Thèse : Les Mexicains de l’Ubaye (1821-1948)

Thèse pour le doctorat en droit présentée et soutenue par Pierre Ebrard à Aix en 1948.
Disponible à la Bibliothèque Cujas – consultée le 30 juin 2023.

Cette thèse étudie le courant migratoire très particulier qui a relié, aux XIXème et XXème siècles, la ville de Barcelonnette (Alpes de Haute Provence) et le Mexique.

Il s’agit d’une thèse en droit, mais qui, étonnamment, ne comporte quasiment aucune étude juridique. Le langage utilisé est clair et l’on se plonge rapidement dans la lecture.
Dans son avant-propos, Pierre Ebrard souligne :

« Étant donné l’importance et l’originalité de ce courant migratoire, il était utile de combler cette lacune. C’est ce à quoi je me suis employé tout au long de ces pages. Mon objectif est donc de révéler aux uns et de préciser aux autres cette émigration, sans en oublier toutefois le caractère singulier. C’est ainsi que le sujet sera non pas tellement “l’émigration barcelonnette au Mexique”, mais bien plutôt “les barcelonnettes mexicains de l’Ubaye”. C’est à ces derniers qu’est consacré cet ouvrage au titre suffisamment évocateur, je l’espère.”

De manière très exhaustive, et sans jamais oublier d’expliciter le jargon ubayen utilisé par de nombreuses notes de bas de page, l’auteur commence par étudier en profondeur dans une première partie les causes anciennes et modernes de cette émigration.

La seconde partie, consacrée à la vie de ces exilés temporaires au Mexique, est aussi exhaustive que passionnante, s’intéressant à la fois au commerce qu’aux conditions de vie et à l’activité politique mexicaine entre 1821 et 1947. On appréciera que l’auteur prenne largement son temps pour exposer l’état économique et social du Mexique au XIXème siècle, soucieux de ne pas “séparer les progrès de la colonie française du milieu dans lequel elle se développait et dont elle tirait ses revenus”.

Enfin, la troisième et dernière partie s’intéresse au retour en France de ces émigrés, par une étude d’abord historique et statistique, puis économique. Je ne saurais que trop recommander la lecture des parties “ceux qui ne reviennent plus, maladie, malchance” (pages 149 à 152), “travail, honnêteté, célibat” (pages 154 à 156), ainsi que de la conclusion générale.

Ressources en ligne en savoir plus :
> De Barcelonnette au Mexique et retour (pour certains). Histoire d’une émigration réussie. – Persée (persee.fr)
> Centre Français de Recherche sur le RenseignementL’implantation des barcelonnettes au Mexique (1821-1950) : un exemple d’intelligence économique avant la lettre » – Centre Français de Recherche sur le Renseignement (cf2r.org)

Chapitre 6 : La condition des particuliers

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Section 1 : Le statut international de la personne privée

§ 1. La personnalité internationale de l'individu

A – Historique

La personnalité internationale des personnes privées a connu une évolution importante.

Initialement, les personnes privées étaient des objets du droit international.
Elles n’étaient pas titulaires de droits ni d'obligations.

À la suite d'une évolution importante, on leur a reconnu des droits puis une personnalité juridique.
Cette reconnaissance d'une personnalité juridique est cependant récente, puisqu’elle s'est opérée dans les années 2000.

Jusqu'à la moitié des années 1950, le droit international a envisagé les personnes privées comme des objets du droit et non comme des sujets.

On considérait tout de même que les États pouvaient déjà, par traité, donner des droits aux individus :
CPJI, 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig :
Les États peuvent conférer, par traité, des droits aux particuliers.
Fondamentalement, ça n'est pas une vraie personnalité juridique.

À partir de la Seconde Guerre mondiale, les États mettent en place des commissions de réclamation, qui permettent aux personnes privées d'agir contre les États.
Ces commissions sont créées par des traités.
Les États confèrent donc des droits d'action directe aux personnes privées.

Exemple : Commission de conciliation franco-italienne, 1950, Affaire Ottoz :
”… et le rétablissement dans leurs droits découle directement du traité de paix conclu avec l'Italie”.
La commission reconnaît ainsi aux particuliers un droit d'action pour obtenir la réalisation d'un droit substantiel qui leur a été confié par les États.

→ Le droit international met en place, par traité, des règles qui s'adressent directement aux personnes privées pour leur donner des prérogatives juridiques.

Enfin, dernière évolution :
CIJ, 2001, LaGrand (Allemagne c. États-Unis d'Amérique) :
La CIJ utilise l'expression "droits internationaux individuels" : les personnes privées ont des droits individuels et sont bien titulaires de droits, il n'y a plus aucun doute.
Cette solution a été confirmée dans l'arrêt
CIJ, 2004, Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique).

B – Effets positifs

La reconnaissance aux particuliers d’une personnalité a principalement des effets positifs dans deux domaines :

  1. Droits de l’homme :
    • Au niveau universel :
      > Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966 ;
      > Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) de 1966.
    • Au niveau régional :
      > Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950 ;
      > Convention américaine des droits de l'homme de 1981 ;
      > Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981.

      Ces conventions utilisent le terme “reconnaissent”, ce qui est très important puisque cela montre qu’elles s’adressent aux personnes privées.

  1. Droit des investissements internationaux :
    • Traités de commerce et d’amitié ;
    • Traités bilatéraux de protection et de promotion des investissements (TBI), qui confèrent des droits aux investisseurs ressortissant d’1 des 2 États.

C – Effets négatifs

Les effets négatifs de la personnalité sont toutes les obligations qu'ont les individus en droit international.

Il y en a très peu, parce que les individus ne sont pas tenus d'obligations au sens civil en droit international (ou alors de manière très exceptionnelle) :

  • Les traités de protection des droits de l'homme ont un effet horizontal : ils doivent s'appliquer entre les personnes ; mais ça va souvent être le défaut de l'État qui va être recherché (par exemple, le fait d'avoir permis à un individu de violer la Convention EDH).
  • En droit international humanitaire, il y a des obligations, mais elles sont pensées pour être à la charge d'États ou d'armées régulières.
    Cependant, de plus en plus, ce droit humanitaire s'adresse à des groupes armés interétatiques (généralement, des groupes terroristes)
  • En matière d'investissements, il s'agit surtout de respecter le droit interne de l'État.

Cependant, il existe en droit international des incriminations pénales internationales limitées.

La répression se fait normalement sur le plan interne ; mais elle peut aussi se faire dans l’ordre international auprès de juridictions pénales internationales.
Dans cette hypothèse, des conventions d'incrimination uniformes vont permettre de définir de manière collective l'incrimination + de prévoir les règles de compétence pour lutter efficacement contre ces crimes.

Ces infractions sont pour l'instant limitées à certains crimes.

On a aussi quelques rares cas de responsabilité civile organisée par le droit international.
Ce sont des conventions qui traitent de droit de l'environnement, où les Etats définissent qui est responsable et les obligations à la charge du responsable.
Exemple : Convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.

Pourquoi les personnes privées sont-elles titulaires d’aussi peu d’obligations ?
Parce qu’elles se trouvent essentiellement sur le territoire d'un État et sont soumises à la compétence de cet État.

C'est l'un des problèmes de la personnalité juridique des personnes privées : la condition internationale de l'individu dépend de sa condition interne.
C'est quasiment toujours dans le droit interne que la personne privée fait d'abord valoir ses droits et qu’elle agit.
La personne privée est toujours attirée par l'ordre juridique interne, qui lui confère une pleine personnalité juridique.

Fondamentalement, le sujet interne est un sujet de droit dérivé, et non un plein sujet juridique : tout ce qu'il a, ses obligations comme ses droits, dépend toujours d'une convention internationale et de la volonté des États.
Les particuliers tiennent leur qualité de la volonté commune des États.

Il n’y a donc pas de statut unique de la personne privée en droit international : en fonction de l'endroit où elle se trouve, elle bénéficie de plus ou moins de droits.

Par exemple, si je suis sous la juridiction de la France, je bénéficie des garanties de la Convention EDH ; en revanche, si je suis français mais sur le territoire du Qatar, je ne bénéficie pas de ces mêmes garanties.

Évidemment, pour exercer ses droits, la personne privée doit toujours invoquer un traité et montrer qu'elle en bénéficie.

§ 2. La capacité internationale de l'individu

La capacité internationale de l’individu est de la même manière limitée.

A – La capacité substantielle

1) Actes juridiques

Ce qui est sûr, c'est que les personnes privées peuvent produire des actes juridiques.
Par exemple, la saisine d'une juridiction internationale est un acte juridique.

Cependant, les personnes privées n'ont pas la capacité de s'associer à un État ; autrement dit, elles ne peuvent pas conclure de traités ni de contrats qui seraient dans l'ordre juridique international.
→ Illustration du pouvoir d'attraction de l'ordre juridique interne.
→ Leur capacité à produire des actes juridiques internationaux est très limitée.

Pendant longtemps, une partie de la doctrine a soutenu que les contrats d'investissement, ("contrats d'État") sont internationalisés.
Idée : ils sont tellement conclus dans la forme et dans le fond entre 2 égaux qu'on ne peut pas considérer au droit interne.
En effet, les États ont conclu des "clauses parapluie" (ou "clauses de respect mutuel des engagements") dans les traités de protection des investissements, par lesquelles ils s'engagent internationalement à respecter les contrats conclus avec les investisseurs.
Ce faisant, ils confèrent à la personne privée des droits dans l'ordre juridique international et ne peuvent plus la traiter comme ils veulent.
→ Grands débats doctrinaux en la matière.

Pour autant, les personnes privées n'ont pas la capacité de faire du droit international : elles ne sont jamais productrices du droit international.
Leur seule présence fait que l'on n'est normalement pas dans un traité et ça ne relève pas de l'ordre juridique international.
→ Capacité extrêmement réduite.


2) Faits juridiques

De la même manière, les personnes privées peuvent dans certains cas être à l’origine de faits juridiques internationaux.

Par exemple, quand elles engagent leur responsabilité pénale.
Toutefois, il n’y a pas d’imputabilité des faits des personnes privées à l’État dans le cadre de la responsabilité pour fait internationalement illicite.

Cette capacité reste très limitée, puisqu’elle dépend toujours de la volonté des États : les personnes privées ne peuvent pas engager leur responsabilité au sens civil en dehors d'un texte.

B – La capacité processuelle

La capacité processuelle est la capacité de saisir une juridiction ou d'être attrait devant une juridiction. Elle contient 2 volets :

  1. La capacité processuelle active est la capacité de porter une réclamation, d'agir en justice et de saisir une juridiction internationale.
  1. La capacité processuelle passive est la capacité à être attrait devant une juridiction.

1) La capacité processuelle active

En priorité, les personnes privées saisissent les juridictions internes pour demander l'application du droit international.
Les règles en matière d'applicabilité directe et d'effet direct s'appliquent.
Ce sont ces juridictions internes qui sont responsables de l'application du droit international.

La capacité processuelle active a été marquée par une évolution importante :

  1. Historiquement, les personnes privées n'étaient pas du tout capables de saisir des juridictions internationales.
    Les différends qui concernaient une personne privée étrangère étaient donc réglés par
    l'action en protection diplomatique.
  1. On a ensuite assisté à la création d’un droit d’action directe par traité au profit des personnes privées.
  1. Enfin, on a leur reconnu une voie de droit particulière : la représentation.

L'action en protection diplomatique est symptomatique de la manière dont le droit international conçoit la personne privée.
Aujourd'hui, elle existe toujours ; c'est une prérogative de l'État ; elle est simplement résiduelle en termes quantitatifs, parce que les droits d'action directe sont désormais valorisés.

L'action en protection diplomatique oppose deux États : le sujet interne n'est qu'un objet.
Les tribunaux ont une compétence purement interétatique.

L'action en protection diplomatique est le mécanisme par lequel l'État prend fait et cause pour son national (= son ressortissant).
Il endosse la réclamation pour la porter sur le plan international.

L'endossement est le mécanisme par lequel un dommage existant en droit interne est élevé en droit international. Par l'endossement, la réclamation change : ce n'est plus la même affaire.
L'État fait valoir son droit propre, qui est un droit qui lui appartient : le droit de voir le droit international respecté en la personne de ses ressortissants.

L'État qui agit en protection diplomatique ne fait pas valoir le droit de son national, mais le sien propre.
Par le biais de son national, il a subi un dommage médiat.

CPJI, 1924, Concessions Mavrommatis en Palestine :
"En prenant fait et cause pour l'un des siens, en mettant en mouvement en sa faveur l'action diplomatique, cet État fait, à vrai dire, valoir son droit propre, le droit qu'il a de faire respecter en la personne de ses ressortissants, le droit international".

Le droit international coutumier définit un standard minimum de traitement, en-deçà duquel on ne peut pas aller.
La manière dont l'Etat traite le ressortissant permet de prouver qu'il a violé ce standard minimum.

⚠️
Cette action très importante est toujours utilisée aujourd'hui.
Quand on n'a pas d'action directe fondée sur un traité, on n'a que l'action en protection diplomatique, parce qu'une personne privée ne peut pas intenter une action contre un État dans l'ordre juridique international.

L'exercice de la protection diplomatique est discrétionnaire pour l'État : il choisit d'agir ou non en pure opportunité politique et n'a aucune obligation de le faire.
→ Un national n'a jamais droit à l'exercice de la protection diplomatique.

Il y a donc des centaines de sentences arbitrales portant sur l'exercice de la protection diplomatique sur des affaires parfaitement insignifiantes.

Comité des Droits de l'Homme des Nations unies, 2007, Schmidl c. Allemagne :
Le comité rappelle que le droit de la protection diplomatique appartient aux États, et non aux individus.

La réparation est due à l'État national et non au ressortissant, puisque c'est lui qui est la victime en droit international. On répare le dommage de l’État national, qui correspond à la violation du droit international à son égard.
L'État peut ensuite décider, s'il en a envie, de la rétrocéder à son ressortissant.
Il y a parfois des règlementations internes qui prévoient une obligation pour l'État de transmettre la réparation au ressortissant lésé.

Il y a 2 conditions de recevabilité pour la protection diplomatique :

  1. La personne en cause doit avoir la nationalité de l'État de manière continue depuis le préjudice subi jusqu'au moment de l'action ;
  1. La personne en cause doit avoir épuisé les voies de recours interne disponibles.

Condition n°1 : la nationalité :

La nationalité définit l'intérêt à agir pour l'État demandeur : il ne peut agir que pour ses ressortissants !
La nationalité doit présenter certains caractères :

  • La nationalité doit être opposable aux autres États : elle doit répondre aux conditions définies par le droit international pour être reconnue par les autres États ;
  • La nationalité doit être continue : la nationalité ne doit pas avoir changé entre le moment de l'intervention du dommage (qui correspond à la naissance du droit à réparation) et le moment de l'introduction de la réclamation.
⚠️
Concernant les personnes binationales : l'État de nationalité peut agir contre l'autre l'État, sauf celui-ci est aussi un État de nationalité de la personne concernée.

Condition n°2 : l'épuisement des voies de recours internes :

L'action en protection diplomatique n'est recevable que si le national victime a préalablement épuise les voies de recours offertes par l'ordre juridique de l'État dont la responsabilité est recherchée.
C'est une condition de recevabilité, mais également une condition de réalisation du fait illicite international.

Le national victime ne doit pas saisir toutes les voies internes, mais uniquement les voies de recours internes susceptibles de lui donner satisfaction : on exclut ainsi les recours illusoires ou futiles.
Il faut aussi que la saisine soit réelle (→ effectuée avec diligence). Le national doit saisir les juridictions avec efficacité.

Cette condition vient de la définition du standard de traitement minimum des étrangers : l'individu doit pouvoir avoir accès aux juridictions internes, mais l'État doit pouvoir remédier au violation du standard dans son ordre juridique interne.

Problème : l'exercice de l'action en protection diplomatique oppose les États et multiplie les différends entre eux.
Solution : les États ont décidé de créer, par traité, des juridictions internationales pour les personnes privées → c'est ce qu'on appelle l'action directe.


L'action directe est ouverte directement aux personnes privées devant un organe international (par exemple, une juridiction) dont l'existence repose sur un traité international.

Cette action vise uniquement à permettre la réalisation des droits internationaux des personnes privées : les conditions d'accès dépendent toujours de la volonté des États et des traités.

Il y a une grande variété d'actions directes.

Les tribunaux arbitraux mixtes (TAM) ont été mis en place par le traité de Versailles pour ouvrir une action aux particuliers qui avaient été dépossédés par l'un des États belligérants lors de la Première Guerre mondiale.

De manière plus connue, la CEDH et la Cour interaméricaine des droits de l'homme sont compétentes en cas de violation de leurs conventions respectives.
Il y a eu d'abord la Convention EDH, puis ensuite l'ouverture d'une action directe pour les personnes qui se trouvent sur la juridiction d'un État partie.

Enfin, un droit d'action directe devant un tribunal arbitral en matière d'investissements internationaux a été créé dans les traités de protection et de promotion des investissements.

Ces droits d’action directe permettent de neutraliser les effets un peu pervers de la protection diplomatique.
Les conditions du droit d’action directe sont fixées librement par les États dans le traité.


L’action en représentation est récente.
Ici, c’est l'État qui agit en représentation de son ressortissant.
C'est une action introduire entre États, mais ce qu'entend faire l'État demandeur, c'est d'agir pour son ressortissant.

L'action en représentation est utilisée pour les droits internationaux individuels.

Il n'y a pas de responsabilité civile en droit international pour les individus.
L'action des individus est prise en compte uniquement quand il est possible de rattacher à l'État leurs actions.

L’action en représentation est mise en œuvre principalement à travers des conventions destinées à incriminer des infractions et prévoir des règles de compétence et sanctions (corruption, trafic d'êtres humains…).
Les États transposent ces conventions dans leur droit pénal.

Plus récemment et de manière plus limitée, on a aussi la possibilité pour une personne privée d'être traduite devant des organes juridictionnels répressifs.
Cette possibilité a été ouverte avec le tribunal de Nuremberg et le tribunal de Tokyo, qui ont pour rôle de juger les auteurs de certains crimes très spécifiques et de les condamner pénalement.
Ce mouvement s'est poursuivi avec la création des tribunaux pénaux internationaux (pour le Rwanda et pour l'ex-Yougoslavie), et enfin avec la Cour pénale internationale (CPI).
La CPI n'est compétente que pour certains crimes :
> crime d'agression ;
> crime de guerre ;
> crime contre l'humanité ;
> crime de génocide.

→ Les individus ont une capacité substantielle et processuelle limitée, toujours encadrée par un traité.

Section 2 : La nationalité de la personne privée

La nationalité est un lien de droit qui unit un État déterminé à une personne physique ou morale, un objet ou un bien.
Autrement dit, la nationalité est un lien de rattachement d'un État à un sujet interne.

La nationalité est d'abord et avant tout une qualité interne, conférée par un acte unilatéral de l'État.
En règle générale, le droit international laisse les États déterminer comment et à qui ils veulent être rattachés.

Ici, on distingue entre les personnes physiques, les personnes morales et les engins :

§ 1. La nationalité des personnes physiques

Il faut distinguer l'acquisition de la nationalité de son opposabilité.
On acquiert la nationalité soit parce qu'on l'a à l'origine (nationalité de naissance) soit parce qu’on l’a acquise ultérieurement.

À l'origine, il y a 2 grandes modalités d’acquisition de la nationalité de naissance :

  1. La nationalité jus sanguinis : la nationalité par le sang.
    L’enfant a la même nationalité que ses parents ou que l'un de ses parents.
  1. La nationalité jus soli : par le lien avec le territoire.
    L’enfant a la nationalité de l'État sur le territoire duquel il naît.

Les États sont libres de décider des modalités d'attribution de leur nationalité ; ils font souvent un mélange de ces modalités.
→ L'État attribue sa nationalité comme il l'entend.

La nationalité originaire est importante, parce qu'elle a souvent un mérite de bonne foi : elle ne dépend pas d'actions que l'on mène, mais de lois qui opèrent à la naissance.
En revanche, quand il y a une acquisition ultérieure de la nationalité, la question se pose différemment.

Chaque personne peut être amenée à changer de nationalité, soit parce qu'elle change de statut (ex : mariage), soit parce qu'elle demande une naturalisation.
Une autre possibilité de changement de nationalité découle de la disparition de l'État : quand un État disparaît, on perd sa nationalité et on acquiert souvent la nationalité de l'État qui le remplace.

Il n'existe pas en droit international un droit à la nationalité, mais il y a des conditions qui limitent les cas d'apatridie, parce qu'un apatride ne peut bénéficier de la protection d'aucun État.
En France, c'est l'OPFRA qui donne aux apatrides une protection spéciale et leur permet d'obtenir un état civil et des documents qui leur permettent de circuler.

Il y a de très nombreux États qui considèrent qu'il n'est pas possible d'être binational, parce que la nationalité est un lien de droit privilégié avec l'État.

Beaucoup de droits internes prévoient que si une personne commet un certain acte, alors ils vont perdre la nationalité. On parle de déchéance de nationalité.

Dans tous les cas, c'est la loi interne de l'État qui fixe ces règles.
Par exemple, en droit français, une loi décidait précédemment que "tout français qui prend service militaire à l'étranger perdra sa qualité de français et ne pourra rentrer en France qu'avec l'autorisation du Roi" (article 21 du Code civil de 1804).

La nationalité intéresse le droit international dès lors qu'on cherche à l'invoquer contre un autre État. C'est la question de l'opposabilité.
En effet, le droit international ne va jamais remettre en cause une nationalité acquise en droit interne – ça ne le regarde pas.

CIJ, 1955, Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala) :
La Cour explique ce qu'est la nationalité :
"La nationalité est un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d'existence, d'intérêts, de sentiments jointe à une réciprocité de droits et de devoirs. Elle est, peut-on dire, l'expression juridique du fait que l'individu auquel elle est conférée, soit directement par la loi, soit par un acte de l'autorité, est, en fait, plus étroitement rattaché à la population de l’État qui la lui confère qu'à celle de tout autre État. Conférée par un État, elle ne lui donne titre à l'exercice de la protection vis-à-vis d'un autre État que si elle est la traduction en termes juridiques de l'attachement de l'individu considéré à l’État qui en a fait son national. "

Il faut donc qu'il y ait un lien étroit entre la personne qui l'a demandée et son nouvel État national.
→ La nationalité doit être effective.

Ce n'est que si la nationalité est effective qu'elle pourra produire des effets en droit international.
Cela implique de se replacer au moment de la naturalisation.

En l’espèce, la CIJ regarde si, au moment de sa naturalisation, M. Nottebohm était particulièrement rattaché au Liechtenstein ou si c’était simplement une façade.
Il faut prendre en compte la procédure suivie, l'existence ou non d'intérêts particuliers que l’individu aurait avec cet État (famille, intérêt économique), le lieu de résidence…

§ 2. La nationalité des personnes morales

La logique d'ensemble est la même : le droit international laisse les États déterminer la manière dont ils attribuent leur nationalité aux personnes morales.
La nationalité est donc interne par son origine : ce sont ses effets qui seront internationaux.

Il existe 2 systèmes d'attribution de la nationalité aux personnes morales :

  1. Le système du siège social réel : selon ce système, les sociétés dont le centre de direction effectif ou l'établissement principal est sur le territoire de l'État ont la nationalité de cet État.
  1. Le système d'incorporation : ce système accorde la nationalité aux sociétés constituées en personnes morales et immatriculées conformément à la législation locale.
    Il n’y a donc pas de prise en compte du siège social ou des activités, mais simplement de l'immatriculation de la société.

Il existe un 3ème système : celui du contrôle, qui prévoit que la nationalité serait déterminée par celles et ceux qui la contrôlent (par exemple, les détenteurs du capital social ou les dirigeants).
Ici, ça correspond à la dynamique actuelle de la mondialisation.
On essaie de considérer l'unité de la réalité économique du groupe.
Ce système de contrôle n'est pas un système considéré comme classique : ce sont seulement les 2 premiers systèmes qui permettent de faire produire à la nationalité un effet directement opposable.

En matière d'opposabilité, on a une règlementation plus favorable aux entreprises qu'aux personnes privées.
On considère que le choix de nationalité est un objectif légitime pour ceux qui créent des sociétés.
Autrement dit, on considère qu'il est légitime de se placer sous la loi la plus favorable.

💡 Il arrive très souvent que des entreprises changent de nationalité pour se placer sous des lois plus favorables.

Dès lors que la société change de nationalité pour rendre possible une réclamation internationale ou pour qu'un État agisse en protection diplomatique, alors on considère que l'on est dans de la fraude.

C'est l'État de la nationalité qui agit en protection diplomatique.
Il faudra un texte spécifique pour que l'État agisse en protection des actionnaires ; si leurs intérêts sont lésés, ils devront prouver qu'ils sont lésés en tant qu'actionnaires et non pas en tant que société.

→ La nationalité est beaucoup plus simple pour les personnes morales.

§ 3. La nationalité des engins

En principe, les biens ont la nationalité de leurs propriétaires ; mais certains véhicules comme les avions, les navires et les engins spatiaux ont besoin du rattachement à un État parce que c'est ce rattachement qui détermine quels sont les États compétents et les États qui doivent réparer les dommages.

Les navires doivent faire l'objet d'une immatriculation sur un registre national, ce qui leur donne un pavillon.
Ils seront soumis à la législation interne de l'État du pavillon.

Les États décident à quelles conditions ils attribuent leur pavillon.

L'immatriculation aura des conséquences :

  1. L’État dispose d’une compétence exclusive sur les navires battant son pavillon ;
  1. L’État doit exercer sa juridiction et son contrôle dans les domaines techniques, administratif et social.
    Les autres États vont demander des comptes à l'État de pavillon, notamment concernant les obligations de sécurité.
    → Le lien de rattachement permet aux autres État d'agir.

Section 3 : La condition internationale de la personne privée

Les relations transnationales (ou relations mixtes) sont les relations entre un État et un sujet interne.
Ces relations appartiennent avant tout à un ordre juridique interne ; cependant, puisqu’il y a une nationalité étrangère, alors il y a un rattachement du droit international, qui impose notamment des obligations de traitement.

Avant de voir quelles sont ces obligations, il convient de faire un rappel :

§ 1. Identification des États compétents

Il faut toujours avoir un lien de rattachement compétent, c'est-à-dire non fortuit.

  1. Compétence territoriale : il faut un titre territorial suffisant (exclusif pour l'exercice d'une compétence opérationnelle sur le territoire de l'État).
  1. Compétence personnelle : il faut un titre personnel.
    Cette compétence personnelle agit comme un frein à la compétence de l’État territorial, car il va être limité dans son action par le respect de la nationalité du ressortissant limité et des obligations découlant du standard minimum de traitement des étrangers.
  1. Pour l'exercice d'une compétence personnelle ou universelle sur le territoire d'un autre État en cas de crime, il faut un rattachement suffisant avec le territoire de l'État qui souhaite exercer sa compétence.
    L'exercice de ce type de compétence est prévu par des conventions internationales (qui définissent l'infraction, organisent les compétences…) et pas par la coutume.

    En droit français, la compétence universelle n'est prévue que pour certains crimes (par exemple, la torture ou les infractions graves au droit humanitaire) et est conditionnée par la résidence sur le territoire.
    L’article 689-11 du Code de procédure pénale dispose que "la personne soupçonnée doit avoir une résidence habituelle sur le territoire français, celle-ci se définissant par un lien de rattachement suffisant avec la France".
    La chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle qu'il faut, pour que la France puisse exercer sa compétence, que la résidence soit suffisamment établie. En l'espèce, un ressortissant étranger était sur le territoire depuis 3 mois et se comportait comme un résident.

La personne soupçonnée d'avoir commis un crime sur le territoire d'un autre État doit par exemple se trouver sur le territoire de l'État qui souhaite exercer sa compétence personnelle passive ou universelle.

§ 2. Pouvoirs des États compétents

Les règles qui encadrent les pouvoirs de l'État compétent sont de 2 natures :

  1. Les règles traditionnelles régissent des rapports strictement interétatiques et qui concernent des étrangers ;
  1. Les règles qui s’adressent directement aux personnes privées et qui ne tiennent pas à la condition d'étranger, mais à la condition d’homme.
    Le droit international permet aux êtres humaines d'être titulaires d'un ensemble de droits humains : ces règles s'appliquent indifféremment à toute personne, qui se trouve sur le territoire étranger ou non.

Il existe en effet un ensemble de règles relatives aux êtres humains, qui sont conférées par les États indépendamment de la nationalité.
Ces droits sont inhérents à la qualité humaine.
Par exemple, la Convention européenne des droits de l'homme s'applique à toute personne qui est sous la juridiction d'un État membre ; elle permet à des chinois de saisir la CEDH s'ils sont détenus par des autorités françaises.

De plus, le droit international humanitaire et le droit de la guerre regroupent des règles qui ont été créées dans le but de réduire les souffrances causées par la guerre.
Ces règles sont aujourd’hui coutumières.
On agit dans la protection de l'intérêt commun de l'humanité.
La condition de réciprocité disparaît : il n’y a pas d'exception d'inexécution.

Ainsi :

  • Pour les droits de l'homme, il faut passer par des textes ;
  • Pour le droit humanitaire, ce sont des règles coutumières.

§ 3. La condition des étrangers (la nationalité comme critère de discrimination)

Comment traite-t-on ceux qui ne sont pas nos ressortissants mais qui sont sur notre territoire ?
L’État territorial a l’obligation de respecter le droit international + l’État national a le droit d’exercer sa protection diplomatique.

A – L’accès au territoire

Les États sont libres de réglementer l'accès à leur territoire.
Ils peuvent fixer librement les conditions d'entrée, de séjour et de sortie, à la condition de respecter les limites posées par le droit international.
Les États peuvent refuser discrétionnairement des visas (sous réserve d'engagements internationaux contraires).

Dans certains cas, et pour certains sujets, les États peuvent avoir des obligations conventionnelles particulières.
C’est notamment le cas en matière de réfugiés, où la Convention de Genève de 1951 impose aux États de respecter le principe du non refoulement. Suivant ce principe, le réfugié (qualité définie internationalement) doit pouvoir déposer une demande d'asile sur le territoire dans lequel il vient d'arriver ; ce n'est qu'à l'issue de l'examen de cette demande qu'il peut être envoyé ailleurs.

Est-ce que les États doivent respecter des règles pour la sortie des étrangers sur leur territoire ?
Aujourd'hui, il existe plusieurs procédures selon que l'étranger a été régulièrement admis ou non sur le territoire.
L'État peut expulser les étrangers qui sont sur leur territoire, à la condition que cette condition soit conforme au standard minimum de traitement des étrangers et à ses engagements conventionnels.
Par exemple, en France il n'est pas possible d'expulser une personne vers un pays où elle risque de subir des traitements inhumains ou dégradants (par le jeu de la Convention EDH).

Le standard minimum de traitement des étrangers veut que l'expulsion s'appuie sur des considérations d'ordre public : l'État doit expliquer pourquoi il expulse une personne sur son territoire.
Exemple :
Sentence arbitrale, 1898, Ben Tillett :
💡 C’est du droit coutumier, donc rien n’empêche d’illustrer avec des arrêts anciens.
On accusait M. Ben Tillet de menacer l'ordre public sur le territoire, parce qu'il était venu participer uniquement à des manifestations interdites. Le gouvernement britannique a estimé que son arrestation et sa détention n’étaient pas nécessaires et que certaines circonstances de difficulté qui les ont accompagnées étaient totalement excessives par rapport à ce qui pouvait être justifié comme étant incident au droit d’expulsion.

Il faut aussi que la manière d'expulser ne soit pas contraire au standard minimum de traitement des étrangers.
Autrement dit, elle ne doit pas être inutilement rapide, brutale ou vexatoire. Il faut laisser à l'étranger le temps de se préparer, d'organiser la vente de ses biens…

B – Le traitement international minimum

Ce qui limite l'action de l'État, c'est le standard international de traitement minimum des étrangers, qui est conçu comme la conséquence de l'exclusivité territoriale.

Cour permanente d’arbitrage, 1928, Île de Palmas :
L'exclusivité de la compétence territoriale a pour corollaire un devoir : l'obligation de protéger à l'intérieur du territoire les droits des autres États, en particulier le droit à l'intégrité et à l'inviolabilité en temps de paix et en temps de guerre, aussi bien que les droits dont chaque État peut réclamer le bénéfice pour ses nationaux séjournant en territoire étranger.

Le standard minimum de protection des étrangers lie tous les États, indépendamment de la manière dont ils traitent leurs propres ressortissants.
Le standard de protection des étrangers peut donc constituer une discrimination positive pour les étrangers, qui pourraient bénéficier d'une protection plus favorable que les ressortissants.

