Sommaire : cours complet de droit administratif (L2)

Ce cours complet de droit administratif a été actualisé en 2023.

Première partie :
Les acteurs du droit administratif

Partie 2 :
Les sources du droit administratif

Partie 3 :
Les actes du droit administratif

Chapitre 7 : Les actes administratifs unilatéraux

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Le pouvoir d’édicter des actes administratifs unilatéraux (AAU) est une règle générale du droit public.
CE, 1982, Huglo :
Décision très importante structurellement pour le droit administratif, parce qu’elle affirme que les autorités administratives ont le pouvoir d’édicter des AAU même sans texte → même lorsqu’aucun texte ne leur donne un tel pouvoir.

Ici, ça n’est pas du tout un acte protecteur ; il permet aux autorités administratives d’aller vite et d’imposer leur volonté aux justiciables.

Les AAU ne sont pas seulement édictées par les autorités administratives : dans certaines conditions, une personne privée peut édicter un AAU.
CE, 1961, Magnier :
Une personne privée peut édicter un AAU si 2 conditions sont remplies :

  1. La personne privée doit être investie d’une mission de service public (soit par un acte unilatéral, soit par un contrat) ;
  1. L’acte en question doit avoir été pris sur le fondement de prérogatives de service public (= prérogatives dont ne sont pas habituellement titulaires les personnes privées).

Si l’acte répond à ces 2 critères, alors l’acte édicté est un acte administratif unilatéral et sera donc susceptible d’être contesté devant le juge administratif.

Section 1 : La notion d’acte administratif unilatéral

💡 “Acte faisant grief” = “acte décisoire”.

§ 1. Un acte unilatéral

A – Un acte juridique

Le Vocabulaire juridique de Cornu indique qu’un acte juridique est “une manifestation de volonté destinée à produire des effets en droit”.
Il y a donc 2 conditions pour qu’un acte soit considéré comme un acte juridique :

  1. Cet acte doit témoigner d’une manifestation de volonté d’une personne juridique ;
  1. Il faut que la volonté de la personne auteure de cet acte soit de modifier l’ordonnancement juridique.
    → L’acte juridique a toujours pour ambition d’ajouter du droit au droit.

L’acte juridique peut être de 2 types :
> d’un côté, il y a les actes négociés → les contrats ;
> de l’autre, il y a les actes unilatéraux → les actes qui ne font l’objet d’aucune négociation.

B – Un acte unilatéral

L’AAU est unilatéral, c’est-à-dire qu’il produit des effets juridiques de manière unilatérale.
Cela signifie qu’il est rédigé par une personne seule et qu’il s’impose à tous ses destinataires sans que ceux-ci aient été associés à la procédure relative à l’édiction de l’acte.

Les AAU régissent exclusivement le comportement des destinataires de ces actes.

§ 2. Un acte administratif

A – Les exclusions totales

Il y a 2 catégories d’actes qui ne sont jamais administratifs :

1) Les actes de droit privé

Les actes de droit privé ne peuvent jamais être des actes administratifs ; ils renvoient à 2 types de situations :

  1. Soit ce sont des actes édictés par une personne privée qui n’est pas investie d’une mission de service public → ces actes sont toujours de droit privé ;
  1. Soit ce sont des actes édictés par une personne privée investie d’une mission de service public, mais qui ne sont pas des actes mettant en œuvre des prérogatives du puissance publique → ce sont des actes de droit privé.

Il peut arriver que des autorités administratives édictent des actes de droit privé ; cela correspond à 3 hypothèses, qui seront étudiées dans le cours de droit administratif du 2nd semestre :

  1. Les actes qui sont édictés dans le cadre de l’exercice de missions de service public industrielles et commerciales ;
  1. Les actes qui sont édictés par des personnes publiques en tant que propriétaires d’un domaine privé ;
  1. Les actes qui se rattachent à l’article 66 de la Constitution = les actes relatifs à l’exercice de la liberté individuelle.

2) Les actes parlementaires

Les actes adoptés par le Parlement ne peuvent pas, en principe, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (REP).

En effet, il est naturellement impossible de faire un REP contre une loi :
CE, 1936, Arrighi :
Théorie de la loi-écran = la loi n’est pas justiciable devant le juge administratif.

Cette injusticiabilité s’étend aux autres actes pris par le Parlement : non seulement les lois sont injusticiables devant le juge administratif, mais c’est aussi le cas des actes parlementaires.
Par exemple : actes édictés par le bureau, par les questeurs, par le service juridique… des 2 assemblées.

CE, 1957, Girard :
Décision de principe qui affirme l’injusticiabilité des actes parlementaires.
Affirme l’impossibilité de faire un REP contre un acte parlementaire.

Motifs identifiés par le Conseil d’État :

  1. La souveraineté du Parlement : le Parlement est souverain, ce qui a des conséquences en matière financière, mais aussi sur les actes qu’il édicte : ces actes sont l’expression de cette souveraineté et ne sauraient pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.
  1. Le juge administratif est le juge des actes édictés par des autorités administratives ; or le Parlement n’est pas une autorité administrative → il possède un statut qui le rattache au pouvoir législatif, donc les actes qu’il édicte ne sont pas des actes règlementaires, mais législatifs.

On croyait ces 2 motifs immuables, mais le Conseil d’État est venu semer le doute sur sa propre jurisprudence et analyse :

CE, 1999, Président de l’AN :
Le Conseil d’État a surpris tout le monde à l’époque.
Le service juridique de l’Assemblée nationale avait passé un contrat administratif avec une entreprise privée pour changer tous les téléviseurs de l’AN.
Un concurrent évincé a fait un recours devant le juge administratif pour contester l’attribution du contrat.
Le contrat en question n’émane pas d’une autorité administrative → en application de la théorie des actes parlementaires, on aurait dû penser que le juge administratif décline sa compétence.

Le Conseil d’État affirme que ce contrat a été passé au nom de l’État et affirme qu’il est le juge des marchés publics (= contrats passés par une personne publique avec une personne privée, qui ont pour but l’exécution d’une mission de service public).

Les gens en ont conclu que c’était fini de la théorie des actes parlementaires, mais aucun arrêt postérieur n’a repris le raisonnement pris.
“Coup d’épée dans l’eau” → décision qui ne mérite pas de figurer dans les grandes décisions, parce qu’elle n’a pas fait jurisprudence.
→ Exception du principe selon lequel les actes parlementaires sont injusticiables devant le juge administratif.
Il faut limiter la portée de cette décision au cas d’espèce qu’elle concernait.

CE, 2003, M. Papon :
M. Papon a été député avant d’être condamné pour crimes contre l’humanité.
À la suite de sa condamnation, le service des RH de l’Assemblée nationale décide de ne pas lui verser sa pension de retraite. Il fait un REP contre ce refus.
Le Conseil d’État s’estime incompétent pour statuer sur un litige relatif à une décision d’un organe de l’AN portant sur le statut des parlementaires.
Il se fonde pour cela sur 2 arguments :
1- la souveraineté parlementaire ;
2- l’acte n’était pas un acte administratif, mais un acte parlementaire → insusceptible d’être discuté devant le juge administratif.

CE, 2011, M. Gremetz :
Ce député a été privé d’une partie de son traitement et s’est vu interdire la possibilité d’entrer à l’Assemblée nationale pendant une période donnée.
Après avoir constaté que 2 voitures ministérielles bouchaient l’entrée de l’Assemblée nationale, il était allé voir les ministres auditionnés par une audition parlementaire en entrant dans l’audience et en les secouant.
Le Conseil d’État se déclare incompétent pour vérifier la légalité de cette sanction.

Tout cela peut paraître anecdotique, mais une belle question de droit se pose : au regard de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH (→ droit à un procès équitable), les parlementaires sanctionnés devraient-ils pouvoir saisir un juge pour examiner la légalité et la proportionnalité de la sanction ?

B – Les exclusions partielles

1) L’exclusion des actes judiciaires

La justice judiciaire est un service public : on pourrait donc considérer que les actes édictés au sein de l’autorité judiciaire sont des actes administratifs susceptibles de faire l’objet d’un REP.
Cependant, le service public de la justice judiciaire n’est pas un service public comme les autres :

  1. Il est autonome, en raison de la séparation entre les autorités administratifs et judiciaires ;
    💡 C’est cette autonomie qui est à l’origine du droit administratif.
  1. Là où tous les autres services publics relèvent de l’administration (qui elle-même relève du Premier ministre) et donc du pouvoir exécutif, la justice judiciaire relève elle du pouvoir judiciaire (articles 64 et suivants de la Constitution).
    Or, selon le principe de la séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif.

Le Tribunal des conflits a établi, avec un certain nombre de décisions, une ligne de partage, en précisant quelle catégorie d’actes relèvent du juge administratif et quelles catégories relèvent du seul juge judiciaire.

Tribunal des conflits, 1952, Préfet de la Guyane :
Cette décision de principe en la matière opère une distinction de principe entre 2 catégories d’actes édictés :

  1. Les actes qui se rapportent à la fonction de juger ne sont pas des actes administratifs et ne peuvent pas faire l’objet d’un REP devant le juge administratif.
    Dès lors que, de manière directe ou indirecte, l’acte édicté est en rapport avec une décision judiciaire, il ne saurait être considéré comme un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.

    CE, 1990, Théron :
    Fait suite à une décision d’un juge d’application des peines de ne pas accorder une réduction de peine à un détenu.
    Son avocat saisit le juge administratif d’un REP contre cette décision.
    Le Conseil d’État retient que c’est un acte qui se rapporte à la fonction de juger par le juge judiciaire et ne saurait donc pas être un acte administratif → le juge administratif est incompétent.

  1. Les actes qui “sont relatifs à l’organisation même de la justice judiciaire” sont déliés de la fonction de juger.
    Ce sont donc des actes qui se rapportent au service public de la justice judiciaire et à son organisation et son fonctionnement.
    Ces actes sont considérés comme administratifs, susceptibles de faire l’objet d’un REP.

    CE, 1949, Véron-Réville :
    L’administration a l’obligation de réintégrer le fonctionnaire illégalement évincé dans le poste qu’il occupait.

    CE, 1972, Demoiselle Obrego :
    Les magistrats peuvent faire l’objet de sanctions, édictées à titre principal par le CSM.
    Cette décision de sanction est un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un REP devant le juge administratif.

En résumé, les actes judiciaires sont donc une catégorie d’actes hybride.


2) Les actes de gouvernement

On a vu que les décrets (= les actes édictés par le ministre et le Président de la République) peuvent être contestés devant le juge administratif (en 1er et dernier ressort devant le Conseil d’État).
Il n’y a donc aucune hésitation : les actes du gouvernement sont des actes administratifs, susceptibles de faire l’objet d’un REP.

Les actes de gouvernement apparaissent comme des actes politiques en raison des matières dans lesquelles ils ont été accomplis.
→ Ils se révèlent trop politiques pour que le juge administratif accepte d’en connaître.

CE, 1875, Prince Napoléon :
Le Conseil d’État utilise pour la 1ère fois l’expression “actes de gouvernement”.
Il affirme que ces décisions qui se rattachent à la fonction gouvernementale ne sont pas des décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un recours.
Elles doivent être considérées comme des actes de gouvernement, c’est-à-dire comme des actes politiques pour lesquels le contrôle juridictionnel est impossible.

CE, 1962, Rubin de Servens :
Il s’agit d’une décision symbole, puisque le Conseil d’État devait répondre à la question de savoir si un requérant pouvait contester la décision du Président de la République de mettre en œuvre l’article 16 de la Constitution.
D’un côté, cette décision s’est traduite par un décret du Président de la République ; mais cette décision n’est pas comme les autres, puisqu’elle est relative aux rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

C’est un acte qui émane du pouvoir exécutif + qui fait grief, mais il n’est pas comme les autres puisqu’il a des conséquences sur le pouvoir législatif et son exercice.
C’est ce qui a justifié que le Conseil d’État refuse de connaître de cette décision : il a estimé qu’il s’agissait d’un acte de gouvernement → il est donc incompétent.

Il reste à tracer les contours de cette catégorie.
Aujourd’hui, il y a de moins en moins d’actes qui relèvent de cette catégorie : la jurisprudence du Conseil d’État a réduit la liste des actes de gouvernement, probablement pour renforcer le droit au recours.
2 grandes catégories en relèvent toujours :

  1. Les actes qui concernent les relations entre les pouvoirs constitutionnels ;

    Ces relations étant politiques, il ne revient pas au juge administratif d’être l’arbitre des relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
    Exemple : Rubin de Servens.

    Exemple : CE, 1999, Mme. BA :
    Fait un REP contre la décision du Président de la République de nommer M. Mazeaud président du Conseil constitutionnel.
    Le Conseil d’État considère que cette décision est un acte de gouvernement, puisque relatif aux relations entre le pouvoir exécutif et le Parlement.

  1. Les actes qui concernent les relations extérieures de la France.
    Pendant très longtemps, le Conseil d’État a été attaché à laisser au pouvoir exécutif une certaine liberté sur le sujet.

    CE, 1995, Association Greenpeace France :
    Le président Chirac décide la reprise des effets nucléaires dans le Pacifique ; une association fait un REP contre cette décision.
    Le Conseil d’État répond que le juge administratif n’est pas compétent, puisqu’il s’agit d’un acte de gouvernement → insusceptible de faire l’objet d’un REP.
    Il relève que cette décision prise par le PR n’est pas une décision isolée et strictement française, mais est une décision d’application d’un traité bilatéral signé entre la France et la Nouvelle-Zélande sur les essais nucléaires.

Dans le même temps, le Conseil d’État a utilisé la théorie de l’acte détachable pour réduire cette catégorie.

Par exemple :
CE, 1997, Royaume-Uni de Grande-Bretagne :
Dans cette décision de principe, le Royaume-Uni fait un REP contre un décret du PR, qui refusait une extradition sollicitée par le Royaume-Uni. Le gouvernement s’est opposé à cette extradition et a pris un acte de refus.
Le Conseil d’État, s’il applique sa théorie classique des actes de gouvernement, doit considérer que ce refus est une décision relative aux relations diplomatiques entre la France et le Royaume-Uni.

Mais le Conseil d’État fait application de la théorie de l’acte détachable : il considère que le décret refusant une extradition est un acte administratif unilatéral, donc un décret peut être un acte individuel mais généralement unilatéral ; et qu’en l’espèce, tel était le cas.
→ Cet acte individuel est détachable des relations diplomatiques de la France.

On peut considérer que le raisonnement du Conseil d’État est audacieux, mais qu’il permet de rendre justiciables des actes qui ne l’étaient pas auparavant → contribue à permettre un contrôle juridictionnel de certains actes qui bénéficiaient jusqu’ici d’immunité.
Il est cependant difficile de suivre le raisonnement suivi : c’est ce cas individuel qui a entraîné un conflit dans les relations diplomatiques de la France.

Ainsi, si un acte est considéré comme détachable des relations diplomatiques de la France, il n’est plus un acte de gouvernement, mais un acte administratif faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un REP.

§ 3. Un acte faisant grief

La décision Dame Lamotte (Conseil d’État, 1959) laisse penser que tous les actes administratifs peuvent faire l’objet d’un REP ; mais, en réalité, seuls les actes administratifs unilatéraux faisant grief peuvent faire l’objet d’un REP.

L’acte doit être décisoire = il doit faire grief = il doit modifier l’ordonnancement juridique.
Autrement dit, il doit changer quelque chose, soit dans une situation individuelle, soit dans le droit applicable en général.

Il y a des actes dont le caractère décisoire n’est pas évident.
Ces dernières années, le Conseil d’État a aussi fait évoluer sa jurisprudence sur la catégorie des actes relevant du droit souple, ce qui n’a pas contribué à la simplicité du régime juridique des actes faisant grief.

A – L’exclusion des actes préparatoires

Dans le cadre de l’organisation de l’administration, il y a un certain nombre d’actes édictés qui ont pour vocation principale de préparer une décision future.

Tous les actes administratifs préparatoires ne peuvent pas être considérés comme des actes administratifs faisant grief, car leur seul objet est de préparer une décision future, et non de modifier le droit.

CE, 1952, Camara :
En l’espèce, porte sur un acte préparatoire relatif à la situation règlementaire d’agents publics, pour préparer un tableau d’avancement → cet acte ne fait pas grief.

B – L’exclusion contestable des mesures d’ordre intérieur

L’administration a besoin d’édicter des actes qui concernent son activité interne : ce sont les mesures d’ordre intérieur.

Le juge administratif a développé la théorie selon laquelle, au fond, il n’a pas à s’intéresser aux actes d’importance minime.

Exemple : il ne fait aucun doute que le lycéen qui doit aller en heure de colle voit sa situation juridique affectée ; on pourrait donc considérer que les critères sont remplis ; mais, pour éviter un engorgement, on a créé la catégorie des mesures d’ordre intérieur.

Pour le juriste Hauriou, ces actes concernent la vie interne de l’administration. On ne doit pas considérer qu’ils peuvent faire l’objet d’un REP, parce qu’ils sont d’importance trop minime pour que le juge accepte d’en connaître.

Exemples : l’autorité du chef dans l’armée, l’autorité du maître d’école dans l’école…
Dans ces domaines où la figure de l’autorité paraît essentielle, on a estimé qu’il ne fallait pas affaiblir cette figure en permettant des recours.

Cette théorie a été faiblement contestée par la doctrine, qui la voyait comme un instrument pragmatique pour éviter que le juge administratif ne soit submergé.
Puis, la CEDH a dit qu’il y a un problème avec cette théorie : dans son principe même, elle est contraire à l’article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH.

2 décisions ont été rendues le même jour :

CE, 1995, Hardouin :
Un militaire rentré en retard de permission reçoit une décision disciplinaire de mise aux arrêts, qui est une décision qui a pour effet qu’il sera empêché, pendant une durée déterminée, de sortir à nouveau de la caserne.
Le Conseil d’État avait dit précédemment qu’il ne s’occupe pas de ce genre de recours ; mais, à la suite de la jurisprudence de la CEDH, il dit ici qu’il est compétent pour connaître un REP contre cette décision, car elle “a des effets directs sur la liberté d’aller et de venir”.

CE, 1995, Marie :
Le Conseil d’État se fonde ici sur un autre critère : la sanction peut faire l’objet d’un REP, car celle-ci est un acte administratif faisant grief “eu égard à sa nature et à la gravité de la mesure”.

Cette décision pose plusieurs interrogations ; la référence à la nature et à la gravité de la décision paraît ambigüe (il n’y a rien de naturel en droit…).
3 décisions d’assemblée rendues en 2007 concernent 3 détenus :

CE, 2007, Boussouar/Planchenault/Payet :
Dans ces 3 décisions, le Conseil d’État précise la manière dont on doit appliquer la jurisprudence Marie.
Il considère que certaines mesures prise à l’intérieur des prisons et visant les détenus sont toujours des actes susceptibles de faire l’objet d’un REP :
> un changement d’affectation de détenu ;
> un déclassement d’emploi ;
> le placement d’un détenu sous le régime des rotations sécurité.

Idée : dans certains cas, le critère de gravité n’est pas pris en compte → la décision édictée n’est plus jamais une mesure d’ordre intérieur, mais est toujours un acte administratif faisant grief (= susceptible de faire l’objet d’un REP).

Par ces décisions, le Conseil d’État a à nouveau et encore davantage restreint la catégorie des mesures d’ordre intérieur, considérant que ces actes sont toujours des actes administratifs faisant grief.

C – L’exclusion partielle des circulaires

Les circulaires sont des instructions qui sont adressées par les chefs de service aux personnels dont ils ont à diriger l’action. Elles servent à éclairer les agents publics sur leurs actions, en expliquant comment ils doivent travailler.
Les auteurs des circulaires sont les chefs de service, tels que définis par la décision Jamart (1936).

Les circulaires sont des actes internes à l’administration, donc :
1- ils ne sont pas opposables aux administrés ;
2- ils ne peuvent pas faire l’objet d’un REP.

Ces circulaires se sont multipliées dans certains domaines, ce qui a posé la question de leur existence.
L’administration s’est aussi de plus en plus fondée sur celles-ci pour prendre des décisions.
Il a pu être relevé, au regard de l’importance quantitative et qualitative prise par celles-ci, qu’il était injuste qu’on ne puisse pas les contester devant le juge de l’excès de pouvoir.

Cela a conduit le Conseil d’État à faire évoluer le statut des circulaires en 2 temps :

CE, 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker :
Pour la 1ère fois, le Conseil d’État considère qu’il est possible qu’une circulaire soit un acte administratif faisant grief (= susceptible de faire l’objet d’un REP).
Il distingue 2 types de circulaires :

  1. Les circulaires interprétatives se bornent à interpréter le droit supérieur et à l’expliquer aux gens auxquels elles sont destinées.
    Elles n’ajoutent pas de droit ; elles se contentent de l’interpréter.
    → Ce sont des actes administratifs internes à l’administration, qui ne font pas grief.
  1. Les circulaires règlementaires ajoutent du droit au droit ; elles ne se bornent pas à interpréter le droit supérieur.
    Elles modifient l’ordonnancement juridique, donc elles peuvent être considérées comme faisant grief, donc pouvant faire l’objet d’un REP.

Le critère retenu par le Conseil d’État est donc le critère de l’innovation.
Ce critère a toujours été critiqué (dans des conclusions de rapporteurs publics comme par la doctrine), parce que pour savoir si une circulaire innove (= ajoute du droit au droit existant), on doit prendre le droit existant et prendre la circulaire et confronter les 2.
Mais confronter une circulaire au droit existant, c’est une sorte de contrôle de légalité ; un certain nombre d’auteurs considèrent donc que ça revient à mettre la charrue avant les bœufs, en obligeant le juge à confronter l’acte aux normes supérieures simplement pour savoir si un recours est recevable contre cet acte.

CE, 2002, Mme. Duvignères :
Le Conseil d’État change le critère de recevabilité des recours contre les ordonnances.
Il pose le critère de l’impérativité de la circulaire : si la circulaire possède un caractère impératif, alors il s’agit d’un acte administratif faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours.
≠ si elle est dénuée d’un caractère impératif, alors il s’agit d’un acte interne à l’administration → insusceptible de recours.

Ce critère de l’impérativité peut être défini de la manière suivante : est-ce que l’auteur de la circulaire a entendu imposer sa volonté à son destinataire ?
Pour savoir si une circulaire est impérative, il faut regarder le ton et le vocabulaire employé : si l’on identifie dans la circulaire des mots comme “ordonne”, “autorise”, “exige que certaines conditions soient remplies”… alors on entend imposer une volonté et une manière de faire à ceux à qui s’adresse cette circulaire.
Si, à l’inverse, il s’agit simplement d’explications ou de rappels, alors la circulaire n’a pas de caractère impératif.

Illustration :
CE, 2003, Syndicat national de défense pour l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital :
Une circulaire du ministre de la Santé, adressée à tous les directeurs des ARS, portait sur la procédure à suivre pour permettre à un médecin d’un établissement de santé d’exercer une activité libérale dans cet établissement.
Prescrivait une procédure à suivre et des conditions à remplir pour les médecins concernés pour pouvoir exercer cette activité + prescrivait des sanctions en cas de non respect de cette procédure.
Celui qui a rédigé cette circulaire entendait imposer aux destinataires → c’est bien un acte administratif faisant grief = susceptible de faire l’objet d’un REP.

Ce critère, posé en 2002, a 2 vertus :
1- il permet de savoir rapidement si un REP est recevable ;
2- il offre une bonne garantie pour les requérants, qui peuvent contester des normes qui apparaissent essentielles dans l’action de l’administration.

D – Le cas particulier des documents de portée générale

Les documents de portée générale font l’objet du dernier arrêt du GAJA → dernière innovation d’ampleur du Conseil d’État.

Le Conseil d’État définit le droit souple :
Relèvent du droit souple les instruments qui réunissent les 3 conditions cumulatives suivantes :
1- les documents qui orientent les comportements de leurs destinataires en suscitant leur adhésion ;
2- les documents qui ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour leurs destinataires ;
3- les documents qui présentent, par leur contenu et par leur mode d’élaboration, un degré de formalisation qui les apparente à des règles de droit.

Contrairement aux règles de droit classiques qui obligent / prescrivent / contraignent, ces instruments orientent / suggèrent / recommandent.
On estimait donc que ces documents ne faisaient pas grief, puisqu’ils ne modifiaient pas l’ordonnancement juridique, mais se contentaient d’émettre des suggestions comportementales.

Mais ces normes ont pris une importance considérable.
Elles ont 2 fonctions, identifiées par le Conseil d’État :

  1. Une fonction d’accompagnement du droit classique : ces notes / recommandations / chartes / suggestions / avis permettent souvent d’expliciter le droit classique et de le préciser.
  1. Elles ont pu, dans certains cas, remplacer le droit classique.
    Il faut avoir à l’esprit que de nombreux acteurs administratifs n’ont pas le pouvoir de prendre des décisions contraignantes.

Malgré cette importance qualitative et quantitative, ces actes étaient distingués du droit classique, et il était impossible de faire un REP contre ceux-ci, alors que certains d’entre eux orientent l’action de l’administration.

Le Conseil d’État a fait évoluer sa jurisprudence sur la justiciabilité de ces actes en 3 temps :

CE, 2011, Association FORMINDEP :
REP contre une recommandation de la Haute Autorité de santé (AAI).
Pour la 1ère fois, le Conseil d’État admet un REP contre une recommandation. Il souligne 2 points :
1- De telles recommandations ont pour objet de transmettre des données acquises par la science.
2- À défaut d’être contraignantes, ces recommandations sont largement suivies par les professionnels de santé, parce qu’elles sont solides scientifiquement.
→ Ces recommandations sont des actes administratifs faisant grief.

Une telle décision contribue à rapprocher juridiquement les actes de droit classique et les actes de droit souple.
+ atteste de l’importance prise par ces actes de droit souple.

Dans 2 décisions, rendues le même jour, le Conseil d’État fait évoluer à nouveau sa jurisprudence sur le droit souple :

CE, 2016, Fairvesta et Numéricable :
Le Conseil d’État juge que les actes des autorités de régulation (qui sont des AAI) qui ont pour effet > soit de produire des conséquences notables > soit d’influer de manière significative sur le comportement des personnes auxquelles ils s’adressent → peuvent faire l’objet d’un REP.

Cette décision élargit la jurisprudence FORMINDEP en montrant que ce principe ne vaut pas uniquement pour la Haute Autorité de santé + en précisant matériellement le critère à respecter pour que l’acte édicté par l’autorité de régulation soit considéré comme faisant grief.

CE, 2020, GISTI :
⚠️ À ne pas confondre avec les autres décisions GISTI.
Dans cette décision importante, le Conseil d’État crée une nouvelle catégorie d’actes administratifs, qu’il appelle les “documents de portée générale”.

Il affirme que ces documents de portée générale peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils “sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés de les mettre en œuvre”.

Il doit s’agir de documents “de portée générale” → exclut toute forme d’acte individuel.
L’acte doit avoir plusieurs destinataires ou être adressé de manière générale à un groupe.

Ces documents doivent émaner “d’autorités publiques” → pas limité aux seules AAI.

Concrètement, ces documents peuvent être de nature très diverses. Ce qui est essentiel, ce n’est pas le nom qui leur est donné, mais leur contenu.
Dans ces actes de portée générale, on trouve donc des suggestions de comportement, des recommandations, des avis…
Ce qui apparaît déterminant, c’est que de tels actes peuvent faire l’objet d’un REP si le juge estime qu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés de les mettre en œuvre.

Jusqu’en 2020, soit un AAU faisait grief → il pouvait faire l’objet d’un REP ; soit il ne faisait pas grief → il ne pouvait pas faire l’objet d’un REP.
Ici, avec cette décision GISTI (2020), le Conseil d’État ne parle plus de faire grief → il invente un nouveau critère : les documents de portée générale peuvent faire l’objet d’un recours à l’égard de leurs effets.

