Chapitre 2 : Les principes du droit public des affaires

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Section 1 : Les libertés économiques pures

Au sein de ces libertés économiques, on peut distinguer les libertés à vocation générale d'une liberté à vocation particulière.

§ 1. Les libertés à vocation générale

Ce terme de liberté à vocation générale permet de désigner une liberté économique qui couvre tous les aspects de l'activité économique (établissement de l'activité, organisation, …).

A – La liberté d’entreprendre

1) Valeur

Conseil constitutionnel, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation :
La liberté d'entreprendre est une liberté à valeur constitutionnelle.

Pourtant, à aucun moment le texte de la Constitution ne fait référence à la liberté d'entreprendre. Le Conseil constitutionnel a donc fait œuvre constructive en consacrant la valeur constitutionnelle de la liberté d'entreprendre sur le fondement de l'article 4 de la DDHC : “la liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre”.

La liberté d'entreprendre existe aussi en droit européen.
Par exemple, la
CDFUE consacre la liberté professionnelle et le droit de travailler à son article 15 et la liberté d'entreprise à son article 16.
CJUE, 2021, Bank Melli Iran : cette liberté d'entreprise est une liberté fondamentale qui comporte la liberté d'exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre → extrêmement large.

Conseil d'État, 2007, Société Arcelor Lorraine :
La liberté d'entreprendre est un principe général du droit de l'Union européenne.
Dans cet arrêt, il était question de la constitutionnalité d'un décret transposant une directive européenne. Le Conseil d'État constate une équivalence de protection entre la protection constitutionnelle de la liberté d'entreprendre et sa protection européenne.

Conseil d'État, 2001, Commune de Montreuil-Bellay :
La liberté d'entreprendre est une liberté fondamentale en droit administratif français au sens de l'article L521-2 du CJA ; elle peut donc être invoquée en référé-liberté.


2) Contenu

Conseil constitutionnel, 30 novembre 2011, Christian S :
La liberté d'entreprendre vise à protéger tous les aspects de l'activité économique.
Il était ici question de l'obligation faite aux artisans situés en Alsace-Moselle de s'affilier à une corporation (finalement censurée pour atteinte à la liberté d'entreprendre).
Le Conseil constitutionnel définit les composantes de cette liberté de manière extrêmement large : la liberté d'entreprendre comprend non seulement la liberté d'accéder à une profession ou à une activité économique, mais également la liberté dans l'exercice de cette activité économique.
Il y a donc 2 volets : accès + exercice.

Illustration sur l'accès :
La liberté d'entreprendre a été invoquée pour contester le monopole que la loi offrait à la FDJ en matière de machines à sous (Conseil constitutionnel, 18 octobre 2010, M. Rachid et autres).

Illustration sur l'exercice :
La liberté d’entreprendre a été invoquée pour contester une loi qui venait interdire le financement d'une activité par la publicité (Conseil constitutionnel, 27 juillet 1982, Communication audiovisuelle).

Néanmoins, si la liberté d'entreprendre était une liberté absolue, peu de règlementations seraient possibles. Elle n'est donc pas une liberté absolue :


3) Limites

Conseil constitutionnel, 27 juillet 1982, Communication audiovisuelle :
La liberté d'entreprendre n'est ni générale ni absolue.
Le législateur peut porter à cette liberté "des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi".

Exemple : Conseil constitutionnel, 16 janvier 2001, Loi relative à l'archéologie préventive.

On dégage de cette jurisprudence constitutionnelle une grille de lecture en 2 temps.

  1. Le Conseil constitutionnel se demande pour quelle raison le législateur a porté atteinte à la liberté d'entreprendre.
    Cette limite peut être justifiée :
    • par des exigences constitutionnelles ; ou
    • par l'intérêt général.
  1. Le Conseil constitutionnel vérifie que l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre n'est pas disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi.

1er temps : la justification de l'atteinte à la liberté d'entreprendre

Des motifs d'intérêt général :

Ces motifs sont extrêmement divers. On peut citer 3 exemples :

  • La nécessité de maintenir un équilibre dans les relations commerciales (Conseil constitutionnel, 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC, Société Interdits et autres) ;
  • La protection du cadre de vie (Conseil constitutionnel, 23 novembre 2012, Association France nature environnement) ;
  • Le fonctionnement concurrentiel du marché de l'électricité et la stabilité des prix sur ce marché (Conseil constitutionnel, 12 août 2022, Loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat).

