Section 4 : Les principes généraux gouvernant la procédure pénale

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de procédure pénale (L2).

Lorsqu’on suspecte qu’une infraction est commise, on ouvre une enquête de police.

À l’issue de l’enquête, on a 2 options :

  1. Soit on saisit directement la juridiction de jugement ;
  1. Soit on saisit le juge d’instruction.
    💡 L’instruction est obligatoire en matière criminelle et facultative en matière de délits.

Ensuite, il y a la phase de jugement ou d’instruction.

En remontant un peu en arrière, on constate qu’il existe 2 types d’enquêtes en procédure pénale en droit français :

  1. L’enquête dite de flagrance est déclenchée au titre d’une infraction qui est en train de se commettre ou qui vient juste d’être commise.
  1. L’enquête préliminaire a lieu dans la phase de mise en état.
⚠️
Il faut toujours garder à l’esprit qu’il ne peut pas y avoir d’instruction ni de jugement si l’action publique n’a pas été mise en mouvement (soit par le ministère public soit par la victime).

Le cadre du procès pénal se doit d’être respectueux d’un certain nombre de droits de la personne.
Ces règles fondamentales ont une valeur supra législative.
On parle de principes généraux (ou « directeurs ») dans la mesure où ils guident la procédure pénale.

I – Les garanties spécifiques en matière de preuve

A – La charge de la preuve : la présomption d’innocence, principe matriciel

On parle ici de principe matriciel puisqu’il inspire tous les autres principes.

1) La formulation du principe

Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (article 6-2 de la Convention EDH + article 9 de la DDHC).
Cela implique que c’est à la personne qui accuse une autre personne d’avoir commis une infraction pénale d’en rapporter la preuve.

Ça dispense la personne suspectée d’établir son innocence : c’est à la personne qui accuse autrui d’une infraction d’en rapporter la preuve.

2) Les implications du principe

Ce principe signifie que seule une déclaration de culpabilité devenue définitive rendue par une juridiction compétente peut renverser la présomption.

Il est nécessaire d’apporter la preuve dans tous ses éléments : l’élément légal et règlementaire, et autres éléments constitutifs comme l’élément matériel.

À l’inverse, c’est à la personne qui invoque la cause d’exonération de responsabilité pénale d’en rapporter la preuve, sauf dans certaines circonstances où la légitime défense doit être présumée.

Il faut apporter la preuve :

  • Que les faits ont bien eu lieu (constance des faits) ;
  • Que les faits sont bien qualifiables pénalement (= qu’ils correspondent aux prévisions d’un texte incriminateur) ;
  • Que les faits ont bien été accomplis par la personne poursuivie.

Idem pour l’élément moral : il doit en principe être démontré.

3) Les exceptions : les présomptions de culpabilité

On distingue les présomptions de droit et les présomptions de fait.

Les présomptions de droit sont prévues par la loi et concernent soit l’élément matériel soit l’élément moral.
Les
présomptions de fait sont l’œuvre des juges et concernent généralement l’élément moral.

Exemple : l’article 225-6 du Code pénal sur le proxénétisme (= tirer profit de la prostitution d’autrui) souligne qu’il y a des comportements qui sont assimilés au proxénétisme.
Est notamment assimilé au proxénétisme le fait, de quelque manière que ce soit, de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou tout en étant en relation habituelle avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution.
Dans ces circonstances, c’est à la personne de justifier de ressources correspondant à son train de vie pour ne pas que l’infraction soit constituée.

Conseil constitutionnel, 16 juin 1999 :
En principe, le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive.
Il peut le faire de manière exceptionnelle, dès lors :
> qu’elle ne revêtent pas de caractère irréfragable ;
> qu’est assuré le respect des droits de la défense ;
> que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité.

CEDH, Salabiaku c/ France :
La Cour ne met pas d’obstacle aux présomptions, mais rappelle qu’en matière pénale il y a un certain seuil à ne pas dépasser.
Les droits de la défense doivent être préservés.

Ces présomptions de droit, qui sont créées par le législateur, ont pour particularité d’être réfragables.

Les présomptions de fait sont quant à elles issues de la pratique des acteurs procéduraux.
Parfois, dans son ou ses réquisitoires, le ministère public va induire l’élément moral de la matérialité des faits (parfois, le juge n’a pas besoin du ministère public)
Idée : on déduit l’élément moral de la seule constatation objective des faits.

Il s’agit principalement des infractions intentionnelles.
Exemple : Crim., 15 mars 2017 :

2 individus se présentent à la sortie d’un lycée dans le but d’agresser une autre personne qui était mineur de 16 ans. À sa sortie, ils se ruent sur lui selon plusieurs témoins.
L’1 des 2 individus porte des coups à l’aide d’un couteau dont la lame mesure ~20 centimètres et dont il s’était préalablement muni ; l’un des coups est mortel.
L’auteur des coups a dit qu’il ne pouvait pas distinguer les coups qu’il portait, mais une expertise a invalidé cette affirmation.
L’autre individu a participé à la violence après, notamment en donnant des coups de pied au sol.

Les juges du fond ont considéré que la 1ère personne avait toujours soutenu que le coup fatal avait été porté involontairement et ont retenu qu’aucun élément ne permettait d’établir que cet accusé était animé d’une intention homicide.

L’enjeu de savoir si ces personnes avaient l’intention de donner la mort, ou seulement l’intention de commettre des violences est très important : c’est la différence entre un homicide (article 221-1 du Code pénal → 30 ans de réclusion criminelle) et des coups mortels (article 222-7 → 15 ans de réclusion criminelle).
Mais ils ont préalablement attendu une 20aine de minutes, signifie qu’il y avait préméditation ; en cas de meurtre avec préméditation, le Code pénal prévoit la réclusion criminelle à perpétuité.

Problème de droit : les juges du fond peuvent-ils relever cette différence d’éléments tout en concluant à l’existence de coups mortels ?
La chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré qu’il y avait ici contradiction de motifs.
La victime avait été frappée sciemment au niveau du thorax : la Cour de cassation considère qu’en retenant la qualification de coups mortels au motif que la qualification d’homicide ne relevait d’aucun élément du dossier, les juges n’ont pas tiré les conclusions légales de leurs constations.