Cette jurisprudence a l’avantage de permettre de saisir des actes qui étaient auparavant injusticiables, ce qui est très bien au regard de l’importance prise par certains d’entre eux.
Elle a le désavantage de complexifier un droit qui était jusqu’alors très simple.

Section 2 : Le régime juridique de l’acte administratif unilatéral

Le régime juridique de l’acte administratif unilatéral a été très longtemps jurisprudentiel.
Les règles applicables aux AAU figuraient dans la jurisprudence du Conseil d’État.

Le CRPA, publié en 2015, contient beaucoup de règles relatives aux AAU ; sa publication a donc formellement modifié les sources du régime des AAU, mais n’a pas modifié le contenu des règles.

§ 1. L’édiction de l’acte

Il s’agit d’une procédure qui tient en 3 étapes :
1- l’initiative ;
2- la signature ;
3- l’entrée en vigueur.

A – L’initiative

Il existe 2 hypothèses :
1- les actes spontanés ;
2- les actes provoqués.

1) Les actes spontanés

Pour ces actes pour lesquels elle n’est pas sollicitée par un tiers, l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire.
→ Expression qui met l’accent sur la liberté d’expression de l’administration.

Cette liberté s’incarne de 2 manières :

  1. L’administration est libre d’agir ou de ne pas agir ;
  1. Si l’administration choisit d’agir, elle est libre de choisir la décision qui lui paraît la plus appropriée.

C’est l’intérêt général qui guide l’administration.
Elle peut spontanément édicter un certain nombre d’actes administratifs pour faire face aux circonstances ou à la manière dont elle estime qu’il est plus pertinent d’agir.

💡 La décision que l’administration prend spontanément est une décision édictée sous le contrôle du juge administratif.


2) Les actes provoqués

Parfois, l’administration agit pour répondre à une demande formulée : son action est provoquée par une sollicitation dont elle fait l’objet.

Dans cette hypothèse, l’administration n’est pas libre et doit répondre à la sollicitation dont elle fait l’objet : elle est en situation de compétence liée (≠ pouvoir discrétionnaire).
→ Elle est obligée d’exercer sa compétence.

B – La signature

Pour exister matériellement et juridiquement, une décision prise par écrit doit être signée.
En droit, la signature d’un document permet d’identifier l’auteur de la décision, qui en endosse la responsabilité juridique (voire politique).
→ La signature est un mécanisme d’authentification et de certification.

Toutes les décisions prises à l’écrit sont signées par leur auteur (article L212-1 du CRPA), avec 2 exceptions :

  1. Les décisions à caractère règlementaire sont dispensées de signature (un décret paru au JO n’est pas signé, il contient juste le nom de son auteur) ;
  1. Les décisions implicites, qui résultent du silence de l’administration, ne sont pas signées.

C – L’entrée en vigueur

Un acte administratif unilatéral entre en vigueur lorsqu’il est porté à la connaissance de ceux qui sont intéressés par celui-ci.

1) L’entrée en vigueur des actes règlementaires

💡
Pour rappel, les actes règlementaires sont les actes de portée générale, qui ne mentionnent pas nommément leurs destinataires.

Les conditions d’entrée en vigueur des actes règlementaires sont fixées aux articles L221-2 et suivants du CRPA :
”L’entrée en vigueur d’un acte règlementaire est subordonné à l’accomplissement de formalités adéquates de publicité”.

→ Ce sont ses formalités de publicité qui déterminent l’entrée en vigueur d’un acte règlementaire.

La publicité tient à la publication de l’acte dans un recueil officiel, dont le plus connu est le JO.
Certains actes font l’objet d’une publication en mairie, avec des panneaux d’affichage où l’on reproduit des actes édictés par la commune (notamment pour les actes en matière d’urbanisme).

Les mesures adéquates de publicité sont :
> en principe la publication dans un recueil officiel ;
> par exception l’affichage ;
> parfois, les deux.

Les mesures de publicité sont très importantes en droit, car elles marquent l’entrée en vigueur de l’acte → le moment où l’acte produit des effets juridiques.

Un décret qui figure au Journal officiel produit des effets juridiques au lendemain de sa parution dans le JO.
Cette date marque la production d’effets juridiques + le début du délai de recours.


2) L’entrée en vigueur des actes individuels

💡
Pour rappel, les actes administratifs individuels sont les actes qui visent nommément leurs destinataires / qui s’adressent nominativement à une personne ou à un groupe de personnes.

Ces actes ne font l’objet d’aucune publicité.
L’acte entre en vigueur au moment où il est notifié à ses destinataires, par le biais d’un courrier postal ou électronique avec un accusé de réception.
La date de cet accusé marque la date de l’entrée en vigueur de l’acte.

La date est aussi fondamentale, car c’est le point de départ du calcul des 2 mois pour exercer un REP.

Une décision qui résulte du silence de l’administration ne fait l’objet d’aucune notification.

§ 2. La disparition de l’acte

  1. L’abrogation peut se définir comme une sorte de sortie en vigueur non rétroactive de l’acte, qui résulte d’une manifestation de volonté postérieure à son édiction.

    Il faut une manifestation de volonté, c’est-à-dire qu’il faut que l’auteur de la décision décide de la faire disparaître et que cette disparition totale ou partielle découle d’un acte.
    Idée : celui qui a fait peut défaire, par les mêmes procédés juridiques.
    → Il n’y a pas d’abrogation implicite : l’abrogation découle d’un acte.

  1. Le retrait est une sortie de vigueur rétroactive d’un acte qui résulte d’une décision de l’administration : l’acte est réputé n’avoir jamais existé.
    Cela fait penser à l’annulation juridictionnelle, effectuée par le juge.

    💡 Vocabulaire juridique : l’administration compétente peut retirer / le juge peut annuler.

    → Il n’y a pas de retrait implicite non plus : seule une décision expresse peut conduire au retrait d’une décision.

  1. La caducité est une sortie de vigueur non rétroactive, qui se réalise de plein droit à la date prévue ou à la survenance de l’évènement prévu par l’acte lui-même.
    → La caducité est la possibilité pour l’acte de prévoir sa propre mort (un acte caduc ne produit plus d’effets juridiques).

    On peut imaginer des actes qui sont applicables jusqu’à la survenance d’un évènement (ex : crise économique).

  1. La désuétude est une sortie de vigueur non rétroactive d’un acte qui résulte de la non application durable de celui-ci.

L’abrogation et le retrait sont des outils très fréquemment utilisés par l’administration pour faire sortir de vigueur des actes administratifs.
Le régime juridique de ces 2 modalités :
1- obéit à des règles propres ;
2- s’agissant du retrait, obéit à des règles marquées par une certaine complexité.

Il faut opérer certaines distinctions importantes :

A – L’abrogation

Puisque l’abrogation ne fait disparaître l’acte que pour le futur, ses conséquences juridiques sont moindres que pour le retrait et son régime juridique dispose de moins de subtilités.
Il faut opérer certaines distinctions utiles :

1) L’abrogation des actes règlementaires

a) Les actes règlementaires légaux

Ce que le pouvoir règlementaire a fait, il peut défaire, et heureusement : cela permet de tenir compte des évolutions de l’intérêt général, de la société, de l’alternance politique…

L’administration peut donc abroger un règlement légal sans conditions, à n’importe quel moment et pour n’importe quelle raison : on parle du principe de mutabilité des règlements.
La mutabilité est la capacité juridique de faire évoluer le droit.

CE, 1961, Magnier :
Le Conseil d’État affirme qu’au regard du principe de mutabilité des règlements l’administration peut abroger un acte règlementaire légal quand elle le souhaite.
L’article 243-1 du CRPA reprend ce principe : un acte règlementaire légal peut être abrogé sans condition de délai.
Il en est autrement des actes illégaux :

b) Les actes règlementaires illégaux

Lorsque l’administration est saisie d’une demande d’abrogation d’un acte règlementaire illégal, elle doit l’abroger.

CE, 1930, Despujol :
En cas de changement de circonstances de droit, un règlement devenu illégal du fait de ce changement de circonstances doit être abrogé par l’autorité compétente.
Si l’administration refuse, on peut saisir le juge de l’excès de pouvoir de ce refus.
→ Un acte règlementaire illégal doit être abrogé, l’administration n’a pas le choix (situation de compétence liée).

Voir aussi : CE, 1989, Alitalia.

Ces 2 décisions de principe sont codifiées à l’article L243-2 du CRPA : “L’administration est tenue d’abroger expressément un acte réglementaire illégal”.
La règle législative ne distingue pas la temporalité de l’illégalité : peu importe que l’illégalité ait été originelle, ou résulte de circonstances de droit.

2) L’abrogation des actes individuels

Dans le cas d’un acte qui s’adresse à des personnes nominativement et octroie des droits à ses destinataires, ce droit qu’il donne pourra devenir un jour définitif.
Le droit devient définitif lorsqu’il ne peut plus être contesté.

Par exemple, en cas de demande d’un permis de construire à une commune, le droit à construire octroyé devient définitif au bout de 2 mois, lorsque l’acte ne peut plus être contesté.

a) Les actes individuels créateurs de droit

En principe, tous les actes individuels – sauf exceptions – sont créateurs de droit.

Par définition, les actes administratifs individuels décisoires donnent des droits à leurs destinataires, qui ont vocation à devenir définitifs s’ils ne font pas l’objet d’un recours.

L’administration ne peut pas abroger un acte administratif individuel créateur de droits légal, car elle n’a aucune raison de le faire.

Dans le cas d’un acte administratif individuel créateur de droits illégal, l’administration a une bonne raison de l’abroger, et on veut permettre à l’administration de se corriger.
L’administration dispose d’un délai de 4 mois dès la prise de décision pour procéder à une telle abrogation.

CE, 2009, Coulibaly :
Dans cette décision, le Conseil d’État reprend le considérant de principe de la décision Ternon sur les retraits pour l’appliquer à l’abrogation des actes administratifs individuels créateurs de droit illégaux dans un délai de 4 mois à partir de la prise de décision.
(le délai de 4 mois est emprunté à la jurisprudence Ternon)

Idée : on veut avoir un délai pas trop long ni trop court pour que l’administration puisse se corriger.
Cette solution a été codifiée à l’article L242-1 du CRPA : l’administration peut abroger un acte individuel créateur de droits illégal dans un délai de 4 mois à partir de la prise de décision.

b) Les actes individuels non créateurs de droit

Certains actes administratifs individuels ne créent pas de droits chez leurs destinataires, parce qu’ils ont une vocation temporaire.

  1. Les autorisations de police sont tous les actes administratifs liés à la police administrative, par essence provisoire.
    Celui qui a cette autorisation n’a jamais de droits définitifs.
  1. Les autorisations d’occupation du domaine public sont provisoires.
    Le domaine public est juridiquement inaliénable : on peut l’occuper pendant très longtemps, mais jamais définitivement.
  1. Les actes qui nomment des personnes dans des emplois à la discrétion du gouvernement sont provisoires, puisqu’on n’occupe pas ces emplois à titre définitif.

Si ces actes sont légaux, alors il est possible pour l’administration de les abroger.
Exemple : si le Président de la République a nommé un préfet, il peut le remplacer par un autre → la décision de le remplacer remplace la nomination.

Si l’acte est illégal, alors la faculté devient une obligation :
CE, 1990, Association Les Verts :
Le Conseil d’État calque le régime de l’abrogation des actes individuels illégaux sur celui des actes règlementaires illégaux.
L’administration saisie d’une demande doit abroger l’acte individuel non créateur de droits illégal.

B – Le retrait

Les effets du retrait sont dévastateurs : en cas de retrait, l’acte est réputé n’avoir jamais existé.

1) Le retrait des actes non créateurs de droit

a) Les actes légaux

Il est impossible de retirer un acte règlementaire ou provisoire qui ne serait pas illégal, parce qu’on n’a à priori aucune bonne raison de le faire.

CE, 1966, Société Graciet :
Il est impossible de retirer ces actes → on peut au mieux les abroger.

b) Les actes illégaux

On a une bonne raison de retirer les actes non créateurs de droit illégaux, mais difficulté : si on les retire de l’ordonnancement juridique, non seulement ils sont réputés n’avoir jamais existé, mais ils sont aussi réputés n’avoir jamais servi de base légale à une décision individuelle.

On a donc affirmé que ces actes peuvent être retirés dès lors qu’ils n’ont pas reçu d’application.
C’est logique : on veut permettre à l’administration de corriger une erreur, mais on ne veut pas priver des personnes qui auraient reçu des droits sur la base de cet acte illégal.

→ Le retrait de l’acte n’est possible que dans le délai extrêmement court où il n’a pas reçu d’exécution.

Voir : CE, 2002, Assistance publique de Marseille.


2) Le respect des actes créateurs de droit

Les actes individuels qui, en principe, font naître chez leurs destinataires des droits susceptibles de devenir intangibles sont les plus difficiles à retirer.

En principe, leur retrait est impossible, parce qu’il n’y a pas de motif d’illégalité qui justifierait leur retrait.
Voir arrêt de principe : CE, 1950, EDF.

Cependant, ce principe a été accompagné de 2 exceptions, issues de la jurisprudence et codifiées à l’article L142-4 du CRPA :

  1. Si un acte législatif autorise un retrait d’un acte créateur de droit légal, alors la volonté du législateur prime sur les PGD, donc le texte peut faire l’objet d’un retrait ;
  1. En cas de demande de l’intéressé, pour formuler une autre demande.

Il s’agit d’une évolution jurisprudentielle substantielle ; en effet, on a peiné à trouver un équilibre entre la correction des illégalités et la sécurité juridique des personnes.
4 étapes :

  1. CE, 1922, Dame Cachet :
    Mme. Cachet avait reçu une indemnité de 121 francs du ministère des Finances, à la suite d’un mauvais calcul lié à son imposition.
    Estimant que cette indemnité ne correspondait pas à ce que le ministère lui devait, elle avait écrit au ministre pour lui demander de retirer sa décision et d’en prendre une + favorable.
    Le ministre des finances s’aperçoit qu’en réalité elle n’a droit à rien ; il prend une décision de retrait, mais remplace sa décision par une autre beaucoup moins favorable lui refusant l’indemnité en question.

    Cette décision pose le principe selon lequel il est possible de retirer ce type d’actes dans le même délai qu’on peut faire un REP contre cet acte → dans les 2 mois à partir de sa notification.
    Ce raisonnement est cohérent : c’est le délai durant lequel l’acte n’est pas définitif.

    Pour retirer un acte créateur de droit, il faut donc que celui-ci soit :
    1- illégal ;
    2- notifié depuis moins de 2 mois.

  1. CE, 1966, Ville de Bagneux :
    Le maire de la commune de Bagneux octroie un permis de construire, qu’il retire 1 an après pour illégalité.
    En application de la jurisprudence Dame Cachet, il avait 2 mois pour le retirer à partir de la notification de l’acte illégal.

    Les permis de construire ont cette particularité d’être des actes individuels, qui doivent être publiés dans le recueil officiel de la commune. Le juge s’aperçoit que le permis de conduire a été notifié, mais pas publié dans ce recueil.
    Or, si la notification a été mal faite, le délai ne commence pas à courir, donc on peut retirer un acte administratif illégal.

    Dans cette jurisprudence, le Conseil d’État applique mécaniquement la jurisprudence Dame Cachet : le délai n’a pas commencé à courir, donc l’acte individuel créateur de droit illégal peut être retiré dans un délai infini.

  1. Le décret du 28 novembre 1983 porte sur les droits des usagers de l’administration.
    Il a entendu modifier la jurisprudence du Conseil d’État sur ce sujet, en affirmant que désormais les délais de recours et délais de retrait doivent être notifiés dans la décision adressée aux intéressés.

    Ce décret modifie le point de départ : désormais, le point de départ est la notification de la décision administrative individuelle que reçoit le destinataire, dès qu’il accuse réception du point de départ du délai de recours.

    CE, 1987, Dame de Mobier :
    Porte sur une décision de reclassement d’un fonctionnaire.
    Un arrêté est pris par un ministre et une dame estime que ce n’est pas favorable au regard de ses droits.
    Le ministre se rend compte que le 1er déclassement est illégal et rend une nouvelle décision moins favorable à la demanderesse.

    Elle fait un recours pour excès de pouvoir, et le Conseil d’État s’aperçoit que le ministre, lors de sa notification, n’a pas mentionné les délais de recours.
    S’il n’y a pas de notification, alors le délai ne commence pas à courir, alors il est possible de retirer l’acte sans délai → retour à Dame Cachet.

    Cela est source d’insécurité juridique : si l’administration oublie la notification, alors elle peut corriger ses erreurs même 10 ans après.

  1. CE, 2001, Ternon :
    C’est la décision qui fixe actuellement les règles applicables en la matière.
    Le Conseil d’État a ici dû se prononcer sur les délais suite à une notification oubliée.
    Question de droit : dans quels délais est-il possible de retirer un acte administratif créateur de droit illégal ?

    Le Conseil d’État innove :
    Il pose le principe d’un délai de 4 mois, en dissociant le délai de recours du délai de retrait.
    → Rompt avec la logique de Dame Cachet.

    Pour éviter les problèmes de mauvaise notification, on dit que le point de départ du délai est au moment où a été prise la décision → date figurant sur la décision.
    Peu importe si l’administration a fait une erreur de notification : on calcule le délai au jour de la décision.
    (On dissocie donc aussi le point de départ du délai de retrait & le point de départ du délai de recours).

Dans l’article L242-1 du CRPA, c’est le considérant de principe de la décision Ternon qui est repris.

⚠️ Celle-ci ne s’applique qu’aux décisions individuelles créatrices de droit illégales.
Sont donc exclus : les actes règlementaires, les actes non créateurs de droit, et les actes légaux.

Chapitre 6 : Les sources internes

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Pendant longtemps, ces sources internes ont quasi exclusivement été des sources jurisprudentielles. Elles se limitaient à la jurisprudence de principe du Conseil d’État, qui posait les règles du droit administratif.
Aujourd’hui, si la jurisprudence conserve un poids important, elle n’est plus la seule source interne du droit administratif. On constate 2 mouvements :

  1. Le Conseil d’État n’est plus la seule juridiction interne à rendre des décisions qui intéressent le droit administratif.
    Le Conseil constitutionnel, créé par la Constitution de 1958 dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité, rend des décisions qui intéressent le fonctionnement de l’administration et qui influencent le droit administratif.
  1. Les textes prennent une place de plus en plus importante.
    Articles de Constitution, lois, règlements : ces textes sont devenus des sources du droit administratif, parce qu’ils posent des règles intéressant le droit administratif.
    Par exemple : le CRPA, depuis 2015.

Section 1 : Les sources constitutionnelles

Le droit administratif a toujours été influencé par l’existence d’une constitution, qui contient des règles qui intéressent le fonctionnement de l’administration.
Aujourd’hui, la situation est différente : il y a d’autres éléments qui ont une influence sur le droit administratif et qui incarnent la constitutionnalisation du droit administratif :

  1. La diversification des sources constitutionnelles : si l’administration doit respecter la Constitution, le mot “constitution” s’entend aujourd’hui au pluriel.
    Le bloc de constitutionnalité constitue des normes qui doivent être respectées aussi bien par le législateur que par l’administration.
  1. La création de la question prioritaire de constitutionnalité en 2008 a fait apparaître le Conseil constitutionnel comme un acteur du procès devant le juge ordinaire comme administratif.
    → Il est devenu un acteur du droit administratif par le biais de la procédure de la QPC.

§ 1. Le respect de la Constitution par l’administration

A – Le principe

L’administration est soumise à un certain nombre de contraintes issues de la Constitution.

Conseil d’État, 1960, Société EKY :
Pour la première fois, le Conseil d’État annule un décret qui est contraire à une norme constitutionnelle.
Il ne fait donc aucun doute que le juge administratif est juge de la constitutionnalité des actes administratifs. Il peut annuler, à la suite d’un REP, un acte qui ne respecte pas une norme constitutionnelle.

B – L’exception : la théorie de la loi-écran

Lorsque la loi fait écran entre l’acte administratif et la norme constitutionnelle, alors le juge administratif s’estime incompétent, car il estime qu’il ne lui revient pas de faire du contrôle de constitutionnalité des lois.
Il suit un raisonnement syllogistique :

Par exemple, un acte administratif est édicté sur le fondement d’une loi, puis un moyen d’illégalité est soulevé parce que l’acte administratif ne respecterait pas la Constitution.
Si le juge opérait un contrôle de constitutionnalité de l’acte administratif, cela reviendrait implicitement à faire un contrôle de constitutionnalité de la loi ayant servi de fondement juridique à l’acte administratif → il n’a pas le droit de le faire.
→ La loi fait écran entre l’acte administratif et la norme constitutionnelle.

Conseil d’État, 1936, Arrighi :
Dans cet arrêt de principe, le Conseil d’État invente et met en oeuvre la théorie de l’écran législatif, dans le but de ne pas être le juge de la loi.

Aujourd’hui, le principe demeure, mais 2 choses ont changé :
1- la création du Conseil constitutionnel ;
2- l’arrêt Nicolo.

Dans l’arrêt Nicolo, le Conseil d’État supprime l’écran législatif en matière conventionnelle, parce que le Conseil constitutionnel a incité dans sa décision IVG les juridictions ordinaires à exercer un contrôle de conventionnalité.

💡 Il est très fréquent que les actes administratifs sont édictés sur la base d’une loi.

Exception à l’exception : l’écran législatif transparent.
Conseil d’État, 1991, Quintin :
Les lois d’habilitations, qui habilitent le gouvernement à agir par ordonnances sur le fondement de l’article 38, sont des lois très courtes et largement vides (souvent 2 articles).
Ces lois sont si courtes et vides que l’écran formé par ce texte est considéré comme “transparent” et n’empêche donc pas le contrôle de constitutionnalité de l’acte administratif par le juge administratif.

§ 2. La diversification des sources constitutionnelles

A – Les articles de la Constitution de 1958 relatifs à l’administration

L’article 13 désigne les pouvoirs administratifs du Président de la République.
L’article 21 désigne les pouvoirs administratifs du Premier ministre.
Les articles 19 et 22 sont relatifs au contreseing des décrets (les conditions dans lesquelles les ministres doivent contresigner les décrets pris par le Président de la République ou le Premier ministre.
L’article 34 définit le domaine de la loi, et l’article 37 le domaine du règlement (= actes administratifs pouvant être édictés par le Premier ministre).
L’article 38 est relatif aux ordonnances.
Les articles 72 et suivants concernent les collectivités territoriales.

L’administration, quand elle agit, doit mettre en oeuvre et respecter les articles qui la concernent directement.

B – Les autres normes figurant dans le bloc de constitutionnalité

Enjeu : plus il y a de normes constitutionnelles, plus le contrôle est intense, important et diversifié – pour le Conseil constitutionnel, mais aussi pour le juge administratif qui opère un contrôle de constitutionnalité des actes administratifs.

On doit l’expression “bloc de constitutionnalité” à la doctrine.
C’est le professeur Louis Favoreu qui affirme d’abord que les normes constitutionnelles sont plus diverses que le seul texte de 1958, quand il constate que la Constitution de 1958 fait des renvois, notamment au préambule de la Constitution de 1946.

Conseil constitutionnel, 1971, Liberté d’association :
Reconnaît pour la 1ère fois de son histoire un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) : celui de la liberté d’association.
Affirme que le préambule de la Constitution de 1946 a valeur constitutionnelle. Ce préambule fait référence à la DDHC, mais aussi aux PFRLR → les PFRLR ont donc valeur constitutionnelle.

La DDHC de 1789 proclame des droits et libertés (qui acquièrent aussi valeur constitutionnelle), alors que le préambule de 1946 se contente d’affirmer l’attachement aux PFRLR sans les énumérer.
Le Conseil constitutionnel décide donc de remplir cette catégorie en affirmant pour la 1ère fois qu’une liberté constitue un PFRLR au sens du préambule de la Constitution de 1946.

Cette décision est remarquable, car elle contribue à étendre les éléments ayant valeur constitutionnelle.
Aujourd’hui, une dizaine de PFRLR ont été dégagés par des décisions du Conseil constitutionnel.

§ 3. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

La QPC résulte de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a inséré l’article 61-1 de la Constitution, complété ensuite par la loi organique du 10 décembre 2009.

Les autorités de saisine du Conseil constitutionnel dans le cadre de la QPC sont exclusivement le Conseil d’État et la Cour de cassation.
Un citoyen ne peut pas saisir le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une QPC.

Avec la procédure de la QPC, le Conseil constitutionnel conserve le monopole en matière de contrôle de constitutionnalité des lois.

La QPC n’a pas aboli la théorie de la loi-écran : quand une loi fait écran entre un acte administratif et une norme constitutionnelle, le juge administratif ne peut toujours pas contrôler la constitutionnalité de cet acte.

Cependant, la QPC peut constituer une solution de contournement : le requérant confronté à une hypothèse d’écran à l’occasion d’un procès devant le juge administratif peut déposer une QPC.

⚠️ En France, jamais les juridictions ordinaires ne pratiquent le contrôle de constitutionnalité des lois.

A – Le rôle du juge administratif dans la QPC

Il faut commencer par rappeler que la QPC ne peut pas être soulevée à l’occasion d’une instance en cours.
Il n’y a pas de QPC sans procès.

À l’occasion d’une instance en cours, un requérant peut déposer, par le biais d’un mémoire distinct, une QPC qui conteste une disposition législative qui serait contraire à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit.

1) Le rôle des juridictions ordinaires

L’article 61-1 de la Constitution dit qu’une QPC peut être soulevée à l’occasion d’une “instance en cours”.
Cela est entendu le plus largement possible : il est possible de soulever une QPC en 1ère instance, en appel, en cassation… devant le juge administratif classique comme devant le juge administratif des référés.

Une fois le juge administratif ordinaire saisi, il doit être le 1er filtre, c’est-à-dire celui qui examine en 1er si la disposition législative visée par la QPC est digne d’être transmise au Conseil d’État.

Pour ne pas engorger le Conseil constitutionnel de QPC inutiles, le juge ordinaire doit :

  1. Vérifier que la disposition législative visée par la QPC est applicable au litige.
    Le pouvoir constituant a voulu, en créant la QPC, qu’il y ait un lien entre la disposition et le litige ; s’il n’y en a pas, alors la QPC n’est pas transmise.
  1. Vérifier que la disposition législative contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
    Exception : la loi organique de 2009 précise qu’on peut y déroger “en cas de changement de circonstances de droit ou de fait”.
  1. La question ne doit pas “être dépourvue de caractère sérieux”.
    Est-ce que la question présente un intérêt du point de vue juridique ?

Si ces 3 conditions sont remplies, le juge administratif saisi transmet la QPC au Conseil d’État.
Aujourd’hui, ~20% des QPC posées devant les juridictions ordinaires passent ce 1er filtre.


2) Le rôle du Conseil d’État

Le Conseil d’État joue un rôle de second filtre.
Il opère un certain nombre de vérifications pour vérifier si la QPC ne mérite pas d’être transmise au Conseil constitutionnel.

a) La notion de disposition législative

L’article 61-1 dispose que seule une disposition législative peut faire l’objet d’une QPC.
Le Conseil d’État commence par vérifier que la QPC vise une disposition législative au sens de l’article 61-1.

“Disposition législative” peut désigner un extrait :
1- d’une loi ordinaire ;
2- d’une loi organique ;
3- d’une ordonnance ratifiée par le Parlement ;
4- d’une “loi de pays” = acte voté par l’assemblée de Nouvelle-Calédonie.

💡 La QPC ne permet pas un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori. Elle permet seulement de vérifier si une disposition législative contrevient à un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
→ La disposition constitutionnelle invoquée doit donner un droit ou octroyer une liberté à des personnes.

b) Les droits et libertés garantis par la Constitution

Après avoir vérifié les conditions relatives à la QPC elle-même, le Conseil d’État doit vérifier les conditions relatives à sa transmission → second filtre.

