Chapitre 5 : Éléments de technique fiscale

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit fiscal (L2).

Notre système fiscal est constitué de plusieurs impositions juxtaposées.
Idée : un impôt, en soi, ne saurait jamais être considéré de manière isolée : il prend place à côté d’autres impositions au sein d’un système fiscal qui se veut cohérent.

Ce système fiscal renvoie aussi à un certain nombre de règles qu’il doit systématiquement mettre en œuvre pour atteindre cette cohérence.
Un État n’est doté d’un système fiscal que dès lors que les règles d’assiette, de liquidation et de recouvrement des différentes impositions sont définies.

Section 1 : L’assiette de l’impôt

Asseoir l’impôt, c’est déterminer les bases de l’imposition.
La logique de l’assiette consiste à répondre à 2 questions :
1- Quelle est la matière imposable ?
2- Comment évaluer la teneur de cette matière imposable ?

§ 1. La détermination de l’assiette

A – Les personnes imposables

La distinction entre personnes morales et personnes physiques est pertinente d’un point de vue juridique.
En revanche, elle est beaucoup moins pertinente d’un point de vue économique. En effet, les entreprises vont nécessairement répercuter dans leurs coûts les impôts qu’elles versent, ce qui va peser sur leurs clients et donc sur les ménages → personnes physiques.

1) Les personnes physiques

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Ici, personnes physiques, particuliers et ménages sont synonymes.

Les personnes physiques sont les premiers contributeurs de l’impôt.
Cela est assez logique : ils sont les premiers bénéficiaires des services publics mis en place par la puissance publique.

Ces personnes physiques sont les premiers contributeurs au regard des prélèvements qui sont opérés au titre 1- de leur revenu ; mais aussi au regard des prélèvements qui sont opérés 2- au titre de leur patrimoine.

a) Impôt sur le revenu

Les particuliers s’acquittent principalement d’impôts sur les revenus qu’ils retirent de leur travail, mais auquel il faut ajouter les revenus qu’ils retirent de leur patrimoine.
Lorsqu’on paye un impôt sur le revenu, on appréhende par exemple aussi le revenu foncier dont bénéficie le particulier (par exemple, le loyer généré par un appartement dont on est propriétaire).

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L’impôt sur le revenu porte sur toutes les formes de revenus.
Il est indépendant de toute forme d’impôt qui est prélevé au titre du patrimoine.

L’impôt sur le revenu des personnes physiques, qu’on appelle aussi IR, représentait 97 milliards d’euros en 2023 (chiffre prévisionnel de la loi de finances pour 2023).
Il est directement affecté aux caisses de l’État.

C’est l’impôt “emblématique”, mais il convient de nuancer son importance : ce n’est pas l’impôt sur le revenu qui rapporte le + aux caisses publiques.
En effet, parallèlement à l’IR, les particuliers vont être aussi soumis à la contribution sociale généralisée (CSG), qui est aussi un impôt sur les revenus et qui a permis de rapporter en 2022 133 milliards d’euros qui ont été affectés directement et exclusivement à l’équilibre des comptes sociaux (= à la sécurité sociale).

Ce “faible” de l’IR par rapport à la CSG trouve son explication dans les techniques d’imposition mises en œuvre, et notamment dans l’appréhension de l’assiette.
Compte de l’appréhension de l’assiette, toutes les personnes physiques ne seront pas soumises à l’impôt sur le revenu.
En effet, on estime que, sur 100% des personnes qui sont susceptibles d’être soumises à l’IR, 55% ne le paient pas faute d’avoir un revenu suffisant ; seuls 45% sont redevables de cet impôt.
L’impôt sur le revenu fait l’objet d’une très forte concentration sur les foyer fiscaux les plus aisés, au regard des logiques de justice fiscale voulues par le législateur. 10% des foyers les plus aisés acquittent à eux seuls 70% du produit net de l’IR.

En revanche, pour la CSG, quasiment tous les revenus sans exception font l’objet d’une taxation : la CSG est payée sur tous les revenus de tous les contribuables.
→ Dans le cas de la CSG, quasiment aucun revenu n’échappe à la taxation.

Le fait que l’IR, censé être universel, ne soit en réalité payé que par moins de la moitié de ceux qui sont assujettis est souvent critiqué en France.

Mais on ne peut pas appréhender l’IR de manière isolée.
Ces 2 impôts couplés nous montrent que, certes, + de la moitié de la population ne s’acquitte pas de l’IR, mais qu’à travers la CSG toute la population (même ceux qui sont au chômage !) est soumise à cet impôt.

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L’objectif de la CSG est l’équilibre des comptes de la sécurité sociale.

La contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) est aussi un impôt sur le revenu.

b) Impôt sur le patrimoine

Ici, il s’agit d’impositions qui concernent directement le patrimoine (= les biens qu’ils possèdent), indépendamment des revenus provenant du patrimoine.

Ces impositions interviennent lors de la détention de ces biens, mais aussi lors de la transmission de ces biens.
Exemple : droits de succession lorsque l’on transmet des biens au profit des héritiers.