Cette notion d'intérêt général n'est donc ni précise dans sa définition, ni rigoureuse dans son contenu.
Ces références à l'intérêt général sont très commodes pour justifier des atteintes à la liberté d'entreprendre.

Des exigences constitutionnelles :

Ces exigences se trouvent notamment dans le préambule de la Constitution de 1946 ou dans la DDHC. On peut donner 2 exemples :

  • La sécurité matérielle, le repos et les loisirs (Conseil constitutionnel, 4 avril 2014, Société Sephora) ;
  • Le pluralisme des médias (Conseil constitutionnel, 27 juillet 2000, Liberté de communication).

Il faut y ajouter les objectifs de valeur constitutionnelle (OVC).

Exemple : la protection de la santé constitue un OVC que le législateur peut poursuivre pour limiter la liberté d'entreprendre (Conseil constitutionnel, 5 août 2021, Loi relative à la gestion de la crise sanitaire → sur la mise en place du "passe sanitaire").

Parmi ces OVC, il y a l'OVC de protection de l'environnement :
Conseil constitutionnel, 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes (UIPP) :
L'originalité de cette décision QPC tient à la reconnaissance d'un nouvel objectif de valeur constitutionnelle : "la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un OVC".
Auparavant, la protection de l'environnement était consacrée seulement comme un motif d'intérêt général.

De plus, l'originalité de cette décision tient au fondement de cette OVC : le Conseil constitutionnel se fonde sur le préambule de la Charte de l'environnement.

Cette décision offre des perspectives intéressantes. On pourrait s'attendre à ce que cette consécration permette des limitations plus importantes que par le passé à la liberté d'entreprendre. Toutefois, on observe que le Conseil constitutionnel veille à ce que cet OVC ne heurte pas trop certaines libertés économiques.

Exemple : Conseil constitutionnel, 11 février 2022, Fédération nationale des activités de dépollution (FNAD) :
Cette décision illustre "une certaine tension entre le climat et les contrats", pour reprendre l'expression du professeur Pierre-Yves Gahdoun.
Ici, il n'était pas question de la liberté d'entreprendre, mais de la liberté contractuelle, qui découle aussi de l'article 4 de la DDHC (Conseil constitutionnel, 10 juin 1998).
Cette liberté contractuelle est complémentaire à la liberté d'entreprendre : le contrat est l'acte juridique le plus courant de la vie économique et permet de réaliser les échanges.

Le Conseil constitutionnel fait prévaloir la liberté contractuelle sur l'OVC de protection de l'environnement.
Autrement dit, il privilégie les contrats plutôt que le climat.

En l'espèce, une loi imposait aux exploitants d'installations de stockage de déchets de réceptionner en priorité certains déchets, dans un but de protection de l'environnement. Ce faisant, le législateur poursuivait bien l'OVC de protection de l'environnement, mais portait atteinte aux conventions en cours → atteinte à la liberté contractuelle.

2ème temps : la proportionnalité de l'atteinte

Le Conseil constitutionnel se limite à un contrôle restreint : il vérifie que le législateur assure une conciliation qui n'est pas manifestement disproportionnée → contrôle du déséquilibre manifeste.
En effet, le juge considère souvent qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du Parlement.

Exemples de limitations à la liberté d'entreprendre qui n'ont pas été jugées excessives :
> Conseil constitutionnel, 31 janvier 2020, UIPP ;
> Conseil constitutionnel, 5 août 2021, sur le passe sanitaire ;
> Conseil constitutionnel, 12 août 2022, sur la fixation du plafond d'ARENH par la loi pouvoir d’achat.

Exemples de censures :
> Conseil constitutionnel, 30 novembre 2012, Christian S : censure de l'obligation faite aux artisans d'Alsace-MoseIIe de s'affilier à une corporation.
> Conseil constitutionnel, 11 février 2022, FNAD : censure sur le fondement de l'atteinte à la liberté contractuelle.