Dans certains cas, on prouve donc l’élément moral (ici, l’intention homicide) à partir du type d’arme utilisé, du nombre de coups éventuellement portés à la victime et des régions du corps visés par l’agent.

Crim., 11 mai 1995 :
Les juges fonctionnent par présomption à l’égard de cet élément moral.
Cela signifie qu’ils constatent matériellement les faits et en tirent l’élément moral (exemple : exploitation d’une installation sans être titulaire des autorisations administrations → infraction intentionnelle).

Formule rituelle de la chambre criminelle : « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou règlementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3 al 1 du Code pénal« .
Là encore, la seule constatation de la violation d’une prescription matérielle suffit.
→ Cela a les apparences d’une présomption irréfragable…

4) Les sanctions

Certains auteurs considèrent que la présomption d’innocence est un véritable droit de la personnalité.

Il existe un droit de réponse en cas de violation de la présomption d’innocence + des mécanismes de sanction prévus par la loi de 1881 sur la presse.

L’article 9-1 du Code civil souligne que chacun a droit au respect de sa présomption d’innocence.
Lorsqu’une personne est présentée publiquement comme coupable avant toute condamnation, le juge peut prescrire toute mesure afin de faire cesser cette atteinte sans préjudice de la réparation du dommage.

B – L’administration de la preuve

Le droit de la preuve est l’une des questions les plus importantes (et intéressantes) en droit pénal.
« La preuve est ce qui persuade l’esprit d’une vérité ».

Mais les droit pénaux français et européen ne sont pas très clairs sur la question de la preuve :

  • Il y a l’article 9 de la DDHC sur la présomption d’innocence.
  • L’article 427 du Code de procédure pénale constitue le texte principal sur cette question.
  • Dans la CESDH, il n’y a pas de référence directe à la preuve en matière pénale.

C’est un vaste sujet : est-ce qu’on a le droit d’espionner quelqu’un ? d’utiliser un détecteur de mensonges ? d’utiliser la torture ?

1) Le principe : la liberté dans la production de la preuve

L’article 427 du Code de procédure pénale dispose que :

“Les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve”.

Cela signifie que tous les modes de preuve établis par la loi peuvent être utilisés pour rapporter la preuve de l’existence d’une infraction.

Il faut penser ce texte en opposition au système de preuve sous l’Ancien Régime, dans lequel une valeur était attribuée aux preuves théoriquement.
→ Il n’y a plus de hiérarchie entre les preuves.

L’aveu lui-même, qui était considéré comme étant au sommet de la hiérarchie, n’a pas légalement de valeur supérieure aux autres modes de preuve.
L’article 428 le précise très clairement : l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges.
En théorie, il n’est pas plus déterminant qu’un autre mode de preuve.

On constate que la preuve ADN est actuellement nimbée d’une certaine aura et a souvent une influence décisive sur le cours du procès.

La Convention EDH ne contient pas de références à la preuve, mais la CEDH réfléchit néanmoins sur la notion générale d’équité du procès : “la procédure envisagée dans son ensemble a-t-elle été équitable ?”.

CEDH, 9 juin 1998, Teixeira de Castro c/ Portugal :
La recevabilité des preuves relève en premier lieu des règles de droit interne. C’est aux juridictions nationales d’apprécier les éléments qu’elles ont recueilli.

La liberté de la preuve vaut pour toutes les infractions (crime, délit, contravention).
Elle vaut aussi en ce qui concerne les moyens de défense (causes d’exonération de la responsabilité pénale).

2) Les règles d’encadrement

Ces règles d’encadrement sont à géométrie variable.
Il y a 3 catégories de règles qui viennent encadrer la liberté de la preuve :

a) Les droits fondamentaux

Les actes de violence, la torture et les traitements inhumains et dégradants sont prohibés, même dans la perspective de la constitution d’une preuve.

CEDH, 2006, Jalloh contre Allemagne :
Des éléments à charge qui seraient rassemblés au moyen d’actes de violence ou de brutalité ou d’autres formes de traitement pouvant être qualifiés de torture ne doivent jamais être invoqués pour prouver la culpabilité d’une personne, « quelle qu’en soit la valeur probante ».

→ Il n’y a pas d’atteinte acceptable à la dignité.

Les atteintes à la vie privée sont aussi prohibées sur la base de l’article 8 de la Convention.


b) La légalité des actes accomplis

Cette règle ne s’impose qu’aux enquêteurs.

On attend d’eux qu’ils accomplissent des actes d’investigation prévus par la loi.
Ils ne sont pas censés rapporter la preuve par la commission d’infractions pénales (il y a cependant des nuances pour certains domaines particuliers, notamment le trafic de stupéfiants avec l’infiltration).


c) L’exigence de loyauté

La loyauté fait partie de ces concepts qui sont comme des images, qu’on aperçoit clairement de loin et qui se troublent dès qu’on s’en approche.

Il faut respecter la lettre des textes, mais également leur esprit.
La loyauté est plus simple à définir négativement que positivement : la loyauté, c’est l’absence de déloyauté = l’absence de tromperie, de ruse, …

Aucun texte n’évoque le principe de loyauté.
Ce n’est pas un principe constitutionnel ni un principe général du droit, et pourtant c’est une notion capitale.

Le doyen Bouzat présentait la loyauté comme une manière d’être dans la recherche de la preuve conforme au respect des droits des individus et à la dignité de la justice.
Ce serait synonyme de droiture.

La loyauté s’oppose essentiellement à 2 choses :

  • À la provocation à commettre une infraction ;
  • À l’usage de procédés tendant à évincer les droits de la défense, et en particulier le droit de ne pas s’auto-incriminer.

Le but des agents publics est de constater des infractions, pas les créer.

