Section 5 : Entre police d’ordre et police d’investigation

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de procédure pénale (L2).

Les contrôles d’identités dits administratifs ont une finalité préventive : ils visent à prévenir une infraction.
Les contrôles d’identité dits judiciaires ont une finalité répressive : ils sont liés à la recherche ou à la constatation d’une infraction déjà commise.

Les dispositions relatives aux contrôles d’identité se trouvent aux articles 78-1 et suivants du Code de procédure pénale.

Article 78-1 al 1er :
”L’application des règles prévues par le présent chapitre est soumise au contrôle des autorités judiciaires”.

Il faut faire la différence entre contrôle d’identité et vérification d’identité :

  • Le contrôle d’identité est le fait, pour un OPJ, de demander à une personne une justification de son identité pour identifier cette personne.
    C’est une recherche de l’identité, sachant que l’identité est un fait juridique et peut donc se prouver par tous moyens.
    Article 78-2 du CPP.
  • Si le particulier faisant l’objet du contrôle d’identité ne veut pas ou ne peut pas justifier de son identité, il peut faire l’objet d’une mesure privative de liberté : on le retient pour opérer une vérification d’identité.
    Article 78-3 du CPP.
  • Par ailleurs, il arrive que les policiers municipaux constatent les infractions par procès-verbal.
    Dans ce cas là, ils vont simplement recueillir l’identité (relevé d’identité).
    Article 78-6 du CPP.

Il ne faut pas oublier qu’il peut y avoir un immense décalage entre les textes et la pratique : tous les jours, de nombreux contrôles d’identité sont procédés de manière totalement illégale.
Mais nous ne sommes pas là pour commenter la manière dont la police travaille.

Les contrôles d’identité « au faciès » (« délit de sale gueule ») sont des contrôles d’identité discriminatoires, où l’on prend en compte l’apparence de la personne pour pratiquer ou non un contrôle d’identité.

Le droit des contrôles d’identité est assez instable.
« Les dispositions qui encadrent la mesure témoignent, par leur instabilité et leur caractère foisonnant, de la complexité du sujet + de la difficulté à trouver un point d’équilibre entre sécurité et liberté ».

Le dispositif actuel a largement été mis en place par la loi du 10 août 1993.

Rappels sur l’enquête pénale

L’enquête pénale renvoie à l’ensemble des actes effectués par la police judiciaire sous la direction et le contrôle du procureur de la République avant toute décision sur la poursuite, afin de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs.

Il faut que naisse un soupçon sur la commission d’une infraction.
Ce soupçon doit reposer sur des éléments objectifs, qui peuvent révéler d’une certaine actualité de l’infraction (→ enquête de flagrance) ou non (→ enquête préliminaire).

Parfois, il s’agit moins d’un soupçon que d’un questionnaire ou d’une interrogation.
Exemples : enquêtes pour blessures, morts, disparitions…

Attention : parfois, la mesure d’enquête a pour but de vérifier l’existence d’une éventuelle infraction sans être précédée de soupçon.
Exemple : contrôles d’identité.

I – Le contrôle d’identité stricto sensu : l’invitation à la justification de l’identité

Le contrôle d’identité répond à des conditions identiques que l’on soit dans une enquête de flagrance ou dans une enquête préliminaire.
Une autre distinction est utilisée par le législateur, entre contrôle de police administrative (préventif) et contrôle de police judiciaire (répressif).
Cependant, il n’est pas toujours évident de distinguer les 2 et les auteurs n’en ont pas nécessairement la même perception.

Critère finaliste :
Les contrôles d’identité judiciaires poursuivraient une finalité répressive en lien avec la recherche ou la constatation d’une infraction (→ police d’investigation).

Les contrôles d’identité administratifs auraient une finalité préventive en ce qu’ils s’inscriraient dans une mission de contrôle ou de surveillance générale destinée à prévenir la commission d’infractions (→ police d’ordre).