B – La liberté du commerce et de l’industrie

On trouve le fondement de cette liberté dans le décret d'Allarde (1791).

1) Valeur

Le Conseil d'État a reconnu la valeur de la liberté du commerce et de l'industrie dans 2 arrêts célèbres rendus le même jour :

  1. Conseil d'État, 22 juin 1951, Daudignac :
    Vise expressément le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791.
    Le Conseil d'État indique que la liberté du commerce et de l'industrie s'oppose à ce que l'exercice d'une profession soit subordonnée par le maire à la délivrance d'une autorisation préalable en l'absence de loi l'instituant.
  1. Conseil d'État, 22 juin 1951, Fédération nationale des photographes filmeurs :
    Les interdictions générales et absolues d'exercer une activité économique sont prohibées sur le fondement de la liberté du commerce et de l'industrie.

Conseil d'État, 29 septembre 2003, Fédération nationale des géomètres experts :
Ce principe est expressément qualifié de principe général du droit (PDG).

C'est également une liberté publique (Conseil d'État, 28 octobre 1960, Martial de Laboulaye) au sens de l'article 34 de la Constitution.
Cela signifie que le législateur est seul compétent pour limiter cette liberté.
Par exemple, seule la loi peut instaurer un régime d'autorisation préalable.

On remarque ainsi que la liberté du commerce et de l'industrie n'a pas de valeur constitutionnelle et n'est pas consacrée au niveau européen, à la différence de la liberté d'entreprendre.


2) Contenu

À l'origine, cette liberté du commerce et de l'industrie comporte 2 volets :

  1. Elle s'oppose aux règlementations des autorités publiques limitant l'exercice d'activités économiques par les opérateurs privés.
    Elle s'applique tout autant aux activités commerciales et industrielles qu'aux professions libérales → champ extrêmement large.
  1. Elle interdit à l'initiative publique de concurrencer l'initiative privée. C'est ce qu'on appelle le principe de non-intervention ou de non concurrence.
    Les choses ont changé sur ce point.

3) Limites

Conseil d'État, 23 mai 2012, RATP :
Les autorités publiques peuvent porter à la liberté du commerce et de l'industrie des atteintes pour des motifs d'intérêt général, à condition qu'elles soient proportionnées.

Cela fait penser aux 2 temps de la grille de lecture du Conseil constitutionnel à propos de la liberté d'entreprendre.

C – Les libertés économiques du droit de l’Union européenne

La liberté professionnelle est une liberté garantie par le droit de l'Union européenne.
Elle s'appuie en réalité sur diverses libertés consacrées dans différents textes du droit de l'UE.

La liberté professionnelle découle d'abord du TFUE, qui consacre la libre circulation des travailleurs et le libre accès aux emplois salariés (article 45), la liberté d'établissement (article 49) et la libre prestation de service (article 56).
Ces 2 libertés sont assez proches : la distinction entre les 2 sur le critère du caractère temporaire de la présence du prestataire de service.

La Charte des droits fondamentaux consacre aussi la liberté professionnelle et le droit de travailler (article 15) et la liberté d'entreprise (article 16).

Enfin, la directive Services du 12 décembre 2006 (directive 2006/123) a approfondi, pour certains services, les règles relatives à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services.

CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments :
Cette directive Services était invoquée pour protéger certaines activités de type Airbnb. Ce litige s'inscrit dans les problématiques croissantes de la régulation des grandes plateformes et de l'économie collaborative.
En l'espèce, était en cause la conformité de
l'article L631-7 du Code de la construction et de l'habitation à la directive Services. Cet article prévoyait un mécanisme d'autorisation pour les locations de type "Airbnb" dans certaines zones territoriales. La société Cali Apartments était poursuivie pour avoir pratiqué ces locations sans autorisation.
En effet, la directive Services limite la faculté pour les États membres de soumettre une activité à un régime d'autorisation préalable.

La CJUE répond que le mécanisme français constitue bien un régime d'autorisation au sens de la directive Services, mais qu'il est justifié par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionné à l'objectif poursuivi.
Elle conclut donc qu'il n'y a pas de contrariété entre cet article du CCH et la directive Services.