Sur l’infiltration dans un réseau criminel :
Il y a de nombreuses dispositions textuelles qui prévoient que, pour être licite, l’intervention des policiers ne peut jamais constituer une incitation à commettre des infractions.
Arrêt pilote dans ce domaine :

Crim., 27 février 1996, Schuller :
X, conseiller régional d’Île-de-France et conseiller général des Hauts de Seine, raconte que Y, médecin-psychiatre, l’aurait invité à le rencontrer à 2 reprises à l’Hôpital américain de Neuilly.
Y aurait offert à X d’intervenir auprès de son gendre, Z, juge d’instruction à Créteil pour « éviter que celui-ci ne l’implique dans une affaire de fausses factures qu’il instruisait » ; en contrepartie, Y aurait sollicité un dédommagement personnel et un avancement de carrière pour son gendre comme pour sa fille (elle aussi magistrate).
X raconte ça à des enquêteurs ; en présence de ces enquêteurs, il appelle Y, dirige la conversation, aborde la question financière lui-même, fixe le montant de la rémunération et organise un rendez-vous en vue de la remise des fonds.
Le rdv a lieu sous la surveillance des enquêteurs et X remet à Y un sac avec de l’argent ; les enquêteurs interpellent Y.
Est-ce que c’est valable ?

Réponse : non. La chambre d’accusation, puis la chambre criminelle, ont considéré que les fonctionnaires de police ont prêté leur assistance à une provocation qui avait pour objet d’inciter un délinquant à commettre des faits pénalement répréhensibles.
La procédure a été viciée : l’interpellation de Y a précédé d’une machination de nature à déterminer les agissements délictueux.

CEDH, 2008, Ramanoscas contre Lithuanie :
Dans cet arrêt assez pédagogique et didactique, la CEDH explique la différence entre :
> le fait de déterminer les agissements délictueux du côté de l’autorité publique ;
> et révéler des éléments délictueux préexistants.

« Il y a provocation policière (prohibée) lorsque les agents impliqués (membres des forces de l’ordre ou personnes intervenant à leur demande) ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité délictueuse, mais exercent sur la personne une influence de nature à l’inciter à commettre une infraction qu’autrement elles n’auraient pas commise pour en rendre possible la constatation, c’est-à-dire en apporter la preuve et la poursuivre ».

Crim., 7 février 2007 et 30 avril 2014 :
En mars 2014, le service des douanes et de l’immigration des États-Unis informe les services de police français qu’un individu s’est connecté sur un site de pédopornographie infantile dans la nuit du 9 au 10 septembre 2003, site créé et exploité par les services de police de New-York pour piéger ce type de personnes.
Une enquête préliminaire a lieu en France, qui conduit le 17 décembre 2004 à l’ouverture d’une instruction/information judiciaire avec qualification d’importation et détention d’images pornographiques de mineur.
Le 19 octobre 2005, une perquisition effectuée au domicile de l’individu, inconnu jusqu’alors des services de police et permet la découverte de plusieurs outils numériques contenant des images pornographiques de mineurs. La personne est mise en examen.

L’individu émet une requête en annulation, parce qu’il y aurait eu un stratagème des autorités américaines qui l’aurait poussé à commettre l’infraction.
Les juges du fond avaient rejeté sa requête en annulation, en considérant notamment que rien dans la procédure ne montrait que cette personne n’avait pas été déterminée par quiconque de commettre ces faits et avait agi de sa seule initiative.
La chambre criminelle casse l’arrêt ; elle estime qu’il y a eu une provocation à la commission d’une infraction organisée par les autorités américaines. Elle donne cependant peu de détails.

Crim., 30 avril 2014 :
Le FBI crée un forum qui est en réalité un forum d’infiltration pour fraude à la carte bancaire.
Certains éléments démontrent l’implication d’un français utilisant un pseudonyme dans le commerce illicite de numéros de cartes bancaires sur internet.
Ces informations sont transmises aux autorités françaises ; une perquisition a lieu à Toulouse au domicile du suspect et confirme les soupçons.
Question posée à la Cour de cassation : est-ce que le fait pour le FBI d’avoir mis en place un forum d’infiltration grâce auquel les informations sur la participation d’une personne à une infraction ont été transmises aux autorités françaises constitue une provocation à l’infraction, ou simplement d’une provocation à la preuve ?

Réponse de la Cour de cassation : il n’y a pas de provocation à l’infraction.
Ici, elle est un peu plus loquace qu’en 2007 : elle écrit que l’intéressé avait déjà manifesté sur d’autres sites internet son intérêt pour la technique de la fraude à la carte bancaire et que le site a simplement permis de rassembler des preuves de la commission de l’infraction et d’identifier les auteurs → il n’y a pas eu d’incitation des personnes à passer à l’acte.

Crim., 20 novembre 2016 :
Des échanges ont lieu entre l’un des avocats du roi du Maroc et le procureur de la République.
Un enregistrement d’une conversation entre cet avocat, le roi lui-même et des journalistes est produit.
À la date de cette conversation, un 1er livre sur le roi du Maroc avait été publié par ces journalistes, qui révélait des informations qui ne présentaient pas le roi sous un jour favorable et mettait en garde le roi contre la possibilité de la parution d’un 2ème livre.
Ces journalistes demandaient simplement de l’argent pour ne pas faire paraître ce livre.
Un nouveau rdv est fixé avec les journalistes par cet avocat ; il fait l’objet d’une surveillance policière grâce à laquelle les policiers constatent que des sommes d’argent sont remises aux journalistes, qui sont alors interpellés.

La chambre criminelle note qu’il y a eu une participation indirecte des enquêteurs à l’obtention d’un enregistrement par un particulier + la présence constante des enquêteurs.
L’assemblée plénière donne raison à la chambre de l’instruction, en considérant que les enquêteurs et l’autorité publique ont eu un rôle purement passif (ils ont simplement laissé faire).
Ce qui est intéressant ici, c’est qu’il y a l’intervention d’une personne privée (avocat) qui sert d’intermédiaire.

À retenir : lorsque le processus infractionnel est déclenché par le délinquant, le policier qui agit dissimulé et qui s’insère dans ce déroulé ne commet qu’une provocation à la preuve (qui est licite) et non une provocation à l’infraction.

Voir aussi :
> Crim., 9 décembre 2019 : sur un chantage à la sextape exercé sur un footballeur ;
> Crim., 1er décembre 2020, 18-86.767 et 20-82.078 (affaire Benalla).

C’est la même chose pour les procédés qui ont pour but d’évincer les droits de la défense, et en particulier du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
Une personne mise en cause dans une procédure pénale n’est pas tenue de collaborer avec la justice.

  • On a le droit de ne pas être contraint de remettre des éléments de preuve matériels qui établiraient notre implication.
  • On a le droit de garder le silence.