La loi organique de 2009 a posé 3 conditions semblables à celles du 1er filtre :

  1. La disposition législative doit être applicable au litige ;
  1. La disposition législative doit ne pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;
  1. La question doit être nouvelle et présenter un caractère sérieux.

Une disposition est “nouvelle” lorsqu’elle n’a fait l’objet d’aucune application dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ou que sa nouveauté pourrait résulter de l’intérêt que revêt son examen.

Cette condition est remplie dès lors que le Conseil d’État estime que la question posée présente un intérêt du point de vue de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Cet intérêt pour aussi être un intérêt de principe ou un intérêt quantitatif (lorsque la question est susceptible de se poser à de nombreuses reprises dans de nombreux procès en cours).

Le Conseil d’État examine donc la question posée au regard de la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel.
Soit il trouve la réponse de manière évidente, soit il ne la trouve pas et constate donc un intérêt à transmettre la question.

Cette étape ressemble à un pré-contrôle de constitutionnalité, mais qui n’est fait pour que pour savoir si la 3ème condition posée par la loi organique de 2009 est remplie.

Le taux de transmission est ici encore de ~20%.
Objectif du Conseil d’État : ne transmettre au Conseil constitutionnel que les plus belles QPC.

Dans les hypothèses où le Conseil d’État est saisi en premier et dernier ressort, il n’y a qu’un seul filtre.

B – Le rôle du Conseil constitutionnel

1) L’examen de la disposition législative

Le Conseil constitutionnel doit procéder à un contrôle de constitutionnalité de la disposition législative.
Ce contrôle est spécifique : il se fait a posteriori et ne porte que sur le respect par la disposition législative du droit ou de la liberté constitutionnelle invoquée dans la QPC.

Ça n’est donc en réalité pas un contrôle de constitutionnalité d’ordre général, mais un contrôle de conformité de la disposition législative par rapport au droit ou à la liberté qui est :
> constitutionnelle ;
> invoquée par le requérant dans la QPC.

L’examen par le Conseil constitutionnel consiste à se demander si la disposition respecte le droit ou la liberté constitutionnelle en question.
2 hypothèses sont envisageables :

  1. Le Conseil constitutionnel déclare que la disposition législative est conforme au droit ou à la liberté constitutionnelle invoquée.
    Cela a 2 conséquences :

    • La disposition législative conserve sa place dans l’ordre juridique français.
    • La disposition législative déclarée conforme sera appliquée par le juge ordinaire pour résoudre le litige dont il a été saisi.
  1. Le Conseil constitutionnel déclare que la disposition législative est contraire au droit ou à la liberté constitutionnelle invoquée.
    Cela a 2 conséquences :

    • La disposition législative est abrogée = elle disparaît de l’ordonnancement juridique pour l’avenir.
    • Le juge ordinaire ne peut plus appliquer cette disposition législative au litige.

Le Conseil constitutionnel a estimé que, dans certaines hypothèses, la disparition de la disposition législative pouvait être problématique au regard du nombre de procédures en cours qui pourraient être concernées.
Il s’en est notamment rendu compte au sujet du régime de la garde à vue.

Conseil d’État, 2004, Association AC! :
Met en place une modulation dans le temps de l’annulation contentieuse, permettant au juge administratif de reporter la date de l’annulation de l’acte administratif dont il vient de prononcer l’illégalité.
Objectif : laisser à l’administration le temps de se préparer à cette annulation.

Conseil constitutionnel, 2010, Mlle Danielle S. :
Concernait les hospitalisations d’office, prévues dans le Code de la santé publique.
Le Conseil constitutionnel affirme pour la 1ère fois qu’il lui est possible de reporter dans le temps les effets de l’abrogation.
Entre-temps, c’est l’ancienne disposition qui s’applique au litige en cours.
→ Progrès vis-à-vis de l’État de droit.

Le Conseil d’État est devenu un acteur du contentieux administratif, parce que les décisions qu’il rend dans le cadre des QPC ont des effets dans les procès en cours.
La QPC a largement participé au mouvement de constitutionnalisation du droit administratif.

Section 2 : Les sources législatives et règlementaires

Les sources législatives et règlementaires sont les sources qui se placent, dans la hiérarchie des normes, juste en dessous des normes constitutionnelles.
Ce sont des normes de droit écrit, qui ont pris une place de plus en plus importante parmi les sources du droit administratif.
Exemple : avec le CRPA de 2015, les sources législatives et règlementaires acquièrent une importance considérable.

§ 1. Les sources législatives

À la naissance du droit administratif, le législateur ne s’est pas intéressé au droit administratif.
C’est la jurisprudence qui a pris le relais, avec des arrêts de principe du Conseil d’État qui ont fixé les règles du droit administratif.

Aujourd’hui, il arrive fréquemment que le législateur, dans des textes relatifs à l’administration et aux procédures devant le juge administratif, fasse du droit administratif.
Quand la place du législateur augmente, la place de la jurisprudence diminue.

A – Les différents types d’actes législatifs

Du point de vue du droit administratif, ce qu’on appelle les actes législatifs (= les actes qui ont une valeur législative dans la hiérarchie des normes) sont susceptibles d’être de différents types :

1) Les lois

Ce terme, en apparence simple, est en réalité plus complexe qu’il n’y paraît. Il existe différentes catégories de lois dont l’objet et la valeur juridique varient :

  1. La loi constitutionnelle a pour objet de modifier la Constitution.
    Elle nécessite une majorité des 3/5 des parlementaires présents.
    Elle a la valeur de la Constitution.
  1. La loi organique a pour objet de compléter le texte de la Constitution de 1958.
    Elle fixe des principes complémentaires pour mieux comprendre l’objet et la portée d’une disposition de la Constitution.
    Elle présente 2 spécificités :

    • Procédurale : elle est obligatoirement soumise au Conseil constitutionnel avant son entrée en vigueur.
    • Valeur : dans la hiérarchie des normes, elle se trouve au-dessus des lois ordinaires et en dessous des lois constitutionnelles.
  1. La loi ordinaire est celle adoptée le plus fréquemment par le Parlement.
    Elle entre dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34.
  1. La loi adoptée par référendum est prévue à l’article 11 de la Constitution.
    Elle n’est pas adoptée au terme de la procédure parlementaire, mais en faisant intervenir le peuple. Elle ne peut pas être soumise au Conseil constitutionnel, car elles sont l’expression directe de la volonté générale du peuple.
    Elles ont la même valeur que les lois ordinaires.

2) Les autres actes législatifs

Ces autres actes législatifs ont la même valeur qu’une loi ordinaire.

Hypothèse de l’article 16 de la Constitution :
Les pouvoirs d’exception, qui n’ont été mis en oeuvre qu’une seule fois, à l’occasion de la guerre d’Algérie.
La question de la valeur juridique des actes passés dans ce cadre s’est posée. On distingue 2 interprétations :

  1. Celui qui les édictait était une autorité administrative : ce sont donc des actes administratifs, susceptibles de faire l’objet d’un REP devant le juge administratif.
  1. Ce ne sont pas des actes administratifs, car l’objet de l’article 16 de la Constitution est de transférer des pouvoirs du Parlement vers le Président, et notamment d’édicter des décrets dans le domaine de la loi.
    Ils sont donc insusceptibles de recours devant le juge administratif.

Conseil d’État, 1962, Rubin de Servens :
Les actes pris par le Président de la République conformément à l’article 16 sont des actes législatifs, qui ne peuvent pas faire l’objet de REP.
Le Conseil d’État retient que l’article 16 organise le transfert de pouvoirs législatifs vers le Président de la République → les actes appartiennent au domaine de la loi.

Hypothèse de l’article 38 de la Constitution : ordonnances.
Permet au parlement d’habiliter le gouvernement à agir dans le domaine de la loi pendant une durée déterminée.
Idée : parfois, il faut agir vite, mais adopter une loi prend du temps.

Le Parlement adopte une loi d’habilitation, qui habilite le gouvernement à agir dans le domaine de la loi pour une durée déterminée.
Le gouvernement peut ensuite adopter des ordonnances = des actes administratifs qui interviennent dans le domaine de la loi.
Au terme du délai, le Parlement ratifie les ordonnances, ce qui leur donne valeur législative.

La valeur juridique d’une ordonnance varie selon les étapes.
Tant qu’elle n’a pas été ratifiée par le Parlement, l’ordonnance est un acte administratif, qui peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.

Conseil d’État, 1961, Fédération nationale des syndicats de police :
Tant qu’une ordonnance n’a pas été ratifiée, elle est un acte administratif → peut être contestée devant le juge administratif.

Une fois que l’ordonnance a fait l’objet d’une loi de ratification édictée par le Parlement, elle acquiert valeur législative.
Elle ne peut alors plus faire l’objet d’un REP devant le juge administratif, mais seulement l’objet d’une QPC.

Certaines ordonnances peuvent mettre du temps à être ratifiées. Quel est le statut de l’ordonnance non ratifiée malgré l’expiration du délai ?

Conseil constitutionnel, 2020, Association Force 5 :
Les ordonnances non ratifiées qui ont passé le délai d’habilitation sont “des actes législatifs au sens de l’article 61-1 de la Constitution”.
Ce sont donc des actes susceptibles de faire l’objet d’une QPC.

Le Conseil d’État a répliqué :
Conseil d’État, 2020, Fédération CFDT des Finances et autres :
Les ordonnances non ratifiées peuvent faire l’objet d’une QPC, mais ces mêmes actes peuvent également être considérés comme des actes administratifs pouvant faire l’objet d’un REP si l’on souhaite contester autre chose que la constitutionnalité de l’acte.

Le Conseil d’État a considéré que, s’il veut vraiment protéger les requérants, il doit continuer de permettre de considérer que cet acte administratif est aussi susceptible de REP.
Il a donc considéré que ces ordonnances non ratifiées ayant passé leurs délais d’habilitation sont des actes administratifs susceptibles de REP.

Cliquer ici pour voir le communiqué de presse sur le sujet (.pdf).

B – Le domaine des actes législatifs

Avant 1958, le domaine de la loi était illimité. Des actes règlementaires pouvaient être édictés par le gouvernement, mais ces actes étaient exclusivement des actes d’application des lois.
→ Pas de pouvoir règlementaire autonome avant 1958.

Conseil d’État, 1907, Compagnie des chemins de fer de l’Est :
Censure un règlement édicté par le gouvernement, dès lors qu’il n’a pas été pris sur le fondement du pouvoir législatif.
À cette époque, il n’existe pas de pouvoir règlementaire autonome : le gouvernement ne peut édicter que des actes d’application des lois.

La Constitution de 1958, qui s’inscrit dans une démarche de rationalisation du parlementarisme, a tout changé.
Idée : la loi doit désormais être limitée ; elle ne peut plus intervenir dans n’importe quel domaine.

On donne un domaine règlementé à la loi, avec 2 articles jumeaux :
> l’article 34 de la Constitution liste les domaines dans lesquels la loi peut intervenir ;
> l’article 37 dispose que “les matières autres que celles mentionnées à l’article 34 relèvent du pouvoir règlementaire du gouvernement”.

Le Conseil constitutionnel est chargé de faire respecter le domaine de la loi.
Il peut censurer une loi ou un article de loi qui ne relève pas du domaine législatif, mais du domaine règlementaire.

Le Conseil d’État est chargé de faire respecter le domaine règlementaire.
Il peut censurer un règlement ou un article d’un règlement qui a posé des règles dans un domaine qui relève de la loi.

Exemple : Conseil d’État, 2002, M. Ulmann :
Devait statuer sur la légalité d’un décret portant sur le droit d’accès aux documents administratifs.
Décide que certaines dispositions de ce décret relèvent du domaine de la loi, sont donc illégales et les annule.

C – L’applicabilité des actes législatifs

Il y a des conditions que les lois doivent remplir pour être considérées comme applicables en droit français et pouvoir donc être invoquées à l’appui d’un recours.

La loi doit avoir été publiée (au Journal officiel). Si une loi n’est pas publiée, elle ne produit pas d’effets juridiques → elle est inapplicable en droit français.

Conseil d’État, 1957, Barrot :
Affirme qu’une loi non publiée au JO est inapplicable : elle ne produit pas d’effets juridiques et elle ne peut pas servir de base légale aux actes administratifs pris sur son fondement.

La loi doit contenir des mesures suffisamment précises.
Le législateur, lorsqu’il édicte une loi, a 2 possibilités :
> soit il édicte une loi suffisamment complète et précise pour s’appliquer directement ;
> soit il édicte une loi qui fixe de grands principes, qui sera précisée par des décrets d’application.

Les dispositions de la loi doivent présenter un caractère normatif : la loi doit interdire, prescrire, autoriser, poser des règles…
Idée : elle doit imposer la volonté du peuple, donc être normative.
Si la loi est détournée de son objet pour des affirmations purement politiques ou philosophiques, alors on considère que les dispositions ne sont pas normatives et sont à ce titre considérées inapplicables en droit français et ne sont donc pas susceptibles d’être invocables devant le juge.
Le Sénat peut adopter une résolution, qui est un acte par lequel il ne prescrit rien, mais peut prendre position sur un sujet de société.

Conseil d’État, 1995, Préfet de la Guadeloupe :
Un requérant invoque des dispositions législatives à l’appui d’un REP contre un décret.
Le Conseil d’État, ayant lui-même à appliquer ces dispositions législatives, estime que leur sens n’est pas clair et les considère donc inapplicables.
Il y a donc une 3e condition : les dispositions législatives doivent être suffisamment précises pour que leur portée et leur sens soit évident.
💡 Rappelle la théorie de l’acte clair en droit de l’UE.

Conseil d’État, 1999, M. Rouquette :
Considère que des dispositions législatives ne sont pas normatives dès lors qu’elles ne contiennent pas de prescriptions, mais une simple affirmation de principe.
→ Ces dispositions ne sauraient être invoquées à l’appui d’un recours devant le juge administratif.

§ 2. Les sources règlementaires

A – Les titulaires du pouvoir règlementaire

1) Le pouvoir règlementaire général

Le pouvoir règlementaire général est désigné comme tel dans la mesure où les actes qu’il édicte peuvent intervenir dans tous les domaines relevant de l’article 37 de la Constitution.
+ ce sont des actes qui ont une portée nationale.

a) Le Premier ministre

Le Premier ministre est considéré par la Constitution de 1958 comme l’autorité de principe en matière règlementaire.
Il est désigné par la Constitution comme le titulaire du pouvoir règlementaire (= celui qui peut édicter des règlements administratifs).
Il peut édicter 3 types de règlements administratifs :

  1. Les règlements d’application des lois ;
  1. Les décrets autonomes ;
    Ils interviennent dans les domaines de l’article 37 de la Constitution et n’ont aucun lien avec la loi (ils sont “autonomes” du législateur).
  1. Les règlements de police.
    C’est la jurisprudence (et non la Constitution) qui lui donne ce pouvoir :
    Conseil d’État, 1919, Labonne :
    Estime que le gouvernement dispose, en dehors de toute habilitation constitutionnelle ou législative, de pouvoirs propres pour édicter des mesures de police applicables sur l’ensemble du territoire national.
    Pour faire face à des troubles importants à l’ordre public, le Premier ministre peut prendre un décret en matière de police applicable sur l’ensemble du territoire national.

    La toute première mesure Covid a été un décret type Labonne : le Premier ministre a édicté, sur le fondement de ce pouvoir jurisprudentiel, un décret par lequel il a restreint les libertés sur le territoire national.

    Ce 3ème pouvoir est rarement utilisé.

Le Premier ministre est donc l’autorité de principe à qui on a confié le pouvoir règlementaire général.

b) Le Président de la République

Le Président de la République joue en apparence un rôle secondaire en matière de pouvoir règlementaire.

D’après l’article 13 de la Constitution, il est compétent pour signer les décrets et les ordonnances délibérées en Conseil des ministres.
Si on regarde la Constitution de 1958, on constate que les conditions dans lesquelles ces décrets et ces ordonnances doivent être délibérées en Conseil des ministres ne sont pas précisées.
Le Conseil d’État a répondu que, dès lors que les dispositions constitutionnelles sont muettes, c’est au Président de la République de décider :

Conseil d’État, 1992, M. Meyet :
Affirme 2 choses :

  1. À défaut de disposition constitutionnelle, c’est au Président de la République de choisir si un décret ou une ordonnance doit être délibérée en Conseil des ministres.

    Cela signifie que la lecture qu’on peut avoir sur la Constitution de 1958 s’en trouve changée : quand il le veut, le Président de la République peut faire délibérer en Conseil des ministres des décrets et ordonnances.
    → Il est lui-même maître du domaine dans lequel il peut prendre des actes règlementaires.
    → La compétence de principe du Premier ministre est contestée.

  1. Tous les décrets et toutes les ordonnances délibérées en Conseil des ministres ont pour auteur de le Président de la République.
    Celui-ci en endorse la responsabilité politique et juridique.

2) Les pouvoirs règlementaires spécialisés

Les pouvoirs règlementaires spécialisés renvoient à :

  • toutes les hypothèses d’exercice du pouvoir règlementaire qui ne peuvent intervenir que dans un domaine propre ;
  • ou à toutes les hypothèses du pouvoir règlementaire sur une portion du territoire national.

Ils peuvent être attribués :
> par un texte ;
> par la jurisprudence.

a) La spécialisation selon un texte

Un texte – généralement législatif – peut confier à une autorité administrative un pouvoir règlementaire spécialisé.
Plusieurs conditions sont posées :

Conseil constitutionnel, 1989, Conseil supérieur de l’audiovisuel :
Dit 2 choses importantes :

  1. La Constitution ne fait pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité autre que le Premier ministre et le Président de la République un pouvoir règlementaire ;
  1. Ce pouvoir règlementaire “ne concerne que des mesures à portée limitée, tant par leur champ d’application que par leur contenu”.

Dans cette décision CSA, le législateur avait donné un pouvoir règlementaire pas assez spécialisé par rapport au pouvoir règlementaire générale.

Conséquence : le législateur, en respectant cette double condition posée par le Conseil constitutionnel, peut donner un pouvoir règlementaire spécialisé à toutes les autorités administratives dont il estime qu’elles ont besoin de fixer des règles générales de type règlementaire.

b) La spécialisation selon la jurisprudence

Adage en droit administratif : “il n’y a pas de pouvoir règlementaire sans texte”.
Selon cet adage, le pouvoir règlementaire ne peut pas être dévolu à une autorité en l’absence de texte.
Cet adage, s’il permet de mettre l’accent sur le fondement textuel du pouvoir règlementaire, connaît des exceptions : il existe des hypothèses de pouvoir règlementaire sans texte.

2 hypothèses :
1- le pouvoir de police administrative du Premier ministre ;
2- le pouvoir règlementaire du chef de service.

L’arrêt Labonne du Conseil d’État de 1919 affirme que, par exception, le Premier ministre dispose d’un pouvoir règlementaire spécialisé en matière de police qui lui permet d’édicter des mesures de police applicables sur l’ensemble du territoire dans le cas où il faut faire face à un trouble à l’ordre public national (ex : un virus).

Singularité de ce pouvoir : son fondement.
Pour agir dans ce domaine, le Premier ministre peut user de “ses pouvoirs propres”, sans qu’un texte ne lui ait octroyé ce pouvoir.
→ Le pouvoir règlementaire en matière de police du Premier ministre possède un fondement jurisprudentiel.

Précision : cette décision a été rendue avant la Constitution de 1958, à l’époque où il n’existait pas de Premier ministre.
Cet arrêt Labonne a été actualisé :

Conseil d’État, 1960, SARL Restaurant Nicolas :
Adapte l’arrêt Labonne à la Constitution de 1958 : fait du Premier ministre celui qui est titulaire d’un pouvoir règlementaire en matière de police sur le fondement jurisprudentiel de l’arrêt Labonne.


Le pouvoir règlementaire du chef de service a lui été posé par une grande décision :
Conseil d’État, 1936, Jamart :
Tout chef de service peut prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous son autorité, même si aucune disposition textuelle n’a confié à l’autorité concernée un pouvoir règlementaire.

Ici, un chef de service est toute personne qui a autorité sur des agents, qui exerce un pouvoir hiérarchique (qui peut donner des ordres, des instructions, et modifier leurs décisions).

La tradition Jamart concerne un ministre ; or les ministres ne sont pas titulaires d’un pouvoir règlementaire : on considérait qu’ils devaient agir sur habilitation de la loi ou par délégation du Premier ministre.
Les ministres se trouvaient donc dans une situation étrange, où ils ne pouvaient pas agir par eux-mêmes.
Pour combler cette lacune, la décision Jamart dit que les ministres sont chefs de service et disposent donc d’un pouvoir règlementaire spécialisé.

B – Les caractéristiques du pouvoir règlementaire

Le pouvoir règlementaire est celui qui donne à une autorité administrative la compétence pour édicter des mesures générales et impersonnelles.
Il présente 2 caractéristiques essentielles :

1) L’impossibilité d’exercer le pouvoir règlementaire “au-delà du texte”

“Pas de pouvoir règlementaire sans texte, pas de pouvoir règlementaire au-delà du texte”.
Le texte est à la fois le fondement juridique du pouvoir règlementaire et sa limite.

C’est logique, puisqu’on a vu que l’habilitation par le pouvoir législatif doit être strictement délimitée sur les plans matériel et territorial.
L’autorité qui en est le titulaire ne saurait dépasser ce qui lui est autorisé → ne saurait aller au-delà du texte.

Si une autorité administrative édicte un acte règlementaire dans un domaine qui dépasse l’habilitation législative ou jurisprudentielle dont elle bénéficie, elle est incompétente pour édicter cet acte → si un recours est formé, le juge pourra l’annuler pour incompétence.


2) L’obligation d’exercer le pouvoir règlementaire

L’étude du pouvoir règlementaire offre 3 hypothèses où l’autorité administrative investie d’un pouvoir se trouve obligée de l’utiliser :

a) L’obligation de prendre les règlements d’application des lois

Le Premier ministre est notamment chargé de prendre les décrets d’application des lois.
Ces décrets ont pour objet de préciser la portée des dispositions législatives.
Si le gouvernement ne prend pas ces décrets, la loi est inapplicable ; ça n’est donc pas une faculté, mais une obligation.

Conseil d’État, 1962, Kevers-Pascalis :
Annule pour la 1ère fois un refus du Premier ministre d’édicter les règlements nécessaires à l’application d’une loi.
Motif : “le Premier ministre n’a pas la faculté de prendre les décrets d’application d’une loi, il en a l’obligation”.

Mais que se passe-t-il s’il tarde ?

Conseil d’État, 2011, Société Cryo-Save-France :
De manière audacieuse, affirme pour la 1ère fois qu’il doit le faire dans un délai raisonnable, sans préciser ce qu’est un délai raisonnable.
Avantage de cette décision : met la pression sur le gouvernement, en instant qu’il doit veiller à ce que les décrets d’application soient pris dans un délai raisonnable.
Inconvénient : n’adopte pas un délai strict.

C’est le juge administratif qui apprécie au cas par cas le délai raisonnable.
En l’espèce, un délai de 2 ans et demi n’a pas été considéré comme déraisonnable.

b) L’obligation d’agir en matière de police administrative

Idée : quand on est une autorité administrative titulaire d’un pouvoir de police, on a l’obligation de faire usage de ce pouvoir pour faire face aux évènements susceptibles de troubler l’ordre public.
Si on ne le fait pas, on commet une abstention fautive, qui est de nature à engager la responsabilité de l’État.

Conseil d’État, 1959, M. Doublet :
Il existait au bord d’une rivière un camping municipal. La rivière menaçait d’être en crue et d’envahir les bords de celle-ci, et notamment le terrain sur lequel était installé le camping.
Il y a eu une crue pendant la nuit, qui a fait des morts.
Le maire aurait dû prendre une mesure de police pour évacuer le camping.

c) L’obligation d’abroger des règlements illégaux

Cela fait penser à la décision Alitalia, qui souligne l’obligation d’abroger un acte administratif contraire aux objectifs d’une directive européenne non transposée dans les délais.

Conseil d’État, 1930, Despujol :
Toute autorité administrative règlementaire doit abroger un acte devenu illégal à la suite d’un changement de circonstances de droit.

La décision Alitalia est venue compléter Despujol dans le cas particulier des directives non transposées dans les délais.

C – La hiérarchie des actes règlementaires

On distingue une double hiérarchie au sein des actes règlementaires :

  1. Les pouvoirs règlementaires spécialisés sont soumis au pouvoir règlementaire d’ordre général.
    Au sommet de la hiérarchie : actes règlementaires du Premier ministre et du Président de la République.
  1. Au sein même du pouvoir règlementaire d’ordre général, il y a une hiérarchie entre les décrets :
    Décrets délibérés en Conseil des ministres > décrets pris après l’avis du Conseil d’État > décrets simples (= édictés sans l’avis d’aucune autre autorité).
    Les décrets simples ne sauraient donc modifier les décrets délibérés en Conseil des ministres ou les décrets pris après l’avis du Conseil d’État.

Section 3 : Les sources jurisprudentielles : les principes généraux du droit

Si on s’arrête sur les sources jurisprudentielles, c’est parce que :
> le droit administratif est un droit principalement jurisprudentiel ;
> il est important de situer les règles jurisprudentielles dans la hiérarchie des normes en droit interne.

Les principes généraux du droit incarnent le pouvoir jurisprudentiel du Conseil d’État.
Idée : la juridiction suprême de l’ordre administratif peut, à l’occasion de litiges dont elle est saisie, poser des principes qui valent pour l’instance en cours, et surtout pour le futur de manière générale, et qui auront vocation à être opposables à l’administration.

§ 1. La notion de PGD

A – L’apparition de la notion

Il y a une ambiguïté, puisque la notion de PGD a été employée à 2 époques distinctes.

À la fin du 19ème siècle :
Tribunal des conflits, 8 février 1873, Dugave et Bransiet :
(Même jour que l’arrêt Blanco !)
Le Tribunal des conflits évoque “les principes généraux du droit avec lesquels les textes relatifs à l’administration doivent être conciliés”.
→ Les règles applicables à l’administration sont pour certaines textuelles et pour d’autres jurisprudentielles.

Par la suite, le Tribunal des conflits et le Conseil d’État ne vont pas faire en sorte d’expliciter quels sont ces principes. Même si le Tribunal des conflits a évoqué cette expression dès 1873, elle ne devient pas une notion juridique clairement identifiée.

À l’après-guerre :
Juste après la Seconde Guerre mondiale, le Conseil d’État retrouve l’intérêt de pouvoir disposer d’une telle catégorie.

Conseil d’État, 1945, Aramu :
Décision de principe qui affirme l’existence de principes généraux du droit s’appliquant à l’administration.

Le Conseil d’État constate que, durant la Seconde Guerre mondiale, l’administration a pu mal faire ou appliquer strictement des textes, même barbares.
Il décide donc qu’au-delà des textes, il faut des principes généraux protégeant les administrés et les agents.

B – La définition de la notion

Seul le Conseil d’État peut dégager un principe général du droit ; les TA et CAA n’ont pas ce pouvoir, parce qu’ils rendent des décisions qui ne sont pas définitives.

On peut définir les principes généraux du droit comme des principes découverts par le Conseil d’État et qui doivent être respectés par l’administration sous peine d’illégalité.
Ils ont 2 caractéristiques principales :

  1. Ce sont des principes applicables même sans texte.
    Ils s’imposent à l’administration par la force de la jurisprudence de principe.
    Décision Aramu (1945) : les PGD sont applicables même en l’absence de texte.
  1. Ils s’imposent à toutes les autorités administratives, y compris le Président de la République et le Premier ministre.
    Toute autorité administrative, lorsqu’elle agit, doit agir en respectant les principes généraux du droit.
    Arrêt de principe :
    Conseil d’État, 1959, Syndicat général des ingénieurs-conseil :
    Les PGD s’imposent à toute autorité administrative règlementaire (et en l’espèce, au Premier ministre).

