Thèse : Les Mexicains de l’Ubaye (1821-1948)

Thèse pour le doctorat en droit présentée et soutenue par Pierre Ebrard à Aix en 1948.
Disponible à la Bibliothèque Cujas – consultée le 30 juin 2023.

Cette thèse étudie le courant migratoire très particulier qui a relié, aux XIXème et XXème siècles, la ville de Barcelonnette (Alpes de Haute Provence) et le Mexique.

Il s’agit d’une thèse en droit, mais qui, étonnamment, ne comporte quasiment aucune étude juridique. Le langage utilisé est clair et l’on se plonge rapidement dans la lecture.
Dans son avant-propos, Pierre Ebrard souligne :

« Étant donné l’importance et l’originalité de ce courant migratoire, il était utile de combler cette lacune. C’est ce à quoi je me suis employé tout au long de ces pages. Mon objectif est donc de révéler aux uns et de préciser aux autres cette émigration, sans en oublier toutefois le caractère singulier. C’est ainsi que le sujet sera non pas tellement “l’émigration barcelonnette au Mexique”, mais bien plutôt “les barcelonnettes mexicains de l’Ubaye”. C’est à ces derniers qu’est consacré cet ouvrage au titre suffisamment évocateur, je l’espère.”

De manière très exhaustive, et sans jamais oublier d’expliciter le jargon ubayen utilisé par de nombreuses notes de bas de page, l’auteur commence par étudier en profondeur dans une première partie les causes anciennes et modernes de cette émigration.

La seconde partie, consacrée à la vie de ces exilés temporaires au Mexique, est aussi exhaustive que passionnante, s’intéressant à la fois au commerce qu’aux conditions de vie et à l’activité politique mexicaine entre 1821 et 1947. On appréciera que l’auteur prenne largement son temps pour exposer l’état économique et social du Mexique au XIXème siècle, soucieux de ne pas “séparer les progrès de la colonie française du milieu dans lequel elle se développait et dont elle tirait ses revenus”.

Enfin, la troisième et dernière partie s’intéresse au retour en France de ces émigrés, par une étude d’abord historique et statistique, puis économique. Je ne saurais que trop recommander la lecture des parties “ceux qui ne reviennent plus, maladie, malchance” (pages 149 à 152), “travail, honnêteté, célibat” (pages 154 à 156), ainsi que de la conclusion générale.

Ressources en ligne en savoir plus :
> De Barcelonnette au Mexique et retour (pour certains). Histoire d’une émigration réussie. – Persée (persee.fr)
> Centre Français de Recherche sur le RenseignementL’implantation des barcelonnettes au Mexique (1821-1950) : un exemple d’intelligence économique avant la lettre » – Centre Français de Recherche sur le Renseignement (cf2r.org)

Conférence d’Alain Juppé : faut-il défendre l’État de droit ?

Il s’agit ici d’une transcription de la conférence donnée par Monsieur Alain Juppé le mardi 22 novembre 2022 devant le Collège de droit de la Sorbonne. Les propos rapportés ont été légèrement édités pour plus de clarté.

“Il est essentiel de se poser cette question pour 2 raisons : d’abord, parce que l’État de droit est le garant des droits fondamentaux ; ensuite, parce que l’État de droit est aujourd’hui gravement attaqué de tous côtés.

Mais, tout d’abord, qu’est-ce que l’État de droit ? On distingue 2 piliers fondamentaux :

  1. La séparation des pouvoirs ;
    Montesquieu affirme que « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est amené à en abuser », que « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » et que « lorsque dans la même personne la puissance législative est réunie à la puissance exécutive, il n’y a pas de liberté ».
  1. Le respect de la hiérarchie des normes, avec au sommet la Constitution, dont l’adoption et la révision est soumise à des règles solennelles (posées par l’article 89 de la Constitution), puis en dessous la loi et enfin les actes règlementaires.

Des juridictions indépendantes contrôlent à chaque niveau le respect de cette hiérarchie.

Le Conseil constitutionnel, dont je suis membre, est prévu par le titre 7 de la Constitution.