Crim., 16 décembre 1997 :
Un policier de propos enregistre de manière clandestine des propos qui lui avaient été tenus spontanément par une personne suspecte.
Dans cette hypothèse, les droits de la défense sont compromis → cet enregistrement est écarté de la procédure.

Crim., 5 mars 2013 :
Des OPJ retranscrivent les propos qu’un mis en examen leur tient lors du transport vers la maison d’arrêt → atteinte au principe de loyauté probatoire.

Assemblée plénière, 6 mars 2015 :
2 personnes que l’on suspecte d’être impliquées dans la même affaire sont placées en garde à vue simultanément dans 2 cellules mitoyennes préalablement sonorisées.
Les 2 personnes suspectées, ne se doutant de rien, ont des échanges verbaux.
La sonorisation et les placements en garde à vue avaient été autorisés, mais la combinaison de ces 2 mesures (+ le fait qu’on les a placés dans des cellules contigües) est-elle acceptable ?

Réponse : non, c’est un procédé déloyal mettant en échec le droit de se taire.
Ce qui est intéressant, c’est que normalement, pendant une garde à vue, il y a le moment de l’audition et des périodes de repos. L’enregistrement pendant les périodes de repos est prohibé.

Les particuliers ne sont pas soumis à ce principe de loyauté et peuvent agir de manière déloyale, en utilisant des moyens de preuve déloyaux ou même illicites.
On peut éventuellement envisager des sanctions contre l’intéressé, mais le fait que la preuve ait été obtenue ainsi ne la rend pas irrecevable.

Crim., 15 juin 1993 :
« Aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter les moyens de preuve produits par les parties aux seuls motifs qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement d’en apprécier la valeur probante. »

Exemple : filmer un salarié à son insu pour démontrer un vol.
Exemple : enregistrer clandestinement des conversations privées.

Le testage (testing en anglais) consiste à faire un test de situation / de discrimination en mettant à l’épreuve le respect du principe d’égalité dans des lieux publics où l’on pratique le filtrage (tels que les discothèques).
Objectif : déceler une situation discriminatoire.

Par exemple, on met en place des couples dont les demandes ne diffèrent que par une seule caractéristique pour voir si l’un est moins bien traité que l’autre.
Cette pratique a été reconnue comme valable par le juge et est désormais consacrée par la loi à l’article 225-3-1 du Code pénal qui renvoie aux infractions de discrimination.

→ Les infractions de discrimination sont constituées même si elles sont commises dans le cadre d’un procédé de testage.

Pourquoi cette différence entre les personnes privées et l’autorité publique ?
On part du principe que les autorités publiques ont des moyens que les personnes privées n’ont pas.

De plus, les personnes privées ne sont pas des agents de l’État ; les actes qu’ils accomplissent n’ont pas la nature d’actes procéduraux.

→ Volonté du juge de favoriser l’efficacité de la recherche probatoire (recherche de la vérité).

Cette possibilité, pour les personnes privées, d’utiliser des moyens de preuve illicites ou déloyaux, vaut au soutien d’une accusation en matière pénale, mais elle vaut aussi dans l’hypothèse où une personne privée voudrait se défendre d’une accusation pénale (si elle s’estime injustement accusée).

C – L’appréciation de la preuve

L’appréciation de la preuve correspond à la valeur que l’on attribue aux différents éléments de preuve qui sont produits en justice.

1) Le principe : la liberté et le système de l’intime conviction

Le principe est la liberté dans l’appréciation de la preuve.
C’est le sens de l’article 427 du Code de procédure pénale : le juge décide d’après son intime conviction.

L’intime conviction est née au siècle des Lumières.
On parle également d’un système d’une preuve morale ≠ preuves légales sous l’Ancien Régime.
Idée : laisser l’appréciation des preuves à la libre conscience de la Cour et des jurés.

Voir aussi : article 353 du Code de procédure pénale.

L’intime conviction vaut pour toutes les infractions.
Le juge apprécie librement la valeur des éléments qui sont produits devant lui, sans être tenu de respecter une quelconque hiérarchie.
On attend des personnes qui jugent qu’elles recourent à leur raison.

L’article 430 prévoit que les procès verbaux eux-mêmes ne valent qu’à titre de renseignements.
→ Le doute profite à l’accusé.

2) Les règles d’encadrement

a) La nécessité d’un débat contradictoire préalable

Il ressort de l’article 427 du Code de procédure pénale que les preuves doivent pouvoir être contradictoirement débattues devant l’autorité judiciaire avant que ne se forge l’intime conviction.

Les preuves doivent être présentées devant le tribunal.
Tout élément de preuve doit pouvoir être contradictoirement débattu.
Chaque partie est informée des éléments de preuve introduits par les autres parties.

Ce débat intervient à l’occasion d’une audience public (≠ huis clos).

L’article 427 précise que le juge ne peut fonder sa décision que :

  1. Sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats ;
  1. Sur des preuves qui sont contradictoirement discutées devant lui.

b) La légalité des actes accomplis

Dans certains cas, avant que l’intime conviction se forge, on exclut qu’elle puisse se fonder sur 1 seul élément de preuve.
Cela ne signifie pas qu’il y a pas certaines preuves qui auraient une valeur supérieure à d’autres (→ absence de hiérarchie), mais il y a certaines preuves qui ne peuvent, à elles seules, fonder une déclaration de culpabilité.

Liste non exhaustive : un témoin anonyme ; des agents de l’Etat qui ne révèlent pas leur identité ; la déclaration d’une personne ne s’étant pas entretenue avec un avocat…
Ces éléments de preuve ne peuvent jamais constituer le seul fondement d’une condamnation, parce qu’elles sont incertaines.


c) L’exigence de motivation

La décision doit être motivée par l’énoncé des principaux éléments qui ont été retenus par la juridiction de jugement à l’appui d’une condamnation, d’une relaxe ou d’un acquittement.

Formellement, la motivation intervient après que l’intime conviction ne se soit forgée, même si le fait de savoir qu’on doit motiver sa décision peut influencer la manière dont on la conçoit.

Il y a une double exigence de motivation :

  1. Une exigence de motivation concernant la culpabilité ;
  1. Une exigence de motivation concernant le choix de la peine.