Il est très difficile d'établir précisément le contenu précis du standard.
Il varie en fonction des circonstances ; par exemple, il peut souffrir de circonstances exceptionnelles liées à une situation de guerre.

Souvent, on le trouve défini par l'expression "protection générale contre l'arbitraire" ; mais ça n'est pas tout à fait exact : le traitement arbitraire que l'État fait subir à un étranger manifeste la violation du standard.
L'étranger en lui-même n'a pas de droit : c'est son État qui a un droit à un certain traitement pour ses ressortissants.

Le standard minimum de traitement des étrangers contient des obligations positives + des obligations de faire et de ne pas faire + des garanties administratives.
Ces règles concernent les personnes étrangères et leurs biens.

Idée : il faut traiter de manière convenable les étrangers ; on prohibe l'exercice d'une contrainte injustifiée (interdiction des arrestations sans fondement, des détentions arbitraires, traitements anormaux ou vexatoires…).

Une obligation de diligence pèse sur l'État, qui doit assurer autant que possible la sécurité des étrangers sur son territoire.
Cette obligation de diligence s’étend à la recherche et la poursuite des auteurs d'une éventuelle atteint : il faut que l'étranger puisse avoir accès à un tribunal interne pour faire valoir ses droits + qu’il puisse bénéficier d'un vrai procès rendu par une juridiction indépendante et impartiale.

💡
Le contenu du standard minimum de traitement des étrangers varie en fonction des circonstances. Dès lors, l’obligation de diligence sera diminuée vis-à-vis d’un État en crise.

Le standard minimum de traitement des étrangers est protégé par l’action en protection diplomatique.

Chapitre 5 : L’État

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Droit international public (L3).

Introduction sur les sujets du droit international public

L'État est le 1er sujet du droit international : on parle de sujet primaire ou sujet originaire.
Il se démarque de tous les autres sujets par son statut : il est le seul qui dispose de la souveraineté.

Le 2ème grand sujet du droit international est les organisations internationales : on parle de sujets secondaires ou sujets dérivés.
CIJ, 1949, Réparation des dommages subis au service des Nations unies :
Dans cet avis, la CIJ considère que l'ONU a la personnalité juridique parce que :

  • Elle a la capacité d'être titulaire de droits et de devoirs internationaux ;
  • Elle a la capacité d'agir en justice.
    > Capacité active → de se prévaloir de ses droits par voie de réclamation internationale ;
    > Capacité passive → d'être attrait devant une juridiction internationale.

Le 3ème sujet est beaucoup plus récent : ce sont les personnes physiques ou morales de droit privé.
Initialement, c'étaient des objets du droit international : il parlait d'eux sans s'adresser à eux.
Avec l'évolution qu'a connu le droit international, il a commencé à leur conférer des droits et des devoirs et à créer des juridictions internationales devant lesquelles ils vont pouvoir être attraits.
Pour cela,
les États ont modifié la capacité des personnes privées pour leur permettre d'atteindre la personnalité juridique.

→ Les sujets de droit international ne sont pas identiques entre eux.
→ L'État est le sujet originaire du droit international.

Section 1 : La formation de l'État

Il n'y a pas vraiment de débat sur qu'est-ce qu'un Etat.

Jean Combacau explique que l'État entretient des relations contradictoires avec le droit international parce que :

  • En tant que réalité historique, il est antérieur au droit international ;
  • Mais en tant que phénomène juridique, il le constitue tout autant qu'il en procède.
    En effet, c’est le droit international lui-même qui permet de discerner si une collectivité répond à une définition de l'État et qui détermine les conditions d'émergence de l'État.

À l'origine, le droit international est européocentrique → c'est le droit des Etats européens.
Il faudra attendre les mouvements de décolonisation et l'apparition de nouveaux États, notamment à l'issue de la Seconde Guerre mondiale.

§ 1. Les conditions d'apparition de l'État

Le droit international détermine qui est un État.
La Commission d'arbitrage pour la paix en Yougoslavie, dans son 1er avis du 29 novembre 1991, a confirmé que seuls les principes du droit international permettent de définir à quelles conditions une entité constitue un État.
La question de l'apparition ou de la disparition d'un État est donc une question de fait.

La commission d'arbitrage poursuit en expliquant que l'État est communément défini comme une collectivité qui se compose

  1. d'un territoire et…
  1. d'une population…
  1. soumis à un pouvoir politique organisé.

A – Les éléments matériels

1) L’élément spatial : l'assise territoriale

Il n'existe pas d'État sans assise territoriale → il n'y a pas d'État sans territoire.
Il faut une assiette spatiale stable.

💡
On a beaucoup parlé d’un “État islamique”, mais était-ce vraiment un État ?
Laurent Fabius a expliqué que le groupe n’était pas un État, parce qu'il lui manquait cette assise territoriale.

Seuls les États ont un territoire.
Certaines entités ont une sorte de siège social ; par exemple, l'Église catholique ou des mouvements de libération nationale sont installés sur le territoire d'un État qui les accepte.
Ces entités n'accèdent pas à la qualité d'État parce qu'ils exercent un contrôle sur une population qui ne se situe pas sur leur territoire.

Les contours d'un territoire n'ont pas besoin d'être définis : s'il n'y a pas de délimitation ou si cette délimitation est imprécise, ça ne fait pas obstacle à la formation de l'État.
Il faut simplement une délimitation et une assise spatiale stable, dont les contours pourront être définis postérieurement.

La délimitation des frontières se modifie avec le temps : la France modifie encore aujourd’hui sa frontière avec ses États voisins !

La taille n'est pas un obstacle à l'apparition d'un État : il n'y ni taille minimale ni taille maximale pour être un État.
Par exemple, il y a des micro États comme Monaco.

L’assiette spatiale peut être discontinue : c'est notamment le cas des États archipélagiques.
Autre exemple : l'Alaska, qui fait partie des États-Unis.

Le territoire est l'espace terrestre, mais également l’espace maritime et aérien.

C’est le territoire qui permet à la population de s'établir sous l'autorité d'un pouvoir.
Les États bénéficient d’un droit à la souveraineté et au respect de son territoire

Une question actuelle qui se pose est celle de la disparition du territoire de certains États.
Certains États ont déjà perdu une partie de leur territoire du fait de la montée des eaux, et l’on sait que cette montée des eaux est irrémédiable et que certains États vont perdre la totalité de leurs territoires (exemples : Vanuatu, Kiribati…).
Même à notre échelle, des régions françaises risquent de disparaître, telles que le Cap Ferret ou l’Île de Ré.

Si l’État perd une partie de son territoire, ça ne remet pas en cause sa qualité d'État, en raison du principe de continuité de l'État.
Ainsi, même si une partie de l’État se sépare (sécession), l'État reste un État.

Mais si le territoire disparaît, comment fait-on pour le définir ? et que devient la population qui vit sur l'Etat ?

Des petits États tels que les Tuvalu revendiquent de + en + le droit du maintien de l'État, indépendamment du maintien du territoire.
Les Tuvalu ont commencé à obtenir de certains États la reconnaissance de la permanence de leur existence.
En 2023, dans une déclaration du Forum des îles du Pacifique (Pacific Island Forum), les États du Pacifique ont rappelé le principe du maintien de la qualité d'État.

Il y a donc 3 conditions pour qu'une entité puisse acquérir le statut d'État, mais la disparition de l'État ne prend pas en compte ces mêmes conditions.


2) L’élément humain : la population

Sur ce territoire vont se nouer des relations sociales qui vont être régies par l'État.
Le territoire doit donc être habité par des personnes qui y vivent de manière suffisamment stable.

C'est la seule condition posée par le droit international public.
Il n'est pas nécessaire d'avoir une homogénéité dans la population → l’État nation n’est qu’un modèle parmi d'autres.

Cette collectivité doit être organisée politiquement :

B – Une organisation politique indépendante

L’organisation politique doit être suffisante pour permettre l'exercice de la puissance sur l'ensemble du territoire.
Il faut donc :
1- une organisation politique ;
2- qui est indépendante.

1) Organisation politique effective

Le droit international pose des exigences minimales : il faut qu’il y ait un début d’organisation étatique.

L’État est une personne morale qui a un caractère corporatif : il faut des agents qui agissent au nom de l'État. Ces personnes doivent s’acquitter de l'ensemble des fonctions étatiques et doivent se faire obéir de façon régulière sur le territoire.

Il faut donc un début d'organisation politique effectif.
Dès que les conditions sont réunies, la collectivité devient un État.

Le droit international public n'impose aucune forme à cette structure.
Que cette organisation politique soit une démocratie ou une monarchie de droit divin, ça ne regarde pas le droit international public.

Assemblée générale des Nations unies, résolution 2625 :
Prévoit que tout État a le droit inaliénable de choisir son système politique, social et culturel sans aucune forme d'ingérence de la part des autres États.

💡
La résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations unies a été adoptée le 24 octobre 1970 .
Elle est intitulée
Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États.
Élaborée par consensus mais dépourvue de force obligatoire, elle énonce les principes structurants de l’ordre juridique international.

2) Indépendance

L’indépendance, c’est l'absence de soumission à une autre puissance.
C'est parce que le gouvernement est indépendant que l'État pourra être souverain.

On considère qu'une collectivité est indépendante à partir du moment où elle s'est émancipée de l'État qui l'assujettissait.

💡
Cette collectivité peut choisir de garder la même langue officielle, la même monnaie…
Ce ne sont que des choix d'organisation de la nouvelle collectivité, qui n’ont pas d’influence sur son indépendance.

L’indépendance est un fait de nature politique : elle doit exister aux yeux de la communauté internationale.
Par exemple, l’État peut apparaître quand une collectivité cesse d'obéir à un ordre juridique extérieur.
Ainsi, si l’État qui administrait auparavant le territoire ne le contrôle plus effectivement, on peut constater une indépendance de fait (→ le territoire s'administre tout seul).

La qualité d'État résulte uniquement de faits qui seront ensuite appréciés par les autres États.
Il n'y a aucun acte juridique ni aucune procédure.

💡
Il peut simplement y avoir, dans des cas exceptionnels, un processus d'indépendance supervisé par la communauté internationale.

Une fois que ces conditions sont réunies, la collectivité devient un État par l'effet du droit.
Elle bénéficie alors du statut d'État, qui s’impose à elle.

Autrement dit, le nouvel État devra respecter les obligations dues à son statut (par exemple, l'interdiction du recours à la force).

Une fois qu'une collectivité est devenue un État, alors sa qualité d'État se maintient en vertu du principe de continuité légale de l’État.

§ 2. Les modalités d’apparition de l’État

Aujourd’hui, il n'est plus possible de voir apparaître des États ex nihilo.
L’apparition de l'État se fait désormais au détriment d'autres États ou par la modification d'États préexistants.

A – La sécession

La sécession est définie comme une "action d'une partie de la population d'un État visant à dissocier un territoire de l'État de la souveraineté duquel il relève".
L’État préexistant continue d'exister, mais il est amputé d'une partie de son territoire.

Il faut ici distinguer le cas général du cas particulier tiré de la décolonisation :

1) Le cas général

Il y a de très nombreux exemples de sécessions :
> la Belgique a fait sécession des Pays-Bas (1830) ;
> le Panama de la Colombie (1903) ;
> la Finlande de l'Empire russe ;
> le Bengladesh du Pakistan ;
> l’Érythrée de l'Éthiopie…

Aujourd'hui, il y a toujours de très nombreux mouvements sécessionistes, y compris en Europe.
Le droit encadre-t-il ces mouvements ?

CIJ, 2010, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance relative au Kosovo (avis) :
Jusqu'en 1989, le Kosovo avait un statut particulier d'autonomie par rapport à la Serbie au sein de la Yougoslavie. Ce régime prend fin, avec d'abord une période d'opposition pacifique, puis violente, entre les albanais du Kosovo et les autorités serbes.
Une guerre civile éclate en 1990 avec une épuration ethnique et des crimes contre l'humanité.
L’OTAN intervient militairement par une force internationale avec un volet militaire (maintien de la paix) et un volet civil (construction de la paix).
Cette mission civile doit statuer sur le statut du Kosovo et met en place un cadre constitutionnel provisoire, en instituant notamment des institutions parmi lesquelles une assemblée.
Le 17 février 2008, cette assemblée déclare l’indépendance du Kosovo, qui est immédiatement reconnu par une quarantaine d’États.
La Serbie considère que cela viole le droit international, la souveraineté et le droit à l'intégrité territoire de l'État.

Elle saisit la CIJ, en lui demandant : "la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo est-elle conforme au droit international ?".
La Cour ne se prononce pas sur le point de savoir si le Kosovo est un État, mais vérifie simplement la conformité de la déclaration → elle regarde s'il existe une règle de droit international qui interdit à cette collectivité de se déclarer indépendante.

La CIJ considère que la déclaration d'indépendance ne contrevient à aucune règle internationale.

”La Cour estime que le droit international général ne comporte aucune interdiction applicable des déclarations d’indépendance. En conséquence, elle conclut que la déclaration d’indépendance du 17 février 2008 n’a pas violé le droit international général”.

→ Indifférence du droit international aux mouvements sécessionnistes.

La CIJ ajoute que la déclaration d'indépendance ne viole pas le droit à l'intégrité territoriale de l'État, parce que ce droit – qui découle de la souveraineté de l'État – ne s'applique qu'entre États.
Ce droit ne vaut que dans les relations interétatiques ; or
ici, quand la collectivité se déclare indépendante, elle n'est pas encore un État et n'est donc pas tenue de respecter le droit à l'intégrité territoriale des autres États.

Attention : il n’y a pas de droit à faire sécession !
L’État qui fait face à un mouvement de sécession peut réagir en l'interdisant.
Par exemple, une loi chinoise prohibe l'indépendance de Taïwan.

De plus, dans certains cas, la sécession ne sera pas prise en compte, parce qu'elle s'inscrit dans un certain contexte qui fait que l’on considère que cette déclaration d'indépendance viole le droit international.
La déclaration est alors ineffective.
Exemple : annexions forcées.


2) Le cas particulier : la décolonisation

La décolonisation est un phénomène ancien, qui a d'abord commencé au début du 19ème siècle en Amérique du Sud et en Amérique centrale.

Il a permis l'émergence du principe de l'uti possidetis jurisprincipe d'intangibilité des frontières.
C’est un principe général qui a pour but d'éviter que l'indépendance de nouveaux États ne soit mise en danger par les luttes fratricides nées de la contestation des frontières.

Ce principe signifie que des États nouvellement indépendants ou bien les belligérants d'un conflit conservent leurs possessions pour l'avenir ou à la fin dudit conflit, nonobstant les conditions de traités antérieurs.
Autrement dit, dans le contexte de la décolonisation, les frontières du nouvel État sont celles du territoire colonisé. Ce qui étaient auparavant des frontières internes au territoire colonisé deviennent des frontières internationales.

Aujourd’hui, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est considéré comme l’un des principes fondamentaux du droit international.
Cette règle coutumière s'est affirmée avec le temps et est considérée aujourd’hui comme une règle erga omnes.

Le premier précédent de cette coutume est l'article 1 §2 de la Charte des Nations unies, qui prévoit que l'un des buts des Nations unies est de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de légalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes.

Ensuite, la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations unies marque un moment décisif en qualifiant de contraire à la Charte la sujétion des peuples à une domination ou à une exploitation étrangère.
Elle proclame le droit à la libre détermination à la fois interne et externe.
La résolution précise que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes doit être obtenu sans délai.

Ce droit des peuples à disposer d'eux-mêmes figure aujourd’hui dans l'article 1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) :

“Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes.
En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.”

Enfin, la résolution 2625 :

  • reconnaît le droit à l'autodétermination ;
  • confirme l'interdiction pour un État colonial d'empêcher l'exercice du droit à disposer d'eux-mêmes ;
  • et justifie la légitimité d'une intervention extérieure pour permettre à une colonie d'accéder à son indépendance.
💡
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le droit à l’autodétermination sont synonymes.
Ils désignent le principe issu du droit international selon lequel chaque peuple dispose ou devrait disposer du choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère.

Le droit à l’autodétermination a donné lieu à de nombreux avis :

CIJ, 1995, Timor oriental (Portugal c. Australie) :
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit opposable erga omnes.
Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans la jurisprudence de la Cour, et c’est l’un des principes essentiels du droit international contemporain.

CIJ, 2019, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 :
Dans cet avis, la CIJ rappelle l'importance fondamentale du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Elle rappelle le caractère coutumier du droit à l'intégrité d'un territoire non autonome : le peuple qui est sous le joug d'une puissance extérieure a non seulement le droit de devenir indépendant, mais a aussi le droit à l'intégrité du territoire de la colonie.

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est très limité.
Il n'est reconnu qu'à certains peuples (les peuples colonisés soumis à une domination étrangère) et non pas à tous les peuples.
Autrement dit, une région française ne pourrait pas invoquer ce droit.

Ce droit s'applique aux territoires sous tutelle qui sont non autonomes ou des territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance.
Par définition, ces territoires sont géographiquement séparés de celui de la métropole.

Cette conception territoriale font que le droit à l'autodétermination est très restreint.
Aujourd’hui, il ne s'applique quasiment plus ; une fois qu'on l'a exercé, on ne peut pas le réexercer.

Lorsqu'il exerce ce droit, le peuple est libre de choisir son statut politique
Fondamentalement, il a 3 choix :

  1. Il peut devenir un État indépendant ;
  1. Il peut être intégré à un autre État indépendant ;
  1. Il peut s'associer à un autre État.

La population choisit ces modalités : elle doit nécessairement être consultée.
Ce choix doit être l'expression de la volonté libre du peuple concerné.

Les États ont normalement l'obligation d'aider les peuples à devenir indépendants en exerçant leur droit à l'autodétermination.

B – Substitution : la fusion et la scission

On parle de fusion quand plusieurs États se regroupent pour ne constituer plus qu'un seul État.
→ Les anciens États disparaissent au profit d'une entité étatique unique.

Exemple : les États-Unis sont issus de la fusion des différents États d'Amérique du Nord.
Exemple : la Tanzanie est issue de la fusion du Zanzibar et du Tanganyika.

On parle de scission quand un État unique éclate pour donner naissance à plusieurs nouveaux États.
→ L'État d'origine disparaît.

La question a surtout des enjeux en termes de succession.
La succession de l'État s'entend des hypothèses de substitution d'un État à un autre dans les relations internationales : est-ce que le nouvel État hérite de l’ancien (de sa qualité de membre d'une relation internationale, de partie aux traités, de partie aux différents…) ?

L’État continuateur conserve l'intégralité des droits de l'État prédécesseur (= l'État qui disparaît).

Ici, on applique le principe de la liberté de l'État successeur, notamment en matière de traités où il existe le principe d’intransmissibilité des traités.
On "fait table rase" : le nouvel État est libre, au nom de la souveraineté.
→ Le nouvel État n'est pas tenu par les engagements de l'ancien.

La Commission du droit international explique que l'État nouvellement indépendant est libre de toute obligation d'appliquer les traités en vigueur à l'égard de son territoire.

Le nouvel État est tiers aux traités conclus par son prédécesseur, en raison de l’effet relatif des traités.
S'il souhaite devenir partie à un traité bilatéral, il faut qu'il demande à l'autre partie s'il peut hériter du traité.
Pour les traités multilatéraux, très souvent, si le traité ne prévoit rien, alors la notification de succession suffit pour que l'État successeur prenne la place de l'État prédécesseur.

Il existe une exception importante pour les traités territoriaux : pour tous les traités qui mettent en place un régime territorial (par exemple, une frontière), l'État successeur sera tenu par le traité → la succession de l'État ne porte pas atteinte à une frontière établie par traité.

§ 3. Constat de l’apparition : la reconnaissance

Une fois que les 3 conditions sont remplies, le statut d'État est acquis et devient opposable à tous.
L'État nouvellement formé peut demander le respect de son statut d'État.

L'Etat a le droit de défendre les droits qu'il tire de ce statut.
→ Convention de Montevideo sur les droits et les devoirs des États (1933).

Il n'existe pas d'autorité compétente pour constater l'existence de l'État
Par conséquent, ce sont les autres États qui vont chacun – et uniquement pour eux-mêmes – apprécier si l'État nouveau est bien un État.
Les autres États vont individuellement reconnaître ou non l'entité comme un État ; on parle de reconnaissance d'État.

La reconnaissance est un acte unilatéral par lequel un État atteste de l'existence à son égard d'une situation de fait, et s'engage à tirer les conséquences que le droit attache à son existence.
Ici, un État reconnaît un autre comme son semblable et s'engager à le traiter comme tel.

A – Effets de la reconnaissance

On distingue 2 courants doctrinaux :

  1. Pour certains, la reconnaissance est constitutive : elle permet de réellement constituer l'État ;
  1. Pour d'autres, elle est uniquement déclarative : l'État existe, qu'il soit reconnu ou non.

Aujourd'hui, le droit international considère que la reconnaissance est purement déclarative.
→ La reconnaissance ne crée pas l'État.

Tribunal arbitral mixte (TAM), 1929, Deutsche Continental Gas Gesellchaft c. Etat polonais :
L'État existe par lui-même ; la reconnaissance n'est rien d'autre que l'attestation de son existence, reconnue par les États dont elle émane.

La reconnaissance n'attribue pas la personnalité juridique : l'État dispose déjà de la personnalité juridique internationale d'État dès l'instant où il satisfait les conditions.

La reconnaissance a un effet rétroactif : elle porte ses effets à compter de l'existence de l'État reconnu, et non pas à la date de la reconnaissance.

Cela permet aussi des rapports intersubjectifs : tous les États ne sont pas reconnus par tous les autres sans que ça remette en cause leur statut juridique ou leur qualité d'Etat.
Sauf qu’un État non reconnu n'est pas grand chose : l'entité existe objectivement, mais elle ne pourra rien faire, faute d'avoir des partenaires.
Un État non reconnu est ainsi dans l'impossibilité de conclure des traités, de défendre ses nationaux, de défendre ses droits…
→ La reconnaissance permet d'entrer en relation avec les autres.

B – Forme de la reconnaissance

La reconnaissance peut être individuelle ou collective.
C'est toujours un acte unilatéral
, mais parfois plusieurs États reconnaissent un État en même temps.

Par exemple, les États européens ont décidé de se coordonner et d'adopter une position commune sur le processus de la reconnaissance des nouveaux États en Europe orientale et en Union soviétique : la Déclaration de 1991 de la Communauté européenne et des Etats membres portant sur les lignes directrices en matière de reconnaissance fixe des critères, parmi lesquels l’obligation de respecter des règles internationales.

La reconnaissance peut être expresse ou implicite :

  • La reconnaissance implicite est celle qui se déduit du comportement d'un État, des actes qu'il a adoptés ou des relations qu'il a dû établir avec un autre État.
    Le traitement en tant que semblable est une reconnaissance implicite.
    Exemples : envoi d'un ambassadeur, conclusion d'un traité…

    Il faut qu'il n'y ait aucun doute sur cette reconnaissance implicite : la volonté de reconnaître doit être incontestable.
    La participation d'une entité à une organisation internationale n'implique pas la reconnaissance de cette entité comme un État par les États membres.

C – Caractère discrétionnaire de la reconnaissance

1) Principe : la liberté de reconnaître

Les États n'ont aucune obligation de reconnaître.

Les États sont reconnus ou non reconnus essentiellement pour des raisons politiques.

Les États peuvent même reconnaître un autre État de manière anticipée, alors que les conditions ne sont pas encore réellement réunies : on parle de reconnaissance prématurée.
Ces reconnaissances étaient très fréquentes en matière de décolonisation, pour encourager l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes par les peuples colonisés.
L'État choisit alors le moment de la reconnaissance ; elle produira des effets rétroactifs.


2) Limite : l'interdiction de reconnaître une situation illicite

Il est interdit de reconnaître une situation qui résulte d'un usage illicite de la force.
Par exemple, une annexion.

Cette limite a été initiée par les USA en 1932 suite à la crise de la Mandchourie : on parlait alors de doctrine Stimson.
Idée en 1932 : il ne faut absolument pas admettre la licéité d'une situation ni reconnaître tout traité ou accord conclu avec ce nouvel État, parce que cette situation porte atteinte à l'intégrité de la République de Chine.

On retrouve cette règle dans de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations unies.
La résolution 2625 de l'AGNU stipule notamment :
"Aucune acquisition territoriale résultant de la menace ou de l'emploi de la force ne saurait être reconnue".

Exemple : résolution 662 du Conseil de sécurité sur l'annexion du Koweït par l'Irak.
Exemple : résolution 12458 de l’AGNU sur l'annexion de l'Ukraine par la Russie (octobre 2022).

Cette règle est aussi formulée à l'article 41 du Projet d’articles sur la responsabilité internationale de l'État (projet élaboré par la CDI en 2001).

Section 2 : Le statut de l'État

§ 1. Un sujet de droit

A – Personnalité juridique

1) Un sujet de plein droit

L’État est un sujet de plein droit : sa personnalité ne lui est conférée par aucun acte de droit international.
L'Etat est donc un sujet primaire / un sujet originaire du droit international public (c'est le seul !).

Il n'est jamais l'objet de normes qui traiteraient de lui sans s'adresser à lui : il est le destinataire de ces normes en tant qu'elles affectent toute sa situation juridique.


2) Un être corporatif

L'État est aussi un être corporatif : c'est une personne morale qui n'agit que par l'intermédiaire de ses composantes qu'il englobe et dépasse.
Autrement dit, il constitue un corps distinct de chacun de ses organes et éléments constitutifs.

Cela a 2 conséquences :

  1. L’imputation de l'acte des agents à l'État : les agents agissent au nom de l'État et leur identité importe peu.
  1. La permanence de l'État, indépendamment des mutations internes.
    On parle de principe de l'identité dans le temps de l'État, aussi appelé principe de la continuité de l'État.

B – Capacité juridique

L’État bénéficie aussi d'une pleine capacité juridique.
La capacité, c'est le pouvoir de s’engager (
capacité substantielle) et la capacité de réclamer (capacité processuelle).

1) Capacité substantielle de l’État

L'État est le 1er producteur des règles de droit.
Tous les États sont capables de conclure des traités, par lesquels ils pourront s'autolimiter par leur propre consentement.

A chaque fois que l'État exerce sa capacité substantielle en s'engageant internationalement, il ne limite pas sa souveraineté : il en tire simplement les conséquences.

CPJI, 1923, Affaire du Vapeur Wimbledon :
La conclusion d'un traité par lequel un État s'engage à faire ou à ne pas faire quelque chose n'est en aucune manière un abandon de souveraineté. Ce n'est pas davantage une limitation de souveraineté.
En effet, la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de l'État !

L'État est l'auteur de tous types d'actes (conventionnels, coutumiers, unilatéraux…).


2) Capacité processuelle de l’État

L’État a aussi une pleine capacité processuelle : il peut faire respecter ses droits.

Les États disposent tous d'un pouvoir de légation.
> Pouvoir de légation positif : droit d'envoyer des représentants.
>
Pouvoir de légation négatif : droit de recevoir les représentants des puissances étrangères.

Il peut recourir à des modes de règlement alternatifs des différents.
Il peut introduire des actions contentieuses devant une juridiction internationale.

La seule limite est le respect du principe du consensualisme.
Il n'existe pas de juridiction obligatoire : il faut que le demandeur et que le défendeur acceptent dans les mêmes termes, pour le même différent, de soumettre ce différend à la compétence d'une juridiction.

§ 2. Un souverain

L'État bénéficie de la souveraineté.

A – Définition

L’article 2 §1 de la Charte des Nations unies, qui reprend le Pacte de la Société des Nations, prévoit que l'organisation est fondée sur l'égalité souveraine de tous ses membres.

De la même manière, la résolution 2625 de l'AGNU rappelle que :

"Tous les États jouissent de l’égalité souveraine. Ils ont des droits et des devoirs égaux et sont des membres égaux de la communauté internationale, nonobstant les différences d’ordre économique, social, politique ou d’une autre nature."

Fondamentalement, la notion de souveraineté peut prendre de nombreux sens différents, selon que l'on se place dans l'ordre interne ou dans l'ordre international :

1) Souveraineté interne

Au regard du droit interne, la souveraineté est le pouvoir suprême.
L’État souverain est plus puissant en droit qu'aucune de ses collectivités publiques et qu'aucun de ses sujets.


2) Souveraineté internationale

Dans la sphère internationale, la souveraineté est le droit de ne pas être soumis.
Une puissance est souveraine quand elle n’est soumise à aucune autre.
En droit international, le souverain admet des égaux.

L’État est souverain parce qu'il n'existe aucune autorité qui lui soit supérieure : il n'est le sujet de personne.

Toutes les règles de droit international s'expliquent par la souveraineté.
Par exemple, les règles entre États doivent être négociées parce qu'ils sont égaux → l’État n'est jamais soumis à une chose quand il ne l'a pas acceptée.

La souveraineté a un corollaire : le principe d'égalité entre États :

B – Égalité entre États

1) Principe

En droit international, aucun État n'est légalement supérieur à un autre.

La souveraineté est essentiellement territorialisée.
La souveraineté, ce n'est pas le pouvoir de faire tout ce que l'on veut ; la souveraineté, c'est davantage la faculté de faire ce qui est compatible avec l'égale souveraineté des autres États.
→ Ce qui est permis, c'est ce qui n'est pas contraire aux droits des autres États.

L’article 4 de la Convention de Montevideo (1933) qui concerne les droits et devoirs des États stipule que :
"Les États sont juridiquement égaux, ils jouissent de droits égaux et ont une égale capacité pour les exercer. Les droits de chaque État ne dépendent pas du pouvoir dont il dispose pour en assurer l'exercice, mais du simple fait de son existence comme personne du Droit international."

La souveraineté masque les inégalités de puissance.
Elle permet la coexistence entre des États puissants et des États qui ne le sont pas.

C'est une égalité juridique, et non une égalité factuelle : les États savent qu'ils ont des inégalités de puissance, mais la souveraineté vient les neutraliser.

Parfois, on trouve des "inégalités" juridiques entre États, lorsqu'on accorde plus de droits à un État qu'à un autre dans un régime conventionnel.
Exemple : le Conseil de sécurité de l'ONU est composé de 15 membres dont seulement 5 ont un droit de véto, alors que l’ONU compte 193 États membres.
Exemple : à l'OMC, des États peuvent bénéficier d'un régime préférentiel en raison de leur niveau de développement.

Les États peuvent donc mettre en place des régimes déséquilibrés, mais parce qu'ils y ont consenti.

Concrètement, cette égalité se manifeste à travers un certain nombre de règles :


2) Exemptions et immunités

La souveraineté est l'impossibilité de soumettre.
Les exemptions et les immunités en sont une conséquence, parce qu'elles empêchent un État d'appliquer son droit national.

Les rapports entre États sont exclusivement régis par le droit international, qui est un droit consenti.
Les États peuvent agir sur le territoire d'un autre État (par exemple, lorsqu'ils ont une ambassade, un ministre en déplacement…).
Dans ces cas-là, le droit interne des États s'adapte, et parfois ne s'applique pas, pour respecter la souveraineté.
→ Les exemptions et les immunités soustraient au droit national certaines situations qui concernent les États.

Normalement, le droit d'un État est d'application territoriale : le droit de l'État s'applique sur le territoire de l'État.
Cette situation n'est pas compatible avec la souveraineté, donc le droit international a prévu un régime d'exemptions et d'immunités.

L'exemption consiste à soustraire un État étranger aux règles substantielles dont l'application serait incompatible avec l'exercice de fonctions étatiques.

L'exemption porte sur des règles de fond : on considère qu'il est impossible d'appliquer la loi d'un autre État à un État étranger ou à ses agents.

Un exemple d’exemption est l'impossibilité d'imposer les agents diplomatiques et consulaires.
De la même façon, les militaires en stationnement sur un territoire national relèvent du droit de leur État.

Il existe aussi des exemptions pour les lieux.
Par exemple, il existe une règle d’inviolabilité des locaux diplomatiques : l'ambassade, le consulat… sont protégés de l'application des règles territoriales afin de permettre l'exercice de sa puissance par l'État.

CIJ, 1980, Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran :
En 1979, des groupes d'étudiants entrent dans l'ambassade américaine à Téhéran et prennent en otage le personnel diplomatique. Le gouvernement iranien ne fait rien.
La CIJ est saisie et rappelle que l'État iranien, en tant qu'État accréditaire (= qui héberge les agents consulaires), a l'obligation de prendre des mesures appropriées pour protéger l'ambassade.

