Chapitre 3 : Le secteur public

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de Droit public des affaires (L3).

Ce thème a été marqué par une forte actualité, notamment en 2023.
Le débat entourant la nationalisation d'EDF en est un bon exemple.

Historiquement, on fait remonter le secteur public à l'Ancien Régime, avec les manufactures royales sous le colbertisme telles que la tapisserie des Gobelins.
À l'époque, on ne parle ni d'entreprise publique ni de secteur public : ces termes n'apparaissent qu'après la Seconde Guerre mondiale.

La construction d'un grand secteur public en France repose de longue date sur certains facteurs convergents :

  1. Des facteurs économiques : l'État intervient pour pallier les défaillances de marché.
    Il intervient pour prendre en charge des investissements que le marché ne peut pas fournir lui-même, parce que leur rentabilité est incertaine / indirecte.
    Objectif : s'assurer que les biens et services sont fournis à toute la collectivité, dans des conditions abordables et non discriminatoires.
    Exemple de défaillance de marché : les monopoles naturels pour les grandes infrastructures en réseau (voies ferrées, télécommunications…).
  1. Des facteurs historiques : en 1945, la reconstruction du pays passe par l'entreprise publique, avec des grandes vagues de nationalisation.
  1. Des facteurs politiques : le secteur public permet à l'État de jouer son rôle de stratège.
    Il permet aussi à l'État de jouer un rôle de modèle / de vitrine de ce qu'il est souhaitable de faire. Par exemple, pendant les Trente Glorieuses, l'entreprise Renault a été considérée comme une vitrine sociale.

À partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les entreprises publiques ont été l'un des instruments de l'action économique de l'État.

Un véritable renversement s'est produit à la fin du 20ème siècle, sous l'effet des idées libérales et du développement de l'économie de marché.
Dans les années 1990-2000, la question est ouvertement posée : y a-t-il un avenir pour les entreprises publiques ?

Ce mouvement de remise en cause du secteur public vient de plusieurs facteurs :

  • Des facteurs idéologiques :
    Dès les années 1970, les théories libérales de la bonne gestion publique s'immiscent dans tout le droit administratif.
    L'idée du new public management pousse l'État à s'aligner sur le modèle de l'entreprise privée.
  • La construction européenne :
    L'UE traque les privilèges, pousse à l'alignement des entreprises publiques sur l'entreprise privée, cherche l'égale concurrence entre elles… Elle est à l'origine de la transformation des EPIC en sociétés.
  • Des vagues de privatisation, qui ont réduit le périmètre du secteur public.
  • La réalisation que les différentes fonctions de l'État dans l'économie peuvent être assurées par d'autres voies que la propriété d'entreprises publiques.
    Exemples : conclusion de contrats de service public, participation publique minoritaire au sein d'entreprises du secteur privé…

Il y a encore des entreprises publiques aujourd'hui qui ont une importance considérable, dans les secteurs de l'énergie, des transports, de l'audiovisuel, de la défense…
Cela montre que le secteur public subsiste, mais qu'il est recentré sur sa raison d'être, avec des entreprises assurant des missions de service public, qui présentent certaines spécificités comme les industries de la défense, ou qui interviennent dans des domaines structurants de l'économie (transports, communications, énergie).

Surtout, quand on étudie la question de la pérennité du secteur public aujourd'hui, on réalise que l'entreprise publique locale connaît un développement important ; mais ce point ne sera pas étudié dans ce cours.

En France, 3 institutions exercent les fonctions de l'État actionnaire :

  1. L'Agence des participations de l'État (APE), rattachée au ministre de l'Économie, est créée en 2004 ;
    83 entités entrent dans son champ de compétence, qui peuvent être des entreprises publiques, mais aussi des entreprises où la participation de l'État est minoritaire.
  1. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) assure un rôle d'investisseur institutionnel dans plus de 900 entreprises (principalement des sociétés cotées).
  1. Le groupe BPI assure un rôle d'investisseur minoritaire dans les petites et très petites entreprises (PME et TPE).

Section 1 : La notion de secteur public

Le secteur public est traditionnellement composé d'opérateurs publics, qui est un terme plus moderne que celui d'entreprise publique.
Un opérateur public se définit par 3 éléments : c'est un structure qui bénéficie d'une autonomie (I), qui exerce une activité économique (II) et qui est soumise à l'influence prépondérante d'une personne publique (III).

§ 1. L’autonomie

Quand on pense "autonomie", on pense souvent personnalité juridique ; mais il faut faire attention à bien distinguer les 2 notions.
Une structure peut être autonome sans avoir la personnalité juridique.

En droit de l'Union européenne, la CJUE a opté pour une approche fonctionnelle et extensive de cette notion d'entreprise.
Pour le juge de l'Union, dès lors qu'une entité exerce une activité économique, elle est qualifiée d'entreprise, peu importe qu'elle ait la personnalité juridique ou non.

En droit français, la personnalité juridique est un critère pour identifier une entreprise publique.
Toutefois, des structures sans personnalité morale ont été considérées comme des opérateurs économiques pour l'application du droit de la concurrence ou du droit des marchés publics.

On peut donc retenir une définition de l'opérateur public fondée sur une simple autonomie, au moins budgétaire.

Exemple : les journaux officiels sont un service autonome qui fournit des biens et services mais qui n'ont pas de personnalité juridique.

§ 2. L’activité économique

Cette notion d'activité économique doit être comprise au sens large.
L'approche est différente en droit interne et en droit de l’Union européenne.

A – En droit de l’Union européenne

1) Contours de la notion

Le droit de l'UE définit l'entreprise comme "toute entité qui exerce une activité économique indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement" (CJCE, 1991, Höfner et Elser).

Toute la question est donc de savoir ce qu'est une activité économique.
CJCE, 1998, Commission contre République italienne :
L'activité économique renvoie à une "offre de biens ou de services sur un marché".