Son fonctionnement au quotidien est assez simple : il siège au Palais-Royal, où chacun de ses membres a un bureau. Nous nous réunissons en collège le mardi matin en audience publique pour écouter les observations des avocats sur les QPC ; le délibéré a ensuite lieu le jeudi.

Nos délais de jugement sont très contraints – pour le contrôle à priori, 1 mois ; pour le contrôle à posteriori, 3 mois.

Nos décisions sont sans appel et s’imposent à toutes les autorités de la République.

Le Conseil constitutionnel compte une cinquantaine de personnes, avec notamment un service juridique très pointu.
Un rapporteur est nommé sur chaque proposition.

Historiquement, l’évolution du Conseil constitutionnel s’est faite en 4 temps :

  1. En 1958, on innove et crée pour la 1ère fois le Conseil constitutionnel. Son objet est alors différent d’aujourd’hui : il vise à éviter le retour au régime d’assemblée et protéger les autorités gouvernementales contre les empiètements du Parlement.
    Le Conseil constitutionnel est le « chien de garde de l’exécutif » : à l’origine, il ne peut être saisi que par le Président de la République, le Premier ministre ou les présidents des assemblées.
  1. En 1971, dans sa décision Liberté d’association du 16 juillet, le Conseil constitutionnel, de manière prétorienne, élargit les normes de référence en fonction desquelles il juge la conformité des lois.
  1. En 1974, sur l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing, la saisine du Conseil constitutionnel est étendue à 60 députés ou 60 sénateurs ; cela donne un nouveau pouvoir à l’opposition.
  1. En 2008, la réforme constitutionnelle voulue par le président Sarkozy aboutit à une révolution dans la compétence du Conseil constitutionnel : le nouvel article 61-1 de la Constitution instaure la QPC.
    Il s’agit d’une possibilité donnée à tout citoyen, à l’occasion de n’importe quel procès, de soulever l’inconstitutionnalité d’une loi – même ancienne – dont on considère qu’elle n’est pas conforme à la Constitution.
    Un filtre est inscrit dans la Constitution : le Conseil d’État et la Cour de cassation s’assurent que les conditions de saisine sont remplies.

La QPC est une révolution dans la charge de travail du Conseil constitutionnel.

Avant la QPC, il rendait ~10 décisions par an, contre 100 aujourd’hui. Les QPC représentent 80% de son activité.

C’est aussi une révolution dans le rôle du Conseil constitutionnel, puisque le contrôle de la QPC porte sur les libertés et droits que la Constitution garantit.
Le Conseil constitutionnel devient le garant des libertés et droits garantis par la Constitution.

Attention : aucune de ces libertés n’est absolue. La loi peut fixer des normes au nom de l’intérêt général.
Par exemple, dans le cadre du confinement national en raison de la Covid-19, le Conseil constitutionnel a dû apprécier la conciliation entre intérêts contradictoires. Dans ce cas précis, il a jugé que les garanties apportées étaient suffisantes.

2 précisions :

  1. Nous ne sommes pas juges de la conventionnalité des lois.
    Nous ne jugeons pas in concreto, mais in abstracto.
  1. Nous n’avons pas un pouvoir d’appréciation et de précision de même nature que le Parlement.
    C’est pour ça qu’il n’y a pas de gouvernement des juges. Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle restreint : au final, il appartient à la représentation nationale de trancher.

    Exemple : lors d’une QPC récente portant sur une interruption de traitement qui porterait atteinte à la dignité de la personne humaine et à la liberté personnelle de l’individu, le Conseil a affirmé que :
    « Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles […] dès lors que ces conditions ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif poursuivi ».

Le Conseil constitutionnel est aussi chargé de veiller à la régularité des élections présidentielles.
Il statue aussi sur les conditions des élections législatives, règlementaires, etc.

Enfin, l’article 11 de la Constitution prévoit qu’il contrôle le bon déroulement du référendum d’initiative populaire.

Aujourd’hui, l’État de droit est menacé.
Ces menaces sont d’abord internes, avec notamment la crise de la démocratie représentative, en France comme ailleurs : les moins de 25 ans se sont abstenus à 84% aux dernières élections municipales !