Ces règles existent pour protéger la souveraineté.

Il y a aussi des exemptions pour les biens.
Ainsi, les navires et aéronefs de guerre bénéficient d'une exemption quasi absolue et d'une inviolabilité totale.
Ce principe a été rappelé dans 2 ordonnances du Tribunal international du droit de la mer dans l'affaire de l’Ara-Libertad et dans l'affaire relative à l’immobilisation de 3 navires ukrainiens.

TIDM, 2019, Immobilisation de trois navires militaires ukrainiens (Ukraine c. Fédération de Russie) :
Le tribunal explique que le navire de guerre est l'expression de la souveraineté de l'État dont il bat pavillon. Il est protégé de toute mesure susceptible de nuire à la dignité et à la souveraineté de l'État.


Les immunités sont des exceptions procédurales.
L'immunité permet de soustraire l'État et ses agents des voies légales.

Autrement dit, c'est une forme particulière d'exemption en ce qu'elle empêche l'application des règles nationales relatives à la compétence des juridictions et des mesures d'exécution forcée.
→ Le droit de l'immunité régit uniquement l'exercice du pouvoir de juridiction de l'État.

L'immunité s’exprime au stade de la procédure.
Concrètement, elle se traduit par une décision d'irrecevabilité.

CEDH, 2001, Al-Adsani c. Royaume-Uni :
Il faut considérer l'octroi d'une immunité non comme un tempérament à un droit matériel, mais comme un obstacle procédural à la compétence des cours et tribunaux pour statuer sur ce droit.

On distingue 2 principaux types d'immunités, qui n'obéissent pas aux mêmes règles :

  1. L’immunité de juridiction ;
  1. L’immunité d’exécution.

L’immunité de juridiction concerne l'exercice du pouvoir juridictionnel par l'État national.
Elle concerne toutes les mesures d'exécution forcée et l'exercice de tout pouvoir de contrainte.
Ses règles sont coutumières ; un projet de codification a été lancé en 2004, mais la convention n'est jamais entrée en vigueur.

Dans le droit interne français, on retrouve uniquement les immunités dans la jurisprudence, et non dans la loi → la France a laissé la détermination exacte des immunités aux juges.

Exemple : Cour de cassation, 1849, Gouvernement espagnol c/ Lambège et Pujol :
La Cour de cassation explique que l'indépendance réciproque des États est “l'un des principes les plus universellement reconnus en droit des gens” (= droit international).
Elle déduit qu'il résulte de ce principe qu'
un gouvernement ne peut pas être soumis, pour les engagements qu'il contracte, à la juridiction d'un État étranger.

L'immunité de juridiction de l'État s'applique à l'État, mais aussi à ses organes, à ses services centraux et à ses émanations.
💡 L'immunité de juridiction s'applique quand on souhaite attaquer l'État en justice.

On distingue entre 2 types d’actes :

  1. Les actes jure gestionis = de l’État commerçant → l’État se comporte comme une personne privée.
  1. Les actes jure imperii = de l’État souverain → l’État fait usage de ses prérogatives de puissance publique.

On réserve l’immunité de juridiction aux actes jure imperii, c'est-à-dire aux actes accomplis par l'État en tant que souverain.

Par exemple, un ébéniste engagé pour réaliser des meubles dans une ambassade et que l'État ne paie pas peut attraire l’État en justice.
Dès lors que l'État agit comme un particulier, il n'y a pas d'immunité.

Exemple : la décision de créer la Sorbonne Abu Dhabi est lié au service public de l'éducation et est donc un acte non détachable de l'État → acte jure imperii → immunité de l’État.

La difficulté se trouve donc dans le fait de savoir si l'on est dans un acte de prérogative de puissance publique.
On regarde l'activité ou le contrat mis en cause : est-ce que le contrat contient des clauses exorbitantes du droit commun ? ou est-ce qu’il s’agit d’un rapport de droit privé ?

On prend aussi en compte la nature de l'activité.
Par exemple, une standardiste peut être employée par n'importe quelle personne ; mais la traductrice de documents officiels ou le comptable qui engage les finances publiques sont dans un rapport spécial avec l'État.

Les juridictions françaises ont déjà reconnu l'immunité d'État à des États qui n'étaient pas reconnus par la France, parce que l'immunité découle de la souveraineté.
Des juridictions ont donc déjà déclaré des requêtes irrecevables parce que le défendeur était un État, alors même que cet État n'était pas reconnu par la France.

L'immunité de juridiction vaut aussi pour les agents de l'État, à raison de leur fonction et de leur qualité.
Cette immunité qui s'attache à un agent est appelée immunité personnelle.
💡 Ici, on attaque une personne.

Ainsi, y a de très nombreux exemples où ont été recherchée devant les juridictions françaises la responsabilité de chefs d'États.

Cour de cassation, 2010, Kadhafi :
”La coutume internationale qui s'oppose à la poursuite des États devant les juridictions pénales s'étend aux organes et entités ainsi qu'à leurs agents à raison d'actes qui relèvent de la souveraineté de l'État”.

Tous les agents ne vont pas avoir la même immunité.
L'immunité est totale pour le chef de l'État et le chef de gouvernement.

Il faut s'intéresser à la qualité des agents : on regarde quelles sont les fonctions et s’il a besoin, pour l’exercice de ces fonctions, d'une immunité à l'étranger.
L'immunité vaut généralement pour la durée des fonctions et s'arrête après
→ l'immunité n'est pas synonyme d'impunité.

On a des immunités très importantes pour les membres des missions diplomatiques.
L'ambassadeur a l'immunité la plus importante ; l'immunité sera moins importante pour le consul et le personnel consulaire.

L'immunité protège l'agent en tant qu'il personnifie l'État.
Elle couvre tous ses actes, y compris les actes privés.

L'immunité d'exécution protège l'État contre toutes les opérations matérielles qui comportent un élément de contrainte avec l'exercice de la puissance souveraine.
Autrement dit, il n'y a pas de voies d'exécution pour les États étrangers.
Elle vaut aussi pour les agents.

À l'origine, l'immunité d'exécution était absolue : on considérait qu'elle était celle qui devait être la plus importante, puisque l'atteinte à la souveraineté était plus grave.
Idée : saisir les biens de l'État, c'est plus grave que de laisser sa juridiction trancher un différend.

Cependant, on a choisi de distinguer certains biens.
Cour de cassation (Civ. 1), 1984, Eurodif :
On considère que les biens qui, par origine ou destination, revêtent un caractère privé ne peuvent pas bénéficier de l'immunité d'exécution.

Imaginons que la France ait une dette envers Mathieu, de nationalité équatorienne.
Mathieu a un titre de créance contre la France.
Peut-il demander à saisir les biens de l'université Paris 1 ? Non, parce que c'est un bien affecté à un service public non commercial.
→ À chaque fois, il faut aller vérifier à chaque fois sert le bien.

Il faut vérifier que le bien que l'on veut saisir relève d'une activité économique et commerciale d'une personne privée.
La Cour de cassation a affirmé qu'on ne pouvait jamais saisir les sommes présentes sur les comptes bancaires des missions diplomatiques, qui sont présumées servir aux besoins de la mission de souveraineté de l'État.

La renonciation :

Est-ce que l'État peut renoncer à ses immunités ?

Oui, la renonciation est toujours possible.
Il faut ici distinguer l'immunité de l'État de l'immunité des agents :

Immunité de l'État :

  • La renonciation se fait par un acte unilatéral ou collectif.
  • La renonciation à l’immunité de juridiction peut être expresse ou implicite.
  • La renonciation à l’immunité d'exécution doit être expresse.

Immunité des agents :

  • La renonciation se fait par un acte unilatéral ou collectif.

    Exemple de renonciation par un acte collectif :
    L’article 27 du Statut de la Cour pénale internationale prévoit que les personnes ne peuvent pas invoquer leur immunité devant la Cour pénale internationale (mais seulement pour les États qui sont parties).

  • Seul l'État peut renoncer à l'immunité de ses agents et représentants.

On a ainsi vu le droit positif ; mais ce droit positif est aujourd'hui remis en cause.
En effet, le droit des immunités entre en contradiction avec certains droits de l'homme.
Les immunités peuvent-elles toujours jouer dans toutes les situations, ou est-ce que dans certains cas, en raison de certains droits, les États seraient privés de leurs immunités ?

Fondamentalement, l'immunité empêche une juridiction d'examiner l'affaire au fond.
Cela rentre immédiatement en contradiction avec le droit à un tribunal et le droit à un procès équitable.
Cela entre aussi en contradiction avec les règles de
jus cogens, qui sont certaines règles dont on dit qu'elles ont une nature particulière en raison de leur importance.

Rapport entre les immunités et les règles de jus cogens :

💡
Exemple de règle de jus cogens : l’interdiction de la torture.

C'est sur ce point que le droit coutumier est le plus remis en cause par la pratique de certains États.
Par exemple, les États-Unis ont modifié leurs lois sur les immunités pour inclure des exceptions à l'immunité lorsque l'État a violé les normes relatives aux droits de l'homme ou à l'ordre public en matière de terrorisme. L'Italie en a fait de même.
→ Mouvement de contestation des juridictions nationales.

Cela a donné lieu à 2 arrêts :

  1. CIJ, 2012, Immunités juridictionnelles de l'État (Allemagne c. Italie) :

    Après 1943, l'Allemagne a occupé une partie de l'Italie, où ses troupes ont commis des exactions.
    Des dispositifs ont été mis en place pour indemniser les victimes, et notamment pour les personnes qui avaient été soumises à un service de travail obligatoire.
    Cependant, certains ressortissants italiens n'entraient pas dans les critères ; ils saisissent les juridictions italiennes et obtiennent gain de cause → condamnation de l'Allemagne avec saisie des biens détenus sur le territoire.

    Cela Donne lieu à un différend diplomatique entre l'Allemagne et l'Italie. L’affaire est portée devant la CIJ.
    L’Allemagne est-elle en droit d'invoquer les immunités alors que sont en cause la violation de règles de
    jus cogens ?
    L’Allemagne soutient que oui : les règles d'immunité s'appliquent en tous lieux et pour tous les faits ; au contraire, l'Italie soutient que quand sont en cause des règles de
    jus cogens, alors la règle des immunités ne doit pas jouer.

    Dans sa décision, la CIJ reprend tout le régime des immunités.
    Elle rappelle que ce sont des règles de droit coutumier ; que l'État bénéficie d'une immunité de juridiction restreinte ; elle distingue les actes
    jure imperi et jure gestionis.
    Elle explique que ces expressions n'impliquent pas que les activités soient licites, mais indique seulement qu'elles doivent être appréciées au regard des règles régissant l'exercice du pouvoir souverain :
    > est-ce que ce sont des actes que seul un État souverain fait ? ou
    > est-ce que ce sont des actes régissant des rapports d'ordre privé ou commercial ?

    L’immunité ne joue que pour les actes jure imperi ; or l'activité d'une armée est toujours un acte d'un souverain → on entre ici dans le cadre de l'immunité jure imperi.

    La Cour conclut qu'en l'état actuel du droit international coutumier, un État n'est pas privé de l'immunité pour la seule raison qu'il est accusé de violations de violations graves du droit international des droits de l'homme ou du droit international des conflits armés.
    → Pas d'exception tirée de la violation des règles de jus cogens.

    Ce qui est intéressant dans cette décision, c'est que la CIJ explique son raisonnement : elle explique la relation entre la norme de jus cogens et celle de l'immunité.
    Elle explique que l'immunité de juridiction est une règle procédurale, alors que la norme de jus cogens est une règle de fond (= qui prohibe certains comportements) → ces 2 normes ne peuvent jamais entrer en conflit.

  1. CEDH, 2001, Al-Adsani c. Royaume-Uni :
    Un ressortissant britannique et koweïtien retourne au Koweït pour défendre le pays contre l'Irak. Il y reste et détient des cassettes vidéos compromettantes qui mettent en scène un cheik apparenté à l'émir du Koweït. Le contenu de ces cassettes vidéo est rendu public et M. Al-Adsani est tenu pour responsable.
    Il est détenu, torturé et battu, puis relâché après avoir signé des faux aveux. Ensuite, il est conduit une nouvelle fois dans une voiture officielle dans un palais de justice où il est torturé.
    Il finit par s'échapper et il veut obtenir réparation devant les juridictions britanniques, mais celles-ci appliquent la règle de l'immunité et refusent de statuer sur le fond.

    Il décide de saisir la CEDH pour savoir si le Royaume-Uni, en appliquant la règle des immunités, a violé ses obligations au titre de l'article 3 de la CEDH.

    La CEDH considère que l'interdiction de la torture est une règle de jus cogens, mais elle considère qu'il est impossible de conclure de la pratique qu'une violation de cette pratique empêcherait l'application de l'immunité.
    Ainsi, il n'y a pas d'exception à la règle de l'immunité de l'État quand sont en cause la violation de règles de jus cogens.

Qu'en est-il quand l'action est dirigée contre un agent de l'État ?
La tendance générale va plutôt dans le sens d'une absence d'exception.

Il existe quelques exceptions (par exemple, l'affaire Pinochet auprès de la Chambre des Lords), mais elle ne sont pas assez nombreuses pour modifier la règle coutumière.
S'il y a une contestation, celle-ci n'a pas remis en cause le droit coutumier, mais ça pourrait être le cas à l'avenir !

Par exemple, en France : Cour de cassation (Crim.), 2001, Kadhafi :
La coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'État puissent, en l'absence de disposition internationale contraires, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un autre État.
La chambre criminelle ajoute que c'est à la communauté internationale de fixer les limites à la règle d'immunité des agents, notamment lorsqu’elle peut être confrontée à d'autres valeurs reconnues par cette communauté.

Rapport entre les immunités et le droit à un procès équitable :

Comment se concilient l'immunité et les exigences du droit d'accès à un tribunal (reconnu par le droit international) ?

Les règles en jeu ici sont de mêmes natures : ce sont des règles de procédure, de sorte qu'elles peuvent pas entrer en contrariété.
Problème : il n'existe pas de principe hiérarchique pour savoir laquelle des 2 règles prime.

CEDH, 2001, Al-Adsani c. Royaume-Uni :
Cette question se posait également dans l'affaire Al-Adsani → la CEDH a vérifié si l'État avait méconnu sa marge de manœuvre.
En effet,
l'article 6 de la Convention EDH admet des limitations au droit à un procès équitable, mais précise qu’il faut que ces limitations poursuivent un but légitime et qu'elles soient proportionnées (elle retient que ces limitations ne doivent pas atteindre la substance même du droit).

Elle relève que l’application de l'immunité favorise la courtoisie et les bonnes relations entre États → appliquer la règle des immunités poursuit un but légitime.
Elle vérifie ensuite que cette application est proportionnée au cas d'espèce (→ contrôle de proportionnalité).

Exemple : CEDH, 2010, Cudak c. Lithuanie :
Était en cause le licenciement d'une secrétaire et standardiste de l'ambassade de Pologne à Vilnius. Les juridictions lithuaniennes ont appliqué la règle des immunités.
La CEDH vérifie quelles étaient les fonctions de Mme. Cudak : elle s'aperçoit qu'elle ne remplissait pas de fonctions qui relèvent de l'exercice de la puissance publique → l’immunité ne s’applique pas.
La CEDH conclut qu’il y a eu ici violation de
l'article 6 de la Convention EDH, parce que le droit international n'obligeait pas l'Etat à reconnaître l'immunité → atteinte à la substance même du droit.

À chaque fois que l’on met en balance la règle des immunités et le droit à un procès équitable garanti par l'article 6, la CEDH vérifie quel est le but poursuivi et quelle est la teneur du droit international.
Si le droit international n'obligeait pas l'État à appliquer la règle des immunités, alors la CEDH considère qu'il y a une violation de l'article 6.

De la même manière, les juridictions françaises considèrent que l'octroi d'une immunité conformément au droit international ne constitue pas une restriction au droit d'un particulier d'avoir accès un tribunal.


3) Non-ingérence

Le principe de non-ingérence, ou principe de non-intervention, constitue une autre règle particulièrement importante du droit international.

Le principe de non-ingérence est un devoir d'abstention des autres États.

Cette règle est rappelée à de très nombreuses reprises.
Par exemple,
l'article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations unies prévoit qu'aucune disposition de la Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État.

Le principe de non-intervention est souvent utilisé comme synonyme du principe de non ingérence. Pourtant, on les distingue, puisque ces deux principes ne protègent pas la même chose :

  • Le principe de non-intervention protège l'État d'une intervention sur son territoire.
    Il est lié à l'intégrité territoriale de l'État.
  • Le principe de non-ingérence protège l'indépendance de l'État.

Souvent, le même comportement viole les 2 principes.

Le principe de non-intervention interdit à un État de méconnaître l'intégrité territoriale d'un autre.
L'intervention implique un élément matériel : il y a une contrainte directe ou indirecte qui constitue une violation de l'interdiction du recours à la force.
On lie directement l'article 2 paragraphe 4 au principe de non intervention.

La résolution 2625 rappelle le principe que les États s'abstiennent, dans leurs relations, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale, soit contre l'indépendance politique.

Ces règles ont une valeur coutumière.
Cette valeur coutumière a été affirmée par la CIJ en 1986 :

CIJ, 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique) :
Paragraphe 202 de la décision.
Pendant la guerre froide, une politique interventionniste américaine veut éviter que des gouvernements communistes ne s'installent sur le continent américain.
Un changement politique au Nicaragua déplaît aux États-Unis et un mouvement d'opposition tente de renverser le régime politique.
Des contras, des groupes armés militaires composé de nicaraguayens et largement financés, entraînés et équipés par les États-Unis, agissent depuis la frontière pour renverser le gouvernement en place.
La CIJ devait ici vérifier si les actes de ces contras sont imputables aux États-Unis.

La CIJ tient pour établi que le président des États-Unis a autorisé un organisme gouvernemental américain à aider à poser, ou à poser directement, des mines dans des ports du Nicaragua. Ces mines ont été posées sous la supervision et avec l'appui d'agents des États-Unis.
Y a-t-il violation du principe de non-ingérence ?

La CIJ explique que ce principe interdit à tout État ou à tout groupe d'État d'intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre État.
Elle précise que l'intervention interdite doit porter sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté de l'État permet à chacun d'eux de se décider librement ; par exemple, le choix du système politique, économique, social et culturel, ou encore la formulation des relations extérieures.

La CIJ conclut que le fait de poser des mines était nécessairement contraire à la souveraineté du Nicaragua. Elle ajoute que le gouvernement américain, par son soutien, entendait exercer une pression sur le Nicaragua dans les domaines où chaque État jouit d'une liberté de décision.

Donc quand un État apporte son appui à des bandes armées qui visent à renverser un gouvernement, cela équivaut à violer le principe de non-ingérence, et ce quel que soit le but politique recherché par l'État.

Cette décision mêle l'intervention et l'ingérence.
Il faut retenir que la non-intervention protège l'intégrité du territoire, tandis que la non-ingérence protège le domaine réservé de l'État et ses affaires intérieures (définies par la Cour comme "les matières dans lesquelles l'État est libre de se décider").
💡 Le domaine réservé de l'État correspond à toutes les matières dans lesquelles il n'a pas souscrit d'engagement international.

Comment savoir si une matière entre ou non dans le domaine réservé d’un État ?
CPJI, 1923, Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc (avis) :
C’est une question essentiellement relative, qui dépend du développement des rapports internationaux.

Le champ d’application du principe de non-ingérence :

Toutes les ingérences ne sont pas illicites : elles ne sont illicites que quand elles portent atteinte à une liberté d'un État (par exemple, le libre choix de son régime politique économique et social).
→ L’ingérence est illicite si elle porte sur un domaine où l’État reste libre.

La violation du principe de non-ingérence implique la violation d'un autre droit : le droit du non recours à la force, le droit à l'autonomie constitutionnelle…

L'ingérence n’est illicite que quand elle utilise des moyens de contrainte.
C'est une question de seuil qu'il est difficile d'appréhender : en effet, dans les relations internationales, il y a systématiquement des pressions exercées (oppositions idéologiques…).

Exemple : le droit international public, en tant que tel, n'impose pas à un État d'être démocratique, mais les États démocratiques ont érigé la démocratie comme étant le modèle que l'État doit suivre et exercent des pressions sur les autres États pour qu’ils organisent ainsi leur pouvoir politique.

Rien n’interdit à un État d’exercer une certaine influence sur un État tiers pour tenter d’orienter son comportement.
Il peut donc être difficile de déterminer au cas par cas s'il y a violation du principe de non-ingérence.

L'ingérence peut aussi être immatérielle ou verbale, sans forcément impliquer une atteinte au territoire de l'État ; par exemple, une influence sur le processus électoral.
Ainsi, lors des élections présidentielles de 2016 aux États-Unis, le président sortant Barack Obama avait pris des mesures de rétorsion en procédant à l'expulsion de diplomates russes.

Les sanctions, qui visent à faire pression sur l’État ou sur les personnes proches du gouvernement pour le pousser à modifier son comportement (sur l'organisation d'élections, sur l’organisation de son pouvoir politique…) ne sont pas nécessairement illicites.

L’ingérence vise à protéger le statut d’État.
Il y a donc ingérence dès lors que l'on porte atteinte au statut de l'État, c’est-à-dire dès lors qu'il y a une contrainte forte sur l'État et qu'il ne peut plus agir autrement.

Existe-t-il des cas où il y aurait une autorisation de s'ingérer, ou même une obligation d'intervenir ?

Parfois, des États justifient une atteinte au principe de non-ingérence par des raisons humanitaires ; par exemple, parce qu'il y a des suspicions de crimes contre l'humanité, ou encore parce que leurs ressortissants sont visés sur le territoire.

CIJ, 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique) :
La CIJ rappelle que le droit international contemporain ne prévoit aucun droit général d'intervention en faveur de l'opposition existant dans un autre État.
"L'intervention est illicite lorsque à propos de ces choix [du système politique, économique, social et culturel et de la formulation des relations extérieures], qui doivent demeurer libres, elle utilise des moyens de contrainte".
“Cet élément de contrainte, constitutif de l'intervention prohibée et formant son essence même, est particulièrement évident dans le cas d'une intervention utilisant la force, soit sous la forme directe d'une action militaire soit sous celle, indirecte, du soutien à des activités armées subversives ou terroristes à l'intérieur d'un autre État”.
Cela se comprend vis-à-vis de la souveraineté de l'État.

Section 3 : Les compétences de l'État

Les compétences sont un pouvoir juridique conféré ou reconnu par le droit international à un État afin de connaître d'une affaire, de prendre une décision ou de régler un différend.

Les compétences s'exercent principalement dans un espace donné : elles se rattachent toujours à un espace territorial. Cet espace peut être le territoire d'un État, mais aussi un territoire qui n'appartient à aucun État (= une zone internationale).

Il existe 3 principaux types de compétences que l'État peut invoquer pour justifier son action :

  1. La compétence territoriale : l'État compétent est l'État sur le territoire duquel se trouve la situation ;
  1. La compétence personnelle : l'État compétent est l'État dont la personne concernée est le ressortissant ;
  1. La compétence universelle : l'État peut agir hors de son territoire et hors de ses sujets.

Cela implique nécessairement que les États invoquent des titres de compétence pour agir.
Cela implique également l'existence de conflits de compétence.

Le droit international public a donc prévu des règles de distribution des compétences relatives à la compétence des États.
Ces règles dépendent fondamentalement d'une certaine conception de la souveraineté.

→ Pourquoi et comment un État doit-il se soumettre au droit international pour pouvoir agir ?

§ 1. La théorie de l’autolimitation de l’État : la conciliation entre statut et qualité de souverain

A – Notions

La souveraineté exclut la soumission d'un État à un ordre juridique interne, mais la souveraineté est compatible avec la soumission à un droit produit par une action commune.

C'est là qu'intervient la notion clé de l'autolimitation, qui permet de concilier le statut de souverain avec sa soumission au droit international public.

Ici, on ne parle pas du fondement du droit international : on se contente d'expliquer comment un souverain est soumis au droit international à travers la notion d'autolimitation.

L'autolimitation, c'est le fait de n'obéir qu'à des normes qu'on s'est données à soi-même.
Si l'État peut s'autolimiter, c’est parce qu'il est souverain : comme il est souverain, il peut choisir en pleine opportunité les situations et les obligations qu'il veut respecter.
Les États ont donc une liberté d'agir à leur convenance dans les limites qu'ils se sont fixés.

Il résulte de ce principe d'autolimitation que le droit international consiste, pour chaque État, en la somme des restrictions qu'il consent.
Autrement dit, l’État a une véritable liberté d'agir, hormis les règles prohibitives qui protègent le statut de l'État.

B – Une présomption de liberté

Il existe donc une présomption de liberté en droit international.

L’arrêt fondateur, très important en la matière, a été rendu dans l’affaire du Lotus :
CPJI, 1927, Affaire du "Lotus" (France c. Turquie) :
En 1926, il y a une collision entre un navire français, le Lotus, et un navire turc en haute-mer.
L’équipage français sauve les membres de l'équipage turc, dont 8 meurent, et poursuit sa route jusqu'à Constantinople.
L'officier et le capitaine français sont arrêtés par la police turque. Les autorités françaises protestent et demandent la restitution des 2 hommes pour les juger elles-mêmes.

La France soutient que le seul État compétent est l'État français, parce que c'est l'État de nationalité et de pavillon du navire. Elle considère qu'elle a un titre de compétence. Elle soutient que les autorités turques peuvent agir à la condition qu'elles prouvent qu'elles ont un titre de compétence.
La Turquie soutient que rien ne lui interdit d'agir – il n'y a aucune règle qui prohibe son action et elle peut donc être compétente pour juger.

L'affaire va devant la CPJI, qui explique que :
"Le droit international régit les rapports entre des États indépendants. Les règles de droit liant les États procèdent donc de la volonté de ceux-ci, volonté manifestée dans des conventions ou dans des usages acceptés généralement comme consacrant des principes de droit et établis en vue de régler la coexistence de ces communautés indépendantes ou en vue de la poursuite de buts communs. Les limitations de l’indépendance des États ne se présument donc pas".

Ici, la Cour adopte une approche très volontariste et répond à la question qui lui est posée.
Elle affirme que "la limitation primordiale qu’impose le droit international à l’État est celle d’exclure – sauf l’existence d’une règle permissive contraire – tout exercice de sa puissance sur le territoire d’un autre État. Dans ce sens, la juridiction est certainement territoriale".

La CPJI retient une présomption de liberté qui ne peut être renversée que par la preuve d'une règle de droit international qui la limiterait.

⚠️ Il ne faut pas déduire de l'affaire du Lotus l'idée que tout ce qui n'est pas interdit est permis.
En réalité, ça n'est pas aussi simple : dans de nombreux cas, on est dans une zone floue.

Exemple : CIJ, 1996, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires (avis) :
La CIJ explique que, compte tenu de l'état actuel du droit international, elle ne peut pas répondre de façon définitive à la question de savoir s'il est licite ou illicite d'utiliser les armes nucléaires.

➡️
En résumé : conséquences sur la conception des compétences de l’État :
  1. Il y a 2 conceptions des compétences : elles découlent de la condition d’État ou d’une habilitation par le droit international public.
  1. La compétence est limitée : soit par une règle prohibitive du droit international public ; soit par une règle spéciale (= une convention).
  1. Solution : l’État doit faire reconnaître son rattachement (personnel, territorial ou matériel) pour pouvoir exercer ses compétences.

§ 2. Les différents titres de compétence

A – La compétence territoriale

Toute activité, quelle qu'elle soit, se situe sur un territoire donné : territoire terrestre, aérien, maritime…
Le territoire est normalement le lieu d'exercice des compétences de l'État, qui a compétence exclusive sur son propre territoire.

Cour permanente d’arbitrage, 1928, Île de Palmas :
”L’État détient sur son territoire le droit exclusif de déployer les activités étatiques”.
”La souveraineté, dans les relations entre États, signifie l’indépendance. L’indépendance relativement à une partie du globe est le droit d’y exercer,
à l’exclusion de tout autre État, les fonctions étatiques.”
”Le développement du droit international a établi le principe de la compétence exclusive de l’État en ce qui concerne son propre territoire”.

Cela est très important, parce que ça montre la plénitude de la compétence territoriale liée à l'exercice de sa souveraineté par l'État.
L’État déploie son autorité sur des personnes, des objets ou des situations en ce que ces éléments sont spatialement rattachés à son territoire.

Sur son territoire, l’État a une compétence exclusive et prioritaire !
Le rattachement territorial est suffisant, puisque c’est une compétence prioritaire.

Ainsi, sur son territoire, l'État a :

  1. La compétence normative, c’est-à-dire la compétence pour édicter des normes.
    Il s’agit de l’exercice de pouvoir législatif + de la compétence juridictionnelle.
  1. La compétence opérationnelle, c’est-à-dire l'exercice par les autorités nationales des pouvoirs de contrainte et de police → fonctions régaliennes.

L’État est pleinement compétent pour toutes ses compétences sur son territoire : il fait ce qu'il veut sur son territoire dans la limite des engagements qu'il a pris.
Ce titre territorial est suffisant + cette compétence est prioritaire (elle prime sur toutes les autres).

Il y a donc une interdiction de l'intervention + un principe de l'inviolabilité du territoire + un droit au respect de son intégrité territoriale.
L'État ne peut pas mener de missions opérationnelles sur le territoire d'un autre État, et ce pour n'importe quelle raison, sans l’accord de cet autre État.
Par exemple, si un État décide à procéder à l'entretien d'une rivière, il ne peut pas intervenir sur le territoire de l'autre État pour enlever des sédiments ou replanter des arbres.

L'exclusivité de la compétence territoriale protège le territoire.
Il faut voir le territoire comme une sorte d'espace sacré qui n'appartient qu'à l'État.

Problème : les États veulent aussi faire produire à leurs législations des effets au-delà de leurs territoires (par exemple, en voulant régir le statut personnel de leurs ressortissants).
Ils vont parfois avoir des buts beaucoup moins nobles, tels que s'ingérer dans les affaires d'un autre État en prenant des législations qui ont des effets au-delà de leurs frontières..

Normalement, les législations qui ont un effet extraterritorial sont interdites par le droit international en raison de l'exclusivité de la compétence territoriale : cette exclusivité a pour conséquence l'interdiction qui est faite aux États de laisser leur territoire être utilisé pour nuire aux autres Etats.
Cette règle est aussi appelée principe de l'utilisation non dommageable du territoire.

CIJ, 1949, Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c. Albanie) :
Un navire anglais explose sous l'effet de mines ; le Royaume-Uni est surpris, parce que normalement le détroit avait été déminé.
Il s'aperçoit que des mines ont été posées dans la mer territoriale de l'Albanie.
Il demande dans un 1er temps à l'Albanie de procéder au déminage et, en attendant, d'indiquer la position des mines, mais l'Albanie ne le fait pas.
Les britanniques décident donc d'entrer dans la mer territoriale pour procéder au déminage.

La CIJ est saisie. Le Royaume-Uni ne conteste pas être entré sur le territoire et y avoir exercé une compétence matérielle.
La Cour retient qu'il y a bien une compétence territoriale de l’Albanie, mais que chaque État doit s'assurer que son territoire ne soit pas utilisé pour nuire à d'autres États.
Elle fixe donc une obligation positive à la charge de l'État de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres États.

Ce principe de l'utilisation non dommageable du territoire est aujourd'hui très important en droit de l'environnement.
→ Au-delà de ses engagements, l'État ne peut pas faire tout ce qu'il veut en droit international.

B – La compétence personnelle

La compétence personnelle est la compétence de l'État envers ses nationaux.
Elle est exclusivement liée à la nationalité ou à un autre lien de rattachement (tel que le pavillon).

La nationalité est un facteur de rattachement presque aussi important que la territorialité.
Ici, la compétence est principalement normative (→ passe par l’édiction d’une règlementation).

En matière pénale, on distingue :

  1. La compétence personnelle active : l’auteur de l’infraction est un ressortissant de l’État ;
  1. La compétence personnelle passive : la victime est un ressortissant de l’État.

Que se passe-t-il en cas de conflit entre compétence personnelle et compétence territoriale ?
Plusieurs titres de compétence peuvent entrer en conflit, par exemple quand un ressortissant étranger commet un crime ou en est victime.

La compétence territoriale est prioritaire : l’État de rattachement ne peut engager de poursuites que si l’État sur lequel l’infraction a été commise ne l’a pas déjà fait.
La compétence personnelle est souvent contestée.

💡 Dans un espace international (par exemple, la haute mer), la compétence personnelle est la seule à jouer : le seul État compétent est l’État de nationalité.