§ 2. L’usage des PGD

A – Considérations générales sur l’usage des PGD par le juge

Les principes généraux du droit ont été inventés à la suite de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle les juges ont constaté que les textes pouvaient mal faire, et qu’il convenait que la jurisprudence protège mieux ceux qui peuvent être victimes de l’administration.
Les PGD servent donc à protéger :
> les usagers du service public (”le public”), en invoquant des PGD protecteurs contre l’arbitraire administratif ;
> les agents publics, qui peuvent être victimes de leurs supérieurs hiérarchiques.

B – Illustrations

1) Conseil d’État, 1973, Dame Peynet :
Mme Peynet est infirmière dans un établissement public de santé ; elle annonce sa grossesse à son chef de service, qui la licencie le lendemain. Elle fait un REP contre cette décision de licenciement.

Le Conseil d’État constate que les textes de l’époque ne contiennent aucune disposition interdisant le licenciement d’une femme enceinte dans le secteur public, mais que le Code du travail interdisant le licenciement des salariés pour ce motif.
Pour combler cette lacune, il crée un PGD : l’interdiction de licencier une femme enceinte dans le secteur public.
En faisant cela, il protège la requérante et annule pour illégalité son licenciement.

Plutôt que de dire qu’il s’est inspiré du Code du travail, il dit que le Code du travail s’est inspiré du principe qu’il a créé (= le principe jurisprudentiel selon lequel il est interdit de licencier une femme enceinte).

Ici, le PGD est utilisé dans le but d’assurer la protection des agents publics.
Le Conseil d’État a aussi par exemple consacré :
> l’interdiction de rémunérer un agent public en dessous du SMIC ;
> l’obligation de proposer un autre emploi à un agent public définitivement atteint d’une inaptitude physique…

→ Les PGD ont servi à combler les lacunes textuelles du droit du service public.


2) Conseil d’État, 2002, M. Magiera :
Un homme fait un recours devant le TA de Versailles dans une affaire relevant du droit fiscal. Le TA statue 7 ans plus tard.
M. Magiera engage la responsabilité de l’État pour durée excessive d’un procès administratif (il fait un recours devant la juridiction administrative pour dénoncer la longueur excessive de la juridiction administrative !).

Le Conseil d’État relève la durée de l’examen de l’affaire devant le TA de 7 ans et 6 mois, alors que cette affaire ne présentait pas de difficultés particulières. Il en déduit que la durée est excessive.
Il regarde les textes applicables à l’époque, notamment le CJA, et n’y trouve aucune disposition textuelle qui viendrait affirmer la nécessité de statuer dans des délais raisonnables.

Il crée donc un PGD : le droit pour les justiciables à être jugé dans un délai raisonnable.

§ 3. La place des PGD

A – La place des PGD dans la hiérarchie des normes

La question de la place des PGD dans la hiérarchie des normes a été à l’origine de nombreux débats doctrinaux.
On distingue 3 thèses :

  1. Les PGD ont la valeur du texte dont ils sont issus ou dont ils s’inspirent.
    Si le juge trouve son inspiration dans une loi (ex : le Code du travail), alors le PGD a valeur législative.
    Si le juge trouve son inspiration dans un traité international, alors le PGD a valeur conventionnelle.

    Problème avec cette thèse : que faire des PGD qui n’ont aucune inspiration (= qui résultent de l’imaginaire du juge) ?

  1. Les PGD n’ont pas la même valeur selon ceux qui les ont dégagés.
    Idée : quand un PGD est consacré par le Conseil constitutionnel en tant que principe à valeur constitutionnelle (PVC), alors il a valeur constitutionnelle. À l’inverse, quand il n’a pas fait l’objet d’une consécration constitutionnelle, alors le PGD a une valeur infralégislative.

    Cependant, les PGD sont dégagés par le Conseil d’État pour censurer des actes administratifs dans le cadre de recours (au maximum, contre un décret en Conseil des ministres), donc les PGD servent au juge administratif dans le cadre de son contrôle de légalité des actes administratifs.
    Le Conseil constitutionnel utilise lui les PVC pour contrôler la constitutionnalité des lois.

  1. Selon René Chapus, les PGD ont la même valeur que la bouche qui les dégage, c’est-à-dire celle du Conseil d’État.
    • Tous les PGD sont dégagés exclusivement par le Conseil d’État, en tant que juridiction suprême de l’ordre administratif.
    • Le Conseil d’État peut censurer un acte administratif, mais il ne peut pas contrôler la constitutionnalité des lois.

    Conséquence : les principes qu’il dégage doivent être situés entre la loi dont il est le serviteur, et les actes administratifs dont il est le censeur.
    Les PGD ont donc une valeur infralégislative (< aux lois) et suprédécrétale (> aux décrets).

Cette 3ème thèse est la plus convaincante, mais est aussi celle qui ressort des conclusions des rapporteurs publics du Conseil d’État :

Conseil d’État, 1996, Koné :
M. Koné a bénéficié de la création d’un PFRLR selon lequel il est interdit d’extrader un étranger pour un motif politique.
Le Conseil d’État a voulu protéger M. Koné en créant un PGD, mais il s’est aperçu que ça ne servirait à rien, parce que l’extradition résulte d’un accord bilatéral, qui est un traité international.
→ Les PDG ne peuvent pas avoir une valeur dépassant celle de celui qui les consacre.

Le Conseil d’État a donc eu l’idée très audacieuse et critiquable de dégager un PFRLR, qui tirent leur valeur constitutionnelle du texte qui fait référence à l’attachement de la République à ces principes : le préambule de la Constitution de 1946.

B – La place des PGD parmi les sources du droit administratif

Il y a eu un “âge d’or des PGD”, période durant laquelle le Conseil d’État en a dégagé beaucoup : l’après-guerre et les années 1970.
À partir des années 2000, le Conseil d’État a très rarement utilisé la technique des PGD.
Il l’a quand même fait dans un arrêt retentissant :

Conseil d’État, 2006, Société KPMG :
Affirme que le principe de sécurité juridique est un principe général du droit.
Vertu protectrice du PGD : objectif de protéger le public contre les effets néfastes des changements de règlementation.
KPMG reste aujourd’hui le dernier grand PGD.

On peut expliquer cette place moins importante des PGD aujourd’hui par :

  1. Le fait que le champ a déjà été bien balisé : le Conseil d’État a déjà dégagé une cinquantaine de PGD.
  1. Le fait qu’il y a beaucoup plus de dispositions ayant pour objet de protéger les personnes aujourd’hui qu’auparavant.
    La multiplication des droits et des dispositifs de protection des personnes a pour conséquence que le Conseil d’État peut piocher dans cette boîte à outils pour assurer la protection des usagers et agents du service public.

    Idée : si on peut censurer un acte sur le fondement d’un article de la CEDH, on peut juste appliquer la disposition textuelle et ça ne sert à rien de dégager un principe jurisprudentiel.

    Pour autant, les PGD conservent une valeur subsidiaire : ils permettent de combler une éventuelle lacune textuelle.

Chapitre 5 : Les sources du droit européen

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Depuis quelques décennies, le droit européen s’est imposé comme une source importante du droit administratif.
→ Mouvement d’européanisation du droit administratif.

Avant de voir quelles formes prend cette européanisation du droit administratif, il faut se mettre d’accord sur ce qu’est le droit européen. Cela peut être source de confusion, car le “droit européen” n’existe pas : cette expression peut désigner à la fois le droit de l’Union européenne et le droit du Conseil de l’Europe.

Le droit de l’Union européenne est issu du traité de Rome du 25 mars 1957, qui institue à l’origine une union économique, devenue ensuite politique, qui a notamment pour projet de fixer des règles relatives à la coopération des États européens dans des domaines variés.
Le droit de l’Union européenne est assuré par la CJUE, qui se trouve à Luxembourg.

Le droit du Conseil de l’Europe est issu du traité de Londres du 5 mai 1949, édicté juste après la Seconde Guerre mondiale, qui se donne comme ambition de développer les droits de l’homme en Europe.
Son droit a pour objet la promotion des droits de l’homme. Il est principalement sanctionné par la CEDH, basée à Strasbourg.

Section 1 : Le droit de l’Union européenne

§ 1. Le droit originaire

A – La définition du droit originaire

À l’origine, le droit originaire est composé des différents traités relatifs aux communautés européennes :
> le traité de Paris (1951) institue la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) ;
> le traité de Rome (1957) institue la Communauté économique européenne (CEE) ;
> le traité EURATOM (1957, signé à Rome) institue la Communauté européenne de l’énergie atomique.

Ces traités vont être modifiés à de nombreuses reprises par d’autres traités européens :
> l’Acte unique européen (1986) ;
> le traité de Maastricht (1992) ;
> le traité d’Amsterdam (1997) ;
> le traité de Nice (2001).

On finit par se dire que c’est illisible parce qu’il y a trop de traités, donc on décide de simplifier le droit originaire de l’UE.
Le traité de Lisbonne (2007) entre en vigueur en 2009. Il constitue une étape très importante pour la définition du droit originaire européen, puisqu’il met fin aux communautés européennes originaires pour les remplacer par une organisation unique : l’Union européenne.
(+ la CJCE devient la CJUE)

Le traité de Lisbonne remplace les traités successifs par 2 traités de synthèse :

  1. Le traité sur l’Union européenne (TUE) affirme les grands principes de l’UE ;
  1. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) entre dans le détail des procédures et de la répartition des compétences.

Aujourd’hui, le droit originaire de l’UE renvoie à ces 2 traités.

B – L’invocabilité du droit originaire

L’invocabilité désigne la capacité à utiliser une norme à l’appui d’un recours.

1) La position de la CJUE

CJCE, 1964, Costa contre ENEL :
La CJCE considère que le droit de l’UE est d’une “nature spécifique et originale” dans la mesure où il constitue un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des États membres.
→ Le droit originaire de l’UE s’intègre dans chacun des droits des États membres de l’UE.

La CEE est donc un ordre juridique dont les dispositions priment sur le droit national de manière irrévocable, dans le champ restreint où les États membres lui ont transféré une partie de leur souveraineté.

CJCE, 1963, Van Gend en Loos :
Le droit de l’UE, dans sa composante originaire (les traités), est invocable directement par les particuliers, aussi bien devant les juridictions européennes que devant les juridictions nationales.
Autrement dit, la CJCE affirme que toutes les stipulations des traités relatifs à l’Union européenne sont dotés de l’effet direct et peuvent donc être invoqués devant toute juridiction.

Pour qu’il en soit ainsi, les normes de droit originaire doivent respecter 2 conditions :

  1. Ces normes doivent être “claires, précises et inconditionnelles” : le sens à donner à ces normes ne doit pas être ambigu.
  1. Ces normes ne doivent pas “appeler de mesures complémentaires pour être appliquées” : les stipulations en question doivent être d’application directe.

Si l’une ou l’autre de ces 2 conditions n’est pas remplie, alors la stipulation n’est pas invocable devant une juridiction.

Pour savoir si une stipulation est “claire, précise et inconditionnelle”, ou si son sens est dépourvu d’ambiguïté, le juge peut saisir la Cour de justice pour qu’elle livre son interprétation de la stipulation.
On parle de question préjudicielle : une question de droit qui détermine la solution à donner au litige. Le renvoi préjudiciel est un mécanisme de juge à juge, qui permet à un premier juge de demander à une cour suprême de livrer son interprétation (ici, sur un traité européen).


2) La position du Conseil d’État

Le sens que le Conseil d’État donne à l’effet direct n’est pas tout à fait celui donné par la Cour de justice.
Aux yeux du Conseil d’État, l’essentiel pour invoquer une norme est qu’elle soit d’effet direct, c’est-à-dire qu’elle donne des droits à des personnes autres que les États signataires.

Comme souligné dans la décision Costa, le droit de l’Union européenne a une nature particulière. Les traités de l’UE ont vocation à s’inscrire dans un ordre juridique qui s’inscrit lui-même dans l’ordre juridique de chacun des États membres.
Il faut donc utiliser des outils qui ne sont pas ceux retenus habituellement par les juges internationaux. C’est pour cette raison que la décision GISTI considère que l’effet direct vaut pour tous les traités internationaux, sauf ceux de l’UE.

Conseil d’État, 1967, Société des établissements Petit Jean :
Le Conseil d’État reprend à son compte la position de la Cour de justice à propos de l’effet direct des stipulations du droit originaire européen.
Autrement dit, le Conseil d’État affirme que ces stipulations sont bien dotées de l’effet direct, à condition de respecter les 2 conditions :
1- ces normes doivent être claires, précises et inconditionnelles ;
2- ces normes ne doivent pas nécessiter de mesures complémentaires pour être applicables.

Il est donc possible d’invoquer les stipulations du droit originaire européen devant le juge administratif français, dès lors qu’elles répondent à ces 2 conditions.

Le Conseil d’État est à cet époque encore très souverainiste et attaché au droit français.
S’agissant du respect de la 1ère condition, il a quelques scrupules à considérer qu’une disposition d’un traité européen n’est pas claire. En effet, parce que ça fait longtemps qu’il interprète des traités internationaux, il va traîner des pieds pour poser des questions préjudicielles → théorie de l’acte clair.

Cette époque est aujourd’hui révolue.
La théorie de l’acte clair a laissé à la place au dialogue apaisé des juges : le Conseil d’État pose régulièrement des questions préjudicielles à son homologue européen pour être certain du sens à donner à certaines stipulations européennes.

C – La valeur du droit originaire

1) Par rapport aux lois

Conseil d’État, 1989, Nicolo :
💡 Il s’agit de l’arrêt le plus important de ce semestre.
Le Conseil d’État y affirme la supériorité des traités internationaux sur les lois, que la loi concernée soit antérieure ou postérieure au traité international.

Les faits de l’arrêt Nicolo concernaient les élections européennes : la décision portait sur le traité de Rome, l’un des symboles du droit originaire européen.

→ Les traités internationaux ont une valeur supérieure aux lois en droit interne, que celle-ci soit antérieure ou postérieure au traité en question.


2) Par rapport à la Constitution

Conseil constitutionnel, 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe :
En s’appuyant sur l’article 54 de la Constitution, le Conseil constitutionnel affirme qu’elle est au sommet de l’ordre juridique.

→ Les normes constitutionnelles s’imposent aux traités internationaux en droit interne français.

⚠️ Cette solution ne vaut qu’en droit interne français.
Dans l’ordre juridique européen, la solution est différente : le droit originaire européen y est situé au sommet.

§ 2. Le droit dérivé

Le droit dérivé est le droit qui dérive du droit originaire, c’est-à-dire les normes rédigées par les institutions créées par les traités.
Il regroupe différentes catégories de normes élaborées par les institutions de l’UE :
> Commission européenne ;
> Conseil des ministres européen (”Conseil de l’Union européenne”) ;
> Parlement européen.

A – Les différentes catégories de normes de droit dérivé

L’article 288 du TFUE précise que la Commission, le Conseil des ministres et le Parlement peuvent, chacun de leur côté ou ensemble, édicter les 4 catégories de normes suivantes :

1) Les règlements

Le règlement a une portée générale : c’est la norme qui, au niveau européen, fixe une règle de portée générale susceptible de s’appliquer à toutes les personnes concernées.
Il est obligatoire dans tous ses éléments : tous les articles qui le composent ont une portée contraignante pour les institutions européennes et pour les États membres.

Il produit des effets juridiques et des obligations.
Il est directement applicable dans tout État membre : aucune adaptation n’est nécessaire pour que les normes qu’il fixe soient intégrées dans les droits des États membres.

Conseil d’État, 1978, Syndicat viticole des Hautes Graves de Bordeaux :
Le Conseil d’État affirme, en se fondant sur l’article 288 du TFUE, que le règlement se différencie de la directive européenne, dans la mesure où il s’intègre dans le droit français dès sa publication.


2) Les directives

L’article 288 dit que la directive lie tout État membre quand au résultat à atteindre, tout en laissant les instances nationales la compétence quand à la forme et aux moyens.

Ce caractère contraignant apparaît relatif, dès lors qu’il est laissé aux États membres une marge d’appréciation pour appliquer la directive.
Ils sont libres de la forme et du contenu des normes de transposition, qui doivent juste permettre d’atteindre les objectifs fixés par la directive.


3) Les décisions

L’article 288 affirme qu’une décision est obligatoire dans tous ses éléments, mais ne l’est que pour les destinataires qu’elle désigne.

C’est une norme obligatoire, qui s’impose aux États membres ; elle se différencie du règlement parce qu’elle ne vise que certaines personnes ou États → décision administrative individuelle.


4) Les recommandations et les avis

Les avis et les recommandations ne lient pas.
Ces 3 institutions peuvent en effet prendre position sur des sujets, sans vouloir que ça ne se traduire dans des normes obligatoires : recommander une action, donner un avis sur une situation en cours… sans obliger, interdire ni sanctionner.

B – L’exemple des directives européennes

Les directives européennes sont l’un des outils juridiques les plus utilisés par l’UE. Elles sont importantes de par leur nombre, mais aussi en raison de la nécessité pour les États de les transposer.

En droit français, ce sont soit des lois (loi de transposition) soit des décrets (décret de transposition).
Ce sont les articles 34 et 37 de la Constitution qui dispose si la matière concernée par la directive relève de la loi ou du règlement.

Aujourd’hui, ~40% des textes législatifs sont des lois de transposition des directives européennes. Une part non négligeable de l’activité du Parlement consiste donc à transposer.

1) L’obligation de transposer les directives

a) Le principe

La France, comme tout État membre, est tenue de transposer les directives européennes.
En effet, l’article 288 du TFUE pose l’obligation pour les États membres de prendre toutes les mesures nationales permettant d’atteindre les objectifs fixés par la directive.

À ce fondement européen s’ajoute aujourd’hui un fondement constitutionnel, incarné par une disposition de la Constitution de 1958 : l’article 88-1, inséré au début des années 2000 pour renforcer, au sein même de la Constitution, la dimension européenne de la France.

“La République participe à l’Union européenne, laquelle est constituée d’États ayant choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences.”

Cette disposition constitutionnelle est interprétée par nos juridictions suprêmes comme posant implicitement une obligation de transposer les directives européennes.

Conseil constitutionnel, 2004, Loi sur l’économie numérique :
Le Conseil constitutionnel affirme que “la transposition des directives européennes en droit interne résulte d’une exigence constitutionnelle”, tirée de l’article 88-1.

Intérêt : le Conseil constitutionnel peut opérer un contrôle de constitutionnalité des lois de transposition des directives, et donc sanctionner le législateur qui aurait mal transposé une directive.

Conseil d’État, 2007, Société Arcelor Lorraine :
”La transposition d’une directive européenne en droit interne résulte d’une exigence constitutionnelle”.
→ Reprend à son compte la formule du Conseil constitutionnel.

Intérêt : le juge administratif peut opérer un contrôle de constitutionnalité des mesures réglementaires de transposition.

Il résulte de la Constitution, du TFUE et de la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel que l’État français a l’obligation de transposer les directives européennes en droit interne.

b) Les conséquences de l’irrespect du principe

Pendant très longtemps, la France a été mauvaise élève en matière de transposition des directives.
Elle ne les transposait pas, ou elle mettait trop longtemps à les transposer, parce qu’elle percevait le droit de l’UE comme un droit étranger invasif.

Le plus souvent, quand la Commission, le Conseil des ministres ou le Parlement établissent une directive, il fixent un délai pour la transposition (généralement entre 1 et 3 ans).
La France a souvent échoué à transposer les directives dans les délais, ce qui a 2 conséquences :

  1. Tout règlement contraire à une directive non transposée dans les délais est illégal.

    Conseil d’État, 1989, Compagnie Alitalia :
    Le Conseil d’État affirme qu’un règlement contraire à une directive non transposée dans les délais par la France est illégale de ce fait et doit donc être abrogée par l’autorité administrative compétente.

    ⚠️ Cela ne vaut que pour les règlements (pas les règlements européens, mais les actes administratifs réglementaires).
    Les actes administratifs individuels sont exclus, car ils n’ont pas la même importance.

    Le Conseil d’État précise que l’autorité administrative compétente doit abroger (= faire disparaître pour le futur) tout acte règlementaire illégal car contraire à une directive européenne non transposée.

    Si on signale à l’autorité administrative compétente un règlement contraire aux objectifs d’une directive non transposée et qu’elle n’abroge pas ce règlement, on peut faire un REP contre ce refus d’abroger.
    Si le juge administratif constate qu’en effet le règlement est contraire aux objectifs fixés par la directive non transposée, alors il annulera le refus et demandera l’abrogation de l’acte.

    💡 Les pouvoirs d’injonction et d’astreinte sont confiés au juge de l’excès de pouvoir depuis 1995.

  1. L’engagement de la responsabilité de l’État.
    Pour la Cour de justice, il ne fait aucun doute que les États membres qui ne transposent pas les directives dans les délais impartis commettent des fautes qui engagent la responsabilité de l’État fautif.
    → Possibilité d’obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice subi.

    CJUE, 1995, Brasserie du pêcheur :
    La Cour de justice condamne l’État allemand au paiement de dommages et intérêts pour ne pas avoir transposé une directive dans les délais impartis, parce que cette absence de transposition a été à l’origine d’un préjudice pour le requérant.

    Le Conseil d’État va, pendant quelques années, tenter d’opérer une distinction entre les règlements de transposition et les lois de transposition :

    Conseil d’État, 1992, Société Arizona Tobacco Products :
    Pour la première fois, le Conseil d’État admet la possibilité d’engager la responsabilité de l’État français pour le préjudice résultant de l’absence de transposition d’une directive dans le délai imparti.
    Il condamne l’État français à payer des dommages et intérêts, en l’absence de règlement de transposition.
    C’est une manière de dire implicitement que, si la mesure de transposition aurait dû être une loi, il n’aurait pas été possible d’engager la responsabilité de l’État français.

    Le Conseil d’État réserve ainsi la possibilité d’engager la responsabilité de l’État uniquement dans l’hypothèse où la mesure de transposition aurait dû être un règlement, parce qu’il n’a pas envie d’être celui qui engage la responsabilité de l’État du fait des lois.

    Conseil d’État, 2007, Gardedieu :
    Le Conseil d’État reconnaît la possibilité d’engager la responsabilité de l’État en cas de méconnaissance par le législateur des engagements internationaux de la France.
    → Champ d’application dépasse les seules directives européennes.

    Il résulte de cette décision de principe qu’en cas d’oubli par le législateur de transposer la directive, cet oubli expose l’État français à se voir condamné à payer des dommages et intérêts, si cet oubli est à l’origine d’un préjudice.


2) L’invocabilité des directives

Si la directive a été transposée, elle devient en droit interne une loi ou un décret.
La jurisprudence fait une distinction entre l’État et les particuliers :

Conseil d’État, 1995, SA Lilly France :
Dans cette décision de principe, le Conseil d’État affirme que l’État ne saurait pas se prévaloir d’une directive qu’il n’a pas transposée dans les délais.
→ L’État ne peut pas se prévaloir de sa propre turpitude.

Conseil d’État, 1978, Ministre de l’Intérieur c/ Cohn-Bendit :
M. Cohn-Bendit conteste son expulsion vers l’Allemagne, en invoquant une directive non transposée dans les délais.
Le Conseil d’État affirme que les particuliers peuvent se prévaloir d’une directive non transposée dans les délais à l’appui d’un recours contre un acte administratif uniquement si le recours vise un acte administratif règlementaire.

Conseil d’État, 2009, Mme. Perreux :
Mme. Perreux contestait le refus du ministre de la Justice de la nommer en tant que responsable de l’ENM ; elle estime que c’est dû à son appartenance à un syndicat.
Le Conseil d’État opère un revirement de jurisprudence et affirme que désormais les directives non transposées dans les délais impartis peuvent être invoquées à l’appui de tout recours juridictionnel, que ce recours porte sur un acte réglementaire ou sur un acte individuel.

Cette décision reconnaît plus largement les possibilités d’invocabilité des directives européennes, mais pose 2 conditions :

  1. Il faut que le délai de transposition soit dépassé ;
  1. Les dispositions de la directive doivent être “claires, précises et inconditionnelles”.

Conseil d’État, 1992, SA Rothmans International France :
💡 On parle d’arrêt jumeau lorsque le Conseil d’État rend le même jour 2 décisions portant sur un même sujet (ici, SA Arizona Tobacco Products).
Le Conseil d’État affirme que les directives européennes non transposées dans les délais impartis sont supérieures aux lois.

Cette décision est rendue 3 ans après la décision Nicolo et utilise un raisonnement équivalent : le Conseil d’État vise l’article 55 de la Constitution et l’applique non à un traité international, mais à un autre engagement de la France, qui se matérialise par l’application des directives européennes.

Conseil d’État, 1990, Boisdet :
Le Conseil d’État affirme que, dans la hiérarchie des normes en droit interne, les règlements européens comme les traités internationaux sont supérieurs aux lois, que la loi soit antérieure ou postérieure au règlement.

On peut donc placer les directives et les règlements européens sur le même plan que les traités internationaux en droit interne.

Section 2 : Le droit du Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe est une organisation européenne créée après la Seconde Guerre mondiale (traité de Londres signé le 5 mai 1949) avec comme volonté de diffuser la paix et les droits de l’homme en Europe.
Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe compte 47 États membres, dont tous les États membres de l’UE.

Aujourd’hui, la CEDH – au même titre que la CJUE – est devenue un acteur du droit administratif : par les décisions qu’elle a pu prendre, elle a conduit à faire évoluer un certain nombre de règles du droit administratif français.

§ 1. La Cour européenne des droits de l’homme, garante du respect de la Convention européenne des droits de l’homme

La Convention EDH est le principal traité qui a été élaboré dans le cadre du Conseil de l’Europe.
C’est un outil emblématique qui consacre un certain nombre de droits de l’homme au profit des individus présents dans les États membres qui ont ratifié cette convention.

Contrairement à la DDHC de 1789, la Convention EDH crée une juridiction pour faire respecter ces droits humains et sanctionner leur non-respect par les États ayant ratifié la Convention : la CEDH, qui siège à Strasbourg.

La CEDH est composée de juges élus par chacun des États membres, qui y siègent pendant 9 ans.

A – La procédure de saisine de la Cour

2 types de recours permettent de saisir la CEDH :

1) Le recours interétatique

Un État qui estime qu’un autre État signataire de la Convention EDH n’a pas respecté l’une ou l’autre des stipulations de la Convention et a donc contrevenu à ses obligations peut saisir la CEDH.

L’usage de ce recours est très rare : les États préfèrent la politique et la diplomatie – ils ne choisissent la voie contentieuse qu’en dernier recours.


2) Le recours individuel

Le recours individuel est très utilisé.
Il permet à un individu de faire sanctionner un État membre qui aurait contrevenu aux obligations de la Convention EDH.

a) Les conditions tenant au caractère subsidiaire du recours

Il faut respecter 2 conditions :

  1. Avoir épuisé toutes les voies de recours internes : il faut être allé jusqu’à la cour suprême de l’État concerné, ce qui peut parfois prendre plusieurs années.
  1. Invoquer le non respect par un État d’une stipulation de la Convention EDH → recours en substance.
    Autrement dit, dans le recours adressé à la CEDH, il faut pointer clairement quels sont les articles de la Convention qui n’ont pas été respectés.

    b) Les conditions tenant au requérant et à la requête

Ces conditions sont appréciées souplement : l’article 34 de la Convention EDH dispose que “toute personne peut saisir la CEDH”, ce qui inclut donc toute personne physique ou morale, privée ou publique, peu importe sa nationalité.

La personne qui saisit la Cour doit tenter de démontrer dans sa requête dans quelle mesure est-ce qu’elle est, à titre personne, victime du non respect d’une stipulation de la Convention.
Il y a donc une condition d’imputabilité : il faut que le requérant démontre que le non respect par un État membre de telle ou telle stipulation est à l’origine d’un préjudice qu’il a subi → que le comportement de l’État est à l’origine du préjudice.

B – La portée des décisions de la Cour

Il s’agit d’une question délicate, qui a fait l’objet de profondes évolutions.