Le fait que l'organise poursuive ou non une activité à but lucratif importe peu (CJCE, 1995, FFSA).

Le droit de l'UE retient ainsi une approche fonctionnelle et extensive de cette notion d'activité économique, dans l'objectif de sanctionner largement toutes les atteintes au marché.


2) Exclusions : les activités non économiques

Malgré tout, le droit de l'UE connaît des exclusions : certaines activités sont qualifiées d'activités non économiques.
La jurisprudence a ainsi identifié 2 types d'activité soustraites à l'application du droit du marché :

  1. Les activités de puissance publique
    CJCE, 1994, Eurocontrol :
    Les prérogatives de contrôle et de police de l'espace aérien ont été considérées comme des prérogatives de puissance publique → l’entreprise qui les détient n'exerce pas une activité économique.

    Exemple d'application : CJCE, 1997, Diego Cali :
    Une activité de surveillance antipollution dans un port pétrolier, exercée par une entité privée sur habilitation publique, a été considérée comme n'étant pas une activité économique.

  1. Les activités exclusivement sociales (CJCE, 1993, Poucet et Pistre).
    Par exemple, les organismes chargés de la gestion de certains régimes obligatoires de sécurité sociale fondés sur le principe de solidarité.

B – En droit français

1) Contours

Le problème, c’est que le Conseil d'État a développé une approche plus restrictive de la notion d'activité économique.
En droit français, l'activité économique renvoie à l'exercice d'une activité industrielle et commerciale.

Pour le Conseil d'État, une entreprise publique n'est pas un SPIC :

  • Une entreprise publique peut ne pas gérer un SPIC ;
    Exemple : Renault était une entreprise publique qui avait une activité de production et de commercialisation de voitures et ne gérait donc pas un SP.
  • Un SPIC peut ne pas être géré par une entreprise publique ;
    La délégation de service public peut déléguer la gestion d'un SP à une entreprise privée qui n'a rien à voir avec le secteur public.
  • Un établissement public chargé d'un service public administratif (SPA) peut être considéré comme exerçant une activité économique.

Ainsi, la notion d'activité économique ne se résume pas à celle de service public industriel et commercial : elle est beaucoup plus large.


2) Exclusions

En droit français, les exclusions sont beaucoup plus larges que celles admises en droit de l'Union européenne ; par exemple :

  • Les activités sociales ne sont pas des activités économiques (Conseil d'État (avis), 2003, Fondation Jean Moulin) ;
  • Les activités artistiques ne sont pas des activités économiques (Conseil d'État, 2007, Commune d'Aix-en-Provence) ;
  • Les activités concourant au respect des missions essentielles de l'État ne sont pas des activités économiques (Conseil d'État, 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris).

§ 3. L’influence publique

2 critères sont en concurrence pour établir l'influence publique :

A – Le critère capitaliste

Le critère capitaliste veut qu'un organisme est public lorsqu'une ou plusieurs personnes publiques détient plus de la majorité de son capital.

Conseil d’État, 22 décembre 1982, CCE de la SFENA :
Une entreprise dont le capital est majoritairement détenu par des personnes publiques est une entreprise publique.

B – Le critère de l’influence dominante

Cet autre critère est parfois utilisé pour l'application de certains textes spéciaux.
Ces textes spéciaux distinguent en général 3 critères alternatifs pour qu'une influence dominante soit reconnue sur l'entreprise :

  1. Le critère capitalistique : le capital est majoritairement détenu par une ou plusieurs personnes publiques.
  1. Le critère décisionnel : la personne publique détient la majorité des droits de vote au sein de l'entité.
  1. Le critère organique : la personne publique peut désigner la majorité des membres des organes de direction de l'entité.

Exemple : article L1212-2 du Code de la commande publique.

Ce cours se concentrera sur le critère capitalistique, dont on déduit que lorsqu'une entreprise bascule du secteur public au secteur privé lorsque son capital n'est plus majoritairement public.

Section 2 : Les composantes du secteur public national

Par le biais des entreprises publiques, l'État, autorité régalienne par excellence, se fait acteur sur un marché économique.

On parle d'État actionnaire pour désigner les situations où il est :
> Actionnaire au sens strict (détenteur d'actions dans le capital de sociétés) ;
> Propriétaire d'entreprises sous forme d'établissements publics.

§ 1. Quelques réflexions sur le thème de l’État actionnaire

L'expression État actionnaire semble paradoxale :

  • En droit des sociétés, un actionnaire est un propriétaire d'actions qui représente une fraction du capital d'une société à laquelle sont attachés des droits et obligations ;
  • L'État est une personne morale de droit public souveraine qui poursuit des finalités d'intérêt général.

Du point de vue de l'État, l'actionnariat n'est pas qu'un placement, mais aussi un moyen d'intervention économique, qui traduit une volonté de contrôler les orientations de l'entreprise.
La CJUE a admis à plusieurs reprises que les Etats membres de l'Union pouvaient utiliser les entreprises, notamment du secteur public, comme instruments de politique économique (CJCE, 1991, France c/ Commission)

Les relations entre l'État et ses entreprises publiques ont fait l'objet d'un certain nombre de rapports plus ou moins critiques.
Cela fait longtemps que l'État s'attire les foudres d'institutions, comme la Cour des comptes, à propos des relations qu'il entretient avec ses entreprises publiques.
Le 1er rapport portant sur la gestion des entreprises est le rapport Simon Nora de 1967.
Depuis ce rapport Nora de 1967, on a multiplié les rapports, livres blancs, lignes directrices… pour proposer des pistes d'amélioration des rapports entre l'État et les entreprises publiques.