Jusqu’à la loi du 10 août 2011, les décisions du tribunal de police et du tribunal correctionnel étaient motivées, mais pas celles de la cour d’assises ; or c’est devant la cour d’assises que les enjeux sont les plus lourds.

La loi du 10 août 2011 a apporté l’article 365-1 du Code de procédure pénale, qui énonce qu’en cas de condamnation, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises et qui ont été exposés au cour des délibérations.


Le débat contradictoire préalable et l’exigence de motivation s’imposent toujours.
En revanche, la limitation de la valeur probante ne vaut que dans certains cas pour certains éléments de preuve → ça n’est pas une règle générale.

II – Les principes transversaux

Il existe 4 principes transversaux en procédure pénale : le principe de légalité, d’égalité, de proportionnalité et de dignité.

A- Le principe de légalité

La légalité des délits et des peines a pour conséquence qu’une personne ne peut être condamnée pour une infraction que si elle est prévue par une loi.
De même, la peine doit être prévue par la loi.
→ Il n’y a pas de crime ni de peine sans loi.

  • Article 8 de la DDHC ;
  • Article 7 de la Convention EDH :
    « Nul ne peut être arrêté, accusé, ou détenu que dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu’elle a prescrite ».
    → Principe de légalité procédurale.

1) Légalité formelle, légalité matérielle et légalité organique : la nécessité d’un texte, clair et précis, interprété strictement

L’article 111-4 du Code pénal dispose que la loi pénale est d’interprétation stricte.

En matière procédurale comme en droit de fond, il faut un texte.
Exemple : on ne peut pas accomplir un acte d’enquête qui n’est pas prévu par un texte.

Il y a toute une jurisprudence intéressante sur le sujet du côté de la CEDH.
L’article 8 de la Convention EDH est relatif à la vie privée et familiale ; son paragraphe 2 fait référence aux restrictions qui pourraient être apportées à ce droit → elles doivent être prévues par la loi.

Très tôt, la CEDH a considéré que la loi devait être entendue dans un sens matériel, et non seulement formel.
> Sens formel : il suffit d’un texte ;
> Sens matériel : ce texte doit être suffisamment accessible, clair, précis, compréhensible.

L’article 81 du Code de procédure pénale affirme que le juge d’instruction peut faire procéder à tout acte utile à la manifestation de la vérité. Sur cette base, un juge d’instruction décide de procéder à des écoutes téléphoniques.
Ça arrive un jour devant la CEDH, qui conclut à une violation de l’article 8 sur la vie privée :

CEDH, 24 avril 1990, Huvig et Kruslin contre France :
Ces écoutes téléphoniques, qui sont des mesures portant atteinte à la vie privée des personnes concernées, doivent être encadrées par une loi accessible, précise, claire et intelligible ; l’article 81 ne suffit pas.

Même chose dans les années 2000 avec la géolocalisation, puis avec la sonorisation.
> CEDH, 8 février 2018, Ben Faiza contre France ;
> CEDH, 31 mai 2005, Vetter contre France.

La légalité formelle est l’exigence d’un texte (lex scripta = « loi écrite »).
La légalité matérielle renvoie à l’accessibilité, la précision, la clarté et l’intelligibilité (lex cerpa = « loi certaine »).
La légalité organique renvoie au principe d’interprétation stricte (lex stricta).

2) L’application de la loi procédurale dans le temps

⚠️ La non rétroactivité de la loi pénale préexistante plus douce vaut pour la loi pénale de fond, et non pour la loi procédurale.
Il y a un principe d’application immédiate de la loi de procédure pénale.

L’article 112-2 du Code pénal prévoit que les lois de compétence et d’organisation judiciaire, les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure… sont immédiatement applicables à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur.

Exemple :
Une infraction est commise le 1er septembre 1990.
On enquête dessus, et pendant l’enquête en 1991 une nouvelle loi prévoit une nouvelle modalité de poursuite.
En 1992, on peut poursuivre cette infraction de 1990 avec cette nouvelle modalité de poursuite sans que ça ne pose de problème.

L’article 112-2 contient certaines précisions :

  • Pour les lois de compétence et d’organisation judiciaire : « à condition qu’un jugement au fond n’ait pas été rendu en 1ère instance ».
  • Il y a des règles particulières sur la prescription
    les lois relatives à la prescription sont applicables immédiatement lorsque les prescriptions ne sont pas déjà acquises.
    Une nouvelle loi qui modifie un délai de prescription à la hausse ou à la baisse peut allonger ou réduire le délai de prescription pour une infraction, à condition que ce nouveau délai de prescription ne soit pas déjà acquis.

Article 112-3 du Code pénal : la loi procédurale ne peut pas s’appliquer immédiatement si elle a pour conséquence de remettre en cause un droit acquis au profit du délinquant
concerne techniquement les voies de recours (appel, pourvoi en cassation).
Ces lois relatives à la nature et à l’ouverture des voies de recours sont applicables aux recours formés contre les décisions prononcées après leur entrée en vigueur.

Article 112-4 du Code pénal : l’application immédiate d’une loi de procédure nouvelle ne peut jamais entraîner la nullité d’actes accomplis conformément à la loi ancienne.

B – Le principe d’égalité

1) L’exposé et les sources du principe

Le principe d’égalité renvoie à l’idée d’absence de traitement discriminatoire et à l’exclusion de toute distinction qui serait arbitraire dans la détermination et l’application des règles de procédure.

⚠️ Le principe d’égalité n’interdit pas toute distinction, mais seulement les distinctions arbitraires.

L’article 1er de la DDHC de 1789 affirme que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Mais, surtout, son article 6 est plus précis et affirme que : « La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

L’article préliminaire du Code de procédure pénale dispose quant à lui que :
« Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles ».
→ Principe d’égalité des citoyens devant la justice pénale.

L’article 14 de la Convention EDH est quant à lui très général et interdit les discriminations.
Il doit être couplé avec autres articles de la Convention.
« La jouissance des droits et libertés qui sont reconnus par la convention doit être assurée sans distinction qui serait fondée la religion, le sexe, la couleur, la langue, les opinions politiques, … ».

L’article 14 paragraphe 1 du Pacte international pour les droits civils et politiques affirme que “Toutes les personnes sont égales devant les tribunaux et les cours de justice ».