Le déclin des partis de gouvernement s’accompagne d’un discrédit de la classe politique, parce que les français ont le sentiment que les politiques mentent et sont inefficaces.

Il y a aussi une aspiration croissante des citoyens à participer aux décisions qui les concernent.
Cela illustre la division entre démocratie d’autorisation et démocratie de participation.

Malheureusement, les remèdes sont limités : faut-il faire des tirages au sort ? des conventions citoyennes ?

Il y a un vrai défaut d’évaluation des politiques publiques : on vote des lois, on ne regarde jamais ce qu’elles donnent.

Les menaces sont aussi externes, avec notamment le terrorisme, les fanatismes, les sectes.

Le développement des technologies numériques engendre des dangers pour les libertés individuelles.
Nous sommes tracés dans tous les actes de notre vie quotidienne, comme l’illustre la disparition du paiement en espèces.
Des régimes mal intentionnés pourraient imposer une société de surveillance.

Ces réseaux sont aussi extrêmement vulnérables, notamment aux cyberattaques.

Ces technologies nous apportent des opportunités fantastiques, mais sont aussi des poisons.
Il faut reprendre la main sur ces technologies pour remettre l’humain au centre.

Pour l’heure, des réglementations européennes et la jurisprudence des tribunaux ont posé un certain nombre de limites à l’utilisation de ces technologies.”

Les enjeux politiques de l’État de droit

“Aujourd’hui, on constate un recul général des valeurs démocratiques. On a le sentiment que les régimes sécuritaires sont plus efficaces pour faire face aux défis du monde que la démocratie.

Il y a aujourd’hui un profond clivage entre les tenants des valeurs humanistes et démocratiques d’un côté et les propagandistes des régimes autoritaires et dictatoriaux de l’autre.

M. Poutine parle d’excès du libéralisme. Cela illustre-t-il une refragmentation du monde ?

Nos valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité) ne sont plus universellement acceptées.
Est-ce que pour autant nous devons renoncer à ces valeurs
Évidemment non ! Ce sont les nôtres, nous devons en rester fiers.”

Questions/réponses

Note : seules les réponses d’Alain Juppé aux questions sont reproduites.

  • Il n’y a pas de gouvernement des juges. C’est un fantasme. Les juges appliquent la loi.
  • Il y a trop d’amendements aujourd’hui. Il faut légiférer moins mais légiférer mieux.
    L’objectif est de convaincre les citoyens qu’on ne se contente pas de voter la loi, mais qu’on se préoccupe de son application.
  • Oui, c’est une bonne idée qu’on soit à la fois parlementaire et maire d’une ville petite ou moyenne, pour avoir plus les pieds dans le réel.
  • Aujourd’hui, on met en place des règles sur les réseaux sociaux.
    2 décisions prouvent que le Conseil constitutionnel n’est pas insensible à la régulation du net :

    • la loi Avia aurait permis à l’autorité administrative de faire retirer un contenu en 1h ; la disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel parce qu’elle ne présentait pas des garanties suffisantes.
    • Mais ensuite, un autre texte qui présentait plus de garanties a été validé.
  • Les interventions d’associations à l’occasion de procédures devant le Conseil constitutionnel sont utiles et sont diffusées au sein du Conseil.
  • Concernant la critique faite au Conseil de ne pas être une vraie juridiction et de ne pas respecter le principe du contradictoire, Alain Juppé nous indique qu’un nouveau règlement adopté récemment renforce le principe du contradictoire.
  • Concernant la procédure de nomination du Conseil constitutionnel, il y a aujourd’hui 6 juristes sur 9 au sein du Conseil.
    Mais il y a aussi d’anciens parlementaires et d’anciens ministres, ce qui est aussi essentiel, parce que le Conseil constitutionnel est aussi le juge du bon fonctionnement des services publics.
  • Toujours concernant la nomination des membres du Conseil constitutionnel, “il n’y a pas de bon système”.
    Alain Juppé a pour sa part été nommé par la présidente de l’Assemblée nationale qui était socialiste, alors qu’il ne l’est pas.
    > Neutralité : il n’a jamais vu intervenir des prises de position politiques.
    > Devoir d’ingratitude : les membres du Conseil ne doivent rien à ceux qui les ont nommés.
    > Le mandat non renouvelable de 9 ans fait qu’ils n’attendent rien à leur sortie ; il n’ont pas à ménager les autorités qui les ont nommés.
    > Ils sont tous âgés et en fin de carrière.
  • Le Conseil constitutionnel refuse de publier des opinions dissidentes, parce qu’il pense que cela entraînerait une politisation du Conseil.