Aujourd'hui, les rapports les plus récents formulent certaines propositions, et notamment :

  1. Séparer les différentes fonctions de l'État (règlementation, régulation, stratégie) pour que l'État actionnaire se concentre sur la performance de l'entreprise publique.
  1. Améliorer la gouvernance des entreprises publiques.
    Suppression de la tutelle, nomination transparente des membres du conseil d'administration, audits…

Problème : on assiste à 2 choses contradictoires au sein des entreprises publiques :
> soit à des ingérences politiques indues (exemple : dispositif de l'AREHN) ;
> soit à un désintérêt de la part de l'État.

Toutes ces propositions traduisent la recherche d'un équilibre entre le fait qu’on est face à une entreprise, mais qu'il s'agit d'une entreprise publique dotée d'un actionnariat public majoritaire.

Cependant, ces propositions sont loin d'être suivies, et les entreprises publiques subissent la pression du droit de l'Union européenne qui est un puissant facteur de leur remise en cause.
On constate peu à peu que le modèle européen est en train de se substituer au modèle français.

§ 2. Le déclin des formes juridiques de droit public

De moins en moins d'entreprises publiques sont gérées sous forme de régie (A) ou d'établissement public (B).

A – La régie

La régie consiste pour l'Etat à gérer directement une activité économique via une structure qui n'a pas la personnalité juridique mais qui a une autonomie financière (= un budget propre).

Les régies peuvent être considérées comme des entreprises publiques ; mais ce mode de fonctionnement est aujourd'hui en déclin.

Exemples : l'INSEE, le Journal Officiel…

B – L’établissement public

L’établissement public a sa propre personnalité juridique de droit public, même s'il reste rattaché à l'État. En matière économique, on utilise notamment l'EPIC.

Pendant longtemps, l'EPIC a été le mode classique de gestion des activités économiques par les personnes publiques.

1) L'extinction progressive d'une forme classique

On observe de plus en plus une tendance à la sociétisation des EPIC, c'est-à-dire à leur transformation en société anonyme.
Ce mouvement a touché France Telecom en 1996, EDF en 2004, Aéroports de Paris en 2005, la SNCF en 2020…

Cela signifie que l'on passe d'une forme juridique de droit public (l'EPIC) à une forme juridique de droit privé (la société anonyme).
On parle parfois de privatisation du statut juridique.

⚠️
Il ne faut pas confondre la privatisation du statut juridique (une personne morale de droit public est transformée en personne morale de droit privé) avec la privatisation du capital (le capital d'une entreprise anciennement majoritairement publique est transférée au secteur privé).

2) Les raisons de la sociétisation des EPIC

On distingue plusieurs raisons :

  • Le principe de spécialité des EPIC limite strictement l'activité des établissements à l'objet qui lui a été attribué par le texte constitutif.
    Cet objet est souvent imprégné de considérations d'intérêt général, de service public… → il répond à une logique bien différente de l'objet social des sociétés privées.

    Le CE a admis que les EPIC puissent diversifier leurs activités dans un avis EDF-GDF du 7 juillet 1994.

  • La lourdeur de la tutelle exercée par l'État ;
  • L'absence de capital social limite la possibilité de mener certaines opérations capitalistiques telles que l'augmentation de fonds propres.

Le facteur prépondérant reste le droit de l'Union européenne.
On a pu écrire que, sous la contrainte européenne, l'EPIC était condamné.

⚠️ Le droit de l'UE n'interdit pas l'existence d'entreprises publiques.
L'article 345 du TFUE dispose que "Les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres" et pose donc un principe de neutralité du droit de l'UE à l'égard de la propriété des États membres.
Cet article est interprété comme offrant un fondement juridique à la régularité de la présence d'opérateurs publics sur le marché.

Le problème porte sur les modalités de fonctionnement des entreprises publiques : le principe de neutralité consacré par le TFUE implique en effet une banalisation des comportements des entreprises publiques.
De ce point de vue, la personnalité publique de l'EPIC pose problème.
L'EPIC est une entreprise publique qui a la personnalité morale de droit public ; c'est cette forme juridique qui pose problème du point de vue de l'UE.

La CJUE s'est prononcée dans un arrêt important :
CJUE, 2014, La Poste :
Dans un raisonnement en 2 temps, la CJUE considère que le statut français d'EPIC :

  1. Fait nécessairement naître une garantie implicite et illimitée de l'État au profit des ses établissements ;

    La Cour se fonde sur un faisceau d'indices. Par exemple, les EPIC français échappent aux procédures collectives de droit privé, aux possibilités de mise en faillite, aux risques d'insolvabilité… grâce au principe d'insaisissabilité des biens publics et au fait que l'État se porte ultime garant de leurs dettes.

    Les EPIC bénéficient donc de conditions qui ne correspondent pas à celles du marché. Ces conditions avantageuses sont de nature à leur conférer des avantages (par exemple, un accès facilité au crédit) qu'ils n'auraient pas dans des conditions normales de marché.

  1. Cette garantie est présumée constituer une aide d'État, illégale parce qu'elle n'a pas été notifiée à la Commission.
    De plus, en raison de son caractère illimité, cette garantie est certainement incompatible avec le respect d'une concurrence libre et non faussée.

Cette position a été confirmée dans la décision CJUE, 2018, Institut français du pétrole (IFP).

Dans ce contexte, le statut d'EPIC semble condamné à disparaître.
La solution est de transformer l'EPIC en société (→ privatisation du statut juridique).

Toutefois, cette transformation en société pourrait ne pas suffire.
On peut s'inquiéter de certains choix faits par le législateur, qui a institué des statuts très protecteurs au profit des sociétés succédant à l'EPIC.
La sociétisation des EPIC ne fait pas disparaître les paradoxes de l'entreprise publique ni la suspicion de l'UE à leur égard.


3) Le maintien de régimes protecteurs au profit de la société succédant à l'EPIC

La transformation d'un EPIC en société met fin à l'application du régime de la domanialité publique, attachée à la personne morale de droit public.

Bien souvent, la SA reste chargée d'une mission de service public. Des régimes particuliers de protection des biens de la nouvelle société ont donc parfois été institués pour assurer le respect du principe de continuité du service public.

