Commentaire d’arrêt corrigé : Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, n° 00-14.564

Auteur : Timothée Peraldi

Arrêt à commenter, tel qu’il était reproduit :

Attendu qu'à partir du mois de juin 1974, M. Y…, médecin, a suivi la grossesse de Mme X… ; que, lors de la visite du 8e mois, le 16 décembre 1974, le praticien a suspecté une présentation par le siège et a prescrit une radiographie fœtale qui a confirmé cette suspicion ; que, le samedi 11 janvier 1975, M. Y… a été appelé au domicile de Mme X… en raison de douleurs, cette dernière entrant à la clinique A… devenue clinique Z… le lendemain dimanche 12 janvier dans l'après-midi, où une sage-femme lui a donné les premiers soins, M. Y… examinant sa patiente vers 19 heures, c'est-à-dire peu avant la rupture de la poche des eaux, la naissance survenant vers 19 heures 30 ; qu'en raison de la présentation par le siège un relèvement des bras de l'enfant, prénommé Franck, s'est produit, et, lors des manœuvres obstétricales, est survenue une dystocie de ses épaules entraînant une paralysie bilatérale du plexus brachial, dont M. Franck X… a conservé des séquelles au niveau du membre supérieur droit, son IPP après consolidation étant de 25 % ; qu'après sa majorité, ce dernier a engagé une action contre le médecin et la clinique en invoquant des griefs tirés des fautes commises lors de sa mise au monde et d'une absence d'information de sa mère quant aux risques inhérents à une présentation par le siège lorsque l'accouchement par voie basse était préféré à une césarienne ; que l'arrêt attaqué l'a débouté ;
[…]
Sur les deuxième, troisième et quatrième branches du moyen :
Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;
Attendu que la cour d'appel a estimé que le grief de défaut d'information sur les risques, en cas de présentation par le siège, d'une césarienne et d'un accouchement par voie basse, ne pouvait être retenu dès lors que le médecin n'était pas en 1974 contractuellement tenu de donner des renseignements complets sur les complications afférentes aux investigations et soins proposés, et ce d'autant moins qu'en l'espèce le risque était exceptionnel ;
Attendu, cependant, qu'un médecin ne peut être dispensé de son devoir d'information vis-à-vis de son patient, qui trouve son fondement dans l'exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, par le seul fait qu'un risque grave ne se réalise qu'exceptionnellement ; que la responsabilité consécutive à la transgression de cette obligation peut être recherchée, aussi bien par la mère que par son enfant, alors même qu'à l'époque des faits la jurisprudence admettait qu'un médecin ne commettait pas de faute s'il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels ; qu'en effet, l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l'époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 février 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

“Nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée” : c’est par ces quelques mots, dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation daté du 9 octobre 2001, que la plus haute instance de l’ordre judiciaire français consacre le principe de rétroactivité des revirements de jurisprudence. Ce principe, selon lequel une nouvelle interprétation du droit par les juridictions va produire rétroactivement effet (c’est-à-dire à des situations s’étant produites avant l’apparition de cette nouvelle interprétation), ne semble pas idéal car il peut être perçu comme pouvant porter atteinte aux principes d’égalité devant la loi et de sécurité juridique ; c’est ici l’objet d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 juin 2009.

En l’espèce, une patiente traitée par injection d’un “liquide sclérosant” est contaminée à cette occasion par le virus de l’hépatite C. Elle met en cause la responsabilité de son médecin qu’elle considère comme responsable. Une décision est rendue en première instance, puis un appel est interjeté.

La cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 16 avril 2008, donne raison à la patiente en déclarant son médecin responsable de sa contamination et en le condamnant à lui verser une indemnité en réparation de son préjudice. Elle retient ici les règles de droit issues du revirement de jurisprudence du 29 juin 1999 mettant à la charge du médecin en matière d’infection nosocomiale (infection contractée dans un établissement de santé) une obligation de sécurité de résultat, et non plus seulement une obligation de moyens comme au moment des faits.