1) Une portée juridique théoriquement limitée

La portée juridique d’une décision de la CEDH est en théorie limitée, parce qu’elle n’est pas une cour suprême.
Autrement dit, la CEDH n’a pas la possibilité de réformer une décision de justice. Elle n’a pas le pouvoir d’abroger, de modifier ou d’annuler un acte pris en droit interne, tel qu’un règlement, une loi ou un acte administratif.

L’article 41 de la Convention EDH dispose que la CEDH a le pouvoir de “déclarer l’existence d’une violation de la Convention par un État membre”.

L’article 46 de la Convention dispose que les États signataires “s’engagent à se conformer aux décisions de la Cour”.
Au titre de cet article 46, les décisions de la Cour ne sont pas des avis ou des recommandations, mais des décisions à portée obligatoire : l’État visé par la décision a l’obligation de la respecter + de la mettre en oeuvre.
Donc les décisions de la Cour n’ont de portée obligatoire qu’à l’égard de l’État partie au litige → ont un effet inter partes.


2) Une autorité effectivement importante

La CEDH, au fur et à mesure du temps, s’est reconnue la possibilité de rendre des décisions qui vont au-delà de ce qui avait été envisagé à l’origine.
Elle a estimé que les États doivent respecter les stipulations de la Convention telles qu’interprétées par la Cour.

CEDH, 2006, Scordino c/ Italie :
La Cour, de manière astucieuse, considère que les décisions par lesquelles elle interprète les stipulations de la Convention sont des décisions de principe (= valent pour tous).
Idée : elles font droit pour tous les destinataires, erga omnes. Lorsque la Cour condamne un État signataire pour avoir contrevenu à une stipulation de la Convention, les autres États doivent vérifier que leur droit interne est conforme.

§ 2. Illustrations de l’influence de la CEDH sur le droit administratif

Ces dernières décennies, la CEDH a rendu un certain nombre de décisions importantes qui intéressent le droit administratif.

A – L’article 6 §1 de la Convention

Il s’agit de l’article le plus connu de la CEDH, qui a donné lieu au plus de jurisprudence.

“Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial…”

1) Le champ d’application large de l’article

Dans cet article, où tous les mots sont importants, il y a 3 expressions utilisées qui pourraient laisser penser que le droit administratif n’est pas concerné par son champ d’application :
> “les droits et obligations à caractère civil” ;
> “les accusations en matière pénale” ;
> “tribunal”.
Mais la CEDH l’a interprété différemment.

“les droits et obligations à caractère civil”

Dans un premier temps, le Conseil d’État a interprété cette décision dans le sens du droit français, en considérant que les sanctions administratives n’étaient pas concernées par l’article 6 §1 de la Convention EDH.
Par exemple :
CEDH, 1981, Le Compte :
Une décision administrative n’est pas une décision qui affecte les droits et obligations civiles des individus au sens de l’article 6§1 de la Convention EDH.

Il y a donc eu, pendant quelques années, une divergence sur l’application de l’article 6 §1 de la Convention EDH entre le Conseil d’État et la CEDH.

Conseil d’État, 1996, Maubleu :
Les sanctions administratives entrent dans le champ de l’article 6 §1 de la Convention EDH, dès lors que les actes mettent en cause des droits à caractère privé.
→ Le Conseil d’État change d’avis.

“les accusations en matière pénale”

Là où le juriste français ne pensait pas que des actes administratifs puissent être susceptibles d’être considérés comme des accusations en matière pénale, la CEDH a dit que cette expression renvoie à tous les actes qui sanctionnent un individu pour ne pas avoir respecté une règle de droit.

Le Conseil d’État s’est rallié à cette expression :
Conseil d’État, 1999, Didier :
Les sanctions édictées par le Conseil du marché financier, une AAI qui n’existe plus, constituent des sanctions en matière pénale → l’article 6 §1 de la Convention EDH est applicable à ces situations.

“tribunal”

En droit français, un tribunal est une juridiction qui tranche des litiges en appliquant des règles de droit.
Pour la CEDH, ce qui est essentiel pour caractériser un tribunal au sens de l’article 6 §1, c’est d’une part la procédure suivie, et d’autre part l’objet de la procédure suivie.
Le mot “tribunal” est donc compris au sens matériel : il faut relever des éléments matériels qui permettent de distinguer un tribunal :
> la procédure suivie devant l’organisme (est-ce qu’elle ressemble à celle suivie devant une juridiction ?) ;
> est-ce que l’organisme applique des règles de droits pour trancher des différents ?

S’il applique des règles de droit à un cas individuel, il peut être assimilé à un tribunal au sens de l’article 6 §1.
La CEDH a donc retenu une interprétation large de cette expression, incluant dans son champ tous les organes qui appliquent des règles de droit et qui suivent une procédure quasi juridictionnelle.

Le Conseil d’État a fini par s’y rallier et a considéré que certains organes administratifs qui avaient à statuer sur la légalité de certaines sanctions peuvent être reconnus comme des tribunaux.
Dans son arrêt Didier de 1999, il affirme aussi que lorsque le Conseil des marchés financiers siège en formation disciplinaire, il est un tribunal au sens des dispositions de l’article 6 §1 de la Convention EDH.


2) L’article 6 §1 et le procès administratif

L’interprétation de cet article par la CEDH a conduit à l’évolution de l’organisation de la juridiction administrative française.

a) L’acceptation sous condition du dualisme statutaire du Conseil d’État

Le Conseil d’État peut-il être considéré comme impartial et indépendant au sens de la Convention EDH, dès lors qu’il conseille le gouvernement en même temps qu’il est juridiction suprême ?
La CEDH a largement admis que ce dualisme statutaire n’était pas contraire à la Convention :

CEDH, 1995, Procola c/ Luxembourg :
La CEDH devait se prononcer sur le dualisme statutaire du Conseil d’État luxembourgeois, qui ressemble beaucoup au modèle français.
Elle dit que son organisation est problématique, parce qu’elle conduit à faire participer des membres du Conseil d’État luxembourgeois à la rédaction d’un avis sur un texte, puis quelques années plus tard à faire participer ces mêmes membres à la formation juridictionnelle ayant statué sur la légalité de la norme en question.
→ Ce qui est problématique au regard de l’article 6 §1, c’est la participation des mêmes personnes, à la fois conseillers juridiques du gouvernement et juges sur les mêmes textes.

CEDH, 2006, Sacilor-Lormines c/ France :
La CEDH affirme, cette fois à l’égard du Conseil d’État français, que le dualisme statutaire n’est pas contraire à la Convention, à la condition qu’une même personne ne participe pas à la rédaction d’une norme puis participe au jugement.

Le Conseil d’État a tiré les conséquences de cette décision : le décret du 6 mars 2008 :

  • sépare encore davantage les formations de conseil des formations de jugement ;
  • pose le principe selon lequel un membre du Conseil d’État qui a participé au délibéré relatif à un avis concernant une norme ne peut pas participer à la formation de jugement d’un recours dirigé contre la norme en question ;
  • permet au requérant de s’assurer du respect de ce principe en demandant la liste des membres composant la formation ayant rédigé l’avis sur l’acte attaqué.

    b) La remise en cause du commissaire du gouvernement

Les audiences devant les juridictions administratives sont publiques.
Une fois que le juge considère que la phase écrite (échanges de mémoires entre les parties) est terminée, une audience orale est programmée et se déroule en 3 étapes :

  1. Le rapporteur lit un rapport, qui est une sorte de fiche d’arrêt : rappels des faits, de la procédure suivie, du contexte.
    Il ne fait pas de droit, mais il donne des éléments factuels qui permettent de situer la requête.
  1. À la fin, il se lève et lit ses conclusions, qui sont plus longues, juridiques et techniques.

    Conseil d’État, 1957, Gervaise :
    Cette décision de principe rappelle que le commissaire du gouvernement “a pour mission de formuler, en toute indépendance, dans des conclusions son appréciation des faits sur les circonstances de l’espèce et les règles de droit applicables, ainsi que son opinion sur les situations qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction”.

    Il s’exprime en son nom propre, et non au nom du gouvernement (malgré son ancien nom…) ou de la société.
    Il tente de convaincre que la solution qu’il propose est la meilleure pour trancher le litige.

  1. Après avoir écouté les conclusions du rapporteur public, les juges se retirent. Le délibéré est secret.

CEDH, 2001, Kress c/ France :
La CEDH reconnaît que le commissaire du gouvernement est à la fois impartial et indépendant au sens de l’article 6 §1 de la Convention EDH.
Idée : il n’engage que lui-même par ses conclusions.

Elle considère en revanche que le fait que celui-ci participe au délibéré apparaît comme problématique au regard de l’article 6 §1.
Idée : le justiciable pourrait se dire que le procès n’est pas équitable, parce qu’il voit le commissaire du gouvernement se lever et partir avec les membres de la formation de jugement pour aller délibérer.
Cela constitue une atteinte à la théorie des apparences.
→ Ce qui est problématique, c’est le fait qu’il participe au délibéré de la formation de jugement.

Le décret du 19 novembre 2005 écrit que le commissaire du gouvernement assiste à la délibération, mais n’y participe pas.

CEDH, 2006, Martinie c/ France :
La CEDH insiste sur le fait que ce qui est dérangeant est le fait que le commissaire du gouvernement puisse prendre part au délibéré. Lorsque les parties le voient partir avec la formation de jugement lors du délibéré, cela peut porter atteinte à l’apparence d’impartialité.

Avec le décret du 7 janvier 2009 :

  1. Le commissaire du gouvernement (qui n’était pas un commissaire et n’agissait pas au nom du gouvernement…) devient le rapporteur public.
    (⚠️ ≠ le rapporteur, qui est lui chargé d’instruire une affaire)
  1. Il n’assite plus au délibéré.
  1. Les parties peuvent répondre aux conclusions du rapporteur public, soit en reprenant la parole après lui, soit en faisant une note en délibéré (= réponse à l’écrit).

B – L’article 11 de la Convention

Chapitre 4 : Les sources internationales

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Le “droit international” renvoie à 2 branches :
1- le droit international public, applicable aux relations entre les États, ou entre les États et les organisations internationales ;
2- le droit international privé, applicables aux relations entre personnes privées dans un cadre international.
On s’intéressera ici au droit international public.

Une “norme internationale” a pour caractéristique de ne pas émaner de la seule volonté des autorités françaises ; elle résulte de négociations diplomatiques ou politiques.
💡 Quand on parle du droit international, il ne faut pas oublier qu’il est issu de discussions et d’échanges entre les États ou au sein d’une organisation internationale.

Le droit originaire est le droit issu des traités internationaux (= accords signés par plusieurs États).

Le droit dérivé est le droit qui dérive du droit originaire ; il est produit par les institutions créées par les traités internationaux.
Exemple : résolutions de l’ONU.

Section 1 : L’entrée en vigueur des traités internationaux

L’article 55 de la Constitution pose les conditions à respecter pour qu’un traité international signé par la France produise des effets juridiques en droit interne français.
Il pose 3 conditions :
1- le traité doit avoir été ratifié ou approuvé ;
2- le traité doit avoir été publié ;
3- le traité doit faire l’objet d’une application réciproque.

§ 1. La ratification ou l’approbation

💡 En droit, “ratifier” et “approuver” désignent le même acte juridique.

A – Les dispositions constitutionnelles

L’article 52 de la Constitution fait du Président de la République la figure incontournable des relations internationales de la France.
On dit souvent que la diplomatie appartient au domaine réservé du Président de la République.

L’alinéa 2 dispose que “Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification”.

La Constitution de 1958 a ici fait la distinction entre traités et accords. D’un côté, le Président de la République négocie et signe les traités internationaux ; de l’autre, le ministre des Affaires étrangères négocie et signe les accords internationaux.

Il n’y a pas de différence juridique entre un traité et un accord en droit international.
Il s’agit de la même chose : signer une convention internationale, qui lie la France à un ou plusieurs autres États.

La différence est donc politique : ces 2 termes renvoient à l’idée qu’il y a des textes plus importants que les autres ; le Président de la République signe les textes les plus importants.


L’article 53 de la Constitution concerne les traités dont l’objet se révèle être d’une particulière importance.

Ceux-ci doivent être ratifiés non par le Président de la République ou le ministre des Affaires étrangères, mais par le législateur.
Idée : on veut que ce soit le Parlement qui engage la France pour ces traités importants, parce qu’ils portent sur des sujets qui apparaissent liés à la souveraineté de l’État français.

Cette différence entre les traités ratifiés ou approuvés par un acte administratif unilatéral (article 52) et ceux ratifiés ou approuvés par un acte législatif (article 53) a des conséquences sur le contrôle exercé par le juge administratif.

B – Le contrôle du juge administratif

Pour entrer en vigueur en droit français, un traité international doit avoir été ratifié et approuvé ; mais qui vérifie le respect de cette condition ?

1) Le contrôle des actes administratifs de ratification ou d’approbation

L’enjeu est important : ce contrôle permet de savoir s’il est en vigueur en droit français, et permet aux justiciables de savoir s’ils peuvent invoquer dans un REP le non-respect de ce traité.

Conseil d’État, 1956, Villa :
Le Conseil d’État prend une décision de principe : le juge administratif n’est pas compétent pour se prononcer sur la légalité des actes administratifs d’approbation ou de ratification des traités internationaux, “eu égard à sa nature” (peu clair).

Le Conseil d’État considère que signer un traité international est avant tout un acte politique, relatif aux relations diplomatiques de la France.
Il fait donc entrer ces actes dans la catégorie juridique des actes de gouvernement (actes trop politiques pour que le juge administratif accepte de s’y intéresser).

Conseil d’État, 1998, SARL du Parc d’activités de Blotzheim :
Le Conseil d’État opère un revirement de jurisprudence par rapport à sa décision de principe Villa.
Il accepte désormais que le juge administratif contrôle la légalité des actes administratifs d’approbation ou de ratification des traités internationaux.

Aujourd’hui, à l’occasion d’un recours dont il est saisi, le juge administratif peut vérifier qu’un traité international est bien entré en vigueur en droit français.
Il vérifie l’existence matérielle et de la ratification et de l’approbation, mais aussi que la procédure exigée par la Constitution a bien été suivie.

Ce revirement de jurisprudence en 1998 s’explique par l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’État sur un autre point.
En 1989, il a pris une décision très importante dans laquelle il a affirmé que les traités internationaux sont supérieurs aux lois, que le traité ait été signé avant ou après la loi. Il s’est donc reconnu compétent pour contrôler le respect par les lois des stipulations des traités internationaux.
Il est alors logique qu’il se reconnaisse compétent pour vérifier que le traité international en question est bien entré en vigueur en droit français.


2) L’absence de contrôle des lois de ratification ou d’approbation

Article 53 de la Constitution : dans certaines hypothèses, c’est un acte législatif qui ratifie ou approuve un traité international.

Un requérant peut invoquer l’illégalité de cette loi, mais le juge administration n’est pas celui qui contrôle la constitutionnalité des lois dans le système juridique français.

Conseil d’État, 2002, Commune de Porta :
Le Conseil d’État refuse de contrôler la légalité d’une disposition ayant ratifié un traité car, en l’espèce, l’acte ayant procédé à la ratification n’est pas un acte administratif, mais un acte législatif édicté sur le fondement de l’article 53 de la Constitution.
Cette solution est logique au regard de la répartition des compétences entre juridictions.

§ 2. La publication

Il existe en droit un principe important suivant lequel les actes de portée générale doivent être portés à la connaissance du public et de ceux que ce texte peut intéresser.
Pour cela, on publie la norme.
Les traités internationaux sont publiés au Journal officiel.

A – Le contrôle par le juge administratif de la publication

L’article 55 de la Constitution affirme que les traités internationaux ne peuvent entrer en vigueur en droit français qu’à la condition d’avoir été publiés.

Le juge administratif s’estime compétent pour contrôler la légalité de la publication d’un traité international (Conseil d’État, 1964, Société Prosagor).

B – Les conséquences de l’absence de publication ou d’une publication irrégulière

Un traité international qui n’aurait fait l’objet d’aucune publication au Journal officiel ne produit aucun effet juridique en droit français.
Il en est de même si la procédure suivie pour la publication est irrégulière.

Conseil d’État, 2000, Bamba Dieng :
Le requérant, M. Dieng, contestait l’entrée en vigueur en droit français d’un traité international utilisé.
Le Conseil d’État s’aperçoit qu’en effet le traité en question fait l’objet d’un défaut de publication, et que donc “le traité ne produit pas d’effets dans l’ordre juridique interne”.
→ Il ne peut donc pas être appliqué à la situation du requérant.

En réalité, si ce traité n’a pas d’existence en droit français, il produit quand même des effets juridiques dans l’ordre juridique international.

§ 3. L’application réciproque

La condition de l’application réciproque est la plus délicate, parce qu’elle est celle qui a donné lieu à la jurisprudence la plus évolutive et la plus nuancée.

A – La définition de l’application réciproque

L’article 55 de la Constitution dispose qu’un traité international ne produit des effets juridiques en droit français qu’à la condition que l’autre partie (= l’autre État signataire) applique sur son sol les stipulations du traité en question et lui faire produire des effets.
→ Logique contractuelle : un traité international est un accord de volontés, et entérine donc des droits et des obligations que les États signataires se donnent.

💡
C’est la même chose dans un contrat : les signataires se donnent de manière libre et éclairée des droits et obligations réciproques.
On peut obtenir la résiliation du contrat si on est le seul à en appliquer les modifications.

Mais comment vérifier l’application d’une norme à des milliers de kilomètres ?

B – Le contrôle par le juge administratif de l’application réciproque

1) Le refus initial

Le Conseil d’État, comme pour les traités de l’article 53 de la Constitution, a eu pour premier réflexe de considérer que cette 3ème condition ne relevait pas de sa juridiction.
Idée : la manière dont est appliquée un traité relève de questions politiques et diplomatiques, et non administratives.

Conseil d’État, 1981, Rekhou :
Le juge demande son avis au ministre des Affaires étrangères français, qui lui écrit une note sur le sujet ; le juge se considère ensuite lié par le contenu de celle-ci, parce qu’il se considère incompétent en la matière.

Mais un juge qui fait cela ne paraît ni impartial, ni indépendant.
La jurisprudence du Conseil d’État a un peu évolué, de manière un peu forcée.

Conseil d’État, 1999, Mme. Chevrol-Benkeddach :
On pouvait penser qu’il y aurait un revirement de jurisprudence sur la condition de réciprocité, de la même manière que pour le contrôle des actes de ratification ou d’approbation des traités, mais le Conseil d’État réitère la solution Rekhou en ne se considérant pas compétent pour contrôler la condition de réciprocité posée à l’article 55 de la Constitution et en rappelant le système mis en place pour compenser ce refus (sollicitation du ministère des Affaires étrangères).

Mme. Chevrol-Benkeddach saisit la CEDH, qui rend une décision importante en 2003 :
CEDH, 2003, Chevrol c/ France :
Le système mis en place par le Conseil d’État, qui consiste à demander l’avis du ministre, est contraire à l’article 6 de la Convention EDH, qui pose le principe du “droit à être jugé par un tribunal impartial et indépendant”.
Idée : un juge lié par la note d’un ministère n’est plus indépendant ni impartial, parce qu’il n’a pas de recul à l’égard de l’avis qui lui est donné.


2) Le revirement de jurisprudence : l’arrêt Cheriet-Benseghir (2010)

Conseil d’État, 2010, Mme. Cheriet-Benseghir :
La requérante voulait se voir reconnaître le droit d’exercer la médecine sur le territoire français ; elle était titulaire d’un diplôme de médecine algérien.
Le Conseil national des médecins s’y oppose, alors qu’elle invoque un traité concernant la reconnaissance de diplômes, notamment dans le domaine médical.

Le Conseil d’État fait évoluer sa jurisprudence : il se reconnaît enfin compétent pour contrôler l’application réciproque.
Il affirme qu’il n’est désormais plus lié par l’avis du ministre des Affaires étrangères.

Il estime que le juge administratif doit désormais se former sa propre opinion sur le sujet, en utilisant tous les outils à sa disposition pour obtenir des informations sur l’application réciproque.
Il peut toujours demander son avis au ministre des Affaires étrangères, mais ne s’estime plus lié par celui-ci.
Il peut procéder à l’audition de l’ambassadeur de l’État concerné en France.
Il peut se rendre sur place.

→ Le juge administratif met en place un système qui lui permet de contrôler cette 3ème condition sans pour autant faire de politique.

Section 2 : L’invocabilité des traités internationaux

§ 1. La définition de l’invocabilité

On peut invoquer (= faire valoir) 2 types de normes devant le juge administratif :
1- des normes textuelles (issues de textes internes / européens / internationaux) ;
2- des normes jurisprudentielles (des grands principes posés par le Conseil d’État pour contester la légalité de l’acte à l’encontre duquel on forme un REP).

Est-ce que je peux utiliser les stipulations d’un traité international entré en vigueur en droit français à l’appui d’un recours devant le juge administratif ?
Cette question est complexe, parce que les stipulations qui composent ces accords accordent à priori des devoirs et des obligations aux États, et n’ont pas forcément de conséquences directes sur les tiers.
Il faut donc faire le tri entre les stipulations qui intéressent les tiers et celles qui ne les intéressent pas.

§ 2. L’arrêt GISTI 1 (1997)

GISTI signifie Groupe d’intervention et de soutien aux travailleurs immigrés.
Il existe une cinquantaine d’arrêts Gisti.

En matière de droits des étrangers, il y a énormément de traités internationaux signés par la France.
Dans son arrêt GISTI 1 (1997), le Conseil d’État pose le principe selon lequel ne sont invocables devant le juge administratif que les stipulations d’un traité international dotées de “l’effet direct”.

D’un côté, il y a certains traités qui se contentent de fixer des droits et des obligations aux États signataires, sans concerner les tiers.
De l’autre, il y a certaines stipulations qui concernent des tiers, c’est-à-dire qui octroient des droits ou soumettre des obligations à des personnes qui n’ont pas signé le traité, mais qui sont résidents d’États qui ont signé ces traités.
Le Conseil d’État considère que les secondes, parce qu’elles produisent des effets sur les tiers, peuvent être invoquées à l’appui d’un recours devant le juge administratif.

Ce critère originel reçoit beaucoup de critiques, même venant de la part de membres du Conseil d’État, parce que :

  1. C’est une solution complexe : il faut étudier la convention internationale article par article ;
  1. C’est une solution défavorable au droit international : une norme qu’on ne peut pas invoquer devant le juge ne sert pas à grand chose.
    Elle empêche qu’un certain nombre de stipulations de traités ratifiés par la France ne puissent être invoquées devant le juge administratif.

§ 3. L’arrêt GISTI 2 (2012)

Dans cette nouvelle décision, le Conseil d’État renouvelle sa définition de l’action directe.
Dans un considérant de principe, il affirme que “une stipulation doit être reconnue d’effet direct par le juge administratif lorsque celle-ci, d’une part n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États, et d’autre part lorsque celle-ci ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des parties”.

Cette solution n’est pas plus simple que celle de GISTI 1, puisqu’on rajoute des conditions pour qu’une norme ne soit reconnue d’effet direct.

Pour être invocable, une stipulation doit donc être inconditionnelle et doit consacrer des droits subjectifs au profit des particuliers.

En disant les choses négativement (”n’a pas pour objet exclusif”), le Conseil d’État élargit dans une certaine mesure les hypothèses de stipulations dotées de l’effet direct.
Il y a donc désormais une présomption d’effet direct ; pour écarter la stipulation, il faut montrer qu’elle a pour objet exclusif de régir les relations entre États.

→ Élargissement de la conception de l’effet direct.

⚠️ Cette décision de principe sur l’effet direct vaut pour tous les traités internationaux, sauf pour ceux relatifs à l’Union européenne, comme précisé expressément dans le considérant de principe.

Section 3 : La valeur des traités internationaux

§ 1. Traités et lois

En apparence, les choses sont simples : l’article 55 de la Constitution dispose que les traités internationaux “ont une autorité supérieure à celle des lois”.

En réalité, il y a plusieurs manières d’interpréter cet article :

A – Le refus initial

Dans un premier temps, le Conseil d’État considère que l’article 55 de la Constitution doit être interprété restrictivement, et ne vaut donc que pour les lois antérieures au traité concerné.
Pour les lois postérieures, celles-ci demeurent supérieures au traité concerné.

Conseil d’État, 1968, Syndicat général des fabricants de semoule de France :
Le Conseil d’État estime que, dans l’hypothèse où une loi postérieure à un traité contient une disposition contraire à celui-ci, faire prévaloir le traité serait opérer un contrôle de conventionnalité de la loi.
Or à cette époque, il n’en est pas question : le Conseil d’État ne veut pas être le juge de la loi (il considère à cette époque être le juge des seuls actes administratifs) et refuse donc de reconnaître la supériorité des traités sur les lois.

B – Le revirement de jurisprudence

1) La décision du Conseil constitutionnel IVG (1975)

Le Conseil constitutionnel s’estime incompétent pour contrôler la conventionnalité des lois : il n’a que le contrôle de constitutionnalité.

Il fait aussi valoir que la supériorité des traités sur les lois est en réalité une supériorité qui est “tout à la fois relative et contingente”.
”Relative”, parce que le champ d’application de ces 2 normes peuvent varier ; ces normes peuvent ne pas avoir le même objet ni le même contenu.
”Contingent”, parce que soumis aux 3 conditions posées à l’article 53 de la Constitution qui, si elles ne sont pas respectées, enlèvent au traité toute forme de supériorité.

→ Il lance un appel aux autres (idée : si ça n’est pas moi, ça peut être les autres).


2) L’arrêt de la Cour de cassation Société des cafés Jacques Vabre (1975)

La Cour de cassation affirme qu’elle est compétente pour opérer un contrôle de conventionnalité des lois, c’est-à-dire vérifier que les lois respectent les stipulations des traités.
→ Elle répond immédiatement à l’appel du Conseil constitutionnel, en s’érigeant comme la juridiction qui va opérer un contrôle de conventionnalité.

Le Conseil d’État n’en a pas envie à cette époque, parce qu’il ne souhaite pas que le juge administratif ne vérifie la conventionnalité des lois.
En effet, le Conseil d’État de la fin des années 1970 est un peu souverainiste, tourné vers la défense du droit français. On retrouve dans ses rapports annuels des formules assez dures à l’encontre de ces droits étrangers qui viennent s’imposer au droit français.


3) L’arrêt Nicolo (1989)

Le requérant invoque le point de droit suivant : les citoyens d’outre-mer ne devraient pas avoir le droit de voter aux élections européennes, parce que l’outre-mer fait partie de la France et non de l’Europe.

Le Conseil d’État relève que des dispositions légales, “qui ne sont pas incompatibles avec les stipulations du traité de Rome”, affirment que la citoyenneté française ne se divise pas.
→ Révolution discrète.

Pour la première fois, le Conseil d’État reconnaît que :

  1. Les traités sont supérieurs aux lois, peu importe que les lois soient antérieures ou postérieures au traité ;
    → revirement par rapport à la jurisprudence des semoules
  1. Le juge administratif peut opérer un contrôle de conventionnalité (= vérifier que les dispositions d’une loi sont bien conformes aux stipulations d’un traité international).

Ce principe posé par le Conseil d’État vaut pour tous les types de traités internationaux (voir Conseil d’État, 1990, Confédération nationale des associations familiales catholiques).

Conseil d’État, 1997, Aquarone :
Le Conseil d’État affirme que la supériorité des traités sur les lois en droit interne vaut exclusivement sur les traités sous forme écrite, et non sur les principes coutumiers.
→ Cette supériorité des traités sur les lois ne vaut pas pour la coutume internationale.
💡 En droit international, la logique est inversée.

§ 2. Traités et Constitution

Cette question a été à l’origine de controverses doctrinales et juridictionnelles variées.

A – La position du Conseil d’État

Pendant très longtemps, le Conseil d’État a esquivé cette question assez délicate, avant d’être contraint de prendre position.