Exemple : la SNCF a été transformée en société anonyme par une loi du 27 juin 2018. Cela a fait disparaître le régime de la propriété publique auparavant attachée à la personnalité publique de l'entreprise. Malgré tout, le législateur a prévu que l'État pouvait s'opposer à certaines opérations de cession, ou encore que certains biens demeuraient insaisissables – alors même que c'était ce qui posait problème au regard du droit de l'UE !

Exemple : la loi PACTE prévoyait la privatisation du capital d'Aéroports de Paris, mais aussi un régime très protecteur de ses biens.
Finalement, ADP n'a pas été privatisée, mais l'examen de cette loi témoigne de la perméabilité des frontières entre le secteur public et le secteur privé.

§ 3. L’évolution des prises de participation publiques

A – La “respiration” du secteur public

Cette expression de Lucien Rapp renvoie au décloisonnement du secteur public, mais sans transfert au secteur privé (→ l'entreprise ne sort pas du secteur public).
On peut en donner 2 illustrations :

1) Les filialisations

La filialisation est un phénomène naturel de la vie des affaires, qui permet à une entreprise de diversifier, de nouer des alliances (par le biais de filiales communes), d'isoler la gestion de certaines activités, de s'implanter à l'étranger…
Elle apporte une certaine souplesse de gestion et fait naître le phénomène des groupes publics.

La filiale d'une entreprise publique est une société de droit privé relevant du secteur public, distincte de l'entreprise publique mère par son statut et son activité, mais contrôlée par elle.

Le courant libéral y voit une nationalisation rampante, à cause de l'extension du rayon d'action des entreprises publiques sur des activités autrefois laissées à l'initiative privée.
Un rapport sénatorial de 1976 parlait de "nationalisation silencieuse" : on a l'impression que le secteur public s'immisce insidieusement dans le secteur privé, sans nationalisation à proprement parler.

En réalité, la filialisation ne peut pas s'analyser en des termes aussi tranchés.
C'est un phénomène naturel du monde des affaires : la filialisation est une méthode de gestion des groupes industriels que les groupes publics ne peuvent pas écarter.


2) La cession des participations publiques

L'ouverture du capital des entreprises publiques à des prises de participation privées minoritaires est un autre mouvement, qui marque un regain d'intérêt pour l'économie mixte au niveau national.
C'est une forme de partenariat entre le public et le privé qui se met en place.
Cette technique est encadrée par une ordonnance du 20 août 2014.

Pendant longtemps, on s'est intéressés uniquement à cette respiration.

B – La société publique minoritaire

Quand on parle d'actionnariat public, on pense souvent à l'actionnariat public majoritaire (l'État a plus de la moitié du capital et l'entreprise appartient au secteur public).
Mais on assiste aujourd'hui au développement d'un actionnariat public minoritaire.
On s'est rendus compte qu'il suffit qu'un actionnaire ne détienne qu'une partie de l'entreprise pour pouvoir la diriger.

Il y a énormément de sociétés publiques minoritaires (Airbus, Engie, Safran, Orange, La Poste…).
On distingue 3 raisons :

  1. État héritier : Il peut s'agir de l'héritage d'une ancienne entreprise publique dont l'État n'arrive pas à se débarrasser.
    Exemple : Renault.
  1. État sauveteur : la prise de participation est un investissement de l'État.
    Exemple : pendant la crise financière de 2008, l'État est venu injecter des capitaux dans un certain nombre de banques.
  1. État investisseur.

Sébastien Bernard : "l’État actionnaire minoritaire illustre le passage de la figure de l'État propriétaire à la figure de l'État partenaire".
L'actionnariat publique minoritaire est une forme de régulation : pour la puissance publique, prendre un capital minoritaire dans une entreprise privée est un moyen d'aider l'entreprise à se stabiliser dans un secteur.

Section 3 : Le périmètre du secteur public

La frontière entre secteur public et secteur privé est mouvante : elle se déplace au gré des privatisations et nationalisations.

§ 1. La réduction du secteur public : la privatisation

Pourquoi privatiser les entreprises publiques ?
On peut citer 4 raisons :

  1. Pour des raisons financières : en privatisant, l'État réalise des recettes ; mais ces recettes ne se réalisent qu'une seule fois.
    Une privatisation permet parfois à l'État de réaliser des économies ; par exemple, il n'est plus obligé de verser des contributions d'équilibre aux entreprises publiques déficitaires.

    Autorité de la concurrence, avis du 18 septembre 2014 :
    Dénonce la "rente" des sociétés concessionnaires d'autoroute.

  1. Pour des raisons économiques : du point de vue de l'entreprise privée, la privatisation permet de réaliser certaines opérations capitalistiques et simplifie la conclusion d'accords → facilite la progression de l'entreprise sur le marché concurrentiel.
  1. Pour des raisons juridiques : juridiquement, le droit de l'Union européenne exerce une forte influence sur les privatisations ; en dépit du principe de neutralité de l'article 345 du TFUE, les entreprises publiques sont très surveillées par le droit de l'UE.
  1. Pour des raisons politiques : les gouvernements de droite tendent à privatiser plus souvent, parce que la privatisation correspond à une volonté de désengagement de l'État de l'économie.
    Une vague importante de privatisation a daté de 1986.
    Mais attention à ne pas surestimer le poids de ces raisons politiques : des gouvernements de gauche s'engouffrent parfois eux aussi dans la voie de la privatisation.

A – La notion de privatisation

Cette notion est extrêmement liée aux critères capitalistiques étudiés précédemment.
La privatisation correspond au transfert au secteur privé de la propriété d'une entreprise qui appartenait auparavant au secteur public, c’est-à-dire une opération qui consiste à transférer au secteur privé plus de 50% du capital de l'entreprise.

La privatisation peut prendre des formes très variées : fusion, dissolution…

B – Les limites aux privatisations

La Constitution limite les privatisations. En effet, l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 dispose que :

"Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité".