2) Les applications du principe

a) L’interdiction des régimes légaux dérogatoires injustifiés

Les dérogations ne sont pas interdites.
Ce qui est exclu, ce sont les distinctions injustifiées ou arbitraires.

Conseil constitutionnel, 4 juillet 1989 :
Décision concernant le principe d’égalité en général.
Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes.
Le principe d’égalité ne s’oppose pas non plus à ce que le législateur déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, à la condition que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui établit cette dérogation.

Conseil constitutionnel, 19 et 20 janvier 1981 :
Décision qui évoque spécifiquement les règles de procédure pénale.
Souligne que le législateur peut prévoir des règles de procédure pénale différentes selon les faits, les situations et les personnes, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées des garanties égales aux justiciables.

CEDH, 1996, Gaygusuz c/ Autriche :
Des distinctions sont possibles, mais la distinction discriminatoire ne l’est pas.
La distinction est discriminatoire si elle ne poursuit pas un but légitime ou qu’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

2 exemples tirés de la jurisprudence du Conseil constitutionnel :

  1. Conseil constitutionnel, 6 avril 2012 :
    À propos de l’enregistrement des auditions des personnes gardées à vue : le législateur avait entendu exclure ces enregistrements en matière de criminalité organisée.
    L’enregistrement audiovisuel n’est pas un droit de la défense ; il est là pour l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
    Le Conseil constitutionnel souligne que par la consultation de l’enregistrement audiovisuel, le législateur a voulu rendre possible la vérification des propos retranscris dans les procès-verbaux pour les personnes suspectées d’avoir commis un crime.
    Est-ce que la distinction faite entre criminalité organisée et autres crimes est pertinente ?

    Réponse : non, elle ne l’est pas. En quoi le fait que l’infraction soit plus grave (et donc susceptible d’entraîner des conséquences plus importantes du côté du suspect) importe ici ?
    → Discrimination considérée comme injustifiée par le Conseil constitutionnel.

  1. Conseil constitutionnel, 12 avril 2013 :
    Le législateur fait le choix de porter le délai de prescription en matière d’infractions de presse de 3 mois à 1 an pour certaines infractions : provocation à la discrimination, à la haine, à la violence, injures à caractère ethnique ou racial, écrits ou propos constituant une contestation des crimes contre l’humanité.
    L’objectif poursuivi est clair et la différence de traitement qui en résulte ne présente pas un caractère disproportionné.
    Il n’y a pas d’atteinte aux droits de la défense, donc les dispositions qui portent de 3 mois à 1 an le délai de prescription pour certains délits ne sont pas considérées comme contraires au principe d’égalité.

b) L’interdiction des dérogations arbitraires

Il peut y avoir une atteinte au principe d’égalité lorsqu’il y a un problème de qualité de la loi procédurale (lorsqu’elle est trop vague).
En effet, le flou de cette norme fait dépendre l’application de cette norme de l’appréciation arbitraire du juge.

Conseil constitutionnel, 23 juillet 1975 :
Le respect du principe d’égalité fait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes.

C – Le principe de proportionnalité

1) L’exposé du principe

La proportion renvoie à l’idée d’une mesure raisonnable et d’un rapport entre 2 choses.

Le principe de proportionnalité apparaît dans un nombre considérable de dispositions du Code de procédure pénale.

Le Code de procédure pénale rappelle que les mesures de contrainte dont la personne mise en cause peut faire l’objet doivent être proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée.

La mesure doit être non seulement nécessaire, mais aussi proportionnée ; cela fait partie des conditions qui sont vérifiées par la CEDH.

Exemple : les mesures d’enquêtes qui portent atteinte à la vie privée ne sont autorisées qu’à condition qu’elles poursuivent un but légitime et qu’elles soient proportionnées.
Même si elles poursuivent un but légitime, si l’atteinte au droit à la vie privée est disproportionné par rapport au but poursuivi, on considère qu’il y a violation de la disposition de la convention.

Conseil constitutionnel, 2 mars 2004 :
Concerne les mesures d’investigation spéciale (sonorisation, géolocalisation).
Ces mesures peuvent porter atteinte à des droits qui sont constitutionnellement garantis ou apporter des restrictions à ces droits, à condition que ces restrictions soient nécessaires à la manifestation de la vérité, qu’elles n’introduisent pas de discriminations injustifiées [principe d’égalité] et qu’elles soient proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises [principe de proportionnalité].

Ce qui est intéressant, c’est que ce principe s’impose au législateur lorsqu’il édicte des règles procédurales, mais également aux acteurs lorsqu’ils les mettent en œuvre.
(idem pour le principe d’égalité)

Est-ce que le législateur respecte le principe de proportionnalité s’il prévoit la possibilité d’une détention provisoire à propos d’une contravention ? Évidemment que non.

En pratique, pour la détention provisoire, le juge des libertés et de la détention apprécie au cas par cas, dans les cas prévus par la loi, si cette détention provisoire est pertinente par rapport aux objectifs poursuivis par la loi (= éviter une pression sur les témoins ou leurs familles).

⚠️ La proportionnalité ne vaut pas que pour les mesures de contrainte.

2) Les applications du principe

a) Les applications au regard de la liberté d’aller et de venir

Ce qu’on a dit pour la liberté provisoire est aussi valable pour la garde à vue : il y a désormais certains objectifs qui doivent être poursuivis pour placer en garde à vue.
La mesure de garde à vue doit être l’unique moyen de parvenir à au moins 1 de ces objectifs (empêcher des pressions sur les victimes ou témoins, permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou l’implication de la personne…).

b) Les applications au regard du droit à la vie

Il est ici question d’opérations d’arrestation “un peu trop musclées”…

Crim., 18 février 2003 :
Relatif à l’usage de la force.
En théorie, les gendarmes peuvent déployer la force armée lorsqu’ils veulent immobiliser un véhicule et qu’ils ne peuvent pas immobiliser autrement le véhicule dont le conducteur n’obtempère pas à l’ordre d’arrêt.

En l’espèce, un individu conduit un véhicule et fait demi-tour à la vue de 2 gendarmes : il n’était pas assuré, ce qui est une infraction mineure.
Dans une poursuite mouvementée, l’un des gendarmes parvient à se porter à la hauteur de la portière gauche du véhicule ; il tire sur le conducteur, qui est touché au thorax et est tué par ce coup de feu.
Est-ce que cet usage de la force était proportionné ?

