la machine → machinisme.
+ division / spécialisation du travail

On parle de “révolution” parce que la production va complètement changer de visage.
→ impact considérable sur l’économie

L’Angleterre est en avance.
On y découvre le processus de condensation en 1760.
Watt dépose vers 1780 le brevet de la locomotive à vapeur.

Section 1 : Le contrôle de l’économie

§ 1. Le contrôle direct : la nationalisation

Certains régimes sont plus favorables à la nationalisation que d’autres.
Exemple : le Front populaire y est favorable.

A – L’industrie et les transports : l’exemple du chemin de fer

La France est à l’origine en retard sur l’Angleterre sur le plan des transports.
Lors de la révolution industrielle en France, on cherche à rendre les moyens de transports + rapides.

La 1ère ligne française est réalisée sur concession octroyées par ordonnance du roi Louis 18 en 1823.
Elle est inaugurée en 1827 vers St Étienne.
C’est une ligne expérimentale, courte, pas équipée de locomotives : les wagons sont tirés par des chevaux et transportent des matières premières.

1837 : 1ère ligne équipée de machines à vapeur.
1839 : ligne Paris – Versailles.

Sous le régime libéral de la monarchie de Juillet, l’exploitation des chemins de fer est confiée à des sociétés privées par une loi de 1842.
Certaines voix s’élèvent déjà pour que les chemins de fer soient exploités par un monopole d’État.

Un système de concessions d’État est mis en place : pour exploiter une ligne, il faut obtenir l’autorisation de l’État.
Conditions :
1- la société doit posséder un capital important (obj : éviter les faillites)
2- l’État fixe le trajet de la ligne
3- l’État contrôle le prix du transport
4- l’expropriation relève de l’État

Les compagnies financent la construction des gares et l’acquisition du matériel roulant.

Ce système permet le développement de nombreuses lignes partout en France.
En 1848, il y a 2 000 km de lignes en France.
En 1870, il y a 17 000 km de voies.

Conséquence : développement de certaines villes.
Exemple : la ville de Dijon, reliée à Paris, voit sa population multipliée par 3 très rapidement dans la 2e moitié du 19e siècle.

Les lignes principales partent de Paris pour aller vers les côtes et les pays étrangers.
Très peu de lignes transversales sont construites.

Grande mobilisation des capitaux : le chemin de fer devient le placement classique pour les riches comme pour les pauvres (secteur extrêmement rentable).
Mais la rentabilité va diminuer parce que sous le 2nd Empire réapparaît le suffrage universel.
→ multiplication des élections
→ les candidats promettent aux électeurs l’arrivée du chemin de fer (essentiel pour éviter la mort économique du territoire)
→ ces axes nouveaux sont peu empruntés
→ chute des bénéfices
→ peu de dividendes sont distribués aux actionnaires

Napoléon 3 demande aux grandes compagnies ferroviaires de développer de nouvelles lignes vers les régions les moins bien desservies en promettant de participer aux dividendes.

Les sociétés se regroupent.
En 1852, il ne reste plus que 6 grandes sociétés ferroviaires.

Pendant la Première Guerre mondiale, l’État prend sous son autorité toutes les compagnies ferroviaires sous un régime de régie (= exploitation directe d’une activité par l’État).
Mais il ne nationalise pas les compagnies.

Après la guerre, les chemins de fer sont rendus aux compagnies privées, mais l’État conserve un contrôle.
À chaque fois qu’une compagnie fait faillite, l’État en reprend la gestion → elle devient publique.
→ étatisation progressive

1938 : nationalisation ; les anciennes compagnies fusionnent pour former la SNCF.

B – Les finances : la Banque de France

À sa création, la Banque de France est une banque privée.
Elle n’est nationalisée qu’en 1936.

Elle apparaît avec le consulat.
Objectif de Bonaparte : récompenser les banquiers qui ont financé son coup d’État.

La BDF est totalement livre jusqu’en 1805, où elle frise la faillite.
À partir de 1806, l’État est + regardant.
Napoléon comprend que la BDF sert la politique de ses actionnaires et non l’intérêt de la nation, alors qu’il comptait sur la BDF pour soutenir l’économie française par l’émission de billets de banque et par l’acompte (= aider l’économie française en rachetant certaines créances de commerçants).

1806 : Napoléon impose un gouverneur à la tête de la banque.
Les choses vont peut changer ; l’objectif de la banque reste avant tout de réaliser des bénéfices.