§ 2. Une liberté à vocation particulière : la libre concurrence

La libre concurrence se distingue des autres libertés économiques à 3 égards :

  1. Elle n'a pas de vocation générale.
    Elle ne couvre pas tous les aspects de la vie économique : elle tend seulement au respect d'une concurrence libre, saine et loyale.
  1. La liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d'entreprendre sont des libertés dites de 1ère génération, issues de la Révolution française.
    La libre concurrence naît plusieurs siècles plus tard.
  1. Il y a une différence de référentiel entre les autres libertés économiques et la libre concurrence.

    La liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d'entreprendre s'apprécient au sein d'une relation bilatérale entre un opérateur économique et l'administration : leur but est de défendre l'autonomie des opérateurs face à la puissance publique.

    À l'inverse, la libre concurrence fait intervenir un référentiel différent : elle s'apprécie au regard d'un marché composé d'opérateurs économiques.
    Il y a donc une dimension horizontale qui s'ajoute à l'appréciation. Son but est de s'opposer à ce que l'administration génère ou ne s'oppose pas à certaines pratiques anticoncurrentielles.

La libre concurrence est le produit de 2 sources distinctes :

  1. Depuis les années 1990, le Conseil d’État considère que les actes administratifs doivent respecter le droit de la libre concurrence. C'est la théorie de l'opposabilité du droit de la concurrence aux actes administratifs (A).
  1. Il lui arrive aussi de s'affranchir des textes pour appliquer un principe prétorien de libre concurrence, qu'il a forgé de toutes pièces (B).

A – L’opposabilité du droit de la concurrence

À la fin des années 1990, le juge administratif s'est reconnu compétent pour connaître du droit de la concurrence tel qu'il résulte des textes écrits, c'est-à-dire l'ordonnance du 1er décembre 1986 codifiée au sein du Code de commerce + le droit de l'UE.
Son intégration dans le bloc de légalité administrative permet au JA de s'assurer que des actes administratifs unilatéraux ou contractuels ne faussent pas le jeu de la concurrence.

Néanmoins, cette intégration n'était pas évidente. À l'origine, on a forcément douté de la capacité du juge administratif à appliquer le droit de la concurrence :

1) Les difficultés initiales

À l'origine, le juge administratif n'avait pas du tout vocation à appliquer le droit de la concurrence. Le droit administratif et le droit de la concurrence avaient vocation à rester 2 sphères totalement séparées.

Tout est parti de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui pose une règle de fond et une règle de compétence :

  • Une règle de fond : le droit de la concurrence s'applique aux activités économiques (ou "activités de production, de distribution et de services" selon l'article L410-1 du Code de commerce).
  • Une règle de procédure : c'est l'Autorité de la concurrence qui veille au respect du droit de la concurrence + le contentieux de ses décisions relève du juge administratif (Conseil constitutionnel, 1989, Autorité de la concurrence).

On se retrouve donc dans la situation suivante :

  • Pour les activités économiques, l'autorité compétente est l'Autorité de la concurrence sous le contrôle du juge judiciaire + le droit de la concurrence est applicable.
  • Pour les actes administratifs, l'autorité compétente est le juge administratif + le droit de la concurrence n'est pas applicable.

Il y avait donc une véritable immunité des actes administratifs au regard du droit de la concurrence.
Celle-ci avait été très clairement affirmée par la décision Tribunal des conflits, 1989, Ville de Pamiers.

L'évolution est venue du droit de l'Union européenne :


2) L’évolution : la théorie de l’opposabilité

En droit européen, il existe un corpus juridique similaire en droit de la concurrence.
Le droit de l'UE ne s'intéresse pas du tout à la question de savoir quel est le juge compétent, parce qu'il ne connaît pas la distinction entre le droit public et le droit privé. Tout ce qui compte, c'est que le droit du marché soit respecté.

La 1ère étape est venue de l’arrêt Conseil d’État, 1996, Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) : le Conseil d’État accepte de contrôler un acte administratif au regard du droit européen de la concurrence.

Or les règles nationales de droit de la concurrence sont les mêmes que les règles européennes : si un acte administratif peut fausser le marché européen, alors il faut admettre qu'il peut aussi fausser le marché national.