1) L’arrêt Koné (1996)

M. Koné fait l’objet d’un décret d’extradition vers le Mali, suite à une demande formée par l’État malien qui le soupçonne de détournements de fonds.
Mais M. Koné est le principal opposant politique au régime malien en place et il soutient que l’enquête qui le vise est entièrement artificielle.

Le Conseil d’État, prenant acte de cette situation, fait quelque chose d’extraordinaire : au terme d’un raisonnement astucieux, il crée un PFRLR (un principe constitutionnel) relatif à l’interdiction d’extrader un étranger pour un motif politique.
Objectif : faire échec à la convention internationale d’extradition entre la France et le Mali.

Il soutient que les PFRLR tirent leur valeur constitutionnelle de leur mention dans le préambule de la Constitution de 1946, et non de la bouche qui les dégage.
Idée : il n’a pas découvert un principe, il l’a seulement reconnu.

Le Conseil d’État considère donc que les normes constitutionnelles en droit interne sont supérieures aux traités internationaux.


2) L’arrêt Sarran (1998)

Le Conseil d’État affirme, de manière générale, la supériorité des normes constitutionnelles sur les traités internationaux en droit interne.

B – La position du Conseil constitutionnel

Conseil constitutionnel, 2004, Traité établissant une constitution pour l’Europe :
Ce TECE, même s’il affirme définir une “constitution”, est un classique traité européen.
Dans cette grande décision, le Conseil constitutionnel affirme que la Constitution est “au sommet de l’ordre juridique interne”.
→ Toutes les normes à valeur constitutionnelle sont, en droit interne, supérieures aux traités internationaux.

Pour justifier cette affirmation de principe, le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur l’article 54 de la Constitution, qui affirme qu’un traité international ne peut entrer en vigueur en droit français que s’il respecte la Constitution.

C’est donc le pouvoir constituant qui a le dernier mot : soit il refuse de faire entrer en droit français un traité international, parce qu’il contient des stipulations contraires à la Constitution (c’est déjà arrivé), soit il peut modifier la Constitution pour mettre en conformité le traité et la Constitution (ça a aussi déjà été fait).

Le Conseil constitutionnel rejoint ainsi les autres cours suprêmes affirmant la supériorité de la Constitution sur toutes les autres normes.
⚠️ Ici, “la Constitution” = toutes les normes à valeur constitutionnelle.

§ 3. Traités et traités

Conseil d’État, 2011, M. Kandyrine :
M. Kandyrine est ressortissant portugais ; il a un aïeul, titulaire d’emprunts russes, qui décède.
Il hérite de ces emprunts russes et compte les transformer en espèces.
Il s’adresse au ministre des Finances français et demande l’application à son cas d’une convention internationale signée en 1997 entre la France et la Russie pour régler la question de ces emprunts russes.
Le ministre des Finances français refuse, parce que seuls les ressortissants français peuvent être indemnisés par cette convention. M. Kandyrine forme un REP contre cette décision.

Il invoque l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe toute forme en discrimination, et notamment les discriminations fondées sur la nationalité, en affirmant qu’il a été victime d’une discrimination illégale.
Le Conseil d’État est saisi en dernier ressort pour répondre à la question de droit suivante : quel traité doit-il faire primer ? Le traité bilatéral France-Russie ou la Convention EDH ?
Problème : ces 2 traités ont la même valeur juridique.

Dans son considérant de principe, le Conseil d’État détermine la méthode à utiliser pour savoir quel traité il faut faire primer :

  1. Il faut vérifier que les 2 traités sont bien entrés en vigueur en droit français ;
  1. Il faut vérifier que les stipulations invoquées sont dotées de l’effet direct (= sont invocables au sens de la jurisprudence GISTI 2) ;
  1. Il revient au juge de chercher d’abord à concilier les stipulations, en les interprétant au regard des grands principes du droit international ;
  1. Si ce travail n’aboutit pas, alors le juge fait application au litige de la norme internationale dans le champ de laquelle la décision administrative contestée a entendu se placer.

Idée : le spécial prime sur le général.
Le traité international qui a pu servir de base légale à la décision contestée doit primer sur les autres.

Chapitre 3 : Le public

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Depuis l’ordonnance du 23 octobre 2015, qui crée le CRPA, il faut utiliser “le public” pour désigner ceux qui sont en contact avec l’administration.

Section 1 : De l’administré au “public”

§ 1. Les caractéristiques traditionnelles des relations entre l’administration et les administrés

A – La mise à distance des administrés

Le style de l’administration est celui de la bureaucratie.
Idée fondamentale : ceux qui entrent en contact avec l’administration doivent être tenus à distance.
L’administration bureaucratique est, par tradition, largement inaccessible et secrète.

Cette inaccessibilité est destinée à protéger l’administration des pressions externes.
Elle se traduit par les modes de contact : les interlocuteurs ne décident pas comment entrer en contact, c’est très codifié, ce qui incarne la distance.
Internet n’a pas tout changé : pour entrer en contact avec l’administration, il faut généralement passer par un formulaire choisi par celle-ci, ce qui incarne aussi la mise à distance.

Il y a aussi un anonymat : on ne sait pas qui nous écrit, ni qui est le décideur.
Le formalisme est aussi important : les décisions administratives peuvent faire peur. Quand l’administration édicte un acte de manière unilatérale, elle parle à l’impératif ; elle décide seule, et cette décision s’impose aux destinataires.
De plus, l’administration a ses propres délais, parfois très longs.

B – L’autorité

On dit généralement que l’administration a le privilège du préalable : elle peut décider en premier et ainsi édicter des décisions qui s’imposent aux justiciables.

Conseil d’État, 1982, Huglo :
Le droit d’édicter des actes administratifs unilatéraux qui s’imposent à leurs destinataires est le témoignage du privilège du préalable et constitue “une règle fondamentale du droit public”.
Idée : les autorités administratives ont le droit d’édicter des actes de manière unilatérale.
→ L’administration est fondée à exercer une certaine autorité sur ceux qui entrent en contact avec elle.

Elle conçoit ceux qui entrent en contact avec elle comme des dominés : ils sont des “administrés assujettis”, donc des personnes sous domination et l’influence de l’administration, pour 2 raisons :

  1. Ils ne peuvent entrer en contact avec elle que dans le cadre qu’elle a fixé → pas d’autres possibilités ;
  1. Ils sont soumis aux décisions que pourra prendre l’administration.

Traditionnellement, les relations entre l’administration et ceux qui entrent avec elle sont donc très inégalitaires, mais les choses ont évolué par le droit :

§ 2. L’évolution contemporaine des relations

A – L’administré

Celui qui est administré, c’est celui qui est incapable, que l’on place sous tutelle.
C’est le terme utilisé depuis la naissance du droit administratif à la fin du 19ème siècle, et qui va prévaloir tout au long du 20ème siècle.
Exemple : loi du 7 juillet 1900 portant sur les réclamations des administrés.

Un administré est une personne soumise à une autorité (ici, l’autorité administrative).
Celui qui est administré est soumis (aux règles administratives et aux décisions de l’administration).
Cela exclut toute participation de celui-ci au processus de décision : il ne peut que prendre acte des décisions qui le concernent et qui s’imposent à lui.

C’est un terme largement péjoratif, qui illustre comment celui qui entre en contact avec l’administration est placé dans une situation inégalitaire.

B – L’usager

Le mot usager est celui qui désigne celui qui est en contact avec l’administration à partir des années 1980.
Exemple : décret du 28 novembre 1983 relatif aux relations entre l’administration et ses usagers.

Un usager est celui qui bénéficie d’une prestation qui lui est attribuée dans le cadre d’un service public.
Il faut 2 conditions pour qu’il y ait usager :
1- un service public ;
2- l’usager est actif, il fait une démarche pour aller vers le service public.

On met l’accent sur le fait que le droit administratif est celui du service public, et sur l’action de l’interlocuteur de l’administration, qui choisirait librement les prestations administratives dont il a besoin.

Le terme d’usager est moins péjoratif que le terme d’administré, mais il présente un défaut : il ne rend pas compte de toutes les situations de relations administratives.
Il ne peut être utilisé que dans les hypothèses où l’on sollicite de l’administration une prestation individualisable.

Mais quid de l’armée / la justice / la police / les impôts, qui ne sont pas des administrations de service que l’on sollicite pour obtenir une prestation individuelle, mais qui sont quand même des services publics ?

C – Le citoyen

Le mot citoyen désigne tous ceux qui, dans un État, obéissent aux mêmes lois, jouissent des mêmes droits et sont liés par une nationalité.
Ce terme apparaît donc éloigné des relations de l’administration et de ses interlocuteurs.

Ce terme est utilisé à partir du début des années 2000.
Par exemple : loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

Il participe de la “citoyenneté administrative”, porteuse d’une nouvelle dynamique.
Il entend montrer que la relation administrative comporte une dimension civique qui va bien au-delà du fait des fournir des relations individuelles : le citoyen est détenteur de droits civiques.

Dire que celui qui est en contact avec avec l’administration est un citoyen, c’est insister sur le fait que celui-ci est titulaire de droits à l’égard de l’administration.

Ce terme présente néanmoins quelques défauts du point de vue juridique : on semble exclure juridiquement des interlocuteurs de l’administration qui ne sont pas citoyens (mineurs, étrangers qui résident en France, personnes morales…).
Ce terme est donc problématique parce qu’il est excluant.

D – Le public

Le mot public est celui utilisé par le CRPA, qui codifie depuis 2015 les relations entre les administrations et ses interlocuteurs et contribue à ce que le droit administratif soit moins jurisprudentiel.

C’est un terme qui n’est pas juridique.
Il est globalisant : il fait entrer toutes les catégories de personnes susceptibles d’entrer en contact avec l’administration.

L’article L100-3 du CRPA définit le public comme “toute personne physique ; toute personne morale de droit privé”.
Cette référence est d’une pauvreté absolue : on n’a même pas pris le temps de faire une phrase !

Section 2 : Les droits du public à l’égard de l’administration

Ces dernières années, on a conféré de nouveaux droits à ceux qui sont en relation avec l’administration.
Objectif : corriger la relation asymétrique entre l’administration et ses interlocuteurs.

2 idées :

  1. L’administration est de moins en moins une boîte noire ;
  1. Aujourd’hui, il existe un droit à s’adresser à l’administration, et un droit à ce que sa demande soit traitée de manière qualitative.

§ 1. Le droit à la transparence administrative

Ces dernières années, on constate un mouvement politique et juridique vers la transparence administrative.
La transparence administrative, c’est faire en sorte de comprendre la logique de l’administration, de comprendre ses décisions, de pouvoir accéder à des services / des dossiers / des documents administratifs qui étaient autrefois secrets, pour comprendre pourquoi l’administration agit et prend telle ou telle décision.

A – Le droit d’accès aux documents administratifs

Pendant longtemps, le secret était l’une des caractéristiques du fonctionnement de l’administration : les documents étaient souvent inaccessibles, ce qui créait de l’incompréhension à l’égard de ses décisions.

La loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs, et aujourd’hui le CRPA, affirme le principe du libre accès aux documents administratifs.
→ On passe du principe du secret au principe de la liberté d’accès.

Article 2 : “les autorités administratives sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande”.
→ Obligation qui pèse sur les autorités administratives.

Article 1 : un document administratif est tout document produit ou reçu dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public (dossiers, rapports, études, comptes-rendus de réunion, procès-verbaux, notes, décisions…).

Certaines exclusions sont prévues : documents couverts par le secret de la défense nationale, documents relatifs à la sûreté de l’État, documents couverts par le secret professionnel, documents qui portent atteinte à la vie privée.

Pour s’assurer que ce droit est bien respecté, la loi de 1978 a préféré créé une autorité administrative plutôt que de s’en remettre au juge administratif.
La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) est l’autorité administrative indépendante chargée d’assurer la bonne application de cette loi de 1978 et la bonne transmission des documents administratifs.
Elle rend des avis qui ne lient pas l’administration, mais que celle-ci suit dans la majorité des cas. Si l’administration ne suit pas l’avis de la CADA, on peut contester son refus devant le juge administratif.

B – Le droit à la motivation des actes administratifs

Idée : les actes administratifs unilatéraux sont mieux acceptés lorsque les destinataires comprennent les motifs ayant conduit à leur édiction.

La loi du 11 juillet 1979 (”loi relative à la motivation des actes administratifs”) pose l’obligation pour l’administration d’expliquer par écrit les motifs des décisions qu’elle pose.

Article 3 : la motivation d’une décision est “l’exposé écrit des considérations de droit et de fait qui justifient la décision”.
> rappeler les règles de droit applicables au cas concerné
> appliquer ces règles au cas d’espèce
> objectif : éviter les décisions “copié-collées”

Conseil d’État, 1981, M. Demir :
Constitue l’une des premières grandes applications de la loi de 1979.
Le Conseil d’État annule une décision administrative individuelle pour défaut de motivation (la décision ne disait rien sur la manière dont l’administration a appliqué la règle de droit à la situation personnelle du requérant).

Seules les décisions administratives individuelles défavorables sont concernées par le champ d’application de cette obligation de motivation.
Ex : hypothèse où l’administration refuse la demande que l’on a formulée.
Ex : décision de sanction.
Ex : décision qui restreint une liberté.
Ex : décision qui retire un avantage (une autorisation…).

C – Le droit à la sécurité juridique face à l’administration

Le droit à la transparence administrative, c’est aussi le droit à ce que la réglementation administrative soit prévisible et compréhensible.
C’est l’idée du principe de sécurité juridique, qui vise à protéger les citoyens contre les effets négatifs du droit, en particulier lorsqu’il change trop fréquemment et que ces changements induisent de l’incohérence et de l’instabilité.

Ce principe de sécurité juridique a été inventé par la jurisprudence :

Cour de justice de l’UE, 1962, Bosch :
La sécurité juridique est un “principe général” du droit de l’UE.
💡 La CJUE s’appelait alors la Cour de justice des communautés européennes.

Conseil d’État, 2006, Société KPMG :
Le Conseil d’État affirme que la sécurité juridique est un principe général du droit administratif (= un principe qui s’impose à toutes les autorités administratives).

Idée : une réglementation nouvelle portée par l’administration peut porter atteinte à des contrats administratifs en cours, mais si les conséquences de cette nouvelle réglementation présentent un caractère excessif, alors l’administration a l’obligation d’édicter des mesures transitoires, qui s’appliqueront afin de permettre aux personnes concernées de s’y adapter.

Le juge met ici en balance l’objectif poursuivi par la nouvelle réglementation et ses conséquences sur les situations juridiques déjà en cours.
Si les perturbations sont manifestement excessives et perturbent la sécurité juridique, alors l’administration doit obligatoirement appliquer des mesures transitoires.

§ 2. Le droit de s’adresser à l’administration

Aujourd’hui, celui qui adresse une demande à l’administration est titulaire de 3 droits distincts :

A – Le droit à l’examen de sa demande

Ce droit se traduit par 3 types d’obligations :

1) L’obligation d’instruction

L’administration est obligée d’instruire les demandes qui lui sont adressées ; si elle refuse de statuer, elle est en décision d’illégalité.

Conseil d’État, 2011, Jenkins :
Le refus par l’administration de statuer sur une demande est une décision illégale.

Il arrive fréquemment que l’administration ne réponde pas ; ce silence a un sens juridique.
Avant 2013, le silence gardé par l’administration pendant plus de 2 mois valait rejet de la demande, sauf exceptions.

Depuis la loi du 12 novembre 2013 relative à la simplification du droit, le silence gardé par l’administration à la suite d’une demande vaut décision d’acceptation, sauf :

  1. que seules les décisions individuelles sont concernées ;
  1. pour les demandes à caractère financier ;
  1. pour les demandes ayant pour objet une réclamation ou un recours administratif ;
  1. pour les demandes où le respect de l’acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France ;
  1. pour d’autres exceptions variées, qui limitent fortement ce principe de décision implicite d’acceptation.

2) L’obligation d’instruire avec sérieux

L’administration doit tenir compte des données qui lui sont transmises pour rendre sa décision → personnalisation de l’instruction.
Objectif : éviter que l’administration ne se retranche derrière des situations types.

Conseil d’État, 2006, Magnino :
Si l’administration répond de manière stéréotypée à une demande, sa décision est susceptible d’illégalité.


3) L’obligation d’instruire de manière équitable

L’administration doit rendre ses décisions sans (dé)favoriser les requérants. Il y a donc une exigence d’impartialité.
Il s’agit d’un principe général du droit, qui s’impose à toutes les juridictions et autorités administratives (Conseil d’État, 1949, Bourdeaux).

Conseil d’État, 2010, Préfet de l’Ariège :
Une décisions préfectorale accorde le concours de la force public pour expulser des occupants d’un immeuble.
Or l’instructeur de police était copropriétaire de l’immeuble en question : il s’agit donc d’une décision partiale, parce que le préfet avait un intérêt personnel à prendre cette décision.

B – Le droit à l’information

Le droit à l’information, consacré par le décret du 28 novembre 1983, se traduit pour l’administration par une triple obligation :

  1. L’obligation d’accuser réception de la demande, sauf dans le cas des demandes abusives.

    Cet accusé de réception est très important pour calculer le potentiel silence de l’administration (2 mois à partir de cet accusé de réception).

    Le législateur n’a pas prévu de sanction en cas d’absence d’accusé de réception.
    Dans son arrêt de principe Mme. Galouch de 2010, le Conseil d’État juge que cet oubli est sans incidence sur la légalité de sa décision.

    Conseil d’État, 2016, Czabaj :
    En cas d’oubli de l’accusé de réception, le délai de recours est de 1 an.

  1. L’obligation d’identifier un interlocuteur administratif ;
    L’article 1 du décret du 28 novembre 1983 dispose que, dans l’accusé de réception de la demande, l’administration doit désigner les adresses postales et électroniques ainsi que le numéro de téléphone de la personne chargée du traitement du dossier.

    → Rupture avec le caractère anonyme traditionnel de l’administration.

  1. L’obligation de donner des précisions sur la décision appelée par la demande.

    L’administration est obligée d’indiquer :
    1- est-ce que la décision relative à la demande peut naître du silence de l’administration, et si oui, est-ce que ce silence vaut acceptation ou rejet ;
    2- quelles sont les voies et délais de recours à l’encontre de la décision.

C – Le droit à l’assistance

Depuis la loi du 12 avril 2000, l’administration est obligée de transmettre les demandes mal dirigées à l’administration compétente.

Elle a aussi de nouvelles obligations en matière de régularisation des demandes :

  1. La régularisation des erreurs de forme : aujourd’hui, l’administration a l’obligation de nous mettre en situation de corriger les erreurs de forme ou de procédure que nous aurions pu commettre.
  1. La régularisation des erreurs de fond :

    La loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (”loi ESSOC”) crée le droit à l’erreur à l’article L123-1 du CRPA.
    Idée : la bureaucratie administrative peut conduire à faire des erreurs.

    Juridiquement, ça n’est pas un droit à l’erreur, mais un droit dont dispose le public de régulariser sa situation sans être sanctionné.
    Il y a 3 exceptions principales :
    1- les cas de fraude et de mauvaise foi ;
    2- il ne s’applique pas à la santé, à la sécurité ni au droit de l’environnement ;
    3- il ne s’applique pas aux sanctions prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle.

Chapitre 2 : Les personnes morales et les autorités administratives

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

L’administration constitue un deuxième acteur du droit administratif.
Selon la conception organique, l’administration est l’ensemble des organes qui relèvent des personnes publiques (services, institutions, organismes, établissements…).

On distingue les personnes morales des autorités administratives.
Les autorités administratives sont des personnes physiques qui exercent une fonction au sein de l’administration. Ces personnes physiques édictent des actes ou ont des comportements que des requérants vont contester devant le juge administratif.

Ces autorités administratives agissent au nom et pour le compte de personnes morales.
D’un côté, on a la personne physique qui prend la décision (maire, préfet, premier ministre…) ; de l’autre, on a la personne morale au nom de laquelle elle aura agi.

Section 1 : Les personnes morales

§ 1. Les personnes morales de droit public

Les personnes morales de droit public sont les acteurs principaux du droit administratif.

A – La définition

Une personne morale est une entité abstraite à qui l’on confie la personnalité juridique afin que celle-ci soit titulaire d’un certain nombre de droits et d’obligations sur le plan juridique (droit de disposer d’un patrimoine, d’ester en justice…).

À la différence des personnes morales de droit privé, les personnes morales de droit public se voient appliquer les règles spéciales de droit public (dérogatoires au droit commun).

B – La liste des personnes morales de droit public

On distingue 4 grandes catégories qu’il faut connaître et savoir identifier :

  1. L’État ;

    C’est d’elle dont dépendant les autres, puisque c’est l’État qui institue les autres.
    L’État est une institution exerçant une autorité sur une population donnée sur un territoire donné.

    En tant que personne morale de droit public, l’État français se caractérise par son caractère unitaire : il n’a qu’un seul ordre juridique (une seule constitution, un seul pouvoir législatif, un seul pouvoir judiciaire et une seule administration – à la différence des États fédéraux).

  1. Les collectivités territoriales ;

    Ce sont des personnes morales de droit public qui exercent les compétences qui leur ont été dévolues par l’État sur un morceau du territoire national.
    Elles sont administrées par un conseil dont les membres sont élus.

    D’un côté, l’article 72 de la Constitution affirme que les collectivités territoriales s’administrent librement.
    Mais “dans les conditions fixées par la loi” → État unitaire.

    💡 La France est un État unitaire décentralisé.

  1. Les établissements publics ;

    Ce sont des personnes morales de droit public chargées d’une mission spécialisée sous le contrôle d’une personne de tutelle (parfois, d’une collectivité de tutelle).
    Universités, hôpitaux, musées…

    Ils sont caractérisés par 2 critères importants :

    • La mission spécialisée :

      On dit généralement que tout établissement public est soumis à un principe de spécialité.
      Le texte qui l’institue le crée pour lui confier une mission spécialisée ; il ne peut juridiquement pas intervenir dans un autre cadre.

      Conseil d’État, 1903, Caisse des écoles du 6e arrondissement de Paris :
      Une caisse des écoles ne peut pas distribuer de repas dans des écoles privées, parce que ça serait sortir du cadre de son statut.

    • Ils sont institués juridiquement par l’État ou une collectivité territoriale ; à ce titre, ils doivent lui rendre des comptes sur les plans finances, administratifs et matériels.
  1. Les personnes morales de droit public sui generis :
    • Les groupements d’intérêt public (GIP) permettent de regrouper des organismes de droit public et de droit privé.
      Ils sont généralement constitués dans la perspective d’un évènement (ex : JO 2024).
      Toutes les parties y contribuent financièrement.

      Dans son arrêt GIP “Habitat et interventions sociales pour les mal logés et les sans-abris” c/ Mme Verdier” de 2000, le Tribunal des conflits définit la nature juridique des GIP comme des “personnes morales de droit public soumises à un régime spécifique”.

    • La Banque de France est un organisme inclassable.
      Dans sa décision Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France, le Conseil d’État affirme qu’elle n’est pas un établissement public, dans la mesure où elle “présente un certain nombre de caractéristiques propres”.

      Elle est donc bien une personne morale de droit public, mais au regard de sa nature particulière elle ne peut pas être classée dans l’une des catégories existantes.

§ 2. Les personnes morales de droit privé

À priori, on en devrait pas s’intéresser aux personnes morales de droit privé dans ce cours.
Néanmoins, l’arrêt Blanco a retenu une conception fonctionnelle du droit administratif, donc cette branche du droit s’applique à des missions / activités, peu importe que celui qui gère l’activité en question soit une personne publique ou une personne privée.

Conseil d’État, 1938, Caisse primaire “Aide et protection” :
Dans cette décision de principe, le Conseil d’État affirme la possibilité qu’un texte confie à une personne privée l’exécution d’une mission de service public.
Depuis, il est juridiquement possible qu’une norme donne à une personne morale de droit privé la charge d’effectuer une mission de service public.

Conséquence : le droit qui leur sera applicable sera un droit hybride : sous certains aspects, on appliquera à cette personne les règles de droit privé, tandis que sous d’autres aspects, les règles du droit administratif s’appliqueront.

Conseil d’État, 1942, Monpeurt :
Des personnes morales de droit privé peuvent édicter des actes administratifs à partir du moment où ces actes sont édictés “en vertu de prérogatives de puissance publique destinées à accomplir la mission de service public”.
Il y a néanmoins 2 conditions :

  1. L’acte doit être exercé dans le cadre de la mission de service public ;
  1. L’acte doit mettre en oeuvre une prérogative de puissance publique.
    (prérogative qui n’est habituellement pas confiée à une personne privée)

Conseil d’État, 1983, S.A. Bureau Veritas :
Une action en responsabilité concernant l’action d’une personne privée investie d’une mission de service public ne peut être engagée devant le juge administratif qu’à partir du moment où cette action en responsabilité trouve son origine dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique.

Section 2 : Les autorités administratives

Les autorités administratives sont des acteurs clés du droit administratif, dans la mesure où ce sont généralement leurs décisions que l’on vient contester devant le juge administratif.

§ 1. Les différentes catégories d’autorités administratives

Il existe différentes manières de classer les autorités administratives.
On peut les classer en se demander sur quel territoire est-ce que chaque autorité agit.

On distingue ainsi 2 grandes catégories : les autorités administratives “centrales”, qui exercent leurs compétences sur l’ensemble du territoire national, et les autorités administratives “locales”, qui exercent leurs compétences sur une partie seulement du territoire.

A – Les autorités administratives centrales

En droit, ce qui est “central”, c’est le fait de résider dans la capitale (là où résident les pouvoirs publics de l’État). Au sens propre, les autorités centrales seraient donc celles qui résident à Paris. On devrait donc plutôt dire autorités “nationales”.

1) Les autorités classiques

Les autorités administratives centrales classiques sont celles autour desquelles s’est toujours organisé l’État : ce sont les ministres, qui composent le gouvernement et qui constituent les chefs de l’administration centrale.

a) La structure gouvernementale

Au sommet de l’administration centrale, on trouve les ministères, avec à leur tête des ministres qui composent un gouvernement à la tête duquel il y a un Premier ministre.
Le Premier ministre incarne les autorités administratives qui édictent les actes administratifs applicables sur l’ensemble du territoire national.

La France se singularise de bien des États dans la mesure où, en droit français, il n’y a pas de règles applicables à la composition du gouvernement : le Premier ministre a la liberté de choisir les ministres, mais aussi leur nombre et leurs fonctions.

On constate une oscillation entre 2 conceptions :

  1. L’éclatement : il y a beaucoup de ministres et de secrétaires d’État.
    Or, plus il y a de ministres, plus il y a d’autorités centrales qui édictent des actes.
    Le Secrétariat général du gouvernement (SGG) est l’organe administratif en charge d’assurer la coordination gouvernementale en matière juridique, par exemple pour faire en sorte que 2 ministres n’édictent pas d’actes contradictoires.
  1. La concentration.

b) Le pouvoir hiérarchique

L’administration française a une organisation pyramidale (ou verticale), avec à chaque étage des autorités qui reçoivent des ordres et donnent des ordres.

Article 20 de la Constitution :

Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.
Il dispose de l’administration et de la force armée.

“Disposer de”, en droit, signifie “avoir autorité sur”.
Le gouvernement a donc autorité sur l’administration et la force armée.
Le Premier ministre est le chef de l’administration, notamment de l’administration centrale, donc il exerce le pouvoir hiérarchique.

Conseil d’État, 1950, Quéralt :
Donne une définition de ce qu’est le pouvoir hiérarchique.
Le pouvoir est la réunion de 2 éléments :
1- le pouvoir de donner des ordres ;
2- le pouvoir de réformer les décisions prises par ses subordonnés (la gomme et le crayon).

Idée de pyramide : Premier ministre > ministres > chefs de service > chefs de bureau > …

Le pouvoir hiérarchique existe même sans texte : il n’y a pas besoin qu’un texte attribue le pouvoir hiérarchique aux chefs de service.
C’est ce que l’on appelle en droit un “pouvoir sans texte”, ou “pouvoir implicite”.