Le médecin forme alors un pourvoi en cassation, dans lequel il soutient que l’application de ces règles de droit issues d’un revirement de jurisprudence postérieur aux actes jugés constitue une violation de son droit à un procès équitable garanti par les articles 1147 du Code civil et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour de cassation devait donc répondre à la question de droit suivante : l’application rétroactive d’une règle de droit issue d’un revirement de jurisprudence constitue-t-elle une atteinte au droit à un procès équitable ?

Dans un attendu que l’on peut qualifier de principe, la Cour de cassation énonce que “la sécurité juridique […] ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s’en prévaut n’est pas privée du droit à l’accès au juge”. Elle rejette par conséquent le pourvoi.

Pour comprendre cet arrêt, il faut étudier comment le principe de rétroactivité des revirements de jurisprudence est appliqué ici (I) avant d’analyser la manière dont cet arrêt illustre comment ce principe est mis au défi de la garantie des droits fondamentaux (II).

I – Le principe : la rétroactivité des revirements de jurisprudence

Dans cet arrêt, le défenseur soutient que la rétroactivité des revirements de jurisprudence constitue une norme inéquitable (A), mais la Cour de cassation conclut en réaffirmant leur nature rétroactive (B).

A – Pour le défendeur, une norme inéquitable

En l’espèce, le traitement à l’origine du litige a été réalisé entre le 27 septembre 1981 et le 11 janvier 1982 par le médecin (ici, le défendeur). Celui-ci souligne dans son pourvoi qu’à cette époque, la jurisprudence ne rendait le médecin responsable que d’une obligation de moyens, c’est-à-dire qu’il doit avoir fait de son mieux pour atteindre l’objectif visé, et que ce n’est en effet qu’à partir d’un arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 1999 que les médecins doivent également supporter une obligation de résultats en matière nosocomiale.

Ici, le défendeur estime donc que c’est sur la base de cette interprétation postérieure de la loi – constituant un revirement de jurisprudence – que la cour d’appel s’est reposée pour prendre sa décision, le privant ainsi du droit à un procès équitable garanti notamment par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

B – La Cour de cassation réaffirme la nature rétroactive des revirements de jurisprudence

La Cour de cassation rejette néanmoins cet argument, en énonçant que “la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s’en prévaut n’est pas privée du droit à l’accès au juge”.

Pour la Cour de cassation, il n’est donc pas inéquitable à être jugé sur la base d’une règle de droit issue d’une jurisprudence qui n’existait pas au moment des faits litigieux. Cette décision s’inscrit ainsi dans la suite logique de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 9 octobre 2001, dans lequel la cour affirme, dans un attendu de principe, que “l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés”.

Cet attendu de principe est fondé sur l’idée qu’un revirement de jurisprudence est par nature rétroactif, puisque le juge statue toujours pour le passé, et que donc s’il procède à un revirement de sa jurisprudence, celle-ci s’appliquera forcément à des faits antérieurs à ce revirement.

Comme l’illustre cet article, ce principe de rétroactivité des revirements de jurisprudence peut néanmoins être perçu comme une injustice voire une violation de certains droits fondamentaux.

II – Le défi de la garantie des droits fondamentaux

Dans cet arrêt, la Cour de cassation se penche subtilement sur les défis que soulève l’application de la jurisprudence dans le temps vis-à-vis de la garantie des droits fondamentaux. Ainsi, elle indique ici que l’impératif de sécurité juridique est désormais pris en compte (A), et ce sous l’influence de la Convention européenne des droits de l’homme (B).

A – L’impératif de sécurité juridique désormais pris en compte

Comme évoqué précédemment, l’attendu de principe de cet arrêt conduit la cour à rejeter le moyen concernant le principe de sécurité juridique, au motif que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’accès au juge ; mais, si la cour conclut cela, c’est parce que le demandeur n’a invoqué l’impératif de sécurité juridique que “sur le fondement du droit à un procès équitable”.