La Cour de cassation casse la décision : la cour d’appel n’a pas recherché si l’usage de la force était absolument nécessaire, et pas simplement nécessaire.

→ La proportionnalité est appréciée de manière particulièrement stricte lorsqu’il s’agit de la vie d’une personne.

CEDH, 9 octobre 2016, Saoud contre France :
Ici, on raisonne sur l’article 2 de la Convention EDH (droit à la vie).
La CEDH considère que la mort n’est pas infligée en violation de cet article dans certaines hypothèses limitativement énumérées, notamment la légitime défense des personnes ou encore pour effectuer une arrestation régulière à condition que le recours à la force soit absolument nécessaire.

En l’espèce, les services de police reçoivent un coup de téléphone qui leur demande d’intervenir dans un domicile où un individu présenterait des graves troubles du comportement, avec des violences sur sa mère et ses sœurs.
Les policiers donnent l’assaut par le balcon ; l’individu était agité et a notamment blessé 1 des policiers en s’emparant d’une arme et en tirant 4 coups de feu au ras du sol.
Les policiers immobilisent l’individu et le menottent, sauf qu’ils le menottent les bras en avant et non dans le dos et procèdent à un plaquage ventral → asphyxie.

La CEDH ne nie pas la nécessité de prodiguer des soins au policier blessé, mais note que « le décès de Mohamed Saoud est intervenu du fait de son immobilisation au sol par les policiers durant plus de trente minutes, alors qu’il était menotté aux chevilles et aux poignets. Le fait qu’il se soit débattu pendant ces longues minutes était certainement dû à une tentative pour se dégager de cette emprise insupportable, qui accroissait ses difficultés respiratoires. »
Cette technique d’immobilisation avait déjà été identifiée comme hautement dangereuse pour la vie.

La Cour note par ailleurs qu’aucun soin n’a été prodigué à la personne avant son arrêt cardiaque alors qu’il y avait des professionnels formés aux secours.

D – Le principe de dignité

1) L’exposé du principe

Le principe de dignité est extrêmement difficile à définir.
On en parle comme de la « pierre angulaire de la protection accordée à la personne humaine ».

La dignité s’oppose à toute forme d’asservissement de la personne, aux mauvais traitements, aux procédés humiliants, aux traitement inhumains ou dégradants, et aux habitudes violentes.

Il y a des textes qui font référence expressément à la dignité :

  • L’article 16 du Code civil interdit toute atteinte à la dignité ;
  • La Charte des droits fondamentaux de l’UE affirme que la dignité humaine est inviolable ;
  • La 1ère phrase du préambule de la DUDH évoque « la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine » ;
  • L’article 3 de la Convention EDH et l’article 7 du PIDCP prohibent la torture ou les peines et traitements cruels/inhumains/dégradants ;
  • L’article préliminaire du Code de procédure pénale dispose que les mesures de contrainte ne doivent pas porter atteinte à la dignité humaine ;
  • L’article 63-5 du Code de procédure pénale rappelle que la garde à vue doit respecter la dignité de la personne.

Le principe de dignité ne supporte aucune exception : il est indérogeable.
On ne peut pas porter atteinte au principe de dignité.

CEDH, 19 février 2009, Abou Qatata c/ Royaume-Uni :
L’article 3 ne peut pas faire l’objet de dérogations, même dans les circonstances les + difficiles telles que la lutte contre le terrorisme, et quels que soient les agissements de la personne concernée.

Conseil constitutionnel, 27 juillet 1994, Loi bioéthique :
Ce principe a en principe une valeur constitutionnelle.

2) Les applications du principe

a) La prohibition des violences physiques ou psychiques

CEDH, 4 novembre 2010, Darraj contre France :
Un individu âgé de 16 ans est contrôlé sur la voie publique à bord d’un véhicule sans conducteur avec les fils de démarrage dénudés.
Après son contrôle, il a des concussions dans plusieurs parties du corps, de multiples blessures au visage et au cou et de multiples hématomes au cuir chevelu + une fracture du testicule droit → 23 jours d’interruption de travail.
+ 1 an après l’interpellation, il souffre encore d’un traumatisme.

La cour d’appel de Versailles avait limité la condamnation au chef de « blessures non intentionnelles » → la CEDH a considéré qu’il y a une violation de l’article 3 de la Convention.


b) La prohibition des traitements dégradants lors de l’accomplissement de mesures de sécurité

CEDH, 1er juin 2010, Gäfgen contre Allemagne :
Un individu attire un jeune enfant de 11 ans dans son appartement et l’étouffe. Il fait néanmoins une demande de rançon, fait l’objet d’une filature, est arrêté à l’aéroport, plaqué au sol, et est ensuite conduit à la direction de la police de Francfort (qui ignore à ce stade que l’enfant était mort).
Le directeur adjoint de la police de Francfort ordonne à un inspecteur de menacer cet individu de vives souffrances et au besoin lui en infliger afin de le conduire à révéler où se trouve l’enfant.
L’inspecteur procède à ces menaces, lui indiquant qu’une personne était en route vers le commissariat pour lui faire subir ces souffrances.

La CEDH souligne que la convention prohibe la torture en elle-même au sens physique du terme.
Elle indique aussi que menacer quelqu’un de le torturer peut également, dans des circonstances données, constituer un traitement inhumain.
En l’espèce, la cour estime que les menaces proférées à l’adresse du ravisseur, « menaces réelles et immédiates », ont atteint le degré de gravité nécessaire pour que le comportement litigieux tombe sous le coup de l’article 3.

CEDH, 24 juillet 2001, Valasinas contre Lithuanie :
Dans une prison lithuanienne, un détenu reçoit la visite de ses parents qui lui remettent de la nourriture. Il est arrêté pour subir le contrôle de sécurité habituel, pour vérifier qu’on ne lui a pas remis quelque chose d’interdit.
On procède à sa fouille alors que 3 gardiens sont présents et on lui ordonne de se déshabiller. Au moment où il est en sous-vêtements, une surveillante entre dans la pièce. Le gardien qui procède à la fouille lui ordonne de se dévêtir complètement (« fouille intégrale »), en le menaçant d’une réprimande s’il ne s’exécute pas.
Il s’exécute, les gardiens examinent son corps et le touchent partout sans gants. Ils l’obligent également à s’accroupir. Il s’agit d’une fouille menée dans le but de le ridiculiser devant la surveillante.