C – La compétence universelle

La compétence universelle permet aux systèmes judiciaires nationaux de poursuivre les auteurs présumés de certains crimes graves quel que soit le lieu où ces crimes ont été commis et la nationalité des auteurs présumés ou de leurs victimes.

Cette compétence est admise dans de très rares hypothèses et de façon subsidiaire.
Elle se justifie par les intérêts en cause :

  • Soit l’État exerce sa compétence dans la protection des intérêts de la communauté internationale dans son ensemble (piraterie, crimes contre l’humanité…) ;
  • Soit l’État exerce sa compétence dans la protection de ses intérêts nationaux.
    Exemple : faux monnayeurs qui agissent depuis l’étranger.

Chapitre 4 : L’application du droit international dans l’ordre interne

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Droit international public (L3).

L'application est une opération juridique qui consiste à établir les effets individuels des règles de droit international.
Autrement dit, c'est une opération juridique par laquelle les sujets se voient opposer les effets individuels de règles internationales.
Cela revient à étudier comment les règles internationales vont produire des effets individuels dans l'ordre juridique interne.

Conseil constitutionnel, 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire :
Rappelle qu'un traité valablement ratifié et entré en vigueur doit être exécuté en France en application de la règle pacta sunt servanda.
→ Le droit international doit être exécuté.

Très souvent, l'exécution d'une obligation internationale implique l'adaptation du droit interne.
C’est ici que le rapport de systèmes apparaît.

Pour le droit international, le droit interne n'est que du fait, et jamais un argument pour ne pas respecter une règle.
L’État doit modifier et supprimer dans son droit interne toutes les dispositions qui sont incompatibles avec ses engagements internationaux.

Pour le droit interne français, il est de jurisprudence constante que divers organes doivent veiller à l'application des conventions internationales ; on fait intervenir pour cela toutes les autorités législatives, politiques et judiciaires.

De plus, le droit international évolue.
Il y a aujourd’hui de plus en plus traités qui confèrent des droits individuels à la personne (traités en matière d'investissements ou en matière de droits de l'homme).
L’État doit donc créer ces droits au profit des personnes dans son ordre juridique interne.

Dès lors, différentes questions se posent :

  • Comment la règle internationale entre-t-elle dans l'ordre juridique interne ?
  • À quelles conditions une règle internationale sera applicable dans l'ordre juridique interne ?
  • À quelles conditions une règle internationale sera invocable dans l'ordre juridique interne ?
  • Quel est le rang interne du droit international par rapport aux autres règles de droit interne ?
💡
Nous allons ici prendre le point de vue du droit français.
Il ne faut pas oublier qu'en général, on laisse les modalités de l'application du droit international aux États.

Section 1 : L'incorporation des normes internationales dans l'ordre interne

§ 1. Analyse théorique

Le dualisme présuppose qu'il y a 2 ordres juridiques : l'ordre juridique international d'un côté et l'autre juridique interne de l'autre.
Le
monisme considère qu'il n'y a qu'1 seul ordre juridique.

La distinction entre dualisme et monisme porte principalement sur les modalités de l’incorporation du droit international dans le droit interne :

  • dans un système dualiste, il y a réception du droit international ;
  • dans un système moniste, il y a un automatisme de l’application du droit international.

A – Le dualisme

Le dualisme suppose la juxtaposition de l'ordre juridique international et des ordres juridiques internes.
Idée : ce sont des ordres juridiques différents, qui dépendent de conditions de validité spécifiques qui s'appliquent à des situations spécifiques.
Dans l'ordre juridique international, les Etats sont principalement destinataires du droit international. Quand le droit international concerne les individus, il les traite davantage comme des objets que comme des sujets ; mais l'ordre juridique international est un ordre principalement étatique.

Il faut un acte de transposition du droit international dans l'ordre juridique interne.
L'acte interne assure la réception du droit international dans le droit interne.
Exemple : une loi de transposition aura un contenu identique à celui du traité, et on appliquera la loi.
Idée : l'acte de transposition est choisi par le droit interne.

B – Le monisme

Le monisme suppose que, dans les 2 cas, droit international et droit interne ont le même objet : il s'agit de régir des rapports sociaux entre les individus, et la source du droit est identique puisqu'il s'agit toujours d'États.
Dans le système moniste, le droit international s'applique immédiatement.
Il y a seulement une clause, généralement dans la Constitution, qui assure une réception automatique du droit international en droit interne.
L'engagement international aura la valeur que lui donne la clause d'adaptation / de réception automatique.

Quelles sont les solutions retenues dans le système français ?

§ 2. Solutions du droit français

Le droit interne français organise la réception du droit international :

A – Le droit conventionnel : article 55 de la Constitution

L'article 55 de la Constitution prévoit que :
"Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie".

À la lecture de ce texte, on considère que la France a adopté un régime moniste : on n'a pas à transposer les traités.

Mais, selon la professeure Daphné Dreysse, il faut relativiser ce monisme, parce que l'article 55 fixe des conditions : il n'y a pas d'application inconditionnelle du droit international.
De plus, la Constitution française ne traite pas du tout de la coutume ni d'autres sources du droit international.

Il n'y a pas de système purement moniste ou purement dualiste.
Les systèmes dualistes prévoient généralement des clauses d'adaptation pour les coutumes.

L'article 55 fixe des conditions et un rang hiérarchique.
Les traités vont pouvoir produire des effets non pas en raison de la validité des procédures internationales, mais en raison des dispositions constitutionnelles.
→ La France semble quand même dualiste.

B – Le droit coutumier : Préambule de la Constitution de 1946 (CE, Aquarone)

Il n'y a qu'1 seule référence constitutionnelle à la coutume internationale : dans le préambule de la Constitution de 1946.
"La République française se conforme aux règles du droit public international".

Conseil d'État, 1997, Aquarone :
Ni l'article 55 ni aucune disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n'implique que le juge fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces 2 normes.
→ La coutume est applicable en droit français tant qu'elle n'est pas contraire à la loi.

Cette solution a été confirmée dans un arrêt de 2011 (Conseil d’État, 2011, Mme. Saleh).

Section 2 : L'applicabilité des normes internationales dans l'ordre interne

§ 1. Pour le droit conventionnel

A – Existence de l’engagement

1) Ratification ou approbation régulière

Il n'y a pas de contrôle de la signature, qui est considéré comme étant un acte de gouvernement
mais il y a un contrôle sur la régularité de la ratification, qui porte à la fois sur l'existence de la ratification (CE, 1956, Ministère chargé des relations avec les Etats associés : le conseil d'état a vérifié si la convention avait été ratifiée, ce qui n'était pas le cas en l'espèce)
donc on vérifie l'existence d'une ratification

le contrôle porte aussi sur la régularité de la ratification, et notamment contrôle sur la coopération entre les différentes autorités législatives et exécutives

Principe : Conseil d’État, 1998, SARL Parc d'activités de Blotzheim :
Le Conseil d’État se reconnaît compétent pour vérifier que la convention a été ratifiée à la suite d'une loi, comme l'exige l'article 53 de la Constitution.

Le contrôle se fait généralement par un contrôle du décret de publication.

Application : Conseil d’État, 2000, Bamba Dieng :
Le Conseil d’État annule le décret de publication d'un accord parce qu'il n'avait pas été soumis au Parlement alors qu'il entrait dans les traités listés à l'article 53 de la Constitution.

Cour de cassation (Civ. 1), 2001, ASECNA :
La Cour de cassation vérifie que les conditions posées par l'article 53 de la Constitution sont remplies et que le législateur est intervenu.
Ça n’était pas le cas en l'espèce → la Cour de cassation a considéré que l'accord n'avait pas été régulièrement ratifié ou approuvé.


2) Publication : décrets du 14 mars 1953 et du 11 avril 1986

Conseil d’État, 1961, Franck :
Le Conseil d’État explique que la publication des traités internationaux constitue une condition de leur entrée en vigueur dans l'ordre juridique interne.

Doivent être publiés au Journal Officiel : le traité dans son intégralité + les réserves + les déclarations interprétatives + l'acte de dénonciation d'un traité.

Aucune condition de délai n’est fixée par les textes : la publication peut être différée dans le temps.
Cependant,
tant que le traité n'est pas publié, il n'est pas applicable et n'entre pas en vigueur dans l'ordre juridique interne.

Le Conseil d'État refuse de prendre en considération les traités non publiés au Journal Officiel, même s'ils ont été publiés par une autre voie.
Il s'agit d'un moyen d'ordre public (le juge doit le soulever d’office).
Les traités doivent aussi être publiés dans la bonne section du Journal Officiel.

L’application d'un traité non publié peut engager la responsabilité pour faute de l'administration.

B – Application de l’engagement

il y a ensuite des conditions qui tiennent à l'application de l'engagement

1) Entre les parties : la condition de réciprocité

Le juge constitutionnel laisse la question de la réciprocité aux juridictions ordinaires.
Il a simplement précisé qu'
il ne faut pas respecter cette condition pour les traités relatifs à l'Union européenne + pour les traités relatifs aux droits de l'homme + pour les traités présentant un caractère humanitaire.
→ Pour tous les autres traités, le juge ordinaire doit apprécier cette condition de réciprocité.

Il y a ici une importante évolution de la jurisprudence : les juges ont d'abord refusé d’exercer ce contrôle, avant de changer d’avis à la suite d’une condamnation de la France par la CEDH.

Conseil d’État, 1981, Rekhou :
Le Conseil d’État s’estime incompétent pour contrôler la condition de réciprocité.
Le juge demande son avis au ministre des Affaires étrangères français, qui lui écrit une note sur le sujet ; le juge se considère ensuite lié par le contenu de celle-ci, parce qu’il se considère incompétent en la matière.

CEDH, 2003, Chevrol c/ France :
Le système mis en place par le Conseil d’État, qui consiste à demander l’avis du ministre, est contraire à l’article 6 de la Convention EDH, qui pose le principe du “droit à être jugé par un tribunal impartial et indépendant”.
Idée : un juge lié par la note d’un ministère n’est plus indépendant ni impartial, parce qu’il n’a pas de recul à l’égard de l’avis qui lui est donné.

Conseil d’État, 2010, Mme. Cheriet-Benseghir :
Le Conseil d’État fait évoluer sa jurisprudence : il se reconnaît enfin compétent pour contrôler l’application réciproque.
Il affirme qu’il n’est désormais
plus lié par l’avis du ministre des Affaires étrangères.

Il estime que le juge administratif doit désormais se former sa propre opinion sur le sujet, en utilisant tous les outils à sa disposition pour obtenir des informations sur l’application réciproque.
Il peut toujours demander son avis au ministre des Affaires étrangères, mais ne s’estime plus lié par celui-ci.
Il peut procéder à l’audition de l’ambassadeur de l’État concerné en France.
Il peut se rendre sur place.

→ Aujourd'hui, ce sont les juridictions qui contrôlent s'il y a bien une application réciproque.


2) Situation de fait

Comment interpréter l'engagement ? Quelle juridiction est compétente pour déterminer la teneur de l'engagement ?

Pendant longtemps, les juridictions refusaient d'interpréter les traités, avant qu’un double revirement n’intervienne :

  1. Conseil d’État, 1990, GISTI :

    La question posée était de déterminer le sens d'une disposition d'un traité bilatéral entre la France et l'Algérie relatif aux bénéficiaires du droit au regroupement familial, et notamment les enfants mineurs.
    L’association requérante considérait qu'il fallait interpréter le père des enfants mineurs selon le Code civil algérien, tandis que l'État français interprétait au sens du droit français.

    Le Conseil d’État demande son avis au ministère des Affaires étrangères et suit son avis, mais en se fondant sur "l'ensemble des pièces du dossier" → il s’estime compétent pour déterminer le sens à donner au traité.

  1. Cour de cassation (Civ. 1), 1995, Banque africaine de développement.

Ainsi, pour le droit conventionnel, il faut bien que ces 3 conditions (ratification ou approbation régulière + publication + réciprocité) soient remplies.
Il y a un contrôle systématique des juridictions pour vérifier qu'elles sont remplies avant d’appliquer le traité à une situation d'espèce.

§ 2. Pour le droit coutumier

La coutume trouve à s'appliquer directement sans conditions (Conseil d'État, 1997, Aquarone).

Les juges civils semblent retenir la même solution :
Cour de cassation (Crim.), 2001, Kadhafi :
La Cour de cassation considère que Kadhafi a le droit d'invoquer devant la juridiction française le droit international coutumier relatif à l'immunité qui protège le chef d'État étranger en exercice.

La seule question pour la coutume est celle de son rang hiérarchique, qui n'est pas précisée par la Constitution → voir section 4.

Section 3 : L’effet direct des normes internationales

§ 1. La définition de l’effet direct

La question de l'effet direct relève du droit interne et est propre à chaque système juridique.
Il s'agit de savoir si une norme internationale peut produire des effets de droit et être invocable directement dans l'ordre interne.

L'effet direct renvoie à l'aptitude d'une norme à créer par elle-même des droits ou des obligations au bénéfice ou à la charge des personnes privées.

L'effet direct est lié à la notion d'invocabilité.
Il y a des débats en doctrine qui visent à distinguer l'effet direct à proprement parler, c'est-à-dire la faculté d'une règle à produire directement des droits et des obligations, et l'invocabilité.

Le juge administratif refuse toute invocabilité d'une norme internationale dès lors qu'elle est dépourvue d'effet direct.
Exemple : Conseil d'État, 1984, Mme Dalton :
Le Conseil d’État explique que l'article 4-4 de la Charte sociale européenne ne produit pas d'effet direct à l'égard des nationaux et en déduit l'impossibilité pour la requérante de se prévaloir de cet article en justice.
Donc, pour le Conseil d'État, effet direct = invocabilité.
Cette solution est ensuite rappelée dans l'arrêt Conseil d'État, 2012, GISTI et FAPIL.

Ce cours étudiera ces notions en même temps, en partant de l’idée que si l’on bénéficie d'un droit, c'est pour pouvoir l'invoquer en justice.

Toutes les normes internationales ne sont pas dotées d'effet direct et ne sont pas invocables en justice.
Par exemple, les résolutions du Conseil de sécurité sont obligatoires pour les États et peuvent produire des effets de droit pour les particuliers, mais n'impliquent pas d'effet direct.
En 2006, la Cour de cassation a expliqué que si les résolutions du Conseil de sécurité s'imposent aux États membres, elles n'ont pas d'effet direct en France ; à défaut, elles peuvent être prises en compte par le juge en tant que faits juridiques.

§ 2. Les solutions du droit positif

Fondamentalement, la question de l'effet direct relève du droit interne, mais elle est aussi prise en compte par le droit international qui a posé des conditions pour qu'une règle soit d'effet direct.

A – Dans l'ordre juridique international

Est-ce qu'un traité peut créer des droits directement dans le chef des particuliers ?
💡 "dans le chef" signifie "dans la personne".

Arrêt fondateur : CPJI, 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig :
Question qui se posait : l'accord conclu entre la Pologne et la Ville de Dantzig relatif aux chemins de fer pouvait-il créer des droits directement invocables devant les tribunaux ?
Des personnes privées invoquaient les dispositions conclues dans le traité devant les tribunaux de Dantzig, mais les tribunaux refusent en retenant que le traité est un accord interétatique et ne peut donc jamais être invocable par un particulier.
→ Un traité peut-il créer des droits pour les personnes privées ?

Aujourd'hui, la réponse est très claire, mais à l'époque ça n'était pas évident ; au contraire, on voyait le droit international comme un droit interétatique qui ne s'adressaient qu'aux États.

Dans un considérant de principe, la CPJI explique que, selon un principe du droit international bien établi, un accord international ne peut pas créer directement des droits et des obligations pour les particuliers.
Cependant, elle rajoute qu'on ne saurait contester que l'objet même d'un accord international, dans l'intention des parties contractantes, puisse être l'adoption de règles créant des droits et des obligations pour les individus et susceptibles d'être appliquées par les tribunaux nationaux.

Donc le principe est clair : le droit international ne crée pas de droits ni d'obligations pour les particuliers ; mais il y a une exception importante : si les parties ont voulu le faire, alors c'est possible.
→ Principe de la liberté des États de s'engager comme ils l'entendent.

Il y a 2 conditions :

  1. L’intention des parties : il faut interpréter le traité pour voir si c'est ce que les États ont voulu faire ;
  1. Les droits et les obligations créés au profit des personnes privées doivent être suffisamment clairs pour être appliqués par les tribunaux nationaux.

CIJ, 2001, LaGrand (Allemagne c. États-Unis d'Amérique) :
L’affaire LaGrand a créé une nouvelle catégorie : les droits individuels internationaux.
Dans cette affaire, qui opposait l'Allemagne aux États-Unis, les frères Lagrand, qui sont des truands ressortissants allemands ayant commis un braquage de banque aux États-unis durant lequel un agent de sécurité meurt, ils sont arrêtés, détenus, jugés et condamnés à la peine de mort aux États-Unis.
Très tardivement, l'Allemagne apprend que ses 2 ressortissants ont été condamnés à la peine de mort ; elle saisit la CIJ parce que les États-Unis ont oublié d'informer l'Allemagne de l'arrestation de ses 2 ressortissants.
Or la Convention de Vienne sur les relations consulaires (1963) prévoit le droit pour toute personne arrêtée à l'étranger d'obtenir une assistance de la part de son État à son article 36 paragraphe 1.

La CIJ a jugé que la formulation de l'article 36 paragraphe 1 est tellement claire que le droit de prévenir son consulat et d'obtenir une assistance est un droit international individuel.
→ Les traités peuvent créer des droits au profit des personnes privées.

💡
Cette évolution se constate même dans la formulation des arrêts de la CIJ : dans les anciens arrêts, on parle "d'individu” pour désigner un particulier ; aujourd’hui, on parle de "personne privée".

B – Dans l'ordre juridique français

Le droit français distingue entre les traités et les coutumes.

1) Les traités internationaux

Conseil d'État, 2012, GISTI et FAPIL :
Les stipulations d'un arrêt ou accord régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution peuvent utilement être invoquées à l'appui d'une demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l'application d'une loi dès lors qu'elle crée des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir.
Une stipulation doit être reconnue d'effet direct lorsque, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elle n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets.

Il y a donc 2 conditions :

  1. L’intention des parties : il faut que les dispositions d'un traité aient bien pour objet de créer des droits subjectifs pour les personnes, et pas simplement de régir les relations entre États ;
  1. Le caractère caractère complet de la disposition en cause.

Ces conditions sont cumulatives : la disposition doit être suffisamment précise pour être applicable par elle-même.
Il faut que le juge puisse appliquer la disposition au cas de l'espèce, sans aucun texte.

Exemple : dans l’article 12 du PIDESC, les États parties reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental.
Cette disposition n'est pas d'effet direct et ce droit n'est pas invocable, parce qu'il est imprécis.

Les juridictions vérifient au cas par cas, alinéa par alinéa, si les dispositions d'un traité remplissent les conditions.


2) Les coutumes

Pour les coutumes, la solution est différente.

Cour de cassation (Crim.), 1964, Argoud :
La Cour de cassation explique clairement qu'un particulier est sans qualité pour se prévaloir d'une infraction aux règles du droit international public.
En l'espèce, M. Argoud, ressortissant français, est enlevé en Allemagne pour se faire juger en France.
Devant le tribunal, il considère qu'il a été enlevé, ce qui est une violation de la souveraineté de l'Allemagne ; la Cour de cassation répond que seule l'Allemagne peut se plaindre de cette violation de sa souveraineté.

Cour de cassation (Crim.), 2001, Kadhafi :
La Cour de cassation considère que Kadhafi a le droit d'invoquer devant la juridiction française le droit international coutumier relatif à l'immunité qui protège le chef d'État étranger en exercice.

Il n'y a pas vraiment de contradiction entre ces 2 décisions.
En effet, Kadhafi n'invoque pas la coutume en tant que personne, mais en tant qu'agent de l'État

Quel est l'effet juridique de l'effet direct ?
Quand on invoque le droit international, c'est pour le faire primer sur le droit interne ; mais l'effet que ça va produire dépend du rang qu'ont les normes internationales dans l'ordre interne :

Section 4 : Le rang interne des normes résultant d'engagements internationaux

§ 1. En droit international

Le droit international considère qu'il doit primer sur le droit interne.
Par exemple, le droit international prévoit dans de très nombreuses stipulations dans des traités (et cela est rappelé par une jurisprudence constante), que le droit interne ne peut pas justifier l'inexécution d'un traité.
Exemple : article 27 de la Convention de Vienne.

Cela a été rappelé par l'arrêt CPJI, 1928, Compétence des tribunaux de Dantzig et réaffirmé en 1930 dans l’avis consultatif CPJI, 1930, “Communautés” greco-bulgares.

CIJ, 1988, Applicabilité de l'obligation d'arbitrage en vertu de la section 21 de l'accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l'Organisation des Nations unies (avis) :
La prééminence du droit international sur le droit interne est un principe fondamental du droit international.

Le droit international accorde au droit interne un statut très faible, en considérant que le droit interne n'est qu'un fait juridique.
CPJI, 1929, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise :
Les lois internes sont des simples faits, tout comme les constitutions des États.

§ 2. En droit interne français

Dans l'ordre interne, on distingue entre les traités et les coutumes.

A – Le cas des traités internationaux

1) Conflit entre traité et norme de rang administratif

Conseil d’État, 1952, Dame Kirkwood :
Le juge administratif peut annuler un acte administratif contraire à une convention internationale valablement ratifiée.

Ce contrôle n'est possible que si l'acte administratif est autonome et ne met pas en œuvre une loi.
Sinon, on considère que la loi fait "écran" et que contrôler l’acte aboutirait à un contrôle de conventionnalité de la loi.

Pour le droit administratif, il est donc nécessaire que l'acte contrôlé ne soit pas un acte de gouvernement.
Problème : en droit international, il y a énormément d'actes de gouvernement.
Exemples d’actes de gouvernement : la décision de l'exécutif de formuler une réserve à un traité, la décision d'exporter des armes…
Exemple d’actualité : la décision de ne pas rapatrier les enfants français détenus dans les camps en Syrie est un acte de gouvernement.


2) Conflit entre traité et norme de rang législatif

Conseil constitutionnel, 1975, IVG :
La Constitution confère aux traités régulièrement incorporés une autorité supérieure à celle des lois.
Ce sont les juridictions ordinaires qui sont chargées d'opérer le contrôle de conventionnalité des lois.

Ce contrôle de conventionnalité aboutit à écarter l'application de la loi.
Ce n'est donc pas un contrôle de légalité : on n'annule pas la loi, on se contente de l'écarter.
Cour de cassation, 1975, Société des cafés Jacques Vabre + Conseil d'État, 1989, Nicolo.


3) Conflit entre traité et norme de rang constitutionnel

La Constitution ne précise pas quelle est la place des traités vis-à-vis de la Constitution.
On sait cependant que le Conseil constitutionnel a reconnu et consacré l'obligation de se conformer au droit international et aux traités valablement ratifiés.

Le Conseil constitutionnel ne s'occupe que du contrôle de la constitutionnalité des lois.
Autrement dit,
il n'a pas compétence pour vérifier la compatibilité d’un traité à la Constitution.
Il refuse d'ailleurs qu'il soit possible de faire une QPC sur une loi d'habilitation à ratifier un traité.
Il a même considéré que la transposition d'une directive répondait à une exigence constitutionnelle.

Cependant, il est venu apporter une limite en précisant que l'adaptation du droit interne ne doit pas aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

Conseil constitutionnel, 2021, Réacheminement des personnes :
Considère que la Constitution interdit la délégation à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la force publique.
→ Consacre le 1er principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.
Voir : Consécration du premier « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » | Dalloz Actualité.

→ Primauté de la Constitution, qui peut faire obstacle à l'application du droit international et à son application.

Le Conseil d'Etat a considéré qu'il n'était pas compétent pour connaître des moyens tirés de l'inconstitutionnalité d'un traité international, mais a affirmé la primauté de la Constitution.
Exemple : dans l'affaire Koné (1996), le Conseil d’État interprète un traité conformément à la Constitution.

Le principal obstacle à l'application du droit international en droit interne est donc la constitution.
Cet obstacle reste cependant théorique, puisque les juridictions vont interpréter les traités conformément à la constitution.

B – Le cas des coutumes

Pour le droit coutumier, c'est différent, parce qu'il n'y a pas d'ordre hiérarchique conféré par la Constitution française, qui ne mentionne pas le droit coutumier.

L'arrêt Aquarone du Conseil d'État doit être mis en balance avec la décision Kadhafi.
Dans la mesure où les coutumes ne sont pas prévues à l'article 55, elles n'ont pas une place supra législative.

La coutume est donc incorporée à un rang immédiatement inférieur à la loi et ne permet donc pas de faire écarter l'application de la loi si elle y est contraire.
Il est possible par contre d'envisager que la coutume puisse justifier l'annulation d'un acte administratif.

Souvent, il est difficile de définir avec précision quelle est la règle coutumière.
La coutume est stable ; elle est souvent énoncée dans des décisions de la CIJ.

Enfin, il est possible d'engager la responsabilité de l'État dans l'ordre international s'il n'exécute pas ses obligations internationales ; mais il est aussi possible d'engager la responsabilité de l'État dans l'ordre interne :

Toute violation d'un traité international constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'administration.
Exemple : Conseil d’État, 1992, Société Philip Morris France.

La responsabilité de l'État peut aussi être engagée du fait de la conclusion des traités.

La responsabilité de l'État peut aussi être engagée pour l'adoption d'une loi contraire à un traité ou la non application de règles coutumières.
Si l’État n'applique pas une règle coutumière, on peut donc engager la responsabilité de l'État, mais suivant des conditions très strictes.

Conclusion

Le droit international irrigue le droit interne.
Il y a une intégration du droit international dans le droit interne ; c'est une arme dont les particuliers vont pouvoir se saisir pour la défense de leurs intérêts.

Chapitre 3 : Les actes unilatéraux

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Droit international public (L3).

Ce chapitre s’intéressera uniquement aux actes unilatéraux des États, en laissant de côté les actes unilatéraux des organisations internationales.
Ceux-ci sont très importants (exemples : résolutions, recommandations…), parce que l’on sait que certains peuvent produire des obligations pour les États membres.

Les États peuvent se lier avec d’autres États par leur conduite unilatérale, en prenant des actes unilatéraux.

La Commission du droit international (CDI) a entrepris la codification des règles relatives aux actes unilatéraux des États.
Cette codification a abouti à un texte en 2006 : les Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques.
La CDI a notamment codifié tout ce qui entoure la promesse (un acte unilatéral particulier).
⚠️ Ce ne sont que des principes directeurs, et non une convention.

Définition : un acte unilatéral est un acte imputable à un seul sujet de droit international et susceptible de produire des effets juridiques dans l'ordre international.

Il y a une grande diversité des actes unilatéraux :
> délivrance de documents de voyage ;
> délimitation des espaces maritimes ;
> nationalisation des biens d'une société étrangère ;
> nomination d'un ambassadeur ;
> reconnaissance d'un autre État ;
> ratification d'un traité ;
> acceptation de la compétence d'une juridiction ;
> choix d'utilisation de sa force armée…

Exemple d’acte unilatéral : une loi qui prévoit une compétence pénale universelle pour certains crimes, qui permettra ensuite à des tribunaux de se déclarer compétents.

→ Très grand nombre d'actes unilatéraux des États.
Le plus souvent, ils sont pris dans l'ordre juridique interne.

Section 1 : Identification des actes étatiques unilatéraux

§ 1. Absence de formalisme

Le droit international ne fixe aucune forme particulière à l'acte unilatéral.
On peut en retrouver sous différentes formes ; par exemple :
> une simple déclaration lors d'un sommet ;
> une proclamation officielle ;
> une interview à la télévision nationale ;
> un discours politique ;
> des lois, décrets, règlements, arrêtés…

Ça n'est pas la forme de l'acte qui va permettre de déterminer ce qu'est un acte unilatéral.

L'acte unilatéral est l'acte qui va produire des effets juridiques par lui-même, sans qu'il n'ait besoin d’être accepté ou refusé par son destinataire.
C'est pour ça que la volonté unilatérale peut être formulée formellement ou non.

Dans l'affaire des Essais nucléaires, la CIJ a rappelé que la forme n'est vraiment pas décisive.
Elle explique que c'est généralement le cas en droit international et insiste particulièrement sur les intentions des parties.
Quand il n'y a pas de forme exigée par le droit international, la forme est libre.
La seule condition posée est que l'intention ressorte clairement.
L’origine peut être interne ou internationale.

La portée de l'acte peut être précis ou général.
Exemple : une loi par laquelle un État fixe les limites de sa souveraineté → portée très générale.
Exemple : un décret d'extradition → portée très précise.

L’acte unilatéral peut être une action ou une abstention.

L’État peut s'adresser à la communauté internationale dans son ensemble ou à un État ou un groupe d'États.
Il peut même s'adresser à un entité qui n'est pas encore formée !

→ Pas de formalisme : ce qui compte, c'est une intention.

§ 2. Un acte juridique imputable à un ou plusieurs États

Comment sait-on que l'acte est imputable à l'État ?
Quelles sont les autorités susceptibles d'engager l'État ?

Le droit international a retenu comme principe le renvoi au droit interne ; mais puisque ce principe est difficilement maniable, des précautions ont été prévues.

A – Principe : le renvoi au droit interne

L'acte doit évidemment être imputable à l'État. En principe, l'acte d'un particulier ne saurait pas être pris en compte.

La question de l'imputabilité se pose dès lors que l'acte émane d'un agent de l'État qui n'a pas qualité pour engager internationalement l'État.
En principe, l'acte sera imputable à l'État s'il relève des fonctions de l'agent selon le droit interne.

Application en ce qui concerne le chef d'État (en France, le Président de la République) :
CIJ, 1973, Essais nucléaires :
Le cœur de cette affaire concerne une promesse faite par la France de ne plus procéder à des essais nucléaires atmosphériques.
Le 1er acte de cette promesse réside dans une déclaration très claire faite par le Président de la République de l'époque au journal télévisé : "la France ne procèdera plus à des essais nucléaires atmosphériques".
Puis, après une pause, la France décide de reprendre les essais nucléaires ; la Nouvelle-Zélande et l'Australie saisissent la CIJ.

La CIJ retient qu'il y avait bien une promesse unilatérale de la France qui l'engageait.
Elle applique le critère, en allant regarder quelles étaient les fonctions du chef de l'État.
Le paragraphe 51 de la décision indique que "étant donné ses fonctions, il n'est pas douteux que les communications ou déclarations publiques, verbales ou écrites, qui émanent de lui en tant que chef de l'État, représentent dans le domaine des relations internationales des actes de l'État français".

B – Difficulté : un critère difficilement maniable

Autre exemple :
CIJ, 2005, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo :
Est-ce qu'une déclaration orale du ministre de la Justice peut valoir engagement unilatéral de l'État qui va produire des effets juridiques ?
En l’espèce, dans une déclaration faite devant la Commission des droits de l'homme des Nations unies, le ministre de la Justice congolais affirmait que les quelques instruments non encore ratifiés, ainsi que les réserves formulées dans le passé, seraient levées prochainement.
Est-ce que cela vaut engagement pour l'État de lever ces réserves ?

La CIJ explique que c'est une règle de droit international bien établie que le chef de l'État, le chef du gouvernement et le ministre des Affaires étrangères sont réputés représenter l'État du seul fait de l'exercice de leurs fonctions, y compris l'accomplissement d'actes unilatéraux.

💡 Ici, la CIJ rappelle la fonction de représentation que nous avons étudiée précédemment pour les traités, mais dans le cadre des actes unilatéraux.

La CIJ répond qu'il faut qu'une personne représentant un État dans des domaines déterminés soit autorisée par cet État à engager celui-ci par leurs déclarations dans les matières relevant de leurs compétences.
Elle retient qu'un ministre de la Justice peut, dans certaines circonstances, engager par ses déclarations l'État dont il est le représentant.
→ On regarde au cas par cas, selon le droit interne, si l'auteur est susceptible d'engager l'État.

Il n’y a donc pas de réponse précise à cette question : ça dépend des circonstances.
→ Critère difficilement maniable.

C – Solution : la mise en place d’une présomption

On peut difficilement demander aux États de connaître toutes les spécificités du droit interne des autres États.
On a donc développé une présomption : le chef de l’État + le chef du gouvernement + le ministre des Affaires étrangères sont présumés pouvoir engager l’État par leurs déclarations.

Pour les autres, il faudra prouver que l'organe en question avait la représentativité nécessaire.