Les administrés ont la possibilité, s’ils souhaitent contester une décision d’une autorité administrative, de s’adresser à elle : on parle de “recours administratif” (= réclamation).

Il est aussi possible de s’adresser à son supérieur hiérarchique : on parle de “recours hiérarchique”.
On s’adresse alors au N+1 de l’autorité administrative pour lui demander d’exercer son pouvoir hiérarchique pour revoir la décision.

Conseil d’État, 2011, SCI Les Thermes Marins :
Un administré forme un recours contre l’ARS mais le ministre refuse de répondre au recours hiérarchique.
Le Conseil d’État dit que ça n’est pas possible : en tant que supérieur hiérarchique, il est obligé de répondre aux recours hiérarchiques.
→ Obligation d’exercer ce pouvoir hiérarchique.


2) Les autorités administratives indépendantes

La 1ère autorité administrative indépendante est issue de la loi du 6 janvier 1978 : la CNIL.

À partir de la fin des années 1970, on voit que, dans un certain nombre de domaines de l’action publique, l’administration a des intérêts propres. Il apparaît que celle-ci peut donc parfois être juge et partie.
Par exemple, dans le domaine de l’audiovisuel, le ministre de la Culture fixait les normes, alors qu’il était lui-même ministre du tutelle des chaînes publiques.

Le droit de l’UE a exigé que, dans un certain nombre de domaines ouverts à la concurrence, les règles ne soient plus fixées par l’État.
→ Création d’organismes indépendants de l’État, qui prendraient des décisions dans ces secteurs.

Elles ont pris aujourd’hui une importance considérable.

a) Le statut originel

On les trouve aujourd’hui essentiellement dans 3 secteurs :

  1. Régulation des autorités économiques et financières ;
    Ex : Autorité des marchés financiers.
    Ex : Autorité de la concurrence.
  1. ?
  1. Relations entre le public et l’administration.
    Ex : Commission d’accès aux documents administratifs.

Ces AAI sont caractérisées sur le plan juridique par 3 caractéristiques :
> autorités ;
> administratives ;
> indépendantes.

Le mot “autorité” revêt 2 significations :

  1. Stricto sensu, une autorité est une personne ou un collège de personnes qui ont été investis du pouvoir de prendre des décisions qui s’imposent à ceux qu’elles visent.
    Ces décisions “font grief” : ce sont des actes juridiques qui modifient l’ordonnancement juridique ou la situation des destinataires de la décision.

    Mais toutes les AAI françaises n’ont pas ce pouvoir.
    Certaines, comme la CADA, ne peuvent édicter que des avis (= actes juridiques non contraignants).

  1. De manière plus générale, il renvoie à ce qu’on appelle “l’autorité morale”, dont sont porteurs les experts d’un domaine.
    On applique leurs dispositions, pas tant parce qu’on est obligés, mais parce qu’on respecte le consensus ayant pour résultat ces décisions.

Ces autorités sont administratives parce que, dans la plupart des cas, le législateur qui les a créées les a qualifiées comme telles.
Mais ça n’est pas le cas de toutes ; le Conseil d’État utilise donc certains critères pour le savoir :

Conseil d’État, 1981, Retail :
Concerne le Médiateur de la République, AAI disparue en 2011 et chargée de la médiation entre les citoyens et l’administration.
Le Médiateur de la République était nommé par décret par le Président de la République en Conseil des ministres ; or, selon l’article 13 de la Constitution, ceux qui sont nommés de cette manière sont les hauts fonctionnaires.
En raison de ce parallélisme des formes et procédures, le médiateur est considéré comme une autorité administrative, donc les actes qu’il édicte sont des actes qui peuvent être contestés devant le juge administratif.

Conseil d’État, 2001, Époux Kéchichian :
Ceux-ci avaient placé leurs économies dans un établissement bancaire français, qui a fait faillite.
Ils intentent une procédure devant le juge judiciaire, qui vise directement l’établissement en faillite, et devant le juge administratif, qui vise l’autorité de contrôle des établissements bancaires (l’ancêtre de l’AMF, appelée à l’époque la “Commission bancaire”).
Le Conseil d’État institue l’affaire et observe que l’établissement n’a fait l’objet d’aucun signalement / aucune décision, alors que des signaux de mauvaise santé financière avaient été émis pendant plusieurs années.
Une faute grave a donc été commise par la Commission bancaire ; les époux Kéchichian ont droit à des dommages et intérêts payés par l’État.

→ La commission agit au nom de l’État, c’est une personne de droit moral public, c’est une autorité administrative, qui engage la responsabilité de l’État quand elle commet une faute.

Enfin, les AAI sont indépendantes.
On peut voir ici une contradiction juridique, parce qu’elles sont aussi administratives, et l’administration a un chef.
Dire que les AAI sont indépendantes financièrement signifie que :
1- elle ne peuvent recevoir aucun ordre de qui que ce soit ;
2- leurs décisions ne sauraient être réformées.

Les AAI constituent donc une exception à l’article 20 de la Constitution.
Elles prennent des décisions dans des secteurs où il y a des acteurs publics et des acteurs privés ; cette indépendance est une garantie de la neutralité de leur action.

b) L’évolution contemporaine

Les AAI n’ont cessé de se multiplier : il y avait jusqu’à 50 d’entre elles !
2 tendances à l’oeuvre :

  1. La constitutionnalisation : pendant longtemps, la Constitution a été étanche au phénomène des AAI, mais la réforme de 2008 y faut entrer le Défenseur des droits (article 71-1), qui est une AAI.

    Garantie de sa légitimité et de son existence.
    Reconnaissance de l’importance prise par les autorités indépendantes ces dernières années.

    → Entrée du droit administratif dans la Constitution ?

  1. La reconnaissance de la personnalité juridique : l’arrêt Kéchichian montre que les AAI ont des garanties d’indépendance pour réguler un secteur, mais que quand elles se loupent la réparation des préjudices appartient à l’État, ce qui est un problème.
    Idée : si les AAI sont indépendantes, elles doivent l’être jusqu’au bout.

    La 1ère AAI qui s’est vue reconnaître la personnalité juridique est l’AMF, par la loi du 1er août 2003 qui fait de l’AMF une autorité responsable de ses actes, dotée d’un patrimoine propre, de la capacité d’ester en justice et de droits et d’obligations.

    La loi du 20 janvier 2017 dote de la personnalité juridique un certain nombre d’AAI : Haute Autorité de santé, Autorité de régulation des transports, Agence française de lutte contre le dopage…

Une autorité publique indépendante (API) est une AAI dotée de la personnalité morale.

Donner la personnalité morale à une AAI a 2 conséquences :

  1. Elles n’agissent plus au nom de l’État : elles ne sont plus administratives, mais publiques.
    → On les détache de l’administration.
  1. Elles disposent d’un budget propre.
    C’est sur ce budget qu’on va imputer d’éventuels dommages et intérêts qu’elles pourraient être condamnées à verser.

La loi du 20 janvier 2017 a opéré un certain nombre de regroupements et a considérablement réduit le nombre d’AAI.
Aujourd’hui, on en compte 26.

B – Les autorités administratives locales

Il ne faut pas confondre les 2 types d’autorités administratives locales : les autorités administratives déconcentrées et les autorités administratives décentralisées.

1) Les autorités déconcentrées

La déconcentration est une forme de délégation de compétences de l’État central vers ses représentants au niveau local.
Le mouvement reste au sein d’une seule et même personne morale de droit public : l’État.

Une compétence déconcentrée est auparavant exercée par un ministre ; elle se trouve exercée par une personne au niveau local, par exemple le préfet de département.

Lorsqu’on parle de déconcentration, on ne sort pas de l’État, donc un décret suffit à déconcentrer l’exercice d’une compétence → pas besoin d’une loi.

Le préfet est l’autorité déconcentrée par excellence : il est le représentant de l’État au niveau local.
Il existe dans les régions (préfet de région), dans les départements (préfet), dans les arrondissements (sous-préfet).

Chaque ministère a des services déconcentrés :
> ministère de l’éducation → rectorats
> ministère de la culture → directions régionales d’action culturelle
> ministère de la santé → ARS
Ces services agissent au nom et pour le compte de l’État au niveau local.

Au début des années 1990, on a souhaité poser le principe selon lequel, par principe, les autorités administratives déconcentrées sont celles qui édictent les actes administratifs individuels : loi du 6 février 1992 “ATR” (administration territoriale de la région).
→ Depuis 1992, le principe est celui de la déconcentration, et l’exception la centralisation.


2) Les autorités décentralisées

Là où la déconcentration est une forme de délégation, la décentralisation est un transfert de compétences de l’État vers une collectivité territoriale.
⚠️ Il n’y a pas de décentralisation sans collectivité territoriale.

Puisque la décentralisation consiste en un passage de l’État à une collectivité territoriale, on change de personne morale au nom de laquelle on agit ; selon l’article 34 de la Constitution, il faut donc une loi.
Si un décret opérait une forme de décentralisation, il serait illégal car anticonstitutionnel.

Objectif : recherche d’efficacité et de légitimité politique (l’acte administratif sera mieux accepté par la population car édicté par les représentants qu’elle a désigné).

Dans le département / dans la région, il y a à la fois des autorités administratives déconcentrées et des autorités administratives décentralisées.
⚠️ Il ne faut pas confondre les deux.

  1. La loi du 2 mars 1982 a supprimé la tutelle de l’État sur les collectivités territoriales et créé la région.
  1. La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a inscrit à l’article 1er de la Constitution le caractère décentralisé de la République française.

§ 2. Les caractéristiques des autorités administratives

A – Des personnes physiques

Les autorités administratives sont incarnées par des personnes physiques.
On en distingue 2 types :

  1. Celles qui sont incarnées par 1 personne ;
    Le Président de la République, le maire, le préfet, le ministre…
  1. Celles qui sont incarnées par plusieurs personnes (qui sont collégiales).
    Le conseil municipal, le Conseil des ministres, le collège de la CNIL…

B – Des personnes physiques agissant pour le compte de personnes morales

Quand on étudie un arrêt, il est important de savoir quelle est l’autorité administrative dont l’acte est contesté devant le juge.
Il faut l’identifier en la qualifiant juridiquement, mais surtout en sachant au nom qui est-ce qu’elle agit. Toute autorité administrative, seule ou en collège, agit au nom d’une personne morale (État, collectivité territoriale, établissement public, personne morale de droit public…).

Le maire est à la fois représentant de la commune et représentant de l’État.
En principe, il représente la commune où il est élu.
La loi lui a aussi donné des compétences en tant qu’agent de l’État, qu’il exercice notamment en tant qu’officier d’état civil.

§ 3. Les décisions édictées par les autorités administratives

A – Les décisions à caractère réglementaire

Les décisions réglementaires sont des décisions générales et impersonnelles qui fixent une règle, qui vaut non pour une personne ou un groupe de personnes, mais pour toutes les personnes que cette règle peut intéresser.

Les actes réglementaires des ministres relèvent en 1er ressort du Conseil d’État.

B – Les décisions à caractère individuel

Exemples d’actes administratifs unilatéraux à caractère individuel : permis de construire, refus de titre de séjour, arrêté de nomination…

Les recours contre les décisions des ministres à caractère individuel s’exercent devant le tribunal administratif de Paris.

Chapitre 1 : Le juge administratif

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

On distingue les juridictions de droit commun et les juridictions administratives spécialisées.
Les juridictions administratives de droit commun sont celles qui composent le tronc commun de la juridiction administrative. Elles ont vocation à connaître de manière générale les litiges relatifs aux services publics.
Les juridictions administratives spécialisées ont été créées par le législateur pour trancher des litiges dans des domaines particuliers.
Exemple : Cour nationale du droit d’asile, Cour des comptes, Conseil supérieur de la magistrature… avec recours possible devant le Conseil d’État.

Section 1 : Le statut

Le statut du juge administratif (= l’ensemble des règles qui lui sont applicables) ne figure pas là où on s’y attend : la Constitution de 1958 ne contient aucune règle relative au juge administratif.
⚠️ La Constitution de 1958 fait référence au Conseil d’État, mais en tant que conseiller juridique du gouvernement, et non en tant que juge.

Ces règles étaient pendant longtemps disséminées dans des textes tels que la loi du 24 mai 1872.
Le Code de justice administratif (CJA) a été créé en 2001.

Pendant longtemps, le statut du juge administratif était un statut exclusivement législatif et réglementaire.
Cela a pu poser problème, parce que ce statut seulement législatif et réglementaire pouvait le fragiliser. Ce que la loi peut faire, elle peut défaire : le juge administratif a subi un certain nombre d’attaques sous forme de projets de loi.

Le Conseil constitutionnel a fait évoluer ce statut à travers certaines de ses décisions :

§ 1. La décision du Conseil constitutionnel de 1980

Conseil constitutionnel, 22 juillet 1980, “Validation d’actes administratifs” :
C’est la première fois que le Conseil constitutionnel s’intéresse au juge administratif.

Il estime nécessaire pour renforcer le dualisme juridictionnel français de donner un fondement constitutionnel au juge administratif.
Dans cette décision, il considère que l’indépendance du juge administratif est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR).

Il utilise pour cela la loi du 24 mai 1872, après avoir observé qu’elle affirme l’indépendance du Conseil d’État et qu’elle a été appliquée de manière constante depuis 1872.

Pour la première fois, une partie du juge administratif est constitutionnel.
→ L’indépendance du juge administratif est garantie au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.
→ Constitutionnalise l’existence du juge administratif.

La décision ne dit rien de ses compétences, qui restent à la libre volonté du législateur.

§ 2. La décision du Conseil constitutionnel de 1987

Conseil constitutionnel, 23 janvier 1987, “Conseil de la concurrence” :
Dégage un second PFRLR relatif à la juridiction administrative.

Le Conseil constitutionnel affirme que la compétence du juge administratif pour “annuler et réformer” les décisions administratives est un PFRLR.
Cette décision complète la première en mettant à l’abri ces compétences de toute réforme législative.
Elle constitutionnalise le “noyau dur” des compétences du juge administratif.

Le juge administratif peut annuler et réformer les décisions administratives.
Annuler : les faire disparaître de l’ordonnancement juridique parce qu’elles sont illégaux → “la gomme”.
Réformer : les réécrire → “le crayon”.

→ Renforce le statut constitutionnel du juge administratif.

Le Conseil constitutionnel prend soin de rappeler qu’il existe des exceptions à ce PFRLR.
Il expose 2 exceptions :

  1. Les matières qui, par nature, sont réservées à l’autorité judiciaire.

    Il fait référence ici à l’article 66 de la Constitution, selon laquelle “l’autorité judiciaire [est la] gardienne de la liberté individuelle” (= la liberté de ne pas être détenu arbitrairement).
    → Tous les litiges / tous les actes qui mettent en jeu la liberté individuelle relèvent de l’autorité judiciaire.

  1. Lorsqu’une législation peut engendrer une répartition des compétences entre les 2 ordres, alors le législateur peut unifier et la confier à un ordre donné.

    Ainsi, lorsqu’il y a un domaine où la répartition est compliquée entre les 2 ordres, alors le législateur peut unifier des compétences pour les donner à un autre juge, pour garantir l’intelligibilité de ce droit.

    Exemple : la loi du 31 décembre 1957 confie que “les tribunaux de l’ordre judiciaire sont seuls compétents pour statuer” sur les dommages liés aux accidents de la route.

💡
Pour résumer : le statut du juge administratif est aujourd’hui un statut :
1- pour partie constitutionnel, avec les décisions du Conseil constitutionnel ;
2- pour partie législatif et réglementaire, avec le CJA.

Section 2 : L’organisation

§ 1. Le Conseil d’État

Le Conseil d’État est la juridiction la plus importante de la juridiction administrative, à la fois parce que c’est la première et parce que c’est la cour suprême de l’ordre juridique administratif.

Le Conseil d’État bénéficie d’un dualisme statutaire : il conseille et il juge.

A – Le Conseil d’État en tant que conseiller

Sa fonction de conseil est sa fonction originelle.
Il est créé en 1799 lors du Consulat, avec l’idée que le pouvoir exécutif doit pouvoir compter sur un organe qui le conseille juridiquement.

Le Conseil d’État exerce aujourd’hui cette fonction de conseil avec des attributions obligatoires et facultatives :

  1. Ses attributions obligatoires sont établies par la Constitution.

    L’article 39 de la Constitution dispose que tous les projets de loi doivent être soumis au Conseil d’État, qui remis un avis au gouvernement.
    Cet avis peut être public ou privé, au choix du gouvernement (on remarque qu’ils sont de plus en plus publics).

    Le Conseil d’État ne se prononce que sur la dimension juridique du texte, jamais politique.
    Le gouvernement est libre de suivre cet avis ou non ; généralement, il le fait pour ne pas prendre de risque juridique.

    Dans la Constitution, il est également fait référence à des “décrets en Conseil d’État”.
    Le constituant souhaitait en effet que dans certains domaines, lorsque le gouvernement exerce des décrets, il sollicite au préalable le Conseil d’État pour obtenir son avis juridique.

    → Le Conseil d’État est le conseiller juridique du pouvoir exécutif.

  1. Le Conseil d’État dispose aussi de quelques attributions facultatives, renforcées ces dernières années :
    1. Il peut être saisi ou se saisir lui-même de toute question en rapport avec l’actualité afin de livrer son expertise juridique sur tel ou tel sujet.
      Chaque année, il rend ainsi une dizaine de rapports et d’études.
    1. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, l’article 39 de la Constitution permet au président de l’Assemblée nationale ou du Sénat de demander l’avis juridique du Conseil d’État sur une proposition de loi.

      → Depuis 1799, le Conseil d’État est le conseiller juridique du gouvernement, mais il est un peu désormais le conseiller juridique du Parlement.

B – Le Conseil d’État en tant que juge

Le Conseil d’État est la juridiction suprême de l’ordre juridictionnel administratif.

Il compte 300 membres, qui sont issus de l’INSP (ex-ENA).
Le Conseil d’État dispose de 3 compétences en tant que juge :
1- Juge de cassation ;
2- Juge d’appel ;
3- Juge en premier et dernier ressort.


1) Juge de cassation

Le Conseil d’État est compétent pour connaître les pourvois en cassation formés contre les arrêts des cours administratives d’appel.
Il se prononce donc en dernier ressort, en rendant des décisions définitives.
💡 Même fonctionnement que la Cour de cassation.


2) Juge d’appel

Le Conseil d’État a eu de très nombreuses compétences en matière d’appel dans l’histoire, mais ça n’est quasiment plus le cas aujourd’hui.
Il conserve uniquement une compétence en appel s’agissant des référés (= recours en urgence) :

  1. Le référé suspension ;
  1. Le référé liberté.

3) Juge en premier et dernier ressort

Il s’agit ici de compétences que le Conseil d’État exerce de manière exclusive : il est saisi en premier et en dernier.

Certains actes administratifs d’importance doivent être contestés directement devant le Conseil d’État :

  1. Les recours contre les décrets et les ordonnances pris par le Président de la République ou le Premier ministre ;
  1. Les recours contre les actes réglementaires des ministres ;
    Les actes réglementaires posent des règles de manière générale et impersonnelle.
    actes individuels, qui visent une personne nommément.
    Les actes individuels des ministres doivent être contestés devant le tribunal administratif de Paris.
  1. Les recours relatifs à la situation des fonctionnaires nommés sur le fondement de l’article 13 de la Constitution ;
  1. Les recours contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence nationaux ;
    Ces organismes sont nombreux dans l’administration : CSA, CNIL, …
  1. Les recours dirigé contre les actes administratifs dont le champ d’application s’étend au-delà du ressort d’un seul tribunal administratif.

En tant que juge électoral, le Conseil d’État est également compétent en premier et dernier ressort pour connaître du contentieux concernant les élections régionales et européennes.

Le Conseil d’État est divisé en sous-sections, équivalents des chambres de la Cour de cassation.
Pour la majorité des affaires, 3 juges tranchent (9 juges en formation “chambres réunies”).
Il peut décider de donner de l’importance à une décision qu’il rend (décision de principe) en réunissant 2 formations de jugement :

  1. La section du contentieux, composée de 15 membres, pour les grandes questions de droit ;
  1. L’assemblée du contentieux pour les décisions ayant une importance juridique, politique et médiatique.

§ 2. Les cours administratives d’appel

Pendant longtemps, la juridiction administrative s’est limitée au seul Conseil d’État.
Les cours administratives d’appel sont relativement récentes : elles ont été créées par la loi du 31 décembre 1987.

Elles sont chargées de connaître en appel des recours frappant les jugements rendus en 1ère instance par les tribunaux administratifs.

On compte aujourd’hui 9 cours administratives d’appel.
Elles sont présidées par un membre du Conseil d’État.
Le recrutement se fait par le concours TACAA des magistrats administratifs.

§ 3. Les tribunaux administratifs

Les tribunaux administratifs rendent aujourd’hui environ 150 000 décisions par an.

Ils ont été créé par le décret du 30 septembre 1953, pour soulager le Conseil d’État.
On en compte aujourd’hui 42 sur tout le territoire, notamment en outre-mer.
Leur composition est identique à celle des cours administratives d’appel (concours TACAA).

Les compétences des tribunaux administratifs sont :

  1. Juge de premier ressort du contentieux administratif ;
    Le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel réside l’autorité administrative qui a pris la décision contestée.
  1. Juge en premier et dernier ressort pour :
    – les litiges relatifs à l’aide ou à l’action sociale ;
    – les litiges sur la communication de documents administratifs ;
    – les litiges sur les refus de concours de la force publique ;
    – les litiges sur les impôts locaux ;
    – les litiges sur les permis de conduire ;
    – les litiges en matière de pension de retraite.

    (Suite au décret du 13 août 2013, qui modifie l’article R811-1 du Code de justice administrative pour faire face au manque de moyens des juridictions administratives et à l’explosion du nombre de requêtes.)

Section 3 : La saisine

§ 1. Les recours ordinaires

Pour saisir le juge administratif lorsqu’il n’y a pas d’urgence, on a à notre disposition 2 types de recours :
1- le recours pour excès de pouvoir (REP) ;
2- le recours de plein contentieux (RPC – aussi appelé recours de pleine juridiction).

Cette distinction est élaborée par le vice-président du Conseil d’État Lafferière au début du 20ème siècle, qui écrit le premier manuel de procédure devant le juge administratif.
Il y théorise l’existence de 2 types de recours distincts :

  1. Les demandes qui visent à dénoncer l’illégalité d’un acte administratif (le contentieux objectif) ;
    → REP
  1. Les recours qui visent à faire reconnaître des droits qui ont été bafoués par l’administration.
    → RPC

Pour le REP, l’objet du litige est étroit (le juge a pour rôle de faire disparaître l’acte), tandis que pour le recours de plein contentieux, l’objet du litige peut être extrêmement varié (les pouvoirs du juge sont pleins et entiers).

Conseil d’État, 1912, “Lafage” :
C’est le requérant qui choisit le recours dont il souhaite saisir le juge en fonction de ses prétentions.
→ Depuis 1912, on distingue 2 types de recours devant le juge administratif.

A – Le recours pour excès de pouvoir (REP)

1) L’objet du REP

Le REP a pour objet l’annulation par le juge administratif d’un acte administratif illégal.
On ne peut rien demander d’autre dans le cadre d’un REP.

L’illégalité d’un acte signifie que cet acte ne respecte pas une norme qui lui est supérieure : traité international, constitution, loi, ordonnance…

Les REP portés devant le juge administratif sont constitués d’arguments de moyens d’illégalité mis en avant pour convaincre le juge que l’acte est illégal.
Si un seul de ces moyens convainc le juge, il peut annuler l’acte en question.

Lorsqu’on annule quelque chose, on le fait disparaître de manière rétroactive.
Il est réputé n’avoir jamais existé et n’avoir jamais produit d’effets juridiques.

Parfois, il n’est pas possible d’annuler les effets d’un acte pour le passé.
Par exemple, si on annule l’acte de nomination d’un magistrat 2 ans après, que faire ?

Par sa décision “Rodière” de 1925, le Conseil d’État affirme que l’annulation par le juge d’un acte administratif a pour conséquence la disparition de celui-ci, mais également de tous les effets juridiques produits par celui-ci.

Conseil d’État, 2004, “Association AC!” :
Pose une exception au principe Rodière.
Le Conseil d’État affirme que le juge peut moduler dans le temps l’annulation de l’acte administratif.


2) Les conditions de recevabilité

Condition n°1 : le délai

L’article R421-2 pose un délai de 2 mois pour contester la légalité d’un acte administratif.
Au-delà de ces 2 mois, on ne peut plus attaquer l’acte, pour des raisons de sécurité juridique.

Pour calculer ce délai de 2 mois, on distingue :

  1. Pour les actes administratifs réglementaires, qui posent des règles de manière générale et impersonnelle et qui sont publiés dans des recueils officiels (ex : Journal Officiel) : le délai de 2 mois court à partir de la date de publication de l’ordonnance ou du décret.
  1. Pour les actes administratifs individuels, qui visent une personne nommément et qui sont notifiés directement à la personne intéressée : le délai de 2 mois prend en compte le délai de notification de l’acte à ses destinataires (envoi postal, par email, remise en main propre…).

Que si passe-t-il si la notification a été oubliée, mal faite, ou si l’administration n’est pas en mesure de la prouver ?
Pendant longtemps, on pouvait contester sans délai ces décisions, ce qui posait problème.

Conseil d’État, 2016, Czabaj :
Cet arrêt majeur dit que, dans l’hypothèse où la notification d’un acte administratif a été oubliée, irrégulière, ou que l’administration ne peut pas la prouver, il est désormais possible de contester l’acte administratif concerné dans un délai d’1 an.

→ Permet de concilier les principes de sécurité juridique et du droit à un recours effectif.

Condition n°2 : L’intérêt à agir du requérant

⚠️ Il ne faut pas confondre l’intérêt à agir avec la capacité d’agir en justice, qui est définie par le Code civil (il faut être majeur).

L’intérêt à agir, c’est le fait de disposer d’un intérêt lésé par la décision que l’on conteste.
On n’a intérêt à agir seulement quand si la décision nous affecte dans l’une de nos qualités, c’est-à-dire si elle nous concerne, nous affecte ou est susceptible de léser nos propres intérêts.

Si ce n’est pas le cas, la requête est rejetée comme irrecevable.
La jurisprudence a posé 2 règles en la matière :

  1. La casuistique (= le cas par cas) : le juge examine recours par cours si le requérant dispose d’un intérêt à agir.
    → Il n’y a pas d’intérêt à agir universel.
  1. Le libéralisme : en matière d’intérêt à agir, le juge est plutôt libéral.

    3 exemples tirés du GAJA :

    1. Conseil d’État, 1901, Casanova :
      Reconnaît qu’un habitant d’une commune a un intérêt à agir à l’encontre de toutes les décisions édictées soit par le maire soit par le conseil municipal, dès lors que les décisions en question ont pour effet d’augmenter les dépenses de la municipalité.
    1. Conseil d’État, 1903, Lot :
      Affirme que l’intérêt à agir peut être indirect.
      En l’espèce, une personne qui n’a pas été nommée à un poste aurait pu l’être, et dispose donc d’un intérêt à agir.
    1. Conseil d’État, 1906, Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges :
      Reconnaît que des personnes morales peuvent former un recours pour excès de pouvoir et donc remplir la condition de l’intérêt à agir.

      Une personne morale peut avoir un intérêt à agir si les intérêts qu’elle défend sont lésés par la décision contestée.
      Le juge regarde les statuts de l’association et notamment son objet social.

      Une personne morale peut aussi avoir un intérêt à agir dès lors qu’elle défend les intérêts personnels de ses membres.
      → Possibilité pour une personne morale de représenter une personne physique et de faire à sa place et en son nom un REP.

      Cette décision est importante parce que les associations forment de très nombreux recours juridictionnels pour défendre leurs intérêts ou ceux de leurs membres.