Il ne faut pas non plus oublier les impôts directs locaux qui sont versés par les ménages aux collectivités territoriales :
> les 2 taxes foncières (taxe foncière bâtie + taxe foncière non bâtie) ;
> la taxe d’habitation (désormais réservée aux seuls habitations secondaires).


2) Les personnes morales

Le droit fiscal est attaché à la nature juridique des personnes qu’il assujettit à l’impôt.
Pour autant, le droit fiscal se veut aussi très pragmatique, et est donc très attentif à la réalité du monde économique et du monde des affaires.

Historiquement, l’impôt sur le revenu, lorsqu’il a été créé pendant la Première Guerre mondiale, n’établissait aucune distinction entre les personnes morales et physiques.
Pourtant, en 1948, parallèlement à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IR), on crée l’impôt sur les sociétés (IS) distinct.

Aujourd’hui, les sociétés sont soumises à cet impôt sur les sociétés.
Le CGI s’efforce de soumettre toutes les entreprises à l’impôt sur les sociétés.
Il y assimile aussi les professionnels qui exercent leur activité de manière indépendante.
Cela permet une application de règles d’imposition identique quel que soit leur statut juridique.

La plupart des personnes morales sont assujetties à l’IS, mais certaines personnes morales (notamment les sociétés de personnes) sont assujetties à l’IR.

Pour autant, qu’elles soient assujetties à l’IS ou à l’IR, toutes ces personnes morales se voient appliquer les mêmes règles d’assiette, qui permettent de déterminer leur bénéfice imposable.

Au-delà de l’imposition des bénéfices, les entreprises sont aussi soumises à des impôts commerciaux, et notamment à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui a une très grande importance budgétaire pour les caisses de l’État.

Les personnes morales versent aussi des impôts aux collectivités territoriales : la contribution économique territoriale a remplacé en 2010 l’ancienne taxe professionnelle.
C’est un impôt de production.

B – La matière imposable

L’impôt a toujours pour assiette la richesse : il n’y a pas d’impôt s’il n’y a pas de création de richesse.
Mais cette richesse n’a pas toujours la même nature économique.

Quel est le stade le + opportun pour frapper de l’impôt cette richesse ?
On a 3 temps économiques possibles :

  1. Lorsque la richesse pénètre dans le patrimoine du contribuable.
    C’est l’approche de l’impôt sur le revenu.
  1. Lorsque la richesse est une composante du patrimoine du contribuable.
    C’est l’approche de l’impôt sur le patrimoine, sur le capital et sur la fortune.
  1. Lorsque la richesse sort du patrimoine du contribuable.
    C’est l’approche de l’impôt sur la dépense.

1) Le revenu

La notion de revenu est une notion qui pose problème : elle a fait l’objet de définitions divergentes au fil du temps.
En effet, la notion de revenu a d’abord été définie par le droit civil → conception civiliste du revenu.
Le droit fiscal, pragmatique, a ensuite proposé une conception économique du revenu.

a) La conception civiliste du revenu

La conception civiliste du revenu est une approche très favorable pour le contribuable : elle tend à considérer le revenu comme une somme d’argent provenant d’une source permanente et de manière périodique.

Si on s’en tient aux termes des articles 582 et suivants du Code civil, qui ont été rédigés au début du 19e siècle, le revenu correspond :
> aux revenus de la terre ;
> aux revenus industriel ;
> et aux fruits civils (= les revenus des loyers, les intérêts des sommes exigibles et plus généralement “tout ce qu’une chose produit périodiquement sans altération dans sa substance”).

Dans cette conception, le revenu présente un caractère monétaire.
Dès lors, on ne saurait prendre ici en compte au titre de l’assiette de l’impôt les avantages en nature.
On ne saurait pas non plus prendre en compte les ressources exceptionnelles.

Cependant, dans cette conception civiliste, la permanence de la source du revenu n’implique pas sa pérennité.
Par exemple, la maison qui produit des loyers peut être détruite ou vendue ; l’individu qui touche un salaire peut être licencié ; la société qui verse normalement des dividendes (= revenus à ses actionnaires) peut faire faillite…

De la même manière, dans la conception civiliste, la périodicité du revenu n’implique pas non plus sa régularité.
Par exemple, les actions dans une société ne produisent pas des dividendes chaque année.

Dans cette conception civiliste, on ne tient compte qu’à minima des logiques économiques.
Une telle conception restrictive du revenu, qui date de la période révolutionnaire, se veut très minimaliste quant à son rendement.

Cette conception très datée ne peut plus satisfaire l’administration fiscale dans ses logiques et dans ses ambitions (elle est toujours à la recherche d’une assiette plus large et plus productive).
C’est pour ça que, dans notre histoire et dans notre droit, on est passés en matière fiscale d’une conception civiliste du revenu à une conception économique du revenu.

b) La conception économique du revenu

Dans la conception économique du revenu, le revenu est l’enrichissement réalisé par le contribuable.
Est considéré comme revenu toute ressource que l’agent économique peut affecter à l’accroissement de son patrimoine sans pour autant s’appauvrir.