Conclusion

“Il ne faut pas croire ceux qui disent que c’était mieux avant.
Je suis un baby boomer, je pourrais vous dire que c’était mieux avant, mais c’est faux.

Le siècle qui vient ne sera pas un chemin de roses : il faudra arrêter le dérèglement climatique, lutter contre les inégalités (ce qui sera nécessaire pour maîtriser les mouvements de population) et lutter pour nos valeurs contestées un peu partout.

Mais on peut y arriver : il faut avoir confiance en nous et dans les autres.”

Le devoir de vigilance et la possible exclusion des marchés publics et contrats de concessions

La loi Climat et Résilience et son décret d’application du 2 mai 2022 créent la possibilité pour un acheteur public « d’exclure de la procédure de passation d’un marché » ou « d’un contrat de concession » les entreprises soumises à l’obligation d’établir un plan de vigilance et qui ne pourraient pas en présenter un pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence, de l’avis de concession ou d’engagement de la consultation.

Cette possibilité est prévue par les articles L2141-7-1 et L3123-7-1 du Code de la commande publique.

Le choix de ce critère d’exclusion est optionnel, à la libre appréciation de l’acheteur / l’autorité concédante. Il « ne peut être de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l’exécution de la prestation ».

Le label autopartage : définition et cadre juridique

Le label autopartage est créé par le décret n°2012-280 du 28 février 2012, avant la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, qui vient renforcer le rôle des collectivités dans le développement des « mobilités actives » (vélo, marche) et des « mobilités partagées » (covoiturage, autopartage).

La loi LOM crée l’article L1231-1-1 du Code des transports, qui prévoit que les AOM sont les autorités compétentes pour organiser l’autopartage sur leur territoire. Elle ajoute que celles-ci peuvent désormais délivrer un “label autopartage” aux véhicules affectés à cette activité. Ce label est directement délivré aux personnes publiques ou privées qui exercent l’activité d’autopartage telle que définie à l’article L1231-14 du Code des transports, et pourrait donc être apposé sur tout “véhicule de transport terrestre à moteur” (scooters, voitures, utilitaires…).

Base légale

L’article L1231-14 du Code des transports : “Les autorités mentionnées à l’article L. 1231-1 [les AOM] ou l’autorité mentionnée à l’article L. 1231-3 peuvent délivrer un label « autopartage” aux véhicules affectés à cette activité. A cet effet, elles fixent les caractéristiques techniques des véhicules au regard, notamment, des objectifs de réduction de la pollution et des gaz à effet de serre qu’elles déterminent et les conditions d’usage de ces véhicules auxquelles est subordonnée la délivrance du label. En cas d’inexistence, d’insuffisance ou d’inadaptation de l’offre privée, elles peuvent créer un service public d’autopartage.”

L’article L1241-1 du Code des transports prévoit qu’Île-de-France Mobilités “est seul compétent pour délivrer un tel label dans le territoire de la région d’Île-de-France ».

Exemple : Le label régional autopartage d’IDFM

Objectif : “Même si les offres des entreprises proposant un service d’autopartage peuvent être différentes, le Label permet de garantir à l’ensemble des utilisateurs un socle commun de prestations.”

Les conditions retenues par Île-de-France Mobilités sont strictes ; par exemple, les véhicules en free floating soumis à la labellisation ne peuvent être qu’électriques. Les conditions varient suivant les catégories de véhicules et les zones, et les véhicules diesel sont exclus pour toutes les catégories et toutes les zones.