Dans la lignée de cette 1ère décision, le Conseil d’État a fini par admettre sa compétence pour contrôler un acte administratif au regard du droit interne de la concurrence :

Conseil d’État, 1997, Million et Marais :
Il était question de l'organisation d'un service de pompes funèbres qui avait fait l'objet d'une DSP à un service privé. Les concurrents ont contesté cette délégation, en considérant que les termes du contrat protégeaient tellement l'entreprise délégataire qu'ils lui permettaient d'abuser de sa position dominante.

Ici, le Conseil d'État fait tomber la formule selon laquelle un acte administratif n'est jamais en soi susceptible de fausser le droit de la concurrence.
Il décide qu'il appartient au juge administratif de vérifier la compatibilité entre un acte administratif et le droit de la concurrence.

C'est ce qu'on appelle la théorie de l'abus automatique : le juge regarde si les clauses du contrat, sa durée… conduisent automatiquement à un abus de la part du délégataire.
S'il identifie un abus, il annule l'acte en cause.
⚠️ On n'est pas ici dans une situation où l'on sanctionnerait l'entreprise par une amende.

C'est ce qu'on a appelé la théorie de l'opposabilité du droit de la concurrence aux actes administratifs.

➡️
En résumé, le droit de la concurrence est :

  • Applicable aux activités économiques par l'Autorité de la concurrence, sous le contrôle du juge judiciaire. La méconnaissance du droit de la concurrence conduit à la sanction de l'entreprise.
  • Opposable aux actes administratifs par le juge administratif. L'administration doit tenir compote du droit de la concurrence lorsqu'elle édicte des actes administratifs.
    La méconnaissance du droit de la concurrence entraîne l'illégalité de l'acte administratif et donc son annulation.

On a parlé d'une "révolution copernicienne" (J. Sirinelli).
On a dit que "l'empire du droit de la concurrence a rencontré la royauté du droit administratif" (A. Louvaris).

Plusieurs éléments militaient pour l'inclusion des règles de concurrence au sein du prétoire du juge administratif.
On peut citer 3 facteurs :

  1. La technique juridique qui consiste à appliquer des branches du droit privé à l'administration n'était pas inédite : le juge administratif veille déjà à ce que l'administratif respecte le droit pénal, le droit civil…
  1. Il semblait nécessaire de mettre fin à une lacune importante de notre ordre juridique et de permettre au juge administratif de censurer les actes administratifs faussant le jeu de la concurrence.
  1. Le refus initial du juge administratif d'intégrer les règles de concurrence au sein de son prétoire était fondé sur une ancienne conception du service public, fondée sur l'usager, et non sur l'impact de l'organisation du service public sur le milieu économique.

Pour J.-H. Stahl, il était donc temps de repenser les relations entre le service public et son environnement concurrentiel.

Une fois reconnue, le champ de cette opposabilité s'est élargi considérablement.
Cette opposabilité permet de saisir l'administration dans toutes ses fonctions, économiques comme régaliennes : l'administration doit toujours prendre en compte le droit de la concurrence.
Par exemple, le droit de la concurrence est opposable à la délivrance d'autorisations d'occupation domaniale (
Conseil d'État, 23 mai 2012, RATP), aux mesures de police (Conseil d'État, 22 novembre 2000, Avis L&P Publicité)…

Le juge administratif a aussi reconnu, de façon toute à fait prétorienne, un principe de libre concurrence :

B – Le principe prétorien de libre concurrence

La libre concurrence est une liberté qui a un statut juridique plus complexe que les autres libertés évoquées jusqu'à présent.

Conseil d’État, 1er avril 1998, Union Hospitalière privée :
Le Conseil d’État évoque un principe de libre concurrence découlant de l'ordonnance du 1er décembre 1986, c’est-à-dire découlant directement du droit de la concurrence interne.
La consécration de ce principe rappelle la technique des principes généraux du droit (PGD), qui a l'avantage d'être très malléable.

Le principe prétorien de libre concurrence permet au juge administratif d'annuler des actes administratifs qui seraient contraires de manière très générale à la libre concurrence, sans être tenu par les qualifications parfois très précises du droit de la concurrence tel qu'il résulte du Code de commerce.