Section 2 : Typologie des actes étatiques unilatéraux

L’acte unilatéral est une volonté qui n'attend pas par elle-même la rencontre d'une autre volonté : l’acte produit ses effets sans qu'une acceptation tacite soit nécessaire.

Il existe une subtilité : l'acte unilatéral collectif, lorsque plusieurs États prennent ensemble le même acte unilatéral.
En réalité, il s'agit d'une multitude d'actes qui émanent de chaque État.

Par exemple, lorsque les États de l'Union européenne reconnaissent par une déclaration commune un nouvel État, il s’agit en réalité de multiples volontés unilatérales émises dans un même sens.

Il y a énormément de façons de classer les actes unilatéraux.
La classification la plus commune se fait en fonction de leurs effets : certains sont autonomes tandis que d’autres sont liés à une opération conventionnelle ou coutumière.

Mais ça n’est pas la typologie que nous allons étudier dans ce cours.
Nous allons étudier 3 catégories d’actes unilatéraux, suivant une typologie davantage axée sur l’objet de l’acte :

§ 1. Opposabilité d’une situation juridique

Face à une situation, un État a 2 possibilités : reconnaître ou protester.
Dans chacun de ces cas, cette réaction de l'État va conditionner l'opposabilité de la situation.

A – La reconnaissance

Un État peut reconnaître n'importe quelle situation juridique : l'État peut vraiment reconnaître tout fait juridique modifiant ou ayant pour objet de modifier l'ordonnancement juridique.

La reconnaissance est un "acte par lequel un État, constatant l'existence de certains faits, déclare ou admet implicitement qu'il les considère comme des éléments sur lesquels seront établis ses rapports juridiques, cela avec les modalités explicites ou implicites que peut comporter cette reconnaissance".

Reconnaître, c'est accepter la situation.
Conséquence : celui qui reconnaît ne peut plus remettre en cause la validité de la situation acceptée et reconnue.

L'acte de plus connu est l'acte de reconnaissance explicite d'État.
Exemple : article 1er de l'arrêté royal belge du 14 juin 1993 portant reconnaissance de l'Érythrée : "le royaume de Belgique reconnaît comme État souverain et indépendant l'Érythrée, à la date du 24 mai 1993".
La Belgique est dorénavant obligée de traiter l'Érythrée comme un État et devra respecter l'ensemble de ses obligations internationales, notamment en matière de souveraineté.

Un acte de reconnaissance peut aussi reconnaître un gouvernement.
Par exemple, François Hollande, en conférence de presse à l'Élysée, a annoncé que Paris reconnaît la nouvelle coalition de l'opposition syrienne comme "la seule représentante du peuple syrien".

Ici, la reconnaissance est active, mais elle peut aussi être passive : on parle d'acquiescement.

L'acquiescement est un comportement passif qui est constitué par un silence ou l'absence de protestation qui exprime tacitement le consentement d'un sujet de droit à l'égard d'une situation.

Il peut être tacite ou implicite et peut valoir acceptation ou reconnaissance.

Exemple : si la France signe un traité avec une nouvelle entité et se comporte comme si celle-ci était un État en envoyant un ambassadeur, alors elle reconnaît implicitement cet État.

L’État est libre de reconnaître ou de ne pas reconnaître, mais la reconnaissance lui est opposable.

B – La protestation

La protestation est tout l'inverse : l'État refuse de reconnaître que la situation s'est valablement constituée.
L'État doit réagir à partir du moment où il a connaissance de la situation.

CIJ, 1962, Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande):
Dans certains cas, l’État doit réagir dans un délai raisonnable.
S'il ne réagit pas, on considère au bout d'un certain temps qu'il a acquiescé.

La protestation peut prendre toutes les formes : élever une réclamation, envoyer une note à l'ambassadeur d'un État…

Exemple : quand l’Argentine envoie 3 militaires planter un drapeau sur les Îles Malouines (discutée avec le Royaume-Uni), elle affirme sa souveraineté.
Idem dans l’autre sens. Il y a bien ici protestation.

On considère qu'il n'y a pas besoin d'acquiescement ni de protestation lorsqu'il y a un temps très long.

Dans le différend dit des Indemnités russes, qui oppose la Russie et la Turquie depuis très longtemps, un tribunal arbitral a considéré que la Turquie avait violé le droit de la Russie et devait l'indemniser.
La Turquie ne s'exécute pas et la Russie proteste et demande le versement, mais en oubliant de demander le versement des intérêts dans les notes qu'elle envoie.
On considère qu'en ne demandant pas le versement des intérêts, elle a renoncé à cette somme → on reconstruit la volonté pour souligner un acquiescement.

§ 2. Exercice d’un droit souverain

L’ensemble des actes pris dans l'ordre interne par un État afin d'exercer les compétences qui lui sont conférées par le droit international sont aussi des actes unilatéraux.

Exemple : l’attribution d’une nationalité.

Exemple : décret du 30 juillet 2018 établissant la limite extérieure de la mer territoriale au large du territoire métropolitain de la France.
Ce décrit vise tous les textes internationaux + l'ordonnance de 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française.

§ 3. Création d’engagements juridiques

Certains actes unilatéraux visent à créer un engagement juridique pour l'État qui en est auteur :
> soit il renonce à un droit → renonciation ;
> soit il crée une obligation → promesse.

A – La renonciation

On définit la renonciation comme une "expression de volonté d'abandonner un droit, une faculté, une prétention ou une réclamation”.

B – La promesse

On définit la promesse comme un "engagement d'un sujet de droit (le promettant) à adopter à l'avenir un certain comportement, créateur d'obligations pour le promettant et de droits pour un cocontractant ou des tiers".

Par exemple, dans l'affaire des Essais nucléaires, la France renonce à son droit à effectuer des essais nucléaires atmosphériques.

C'est confus, parce que fondamentalement renonciation et promesse sont la même chose : à chaque fois, c'est l'État qui a une prérogative, et qui la modifie par sa déclaration.
Par exemple, lorsque la France promet de ne plus effectuer d'essais nucléaires, elle renonce à son droit d'effectuer des essais nucléaires → c'est une question de présentation.

Dans tous les cas, l’État crée une obligation juridique.
Cette typologie n'a pour but que de montrer les effets des actes unilatéraux et que ceux-ci sont vraiment variés, avec des objets très différents.

Section 3 : Effets juridiques des actes étatiques unilatéraux

Il sera surtout question ici de l'opposabilité de l'acte.
Il faut distinguer entre 2 grandes catégories d'actes juridiques unilatéraux :

  1. Les actes unilatéraux liés à une règle coutumière ou conventionnelle (on parle aussi d'actes d'application du droit international) ;
  1. Les actes unilatéraux autonomes.

§ 1. Les actes d’application du droit international

Lorsque l’acte unilatéral est conditionné (→ lié) à une règle coutumière ou conventionnelle, la validité de l’acte et sa capacité à produire des effets dépend de la règle qui le conditionne.

Exemple d'acte unilatéral conditionné à une règle coutumière : un décret qui délimite la mer territoriale.

A – Principe

Ce sont des actes non autonomes : leur validité et leur efficacité/opposabilité dépend de leur conformité à la règle qui les prévoit et qui les encadre.

B – Application

Il existe 2 conditions pour apprécier la validité de l’acte :

  1. L’acte doit être conforme aux règles impératives de jus cogens ;
  1. L’acte doit respecter la règle qui le conditionne.

On retient une appréciation intersubjective : chaque État interprète la conformité de l’acte avec la règle qui le conditionne, avec à chaque fois 2 réactions possibles (l’acceptation ou la protestation).

Exemple : lorsque le traité prévoit qu'il est possible de faire des réserves, une réserve devra être conforme au traité pour pouvoir être efficace. L’effet de la réserve dépend de la réaction des autres États parties, soit qu'ils protestent, soit qu'ils acceptent.

En pratique :

  • Soit l'acte est compatible ou conforme avec la règle qui le conditionne : il sera valide et opposable pour les tiers.
    → Il produit ses effets.
  • Soit l'acte est contraire à une règle de droit international : il sera inopposable aux autres États.
    → Il ne peut pas produire d'effets.

Exemple : CIJ, 1953, Nottebohm (Liechtenstein contre Guatemala) :
M. Nottebohm est un ressortissant d'origine allemande qui habite au Guatemala ; il décide de changer de nationalité et est naturalisé liechtensteinois, parce qu'au Guatemala il était soumis au droit interne applicable aux ressortissants d'un pays belligérant.
Finalement, le Guatemala le traite comme un ressortissant allemand et ne fait pas produire d'effets à sa nationalité liechtensteinoise.

L’acte de naturalisation est un acte unilatéral d'un État.
Pour faire produire des effets de droit à une nationalité, le droit international exige qu'elle soit effective.
La CIJ considère que, dans ce cas précis, M. Nottebohm n'avait acquis la nationalité que de manière à échapper une règlementation peu favorable et qu’elle n’était donc pas effective.

Exemple : CIJ, 1974, Compétence en matière de pêcheries :
Voir notamment le paragraphe 59.
Une mesure unilatérale est adoptée par l'Islande pour choisir comment elle délimite ses eaux.
La CIJ estime que la mesure unilatérale est contraire à la Convention de Genève de 1958 sur la haute mer et n’est par conséquent pas opposable à l'Allemagne.

Il faut tout de même vérifier la réaction de l'État qui serait le destinataire de l'acte ou qui serait la victime du fait illicite produit par l'acte.
Quand l'État destinataire accepte ou ne dit rien pendant une longue durée, l'acte lui sera opposable quand bien même il serait contraire à une règle de droit international.

§ 2. Les actes autonomes

💡
Les actes autonomes doivent être conformes aux normes de jus cogens.

La CIJ a reconnu dans l'affaire des Essais nucléaires que les actes unilatéraux de l'État peuvent produire du droit de manière autonome.
Ces actes ne constituent pas des actes d'application : l'acte n'est conditionné par rien d'autre que lui-même.

Pour savoir s'il produit des effets, il faut vérifier qui est le destinataire de l'acte, puis vérifier le contenu de l'acte.

Ces actes posent de très nombreuses questions ; par exemple : est-ce qu'on peut les retirer, et comment ?

A – Présentation

L’acte autonome repose sur la faculté offerte aux États d'agir librement sur le plan international.
Ils peuvent aussi reposer sur la règle coutumière autorisant tous les États à émettre des déclarations unilatérales (à supposer que cette règle existe…).

Ici, l'acte unilatéral modifie l'ordonnancement juridique pour créer des droits pour les destinataires et des obligations pour son auteur.

Exemples d’actes autonomes :

1) L’État peut autoriser un autre État à agir

Par exemple, il peut l’autoriser à exercer un pouvoir sans lequel le comportement serait illicite.

Exemple : sentence arbitrale de 1921 Wanderer :
Une loi britannique autorise les États-Unis à exercer le pouvoir de contrainte à l'égard de navires britanniques en haute mer si ces navires se livrent à la capture illicite de phoques dans l'Atlantique.
Normalement s’applique en haute mer un principe de liberté : seul l'État du pavillon peut effectuer un pouvoir de contrainte.
La loi britannique autorise les navires américains à exercer un pouvoir que seul l’État britannique peut normalement exercer.
C’est un acte autonome : il ne dépend pas de la réaction des États-Unis.


2) L’État peut habiliter un autre État à agir

Il s’agit généralement de situations dans lesquelles le ou les sujets destinataires de l’acte reçoivent le pouvoir d'adopter certains actes juridiques.
Ces actes sont très rares et concernent principalement les juridictions.

Exemple : TPIY, 1997, Blaskic :
Le TPIY a dû décider s'il pouvait envoyer des ordonnances contraignantes aux États.
Pour les pays membres de l'ONU, il n’y avait pas de doute, parce qu'ils ont un devoir de coopération avec ses juridictions pénales.
Pour la Suisse, qui à l'époque n'était pas membre des Nations unies, le TPIY a considéré qu'une loi suisse lui octroyait un pouvoir d'injonction sur le territoire de la Confédération et que, par conséquent, la validité et l'opposabilité de l'ordonnance du tribunal étaient soumises au respect des conditions de la loi d'habilitation.


3) La reconnaissance autonome

La reconnaissance autonome est un acte autonome de l'État, qui est libre de reconnaître ou non.
Ici, l’État n'applique pas le droit international.


4) La promesse

L’État peut poser une règle prohibitive / une interdiction, du moment qu'elle pèse uniquement sur lui. Autrement dit, un État peut renoncer à sa liberté.

Ici, il ne s'agit pas de créer des obligations pour les autres États, mais de se créer une obligation pour lui-même et un droit réflexe pour les autres.
L’opposabilité de la promesse n'est subordonnée à aucune acceptation.

Dans l’affaire des Essais nucléaires, la CIJ rappelle qu’aucune contrepartie n'est nécessaire pour que la déclaration prenne effet → l'acte est purement autonome et unilatéral.

B – Opposabilité de l’acte unilatéral à son auteur

L’acte unilatéral autonome est opposable à son auteur indépendamment de la réaction des tiers.
L’État est tenu par son engagement : s’il ne le respecte pas, il engage sa responsabilité internationale.

Pour produire un effet, il faut que l'acte ait un objet clair et précis : il doit révéler la volonté de l'État de se lier.

C'est ce qui ressort de l’arrêt Essais nucléaires (1973) de la CIJ :
"L'objet des déclarations étant clair et celles-ci étant adressées à la communauté internationale dans son ensemble, la Cour tient qu'elles constituent un engagement comportant des effets juridiques”.

CIJ, 2005, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo :
Une promesse ne peut créer des obligations juridiques que si elle a un objet clair et précis et qu'elle révèle une volonté de se lier.
Il faut qu'il n'y ait pas de doute sur la volonté de l'État.
C’est ce qui est le plus difficile, parce qu’il faut interpréter l'acte.

On prend aussi en compte la réitération de l'acte, parce que très souvent, pour les actes unilatéraux, il y a une répétition.
Par exemple, dans l’affaire des
Essais nucléaires, il y a d’abord eu une déclaration du président de la République au journal télévisé, puis une note envoyée aux ambassadeurs.
Ces différents actes permettent de reconstituer la volonté réelle de l'État de s'engager.

Exemple d’un autre acte unilatéral connu : la déclaration Truman, faite par le président des Etats-Unis en 1945.
Il s’agit d’une déclaration présidentielle adressée à la communauté internationale qui concerne l'exploitation des ressources naturelles situées sur ou dans le plateau continental (= espace qui prolonge le territoire terrestre de l'Etat sous la mer).
Le président Truman déclare que pour préserver les ressources du plateau continental, il faut les exploiter. Il considère qu'il a le droit d'exploiter les ressources situées sur son plateau continental (objectif à ce moment-là : exploiter des gisements de pétrole dans le golfe du Mexique).

Idée : les États-Unis vont pouvoir exploiter les ressources situées sur leur plateau continental.
Tout de suite, les États-Unis prennent des lois d'applications et un décret présidentiel qui place ces ressources sous leur contrôle.
Il y a très peu de réactions, mais le Mexique prend le même acte 1 mois plus tard.

Ce qu’il est intéressant de constater ici, c’est que les autres États ont tous fini par adopter le même acte.
Cet acte unilatéral est donc devenu une coutume internationale, aujourd’hui codifiée dans la convention de Montego Bay.

L’interprétation de l’acte unilatéral est restrictive, parce que le droit international protège la souveraineté.
Un État n'est jamais présumé limiter sa souveraineté → il faut une réelle volonté manifeste de s'engager.

La CIJ explique que ça n'est que quand l'État auteur de la déclaration entend être lié conformément à ses termes que cette intention confère à sa prise de position le caractère d'un engagement juridique.

Commission du droit international, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques, article 7 :
"Une déclaration unilatérale n'entraîne d'obligations pour l'État qui l'a formulée que si elle a un objet clair et précis. En cas de doute sur la portée des engagements résultant d'une telle déclaration, ceux-ci doivent être interprétés restrictivement. Pour interpréter le contenu des engagements en question, il est tenu compte en priorité du texte de la déclaration ainsi que du contexte et des circonstances dans lesquelles elle a été formulée."

C – Opposabilité de l’acte unilatéral à son destinataire

Quel est le fondement juridique du caractère obligatoire de l'acte unilatéral autonome ?
La CIJ a donné cette réponse dans l’affaire des Essais nucléaires : l’obligation de l’État de respecter ses engagements repose sur le principe de la bonne foi.

Ici, il faut bien voir que l'acte unilatéral n'est que le support de l'engagement de l'État.
Les États doivent respecter leurs actes unilatéraux en vertu du principe de la bonne foi.

CIJ, 1973, Essais nucléaires :
"La confiance réciproque est une condition inhérente de la coopération internationale […] tout comme la règle du droit des traités pacta sunt servanda elle-même, le caractère obligatoire d'un engagement international assumé par déclaration unilatérale repose sur la bonne foi".

→ Exigences de sécurité juridique et de confiance mutuelle.

Autrement dit, l'effet de l’acte unilatéral ne découle pas de la seule volonté de son auteur, mais découle de l’obligation de bonne foi.

On trouve souvent ce principe sous le nom du principe de l'estoppel.
Ce principe n'existe pas vraiment en droit français : c'est un principe de procédure issu de la common law, qui est le principe de non contradiction au détriment d'autrui.

Ce principe veut qu'il est interdit de se contredire au détriment d'autrui au nom du principe de bonne foi : quand on a adopté un comportement de manière claire et non équivoque, les autres vont prendre acte de ce comportement et vont modifier leurs propres comportements ; on ne peut donc pas se contredire en adoptant un autre comportement qui leur causerait un dommage.

Pour les actes unilatéraux autonomes, l’État est libre d’agir (il n’est pas lié par une convention ni par la coutume), mais s'il agit, les autres doivent pouvoir tabler sur le fait qu'il va vraiment se comporter de la même manière.
C’est flou, parce que c'est qu’il y a généralement des reconstructions de l'expression de la volonté.

  • Exemple du caractère flou de l'acte unilatéral :

    L’affaire des vaccins cubains, en 2002, est intéressante parce qu’elle montre la subtilité des actes unilatéraux.
    L’Uruguay et Cuba ont alors des relations tendues. En 2001, l’Uruguay fait connaître son intention d'acheter à Cuba un lot de vaccins contre la méningite.
    Cuba décide de lui faire don des vaccins ; dans une déclaration, Cuba dit vouloir faire don des vaccins et procède aux envois, refuse tout avantage économique et refuse de réduire sa dette auprès de l'Uruguay.
    Problème : l'Uruguay refuse le don et veut payer → la banque centrale de l'Uruguay déduit la somme des vaccins de la dette cubaine.

    Cette situation pose problème, parce que si l’on applique les conditions évoquées précédemment, on a un acte juridique unilatéral qui produit des effets à partir du moment de sa formulation.
    Par son comportement, l'Uruguay refuse l'acte unilatéral et voit ça comme une transaction d'un contrat.
    L’acte unilatéral cubain n’en est donc plus vraiment un… même les experts les plus éminents en droit international n'ont pas réussi à savoir quelle était la nature de la déclaration.
    → Caractère complexe, issu de la pratique.

En cas de doute, ou lorsque la volonté n'est pas suffisamment claire, on considère que c'est simplement une déclaration politique.

Par exemple, les membres permanents du Conseil de sécurité ont fait des déclarations très claires par laquelle ils s'engageaient à ne pas utiliser la force nucléaire contre un État n'ayant pas cette force, mais fondamentalement, compte tenu du fait que ce sont des déclarations qui ont été faites au cours de réunions du Conseil du sécurité, on considère que ce ne sont que des déclarations politiques.

Chapitre 2 : Le mode coutumier

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Droit international public (L3).

La coutume est l'une des principales sources du droit international public.

Cette place centrale de la coutume se manifeste dans le très grand nombre de matières qui sont régies par le droit coutumier.

Elle occupe aussi une place importante parce que la coutume constitue la seule règle générale : c'est la seule règle de droit qui s'applique à tous les États.

Par définition, la coutume est une source non écrite, ce qui pose de nombreuses difficultés.
Comment se forme-t-elle ? Comment la prouver ?
La coutume a un côté mystérieux.

La 1ère difficulté porte sur le terme lui-même : "coutume" désigne à la fois un résultat (la règle) et le processus par lequel on aboutit à cette règle.

L'article 38 du statut de la Cour internationale de justice liste "la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit".
La coutume est donc une pratique générale et acceptée comme étant le droit.

Cela pose un défi de taille : à chaque fois que les États invoquent la règle coutumière, ils doivent la prouver, en établissant qu'il y a une pratique générale et acceptée comme étant le droit.
→ On ne sait pas bien comment la coutume se forme, on sait simplement comment la prouver.

Il sera aussi question dans ce chapitre de la manière dont on peut concilier coutume et souveraineté.

Section 1 : Formation de la règle coutumière

Pour identifier une coutume, 2 éléments sont toujours nécessaires :

  1. L’élément matériel : une certaine pratique ;
  1. L’élément subjectif : l'opinio juris.

La combinaison de la pratique et de l'opinio juris est obligatoire et suffisante.

Exemple : CIJ, 1969, Plateau continental de la mer du Nord :
La Cour considère que les 2 conditions doivent être réunies.

Exemple : CIJ, 2012, Immunités juridictionnelles de l'État (Allemagne contre Italie) :
Précise qu'une pratique effective assortie d'une
opinio juris est requise pour qu'existe une règle du droit international coutumier.

Difficulté : souvent, on ne sait pas très bien comment distinguer ces 2 éléments.

§ 1. L'élément matériel

L'élément matériel correspond à la pratique.

La pratique se compose d'éléments hétérogènes : des précédents étatiques.
C'est l'ensemble de ces précédents qui forme la pratique.

Ça peut être des comportements actifs de l'État.
Ça peut aussi être des comportements passifs (= des abstentions).
→ Tout peut constituer un élément de la pratique.

Les comportements actifs sont plus faciles à établir.
On y retrouve :

  • Les actes internationaux de l'État ;
    Notamment les actes unilatéraux de l'État (par exemple, les réserves).
  • Les attitudes adoptées par l'État ;
    Par exemple, le comportement de l’État dans la conduite d'opérations militaires.
  • Les actes internes.
    Cela comprend les actes de tous les organes, même ceux qui ne peuvent pas engager internationalement l'État.
    Exemple : les décisions des juridictions internes.
    Exemple : les lois du Parlement sur la nationalité, l'extradition, la délimitation du territoire…
    Exemple : les décrets et arrêtés pris par l'exécutif.

CIJ, 2023, Différend territorial et maritime (Nicaragua contre Colombie) :
Les conventions multilatérales peuvent avoir un rôle important à jouer en enregistrant et en définissant les règles dérivées de la coutume.
Ce que dit la Cour ici, c'est que les traités nourrissent la coutume.
Si une multiplicité de traités affirment la même règle, on pourrait en déduire – si les autres conditions sont remplies – qu'il s'agit d'une règle coutumière qui dépasse le traité.

À chaque fois que la CIJ rappelle une règle coutumière, elle nourrit la coutume.
Tous les actes qui affirment une règle participent de la pratique.
→ La pratique est hétérogène.

La pratique émane toujours des États ou des juridictions internationales.
Elle n'est jamais celle d'individus. Une personne privée ne peut pas créer une règle coutumière.

Cette pratique, pour être pertinente, doit être générale.
La pratique est générale quand elle est constante et uniforme.

Il faut cependant relativiser : ce qu'on cherche derrière ces adjectifs, c'est la cohérence.
Il faut que la coutume se répète (idée : on doit être face à une véritable règle de droit).

On pourrait se dire qu'il faut un très long laps de temps, et c'est plutôt vrai.
Plus la coutume se forme dans un temps court, plus la pratique doit être uniforme et intense.
Cependant, une coutume peut se former rapidement !

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il est possible de faire une coutume en 1 mois : dans ces cas-là, il faudra vraiment prouver que la pratique est uniforme et intense.
CIJ, 1969, Plateau continental de la mer du Nord :
Explique que le fait qu'il ne soit écoulé qu'un bref laps de temps ne constitue pas en soi un empêchement à la formation de la règle coutumière.
Il demeure indispensable que, dans ce laps de temps, aussi bref soit-il, la pratique de l'État ait été fréquente et pratiquement uniforme.
→ Le temps est un cadre.

Le caractère constant et uniforme de la coutume s'apprécie dans sa globalité.
Il n'est pas nécessaire que tous les États adoptent exactement le même comportement.

On apprécie aussi la pratique contraire : certains États peuvent adopter une pratique contraire, qui peut ne pas empêcher la formation de la règle coutumière.
La pratique contraire ne fait pas forcément obstacle à la coutume, notamment toutes les fois où les États vont protester et traitent la pratique contraire comme la violation d'une règle de droit.

Si la pratique est trop incertaine, qu'il y a trop de contradictions ou de fluctuations et qu'on n'a pas de consistance, alors il ne sera pas possible de considérer que la coutume a pu se former.

Pour appliquer la règle, le juge doit la formuler en regardant la pratique.
Pour cela, il faut suffisamment de consistance dans la pratique des États.
→ Il faut une pratique générale et constante.

La généralité est celle des États particulièrement intéressés.
Il n'est pas nécessaire que tous les États aient participé à la coutume
; ce qu'il faut, c'est que les États particulièrement intéressés aient adopté une pratique similaire.
La coutume peut s'imposer à des États qui n'ont pas participé à sa formation. Il faut alors une grande concordance des comportement des États particulièrement intéressés.

Cette notion d'État particulièrement intéressé est utilisée par la CIJ.
Par exemple, pour déterminer quelles sont les règles applicables pour délimiter le plateau continental, on regarde quelle est la pratique des États côtiers.
De la même manière, pour les règles qui concernent les engins ou l'espace extra-atmosphériques, on se sert avant tout de la pratique des États qui ont la possibilité d'envoyer des engins spatiaux.

La pratique de certains États doit être globalement uniforme ; les autres États réagissent simplement à cette pratique, soit en s'abstenant, soit en protestant.
Pour qu’une coutume soit générale, il faut donc une pratique positive des États particulièrement intéressés, qui se constitue par la répétition de précédents qui sont concordants dans le temps et dans l'espace + l'absence de réaction des États non particulièrement intéressés.

§ 2. L'élément subjectif

L’élément subjectif est aussi appelé élément psychologique ; on parle d'opinio juris.

C'est l'élément le plus compliqué.
La CIJ refuse de consacrer l'existence d'une règle coutumière parce qu'il manque cet élément → l’opinio juris est un élément indispensable.

Ainsi, il ne suffit pas d'établir que l’on a une pratique suivie de manière constante par des États suffisamment représentatifs pour dégager une règle coutumière : il faut aussi vérifier, parmi les États, l'existence d'une acceptation de la pratique comme étant le droit.

L'opinio juris, c'est la raison d'être de la pratique.
C'est ce qui permet de distinguer la coutume de l'usage.
Idée : les États, quand ils adoptent le comportement, le font parce qu'ils considèrent qu'ils doivent le faire.

Il existe en droit international de nombreux usages, et notamment des usages protocolaires ou diplomatiques.
Par exemple, généralement, quand un président décède, une cérémonie est organisée et les autres États ainsi que les organisations internationales envoient un représentant ; ces représentants sont placés selon un ordre protocolaire – mais ça n'est qu'un usage, les États savent qu'ils ne sont pas obligés de le faire !

CIJ, 1950, Droit d'asile (Colombie contre Pérou) :
Refuse d'admettre l'existence d'une règle de droit international en raison de l'absence d'opinio juris.
"Les considérations de convenance ou de simple opportunité politique semblent avoir déterminé l'Etat territorial à reconnaître l'asile, sans que cette décision lui fût dictée par le sentiment d'un devoir juridique quelconque."

Derrière l'opinio juris, on retrouve le consentement de l'État.
La pratique doit être motivée par la croyance en l'existence d'une règle de droit.

Plus on a une règle / une pratique établie depuis de nombreuses années, plus l'opinio juris prend la forme de la conscience de suivre une règle préexistante (→ plus on est dans la croyance de l'existence de la règle).
À l'inverse, lorsque la coutume se forme dans un très court laps de temps, l'opinio juris prendra davantage la forme de la volonté de faire une règle de droit.

Il n'y a pas vraiment de définition de l'opinio juris.
C'est la doctrine qui a essayé de le définir, ce qui a abouti à des définitions différentes :

  • Pour les objectivistes, l'opinio juris est la conscience de l'existence d'une obligation. La coutume ne procède pas de la volonté, mais elle traduit une conviction commune des États d'agir conformément aux nécessités sociales.
  • Pour les volontaristes, l'opinio juris est la volonté de créer et de respecter la règle. La coutume est un accord tacite de volonté.
    Par exemple, pour Kelsen, l'opinio juris est la croyance dans le caractère obligatoire de la règle. Pour Kelsen, la coutume procède nécessairement d'une erreur.

→ Différentes définitions de ce qu'est l'opinio juris.

Pour la Commission du droit international, l'opinio juris est "le sentiment de l'existence d'une obligation juridique ou d'un droit".
La pratique doit donc être assortie de la conviction qu'elle est autorisée, requise ou interdite par le droit international coutumier.

Comment prouver que les États adoptent une pratique parce qu'ils ont le sentiment de l'existence d'une obligation juridique ou d'un droit ?
On se fonde sur des comportements de l'État, qui sont souvent les mêmes que ceux pris en compte pour établir la pratique : déclarations publiques, publications officielles, avis juridiques gouvernementaux, correspondances diplomatiques, décisions des juridictions nationales, dispositions des traités, adoption des résolutions des organisations internationales, silence des États…
Par exemple, l'absence de réaction peut établir une opinio juris.

La Commission du droit international considère qu'il faut prouver chacun des 2 éléments de manière séparée.
C'est difficile, parce que c'est souvent la même pratique.
Il n'est pas toujours possible de distinguer les 2 éléments, parce qu'ils se nourrissent.

En pratique :
Dans certains cas, l'État agit d'une façon qui cause un dommage et va le réparer (notamment dans le cas de dommages environnementaux) et, lorsqu’il répare ces dommages, il précise qu’il le fait "pour des motifs d'équité et de justice".
Ce faisant, il considère qu'il répare, mais qu'il ne faut pas tenir cette réparation comme une règle juridique → il souligne qu’il n'y a pas d'opinio juris derrière (= il ne se sent pas obligé de le faire).

💡
En droit international, l’obligation de réparer le dommage que l’on a causé est un principe général du droit → l'État doit réparer les dommages qu'il cause lorsqu'il viole le droit international.

Section 2 : Autorité des règles coutumières

La question de l'autorité de la règle coutumière pose la question de son opposabilité (§1).
Nous étudierons ensuite la question des rapports entre la règle coutumière et la règle codifiée (§2).

§ 1. L'opposabilité des règles coutumières

Est-ce que la coutume s'impose à tous ?
Est-ce qu'un État peut s'opposer à la formation d'une règle coutumière ?
Est-ce que la coutume s'oppose à un État qui n'a pas participé à sa formation ?

La question de l'opposabilité de la règle coutumière est différente si la coutume est générale ou si elle est locale / régionale.

A – Les coutumes générales

La règle générale est une règle universelle : par définition, elle s'applique à tous.
C'est ce qu'on appelle aussi le droit international général.

Principe :
Une coutume générale est opposable à tous, que les États aient participé à sa formation ou non..

Comme beaucoup de principes, ce principe connaît une exception : l'objecteur persistant.
Idée : un État peut s'opposer dès l'apparition de la coutume à la règle coutumière pour qu'elle ne lui soit pas applicable.


La règle coutumière s'applique à tous.
Elle peut naître et devenir opposable à des États qui n'ont pas participé à sa formation.

Selon la CIJ, les précédents doivent traduire une proportion très large et représentative des États particulièrement intéressés.
Il n'est donc pas nécessaire que tous les États aient considéré accepter la règle.

La coutume générale s'applique aux États qui ne sont pas encore nés.
CIJ, 1969, Plateau continental de la mer du Nord :
Une fois la règle formée, aucun État, qu'il ait existé ou non au moment de cette formation, ne dispose d'un droit d'opposition unilatéral.

Dans cet arrêt, la CIJ affirme que les règles du droit international coutumier doivent par nature s'appliquer dans des conditions égales à tous les membres de la communauté internationale.

→ Par essence, la règle coutumière est générale et s'applique à tous.


L'objecteur persistant constitue l’exception à ce principe.
L’objecteur persistant, c'est l'État qui rejette expressément une coutume par son comportement au stade de sa formation.
Cet État n'est pas lié par la coutume parce qu’il dit, dès le départ, qu'il n'accepte pas cette règle.