Ainsi, la Cour de cassation accepte ici implicitement de prendre en considération l’impératif de sécurité juridique dans les situations où un revirement de jurisprudence peut constituer une atteinte à un droit fondamental.

Pour caractériser ces potentielles situations, la cour peut s’appuyer notamment sur la Convention européenne des droits de l’homme.

B – L’influence de la Convention EDH

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention EDH) est invoquée ici par le demandeur dans son moyen, par le biais de son article 6 garantissant le droit à un procès équitable.

Cela n’est pas sans rappeler que la Convention EDH a déjà été utilisée par la Cour de cassation pour écarter exceptionnellement le principe de rétroactivité des revirements de jurisprudence. Ainsi, dans un arrêt du 21 décembre 2006, la Cour de cassation en Assemblée plénière entérine la non-rétroactivité d’un revirement de jurisprudence : “l’application immédiate de cette règle de prescription dans l’instance en cours aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales”.

Même si ça n’est ici pas le cas en l’espèce, cet arrêt illustre donc que lorsque la rétroactivité du revirement de jurisprudence porte atteinte à un droit garanti par la Convention EDH, la Cour de cassation considère qu’il faut faire une exception à la rétroactivité naturelle de la jurisprudence.

Commentaire d’arrêt corrigé : Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 17-19.523

Auteur : Timothée Peraldi

Cliquer ici pour voir l’arrêt à commenter.
Note : seuls les paragraphes n°1 et n°10 à 18 étaient reproduits.


Dans cet arrêt du 20 novembre 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation aborde le sujet délicat de l’équilibre nécessaire entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la preuve, dans le contexte de la place croissante prise par les outils numériques dans les espaces de travail.

En l’espèce, un salarié est mis à pied puis est licencié pour faute grave par son employeur qui l’accuse d’une usurpation de données informatiques, découverte par l’analyse d’informations collectées automatiquement par le système informatique de l’entreprise, et notamment son adresse IP.

Le salarié conteste son licenciement et porte l’affaire devant la justice. Il saisit la juridiction prud’homale pour demander sa réintégration à l’entreprise ainsi que le paiement d’indemnités de préavis, de congés payés et de licenciement, et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement notamment des articles 2 et 22 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978.

Une décision est rendue en premier appel et le salarié interjette appel. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 16 mars 2017, retient que la preuve résultant d’un simple traçage issu de fichiers de journalisation extraits du gestionnaire de logs (journal des événements) du système informatique interne de l’entreprise est légale, même si ce dispositif n’est pas déclaré auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), au motif que celui-ci n’a pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs, et déclare ainsi sur la base de cette preuve le licenciement du salarié justifié par une faute grave.

Le salarié se pourvoit en cassation ; il soutient au contraire que les informations collectées par un système de traitement automatisé de données personnelles non déclaré auprès de la CNIL ne sauraient constituer un moyen de preuve licite et ainsi être utilisées par un employeur pour justifier un licenciement pour faute grave, et ce quelle que soit la vocation première de ce système. Un pourvoi incident est également formé par l’entreprise.

Les juges de la Cour de cassation devaient donc répondre au problème de droit suivant : la preuve issue de l’exploitation de fichiers de journalisation n’ayant pas fait l’objet de déclaration préalable auprès de la CNIL peut-elle être utilisée pour justifier un licenciement pour faute grave ?

La chambre sociale de la Cour de cassation répond par la négative et casse par conséquent la décision de la cour d’appel de Paris. Elle énonce que les adresses IP sont des données à caractère personnel ; qu’ainsi, l’exploitation des fichiers de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel qui doit être déclaré à la CNIL pour être licite ; et que cette preuve ne pouvait donc pas être retenue par la cour d’appel pour déclarer le licenciement justifié par une faute grave.

L’apport de cet arrêt réside avant tout dans l’admission de la preuve illicite parce que obtenue en infraction aux règles de protection des données personnelles (I), mais cette admission est clairement encadrée, rendant la portée de l’arrêt incertaine (II).