1840 : la Banque de France utilise son influence pour obtenir le monopole de l’émission des billets dans toutes les villes où elle a des succursales implantées.
1848 : la République a besoin d’argent pour financer les ateliers nationaux. La BDF exige de pouvoir absorber toutes les banques départementales.
→ acquiert un monopole de fait sur l’émission du papier monnaie

1860 : annexion par la France de la Savoie.
La France accorde certains privilèges à cette région, notamment de conserver la Banque de Savoie (indépendante ; peut émettre des billets).
Les frères Pereire rachètent la Banque de Savoie et inondent la France de billets savoyards.
La BDF fait pression sur le gouvernement pour absorber la BDS ; Napoléon 3 accepte.

Sous la 3e République, la loi accroît le pouvoir du gouverneur de la BDF.
En 1897, l’État oblige la BDF à lui verser une redevance.
→ moyens assez peu efficaces ; la BDF décide ou non d’aider le gouvernement suivant ses préférences politiques

Une bulle financière éclate en 1929 et touche la France en 1931.
À partir de 1932, l’État se lance dans une politique de dépense publique importante.
Le déficit de la France augmente et la question de la nationalisation de la BDF se pose (pour que celle-ci serve à soutenir l’économie).

1936 : le Front populaire arrive au pouvoir et propose la nationalisation de la BDF.
Léon Blum (président du Conseil) se contente de dissoudre le conseil de régence de la BDF et le remplace par un CA composé autrement.

1945 : la BDF est nationalisée ; devient la banque de l’État français (loi du 2 décembre 1945).
Elle est placée sous la tutelle du gouvernement (PM).
Objectif : soutien de l’économie française et gestion de la dette de l’État.

Aujourd’hui, la BDF est placée sous le contrôle de la BCE, qui coordonne l’action des banques nationales de l’Union Européenne.
Rôles de la BCE :
> émettre l’euro
> garantir la stabilité du pouvoir d’achat
> fixer les orientations de la politique monétaire en Europe

§ 2. Le contrôle indirect : la régulation

A – La libéralisation du régime des sociétés anonymes

On distingue plusieurs formes de sociétés de commerce :

  • Les sociétés de personnes : se constituent intuitu personae, entre personnes qui se connaissent et se font confiance ; ces personnes contrôlent la société.
  • Les sociétés de capitaux : ne s’intéressent pas aux personnes ; ce qui compte, c’est l’apport de capitaux.
    > sociétés anonymes
    > commandite par actions

Les sociétés anonymes (SA) suscitent la méfiance des pouvoirs publics.
Leur objectif est de dégager des bénéfices par la spéculation ; elles sont donc vues comme des dangers potentiels pour la stabilité politique et financière.
Les associés ne supportent les dettes qu’à hauteur de leur participation.

Le Code de commerce de 1807 dispose que les SA sont soumises à une autorisation du gouvernement.
Elles soumettent une autorisation au préfet, qui mène une enquête soumise au bureau du commerce puis au Conseil d’État, qui se prononce.
Si le Conseil d’État dit oui, une ordonnance est rédigée et signée par le ministre du commerce.

Le Conseil d’État va rejeter les demandes lorsqu’une autre forme de société est possible.
S’il a le moindre soupçon de monopole, il rejette également.
Ce système est incompatible avec le développement économique que connaît la France au 19e siècle.

Napoléon 3 veut supprimer l’autorisation préalable.
Il dispense les sociétés les moins importantes (capital < 20 millions de francs) d’autorisation préalable.

Une loi de 1867 supprime l’autorisation préalable pour toutes les SA.
→ augmentation exponentielle du nombre de SA
À la fin de la Première Guerre mondiale, 37% des sociétés sont des sociétés de commerce.

Les SA possèdent un capital divisé en actions.
Le capital peut être augmenté grâce à un système d’emprunts.

B – Le développement des banques d’affaires

Cette partie du cours n’est pas traitée en 2021-2022.

Section 2 : La naissance d’un droit du travail

§ 1. La loi du 22 mars 1841 sur la condition ouvrière

A – Les conditions de vie et de travail des ouvriers

La classe ouvrière est très hétérogène. On distingue différents types d’ouvriers :
> agricoles
> ceux qui travaillent dans les usines (statut variable)
> les ouvriers qualifiés (ex : charpentiers)

Les ouvriers qui travaillent dans les usines se concentrent dans certaines régions industrialisées.
Ils représentent 5 à 6 millions de français en 1848.