Cet article est interprété comme un principe de non privatisation.
Cet alinéa dit littéralement que 2 activités ne peuvent pas être privatisées :
1- les services publics nationaux ;
2- les monopoles de fait.

En réalité, cet alinéa 9 n'est même pas une vraie limite aux privatisations.
Non seulement il n'a jamais obligé le législateur à nationaliser, mais en plus il ne forme pas un obstacle réel aux privatisations.

1) Le service public national

a) Notion

L'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 ne définit pas la notion de service public national.
C'est donc le juge constitutionnel qui s'y est attelé :

Conseil constitutionnel, 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social :
Inclut 2 composantes dans le service public national :

  1. Les services publics constitutionnels : les services publics dont l'existence, la nécessité et le fonctionnement découle de la Constitution elle-même.

    Pour l'instant, le Conseil constitutionnel n'a pas donné d'exemples précis.
    On peut considérer que cela renvoie aux fonctions de souveraineté : défense, justice, police…

  1. Les activités érigées en services publics nationaux par le législateur ou l'autorité règlementaire.

    À l'origine, cela renvoyait à 3 critères, puis un 4ème a été ajouté :

    1. Une intervention du législateur ou du pouvoir règlementaire qui qualifie l'activité de service public national ;
    1. L'activité doit être qualifiable de service public (Conseil d’État, 27 septembre 2006, Bayrou) ;
    1. L'activité doit être exercée à l'échelon national (Conseil d’État, 27 septembre 2006, Bayrou).

    Exemple : Conseil d’État, 14 juin 2018, Avis FDJ et ADP :
    Considère que la FDJ n'est pas investie d'une mission de service public, le 2ème critère n'étant pas remplie, elle ne pouvait donc pas être un service public national.
    Considère qu'ADP exploite des aéroports importants mais tous situés en région parisienne, le 3ème critère est donc manquant → ADP n'est pas un service public national.

    4ème critère : critère organique :
    Conseil constitutionnel, 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie :
    Il faut que l'activité soit confiée à une seule entreprise. Une activité organisée au niveau national mais confiée à plusieurs entreprises ne peut pas être qualifiée de service public national.

b) Régime

Il faut distinguer :

  1. Un service public constitutionnel n'est pas privatisable (Conseil constitutionnel, 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie).
  1. Pour les activités érigées en services publics nationaux par le législateur ou l'autorité règlementaire, il y a eu une évolution de leur régime :
    • Conseil constitutionnel, 23 juillet 1996, France Telecom :
      Le Conseil constitutionnel change sa position : si le législateur entend privatiser un service public national qu'il a créé, il doit auparavant le priver de ses caractéristiques de service public national.

2) Le monopole de fait

Conseil constitutionnel, 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social :
Le Conseil constitutionnel retient une définition extrêmement restrictive.
La notion de monopole de fait doit "s'entendre compte tenu de l'ensemble du marché à l'intérieur duquel s'exerce les activités des entreprises ainsi que de la concurrence qu'elles affrontent dans ce marché de la part de l'ensemble des autres entreprises".

Exemple : Conseil constitutionnel, 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie : analyse détaillée, activité par activité, des activités de GDF pour constater qu'il ne détient pas un monopole de fait.


3) Exemple : Aéroports de Paris

Conseil constitutionnel, 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises :
Pour Aéroports de Paris, écarte la qualification :
> de monopole de fait (activité régionale + existence d'une concurrence) ;
> de service public national (aucune loi ne qualifie ADP de service public national + sa nécessité ne découle pas de principes constitutionnels (décision du 9 mai 2019)).

Ces limites sont donc ineffectives : elles n'ont jamais permis de s'opposer à une privatisation.

Sur cette décision de 2019, certains auteurs, comme Thomas Perroud, ont considéré qu'il était parfaitement possible de considérer qu'ADP constituait un monopole de fait.
En effet, ADP est en monopole sur le marché des installations aéroportuaires utilisées pour les transports aériens en provenance et à destination de l'Île de France. ADP n'a aucun concurrent sur un rayon de 300 kilomètres !

➡️
En conclusion, l'invocation de ces 2 grandes notions semble demeurer illusoire.
Le Conseil constitutionnel a neutralisé la portée de cette disposition.

C – Le régime juridique de la privatisation

1) Procédure

a) L’autorité compétente

L'article 34 de la Constitution indique que "La loi fixe les règles concernant […] les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé".

Conseil constitutionnel, 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social :
Le Conseil constitutionnel vient toutefois indiquer que cet article n'impose pas que toute opération de privatisation (= impliquant un transfert de propriété du secteur public au secteur privé) soit directement décidée par le législateur.
Certaines privatisations peuvent ainsi être autorisées par l'administration.

La compétence du législateur est obligatoire dans 2 cas pour procéder à une privatisation.
On retrouve ces 2 cas dans une importante ordonnance du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique, qui régit le régime juridique des privatisations :

  1. Le législateur est compétent lorsque la société est entrée dans le secteur public en application d'une disposition législative.
    C'est une simple question de parallélisme des compétences : une loi peut faire sortir du secteur public une entreprise qui y est rentrée en vertu d'une loi.
  1. Le législateur est compétent lorsque l'État détient directement, depuis plus de 5 ans, plus de la moitié du capital de la société et que :
    > soit l'effectif est supérieur à 500 personnes
    > soit le chiffre d’affaires est supérieur à 75 millions d'euros.
    On appelle ces entreprises des "entreprises de premier rang". Pour celles-ci, c'est le législateur qui est habilité à autoriser leur transfert au secteur privé.

Attention : le législateur autorise la privatisation, mais elle ne deviendra effective qu'après l'édiction d'un décret, qui vient décider du transfert et en fixer les modalités.
C'est donc à une double compétence législative et règlementaire qu'obéit la privatisation des entreprises de premier rang.