Le statut d'objecteur persistant a été reconnu dans l'affaire anglo-norvégienne des pêcheries.
CIJ, 1951, Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) :
La règle des 10 miles marins était inopposable à la Norvège, celle-ci s'étant systématiquement opposée à une règle du droit international coutumier en voie de formation et ayant continué de s'y opposer par la suite.

L’opposition doit être claire, non équivoque, non ambigüe.
Elle doit être persistante : l'État s'y est opposé au moment de sa formation et continue de s'y opposer.
Tant que l'objection persiste, la règle coutumière ne lui est pas opposable.

L’objecteur persistant est une illustration de la souveraineté des États.
C'est une hypothèse qui reste très rare.

Il y a aussi des coutumes locales et des coutumes régionales :

B – Les coutumes locales et régionales

Le champ d'application de ces coutumes est nécessairement plus restreint.
Il peut y avoir des coutumes régionales, des coutumes locales et des coutumes bilatérales.

Là où la coutume générale est universelle, la coutume locale ou régionale est relative.

Plusieurs affaires ont été rendues à ce sujet :

  1. CIJ, 1950, Droit d'asile (Colombie c. Pérou) ;
  1. CIJ, 1952, Droits des ressortissants des États-Unis d'Amérique au Maroc (France c. États-Unis d'Amérique) ;
  1. CIJ, 1960, Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde) :
    ”Il est allégué au nom de l'Inde qu'aucune coutume locale ne saurait se constituer entre deux États seulement. On voit difficilement pourquoi le nombre des États entre lesquels une coutume locale peut se constituer sur la base d'une pratique prolongée devrait nécessairement être supérieur à deux. La Cour ne voit pas de raison pour qu'une pratique prolongée et continue entre deux États, pratique acceptée par eux comme régissant leurs rapports, ne soit pas à la base de droits et d'obligations réciproques entre ces deux États.”

CIJ, 2009, Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua) :
Cet arrêt concerne l'existence d'une coutume locale. La CIJ devait répondre à la question très simple de savoir s’il existe un droit pour les costariciens de pêcher dans un fleuve pour leur subsistance.
Le Costa Rica soutient qu'il existe une pratique locale par laquelle ses ressortissants peuvent pêcher pour assurer leur subsistance.
Il explique que cette possibilité avait été prévue par un traité, qu’elle avait survécu et était devenue une règle coutumière + que, depuis de très nombreuses années, les riverains continuent de se livrer à la pêche de subsistance, pratique qui n'a été contestée par le Nicaragua qu'après l'ouverture de la présente instance.
Le Nicaragua considère qu'il n'y a pas de coutume → qu'il n'est pas tenu de permettre aux costariciens de venir pêcher dans son fleuve. Il considère que si c'était arrivé, c'était uniquement une tolérance qui ne peut pas être considérée comme une source du droit.

Ici, le raisonnement de la Cour est très clair.
Tout d'abord, elle relève qu'il ne faut pas s'attendre à ce qu'une telle pratique, par sa nature même, soit consignée de manière formelle → c'est normal que ça ne soit pas écrit.
Elle prend ensuite en compte le comportement du Nicaragua, qui n'a ni entravé ni remis en cause cette pratique pendant de très nombreuses années.
Elle conclut que le Costa Rica jouit d'un droit coutumier.

La CIJ considère donc qu'une coutume s'est formée entre le Costa Rica et le Nicaragua qui autorise les riverains costariciens à pêcher pour leur subsistance.
→ La Cour vérifie le comportement des 2 États pour vérifier si une coutume s'est formée.

Quand il y a une coutume locale bilatérale, il faut l'accord des 2 États.
→ Les 2 États qui sont liés par la coutume doivent y avoir participé et doivent y avoir consenti.

Pour les coutumes régionales, il faudra aussi l'accord de tous les États membres.

L’opposabilité des coutumes locales et régionales est donc différente de l'opposabilité des coutumes générales : il faut que tous les États aient participé à sa formation.

§ 2. Coutume et codification

À chaque fois qu'un État veut pouvoir faire appliquer une norme coutumière, il doit apporter la preuve de l'existence de cette coutume et l'énoncer, c’est-à-dire exprimer le contenu de la règle.

Cette preuve est difficile à rapporter.
Pour simplifier la preuve et faciliter la connaissance et la prévisibilité des règles coutumières, on a donc procédé à la codification des coutumes.

La codification, c'est la mise par écrit du droit non écrit.
La codification permet de clarifier le droit coutumier (gage de sécurité juridique), mais elle permet également de créer du droit.

Par exemple, la Convention de Vienne de 1969 constitue la codification du droit des traités ; on en a profité pour ajouter la notion de jus cogens.

Initialement, la codification des règles coutumières était le fruit de la doctrine : de très nombreuses codifications étaient faites par les sociétés savantes, les universités et les centres de recherche.
Aujourd’hui, la Charte des Nations unies a mis en place un système de codification : l'article 13 de la Charte confie à l'Assemblée générale la mission d'encourager le développement progressif et la codification du droit international.

La Commission du droit international est un organe des Nations unies créé par l’Assemblée générale des Nations unies en 1947.
Elle regroupe 30 membres indépendants des États qui représentent les grands systèmes juridiques (généralement, des professeurs de droit qui ont une expertise).
Cette Commission a élaboré de très nombreux projets, ensuite adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies et qui prennent la forme et la valeur d'une résolution de l'AG.

Ce texte peut ensuite devenir une convention.
Il y a eu des grands succès, tels que la Convention de Vienne de 1969 ou la Convention sur la succession des États ; mais depuis, on aboutit plus à des conventions, mais uniquement à des guides pratiques.
Le texte de codification ne garde alors que la valeur d'une résolution de l’AGNU.

Quelles sont relations entre la règle codifiée et la règle coutumière ?
Il y a 3 principes :

  1. Un principe de non disparition de la règle coutumière ;

    La convention de codification ne fait pas disparaître la règle coutumière : les coutumes survivent à leur codification.
    Ainsi, la coutume continue de s'appliquer pour les États qui ne sont pas parties à la convention.

    Il faut garder à l’esprit que la convention de codification est un traité classique, qui obéit au régime classique des traités : elle ne vaut que pour les États parties.
    Le principe de la lex posteria s'applique → la convention de codification est la règle la plus récente, donc c'est celle qu'on applique entre les parties ; mais la coutume subsiste !

  1. Un principe d'indépendance entre la règle coutumière et la règle codifiée, y compris de nature conventionnelle ;

    Il y a une vie parallèle des règles coutumières et conventionnelles.
    CIJ, 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique) :
    Explique que le fait que les principes soient codifiés et incorporés dans les conventions multilatérales ne veut pas dire qu'ils cessent d'exister et de s'appliquer en tant que principes de droit coutumier.

    Idée : à chaque fois que les Etats appliquent le traité, ils appliquent en même temps la coutume et renforcent la norme coutumière en nourrissant la pratique.

  1. Un principe d’inférence, qui aboutit à la cristallisation de nouvelles règles coutumières.

    Les conventions de codification peuvent rajouter de nouvelles règles qui ne sont pas coutumières, mais qui peuvent se cristalliser comme de nouvelles règles coutumières.
    Les conditions sont strictes :

    1. Il faut que la disposition ait un caractère fondamentalement normatif : la disposition doit ainsi constituer la base d'une règle générale du droit.
    1. Il faut une adhésion des États : la Cour exige qu'un nombre suffisant d'États, et notamment ceux qui sont particulièrement intéressés, manifestent leur adhésion à la règle de droit nouvelle :
      1. soit en adhérant à la convention ;
      1. soit en adoptant une pratique constante confirmée par la manifestation d'un opinio juris qui témoigne que la règle a pour eux valeur de coutume.

    Il est donc possible que, dans certains cas, il y ait une convention avec des règles nouvelles et que les États cristallisent ces règles nouvelles, qui deviennent coutumières et plus seulement conventionnelles.
    Cela illustre l’importance de distinguer le contenu de la règle de son support.

Chapitre 1 : Le mode conventionnel

Ce chapitre est consacré au droit des traités internationaux.
Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Droit international public (L3).

  • Introduction aux modes de formation des engagements internationaux

    La formation du droit international n’obéit pas à la logique centralisée, unilatérale et hiérarchisée qui est celle des ordres internes.
    Elle suppose la rencontre de volontés égales et indépendantes.

    L’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice (CIJ) propose une typologie des sources formelles du droit international public.

    💡
    Les sources formelles sont les procédés techniques de création et de validation des normes juridiques, par opposition aux sources matérielles, qui sont les fondements éthiques et les causes sociales poursuivies par la norme.

    Cet article 38 liste 3 sources du droit international public :

    1. Les conventions (= traités) ;
    1. La coutume ;
    1. Les principes généraux du droit.

    Ce texte est vieilli et incomplet, parce qu’il manque 4. Les actes unilatéraux ; or l’engagement est une notion essentielle.


Les traités constituent l’expression écrite du consentement et de l’engagement des États.
Il est plus facilement démontrable, puisqu’on a un contenu qui est écrit et qui fait autorité.

Le droit des traités a été codifié par un traité : la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), qui indique comment rédiger les traités.
Une deuxième Convention de Vienne (1986) présente les règles relatives aux traités entre les États et les organisations internationales.

💡
La Convention de Vienne est une convention de codification → elle n’a pas de valeur supérieure aux traités.
C’est un mode d’emploi qui a la valeur d’un traité.

Cette Convention de Vienne définit ce qu’est un traité :
« L’expression traité s’entend d’un accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière ».

C’est une définition assez large.
Elle indique cependant que le traité ne peut être conclu que par écrit.

Les États sont absolument libres de la procédure, de la forme du traité…
Ça peut être par exemple un simple communiqué conjoint.
CIJ, 1994, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn :
Après avoir analysé un procès-verbal, la Cour estime que, par son contenu, c’est un traité → les États parties doivent le respecter.

Un traité est donc un écrit qui lie des parties dans le but de créer des effets juridiques.
Il est soumis au principe du respect des engagements et de la bonne foi.

Il existe différentes classifications des traités :

  • On peut distinguer en fonction de leur nombre de parties ;
  • On peut distinguer en fonction de leur objet ;
    Exemple : les traités constitutifs d’une organisation internationale).
  • On peut distinguer en fonction de leur procédure de conclusion ;
    Traités en forme solennelle ≠ traités en forme simplifiée.
    Cette distinction produira des conséquences en droit interne.
  • On peut distinguer les traités contrats des traités lois.
  • On peut distinguer suivant les obligations créées.
    Obligations normales ≠ obligations erga omnes.

À quoi ressemble un traité ?
Tous les traités contiennent 4 blocs :

  1. Un préambule, qui explique les raisons d’être du traité ;
  1. Des clauses de définition, qui définissent l’objet du traité et tous les mots utilisés ;
  1. Les obligations matérielles des parties = ce à quoi s’engagent les parties ;
  1. Des clauses finales, situées à la fin, qui sont toutes les clauses qui expliquent comment l’on devient partie au traité, comment l’on s’engage et exprime son consentement, comment l’on peut le modifier, comment il prend fin…
    💡 Cette distinction est importante parce que
    les clauses finales entrent en vigueur dès que le traité est adopté.

Section 1 : Formation de l’engagement conventionnel

§ 1. La capacité à conclure des traités

La capacité de conclure des traités dépend de la personnalité internationale.
Les États ont pleine capacité ; les organisations n’ont qu’une capacité limitée ; les personnes privées n’en ont pas.

A – La pleine capacité de traiter des États

1) Principe

Le principe est formellement explicité à l’article 6 de la Convention de Vienne :
« Tout État a la capacité de conclure les traités ».

Cette capacité illimitée découle de leur personnalité juridique / de leur qualité d’État.
Dès lors que le droit international constate qu’une entité est un État, cette entité a la capacité de conclure des traités.

Cela pose toutefois des questions concernant les entités qui aspirent à devenir un État ou dont le statut est discuté.


2) Application : les représentants de l’État

Dans la mesure où l’État est une personne morale, il a besoin de représentants qui agissent et s’engagent à sa place. Qui sont ces représentants ?

Il faut ici distinguer entre 2 hypothèses :
> soit l’agent présente les pleins pouvoirs ;
> soit il existe une présomption de représentativité.

L’article 7 de la Convention de Vienne prévoit une présomption de représentativité pour :
> le chef de l’État ;
> le chef du gouvernement ;
> le ministre des Affaires étrangères.

Ils n’ont pas à présenter les pleins pouvoirs.
On dit que ce sont des représentants ex officio de l’État.

Que se passe-t-il quand une personne présumée représenter l’État en droit international ne l’est pas selon son droit interne ? Est-il possible de faire tomber cette présomption ?

Oui, c’est possible, dans un seul cas prévu par l’article 46 de la Convention de Vienne : il faut que la violation du droit interne de l’État ait été manifeste et concerne une règle de son droit interne d’importance fondamentale.
Il y a violation manifeste « si elle est objectivement évidente pour tout État se comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi ».

Dans les autres hypothèses, l’agent doit présenter les pleins pouvoirs.
Il s’agit d’une formalité : il présente un document écrit attestant des pleins pouvoirs.

📖
Chaque État détermine librement, selon ses propres règles, qui est l’autorité compétente pour négocier un traité.

Affaire célèbre :
CIJ, 2002, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria :
La Cour explique que : “Les règles relatives au pouvoir de signer des traités au nom d’un État sont des règles constitutionnelles d’une importance fondamentale. Cependant, si la capacité d’un chef d’État à cet égard est restreinte, cette restriction n’est manifeste au sens du paragraphe 2 de l’article 46 que si, à tout le moins, elle a été rendue publique de manière appropriée”.

Ici, elle estime que le Nigéria n’avait pas fait connaître cette restriction, et que par conséquent le représentant du Cameroun pouvait se fier à la représentativité du chef de l’État.
Autrement dit, le Cameroun était de bonne foi : il a cru et ne pouvait que croire que le chef de l’État du Nigéria avait les pleins pouvoirs pour engager l’État.

B – La capacité limitée des organisations internationales

Les organisations internationales sont des sujets secondaires dans l’ordre juridique international, parce qu’elles sont créées par traité, donc par les États.

Elles concluent des conventions pour pouvoir exercer leurs fonctions et atteindre leurs buts.

L’article 6 de la Convention de Vienne de 1986 prévoit que :
”La capacité d’une organisation internationale à conclure des traités est régie par les règles de cette organisation”.

Principe :
Il faut se référer au traité constitutif de l’organisation international, qui désigne les organes qui ont qualité pour négocier et conclure des traités.

Présomptions de représentativité :
L’article 7.3 de la Convention de Vienne de 1986 affirme que :

C – Les autres situations

Les personnes privées physiques ou morales ne peuvent jamais conclure des traités, mais si elles disposent de droits dans l’ordre juridique international.
Le droit des traités est réservé aux États et aux organisations internationales.

Parfois, des contrats majeurs entre grandes entreprises d’un État sont conclus, liés d’une manière ou d’une autre à une visite étatique.
On pourra par exemple dire que le président français va en Uruguay et y « vend 50 Airbus » ; mais ce ne sont pas des traités.

→ Les personnes privées ne peuvent pas faire des règles internationales.

Par exception, certaines entités peuvent conclure des traités.
Exemples :

  1. Le Vatican possède une personnalité internationale reconnue par les accords du Latran de 1929 par l’Italie.
  1. Le Comité international de la Croix-Rouge.

§ 2. Les préalables à l’engagement

Il y a normalement 3 étapes avant d’arriver à l’engagement :
1- la
négociation ;
2- l’
adoption collective ;
3- l’
authentification.
Plus le traité est compliqué et plus il regroupe un nombre important de parties, plus ces étapes sont longues.

A – La négociation

La négociation est une phase de concertation pendant laquelle les participants se mettent d’accord sur le contenu du traité.

Il n’y a qu’une seule condition à l’étape de la négociation : le respect du principe de l’égalité des participants.
Sinon, cette phase est organisée librement par les participants :

  • Ils peuvent négocier entre eux ;
  • Ils peuvent négocier au sein d’une conférence internationale ;
  • Ils peuvent négocier au sein d’une organisation internationale.

B – L’adoption

L’adoption est l’acte officiel par lequel la forme et la teneur du texte d’un traité sont fixées.
L’adoption du texte marque la fin des négociations.

L’article 9 de la Convention de Vienne suggère une adoption “à la majorité des deux tiers des États présents et votants”, mais les participants sont libres de choisir les modalités d’adoption.
Le plus souvent, le texte est adopté par consensus.

Le texte est adopté comme traité → il n’est plus modifiable.
Mais à cette étape, on n’a que le texte : il n’y a pas encore le consentement des États à respecter le traité.

Les clauses finales s’appliquent immédiatement.

C – L’authentification

L’authentification individuelle du texte est procédure par laquelle le texte d’un traité est arrêté comme authentique et définitif.

L’article 10 de la Convention de Vienne prévoit que :
”Le texte d’un traité est arrêté comme authentique et définitif : […] par la signature ou le paraphe apposé par les représentants de l’État”.

En pratique, ce sont les représentants de l’État qui signent le texte.
Ce faisant, ils reconnaissent que le texte arrêté est bien le texte qu’ils ont négocié.

La signature est souvent le 1er acte avant une ratification.

Après la signature, l’État devient un État signataire, mais le traité n’a toujours pas de force obligatoire.

Mais l’article 18 de la Convention de Vienne prévoit que les États signataires doivent s’abstenir d’actes qui priveraient le traité de son but et de son objet tant qu’ils n’ont pas exprimé leur intention de ne pas devenir contractants ou parties.

Exemple : la Cour pénale internationale (CPI) est une juridiction internationale universelle créée dans le but de lutter contre l’impunité pour les crimes les plus graves.
Les États-Unis sont aujourd’hui hostiles à la création d’un tel tribunal ; entre le moment où ils ont signé le statut de Rome et son entrée en vigueur, ils ont passé des conventions avec d’autres États en s’auto-empêchant d’extrader ou de transmettre à la CPI une personne qu’elle recherche.

§ 3. L’engagement

L’engagement de l’État doit être formellement exprimé.

L’engagement a une double dimension :
> une dimension internationale ;
> une dimension interne.

A – La dimension internationale de l’engagement

L’article 11 de la Convention de Vienne prévoit que :
”Le consentement d’un État à être lié par un traité peut être exprimé par la signature, l’échange d’instruments constituant un traité, la ratification, l’acceptation, l’approbation ou l’adhésion, ou par tout autre moyen convenu”.

Il y a donc 3 modalités d’engagement :

  1. La signature ou l’échange d’instruments ;
  1. La ratification ;
  1. L’adoption.

1) La signature et l’échange d’instruments

On parle alors d’un traité en forme simplifiée.

Quand on utilise cette modalité, l’authentification et l’engagement se manifestent par la même matérialité pratique.

L’échange d’instruments renvoie à des échanges de lettres ou de notes.
On l’utilise généralement pour des accords techniques et précis.

Exemple : Accord sous forme d’échange de notes portant modification de l’accord du 24 novembre 2003 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Australie relatif au programme vacances-travail.

⚠️
Il ne faut pas oublier que, pour que le texte soit un traité, il faut nécessairement : un échange de consentements entre États + un écrit + que le texte soit destiné à produire des effets de droits + qu’il crée des obligations.

2) La ratification

On parle alors de traité en forme longue ou de traité en forme solennelle.

C’est la procédure de droit commun.
La ratification est un acte solennel, émanant généralement du chef de l’État, par lequel un État indique son consentement à être lié par un traité.

On procède à la ratification en envoyant des lettres de ratification, ou en déposant ces lettres de ratification.

Exemple : la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 34/180 du 18 décembre 1979.
L’article 25 de cette Convention prévoit toutes les étapes de son entrée en vigueur et désigne le Secrétaire général des Nations unies comme dépositaire → c’est lui qui reçoit les lettres de ratification.

Modèle d’un instrument de ratification :

Les droits internes peuvent imposer des procédures pour la ratification d’un traité (par exemple, solliciter l’accord ou l’autorisation du Parlement).

La ratification, tout comme la signature, est un acte discrétionnaire de l’exécutif, tant sur le plan interne qu’international.

La différence entre ratification et approbation repose sur la personne qui exprime le consentement.
La ratification, c’est l’attribut des anciens monarques : normalement, seuls les chefs d’État peuvent ratifier les traités.


3) L’adhésion

L’adhésion est la dernière modalité d’expression du consentement.

L’adhésion est l’acte par lequel un État accepte l’offre ou la possibilité de devenir partie à un traité déjà négocié et signé par d’autres États.
Ici, l’État exprime son consentement au traité une fois que celui-ci est en vigueur.

Exemple : l’article 125 du statut de la Cour pénale internationale prévoit que “le présent Statut est ouvert à l’adhésion de tous les États” → il est possible de le rejoindre après son entrée en vigueur.

B – La dimension interne de l’engagement en droit français

1) La compétence de l’exécutif

L’article 52 de la Constitution française prévoit que :
”Le Président de la République négocie et ratifie les traités.
Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification.”

→ L’exécutif maîtrise la politique extérieure.

Idée : signer un traité, c’est un acte de politique étrangère.
C’est l’exécutif qui engage discrétionnairement les procédures permettant de devenir partie à un traité.

Sur le plan interne, l’exécutif est aussi à l’origine de l’introduction du traité dans l’ordre étatique.
Il assure aussi la publication du texte au Journal Officiel.
→ Ce sont des actes de gouvernement.


2) L’intervention du législateur

L’article 53 de la Constitution française prévoit que :
Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi”.

Pour ces traités, la ratification n’est possible qu’une fois que le législateur aura donné son accord.
L’intervention du législateur reste une exception
: elle ne vaut que pour certains traités en raison de leur objet.

Tous les accords en forme simplifiée ne relèvent jamais du champ d’application de l’article 53.

Il est cependant possible que l’exécutif sollicite l’intervention du législateur pour des raisons d’opportunité, mais son intervention reste relativement exceptionnelle.

Dans les cadres où il faut l’intervention du législateur, il s’agit d’une procédure d’adoption ordinaire de la loi : l’exécutif dispose de tous les moyens offerts par la Constitution pour le faire adopter, ce qui inclut notamment l’article 49-3.
Ça a été le cas pour la modification permettant l’élection du Parlement européen au suffrage universel.

La loi doit ensuite être publiée au Journal Officiel.
Cette publication est la condition de l’invocabilité du texte devant le juge français.

Le législateur ne peut pas proposer d’amendements ni de réserves.
→ L’exécutif est à l’initiative.

Il est possible d’avoir recours au référendum.
En effet, l’article 11 de la Constitution de 1958 prévoit que le Président de la République peut soumettre tout projet de loi au référendum.

Une fois adoptée, la loi autorise l’exécutif à ratifier le traité, mais ne l’oblige pas à le faire.

En moyenne, 20 à 25% des traités conclus par la France imposent l’intervention du législateur.


3) L’intervention du Conseil constitutionnel

Enfin, le Conseil constitutionnel est la 3ème autorité qui intervient dans la procédure d’engagement international de la France, sur le fondement des articles 61 et 54 de la Constitution.

L’article 61 est le fondement ordinaire du contrôle de constitutionnalité des lois par le Conseil constitutionnel.

En matière d’engagements internationaux, l’article 54 dispose que :
« Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par 60 députés ou 60 sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution”.

Autrement dit, il n’y a pas de contrôle systématique ; mais, dans certains cas, les autorités listées peuvent demander de vérifier si le texte est compatible avec la Constitution.

💡 Le Conseil constitutionnel n’intervient que lorsque le traité est soumis à une autorisation de ratifier.

Si le Conseil constitutionnel affirme que le traité est inconstitutionnel, cela rend impossible toutes les opérations permettant de ratifier.

Exemple : pour ratifier le Statut de Rome, il a fallu modifier la Constitution pour y ajouter l’article 53-2, qui dispose que “La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998”.

Ici, on est simplement dans un contrôle de comparaison de 2 textes.

§ 4. Validité

A – Les vices du consentement

La théorie des vices du consentement permet la protection de l’authenticité du consentement.
Elle est tout à fait semblable à ce qu’on connaît dans l’ordre interne à propos des contrats.

Il y a en droit international public 4 vices du consentement :
1- l’erreur ;
2- le dol ;
3- la corruption ;
4- la contrainte.

En pratique, le dol, la corruption et la contrainte sont extrêmement rares ; l’erreur est parfois retenue mais, de manière générale, la pratique est très faible.

1) La corruption

La corruption est prévue à l’article 50 de la Convention de Vienne.
Ici, il s’agit de la corruption d’un représentant de l’État.
« Si l’expression du consentement d’un État à être lié par un traité a été obtenue au moyen de la corruption de son représentant par l’action directe ou indirecte d’un autre État ayant participé à la négociation, l’État peut invoquer cette corruption comme viciant son consentement à être lié par le traité. »

Affaire très célèbre relative aux contrats d’investissement :
CJUE, 2021, World Duty Free :
Des investisseurs personnes privées corrompent des représentants d’un État pour obtenir un contrat de concession.
Le contrat s’exécute pendant X années, puis l’État veut nationaliser et invoque la corruption.


2) Le dol

Le dol est prévu à l’article 49 de la Convention de Vienne.
« Si un État a été amené à conclure un traité par la conduite frauduleuse d’un autre État ayant participé à la négociation, il peut invoquer le dol comme viciant son consentement à être lié par le traité ».

Dans le dol, il y a une manœuvre frauduleuse destinée à obtenir le consentement.
Le dol implique un élément illicite caractérisant une tromperie.
Il a le même effet que l’erreur : l’État se fait une fausse représentation de la réalité.
Concrètement, ça se manifeste par la transmission de fausses informations, l’espionnage, des piratages informatiques…

2 précédents de dol :

  1. Les accords de Munich conclus en 1938 entre l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie avaient comme objet présenté de régler le problème des minorités allemandes en Tchécoslovaquie ; mais pour le gouvernement allemand, ça n’était qu’une étape vers l’annexion → il y a dol.
  1. Dans un différend entre l’Australie et le Timor, l’Australie aurait saisi des informations conditionnelles des avocats du Timor.
    L’Australie s’est finalement engagée à restituer les éléments.

3) L’erreur

L’erreur est prévue à l’article 48 de la Convention de Vienne.
Un État peut invoquer une erreur dans un traité comme viciant son consentement à être lié par le traité si l’erreur porte sur un fait ou une situation que cet État supposait exister au moment où le traité a été conclu et qui constituait une base essentielle du consentement de cet État à être lié par le traité.

Idée : si l’État avait eu connaissance de ce fait, il n’aurait jamais consenti.
Cela explique que l’erreur est rarement acceptée ou invoquée.

Les cas d’invocation de l’erreur concernent généralement des cartes géographiques ou topographiques, souvent dans des différends relatifs aux délimitations des frontières.

CIJ, 1962, Temple de Préah Vihéar :
Dans cette affaire, le Cambodge considérait que la Thaïlande occupait une partie de son territoire où sont situées les ruines du temple de Préah Vihéar, lieu de pèlerinage pour les cambodgiens.
Le Cambodge saisit la CIJ et lui demande d’affirmer la souveraineté du Cambodge sur le temple et demande en même temps à ce que les thaïlandais retirent leurs forces armées.
La Thaïlande invoque l’erreur : ça n’est pas elle qui a rédigé cette carte, elle s’est trompée, et si l’on suit le texte du traité le temple devrait être sur son territoire.

La Cour rejette l’argument en considérant que c’est une règle de droit établie qu’une partie ne saurait invoquer une erreur comme vice du consentement si elle a contribué, par sa propre conduite, à cette erreur, si elle était en mesure de la limiter ou si les circonstances étaient telles qu’elle avait été avertie de la possibilité de cette erreur.

L’État doit donc avoir agi avec diligence de manière à ne pas se tromper.
Par exemple, il y a une obligation de vérification pour les cartes.


4) La contrainte

La contrainte sur le représentant de l’État est prévu à l’article 51 de la Convention de Vienne.
« L’expression du consentement d’un État à être lié par un traité qui a été obtenue par la contrainte exercée sur son représentant au moyen d’actes ou de menaces dirigés contre lui est dépourvue de tout effet juridique. »

Exemple : le tribunal de Nuremberg a retenu la contrainte pour le traité de 1939 établissant un protectorat en Tchécoslovaquie ; en effet, le président de la Tchécoslovaquie a été menacé physiquement.

La contrainte sur l’État est prévue à l’article 52 de la Convention de Vienne.
« Est nul tout traité dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l’emploi de la force en violation des principes de droit international incorporés dans la Charte des Nations Unies.”

La contrainte est militaire, elle n’est jamais économique.
Toutes les contraintes qui reposent sur les inégalités de puissance ne constituent pas des vices du consentement.

Lors des négociations de la Convention de Vienne, les États en voie de développement voulaient que la contrainte soit plus développée, en incorporant les contraintes politiques ; mais les États occidentaux ont refusé cette extension.
Finalement, on a simplement adossé une déclaration à la Convention de Vienne sur l’interdiction de la contrainte militaire, politique et économique lors de la signature du traité, pour condamner la violation des principes d’égalité souveraine des États et de la liberté des consentements.

Pour en savoir plus : Les effets de la contrainte sur les traités à la lumière de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 (persee.fr)

→ Les vices classiques sont très rarement invocables.
Ça tient notamment à la situation de l’État dans la société internationale : puisque les États sont égaux, il est difficile d’affirmer que leur consentement puisse avoir été vicié.

B – L’illicéité de l’objet et du but du traité (jus cogens)

Si la Convention de Vienne reprend les définitions classiques des vices du consentement, elle innove complètement sur la notion de jus cogens.

Une règle impérative, ou règle de jus cogens, est une règle à laquelle aucune dérogation n’est possible.

L’article 53 de la Convention de Vienne pose la définition suivante : une norme de jus cogens est une « norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère”.

→ On ne peut pas y déroger par traité.

Ici, ce n’est pas un problème de hiérarchie des normes ; c’est simplement la qualité attachée à certaines normes.
La norme de jus cogens est coutumière ou conventionnelle.
Quoi qu’il en soit, il faut que l’ensemble de la communauté internationale considère que cette norme est une norme indérogeable.

L’article 64 de la Convention de Vienne prévoit l’apparition d’une nouvelle norme de jus cogens :
« Si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin ».

CIJ, 1989, Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal) :
Le tribunal arbitral a considéré que, du point de vue du droit des traités, le jus cogens est simplement la caractéristique propre à certaines normes juridiques de ne pas être susceptibles de dérogation par voie conventionnelle.

Problème du jus cogens : puisque qu’il se construit par développement progressif, ça n’est pas du droit coutumier et il ne vaut que pour les États qui ont ratifié la Convention de Vienne sans faire de réserves.
Par exemple, la Belgique a émis des réserves.

Jurisprudence implicite de la CIJ :
CIJ, 1970, Barcelona Traction :
« Une distinction essentielle doit en particulier être établie entre les obligations des États envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d’un autre État dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droits en cause, tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ; les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes. »
« Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale ».

Par exemple, la Gambie peut invoquer une violation de la Convention interdisant le génocide par la Birmanie. Les 2 pays sont tous 2 parties à cette convention.
En soi, la Gambie n’a aucun élément matériel de rattachement (ce ne sont pas ses ressortissants), mais elle affirme que c’est tellement grave que ça lui donne un intérêt à agir.
Il y a ici une norme erga omnes : tous les États peuvent invoquer sa violation pour obtenir le rétablissement de la légalité.

Jurisprudence explicite de la CIJ :

  • CIJ, 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua : interdiction de l’emploi de la force.
  • CIJ, 2006, Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête) : interdiction du génocide.

Les normes de jus cogens sont souvent des règles coutumières, mais on peut aussi les trouver dans des traités.
Ces normes ne sont pas impératives en raison de leur origine, mais en raison de la valeur qui est derrière l’interdiction.

Est-ce que les articles 53 et 64 sont opposables aux États qui ne sont pas parties à la Convention de Vienne ?
Dans les années 1970, ça n’était que du droit conventionnel → les États non parties ne pouvaient pas se voir opposer la Convention de Vienne. 50 ans plus tard, est-ce que le droit a suffisamment évolué ?

Pour répondre à cette question, il faut étudier la pratique.
On a aujourd’hui plus de textes qui mentionnent l’existence du
jus cogens.

Par exemple, des textes de l’Assemblée générale des Nations unies mentionnent les « normes impératives ».
Par exemple, des juridictions internationales emploient la notion.

Aujourd’hui, tout le monde emploie les termes “jus cogens” et “norme impérative ».
On peut donc considérer que c’est devenu ou est en passe de devenir du droit coutumier
; mais il faudra le démontrer pour des États qui ne sont pas parties.