Leurs conditions de vie sont misérables.
Leurs salaires sont indexés et ne suivent pas l’augmentation du coût de la vie.
Salaires moyens :
> 2 francs/jour pour un homme
> 1 franc/jour pour une femme
> 0,5 franc/jour pour un enfant
Le loyer représente 10% du salaire.
Les patrons peuvent opérer des retenues sur salaire ou infliger des amendes.

Les journées de travail durent de 14 à 16h, facilitées par l’apparition de l’éclairage au gaz.
Il n’y a pas de congés. Les ouvriers travaillent 6j/semaine.

Les usines emploient des enfants pour surveiller les machines.

Insécurité permanente.
Tomber malade est une catastrophe (il n’y a pas d’arrêt de travail).
Les conditions d’hygiène et de santé sont effroyables.
Entre 1800 et 1840, l’espérance de vie d’un ouvrier passe de 28 à 20 ans.
→ développement de l’alcoolisme, de la petite délinquance, de la prostitution, des infanticides, des suicides

Les patrons disposent de tout pouvoir pour aménager les conditions de travail.
L’ouvrier n’a aucun pouvoir de négociation.

De 1804 à 1890, le contrat conclu entre un ouvrier et son patron est un contrat de louage d’ouvrage et d’industrie.

De 1781 à 1791, puis à partir de 1803, l’ouvrier est soumis au livret ouvrier.
Sans ce livret, l’ouvrier ne peut pas être embauché, et il peut être poursuivi pour délit de vagabondage.
Si l’ouvrier veut changer de domicile, il a besoin du visa du maire.
En 1854, le livret est étendu à l’ensemble des secteurs de l’industrie.

Certains patrons fournissent l’éducation des enfants et financent la construction de logements, hôpitaux et bibliothèques → paternalisme.

B – L’adoption de la loi du 22 mars 1841

La loi du 22 mars 1841 constitue la 1ère intervention du législateur dans le domaine du travail.
Cette loi est adoptée suite à l’enquête du docteur Villermé.

Pour lui, l’hygiène est un problème d’ordre social.
En 1832, il mène une étude sur le monde ouvrier ; il examine les effets de l’industrie sur ceux qui y sont employés.
En 1839, il publie ses résultats : Tableau de l’état physique et moral des ouvriers.

Ces résultats sont saisissants, notamment en ce qui concerne le travail des enfants ouvriers.
Le travail qui leur est demandé est dangereux (accidents qui peuvent conduire à l’amputation + infections pulmonaires dues à la poussière + déformation des membres / rachitisme).
Il insiste sur la nécessité économie du travail des enfants mais aussi de leur éducation, et considère l’ouvrier comme responsable d’un grand nombre de ses malheurs.


La loi du 22 mars 1841 interdit le travail des enfants de moins de 8 ans.
Le travail des enfants de 8 à 12 ans est limité à 8h/jour.
Le travail des enfants de 12 à 16 ans est limité à 12h/jour.
+ les enfants de moins de 13 ans ne peuvent pas travailler de nuit
+ obligation de scolarité des enfants de 8 à 12 ans

Un corps d’inspecteurs est mis en place pour appliquer cette loi.
Limites :
> la loi ne concerne pas les ateliers de moins de 20 ouvriers
> les inspecteurs sont des anciens patrons d’usines → peu efficaces
> la loi n’envisage pas tous les cas de figure (ex : enfant qui travaille dans plusieurs ateliers)
> l’État ne se donne pas les moyens de l’appliquer

§ 2. Le développement d’une législation ouvrière

1848 : décret : les prud’hommes doivent être paritaires.
1851 : réduction de la durée des journées de travail des apprentis.

Il faut attendre le 2nd Empire pour voir des mesures législatives effectives appliquées.

A – L’encadrement du temps de travail

Loi du 19 mai 1874 :
> interdiction du travail des enfants de moins de 12 ans
> le travail des enfants de moins de 16 ans est limité à 12h/jour
> création d’un corps d’État chargé d’inspecter usines et ateliers
→ vrais débuts de l’inspection du travail

1890 : l’âge minimum passe de 12 à 13 ans.
+ le temps de travail des adultes est limité à 12h pour les hommes et 11h pour les femmes

1906 : la loi réintroduit le repos dominical (supprimé pour des raisons de laïcité).
1919 : limitation de la journée de travail à 8h/jour pour tout le monde.
1936 : création des congés payés ; le temps de travail hebdomadaire est limité à 40h.