Ce principe de libre concurrence n'a pas acquis valeur constitutionnelle : le Conseil constitutionnel s'y est régulièrement opposé.
Exemples :
> Conseil constitutionnel, 21 janvier 1994, Loi relative à la liberté de communication ;
> Conseil constitutionnel, 27 décembre 2001, Loi de finances rectificative pour 2001.

Cette absence de valeur constitutionnelle de la libre concurrence a été confirmée à l'occasion d'une décision QPC.
Conseil d’État, 2 mars 2011, Société Marinys :
Le Conseil d’État explique que la libre concurrence ne peut pas être invoquée dans la procédure de QPC parce qu'elle n'est pas un droit ou une liberté garantie par la Constitution.

Cette absence est un peu hypocrite, puisque la libre concurrence est de toute manière consacrée à l'article 119 du TFUE, qui prévoit une "économie de marché ouverte où la concurrence est libre".

Il faut retenir qu'en droit interne, la libre concurrence reste au rang de PGD ; sa valeur constitutionnelle n'a jamais été clairement consacrée.

Section 2 : Les principes du droit public des affaires “par ricochet”

Les principes du droit public des affaires “par ricochet” sont des principes qui résultent d'une extension des droits et libertés traditionnels dans le domaine économique.

§ 1. Le droit de propriété

Le droit de propriété est considéré comme un principe matriciel de l'initiative économique.
On le retrouve aux articles 2 et 17 de la DDHC :
> l'article 2 en fait un "droit naturel et imprescriptible de l'homme" ;
> l'article 17 rappelle que la propriété est un "droit inviolable et sacré".

Sa protection concerne à la fois la propriété privée et la propriété publique :

A – La protection constitutionnelle de la propriété privée

1) Les incertitudes préalables à la décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1982

Au fil du temps, on s'est mis à douter du maintien de la pleine valeur constitutionnelle du droit de propriété tel qu'il avait été consacré en 1789.

À la fin de la 3ème République, de très nombreuses mesures ont affecté le droit de propriété : nationalisations, lois sur les loyers… ont affecté le droit de propriété.
→ Évolution des idées politiques et des doctrines économiques et sociales.

Cette évolution a culminé en 1982 avec la 3ème grande vague de nationalisation.


2) La décision du 16 janvier 1982

Conseil constitutionnel, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation :
Le Conseil constitutionnel reconnaît la pleine valeur constitutionnelle du droit de propriété.
Il commence par souligner l'attachement du peuple français aux droits et libertés proclamés par la DDHC, notamment dans les constitutions de 1946 et 1958 ; mais il note ensuite une évolution : le champ d'application de ce droit de propriété a été étendu à des "domaines individuels nouveaux".

En dépit de cette évolution, le Conseil constitutionnel affirme la pleine valeur constitutionnelle du droit de propriété.
Cette protection n'est toutefois pas absolue :


3) Les limites à la protection de la propriété privée

Il convient de distinguer les privations des simples atteintes au droit de propriété.

Les privations du droit de propriété relèvent de l'article 17 de la DDHC.
Elles supposent une nécessité publique + une juste et préalable indemnité.

On retrouve la même solution en droit européen.
L'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention EDH dispose que : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international."
CEDH, 1994, Les Saints Monastères c/ Grèce : la CEDH impose une indemnité.

Les atteintes au droit de propriété relèvent de l'article 2 de la DDHC.
Elles supposent un motif d'intérêt général et une proportionnalité de l'atteinte.

Il est important de distinguer entre les privations des simples atteintes au droit de propriété, parce qu’en cas d'atteinte, la victime n'a droit à aucune indemnisation.

Exemple d'atteinte : Conseil constitutionnel, 21 janvier 2016, Loi de modernisation du système de santé.

En réalité, rares sont les atteintes qui ont été jugées contraires à la Constitution.
De plus, la distinction entre atteintes et privations n'est pas toujours très claire : il y a des cas où de véritables privations du droit de propriété ont été considérées comme de simples atteintes.