Ce critère finaliste fondé sur l’objectif du contrôle est d’application difficile, dans la mesure où les finalités préventive et répressive coexistent souvent au sein d’une même opération de police.

La doctrine l’a donc affiné :

  • Les contrôles d’identité sont judiciaires lorsqu’ils ont pour but “de rechercher le fauteur de ce désordre, pris plus exactement comme le transgresseur d’un interdit légal, un délinquant par conséquent, afin de le déférer à la justice pénale pour que celle-ci le sanctionne” (E. PICARD).
  • Les contrôles d’identité sont administratifs lorsqu’ils ont pour but de “maintenir ou rétablir l’ordre en ne s’intéressant qu’au désordre lui-même”, quitte à “mettre la main incidemment sur des délinquants” (E. PICARD).

A – Les contrôles d’identité judiciaires

1) Le contrôle d’identité-Soupçon

Le contrôle d’identité justifié par un soupçon est prévu par les alinéas 1 à 6 de l’article 78-2 du Code de procédure pénale.
Peut être invitée à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :

  • qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;
  • ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;
  • ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ;
  • ou qu’elle a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’une mesure d’assignation à résidence avec surveillance électronique, d’une peine ou d’une mesure suivie par le juge de l’application des peines ;
  • ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

Il faut des indices apparents pouvant justifier le contrôle, tels que l’attitude de la personne.
Une dénonciation peut suffire, mais elle ne peut pas être anonyme sans être accompagnée d’autres éléments (Crim., 23 octobre 1991 ; Crim., 3 mai 2007).

2) Le contrôle d’identité-Réquisitions

a) L’alinéa 7

L’alinéa 7 de l’article 78-2 prévoit le contrôle d’identité sur réquisitions écrites du procureur de la République.

Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

Ici, il n’y a pas besoin d’indices apparents ni de risque d’atteinte à l’ordre public.


b) L’article 78-2-2

La loi du 15 novembre 2001, complétée par la loi du 3 juin 2016, a ajouté l’article 78-2-2 du Code de procédure pénale.

L’intérêt de cette disposition réside cependant moins dans le contrôle d’identité qu’aux opérations relatives à la visite des véhicules et à la fouille des bagages.

Civ. 2, 19 février 2004 :
Initialement, le procureur n’était pas tenu de motiver le choix d’un lieu et d’une période de temps par rapport à des infractions qui se seraient produites dans le secteur considéré.
”L’article 78-2-2 du code de procédure pénale n’exige pas que, pour prendre ses réquisitions, le procureur de la République démontre l’existence d’indices de commission ou de risque de commission des infractions visées par ledit article ou un risque d’atteinte à l’ordre public”.

Conseil constitutionnel, 24 janvier 2017 (QPC) :
Le Conseil constitutionnel émet une réserve d’interprétation concernant la conformité à la Constitution des articles 78-2 et 78-2-2 : ces dispositions “ne sauraient sans méconnaître la liberté d’aller et venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions. Elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles généralisés dans le temps ou dans l’espace”.
→ Il est nécessaire de viser des lieux et périodes déterminés.

Civ. 1, 13 septembre 2017, n°16-22.967 :
Tire les conclusions de la décision du Conseil constitutionnel.
”Qu’en se déterminant ainsi, alors que la référence abstraite au plan Vigipirate et à l’état d’urgence ne permettait pas, à elle seule, de justifier le contrôle d’identité, en l’absence de circonstances particulières constitutives d’un risque d’atteinte à l’ordre public, le premier président a privé sa décision de base légale”.

B – Les contrôles d’identité administratifs

Un contrôle d’identité administratif est effectué en dehors de toute suspicion d’infraction, à seule fin de prévenir un trouble à l’ordre public.

1) Le contrôle d’identité-Prévention

L’alinéa 8 de l’article 78-2-2 prévoit que l’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut être contrôlée pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.
Ici, le contrôle est justifié par des considérations indépendantes du comportement de la personne, extérieures à celui-ci.