B – La naissance du contrat de travail

Le contrat de louage d’ouvrage et d’industrie subsiste jusqu’à la fin du 19e siècle.
1890 : développement du contrat de travail.
→ les ouvriers sont employés pour une tâche précise ou un laps de temps déterminé

La naissance des grandes industries favorise la multiplication des tâches particulières (division et spécialisation du travail théorisé par Taylor).

La loi de juillet 1890 remplace le livret ouvrier par un certificat de travail.
Les relations entre employeurs et employés entrent dans le droit commun des obligations.
→ relation unilatérale devient bilatérale

La loi de décembre 1890 dispose que les contrats de louage de service à durée indéterminée (deviennent “contrat de travail”) sont des contrats particuliers, qui peuvent être rompus de manière unilatérale, ce qui peut donner lieu au versement de dommages et intérêts à l’autre partie.
Le juriste Pagnol en déduit que tout licenciement constitue une faute de la part de l’employeur qui doit conduire à une indemnisation.

La loi de 1910 portant codification des lois ouvrières :
> refond complètement l’ensemble des dispositions
> promulgue le Code du travail → titre 2 “Le contrat de travail” → consacre juridiquement l’expression

§ 3. La reconnaissance de l’action collective

Les révolutionnaires de 1789, inspirés par les idées libérales, rendent le corporatisme et l’action illégales et poursuivies sur le plan pénal.
→ la grève et le syndicalisme sont interdites depuis 1789

A – La grève : de la répression à la consécration d’un droit

Les 1ères grèves importantes ont lieu dans les années 1830.
Elles deviennent générales à partir des années 1840 (grave crise économique).

Tous les bords politiques sont opposés à la grève et partisans d’un maintien brutal de l’ordre public.

Luddisme : les ouvriers cassent les machines de l’usine.

Insurrection des Canuts à Lyon en 1831 :
Des ouvriers de la soie se révoltent afin de réclamer un tarif fixe des salaires.
Ils prennent Lyon d’assaut.
La révolte est sévèrement réprimée par l’armée : 200 morts et 500 blessés.

Casimir Perier, président du Conseil des ministres : “il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède pour eux que la patience et la résignation”.

Juin 1848 : la suppression des ateliers nationaux entraîne un soulèvement des ouvriers et chômeurs, en particulier à Paris.
La répression par le général Cavaignac fait des milliers de morts.

La loi du 25 mai 1864 supprime le délit de coalition.
→ la grève cesse d’être poursuivie devant les tribunaux
⚠️ Ne crée pas de droit de grève : la grève reste une faute civile, qui justifie la rupture du contrat de travail

Fin 1920 : grève générale ; paralysie du réseau ferroviaire ; pour obtenir une augmentation des salaires et la nationalisation des chemins de fer.
→ la grève devient un moyen de pression contre le gouvernement

Les grèves de 1936 s’accompagnent de l’occupation des usines.
Elles frappent des secteurs jusque-là protégés : grands magasins, banques…
Les propriétaires d’usine font pression sur le gouvernement pour stopper les grèves.

Accords de Matignon, 7 juin 1936 : congés payés + limitation du temps de travail à 40h/semaine.

La grève entre dans le droit au début de la 4e République, quand les élus communistes réussissent à faire de la grève un droit (préambule de la Constitution de 1946).

B – Les syndicats

Le syndicalisme est consacré par une loi de mars 1884, qui met fin à l’interdiction des associations professionnelles.
Les syndicats professionnels peuvent désormais se former sans autorisation préalable.
Ils possèdent une personnalité juridique.

Cette loi est mal vue par les ouvriers car elle possède des restrictions qui limitent la liberté syndicale :
> les statuts et la liste des dirigeants doit être déposée auprès de la mairie ou de la préfecture
> ne prévoit aucune sanction vis-à-vis des employeurs qui prendraient des sanctions contre les employés syndiqués

Les syndicats ne peuvent agir en justice que pour la préservation de leur patrimoine ou la protection de l’intérêt collectif.
→ ils ne peuvent pas défendre les intérêts d’un membre
+ toute action politique est exclue

Développement du contrat collectif de travail (on parle aussi de “convention collective”) = convention signée entre les syndicats ouvriers et les employeurs, qui permet de remédier à l’inégalité des parties dans le contrat de travail.

Au début, les juges considèrent que les conventions collectives n’ont pas de caractère obligatoire. La capacité des syndicats à les faire respecter est donc limitée.
Mais une loi de 1919 reconnaît la primauté de la convention collective sur le contrat individuel.

L’action collective va donc être reconnue à travers le syndicalisme et les conventions collectives.

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