Pour les entreprises de second rang, c'est-à-dire celles qui n'entrent pas dans les critères exposés précédemment, la privatisation relève du pouvoir règlementaire.

b) L’évaluation de la valeur des entreprises à privatiser

Conseil constitutionnel, 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social :
Le Conseil constitutionnel pose le principe d'incessibilité à vil prix.
Ce principe implique une vigilance particulière lors de la fixation du prix de transfert de l'entreprise.

Comment garantir l'absence de cession à vil prix ?
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel fixe plusieurs règles méthodologiques qui figurent aujourd'hui dans l'ordonnance du 20 août 2014.

D'abord, l'entreprise à privatiser est évaluée par une autorité indépendante des éventuels acquéreurs. Ensuite, l'autorité chargée de privatiser fixe un prix qui ne peut pas être inférieur à l'évaluation réalisée.

Selon la taille de l'entreprise concernée, cette évaluation est réalisée :
> soit par la Commission des participations et des transferts ;
> soit par des experts indépendants (experts-comptables, commissaires aux comptes…).


2) L’opération de transfert

Il existe 2 procédures concurrentes pour réaliser une opération de privatisation :

  1. La procédure de cession sur le marché financier : un offre publique de vente ou une offre publique d'échange.
    Ici, l'État doit respecter les procédures de droit commun et l’égalité entre les acquéreurs potentiels.
    Illustration : dans le cadre de la privatisation de la FDJ, l'offre publique de vente a connu un succès populaire très important, puisque 500 000 particuliers ont participé à cette opération.
  1. La procédure de cession hors marché (cession de gré à gré).
    Dans cette hypothèse, les actions sont proposées à des actionnaires choisis par le ministre de l'Économie après avis conforme de la Commission des participations et des transferts. Cette procédure permet à l'État de choisir de manière plus précise l'acquéreur.

    Attention : il y a quand même des règles à respecter → processus de sélection précis et formalisé.
    💡 La cession hors marché était la procédure envisagée pour procéder à la privatisation d'Aéroports de Paris.


3) La permanence d’instruments de contrôle de l’État sur les entreprises privatisées

Comment l'État réussit-il à sauvegarder certains intérêts fondamentaux qui peuvent être mis en jeu même dans une entreprise privatisée ?

Les textes relatifs aux opérations de privatisation prévoient que toute opération de privatisation du capital d'une entreprise s'accompagnent des "garanties nécessaires à la préservation des intérêts essentiels de la Nation".
Cette idée est instituée dès 1986 ; on la retrouve aujourd'hui inscrite à l'article 21-1 de l'ordonnance du 20 août 2014.

Idée : l'État devient certes actionnaire minoritaire, mais il n'abandonne pas pour autant ses prérogatives de puissance publique.
Michel Bazex, professeur de droit public, a écrit que la privatisation serait le "stade suprême de l'interventionnisme économique" (ce qui est tout à fait paradoxal !).

a) Les instruments du droit des sociétés : action spécifique et droits de vote double

On peut citer 2 mécanismes issus du droit des sociétés : l'action spécifique et le droit de vote double.

1er instrument : l'action spécifique (golden share)

La création d'une action spécifique était prévue à l'origine par une loi du 6 août 1986.
L'action spécifique confère des prérogatives exorbitantes à l'État actionnaire.
Ces prérogatives exorbitantes contribuent à maintenir l'entreprise privatisée dans une catégorie à mi chemin entre le secteur privé et le secteur public.

Aujourd'hui, l'action spécifique est régie par l'article 31-1 de l'ordonnance du 20 août 2014.
Il s'agit, à l'occasion d'une privatisation, de transformer par décret une action de l'État en une action spécifique, à laquelle sont attachées des prérogatives exorbitantes du droit commun.

Il s'agit par exemple :

  • de l'agréement préalable que devra donner le ministre de l'Économie pour le franchissement d'un seuil de capital ou d'un seuil des droits de vote ;
  • de la nomination de représentants de l'État au conseil d'administration ou de surveillance ;
  • de la faculté de s'opposer à certaines décisions de cession d'actif qui sont de nature à porter atteinte aux intérêts nationaux.

Aujourd'hui, on trouve par exemple une action spécifique instituée au sein d'entreprises comme Thalès, Engie…

Ce dispositif de l'action spécifique a été révisé en 2015 par la loi Macron et a encore fait l'objet d'une révision avec la loi PACTE de 2019, dans le sens d'un renforcement des droits du détenteur de l'action spécifique.
Il s'agit de faire de l'action spécifique un instrument de politique économique aux mains de l'État.

Problème : ce dispositif est susceptible de heurter le droit de l'Union européenne.
Au regard du droit de l'UE, l'institution d'une action spécifique est susceptible de heurter la libre circulation des capitaux, protégée par l'article 63 du TFUE.

Le point de départ, c'est que la détention d'actions au sein d'une entreprise et l'acquisition de titres sur le marché de capitaux constituent des mouvements de capitaux.
L'institution d'une action spécifique, même si elle ne comporte pas d'effet discriminatoire en elle-même, est susceptible d'empêcher l'acquisition d'actions dans les entreprises concernées et de dissuader les investisseurs d'autres États membres d'effectuer leurs placements dans le capital de ces entreprises.

Le juge de l'Union a développé un raisonnement en 2 étapes :
CJCE, 4 juin 2002, Commission contre France :
Pour être autorisée, l'action spécifique doit être :

  1. Justifiée dans son fondement ;

    La justification est textuelle (article 65 du TFUE : l'ordre public, la sécurité publique, la santé publique) ou jurisprudentielle (nécessité de protéger les intérêts essentiels de la nation).
    Les motifs de politique économique ne peuvent pas être invoqués comme justification.

  1. Proportionnée.

    La CJUE mène un test de proportionnalité. La règlementation nationale doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne pas aller au-delà.