À quoi sert le jus cogens ?
Le jus cogens permet de déroger à une norme importante.

Par exemple, imaginons qu’un État A fait l’objet d’une agression et que, en vertu d’un traité conclu en 1945, un État B doit lui fournir une assistance militaire incluant notamment l’arme nucléaire.
Il pourrait sembler normal qu’en 2023 on considère qu’il y a une interdiction
jus cogens d’utiliser l’arme nucléaire.
Le traité qui prévoit une assistance militaire imposant l’obligation de bombarder l’état agresseur avec l’arme nucléaire serait alors contraire à la règle de jus cogens.

⚠️ Mais on ne vit pas dans un monde idéal et les États ont le droit de recourir à l’arme nucléaire → cet exemple spécifique ne fonctionne pas, il sert simplement à illustrer la notion.

  • Que se passe-t-il si un traité est mis en œuvre pour protéger une norme de jus cogens mais est contraire à une norme de jus cogens ?

    Imaginons : sur une île vit une population autochtone reculée ; en tant que population autochtone, elle a le droit à la survie et le droit de rester en isolation par rapport aux autres populations. Cependant, un autre État décide aussi d’aller vivre sur cette île parce qu’il n’a plus de territoire là où il vit originellement en raison de la montée des eaux.

    Cela se passe très mal et, finalement, l’État d’origine des nouveaux colons fait un traité avec l’État sur le territoire duquel est l’île, qui va organiser un déplacement forcé de population.
    On a ici un traité qui protège une norme de
    jus cogens (le droit des peuples autochtones) mais qui, dans son application, conduit à violer une autre norme de jus cogens (l’interdiction d’un déplacement forcé de population).
    Est-ce que ce traité serait nul ?

    On peut ainsi aujourd’hui imaginer des situations où il y a des points de tension entre le droit des traités et des normes impératives, parce qu’on reconnaît de + en + de normes impératives.


Jurisprudence des juridictions spécialisées :

La notion de jus cogens est utilisée par la CIJ, mais aussi par les organisations de protection des droits de l’homme.
Sont des normes de jus cogens :

  • TPIY, 1998, Furundzija : l’interdiction du génocide ;
  • CEDH, 2001, Al-Adsani : la prohibition de la torture ;
  • Tribunal de l’UE, 2005, Yusuf : « jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger ».

Il y a aujourd’hui de plus en plus de normes de jus cogens.
On peut donc imaginer des traités qui deviendraient nuls parce qu’ils entreraient en contradiction avec des normes de jus cogens.

Juridiquement, quand il y a une violation d’une norme de jus cogens, tous les autres États doivent protester et ont interdiction de reconnaître la situation, de manière à ce qu’on puisse rétablir la légalité.

C – Portée de l’invalidité : la nullité

Dans tous les cas, un traité invalide est nul.
En ce sens, la nullité est une conséquence de l’invalidité de l’engagement étatique.

L’article 69 de la Convention de Vienne prévoit que :
« Est nul un traité dont la nullité est établie en vertu de la présente Convention. Les dispositions d’un traité nul n’ont pas de force juridique”.

La nullité fait qu’aucun État ne peut se prévaloir du traité et qu’aucun État ne peut l’appliquer.
→ Le traité est inopposable.

Les conséquences juridiques de la nullité peuvent varier en fonction des causes.
La nullité est en principe relative, mais dans certains cas, elle est aggravée : l’acte est tellement grave qu’on va plus loin qu’une nullité relative.

En cas de corruption ou de dol, l’État dont le consentement a été vicié peut demander à rester partie au traité en cas de corruption ou de dol.
De plus, la nullité peut ne porter que sur certaines dispositions du traité.
L’État victime peut demander la nullité de tout le traité ou d’une seule partie.

Exemple : CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua :
La Cour a considéré que le Nicaragua avait perdu son droit d’invoquer la nullité du traité conclu sous la contrainte en 1928 à la période où le pays était occupé par les États-Unis, parce que le Nicaragua n’a pas demandé l’annulation du traité pendant plus de 50 ans + il a agi à diverses reprises comme si ce traité était valide.
La Cour déduit de ces 2 comportements (1 comportement négatif + 1 comportement positif) que le Nicaragua ne peut plus invoquer un vice du consentement.

Idée derrière le principe de nullité relative : les États ont mis du temps de parvenir à un accord, donc on essaie le plus possible de le maintenir.
Seul l’État dont le consentement a été vicié peut agir pour demander la nullité du traité.

À côté de cette nullité relative, il y a une nullité aggravée ou renforcée ; elle n’est jamais absolue au sens du droit interne, mais ses effets sont plus graves.

Par exemple, en matière de contrainte, le traité est frappé d’une nullité aggravée.
Il n’est normalement pas possible de sauver ses dispositions.
Les parties doivent être replacées dans la situation qui serait la leur si le traité n’avait pas été conclu.

Mais qu’en est-il des actes d’application du traité ?
Normalement, eux aussi sont nuls : aucun acte juridique ne peut être fondé sur le traité nul.

Exception : la Convention de Vienne prévoit un tempérament pour les actes accomplis de bonne foi avant que la nullité n’ait été invoquée : ces actes peuvent être soldés et peuvent ne pas être rendus illicites du seul fait de la nullité.
→ Dans certains cas, on sauve des actes juridiques.

§ 5. Entrée en vigueur dans l’ordre international

L’entrée en vigueur dans l’ordre international n’est pas conditionnée à l’entrée en vigueur dans l’ordre interne.

Les États peuvent décider d’une entrée en vigueur différée du traité ; le plus souvent, l’entrée en vigueur est différée et conditionnée.

Il y a parfois une différence entre l’entrée en vigueur objective et subjective :

A – L’entrée en vigueur objective

Ce sont les clauses finales du traité qui règlent la question de son entrée en vigueur.
La plupart du temps, l’entrée en vigueur est conditionnée à un certain nombre de ratifications.
Idée : on attend d’avoir atteint un nombre suffisant de participants pour que le traité entre en vigueur.

L’entrée en vigueur peut être soumise à d’autres conditions, laissées à la discrétion des États.

Dans le cas où l’entrée en vigueur est conditionnée au dépôt de X instruments de ratification, il faut attendre que X États aient leur instrument de ratification pour que le traité soit applicable.
Les qualités de contractant et de partie ne se confondent pas : le traité n’est pas applicable même entre contractants, tant que le nombre d’instruments requis n’est pas atteint.

Exemple : il est indiqué dans la Charte des Nations unies que « la présente Charte entrera en vigueur après le dépôt des ratifications par la République de Chine. la France. l’Union des Républiques socialistes soviétiques, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, les États-Unis d’Amérique et par la majorité des autres États signataires ».

Exemple : l’article 27 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes prévoit que :
« La présente Convention entrera en vigueur le 30ème jour qui suivra la date du dépôt auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies du 20èle instrument de ratification ou d’adhésion.
Pour chacun des États qui ratifieront la présente Convention ou y adhéreront après le dépôt du 20ème instrument de ratification ou d’adhésion, ladite Convention entrera en vigueur le trentième jour après la date du dépôt par cet État de son instrument de ratification ou d’adhésion. »

B – L’entrée en vigueur subjective

L’entrée en vigueur subjective désigne le début du lien conventionnel.
Il faut distinguer :

  • Soit le traité est entré en vigueur objectivement : le traité peut être immédiatement subjectivement en vigueur pour l’État qui vient de déposer son instrument de ratification.
    En pratique, il faut regarder si la clause finale prévoit un délai.
  • Soit le traité n’est pas objectivement en vigueur : il faut attendre l’entrée objective du traité.
    → Les 2 dates d’entrée en vigueur objective et subjective coïncideront.

C – Enregistrement et publication dans l’ordre juridique international

Article 80 de la Convention de Vienne :
En principe, les traités doivent être transmis au secrétariat de l’ONU pour être publiés et enregistrés.

Objectif : éviter la pratique des traités secrets.
Cela concernait principalement les traités d’alliance et les traités de partage du territoire.
Exemple de risque : que l’Ukraine passe un traité avec les États-Unis, et que la Russie déclare accidentellement la guerre aux États-Unis.

En pratique, la Convention de Vienne ne prévoit aucune sanction !
Selon l’article 102.2 de la Charte des Nations unies : « Aucune partie à un traité ou accord international qui n’aura pas été enregistré conformément aux dispositions du paragraphe 1 du présent Article ne pourra invoquer ledit traité ou accord devant un organe de l’Organisation”.

CIJ, 1994, Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad) :
La CIJ accepte d’appliquer des traités non publiés.

L’entrée en vigueur marque le point de départ de pacta sunt servenda.
Difficulté : le droit interne fait ce qu’il veut.
Il faut retenir que le droit international ne s’intéresse pas au droit interne : pour lui, c’est juste du fait. Dans certains cas, le droit international renvoie au droit interne, parce qu’il en a besoin (ex : questions de nationalité), mais c’est tout.

Section 2 : Étendue de l’engagement conventionnel

Il ne faut pas oublier qu’un traité est un accord de consentements entre États, proche d’un contrat.
Idée : la raison de l’engagement d’A, c’est l’engagement de B et C.
Certes, le traité est un tout, mais c’est aussi une somme d’engagements individuels.

Cependant, les États parties ne sont pas nécessairement tous engagés de la même façon → ils n’ont pas tous pris l’engagement de respecter l’intégralité du traité.
Le traité peut s’appliquer de manière différente entre les différentes parties : c’est ce que permettent les réserves.

→ Les réserves permettent de moduler l’engagement conventionnel.

Au moment où l’État il consent à s’engager, il détermine ce à quoi il consent, en essayant de retrancher certaines dispositions du traité.

§ 1. La définition des réserves

A – Définition positive

La définition des réserves est donnée par l’article 2 d) de la Convention de Vienne :
« l’expression
réserve s’entend d’une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État ».

Il existe 4 éléments d’identification d’une réserve :

  1. Un acte unilatéral de l’État ;
  1. Le nom que lui donne l’État n’a pas d’importance : « réserve », « déclaration », « avis »… ;
  1. Il le fait jusqu’à son engagement, c’est-à-dire au moment où il signe, ratifie ou adhère → jamais après ;
  1. Cette déclaration a un objet précis : exclure ou modifier.

Les réserves sont donc une technique qui permet de restreindre l’engagement d’une partie à son initiative et suivant les termes qu’elle choisit.

Les réserves ne produiront d’effets qu’en fonction de la réaction des autres parties au traité.

Il existe 2 types de réserves :

  1. Les réserves d’exclusion : l’État, en formulant cette réserve, refuse l’application d’une disposition du traité.
    Par exemple, il consent aux articles 1 à 30 mais refuse l’application de l’article 33.

    Exemple : la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale prévoit une clause compromissoire (→ en cas de différend sur l’interprétation d’une clause, un des États parties pourra saisir directement la CIJ).
    De manière générale, les États n’apprécient pas les clauses compromissoires. L’Afghanistan a émis une réserve en affirmant, dans une déclaration : « tout en adhérant […] la République démocratique d’Afghanistan ne se considère pas liée par les dispositions de l’article 22 de la Convention ».

  1. Les réserves modificatives visent à modifier une disposition du traité.
    Ce sont principalement des réserves qui visent à donner un sens au traité qui ne l’appelle pas.
    Exemple : un État peut, en ratifiant le traité de délimitation de la zone économique exclusive (ZEE), affirmer que pour lui la ZEE s’étend sur 300 miles marins et non 200 miles.

    Ici, un État tente de réécrire le texte à son avantage, soit parce que le texte ne lui convient pas, soit parce qu’il n’a pas participé aux négociations.

    Parmi les réserves modificatives, il y a aussi les réserves personnelles : l’Etat réservataire entend refuser que le traité soit en vigueur entre lui et un autre État.
    Ces réserves sont généralement utilisées entre États qui ne se reconnaissent pas mutuellement.
    Par exemple, c’est courant vis-à-vis d’Israël.

B – Définition négative : les déclarations interprétatives

Il y a des règles relatives aux réserves, mais les déclarations (→ tout ce qui n’est pas des réserves) ne font l’objet d’aucune règlementation.
→ Les déclarations sont totalement libres.

On parle de déclarations interprétatives pour désigner les déclarations faites par les États qui ont pour but de préciser le sens qu’entend donner l’État aux termes employés par la convention.

On peut aussi avoir des déclarations purement politiques, où l’État donne son sentiment sur le texte.
Exemple : l’Afghanistan a affirmé, à propos de
la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, que « la République démocratique d’Afghanistan déclare que les dispositions des articles 17 et 18 de la Convention […] sont d’un caractère discriminatoire à l’égard de certains États ».

La Commission du droit international, dans son Guide pratique sur les réserves aux traités, écrit que :
« L’expression déclaration interprétative s’entend d’une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État ou par une organisation internationale, par laquelle cet État ou cette organisation vise à préciser ou à clarifier le sens ou la portée d’un traité ou de certaines de ses dispositions. »

L’objet de ces déclarations ne visent pas à conditionner l’engagement à une modification du traité ou à une exclusion de certaines de ses dispositions ; il s’agit simplement de préciser par avance le sens qui est donné à cette disposition.

Les déclarations présentent une neutralité par rapport au traité ; elles ne relèvent jamais du régime des réserves et ne font donc l’objet d’aucune règlementation.

Dans ce travail de qualification, il faut déterminer l’intention de l’auteur : lorsqu’il a fait cette déclaration, voulait-il modifier le traité ? ou simplement interpréter une disposition ?
Ce point donne lieu à des différends entre États, d’autant plus qu’il n’y a pas d’autorité centrale qui peut trancher.

  • Cas pratique : les réserves et les déclarations du Qatar lors de son adhésion du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)

    Le Qatar a formulé 2 réserves et 2 déclarations :

    Pour les réserves :
    « L’État du Qatar ne se considère pas lié par les dispositions ci-après du Pacte international relatif aux droits civils et politiques pour les raisons visées ci-dessous :
    • L’article 3 en ce qui concerne les dispositions relatives à la succession au pouvoir, qui sont contraires aux dispositions de l’article 8 de la Constitution.
    • Le paragraphe 4 de l’article 23, qui est contraire à la charia. »

    Pour les déclarations :
    « • L’État du Qatar interprète le terme peine à l’article 7 du pacte conformément à la législation applicable du Qatar et à la charia.
    • L’État du Qatar interprète le terme syndicats, et toutes les questions connexes, tel que visé à l’article 22 du Pacte, conformément à la législation du travail et à la législation nationale. L’État du Qatar se réserve le droit d’appliquer cet article conformément à cette interprétation. »

    Pour la 1ère déclaration :
    Elle se présente comme une déclaration interprétative, mais est-ce vraiment une déclaration interprétative ou est-ce en réalité une réserve déguisée ?
    L’article 7 prévoit que “Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement une expérience médicale ou scientifique”.
    → C’est une réserve déguisée ; il faudra ensuite vérifier si elle est valable.

    Concernant la 2nde déclaration :
    On constate que c’est aussi une réserve déguisée.

De manière générale, les interprétations qui se font conformément au droit interne manifestent souvent l’intention de l’État de moduler son engagement.

§ 2. Le régime des réserves

Seules les réserves font l’objet d’une règlementation, prévue à l’article 19 de la Convention de Vienne :
« Un État, au moment de signer, de ratifier, d’accepter, d’approuver un traité ou d’y adhérer, peut formuler une réserve, à moins :
a) Que la réserve ne soit interdite par le traité ;
b) Que le traité ne dispose que seules des réserves déterminées, parmi lesquelles ne figure pas la réserve en question, peuvent être faites ; ou
c) Que, dans les cas autres que ceux visés aux alinéas a et b, la réserve ne soit incompatible avec l’objet et le but du traité. »

On adopte donc un raisonnement en 3 temps :

  1. On vérifie s’il est possible de faire une réserve ;
  1. On vérifie si la condition matérielle est satisfaite ;
  1. On vérifie si la condition temporelle est satisfaite (il y a un bon moment pour faire une réserve).

A – Les conditions d’admission

Faut-il accepter ou non les réserves ?
Sur ce point, le choix est laissé aux États lors de la négociation.

En réalité, il s’agit d’un pur choix entre savoir s’il faut élargir le cercle des participants (→ faire qu’il y ait le + d’États possibles) ou préserver l’unité du traité.
→ Laissé à la discrétion des États.

  • Soit le traité prévoit une disposition sur les réserves :
    Dans la pratique, il existe 3 formes de dispositions concernant les réserves dans un traité :
    1. Soit il interdit les réserves ;
      C’est généralement le cas pour toutes les organisations internationales (on pourrait difficilement imaginer un État formuler une réserve sur les dispositions de financement de l’organisation…).
      Exemple : c’est le cas pour la Cour pénale internationale.
    1. Soit il autorise toutes les réserves ;
    1. Soit il n’autorise que certaines réserves.
      Exemple : la Convention de Genève sur les réfugiés prévoit, à son article 42 : « au moment de la signature, de la ratification ou de l’adhésion, tout État pourra formuler des réserves aux articles de la Convention autres que les articles 1, 3, 4, 16, 33, 36 à 46 inclus ».
  • Soit le traité ne prévoit rien :
    CIJ, 1951, Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (avis) :
    Tranche la question.
    Cette convention ne prévoyait aucune condition sur les réserves et plusieurs États ont voulu faire des réserves sur la clause compromissoire.
    La Cour a considéré que l’absence de disposition relative aux réserves ne signifiait pas que les États avaient voulu interdire les réserves et qu’au contraire il fallait prendre en compte le caractère de la convention multilatérale + son objet + ses dispositions + son mode d’élaboration et d’adoption pour apprécier la possibilité d’émettre des réserves.

Certains États ont soutenu qu’au nom de la souveraineté absolue des États, qu’on pouvait faire des réserves sur tout ; mais ça n’est pas la solution qui a été retenue par le droit positif.
Il y a une condition matérielle que doivent remplir toutes les réserves : la compatibilité avec le but et l’objet du traité.
La validité d’une réserve est conditionnée à sa compatibilité avec le but et l’objet du traité.
Cette condition a été fixée par la CIJ dans son avis de 1951 relatif à la convention sur le génocide ; on la retrouve aujourd’hui codifiée à l’article 19 de la Convention de Vienne.

Cela engendre 2 difficultés :

  1. Il faut déterminer quel est le but et l’objet du traité ;
  1. Chaque État partie apprécie pour lui-même la validité des réserves, et donc leur compatibilité avec le but et l’objet du traité.
    Les États sont soumis au principe de bonne foi, mais il n’existe pas d’autorité centrale qui peut trancher.

    💡 Exception : juridictions régionales des droits de l’homme.
    Par exemple, CEDH, 1988, Belilos contre Suisse : la CEDH a requalifié une déclaration interprétative de la Suisse en réserve et a considéré qu’elle était contraire au but et à l’objet de la Convention.

B – Opposabilité de la réserve

L’effet des réserves dépend de la réaction des autres États.
Le droit international est simple : les États ont un droit inconditionnel pour accepter ou ne pas accepter la réserve.

Pour que la réserve produise un effet, il faut attendre de voir les réactions des autres États parties.
Aucune partie ne peut être lié par une réserve à laquelle il n’a pas exprimé son consentement.

Ici, il faut bien voir que la réserve est un acte unilatéral → ça n’est qu’une prétention de l’État.

Initialement, il fallait l’acceptation de tous.
Dans certaines conventions, une règle est fixée suivant laquelle l’acceptation par la majorité ou par les 3/4 des participants vaut acceptation de la réserve.

Il existe 3 réactions possibles à une réserve :

  1. L’acceptation, qui peut être implicite ou explicite.
    Le silence gardé pendant 12 mois est considéré comme un acquiescement à la réserve.

    Effet : entre l’État réservataire et les autres États qui ont accepté, c’est le traité tel que modifié par la réserve qui s’applique.

  1. L’objection aggravée est l’objection par laquelle l’État considère l’objection comme invalide.
    Il considère qu’elle est tellement invalide qu’il refuse de voir le traité entrer en vigueur entre lui et l’État réservataire.

    Effet : les 2 États ne pourront jamais mutuellement s’opposer le traité.

  1. L’objection simple, par laquelle l’État considère que la réserve est incompatible avec le but et l’objet du traité, mais que ce n’est pas de nature à empêcher l’entrée en vigueur du traité entre lui et l’État réservataire.

    Effet (article 20 de la Convention de Vienne) : le traité entre en vigueur et les dispositions sur lesquelles porte la réserve ne s’appliquent pas entre les 2 États dans la mesure prévue par la réserve.

    Pourquoi les États font des objections simples ?
    En la faisant, l’État se réserve la possibilité de contester la réserve ultérieurement en cas de différend.
    On pourrait penser que ça ne change rien, puisque la réserve s’applique ; cependant, en ayant fait une objection simple, l’État sera dans la position de contester ensuite la réserve et de contester l’application du traité, ce qu’il ne peut pas faire s’il n’est pas partie (généralement, pour des traités en matières de droits de l’homme).

    • Exemple : article 7 du PIDCP, réserve du Botswana

      Objection simple reçue par le Secrétaire général de l’ONU de la part de l’Autriche :
      « Le fait que le Botswana assujettisse ces articles à une réserve générale renvoyant à sa législation nationale peut […] faire douter de l’adhésion du Botswana à l’objet et au but du Pacte…
      Par ces motifs, l’Autriche fait objection à la réserve formulée…
      Cette objection ne fait pas obstacle à l’entrée en vigueur du Pacte dans son intégralité ».

Section 3 : Effets de l’engagement conventionnel

§ 1. L’effet du traité à l’égard des parties

A – Pacta sunt servanda

1) Énoncé du principe

Le caractère obligatoire des traités découle du principe pacta sunt servanda, qui signifie « ce qui a été conclu doit être respecté ».
C’est le principe fondamental du droit international, prévu à l’article 26 de la Convention de Vienne :
« Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ».

Cet article prévoit donc 2 principes :
1- l’exécution de bonne foi ;
2- le respect du principe de
pacta sunt servanda.

Ce principe est particulièrement important, comme le rappelle fréquemment la CIJ.
CIJ, 1997, Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Tchéquie) :
Un traité est conclu entre les 2 États par lequel ils s’engagent à construire un système d’écluses sur le Danube.
La Tchéquie construit ses installations, mais la Hongrie change de régime politique et ne le fait pas, au motif que c’est contraire à la protection de l’environnement.
Des négociations durent très longtemps, avant que la Tchécoslovaquie décide de modifier ses installations de manière à les utiliser seules, en détournant le Danube → comportement illégal.
Ici, on est donc dans une situation où 2 États chacun ne respectent pas le même traité.
La CIJ dit que la violation par les 2 États parties d’un traité ne met pas fin à ce traité, parce que ce qui a été conclu doit être respecté ; si c’était le cas, ça aurait été un précédent très préjudiciable à
pacta sunt servanda.


2) Portée du principe

Le principe pacta sunt servanda a 3 conséquences :

  1. Les parties sont tenues d’exécuter le traité, et doivent accepter les conséquences de la violation du traité.
  1. Une partie ne peut pas rejeter unilatéralement les obligations qu’elle a acceptées.
    Si elle veut se séparer du texte, elle doit le faire suivant les procédures.
  1. Une partie ne peut pas invoquer les dispositions de son droit interne pour ne pas exécuter le traité (article 27 de la Convention de Vienne : le droit interne est du fait pour le droit international !).

En principe, les dispositions des traités ne sont pas rétroactives, mais les États peuvent décider autrement dans le traité.
Ils peuvent aussi décider de mettre une limite temporelle ou spatiale dans le traité.

B – L’interprétation

L’interprétation est la détermination de ce qui doit être exécuté.
Interpréter, c’est donner le sens et la portée des termes.

En droit international, l’interprétation est importante parce qu’il s’agit d’interpréter le consentement et l’étendue des engagements des États ; il faut donc le faire dans le respect de la souveraineté pour ne pas engager l’État au-delà de son consentement.

1) Les interprètes

On distingue les interprétations authentiques des interprétations non authentiques.

L’interprétation authentique est celle qui émane du ou des auteurs de l’acte à interpréter.
CIJ, 1923, Jaworzina :
Le droit d’interpréter authentiquement une règle juridique appartient seulement à celui qui a le droit de la modifier ou de la supprimer → ce sont les États.

Ils peuvent le faire de manière collective : l’interprétation donnée par tous les États parties (interprétation collective), alors que l’interprétation individuelle est faite par un seul État.

L’interprétation non authentique est celle qui est donnée par un tiers, notamment par un juge.


2) Méthodes d’interprétation

Ces interprètes appliquent tous les mêmes règles d’interprétation énoncées à l’article 31 de la Convention de Vienne.

Cet article donne d’abord une règle générale d’interprétation :
« 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ».

Idée : il s’agit de reconstituer l’intention et la volonté des parties.
→ Principe d’interprétation de bonne foi.

L’article 31 prévoit ensuite différents moyens d’interprétation qui vont permettre de reconstituer la volonté et l’intention des États.
Le contexte, c’est le texte + le préambule + les annexes, qui donne une base objective à l’interprétation.
On prend aussi en compte l’ensemble des accords et instruments en rapport avec le traité, avec notamment les déclarations et les réserves.
On prend aussi en compte les accords ultérieurs conclus par les parties.
On prend enfin en compte toutes les règles pertinentes du droit international applicables entre les parties + l’intention.

Si on a des doutes, l’article 32 de la Convention de Vienne prévoit des moyens complémentaires d’interprétation que l’on peut utiliser en cas d’ambiguïté ou d’obscurité.
On peut alors utiliser les travaux préparatoires et les circonstances.
Objectif : donner plein effet au texte et à ce qui a été consenti.

À quelle date doit-on se placer ?
L’interprétation peut être évolutive, à la lumière des circonstances actuelles.

§ 2. L’effet du traité à l’égard des tiers

A – Le principe de l’effet relatif

La Convention de Vienne pose le principe très clair de l’effet relatif du traité à son article 34.
Le traité fait droit entre les parties et ne produit aucun effet pour les tiers.

CPJI, 1929, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise :
Pour les tiers, le traité est un fait (res inter alios acta : “une chose faite par d’autres”).

Cela veut dire qu’il n’y a d’obligations que pour les parties au traité.
Un tiers ne peut pas demander l’exécution d’un traité auquel il n’est pas partie.

Cour permanente d’arbitrage, 1928, Affaire de l’île de Palmas :
Différend entre les États-Unis et les Pays-Bas concernant la souveraineté de l’île.
Dans sa sentence, l’arbitre déclare dans sa sentence qu’il est évident que les traités conclus par l’Espagne avec des tiers comme des États-Unis et qui reconnaissent la souveraineté sur l’île ne peuvent pas lier les Pays-Bas.

Sentence arbitrale, 1931, Île de Clipperton (Mexique c. France) :
Un tiers ne peut pas se prévaloir de dispositions d’un traité auquel il n’est pas partie pour obtenir un droit.

B – L’extension conventionnelle

L’article 34 de la Convention de Vienne précise cependant :
« Un traité ne crée ni obligations ni droits pour un État tiers sans son consentement« .
→ Il peut y avoir une extension conventionnelle.

Les dispositions du traité peuvent être étendus aux tiers :
> soit sur une base consensuelle ;
> soit sur une autre base.

1) Extension sur une base consensuelle

Il existe 2 hypothèses dans lesquelles le tiers peut bénéficier des dispositions d’un traité auquel il n’est pas partie :

  1. La technique de l’accord collatéral est un mécanisme juridique qui permet à un État de tirer des droits, des obligations ou les 2 d’un traité auquel il n’est pas partie.

    Il y a 2 dispositions à ce sujet dans la Convention de Vienne :

    • L’article 35 porte les traités qui prévoient des obligations pour des États tiers :
      « Une obligation naît pour un État tiers d’une disposition d’un traité si les parties à ce traité entendent créer l’obligation au moyen de cette disposition et si l’État tiers accepte expressément par écrit cette obligation ».
      La Convention dit bien que ça ne fonctionne que s’il y a le consentement, formalisé par un écrit, du tiers → accord entre le tiers et les États parties.
    • L’article 36 évoque les traités prévoyant des droits pour des États tiers :
      « Un droit naît pour un État tiers d’une disposition d’un traité si les parties à ce traité entendent, par cette disposition, conférer ce droit soit à l’État tiers ou à un groupe d’États auquel il appartient, soit à tous les États, et si l’État tiers y consent. Le consentement est présumé tant qu’il n’y a pas d’indication contraire, à moins que le traité n’en dispose autrement. »

    La différence tient à la formalisation du consentement :
    > lorsqu’elle porte sur une obligation, l’acceptation doit être expresse et écrite ;
    > mais elle peut être présumée lorsqu’elle a pour objet un droit.
    Dans les 2 cas, le tiers ne devient pas partie au traité.

  1. La clause de la nation la plus favorisée est beaucoup plus utilisée.
    C’est une clause que l’on retrouve dans les traités économiques, qui sont les traités mis en place par les États pour favoriser les investissements étrangers.

    C’est un cas particulier de traité qui crée un droit au profit d’un État.
    C’est une technique conventionnelle qui permet d’étendre à des États tiers les avantages consentis à d’autre en vertu d’un traité.

    Il faut au minimum 3 États et 2 traités, dont l’1 au moins doit prévoir une clause de la nation la plus favorisée.
    Idée : l’1 des États peut bénéficier de tout droit plus favorable consenti ultérieurement par l’une des parties à un autre État.

    Objectif : proposer des garanties aux investisseurs étrangers.
    Exemple : Traité bilatéral de promotion et de protection des investissements France ↔ Madagascar : « chaque partie contractante applique, sur son territoire et dans sa zone maritime, aux nationaux ou sociétés de l’autre partie, en ce qui concerne leurs investissements et activités liées à ces investissements, un traitement non moins favorable que celui accordé à ses nationaux ou sociétés, ou le traitement accordé aux nationaux ou sociétés de la nation la plus favorisée, si celui-ci est plus avantageux ».


2) Extension sur une autre base

2 hypothèses :

  1. Les traités établissant une situation objective sont opposables aux tiers, qui devront en tenir compte.
    Exemple : traité de délimitation d’une frontière : seuls les États frontaliers sont parties au traité, mais la frontière telle que définie par les États sera opposable aux tiers.
  1. L’extension sur une base coutumière est extrêmement similaire aux situations purement objectives.

    L’une des situations les plus connues d’extension sur une base coutumière :
    CIJ, 1949, Réparation des dommages subis au service des Nations unies.

    Dans cette affaire, plusieurs incidents impliquent des agents de l’ONU, avec notamment l’assassinat de son médiateur en Palestine par des personnes privées israéliennes.
    L’ONU reproche à Israël, qui n’est pas membre à l’organisation, de ne pas avoir suffisamment recherché les coupables et de ne pas les punir.
    Question soumise à la CIJ : l’ONU peut-elle agir en responsabilité et obtenir réparation pour les dommages causés aux Nations unies ?
    Autrement dit, l’ONU a-t-elle une personnalité objective ? Peut-on opposer à un État tiers ?

    La CIJ répond que « 50 États, représentant une très large majorité des membres de la communauté internationale, ont le pouvoir, conformément au droit international de créer une entité possédant une personnalité objective et non pas simplement une personnalité reconnue par eux seuls ».
    On retrouve ici l’idée de personnalité objective qui s’impose aux autres.

    Ici, la CIJ insiste sur le cas particulier de l’ONU, parce qu’aucun État ne s’était opposé à la création de l’organisation, que l’ONU s’est consolidée avec le temps, que les tiers avaient fondamentalement fini par accorder – au moins tacitement – un consentement à l’existence de l’organisation → elle en conclut que les tiers ne peuvent pas nier l’existence / la réalité juridique de l’organisation.

Dans ces 2 hypothèses, le tiers doit prendre en compte le traité et, dans une certaine mesure, respecter ses dispositions sans y avoir expressément consenti.

§ 3. L’effet du traité à l’égard des autres normes

Les relations entre normes peuvent prendre plusieurs formes :
> les normes peuvent se compléter ;
> les normes peuvent se confirmer ;
> les normes peuvent être incompatibles et entrer en conflit.
Il faut alors trouver des solutions pour résoudre ces conflits normatifs.

A – Les relations traités-traités

Il n’y a normalement pas de hiérarchie – il y a surtout des priorités d’application.
Dans les hypothèses où 2 traités peuvent entrer en conflit, il faut qu’il y ait identité des parties.

La question se pose essentiellement pour des traités successifs, lorsque les États prennent successivement des engagements portant sur les mêmes matières, mais des dispositions sont incompatibles → quel traité doit-on appliquer ?