La labellisation IDFM est également soumise à des obligations de service, notamment une bonne information des usagers, un bon entretien et suivi des véhicules (avec un contrôle et nettoyage mensuel obligatoire), une ouverture du service à toutes les personnes majeures sans discrimination (y compris donc les jeunes conducteurs) et un accès à des véhicules « exclusivement dédiés à l’autopartage et disponibles à la location, 7j/7, a minima 19h/24″, en précisant qu’il “s’agit d’un minimum mais l’ouverture du service 24h/24 est vivement recommandée et souhaitée. »

À ce jour, 4 opérateurs ont obtenu ce label : les sociétés Communauto et Clem’ (autopartage en boucle), le service Zity (autopartage en libre-service sans stations d’attache) et l’opérateur de scooters partagés Cityscoot.

Explication de la décision n°2016-571 QPC du 30 septembre 2016 du Conseil constitutionnel

Dans le présent article, nous allons nous intéresser à la décision n° 2016-571 QPC du 30 septembre 2016 du Conseil constitutionnel.
Pour bien comprendre cette décision, il faut tout d’abord la replacer dans son contexte général, ensuite il conviendra d’expliciter la décision du Conseil constitutionnel avant, pour finir, d’expliquer les effets concrets de cette décision.

Contexte général :
Tout d’abord, il faut expliquer sur quoi portait cette décision, en effet, tout son intérêt résulte de la matière sur laquelle elle portait, à savoir la matière fiscale.

En France, il existe une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés et cette contribution additionnelle est prélevée non pas sur le bénéfice au moment où il est réalisé, mais elle est prélevée sur une distribution de ce bénéfice aux associés. Cette contribution additionnelle frappe donc les dividendes versés par les sociétés à leurs associés. Cette contribution est de 3% et on l’appelle la taxe des 3%.

À cet égard, certains contribuables ont pris l’habitude de contester la validité de certaines impositions sur le terrain du droit européen. En effet, les grandes libertés ont donné naissance à une jurisprudence très fournie de la Cour de Justice de l’Union européenne qui prohibe les discriminations, notamment en matière fiscale.

C’est ainsi qu’il y a quelques années, la Cour de justice de l’Union européenne a censuré une imposition sur les distributions. En effet, lorsque ces distributions bénéficiaient à des fonds d’investissement étrangers elles étaient taxées (ces distributions étaient soumises à une retenue à la source) alors que lorsqu’une société française distribuait un dividende à un fonds d’investissement français ce dividende n’était pas soumis à une quelconque imposition. Il y avait là une différence de traitement entre les fonds d’investissement français (exonérés d’impôts sur les dividendes) et ceux étrangers (passibles d’impôts). La Cour de justice de l’Union européenne a donc censuré cette différence de traitement dans son arrêt Santander. Ce faisant, l’administration française a dû rembourser les retenues à la source qu’elle avait faite, ce qui a coûté entre 4 et 5 milliards d’euros au budget public.

C’est pourquoi immédiatement après cette décision, l’administration a élaboré une taxe d’un type nouveau qui était censée remplacer la retenue à la source sans qu’elle ne soit soumise aux mêmes critiques.

La direction des législations fiscales a donc créé cette taxe des 3% qui s’applique aux distributions internes et transfrontalières, quelle que soit la qualité du bénéficiaire. Cependant, le législateur a pris le soin d’affecter ce principe d’imposition d’une exception qui vise les groupes d’intégration fiscale. Mais pourquoi cela ?

C’est parce qu’il existe un régime d’intégration fiscale ouvert aux groupes de sociétés qui veulent calculer et acquitter leurs impôts à l’échelle du groupe, chaque imposition de chaque société-fille est remontée à la société-mère qui doit s’en acquitter. Cela permet aux groupes de sociétés de compenser les pertes réalisées dans une société-fille avec les gains d’une autre société-fille. Comme les groupes sont constitués de chaînes de participations (la société-mère a des titres dans ses sociétés-filles) à plusieurs étages, le législateur n’avait pas voulu faire supporter à chaque distribution de dividende, à chaque étage, cette taxe de 3%. En effet, si le législateur n’avait pas prévu une telle exception à cette taxe des 3% cela aurait tout de suite rendu inutile le mécanisme d’intégration fiscale et c’est donc la raison pour laquelle le législateur a élaboré cette exception.