Par exemple, dans cette affaire de 2002 à propos de l’entreprise Elf Aquitaine, la CJCE a jugé que l'objectif poursuivi relevait bien d'un intérêt public légitime : garantir la sécurité des approvisionnements en produits pétroliers.
En revanche, le mécanisme n'a pas satisfait le test de proportionnalité : les prérogatives du ministre étaient définies de manière beaucoup trop large.

Aujourd'hui, les droits attachés à une action spécifique sont toujours définis de manière à être nécessaires, adéquats, proportionnés aux objectifs poursuivis pour respecter les contraintes européennes.

2ème instrument : mécanismes de droits de vote double et de minorité de blocage

Tout en étant minoritaire, la puissance publique actionnaire peut imaginer des mécanismes qui lui permettent de s'assurer un certain contrôle sur la société privatisée.
En principe, en droit des sociétés, 1 action = 1 voix ; mais ce principe connaît des exceptions, dont le droit de vote double.
L'intérêt du droit de vote double, c'est de parvenir à obtenir une minorité de blocage, c’est-à-dire un quorum de voix qui permet de bloquer une décision.

Grâce au droit de vote double, l'État, même actionnaire minoritaire, peut parvenir à une minorité de blocage.

Exemple : l'État ne dispose que de 25,67 % des actions au sein de la société Thalès, mais 34,75 % des droits de vote = minorité de blocage (requise en cas d'AG extraordinaire).

Là encore, ces mécanismes sont susceptibles de poser problème au regard du droit de l'UE.
CJCE, 23 octobre 2007, Commission c/ République fédérale d'Allemagne :
Le législateur avait plafonné les droits de vote à 20 % et fixé une minorité de blocage à 20 %. Ces dispositions bénéficiaient principalement à l'actionnaire public.
Pour la Cour, ces mécanismes permettaient aux acteurs publics de se réserver une minorité de blocage avec un investissement plus réduit que ce qu'exigerait le droit commun des sociétés. Ce mécanisme dissuade donc les investisseurs d'autres États membres d'investir dans le capital de l'entreprise.
→ Restriction à la libre circulation des capitaux.

La loi Florange du 29 mai 2014 a introduit un nouveau mécanisme susceptible de donner à l'actionnaire public minoritaire d'importantes prérogatives.
Cette loi prévoit que, dans les sociétés cotées, un droit de vote double peut être attribué à toutes les actions entièrement libérées (= dont le capital a été entièrement versé) et inscrites au nominatif (= le nom de l'actionnaire est inscrit dans les registres de la société) depuis au moins 2 ans.
Objectif : décourager les spéculateurs plus intéressés par les plus-values de court terme que par le développement de long terme de l'entreprise.

En 2015, l'État a profité de ce dispositif posé par la loi Florange pour l’introduire chez EDF, Areva…
À l'inverse, dans d'autres entreprises, l'instauration d'un droit de vote double a été perçue comme une ingérence excessive de l'État.
Par exemple, la situation a été très conflictuelle à propos de Renault.

Ainsi, plusieurs instruments du droit des sociétés permettent à l'État de conserver une influence stratégique sur les entreprises privatisées.
Bien souvent, ça s'accompagne d'un renforcement de la régulation qui s'exerce sur l'entreprise :

b) Le renforcement de la régulation : activité, gouvernance, biens

La privatisation d'une entreprise, lorsqu'elle a une activité stratégique, s'accompagne souvent d'un renforcement des contrôles externes qui pèsent sur cette entreprise.

Exemple : la loi PACTE de 2019 renforce les contraintes des entreprises ADP et FDJ dont on prévoyait la privatisation ; cela montre assez bien que la régulation par le contrôle sur l'activité, la gouvernance et les biens de l'entreprise se substitue à la régulation sur la propriété de l'entreprise.

  • Contrôle sur l’activité de l’entreprise.
    Exemple : régulation renforcée sur l'activité de l'entreprise Aéroports de Paris.
    Il était prévu que l'État puisse fixer lui-même les conditions de réalisation du service public aéroportuaires : redevances, seuils de performance…
  • Contrôle sur la gouvernance de l’entreprise.
    Il était prévu que l'État agrée les dirigeants d'Aéroports de Paris, ce qui est remarquable alors même que l'entreprise devait être privatisée.
  • Contrôle sur les biens de l’entreprise.
    L'État met souvent en place un régime protecteur des biens de l'entreprise privée pour assurer la continuité du service public.
    On parle de quasi domanialité publique.

c) Appréciation

Ces mécanismes montrent que la privatisation ne signifie pas pour autant la disparition de tout contrôle étatique → montrent que la frontière est poreuse entre le secteur public et le secteur privé.

Michel Bazex voit dans ces mécanismes la manifestation d'un retour de l'État. Pour lui, l'État maintient un contrôle sur les entreprises privées → la privatisation serait “le stade suprême de l'interventionnisme économique”.

Jean-David Dreyfus a parlé d'une "société de 3ème type" pour désigner ces entreprises à mi-chemin entre des entreprises privées classiques et des entreprises publiques avec un actionnariat public majoritaire.

Jean-Philippe Colson et Pascale Idoux écrivent que “l'État entrepreneur devient une figure du passé” et laisse place à l'État partenaire et à l'État régulateur.

§ 2. L’extension du secteur public : la nationalisation

La France a connu 3 grandes vagues de nationalisation :

  1. En 1936, avec l'arrivée du Front populaire au pouvoir ;
  1. À la fin de la Seconde Guerre mondiale ;
  1. En 1981, à l'arrivée de la gauche au pouvoir.

Ces nationalisations renvoient à la figure de l'État entrepreneur et de l'État opérateur.