Conseil constitutionnel, 5 août 1993 :
”L’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ; que ce n’est que sous cette réserve d’interprétation que le législateur peut être regardé comme n’ayant pas privé de garanties légales l’existence de libertés constitutionnellement garanties”.

Par ailleurs, des formulations abstraites ne suffisent pas.
Il faut un risque sérieux et actuel d’atteinte à l’ordre public, justifié par des données concrètes.

Exemple : Crim., 17 décembre 1996 :
Contrôles d’identité place du Capitole à Toulouse : la Cour de cassation affirme que ni la référence abstraite à de nombreuses infractions, ni aucune circonstance particulière à l’espèce n’étaient de nature à motiver un contrôle d’identité sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 3.

2) Le contrôle d’identité-Schengen

L’alinéa 9 de l’article 78-2 ouvre la possibilité d’opérer des contrôles d’identité frontaliers “dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté, et aux abords de ces gares”.

Objectif : prévenir les infractions liées à la criminalité transfrontalière.

Ce contrôle ne peut être pratiqué que pendant maximum 12 heures dans un même lieu.
Il ne peut pas consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans ces lieux.

Le fait que le contrôle d’identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susvisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

Le texte de l’alinéa 9 a été modifié par la loi du 14 mars 2011 pour placer le droit français en conformité avec l’arrêt Melki et Abdeli (CJUE, 22 juin 2010).
En effet, dans le texte originel, des contrôles d’identité pouvaient avoir lieu indépendamment du comportement de la personne et de circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public → vérifications aux frontières, prohibées par l’accord de Schengen.

3) Les autres contrôles d’identité (article 78-2, alinéas 10 à 17)

Cette partie du cours n’a pas été étudiée en 2022-2023.

II – La vérification

A – Le régime général

Lorsque le contrôle d’identité ne permet pas de découvrir l’identité de la personne interpellée, l’article 78-3 du Code de procédure pénale autorise le déclenchement d’une phase contraignante impliquant la rétention de l’intéressé aux fins de vérification de son identité.

Cette rétention ne peut être décidée que si l’intéressé “refuse ou se trouve dans l’impossibilité de justifier de son identité”.
Cette rétention doit être nécessaire (→ appréciation souveraine de l’OPJ).

L’article 78-3 du Code de procédure pénale prévoit que la rétention peut avoir lieu “sur place ou dans le local de police”.
En pratique, elle a place dans les locaux de la police.

Si la personne interpellée maintient son refus de justifier de son identité ou fournit des éléments d’identité manifestement inexacts, les opérations de vérification peuvent donner lieu, après autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, à la prise d’empreintes digitales ou de photographies lorsque celle-ci constitue l’unique moyen d’établir l’identité de l’intéressé.

La personne retenue est informée de son droit de faire aviser le procureur de la République de la vérification dont il fait l’objet et de prévenir à tout moment sa famille ou toute personne de son choix. Si des circonstances particulières l’exigent, l’officier de police judiciaire prévient lui-même la famille ou la personne choisie.

Lorsqu’il s’agit d’un mineur de dix-huit ans, le procureur de la République doit être informé dès le début de la rétention. Sauf impossibilité, le mineur doit être assisté de son représentant légal.

Le législateur enserre la durée de la rétention dans une double limite :

  • En principe : “le temps strictement exigé par l’établissement de son identité” ;
  • Cette durée ne peut pas excéder 4 heures (8 heures à Mayotte) à compter du contrôle d’identité.

La procédure de vérification d’identité s’exerce sous le contrôle du procureur de la République qui peut mettre fin à tout moment à la rétention.

B – Le cas particulier du terrorisme

Voir l’article 78-3-1 du Code de procédure pénale.

> Consultation des traitements automatisés à caractère personnel ;
> Interrogation des services à l’origine du signalement de l’intéressé ainsi que des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers.

La retenue ne peut pas donner lieu à audition.
Le procureur de la République est informé dès le début de la retenue.

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