I – L’admission de la preuve illicite attentatoire aux règles de protection des données personnelles

Dans cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation admet pour la première fois une preuve illicite car obtenue en infraction avec les règles de protection des données personnelles en vigueur ; elle justifie cette admission par la nécessité d’un droit à la preuve (A), nécessité renforcée par le repositionnement récent de la CEDH sur la question (B).

A – Une admission justifiée par le droit à la preuve

Ici, la chambre sociale cherche d’abord à déterminer si une preuve issue de l’analyse des informations personnelles d’un salarié, et notamment les adresses IP, collectées automatiquement par le gestionnaire de logs du système informatique interne de l’entreprise, porte atteinte au droit à la vie privée de ce salarié. Ce système n’a pas fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL, ce qui était obligatoire à l’époque des faits pour les systèmes constituant un traçage informatique. La Cour de cassation affirme dans cet arrêt que le système informatique concerné entrait dans cette catégorie, puisque les adresses IP sont “des données à caractère personnel” (reprenant ainsi une qualification déjà établie en 2016 – Civ. 1re, 3 nov. 2016, n° 15-22.595) et que ce système “permet d’identifier indirectement une personne physique” (paragraphe 18).

Ainsi, c’est puisque l’arrêt de la cour d’appel retient que le traçage informatique composé des logs, fichiers de journalisation et adresses IP n’est pas soumis à une déclaration à la CNIL au motif qu’il n’a “pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs” que la Cour de cassation casse cet arrêt.

Il faut noter que, même si en l’espèce l’arrêt de la cour d’appel a été cassé, la Cour de cassation affirme ici que “il y a donc lieu de juger désormais que l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 […] n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats”, admettant ainsi – et c’est là que repose l’apport de l’arrêt – qu’une preuve illicite car obtenue en infraction avec les règles de protection des données personnelles établies par cette loi puisse être admise aux débats.

La Cour de cassation appuie cette solution sur deux décisions récentes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), mentionnées explicitement aux paragraphes 13 et 14.

B – Une admission suivant le repositionnement de la CEDH

Dans l’arrêt Barbulescu du 5 septembre 2017 (mentionné au paragraphe 13), la CEDH rappelle que “les juridictions internes doivent s’assurer que la mise en place par un employeur de mesures de surveillance portant atteinte au droit au respect de la vie privée ou de la correspondance des employés est proportionnée et s’accompagne de garanties adéquates et suffisantes contre les abus”. La CEDH admet ici implicitement le droit pour les employeurs, suivant certaines conditions, de mettre en place de telles mesures de surveillance attentatoires au droit à la vie privée de leurs employés, et ne les empêche pas de les utiliser comme moyen de preuve dans un procès civil.

Dans l’arrêt Lopez Ribalda du 17 octobre 2019 portant sur la question de la preuve par vidéosurveillance (mentionné au paragraphe 14), la CEDH va plus loin, en jugeant qu’une preuve “d’informations obtenues au mépris de l’article 8 [de la Convention européenne des droits de l’homme, garantissant un droit au respect de la vie privée]” par un employeur sur ses employés peut être admise en fonction de “toutes les circonstances de la cause”, “si les droits de la défense ont été respectés” et selon “la qualité et l’importance des éléments en question”. La CEDH affirme donc ici explicitement qu’une preuve apportée par un employeur contre un employé et obtenue en violation du droit à la vie privée de ce dernier peut être admise aux débats.

Néanmoins, cette admission n’est pas complète ; il convient de s’interroger sur ses limites, ainsi que sur la portée concrète de cet arrêt.

II – Une admission limitée de cette preuve illicite

Dans cet arrêt, la Cour de cassation prend soin d’encadrer l’admission de la preuve illicite attentatoire aux règles de protection des données personnelles (A), rendant ainsi la portée de cet arrêt incertaine (B).