La Cour retient que si la fouille intégrale avec mise à nu peut parfois être nécessaire, elle doit être pratiquée par et en présence de personnes du même sexe.

La Cour note des sentiments d’angoisse et d’infériorité, source d’humiliations et de vexations.
Elle considère que cette fouille constituait un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.

→ Le principe de dignité s’oppose également aux traitements dégradants ou à l’accomplissement de mesures de sécurité dans des conditions dégradantes.

CEDH, 11 juillet 2006, Rivière contre France :
Il y a une violation de l’article 3 par le maintien en détention d’une personne qui ne devait pas être en détention, mais qui aurait dû être en hôpital psychiatrique.
Les conditions de détention ont été jugées incompatibles avec l’état de sa personne en particulier.


c) La prohibition des conditions de détention indignes

Le détenu peut-il demander à changer de cellule ou d’établissement pénitentiaire ? le juge doit-il remettre une personne détenue en liberté sur le fondement de l’indignité de ses conditions de détention ?

CEDH, 30 janvier 2020, JMP et autres contre France :
Les autorités doivent mettre en œuvre un recours effectif pour permettre de redresser la situation des détenus soumis à des conditions indignes de détention.

Crim., 8 juillet 2020 :
Revirement de jurisprudence : la Cour de cassation considère que le juge a l’obligation de garantir un recours effectif à la personne placée dans des conditions de détention indignes.

La loi du 8 avril 2021 tend à garantir le droit au respect de la dignité en détention en donnant compétence au juge judiciaire pour prendre des mesures concernant ses conditions de détention.
« prendre une mesure » : transfèrement de la personne dans un autre établissement pénitentiaire ou fin immédiate de la détention provisoire.

C’est à l’individu qui invoque des conditions de détention indignes de fournir une description suffisamment précise de ses conditions personnelles de détention allant dans le sens d’une indignité → constitue un commencement de preuve du caractère indigne des conditions de détention.
On diligente ensuite une enquête.
Exemple : le fait de faire référence à l’insalubrité d’une maison d’arrêt dans son ensemble n’est pas considéré comme suffisamment précis et détaillé.

Cependant, ce recours peut se retourner contre la personne, qui pourrait par exemple être transférée dans un établissement pénitentiaire très loin de sa famille ou de ses enfants.

III – Autres principes

L’indépendance et l’impartialité de l’autorité judiciaire

L’indépendance s’apprécie par rapport à d’autres acteurs et à d’autres pouvoirs ; elle se lit comme une absence de soumission d’une autorité à d’autres autorités.

L’impartialité, c’est l’absence de parti pris ; c’est la neutralité, l’absence de préjugé, l’absence d’idée préconçue…
L’impartialité ne s’apprécie pas par rapport aux autres pouvoirs ou aux autres autorités, mais par rapport aux parties.

Exemple : le ministère public est chargé d’exercer l’action publique, mais également de surveiller le bon déroulement d’une garde à vue en vérifiant que les droits de la personne gardée à vue sont respectés, notamment la dignité.
Il est donc censé être garant des droits des suspects pendant la garde à vue, et ensuite il doit prendre une décision de savoir s’il exerce des poursuites contre cette personne.
→ Contradiction : est-ce qu’il est neutre dans chacune de ces 2 fonctions à la lumière de l’autre fonction ?

L’impartialité renvoie à l’image de la justice : la statue de la déesse grecque Thémis qui tient une balance dans sa main gauche et un glaive dans la main droite.
Le glaive dans la main droite est synonyme de la force / de l’autorité / de la puissance ; la balance évoque le fait qu’on pèse les arguments des parties pour rendre justice.
Elle a un bandeau sur les yeux : elle ne doit pencher en faveur d’aucune des parties.
Cela ne veut pas dire qu’on rend la justice aveuglément, puisqu’on tient compte des personnes pour ne pas avoir une application froide et mécanique des lois.

« Il est facile d’appliquer la loi, il est beaucoup plus difficile de rendre la justice » : cela est particulièrement important en procédure pénale.

Le contradictoire et l’égalité des armes

Le contradictoire est la capacité à pouvoir connaître et pouvoir discuter et débattre.

Connaître, c’est être informé des reproches que l’on me fait en tant qu’accusé et pouvoir avoir connaissance des éléments de preuve qui sont produits par la partie adverse.
La CEDH parle de « pouvoir prendre connaissance de toute pièce et observation présentée au juge ».

C’est notamment avoir accès à la procédure et à l’argumentation des autres parties, aux conclusions du rapporteur général…

Encore faut-il pouvoir comprendre les documents…
Les rapports d’expertise concernant les preuves génétiques peuvent être extrêmement techniques.

Le juge a notamment l’obligation de soumettre à la discussion des parties les éléments de preuve.

L’égalité des armes signifie que toute partie doit avoir la possibilité d’exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage.

→ Droit pour les parties de présenter leurs conclusions dans des conditions équivalentes.

Il faut noter la coloration guerrière de l’expression, qui renvoie directement à l’ancien droit et à l’égalité entre des adversaires qui combattent.

Les droits de la défense

Les droits de la défense ont une valeur constitutionnelle en tant que catégorie.
En effet, ce sont des PFRLR depuis une décision du Conseil constitutionnel du 2 décembre 1976.

Mais il est très difficile de faire une liste exhaustive des droits de la défense, car c’est une catégorie dynamique (ils sont susceptibles d’évoluer).

Il y a notamment :
> le droit à l’assistance d’un défendeur de son choix ;
> le droit à se faire se faire assister d’un interprète ;
> le droit à être présent au procès ;
> le droit de garder le silence.

Il y en a à l’article 6-3 de la Convention EDH, à l’article 14-3 du PIDCP ; d’autres sont issus de la jurisprudence.
→ Il n’est pas facile de tracer le périmètre de cette catégorie ouverte.

Les droits de la défense sont reconnus à la personne accusée, mais aussi à la personne détenue.
On parle aussi de “droits de la défense” à propos de la victime.

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