On regarde d’abord ce que disent les traités.
On se réfère aux choix des parties et, s’ils ne disent rien, on regarde les solutions que propose la Convention de Vienne.

Les parties doivent décider en amont quels traités doivent s’appliquer en priorité.
Elles peuvent le faire de manière positive ou négative.
Si elles le font positivement, les parties disent explicitement dans un traité que, en cas de conflit, ce traité s’applique en priorité.
Exemple : article 103 de la Charte des Nations unies :
« En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront”.

L’article 30.2 de la Convention de Vienne évoque les traités à caractère supplétif :
« Lorsqu’un traité précise qu’il est subordonné à un traité antérieur ou postérieur ou qu’il ne doit pas être considéré comme incompatible avec cet autre traité, les dispositions de celui-ci l’emportent ».
Ce sont les États qui choisissent, lorsqu’ils négocient un traité, s’ils souhaitent que celui-ci soit supplétif ou non.

Quand ils n’ont rien choisi, la Convention de Vienne prévoit des solutions pour résoudre le conflit normatif.
Ces règles sont gouvernées par un principe : l’engagement le plus récent l’emporte ; on parle du principe de la lex postérieure.
Ce n’est pas surprenant : on fait prévaloir le traité le plus récent, c’est-à-dire la volonté commune des États la plus récente sur le sujet.

Dans les traités bilatéraux, cela ne pose pas de difficultés ; mais c’est plus compliqué dans les traités multilatéraux.
Si tous les États partie au traité antérieur sont parties au traité postérieur, on applique le traité postérieur.
Si toutes les parties au traité antérieur ne sont pas parties au traité postérieur, la situation est plus complexe : la solution dépend de la situation de chaque État par rapport au traité antérieur et par rapport au traité postérieur.

Dans l’hypothèse où un État est partie au traité antérieur sans être partie au traité postérieur, on applique le traité en vigueur entre les 2 États.
Entre les États qui sont partie au traité postérieur, on applique le traité postérieur.
Ces règles sont décrites à
l’article 30 de la Convention de Vienne.

Exemple :
A, B, C et D sont parties à un traité signé en 2010.
A, B et C sont parties à un traité signé en 2015.
Pour les conflits entre les parties A, B et C, on applique le traité de 2015 (application de la règle de la lex postérieure).
S’il y a un différend entre C et D, on applique le traité de 2010.

B – Les relations traités-coutumes

La coexistence des 2 règles est particulièrement manifeste dans les traités de codification, qui mettent par écrit les règles coutumières, tels que la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Pour les parties au traité de codification, on applique le traité.
Pour les autres, on continue à appliquer la coutume.

L’intérêt de ces traités est d’améliorer et préciser la coutume.
Fondamentalement, il y a un principe d’égalité : on peut déroger au traité pour la coutume + la coutume peut déroger au traité + on applique toujours la règle la plus récente.

⚠️ Exception : on ne peut déroger aux normes de jus cogens ni par traité ni par coutume.

Section 4 : Stabilité de l’engagement conventionnel dans le temps

§ 1. La modification

La modification peut être de 2 natures :
> soit on modifie le texte du traité (modification substantielle) ;
> soit on modifie le cercle des participants.

La modification substantielle modifie le contenu du traité après son entrée en vigueur.
Elle permet d’adapter le traité aux circonstances nouvelles.
Souvent, les traités indiquent la procédure pour les modifier ; quand ils ne prévoient rien, on se réfère à la Convention de Vienne.

Difficulté pratique : il faut obtenir l’accord des parties.
Le principe
pacta sunt servanda empêche toute réécriture unilatérale du texte ; la modification des traités est donc relativement rare.

Les parties peuvent interdire formellement toute modification du traité, mais dans la majorité des cas il faudra simplement l’accord des parties, ce qui impose de nouvelles négociations, de trouver un texte sur lequel les parties s’accordent → c’est le plus difficile.

Exemple : depuis de très nombreuses années, il y a un projet de réforme de la Charte des Nations unies, pour réformer la composition du Conseil de Sécurité ou au moins sur l’utilisation du droit de véto.

A – Modification explicite

La modification est explicite quand les parties modifient le texte en suivant la procédure qui est prévue.
Dans la pratique, on trouve des termes très différents : on parle parfois d’amendement, de révision, de modification ou de protocole.

Ici, la Convention de Vienne est supplétive ; on regarde en priorité la procédure prévue par le traité en question.

La Convention de Vienne demande l’accord de tous les États parties.
C’est une approche qui est aujourd’hui presque révolue, puisque la majorité des traités prévoient une possible modification des traités lorsqu’une majorité d’États partie sont d’accord (ça dépend de la nature de texte).

Exemple : la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (2000) prévoit à son article 39.3 :
« Un amendement adopté conformément au paragraphe 1 du présent article est soumis à ratification, acceptation ou approbation des États Parties.”

Exemple : le protocole de Kyoto (1997) prévoit à son article 20.4 que l’amendement entrera en vigueur avec l’accord d’au moins 3/4 des parties au protocole.
Les États doivent officiellement consentir à être liés par un amendement en déposant un instrument d’approbation.
Le protocole prévoit même une date d’entrée en vigueur des amendements.

Dans certains cas, l’amendement peut simplement entrer en vigueur après X temps, si par exemple aucune partie ne s’y est opposée.

→ Grande liberté des États pour prévoir les modalités de modification des traités.

Le vrai problème consiste en savoir quelle disposition appliquer quand tous les États parties au traité ne sont pas parties à l’amendement.
SI la modification concerne tous les États parties, chaque partie a le droit de notifier une proposition d’amendement et chacun peut participer aux négociations et à la conclusion de l’accord.
S’ils acceptent, on applique le traité tel qu’amendé ; mais si certains refusent l’amendement, la situation est différente.

Dans certains cas, le traité peut prévoir que l’amendement, s’il atteint une certaine majorité, pourra s’appliquer à tous les États, qu’ils y aient consenti ou non.

Les États qui deviennent parties ultérieurement à l’amendement sont liés par le traité tels qu’il est amendé ; ils ne peuvent pas revenir à la version initiale.

Si la modification ne concerne que certains États, certaines parties vont alors décider de modifier les termes pour régir leurs relations réciproques.
Autrement dit, ils décident de faire un club au sein d’un traité !

De manière générale, on trouve ça dans les protocoles, où les États peuvent décider d’aller plus loin dans les interdictions.
Par exemple, une convention de droits de l’homme peut consacrer le droit à la vie en n’interdisant pas la peine de mort ; ensuite, il est possible de faire un protocole pour comprendre ce droit comme l’interdiction de la peine de mort.

⚠️ On n’applique toujours aux États que les règles auxquels ils ont mutuellement consenti.

B – Modification implicite

La modification peut aussi être implicite : dans ce cas, le contenu du texte est modifié sans que le texte soit formellement changé.

On peut utiliser à cet égard la pratique ultérieure des États parties.
Ici, c’est la pratique des États qui modifie les obligations ou le contenu du traité.

En effet, la pratique ultérieure peut revêtir le caractère d’une coutume → c’est la nouvelle coutume qui va s’appliquer.

Exemple :
La charte de l’ONU prévoit que pour qu’une décision soit approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU, il faut un vote positif des 5 membres permanents, mais une pratique s’est développée avec le temps consistant à modifier la charte pour considérer que, si l’1 des membres permanents s’abstient, ça ne bloque pas la résolution.
La CIJ, dans son avis sur la Namibie, a reconnu qu’une pratique générale de l’organisation s’était développée au point d’entraîner la modification d’une disposition fondamentale de la charte concernant l’adoption des résolutions au sein du Conseil de sécurité en ce sens que l’abstention d’un membre permanent n’était pas contraire à l’exigence d’un vote affirmatif.

Exemple :
Dans une sentence arbitrale relative à l’interprétation d’un accord aérien du 27 mars 1946 entre les Etats-Unis et la France, le tribunal a considéré que la conduite ultérieure des parties peut entrer en compte non pas seulement comme un moyen d’interpréter le texte, mais comme quelque chose de plus → comme une source de modifications ultérieures.

Une autre possibilité est la survenance d’une nouvelle règle de droit.
Ici, il y a une évolution du contenu du texte sans sa modification en raison de l’évolution des notions auxquelles le texte renvoie.
→ Évolution du sens du texte.

Exemple : CIJ, 1970, Barcelona Traction :
Le traité renvoyait à la CPJI, institution qui a disparu, remplacée par la CIJ.
Tous les traités qui renvoient à la CPJI doivent être compris comme renvoyant à la CIJ.

C – La modification du cercle des parties

Un État peut-il se retirer d’un traité pour des motifs propres et issus de sa propre volonté (autrement dit, s’il en a envie) ?
Y a-t-il un
droit de retrait (ou droit de dénonciation) des traités ?

La Convention de Vienne répond négativement : un État ne peut pas se retirer unilatéralement d’un traité si celui-ci ne prévoit pas de possibilité de retrait.

En principe, le droit de dénonciation doit avoir été prévu par le texte du traité (article 54 de la Convention de Vienne de 1969).
En pratique, de nombreux traités autorisent le retrait, en fixant des conditions (notamment de préavis).

Exemple : l’article 127 du Statut de Rome (établissant la Cour pénale internationale) prévoit ses modalités de retrait :
”Tout État Partie peut, par voie de notification écrite adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, se retirer du présent Statut. Le retrait prend effet un an après la date à laquelle la notification a été reçue, à moins que celle-ci ne prévoie une date postérieure”.

Le retrait est une action politiquement et diplomatiquement forte.
Exemple : dans une déclaration du 9 juin 2023, “la France condamne la décision de la Fédération de Russie de se retirer du Traité sur les Forces conventionnelles en Europe”.

Généralement, le traité prévoit des conditions à l’exercice du droit de retrait.
La majorité des traités incluent ainsi des clauses de retrait pour éviter les différends sur la possibilité même de se retirer.

Par exemple, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires prévoit à son article 127 que :
« Chaque État Partie, dans l’exercice de sa souveraineté nationale, a le droit de se retirer du présent Traité s’il décide que des événements extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays. Il doit alors notifier ce retrait au Dépositaire. Ladite notification doit contenir un exposé des événements extraordinaires dont l’État en question considère qu’ils ont compromis ses intérêts suprêmes.
Le retrait ne prend effet que 12 mois après réception de la notification du retrait par le Dépositaire. Si toutefois. à l’expiration de cette période de 12 mois, l’État Partie qui se retire est partie à un conflit armé, il reste lié par les obligations résultant du présent Traité et de tout protocole additionnel jusqu’à ce qu’il ne soit plus partie à aucun conflit armé ».

Pour se retirer d’un traité, l’État doit donc regarder quelles sont les conditions posées par le texte.
Cependant, parfois, il n’y en a pas : certains traités ne prévoient rien.
Dans ce cas là, il faut consulter
la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui a encadré le retrait à son article 56 :

« 1. Un traité qui ne contient pas de dispositions relatives à son extinction et ne prévoit pas qu’on puisse le dénoncer ou s’en retirer ne peut faire l’objet d’une dénonciation ou d’un retrait, à moins :
a) Qu’il ne soit établi qu’il entrait dans l’intention des parties d’admettre la possibilité d’une dénonciation ou d’un retrait; ou
b) Que le droit de dénonciation ou de retrait ne puisse être déduit de la nature du traité.
2. Une partie doit notifier au moins douze mois à l’avance son intention de dénoncer un traité ou de s’en retirer conformément aux dispositions du paragraphe 1″.

La Convention de Vienne adopte une formulation volontairement négative, qui montre l’opposition de ses rédacteurs au droit de retrait ; mais ce droit de retrait existe s’il peut être dégagé de l’intention des parties ou qu’il peut être déduit de la nature du traité.

La Convention de Vienne liste 3 motifs qui permettent à un État de se retirer d’un traité.
Ces motifs sont les mêmes que pour la suspension du traité et l’extinction du traité :

  1. Le changement fondamental de circonstances ;
    On parle parfois de clauses rebus sic stantibus (”tant que les choses restent en l’état”).
  1. L’inapplication du traité en raison de sa violation par une autre partie contractante ;
  1. L’impossibilité d’exécution.

La Convention de Vienne prévoit un délai au bout duquel le traité prend fin, pour gérer les conséquences du retrait : il faut notifier au moins 12 mois à l’avance les parties ou le dépositaire.

L’État qui souhaite se retirer écrit aux autres parties pour en exposer les raisons.
Les autres parties doivent réagir à cette prévention : si elles ne font rien, on considère qu’elles acceptent.

Le droit international général est très peu ouvert aux cas de non-application des traités, parce que ne pas appliquer un traité est contraire à la sécurité juridique.
Par exemple, la Convention de Vienne explique que la rupture des relations diplomatiques entre 2 États n’a pas d’effet sur l’exécution du traité.

Un traité doit avoir un nombre suffisant de parties.
Que se passe-t-il si, après de trop nombreux retraits, il n’y a plus assez d’États parties à un traité ?
La Convention de Vienne ne dit rien sur ce sujet. On en déduit que ça n’est pas parce que le nombre d’États parties est inférieur au nombre requis pour l’entrée en vigueur du traité que ce même traité cesse.

→ Le droit international est très peu ouvert à l’inexécution des traités.

Il a été prévu des cas de suspension ou de terminaison des traités.
En cas de suspension, l’exécution du traité est interrompue pendant quelques temps. C’est l’hypothèse la moins gênante : le traité subsiste mais son exécution est interrompue.
En cas de
terminaison, le traité n’aura plus jamais d’effets juridiques.
Les motifs en sont laissés à la discrétion des États.

§ 2. La suspension

Les parties peuvent prévoir une clause relative à la suspension :

  1. La suspension peut résider de l’accord des parties.
  1. Le traité peut être suspendu en raison d’une évolution extérieure au traité.

Au sein de l’évolution extérieure, on retrouve tous les mécanismes mis en place par la Convention de Vienne :
> l’inapplication du traité en raison de sa violation ;
> l’impossibilité d’exécution ;
> le changement fondamental de circonstances.

1) L’exception d’inexécution

On l’appelle aussi l’exception non adimpleti contractus.
L’article 60 de la Convention de Vienne
dispose que :
« 1. Une violation substantielle d’un traité bilatéral par l’une des parties autorise l’autre partie à invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou suspendre son application en totalité ou en partie. »
« Une violation substantielle d’un traité multilatérale par l’une des parties autorise :
a) Les autres parties, agissant par accord unanime, à suspendre l’application du traité en totalité ou en partie ou à mettre fin à celui-ci :
i) Soit dans les relations entre elles-mêmes et l’Etat auteur de la violation;
ii) Soit entre toutes les parties”.

Les autres parties au traité peuvent donc soulever l’exception d’inexécution.

L’inexécution entraîne la responsabilité de celui qui ne respecte pas ses engagements.

CIJ (avis), 1971, Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité :
La CIJ rappelle qu’il existe un principe juridique général suivant lequel le droit de mettre fin à un traité comme conséquence de sa violation est présumé exister dans tous les traités.
Cependant, des conditions sont prévues.

Il faut une violation substantielle.
Autrement dit, n’importe quelle violation ne permet pas de mettre fin à l’exécution d’un traité.
Cela permet d’éviter des abus et une remise en cause trop fréquente des engagements conventionnels.

La Convention de Vienne définit elle-même la violation substantielle au paragraphe 3 de l’article 60 : une violation substantielle du traité est constituée par :

  1. un rejet du traité non autorisé par la convention ; ou
  1. la violation d’une disposition essentielle pour la réalisation de l’objet et du but du traité.

Généralement, les États invoquent le 2ème cas.

Dans un différent maritime entre la Croatie et la Slovénie, un tribunal arbitral a précisé que ce n’est pas l’intensité ou la gravité qui est importante : il faut que les violations rendent impossible la réalisation de l’objet du traité.
Dans cette affaire, la violation concernait un manquement à l’obligation de confidentialité prévue dans une convention d’arbitrage.
→ Seules certaines violations empêchent l’exécution du traité.

De plus, il faut que la suspension réponde à la violation.

Enfin, il n’est jamais possible d’invoquer la violation pour suspendre ou se retirer d’un traité portant sur les droits de l’homme ou présentant un caractère humanitaire.
→ Ces traités ne peuvent pas être suspendus au motif qu’il n’y a pas de réciprocité.


2) L’impossibilité d’exécution

L’impossibilité d’exécution est un autre cas de suspension d’un traité.

On peut invoquer l’impossibilité d’exécution quand l’impossibilité est temporaire.
Elle conduit nécessairement à la non application du traité dans les faits.
L’impossibilité doit être réelle, c’est-à-dire physique → elle doit avoir un caractère objectif.

Le cas est prévu à l’article 61 de la Convention de Vienne :
« Une partie peut invoquer l’impossibilité d’exécuter un traité comme motif pour y mettre fin ou pour s’en retirer si cette impossibilité résulte de la disparition ou destruction définitives d’un objet indispensable à l’exécution de ce traité. Si l’impossibilité est temporaire, elle peut être invoquée seulement comme motif pour suspendre l’application du traité ».

Exemple : traité qui porte sur une île qui disparaît.
Exemple : traité qui porte sur un fleuve asséché.

Limite : il ne faut pas que la disparition résulte de la violation du traité par la partie qui l’invoque (soit d’une partie du traité, soit de toute autre obligation internationale).

Par exemple, en matière de traités sur des infrastructures collectives : imaginons un traité qui a pour objet de réglementer une station spatiale avec des obligations en termes financiers.
S’il y a un problème technique et que la station spatiale tombe, les États peuvent demander la suspension ou l’interruption du traité ; mais si un État partie envoie un missile sur la station spatiale et que celle-ci tombe, cet État ne peut pas demander la suspension du traité.

Il n’est possible de faire une suspension partielle que quand on ne porte pas atteinte aux droits et obligations des autres parties contractantes.
La suspension peut aussi ne concerner que certains États.

§ 3. La terminaison

L’extinction peut résulter de l’accord des parties ou dépendre de l’évolution du droit extérieur.
→ Le traité perd sa force obligatoire et disparaît.

💡 Les États peuvent prévoir des clauses de terminaison du traité.

A – L’accord des parties

L’accord des parties peut être prévu à l’avance ; les parties peuvent aussi se mettre d’accord par la suite (article 54 de la Convention de Vienne).

Exemple : article 60 SI de l’accord international de 1986 sur l’huile d’olive et les olives de table :
« Le présent Accord restera en vigueur jusqu’au 31 décembre 1991 à moins que le Conseil ne décide de le proroger, de le reconduire, de le renouveler ou d’y mettre fin auparavant conformément aux dispositions du présent article ».

B – L’évolution ultérieure

Le traité peut s’éteindre en raison de l’évolution du droit ou des faits.

1) Apparition d’une nouvelle règle

Par exemple, un nouveau traité entre les parties prévoit l’abrogation de l’ancien traité.
Par exemple, l’article 44 §1 de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 prévoit que, dès l’entrée en vigueur de la Convention, ses dispositions abrogeront et remplaceront toute une série de dispositions antérieures.

Cela peut aussi être le cas s’il existe une nouvelle règle de jus cogens.
Quand une nouvelle règle de jus cogens apparaît, les traités qui y sont contraires disparaissent.


2) Disparition de l’État

Cette hypothèse est très rare.
Elle s’est appliquée par exemple pour les traités conclus entre la RFA et la RDA.


3) Le changement fondamental de circonstances

Le changement fondamental de circonstances permet à une partie d’invoquer un changement de circonstances pour se retirer ou mettre fin au traité.
Ce principe vient du droit romain : on parle de clause rebus sic stantibus.

Ainsi, le droit international admet que si un changement fondamental des circonstances qui ont incité les parties à accepter un traité transforme radicalement la portée des obligations imposées, la partie lésée peut, à certaines conditions, en prendre argument, voire invoquer la caducité ou la suspension (CIJ, 1951, Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège)).

Les conditions sont prévues à l’article 62 de la Convention de Vienne, qui explique :
« Un changement fondamental de circonstances qui s’est produit par rapport à celles qui existaient au moment de la conclusion d’un traité et qui n’avait pas été prévu par les parties ne peut être invoqué comme motif pour mettre fin au traité ou pour s’en retirer,
à moins que :
a) L’existence de ces circonstances n’ait constitué une base essentielle du consentement des parties à être liées par le traité; et que
b) Ce changement n’ait pour effet de transformer radicalement la portée des obligations qui restent à exécuter en vertu du traité
« .

Les conditions sont donc très restrictives :

  1. Le changement doit vraiment être fondamental, voire vital : il faut qu’elle mette en péril l’existence d’une des parties.
  1. Le changement doit porter sur les circonstances qui existaient au moment de la conclusion du traité → ce changement ne devait pas être prévisible.
  1. Les circonstances doivent avoir constitué la base essentielle du consentement.

Conclusion

En droit des traités, les procédures sont souvent longues et complexes.
Ces procédures permettent d’aboutir à un écrit, dont le droit issu des coutumes et de la Convention de Vienne viennent assurer la stabilité.
Une fois qu’on a un accord qui produit des effets de droit, on essaie de tout faire pour le garder !

Ce qui est intéressant, c’est de voir que, même dans le droit des traités, on a très souvent des actes unilatéraux, qui sont liés à des instruments conventionnels.

Introduction générale : l’ordre juridique international et le droit international

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Droit international public (L3).

Le droit international est un droit très conceptuel : il existe des débats doctrinaux sur des notions fondamentales !

Section 1 : Définition du droit international public

Qu'est-ce que le droit international public ? C’est difficile à définir !

On pourrait penser que le droit international public est uniquement le droit qui régit les relations internationales, mais ce n’est pas du tout le cas ; ça ne rend pas compte des autres relations régies par le droit international.

La notion même de relations internationales a évolué.
Les relations internationales, ce n'est pas uniquement les relations interétatiques : les États occupent toujours une place centrale sur la scène internationale, mais ils ne sont plus les seuls à y intervenir (exemples : multinationales, groupes privés type Wagner, …).
Au sens large, les relations internationales sont donc les relations humaines qui débordent du cadre des frontières étatiques.

De relations internationales, on passe à des relations transnationales.

§ 1. Les relations d'État à État

Il s'agit des relations publiques nouées entre des représentants d'États.
Les individus interviennent en tant qu'agents de l'État, et non à titre personnel.

Les règles de droit portent sur des sujets très variés : délimitations de frontières, sécurité internationale, aide humanitaire, manière de conclure des traités, de mener une guerre…

Pour ces relations d'État à État, on considère que les États sont souverains.

Cette souveraineté a un corollaire : tous les États sont égaux.
Ça implique qu'aucun État ne peut être soumis au droit interne d'un autre : parce que les États sont souverains, le droit national de l'un d'eux, aussi puissant qu'il soit, ne peut pas régir les relations d'État à État.

En droit international public, le droit interne constitue un simple fait (dont il faut tenir compte et qui produit des effets juridiques !).

Si ce n'est pas du droit national, quel droit pourrait régir les relations d'État à État ?
On pourrait imaginer un droit supra-étatique, produit par une entité qui serait supérieure aux États, mais ça non plus ça marche pas, parce que sinon les États ne seraient pas souverains.
Il n’existe pas une organisation internationale qui peut imposer du droit aux États.

On aboutit ainsi à la définition du droit international.
Le droit est international parce qu'il est produit dans l'ordre juridique international, selon ses techniques propres.
→ Le DIP est défini formellement (par là où il est produit) et non matériellement (par ses règles).

§ 2. Les relations entre les États et les organisations internationales (et les relations entre organisations internationales)

Exemple : convention entre l'UNESCO et la France pour installer son siège à Paris.

§ 3. Les relations internes des organisations internationales

Toutes les relations internes aux relations internationales ne peuvent être régies que par du droit qui est produit dans l'ordre juridique international.

Exemple : le statut des fonctionnaires internationaux, qui peuvent être envoyés en mission dans certains États sans visa, en étant protégés par une immunité.

Section 2 : Caractéristiques de l'ordre juridique international

Un ordre juridique est un ensemble coordonné de normes dotées de force obligatoire à l'égard de sujets déterminés et dont la méconnaissance entraîne certaines conséquences.

Dans l'ordre juridique international, on retrouve ces éléments, mais il y a une différence : ça ne ressemble en rien à l'ordre interne.

Il y a eu une période de négation du droit international.
On pense que cette querelle a aujourd’hui disparu, mais on entend encore souvent dire dans les médias que “le droit international n'est pas vraiment du droit”.
Généralement, ceux qui soutiennent cela s'appuient sur Spinoza.

Spinoza considère que, parce que le droit international n'est pas comme le droit interne, alors que ça n'est pas vraiment du droit.
Pour les négationnistes du droit international, la preuve est qu’il y a toujours la guerre.

2ème objection : il n'y a pas de mécanisme de mise en œuvre du droit international.
Autrement dit, il n'y a personne pour le faire respecter (pas de gendarme ni de législateur), donc quand on le viole, il n'y a pas vraiment de conséquences.

Ça n'est pas forcément faux ; mais quand on écoute les discours des États, quand on observe les acteurs et la pratique, on constate qu’ils invoquent toujours le droit international pour justifier leurs actions.
→ Montre vraiment que le droit international, c'est du droit.

La spécificité essentielle, c'est la souveraineté, qui est le facteur de différenciation avec les droits internes.
Le droit international est un système qui a sa propre logique.
Il y a 3 facteurs de différentiation :

  1. C’est un ordre décentralisé et horizontal.

    Le droit international est un droit de coordination qui est produit par des acteurs qui sont égaux et qui vont devoir se concerter pour se mettre d'accord.
    → Il n'y a pas de super État.

    Le droit international coutumier pose des règles qui sont communes à tous les États.

    Comme l’État est souverain, il ne peut être soumis à aucune autre puissance que lui-même (sinon il ne serait pas souverain !).
    → Les États se concertent et consentent à s'auto-limiter.

    La souveraineté signifie qu'un État ne peut pas se voir imposer une règle qu'il n'a pas acceptée.
    L’État est toujours libre de s'engager, d'accepter de nouvelles règles / de nouvelles contraintes ; mais une fois qu'il les a choisies, il doit les respecter, donc ce n’est pas un ordre arbitraire → il y a des conséquences à la violation.

  1. La formation repose sur le consentement.

    En droit interne, la règle s'impose à tous dès sa création.
    → Logique de validité.
    → Logique objective : la règle s'applique à tous ses destinataires.

    En droit international, les règles sont relatives – elles ne s'appliquent qu'à ceux qui les ont choisies.
    On n’est pas dans une logique de validité, mais dans une logique d'opposabilité.

    Par exemple, si un groupe de français se rend en Libye et y est arrêté et torturé, peut-on demander à la Libye de respecter les standards de la Convention EDH ? Non, parce qu'elle n’y est pas partie.
    Dès lors, lorsque l’on veut appliquer une règle internationale, on doit vérifier qu'elle est opposable à l’État – elle ne lui est opposable que lorsqu’il a accepté qu’elle le soit.

  1. L’opposabilité : que se passe-t-il quand un État ne respecte pas le droit international ?

    Un État engage sa responsabilité dès lors qu'il ne respecte pas le droit international.
    Il a une obligation de réparer les dommages → conséquence juridique, qui se traduit souvent par une indemnisation ou une restitution.

    Un État peut prendre des mesures de rétorsion, qui sont mesures conformes au droit international mais inamicales.
    Exemples : renvoi de l’ambassadeur, suspension des programmes d’échange…

    Enfin, un État peut prendre des contremesures lorsque l’on considère qu’il a le droit de violer le droit international. Elles sont destinées à inciter l'autre État à respecter le droit international.

Section 3 : Fondement du droit international public

Difficulté : en droit international public, il faut s'habituer à une certaine forme de relativité et d'incertitude.
C'est une matière très riche en débats doctrinaux.
Les choix ne sont pas neutres : quand on choisit une explication particulière, on se rattache à un courant doctrinal.

Quel facteur explique la force obligatoire du droit international public ?

§ 1. Théories naturalistes

La notion de droit naturel implique qu'il y a certaines règles et valeurs inhérentes à la nature humaine, qui existent ipso facto et qui sont supérieures et antérieures au droit positif et dont les principes fondent le caractère obligatoire du droit.

Autrement dit, pour les tenants du droit naturel, les fondements du caractère obligatoire du droit international résident en dehors du droit lui-même.

Ces théories sont très anciennes.
Elles ont notamment été avancées par Francisco de Vitoria et Francisco Suarez.

C’est Grotius, dans son ouvrage Droit de la guerre et de la paix (1625), qui fonde le droit naturel ne reposant pas sur une explication divine, mais sur une explication laïque.
Il explique que le droit naturel dérive de la raison : pour lui, c'est la raison qui fait connaître si une action est moralement honnête ou non.
Il distingue le
droit naturel du droit volontaire, qui est le droit issu de l'accord de nations.

Pour Grotius, le droit naturel contient un principe : pacta sunt servada → “ce qui a été conclu doit être respecté”.
Pour lui, c'est ce principe qui fonde le caractère obligatoire du droit, et ce principe appartient au droit naturel.

Au 18ème siècle, Emer de Vattel reprend la théorie de Grotius, en ajoutant que l'État est l'interprète souverain de ce droit.

§ 2. Théories positivistes

Parmi les positivistes, on retrouve plusieurs branches :
1- le volontarisme ;
2- le normativisme ;
3- l'objectivisme sociologique.

A – Le volontarisme

Dans le droit naturel, le fondement du caractère obligatoire est extérieur au droit.
À l’inverse, le volontarisme considère que le fondement du caractère obligatoire n'est plus la morale ni les valeurs, mais uniquement la volonté des États.

Heinrich Tripel estime que l'État est la source unique du droit.
Conséquence : le droit ne peut dépendre que de la volonté des États.

Cette théorie a été développée et a connu un très grand succès, notamment grâce à Dionisio Anzilotti, considéré comme l'un des pères du droit international.
Pour Anzilotti, le droit s'impose à tous les membres de la communauté internationale parce qu'il émane d'une volonté supérieure.
Idée : il n'y a pas de volonté supérieure à celle de l'État.

Le volontarisme se construit autour de la notion de souveraineté.

Comment un État peut-il s'obliger par sa propre volonté ?
E. M. Jellinek se fonde uniquement sur la théorie de l'autolimitation.
Idée : l'État a la volonté de s'autolimiter et le fait dans son propre intérêt (→ appartenir à la communauté internationale).

C’est une vision du droit international qui n’est construit que par des règles prohibitives.
Les États, qui ont une faculté totale d'action, vont s'autolimiter et interdire des comportements

Triepel estime qu'il faut distinguer la volonté isolée, qui ne vaut rien, de la rencontre des volontés.
Pour lui, le droit est obligatoire parce qu'il résulte d'un accord de volontés.

Anzilotti s’appuie quant à lui sur une règle supérieure.
Il recherche une norme qui va fonder la règle d'après laquelle l’État est lié par le droit international : cette règle, c'est
pacta sunt servanda.

💡
Ici, on estime que cette règle appartient au droit, et non pas qu’elle lui est extérieure → on peut trouver un fondement de droit naturel ou un fondement volontariste à la même règle !

B – Le normativisme

Les volontaristes sont concurrencés par les normativistes, avec à leur tête Kelsen et l'école de Vienne.

Selon Kelsen, la conception de l'État est entièrement fictive : l'État est le droit, et rien de plus.
L’État est un système de normes / un ordonnancement juridique.

Pour lui, dans l'ordre international, le fondement du caractère obligatoire repose sur le principe pacta sunt servanda.

C – L’objectivisme sociologique

Le représentant le plus connu de ce mouvement est Georges Scelle.
Idée : ne pas se fonder sur la volonté ni sur les techniques de production, mais sur le caractère matériel → le contenu de la règle.

Georges Scelle adopte une conception solidariste de la société internationale.
Il considère qu’il y a vraiment une solidarité sociale, et que c'est cette solidarité sociale qui fonde le caractère obligatoire du droit international public.

Idée : si l’on vit en société, il faut nécessairement qu'on ait des règles que l’on respecte tous.
Ce sont ces règles et ces valeurs qui vont fonder le caractère obligatoire du droit.

Conclusion

On est confrontés à beaucoup d'explications différentes, mais qui reposent toutes sur l'idée qu'il faut respecter ses engagements.
C'est ensuite à nous de décider à laquelle des écoles l’on appartient.

De manière générale, ce cours se contentera de présenter les différentes conceptions doctrinales sans trop s'y intéresser.
Le plus intéressant, c'est comment ça se passe en vrai !

Sommaire : cours complet de Droit international public (L3)

Première partie :
Mode de formation des engagements internationaux

Deuxième partie :
Les sujets du droit international public