Exemple de cas limite :
Conseil constitutionnel, 27 mars 2014, Loi visant à reconquérir l'économie réelle (projet de loi "Florange") :
Dans le contexte de la fermeture d’un site Arcelor dans la ville de Florange, un projet de loi imposait à une entreprise qui ferme un établissement d’accepter toute offre de reprise sérieuse.
Le Conseil constitutionnel juge que cela fait peser des contraintes qui portent atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre ; mais on aurait pu considérer qu'il y avait là une privation du droit de propriété.

Ce qui est remarquable, c'est que le Conseil constitutionnel accorde la même protection à la propriété publique :

B – La protection constitutionnelle de la propriété publique

Conseil constitutionnel, 26 juin 1986, Loi relative aux privatisations :
"Cette protection [constitutionnelle] ne concerne pas seulement la propriété privée mais aussi, à un titre égal, la propriété de l'État et des autres personnes publiques".
La propriété publique bénéficie ainsi de la même garantie constitutionnelle que celle accordée à la propriété privée.

En l'espèce, une loi autorisait le transfert de la propriété d'une entreprise publique au secteur privé.
Selon les députés auteurs de la saisine, il y avait un risque que le prix de vente soit inférieur à la valeur réelle des entreprises dont la vente était envisagée → ils considéraient que l'opération spoliait l'État, qui n'allait pas vendre ses biens assez cher.

Réponse du Conseil constitutionnel : cette protection "s'oppose à ce que des biens ou des entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur" → principe d'incessibilité à vil prix.

En 1986, cette décision a fait couler beaucoup d'encre, parce que les auteurs de la DDHC de 1789 n'avaient pas l'intention d'étendre cette protection à la propriété publique : à l'époque, ces droits étaient conçus comme des "droits défense" venant protéger l'individu contre la puissance publique.
En dépit de ces critiques, cette solution a été largement confirmée par la suite.

Le droit de propriété des personnes publiques constitue également une liberté fondamentale, ce qui permet aux personnes publiques d'invoquer une atteinte à leur droit de propriété en référé liberté.
Exemple : Conseil d’État, 9 octobre 2015, Commune de Chambourcy.

§ 2. Le principe d’égalité

Le principe d’égalité n'est pas propre à la matière économique.
Il est consacré dans la DDHC à ses articles 1 ("les hommes naissent libres et égaux en droit"), 6 (égalité devant la loi) et 13 (l'égalité devant les charges publiques).

Néanmoins, l'égalité prend un relief particulier dans le domaine économique :
> D'un côté, les opérateurs économiques doivent se concurrencer à armes égales ;
> D'un autre, l'intervention de l'administration aboutit souvent à des discriminations.

A – Valeur du principe

Conseil constitutionnel, 27 décembre 1973, Loi de finances pour 1974 :
En droit interne, le principe d'égalité a une valeur constitutionnelle.

Conseil d’État, 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire :
Le principe d’égalité est aussi un principe général du droit administratif.

L'article 18 du TFUE interdit les discriminations en raison de la nationalité.
CJCE, 1977, Ruckdeschel : cette interdiction est l'expression d'un principe d'égalité qui fait partie des "principes fondamentaux du droit communautaire".

B – Sens du principe

Conseil constitutionnel, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation :
Le principe d'égalité joue tant entre personnes physiques qu'entre des personnes morales, telles que des entreprises.

Au fil du temps, la jurisprudence a développé une grille de lecture de ce principe d'égalité.

Conseil d’État, 1974, Denoyez et Chorques :
Le principe d'égalité ne s'applique qu'à deux personnes placées dans la même situation.
En l'espèce, la situation géographique des personnes a été considérée comme une différence de situation justifiant une différence de tarif pour accéder à l'Île de Ré.

Les différences de traitement sont aussi possibles lorsqu'un motif d'intérêt général l'impose.
Dans tous les cas, les différences de traitement doivent être en rapport avec l'objet de la règlementation en cause et ne doivent pas être disproportionnées.

Quelques années plus tard, le CC s'est approprié cette grille de lecture.
Conseil constitutionnel, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation :
La loi peut porter atteinte à l'égalité en prévoyant des différences de traitement :
> parce qu'il existe une différence de situation ; ou
> parce qu'un motif d’intérêt général l'impose.