A – Une admission clairement encadrée

La Cour de cassation a déjà admis, par le passé et à de nombreuses reprises, la nécessité d’admettre aux débats des éléments portant atteinte à la vie privée d’une personne et qui seraient ainsi normalement illicites dans un procès civil, et ce au motif du droit à la preuve. C’est notamment le sens de l’arrêt de la chambre sociale du 9 novembre 2016 (n°15-10.203), mentionné ici au paragraphe 12, qui affirmait dans un attendu de principe que “le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi”.

La chambre sociale reprend ici les mêmes critères en établissant, au paragraphe 16, le principe relatif à l’admissibilité de la preuve illicite obtenue en transgression des règles de protection des données personnelles. C’est ainsi à la charge du juge d’effectuer un contrôle de proportionnalité, en “mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve”, et en vérifiant si l’admission de cette preuve ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable de la défense.

La Cour de cassation prend donc le soin d’encadrer l’admissibilité de ce moyen de preuve illicite, et l’inscrit également dans un contexte législatif précis, ce qui nous invite à nous questionner sur la portée de cet arrêt.

B – Un arrêt à la portée incertaine

La Cour de cassation précise, dans son visa, qu’elle interprète la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n°2004-801 du 6 août 2004 “dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données” (RGPD). Le RGPD, entré en vigueur en 2016, supprime l’obligation de déclaration à la CNIL des systèmes de traçage informatique tels que celui concerné par les des faits de l’espèce, ce qui fait que les dispositions prises par l’arrêt à ce sujet n’offrent pas d’intérêt pour l’avenir.

De plus, la possibilité pour le juge civil d’admettre un moyen de preuve illicite car portant atteinte au droit à la vie privée d’un tiers au motif du droit à la preuve n’est pas une chose nouvelle, ayant déjà été consacrée par de nombreuses décisions antérieures, et notamment, en ce qui concerne les conflits entre un employeur et un employé, l’arrêt n° 15-10.203 de la chambre sociale du 9 novembre 2016, que l’arrêt mentionne explicitement et nous avons déjà évoqué.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation confirme donc le principe suivant lequel le juge peut admettre aux débats une preuve illicite en mettant en balance le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée d’un salarié, et étend ce principe au moyen de preuve illicite car obtenu en violation des règles relatives à la protection des données à caractère personnel.

Méthodologies pour l’introduction au droit privé

Ce cours complet d’introduction au droit privé s’appuie sur le cours donné par le professeur Clément François, qui a construit de très bonnes méthodologies pour les exercices juridiques fondamentaux :

Méthodologie de la fiche d’arrêt – Blog de Clément François (clementfrancois.fr)
Méthodologie de l’introduction du commentaire d’arrêt – Blog de Clément François (clementfrancois.fr)
Méthodologie du commentaire d’arrêt : les développements (suite) – Blog de Clément François (clementfrancois.fr)

Le cas pratique n’est pas abordé dans ce cours de L1, mais une fiche méthode existe également :
Méthodologie du cas pratique – Blog de Clément François (clementfrancois.fr)

Qu’est-ce que le droit ?

Fiche rédigée par Philippe Idelovici, professeur agrégé d’économie-gestion, professeur de droit des assurances.

Le droit est l’ensemble des règles juridiques qui régissent la vie des hommes en société, sanctionnées le cas échéant par une contrainte exercée par l’autorité publique.

Droit objectif et droits subjectifs

Le mot droit a deux sens principaux :

Le droit objectif est l’ensemble des règles juridiques. Elles peuvent varier dans le temps et dans l’espace. Mais, en un temps et un lieu donnés, elles forment un ensemble cohérent, un ordre juridique. Dans un État de droit, deux règles d’un même ordre ne peuvent pas se contredire. La règle de droit est une règle de conduite sociale dont le respect est assuré par l’autorité publique.

Les droits subjectifs sont les prérogatives dont une personne peut se prévaloir. Toute prérogative dont une personne est titulaire en vertu d’un droit objectif. Le droit subjectif suppose une personne, qui en est le titulaire, disposant de la capacité de jouissance de ce droit. Exemple : le droit de propriété.