Condition n°3 : La nature de l’acte contesté

Conseil d’État, 1950, Dame Lamotte :
Affirme que constitue un principe général du droit la possibilité de contester, par le biais du REP, tout acte administratif.

Cet arrêt a une conséquence majeure : le REP est un principe général du droit, qui n’a pas à être prévu par la loi.

Cet arrêt désigne en réalité les seuls actes administratifs unilatéraux décisoires.
Les contrats (actes bilatéraux ou multilatéraux) n’entrent donc pas dans le champ du principe posé par la jurisprudence Lamotte.

Un acte décisoire est un acte qui prend une décision, qui “fait grief” (= change quelque chose en droit).
Les actes préparatoires ont pour seul objet est de préparer la décision future.

Exemple : Conseil d’État, Ass., 1996, Syndicat CGT des hospitaliers de Bédarieux :
Un syndicat forme un REP contre une mise en demeure adressée par le préfet.
Le Conseil d’État établit que la mise en demeure ne fait pas grief, puisqu’elle vient simplement menacer l’hôpital d’une décision future si celui-ci n’agit pas dans le domaine concerné.

Le REP est dispensé du ministère d’avocat : on peut recourir à un avocat, mais on peut aussi le faire seul.

B – Le recours de plein contentieux

Le recours de plein contentieux forme l’autre catégorie de recours devant le juge administratif.
Il se rattache en principe aux “droits subjectifs”, tandis que le REP est un recours objectif (= relatif à la légalité).

1) L’essence du recours de plein contentieux

Tout comme le REP, le recours de plein contentieux permet de solliciter l’annulation d’un acte, mais aussi des choses en plus : le paiement de dommages-intérêts, la fixation du montant d’une créance, la réformation d’une décision administrative, la substitution d’une décision administrative à une autre…

Le juge administratif saisi d’un recours de plein contentieux peut modifier le sens et le contenu de l’acte attaqué : il peut donc substituer son avis à celui de l’administration.
≠ le REP, qui ne permet d’obtenir que l’annulation d’un acte administratif illégal.

2 exemples de modification de l’acte après un recours de plein contentieux :

  1. CE, 1974, M. Fragnaui :
    Des élections locales se déroulent et un candidat est déclaré élu.
    Le candidat arrivé second forme un recours de plein contentieux pour contester le bon déroulement du scrutin et les calculs faits par la préfecture.
    Le Conseil d’État voit qu’un bureau de vote a été oublié, refait l’addition et proclame le candidat arrive second gagnant des élections.
    → Le recours de plein contentieux permet au juge de substituer sa décision à celle de l’administration.
  1. CE, 1982, Aldana :
    Une personne étrangère résidant sur le territoire français sollicite le statut de réfugié politique. L’administration en charge la lui refuse ; la personne conteste ce refus devant le juge administratif.
    Le Conseil d’État examine les pièces, estime que la personne remplit toutes les conditions juridiques et attribue donc la qualité de réfugié politique à la personne.

2) Le régime juridique du recours de plein contentieux

Tous les recours de plein contentieux ont 2 choses en commun :
1- ils sont rattachés aux droits subjectifs des personnes qui font des recours ;
2- l’assistance d’un avocat est obligatoire.

Il y a des règles qui sont susceptibles de varier, suivant que le recours porte sur la responsabilité administrative, l’urbanisme et l’environnement…

💡
Pour savoir à quel type de recours on a affaire, il faut consulter le dispositif (”Décide :”).
S’il est écrit “l’acte contesté est annulé” en article n°1, alors l’objet de la décision est l’annulation de l’acte → recours pour excès de pouvoir.
S’il y a annulation + autre chose, ou juste autre chose, alors c’est un recours de plein contentieux.

§ 2. Les recours en référé

Dans son article Le huron au Palais Royal de 1962, le professeur Jean Rivero tente de porter un regard naïf et lucide sur l’État et la juridiction administrative.
Le huron est l’indien des lettres persanes qui porte un regard naïf et lucide sur la société.

Il constate 3 choses :

  1. La lenteur de la justice administrative ;
    De nombreux mois, parfois années, sont nécessaires pour obtenir une décision du juge, ce qui ne permet pas de satisfaire les intérêts des requérants.
  1. La justice est souvent rendue trop tard pour que la solution du juge présente un intérêt ;
    Par exemple, si une personne souhaite tenir une conférence, que le maire l’interdit pour des raisons politiques et que le conférencier attaque l’interdiction, il ne pourra obtenir gain de cause que 2 ans plus tard.
  1. Il arrive que l’administration ne mette pas en oeuvre ses décisions, volontairement ou involontairement.

Ce constat va trouver un écho.

Depuis 1995, les décisions administratives peuvent rendre des décisions assorties d’injonction et d’astreinte.
Cela permet l’exécution forcée des décisions du juge administratif.
Désormais, le taux d’exécution des décisions du juge administratif a bondi.

La loi du 30 juin 2000 sur les référés administratifs est importante, car auparavant il était quasiment impossible d’obtenir une décision en urgence du juge administratif.

A – Le référé suspension

Le référé suspension est créé par la loi du 30 juin 2000 ; il est aujourd’hui codifié à l’article L521-1 du Code de justice administrative.

Il permet de saisir le juge des référés pour que celui-ci ordonne la suspension de l’exécution de la décision administrative, lorsque 2 conditions sont remplies :
1- l’urgence ;
2- le doute sérieux quant à la légalité de la décision administrative.

L’objet de ce référé est assez limité : il permet d’obtenir rapidement du juge administratif la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque le juge a un doute sur sa légalité.

Le délai est d’1 mois maximum.

Condition d’urgence :

Il s’agit d’une condition commune à tous les référés : il faut prouver au juge que la situation justifie qu’il doive rendre une décision en urgence.

Conseil d’État, 2001, Confédération nationale des radios libres :
Dans cette décision de principe, le Conseil d’État affirme 2 choses :

  1. Pour apprécier la condition d’urgence, il faut une balance entre les différents intérêts en présence ;
    → Tout dépend du contexte : le juge fait au cas par cas.
  1. L’urgence peut être uniquement financière.
    Aujourd’hui, beaucoup de référés suspension voient leur condition d’urgence remplie par cette urgence financière.

Condition de doute :

Conseil d’État, 2001, M. Maffemba :
À l’occasion d’un référé, on ne doit pas absolument convaincre le juge : on doit simplement faire naître dans son esprit un doute sur la légalité de la décision.

Le juge des référés doit toujours désigner avec précision le moyen du recours qui a suscité chez lui un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué.

Le référé suspension doit toujours être accompagné d’un recours au fond, qui est un REP simple.
Le juge des référés statute dans un délai d’1 mois sur le référé.
La suspension est une décision valable au jour où elle est rendue jusqu’à ce que le juge du fond (le même juge…) se prononce sur le REP.

Un appel est possible devant le Conseil d’État, qui a 1 mois pour rendre sa décision.
Il n’y a pas d’autre voie de recours possible.

B – Le référé liberté

Le référé liberté figure aujourd’hui à l’article L521-2 du Code de justice administrative.
Il permet d’obtenir du juge des référés “toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration a porté une atteinte grave et manifestement illégale”.

Ce référé a pour objet les libertés fondamentales.
On ne peut pas l’exercer en dehors de cette hypothèse.

Le juge doit statuer dans un délai de 48h (→ très rapide).

Conditions du référé liberté :

  1. L’urgence : le Conseil d’État a affirmé qu’il s’agit ici d’une urgence absolue.

    Conseil d’État, 2001, Association Radio deux couleurs :
    Par rapport au référé suspension, l’urgence doit être une urgence absolue, pour justifier que le juge doive se prononcer sous 48 heures.

  1. La démonstration d’une atteinte portée à une liberté fondamentale :

    Les libertés fondamentales le sont parce qu’elles s’imposent au législateur : elles sont consacrées par des normes constitutionnelles ou internationales.

    Le Conseil d’État n’a cependant pas retenu cette définition : la liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 est une liberté fondamentale consacrée par le Conseil d’État à l’occasion d’un référé liberté.
    Il existe donc une liste de libertés reconnues par le Conseil d’État à l’occasion de décisions de principe.

    Exemple : Conseil d’État, 2001, Commune de Venelles :
    Affirme que la libre administration des collectivités territoriales est une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2.
    Habituellement, on considère que les libertés fondamentales bénéficient à l’être humain, mais le Conseil d’État les applique à des personnes morales.

    Dans une décision rendue le 20 septembre 2022, le Conseil d’État affirme que le droit de vivre dans un environnement respectueux de la santé est une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2.

Idée : l’atteinte portée à la liberté fondamentale par l’administration relève un certain degré de gravité, qui justifie l’intervention du juge des référés.

Le juge des référés peut prendre toute mesure de nature à faire cesser cette atteinte.

Ce référé connaît un très grand succès.
Il connaît son apogée avec l’état d’urgence sanitaire en 2020 et 2021.

Il est possible de faire appel de la décision rendue en référé devant le Conseil d’État, qui statue sous 15 jours.

Introduction générale au cours de droit administratif (L2)

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Il est important d’utiliser des manuels récents, parce que le droit administratif évolue vite.

Recommandation de manuel : Droit administratif – Didier Truchet (ISBN 9782130830559).
Il faut aussi se référer aux Grands arrêts de la jurisprudence administrative (GAJA, Dalloz).
Il peut aussi être utile d’utiliser des dictionnaires de droit administratif.
Le site internet du Conseil d’État est aussi très bien fait, avec une bonne rubrique Actualités.

4 décisions récentes

  • Conseil d’État, 4 juin 2022, “Conseil national des barreaux”

    En 2021, un décret gouvernemental crée une plateforme en ligne pour demander des titres de séjour. Ce décret précise que cette démarche en ligne est désormais la seule voie utilisable pour faire cette demande.

    Le Conseil national des barreaux fait un recours devant le Conseil d’État pour contester la légalité du décret. Il soutient que :
    1- ça n’est pas au gouvernement de le faire ;
    2- la mise en place de ce téléservice exclusif est problématique, car certains étrangers peuvent se trouver dans une situation complexe qui ne leur permet pas de répondre aux conditions fixées par le décret en ligne et que certains d’entre eux ne savent pas utiliser ce genre d’outils.

    Le Conseil d’État, saisi directement car il s’agissait d’un décret du Premier ministre, se prononce sur la légalité de ce décret.
    Il balaie le 1er argument, mais admet le 2nd.

    Il annule pour illégalité ce décret au motif d’une rupture d’égalité dans l’accès au service public. Il affirme qu’il faut prévoir, pour les situations complexes, une alternative “en présentiel”.

    Ainsi, le Conseil d’État peut être amené à se prononcer sur la légalité d’actes administratifs, et il a le pouvoir d’annuler un acte s’il est illégal.
    L’acte disparaît alors ; il n’existe plus en droit.

  • Conseil d’État, 7 juin 2022, “La France insoumise”

    Lors des élections législatives de 2022, le ministre de l’Intérieur détermine les nuances politiques utilisées, dans lesquelles ne figurent pas l’union politique NUPES, malgré la présence d’Ensemble !.

    Le Conseil d’État détermine cette mesure illégale, dans la mesure où un certain nombre de candidats n’étaient pas représentés correctement au regard de leur nouvelle appartenance politique.

    Dans cette décision, rendue en urgence, le Conseil d’État annule l’arrêté du ministre de l’Intérieur et l’enjoit à revoir ses nuances pour présenter un tableau de nuances politiques dans lequel figure la NUPES.

    Ainsi, le Conseil d’État a une gomme, mais aussi un crayon. Il peut obliger une personne à revoir sa copie : on dit qu’il “enjoint”, qu’il procède à des injonctions.

  • Conseil d’État, 27 juillet 2022, « Ras le Scoot »

    Dans son décret du 9 août 2021, le Premier ministre étale dans le temps le caractère obligatoire du contrôle technique visant les 2 roues motorisés.
    Ce contrôle technique visait à lutter contre la pollution atmosphérique et les nuisances sonores.

    Une association saisit le Conseil d’État en faisant valoir que l’étalement dans le temps du caractère obligatoire du contrôle technique lui fait perdre de son intérêt.
    Elle fait valoir 2 directives européennes relatives à la lutte contre la pollution et à la santé publique, qui imposent l’adoption d’une réglementation pour lutter contre la pollution atmosphérique et sonore engendrée par les 2RM.

    Le Conseil d’État a estimé que, si le PM pouvait étaler dans le temps le caractère obligatoire de ces contrôles techniques, il doit le faire de manière raisonnable, et qu’en l’espèce le calendrier choisi était trop souple pour atteindre les objectifs de santé publique.

    Ainsi, le droit administratif ne se limite pas aux normes françaises. Il est aujourd’hui largement international et européen.
    On peut donc invoquer devant le juge administratif des normes internationales et européennes pour obtenir l’annulation d’actes illégaux.

  • Conseil d’État, 30 août 2022, “M. Iquioussen”

    M. Iquioussen, imam, voit son titre de séjour retiré. Il est expulsé du territoire vers le Maroc.
    Il conteste son arrêté d’expulsion devant le tribunal administratif de Paris, qui lui donne raison en estimant que les motifs mis en avant par le ministère de l’Intérieur (apologie du terrorisme, priorisation des lois islamiques) n’étaient pas de nature à justifier l’expulsion.
    → le tribunal administratif de Paris suspend la mesure d’expulsion

    Le ministère de l’Intérieur fait appel. Le Conseil d’État statue en appel puisqu’il y a urgence.
    Il détermine que cet arrêté d’expulsion était légal, en retenant les discours de M. Iquioussen affirmant l’infériorité de la femme, remettant en cause la réalité de certains attentats terroristes et considérés comme antisémites.

    Le tribunal administratif de Paris avait fait valoir qu’une expulsion porterait atteinte au droit à la vie privée et familiale du demandeur. Le Conseil d’État n’est pas sensible à cet argument, faisant remarquer que tous les enfants sont majeurs et ne dépendaient donc plus de lui.

💡
On parle de “jugement” pour les tribunaux administratifs, d’”arrêt” pour les cours administratives d’appel et de “décision” ou d’”arrêt” pour le Conseil d’État.

Ce qui caractérise notre système juridique

  1. La pluralité des cours suprêmes

    Une cour suprême est une juridiction qui rend des décisions à caractère définitif (= qui ne peuvent être frappées d’aucun recours).

    1- La Cour de cassation, au sommet de l’ordre judiciaire.
    2- Le Conseil d’État, au sommet de l’ordre administratif.
    3- Le Tribunal des conflits.
    4- Le Conseil constitutionnel.

    Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction ? Il ne peut pas être saisi par les citoyens, mais il applique des règles de droit et en sanctionne le non-respect.
  1. La multiplicité des dualismes

    Dualisme juridictionnel :
    Il y a en France 2 ordres étanches, avec des recours distincs : l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.
    Il y a néanmoins beaucoup de pays dans le monde qui ont des systèmes juridictionnels avec des dualismes.

    Dualisme juridique :
    En France, le droit privé régit les rapports entre particuliers et est appliqué par l’ordre juridictionnel judiciaire, tandis que le droit public régit les relations entre particuliers et personnes publiques et est appliqué par l’ordre juridictionnel administratif.

    Dualisme fonctionnel du Conseil d’État :
    Le Conseil d’État a 2 fonctions distinctes : il exerce 2 missions à caractère juridique au nom de l’État :
    1- Il conseille le gouvernement et donne son avis juridique sur des projets de loi ;
    2- Il tranche les litiges qui lui sont soumis.

§ 1. La définition du droit administratif

A – Le droit

Le droit est un ensemble de règles dont le non-respect est susceptible de faire l’objet d’une sanction. Cette sanction peut être le fait d’un juge ou de l’administration elle-même (ex : les impôts).

Ces règles de droit peuvent être de 2 types :

  1. Textuelles : elles émanent de normes qui s’incarnent dans des textes (constitution, lois, arrêtés…) ;
  1. Jurisprudentielles : elles émanent de décisions de principe rendues par les cours suprêmes.

Ces règles peuvent émaner de personnes publiques (État, collectivités territoriales, …), mais aussi de personnes privées (ex : règlements intérieurs).

Les règles de droit régissent nos relations en société.
Elles régissent des domaines d’activités spécifiques (droit pénal, administratif, …).

B – L’administration

Le droit administratif est formé de l’ensemble des règles applicables à l’administration.
Il y a 2 conceptions pour définir l’administration :

  1. Conception fonctionnelle : l’administration est l’ensemble des missions prises en charge de l’État pour répondre à nos besoins les plus essentiels.
    On parle des missions d’intérêt général, qui sont essentielles pour la cohésion sociale.

    Suivant la définition fonctionnelle, le droit administratif est l’ensemble des règles applicables aux missions d’intérêt général.

    Cette définition suppose un large champ d’application du droit administratif : peu importe qui prend en charge ces fonctions (État, personne privée…), la seule chose qui compte étant que la mission soit d’intérêt général.

  1. Conception organique : l’administration est l’ensemble des services, des institutions et des organes qui relèvent des personnes publiques.
    Si un organisme relève d’une personne publique, alors il s’agit d’un service administratif.

    Suivant la définition organique, le droit administratif est l’ensemble des règles applicables aux services administratifs relevant des personnes publiques (État, collectivités territoriales, établissements publics…).

    Le droit administratif est alors inapplicable aux personnes privées.

§ 2. La naissance du droit administratif

Pour certains auteurs, le droit administratif a toujours existé, dans la mesure où il y a toujours eu des règles qui régissent l’exercice du pouvoir.
Pour d’autres, il n’y a pas de droit administratif tant que l’expression et l’administration moderne n’existent pas. Ils considèrent que le processus qui a conduit à la naissance du droit administratif trouve son origine dans la Révolution française.

En effet, la naissance du droit administratif est le résultat d’un processus en 3 temps :

  1. La loi des 16 et 24 août 1790 marque le début du processus.

    À la fin du 18ème siècle, il y a des tensions extrêmement importantes entre le pouvoir royal et les parlements provinciaux (juridictions de l’époque). Ces derniers refusent de contribuer aux finances royales et rendent des décisions juridictionnelles qui s’opposent au pouvoir royal.

    Lorsque la Révolution se produit, les révolutionnaires tentent de briser les velléités de ces tribunaux. L’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 dispose que :

    Les fonctions judiciaires sont distinctes des fonctions administratives.
    Les juges ne pourront troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs.

    Cette loi pose donc 2 principes :

    1. Un principe de séparation : on sépare la fonction de juger de la fonction d’administrer au sein de l’État.
    1. Un principe d’interdiction : les juges en charge de la fonction de juger ne peuvent pas s’occuper des affaires administratives.

    Il est impossible de saisir une juridiction pour contester une question d’ordre administrative.
    L’administration de cette époque est donc déliée de toute forme de contrôle juridictionnel.

    Ce principe d’interdiction sera réitéré en 1795 dans le décret du 16 fructidor an 3 :

    Défense est faite aux tribunaux de connaître des actes d’administration.

    Un problème se pose alors : s’il n’y a pas de contrôle juridictionnel de l’administration, comment contester un acte de l’administration ? que faire si l’on a un litige avec l’administration ?

    → Il faut s’adresser à l’administration elle-même (avec un taux de réussite assez faible).
    → Théorie du ministre-juge.

    Il n’y a donc pas de droit administratif à cette époque.

  1. La loi du 24 mai 1872 confie au Conseil d’État (qui existe depuis 1799) une nouvelle mission : trancher les litiges administratifs.

    On estime nécessaire que l’administration ait un juge, et on crée donc le juge administratif avec un dualisme fonctionnel.

    Puisque ce dualisme juridictionnel peut engendrer des problèmes de compétence, on crée aussi le Tribunal des conflits.

    Le Conseil d’État est compétent pour trancher un litige dès lors qu’un texte législatif l’affirme explicitement.
    Il est donc dépendant de la compétence que lui attribuent les textes législatifs.
    Il s’émancipe néanmoins rapidement de cette dépendance :

    Dans sa décision Cadot de 1889, le Conseil d’État pose un principe général : il est désormais compétent pour connaître de tout recours contre une décision administrative, sans qu’un texte ne soit nécessaire pour fonder cette compétence.

    Le Conseil d’État revendique ainsi une compétence pleine et entière pour statuer sur tous les litiges administratifs quel que soit le domaine de l’action administrative concernée, qu’un texte lui ait attribué ou non la compétence.
    → Il devient la juridiction de droit commun de l’administration.

  1. La décision Blanco de 1873 marque la naissance du droit administratif.

    Les parents d’une fillette heurtée par un wagonnet près d’une manufacture de tabac forment un recours devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, mais le préfet de Gironde considère que seul le Conseil d’État est compétent parce que cette manufacture relève de l’État.
    Il élève le conflit auprès du Tribunal des conflits.

    Le Tribunal des conflits rend une décision de principe : il considère que les dommages qui sont causés aux particuliers par l’État dans le cadre de l’exercice de ses missions de service public “ne peuvent être régis par les règles du Code civil”, parce que les règles du Code civil régissent uniquement les rapports entre particuliers.
    Ici, il s’agit de rapports entre un particulier et une mission de service public.

    Il ajoute que la responsabilité administrative a “ses règles spéciales qui varient selon les besoins du service”.

    Le Code civil est inapplicable au litige + des règles spéciales s’appliquent au litige ⇒ les litiges d’ordre administratif sont donc soumis à des règles dérogatoires au droit privé.

    → Il est désormais possible d’engager la responsabilité de l’État lorsque celui-ci a causé un dommage.
    Idée : l’État peut mal faire ; on peut obtenir des dommages et intérêts pour ses fautes.

Le droit administratif trouve donc ses origines dans la jurisprudence et non dans un texte.

Quelle est la conception retenue du droit administratif ?
Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement (actuel rapporteur public) affirme que les règles spéciales qu’il convient d’appliquer aux litiges administratifs ont vocation à s’appliquer “dès lors qu’une activité de service public est en cours”.

Pour lui, le droit administratif naissant est plutôt fonctionnel → il s’applique à des activités.
Si on opte pour cette conception fonctionnelle, on peut donc définir le droit administratif comme l’ensemble des règles spéciales applicables aux activités de service public, que ces activités soient prises en charge par des personnes publiques ou par des personnes privées.

Le service public est ainsi la pierre angulaire du service public, parce qu’il détermine :
1- la compétence du juge administratif ;
2- l’application des règles de droit administratif.

§ 3. Les fondements idéologiques du droit administratif

Tout droit repose sur des fondements idéologiques : l’objectivité pure n’existe pas.
Le droit administratif repose sur 2 fondements idéologiques :

A – Le service public

Idée : une société ne peut pas exister et fonctionner sans cohésion sociale.
L’État prend en charge des missions considérées comme d’intérêt général – considérées comme nécessaires à la cohésion sociale à un moment donné dans une société donnée.
On appelle ces missions des services publics.

Il y a des services publics qui sont immuables (l’éducation, la défense, la diplomatie) et d’autres qui sont évolutifs (la production de tabac, la protection de l’environnement…).
Le service public en tant que fondement idéologique n’est pas neutre politiquement, puisqu’il reflète aussi les valeurs dominantes du moment.

Si l’on fait évoluer la sphère des services publics, on rétrécit ou on augmente le champ applicable au droit administratif.

B – La puissance publique

L’action des personnes publiques ne se réduit pas à la prestation de services publics : c’est aussi une action qui peut/doit être autoritaire.

La puissance publique désigne toutes les prérogatives dont disposent les personnes publiques que n’ont pas les personnes privées pour permettre à l’administration de réaliser ses prestations de service public.
Exemple : lever des impôts, édicter la monnaie, exercer la contrainte, faire usage d’une arme, …

Les personnes publiques peuvent édicter ce qu’on appelle des actes administratifs unilatéraux : actes élaborés sans notre consentement, qui nous sont applicables de manière obligatoire.

§ 4. Les caractéristiques du droit administratif

Le droit administratif est un droit autonome, jurisprudentiel et d’équilibre.

A – Un droit autonome

Le droit administratif est dans une situation d’autonomie par rapport aux autres branches du droit, parce qu’il n’entretient aucune relation avec ces autres branches (il n’en dépend pas, il ne les complète pas).

Cette autonomie est la plus remarquable vis-à-vis du droit privé.
Elle vient de la décision Blanco, qui fait référence aux “règles spéciales”.
Ces règles sont spéciales dans la mesure où elles sont dérogatoires au droit commun → ne sont pas les règles du droit privé.

On constate aussi une autonomie au sein même du droit : le droit administratif est une branche du droit public, mais chacune de ces branches ont leurs propres règles et sont autonomes les unes des autres.
On constate néanmoins dans les dernières années une influence accrue exercée par les unes à l’égard des autres ; le droit européen a pris une telle importance qu’elle influence le droit administratif (internationalisation).

Le droit administratif a aussi des bases constitutionnelles.
La création de la QPC en 2008 a rapproché le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, puisque le Conseil d’État est chargé de transmettre ou non les QPC dont il est saisi.
Le Conseil constitutionnel est ainsi devenu un acteur du procès du juge administratif.

B – Un droit jurisprudentiel

On parle parfois de droit prétorien.

Le droit administratif est un droit qui est pour l’essentiel composé par la jurisprudence (décisions de principe du Conseil d’État / du Tribunal des conflits), à l’inverse de la plupart des branches du droit qui sont fondées sur des règles de droit écrit.

Pourquoi ?
Parce que le droit administratif est né d’une décision du Tribunal des conflits et non de la volonté du législateur, au termine d’un processus long et en plusieurs étapes.

Les choses ont néanmoins évolué : les textes ont pris davantage de place en droit administratif, alors qu’ils étaient auparavant majoritairement inexistants, en raison d’une multiplication des textes susceptibles d’intéresser l’administration et les services publics : traités internationaux, directives européennes, Constitution, certaines lois…

L’ordonnance du 23 octobre 2015 crée le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui régit les “règles applicables aux relations que peuvent avoir le public [les personnes morales et physiques] avec l’administration”.

C – Un droit d’équilibre

Le droit administratif est un droit d’équilibre, parce qu’il tente de trouver le bon équilibre entre la nécessité pour l’administration d’avoir des pouvoirs étendus et la nécessité d’offrir des garanties aux personnes quand elles sont en relation avec l’administration.

Au début du 20ème siècle, le droit administratif incarne un droit qui protège les prérogatives exorbitantes de l’administration, plus que les droits des citoyens.
Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de droits.

Le juge administratif, sur le fondement des règles de droit administratif, a dû trouver un équilibre entre les nécessités d’ordre public / de santé / de police / … et l’exercice de nos libertés fondamentales (individuelles ou collectives), qui ont souvent un rang constitutionnel.

Ce cours a pour objectif de répondre à 3 questions découlant de ces 3 caractéristiques :

  1. le droit administratif est-il toujours autonome ?
  1. le droit administratif est-il toujours jurisprudentiel ?
  1. quel est l’équilibre contemporain trouvé par le droit administratif ?

Portée de l’arrêt Sacilor Lormines contre France (CEDH, 2006)

Dans sa décision Sacilor Lormines c/ France du 9 novembre 2006, la CEDH affirme, à l’égard du Conseil d’État français, que le dualisme statutaire n’est pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, à la condition qu’une même personne ne participe pas à la rédaction d’une norme puis participe au jugement.

Le dualisme statutaire est le fait que le Conseil d’État conseille le gouvernement et juge les justiciables.

Le Conseil d’État a tiré les conséquences de cette décision : le décret du 6 mars 2008 a :

  • séparé encore davantage les formations de conseil des formations de jugement ;
  • posé le principe selon lequel un membre du Conseil d’État qui a participé au délibéré relatif à un avis concernant une norme ne peut pas participer à la formation de jugement d’un recours dirigé contre la norme en question ;
  • permis au requérant de s’assurer du respect de ce principe en demandant la liste des membres composant la formation ayant rédigé l’avis sur l’acte attaqué.

Cliquer ici pour lire la décision Sacilor Lormines contre France.
Cliquer ici pour lire la note d’informations sur l’arrêt, rédigée par la CEDH.