Toutefois, le régime de l’intégration fiscale est uniquement réservé aux sociétés imposables en France. On ne peut y intégrer des sociétés étrangères et la Cour de justice de l’Union européenne l’a accepté sur le principe. Ainsi, pour pouvoir entrer dans le régime d’intégration fiscale il faut faire partie d’un groupe de sociétés, c’est-à-dire être détenu à au moins 95% par la société-mère et être une société française.

Mais c’était sans compter sur les fiscalistes. En effet, les fiscalistes se sont souvenus de l’affaire Santander et se sont rappelé que, du fait de cette exception, le régime est retreint aux seuls groupes de sociétés françaises.

Ainsi, soit une société fait partie d’un groupe de sociétés françaises et donc si elle verse un dividende à la société-mère, elle échappe au régime d’imposition. Néanmoins, si la société-mère était allemande ou espagnole, donc non française, ce n’était plus un versement effectué dans l’intégration fiscale et donc l’exonération ne pouvait plus s’appliquer.

Les fiscalistes se plaignaient donc de la différence de traitement, un recours a été déposé devant le Conseil d’État pour que ce dernier saisisse la Cour de justice de l’Union européenne pour juger de cette incompatibilité. Mais le contribuable en question, la société Layher, a redoublé de perspicacité puisqu’il a, en parallèle de ce recours sur le fond avec demande de question préjudicielle, saisit le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (= QPC) en lui demandant à ce qu’il saisisse le Conseil Constitutionnel de cette discrimination sur le terrain de l’égalité devant la loi et les charges publiques au titre des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, rupture d’égalité prohibée par la constitution.

Le Conseil d’État a considéré que la question était sérieuse et a donc renvoyé la question au Conseil constitutionnel.

La décision du Conseil constitutionnel :
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2016-571 QPC du 30 septembre 2016, a considéré que c’était, en effet, discriminatoire. Il a considéré, en outre, que cette différence de traitement entre les filiales intégrées et non intégrées fiscalement n’était justifiée par aucun motif d’intérêt général. En effet, cette taxe ayant été instituée uniquement dans un objectif de rendement il est impossible de retenir que la rupture d’égalité s’expliquait par un objectif d’intérêt général. Le Conseil constitutionnel a donc déclaré cette exonération contraire à la Constitution. Cela veut dire qu’il a censuré le texte qui prévoyait l’exception.

Il faut préciser que ce n’était pas du tout la volonté du contribuable qui désirait, lui, qu’on lui étende l’exception. Cela signifie que le contribuable, bien mal conseillé ou alors malchanceux, a perdu sur toute la ligne puisqu’il s’agissait d’une entreprise étrangère qui voulait qu’on lui applique l’exonération de la taxe des 3%. Mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision, valide la taxe des 3% et l’étend, en plus, à tout le monde.

Cela veut donc dire que, désormais, les distributions effectuées à l’intérieur des groupes d’intégration fiscale sont soumises à la taxe des 3%. Il y a certes eu une égalisation, mais une égalisation par le bas et non pas par le haut.

Il faut enfin préciser que le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2017 l’abrogation des dispositions contestées. En effet jusqu’au 1er janvier 2017, le législateur avait la possibilité de modifier la législation pour remédier à cette différence de traitement. Aujourd’hui, l’exonération est abrogée et l’ensemble des sociétés intégrées fiscalement sont imposables.

Les effets concrets de la décision :
Selon certaines estimations, si les distributions à l’intérieur des groupes étaient taxées cela pourrait coûter 2,5 milliards d’euros en plus aux entreprises et c’est donc l’État qui en ressortirait gagnant puisque c’est lui qui percevra ces sommes.

En revanche, si le Gouvernement choisissait d’étendre l’exonération de la contribution à l’ensemble des entreprises répondant aux critères de la directive « mère-fille », cela pourrait avoir des conséquences très néfastes sur le budget de l’État.

Source : Conseil constitutionnel