Droit positif et droit naturel

Le droit positif est le droit en vigueur. Ce sont l’ensemble des règles juridiques en vigueur dans un État ou une communauté internationale à un moment donné, quelle que soit leur source.

Le droit naturel désigne des principes juridiques immuables car liés à la nature humaine. C’est le droit auquel se réfère Antigone pour braver la règle de droit édictée par le roi Créon : « je ne pensais pas que ton édit eut assez de force pour donner à un être mortel le pouvoir de violer les divines lois non écrites que personne ne peut ébranler ».

Quels sont les caractères et les buts de la règle de droit ?

Fiche rédigée par Philippe Idelovici, professeur agrégé d’économie-gestion, professeur de droit des assurances.

Les caractères de la règle de droit

La règle de droit a un caractère général, obligatoire, permanent et coercitif.

Caractère obligatoire

Nul ne peut déroger à la règle de droit dès lors qu’il entre dans son champ d’application. La règle de droit peut imposer une obligation de moyens (médecin), une obligation de résultat (payer ses impôts) ou laisser une certaine liberté d’action (contrats). En matière de contrats, certaines règles sont impératives (”de droit public”) : toute clause contraire est nulle. D’autres règles sont supplétives : les clauses contraires sont autorisées.

Caractère général

La règle de droit ne s’applique pas à une personne en particulier, mais à toutes les personnes ou toute une catégorie de personnes.

💡 La généralité de la règle est une garantie contre toute discrimination personnelle, mais il suffit de rétrécir le domaine de la règle par une série de conditions pour n’atteindre, à la limite, qu’une seule personne (Hersant). La seule vraie protection contre la discrimination est le principe d’égalité des citoyens devant la loi, les emplois publics et les charges publiques (Préambule de la constitution de 1958, déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen 1789).

Caractère permanent

L’applicabilité de la règle de droit doit être constante durant son existence, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle soit abrogée ou abandonnée en tant que règle de droit.

Caractère coercitif

Les pouvoirs publics peuvent utiliser la force publique pour faire respecter une règle de droit et pour sanctionner un manquement à l’obligation de respecter une règle de droit. Si la puissance publique refuse de remplir sa mission ou abuse des pouvoirs dont elle dispose, le citoyen ne peut exercer contre l’État qu’une contrainte politique et non juridique.

Les buts de la règle de droit

Les finalités morales

La plupart des règles juridiques tendent à consacrer une règle morale. Il s’agit ici d’un débat idéologique au sujet duquel il est possible de disserter longtemps. Qu’est ce que la morale ? Qui en est l’auteur ? Comment évolue-t-elle ?

On peut noter des différences entre le droit et la morale. Dans le temps, il semble que la morale « dominante » évolue plus vite que la règle de droit (avortement). Les auteurs de la règle de droit sont souvent en décalage avec la morale (génétique, peine de mort, euthanasie).

La règle de droit détermine le juste et l’injuste. Cette notion de justice doit être employée avec prudence. Ce qui est juste pour moi, est-il juste pour les autres ? Le juge ne peut s’ériger en censeur du droit. Il doit l’appliquer même s’il lui semble injuste. Le jugement en équité n’existe pas. Toute décision contraire au droit doit être cassée. La notion de justice est purement morale, elle dépend de la civilisation dans laquelle elle évolue. La pratique de l’excision soulève le problème de l’universalité de notre système de valeurs.

La sécurité juridique

Elle suppose la possibilité, pour les personnes, de prévoir les conséquences de leurs actes. C’est une garantie de liberté individuelle, nécessaire à l’activité économique et sociale. Les règles doivent être claires et précises, non arbitraires, non rétroactives. Elles doivent pouvoir être connues de tous : nul n’est censé ignorer la loi.

Le bien commun

Parce qu’elle légitime les rapports existants entre les individus (le droit est conservateur des états de faits), la règle de droit favorise la stabilité du corps social et permet l’activité économique productive de richesses (certains diront que c’est l’activité économique qui a créé la règle de droit pour pouvoir exister).