Les objectifs des nationalisations sont très divers et répondent à des idéologies variées.
De prime abord, on a l'impression que les nationalisations sont des politiques de gauche ; mais en réalité, des gouvernements de tous bords ont procédé à des nationalisations.
Exemples d'objectifs de nationalisation :

  • Socialiser les biens de production pour combattre le grand capitalisme ;
  • Démocratiser la gestion des entreprises ;
  • Assurer l'indépendance nationale ;
  • Résister à une crise ;
  • Lutter contre le chômage ;
  • Punir des entreprises pour leur comportement (exemple : Renault).

Aujourd'hui, on peut se questionner sur l'avenir des nationalisations.
C'est un terme qu'il faut mettre en lien avec toutes les critiques qui sont adressées de nos jours au secteur public.
Le 20ème siècle a été l'âge d'or de l'entreprise publique. Au 21ème siècle, on parle bien plus de privatisations que de nationalisations – sauf dans le cas d'EDF…

A – La notion de nationalisation

1) Le caractère forcé de l’appropriation

Le professeur Didier Truchet définit la nationalisation comme le "transfert de la propriété d'un bien ou d'une entreprise dans le patrimoine de l'État, ordonné souverainement par ce dernier, moyennant indemnisation du ou des propriétaires".

La nationalisation apparaît comme l'affirmation de la souveraineté de l'État.
C'est l'expression d'un choix politique : l'État, en tant qu'il représente la Nation, acquiert par la contrainte la propriété d'un bien ou d'une entreprise.

Le Conseil constitutionnel limite la notion de nationalisation aux transferts imposés unilatéralement au propriétaire.
Conseil constitutionnel, 19 janvier 1984, Établissements de crédit :
Au sens de l'article 34 de la Constitution, la nationalisation est un transfert imposé unilatéralement au propriétaire, qui est obligé de s'y plier.

Cela exclut 2 types d'opérations qui peuvent conduire l'État à acquérir des entreprises :

  1. Les acquisitions conventionnelles ;
    Une grande partie du secteur public est issu d'acquisitions conventionnelles.
  1. Les OPA.
    Cette procédure est prévue par le Code monétaire et financier sous le contrôle de l'AMF.
    Ce n'est pas du tout un acte de souveraineté.

    Cette technique a été utilisée par l'État pour augmenter sa participation au capital d’EDF.
    C'est remarquable, parce que cette technique caractéristique des marchés financiers devient un instrument d'intervention publique dans l'économie → forme de banalisation de l'État actionnaire qui revêt les habits d'un actionnaire ordinaire.
    Cela n'a pas plu aux parlementaires, parce qu'à l'origine le groupe socialiste avait déposé une proposition de loi visant à renationaliser EDF (cette proposition a été votée en commission en février 2023). Les parlementaires n'ont pas apprécié que l'État finisse par recourir à l'OPA.


2) Les biens nationalisables

La Constitution encadre l'existence et l'étendue du secteur public à l'alinéa 9 de la Constitution de 1946 :

"Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité".

→ Champ plus large que les seuls services publics nationaux et monopoles de fait.

Conseil constitutionnel, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation :
On peut nationaliser en dehors de ce champ.

Il n'y a pas non plus de compétence liée du législateur, qui serait obligé de nationaliser les services publics nationaux et les monopoles de fait.
En réalité, cet alinéa est moins un principe de nationalisation qu'un principe de non privatisation de ces activités (mais même en matière de privatisation, c'est une limite très relative, qui n'a jamais empêché de privatiser une entreprise…).

B – Le régime juridique des nationalisations

1) Les règles de compétence

Au titre de l'article 34 alinéa 11 de la Constitution, le législateur fixe les règles concernant les nationalisations d'entreprises.
Conseil constitutionnel, 11 février 1982 : cette compétence concerne la définition des critères des entreprises à nationaliser et leur liste.

⚠️
Il n'y a que les vraies nationalisations, au sens de l'article 34 de la Constitution, qui relèvent du législateur.

2) Les règles de fond

La nationalisation est un acte de souveraineté qui fait l'objet d'un encadrement constitutionnel.
2 principes constitutionnels trouvent à s'appliquer aux nationalisations :
1- le principe d'égalité ;
2- le respect du droit de propriété.

a) Le principe d'égalité

Les nationalisations doivent respecter le principe d'égalité.
Ce principe est applicable, en matière économique, aux personnes morales.

Idée : lorsque la nationalisation d'une entreprise est décidée, toutes les autres entreprises placées dans la même situation doivent l'être aussi.
Par exemple, une entreprise nationalisée pour faute sera la seule à être nationalisée si elle est la seule à avoir commis une faute.

Conseil constitutionnel, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation :
Censure la loi de nationalisation, car elle méconnaît le principe d'égalité.
En effet, le gouvernement avait totalement exclu de la nationalisation les banques mutualistes et les banques étrangères ; le Conseil considère que les banques mutualistes ne présentent aucune spécificité qui justifie qu'elles soient exclues.
En revanche, les banques étrangères ont pu bénéficier d'une dérogation, eu égard aux difficultés que leur nationalisation aurait pu entraîner d'un point de vue international.

b) Le droit de propriété

La nationalisation entraîne une privation du droit de propriété.
Or l'article 17 de la DDHC exige qu’une personne ne soit privée de sa propriété qu'en cas de nécessité publique légalement constatée et moyennant une juste et préalable indemnité.
Sans ces 2 éléments, ça serait une confiscation.

Il faut donc que la loi constate la nécessité publique ; sur ce point, elle n’est soumise qu'à un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation par le Conseil constitutionnel.
→ Contrôle minimaliste du Conseil constitutionnel.

En revanche, le Conseil constitutionnel exerce pleinement son contrôle à propos de l'indemnité.
Dans la décision du 16 janvier 1982, la loi de nationalisation avait mis en place des modes de fixation de l'indemnité injustes, considérées comme contraires à l'article 17 de la DDHC.

Il peut s'agir d'une indemnisation en numéraire, mais aussi d'un effacement des dettes de l'entreprise à l'égard de l'État, ou encore sous forme de parts ou d'actions de la même société.

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