Ainsi, en droit français, le principe d'égalité n'implique qu'une seule chose : traiter de la même manière des personnes placées dans une situation identique.

En revanche, il n’existe pas de droit à être traité différemment sur le fondement de situations différentes : il n'y a pas de droit à la discrimination (Conseil d’État, 1997, Société Baxter).
💡 Ce droit à la discrimination existe en droit de l'Union européenne.

C – Applications en droit public des affaires

Bon nombre d'interventions publiques dans l'économie impliquent une certaine rupture d'égalité.

Une différence de situation entre opérateurs économiques peut justifier un traitement différent.
Exemple : Conseil d'État, 30 juin 2004, Département de la Vendée :
Il était question de la desserte de l'Île d'Yeu. Le CE juge que ces entreprises n'étaient pas dans une situation comparable. Il en conclut qu'elles peuvent être traitées différemment.

Exemple : Conseil constitutionnel, 5 octobre 2018, Loi Egalim :
La transparence des relations entre les acteurs de la grande distribution et les acteurs du secteur agroalimentaire est un motif d'intérêt général qui justifie de traiter différemment ces acteurs.

L'intérêt de l'économie nationale toute entière ou d'une branche de l'économie est-il un motif d'intérêt général de nature à justifier une différence de traitement ?
Conseil d’État, 21 juin 1951, Syndicat de la raffinerie du souffre français :
La pénurie de souffre a conduit les pouvoirs publics à prendre des mesures octroyant des privilèges importants à une société productrice de soufre.
Cela est considéré comme justifié par un motif d'intérêt général : l'intérêt de l'économie nationale.

Ce motif pourrait-il encore prospérer aujourd'hui ?
Pour le juge de l'Union européenne, les motifs impérieux d'intérêt général qui justifient des atteintes aux libertés économiques ne peuvent jamais être des considérations économiques.

§ 3. Le principe de sécurité juridique

Les principes procéduraux ont une grande importance en droit public des affaires en raison de l'importance des enjeux économiques en cause.

A – La sécurité juridique en droit européen

CJCE, 6 avril 1962, de Geus c/ Bosch :
La sécurité juridique est un principe général du droit communautaire.

CEDH, 13 juillet 1979, Marckx c/ Belgique :
La sécurité juridique est un principe inhérent au droit de la Convention EDH.

Dans les 2 ordres juridiques, ce principe se rattache aux exigences d'accessibilité et de prévisibilité du droit.

En droit de l'UE, la sécurité juridique a pour corollaire la confiance légitime.
CJCE, 5 mai 1981, Dürbeck :
La confiance légitime est un principe fondamental du droit de l'UE.

Là où la sécurité juridique est un principe plutôt objectif, la confiance légitime est un principe plutôt subjectif : elle tient à la croyance que les individus peuvent avoir quant à l'existence ou au maintien d'une règlementation.

En droit national, on ne connaît pas ce principe de confiance légitime. Le juge administratif n'applique ce principe qu'en tant que principe général du droit de l'UE lorsque le litige met en jeu l'application du droit de l'UE.
Exemple : Conseil d’État, 5 juillet 2001, FNSEA.

Le Conseil d’État a toujours refusé de consacrer ce principe de confiance légitime en droit administratif français.
En revanche, il a reconnu un principe de sécurité juridique :

B – La sécurité juridique en droit national

La sécurité juridique n'est pas consacrée en tant que telle comme principe à valeur constitutionnelle.
Néanmoins, il découle de l'article 16 de la DDHC (relatif à la garantie des droits) de nombreuses implications assez proches de celles du principe de sécurité juridique.

Conseil d’État, 24 mars 2006, KPMG :
La sécurité juridique est un principe général du droit.
En l'espèce, le Conseil d’État était saisi d'un décret approuvant le Code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes.

Ce principe a inspiré d'importantes solutions en droit administratif :

  • L'adoption de mesures transitoires ;
    Par exemple, dans l'affaire KPMG : un décret ne doit pas imposer un changement brutal de situation.
  • La non rétroactivité des actes administratifs ;
  • La qualité et la prévisibilité de la règle de droit ;
  • L'idée de stabilité contractuelle.

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