Une telle approche a trois conséquences :

  1. Le caractère monétaire du revenu est étendu.
    La notion de revenu concerne aussi les revenus en nature (par exemple, logement / voiture de fonction).
    Le législateur peut aller très loin dans cette démarche, en étendant la notion de revenu aux revenus virtuels (= revenus qu’un contribuable n’a pas encaissé et qu’il aurait pu encaisser s’il aurait eu un autre comportement).
  1. Toutes les ressources exceptionnelles sont considérées comme des revenus. La périodicité n’est plus exigée.
    Dans le calcul de l’impôt sur le revenu, on donne au contribuable la possibilité d’étaler sur plusieurs exercices le paiement de l’impôt en cas de perception de revenu exceptionnel (exemple : écrivain qui reçoit le prix Goncourt une année).
  1. La distinction entre la source du revenu et le revenu lui-même tend à s’estomper, de manière problématique voire dangereuse.

    Le cas le plus symptomatique est la situation des plus-values (= différence entre le prix d’achat et le prix de vente).
    Ces plus-values sont réalisées lors de la vente d’un bien, donc d’un élément du capital.
    C’est le revenu tiré de la vente qui sera assujetti au titre de l’impôt sur le revenu, puisque les plus-values sont considérées comme un enrichissement.

De manière générale, l’objectif de justice fiscale fait de l’impôt sur le revenu un impôt très important dans les systèmes fiscaux des pays industrialisés.
Cet impôt pourra avoir un rendement très important dans certains pays et constitue parfois + de la moitié des recettes fiscales de ce pays (exemple : Danemark).
Cet impôt sur le revenu représente aussi jusqu’à un tiers des recettes fiscales dans la plupart des pays industrialisés (exemple : États-Unis).

Mais ce n’est pas le cas pour la France où l’impôt sur le revenu (hors CSG et CRDS) représente seulement ~20% des recettes fiscales de l’État.
À l’inverse, la TVA représente pour sa part + de 40% de ces mêmes recettes fiscales.

L’impôt sur le revenu en France mériterait d’avoir une assiette plus large, de manière à assurer un meilleur rendement pour les finances publiques.
⚠️ L’impôt sur le revenu ne présente pas que des avantages : il peut être une entrave à l’exercice du travail, dans la mesure où + le contribuable travaille, + il réussit dans ses entreprises, et + il est taxé.
L’impôt sur le revenu est souvent considéré comme un facteur de malthusianisme économique : il a un effet déflationniste en réduisant le pouvoir d’achat des contribuables et leur consommation.
”Trop d’impôts tue l’impôt”.

Autre problème posé par l’impôt sur le revenu : dès lors que l’on s’est fixé un objectif de justice fiscale prépondérant, il implique une très forte personnalisation.
Cet excès de personnalisation a pour effet de complexifier l’impôt.


2) Le patrimoine

La notion de revenu pose problème, mais il en est de même pour la notion de patrimoine.

Il convient de procéder à certaines distinctions :

Le capital correspond à une accumulation de revenus.
Elle est elle-même synonyme de source de revenus / profits.

Le patrimoine d’un contribuable est beaucoup + statique.
Au titre du patrimoine, l’ensemble des biens du contribuable sont concernés, qu’ils soient productifs ou non.

La fortune n’appréhende que des patrimoines d’une certaine importance.

Le système d’imposition varie en fonction de l’option retenue (patrimoine/capital/fortune).

L’impôt sur le capital a pour but de surimposer les revenus dérivant d’une richesse matérielle.
→ Idée : faire une distinction par rapport au revenu acquis par le travail.
Objectif : valoriser le travail “à la sueur de son front” par rapport à un capital qui génèrerait des revenus automatiques “sans se fatiguer”.

Autre idée : cette logique consiste à asseoir l’impôt sur ce capital + en permettre le paiement avec les revenus de ce capital.
La fiscalité cherche à appréhender les plus-values, dans la mesure où les plus-values engendrent des mécanismes de spéculation.
Quand le législateur veut procéder à une redistribution des richesses, il ne faut pas un impôt sur le capital, mais un impôt sur le patrimoine, parce qu’il appréhende aussi les revenus qui ne sont pas productifs.

L’impôt sur le patrimoine, à la différence de l’impôt sur le capital, a pour logique d’un impôt assis sur le capital et prélevé sur celui-ci.
Conséquence : un tel impôt implique de vendre une partie du capital pour s’acquitter de l’impôt → il peut facilement devenir confiscatoire et peut même entraîner la disparition de ce capital.

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Imposition sur le capital = les revenus qui sont générés par les biens qui font l’objet d’une surtaxation, avec l’idée de permettre le paiement de cette imposition par les revenus générés par ce capital.
À l’inverse, dans l’impôt sur le patrimoine, peu importe que ce patrimoine soit bien géré ou mal géré : même s’il ne rapporte pas de revenus, il y a taxation ; pour payer cet impôt, il faut vendre pour payer l’impôt.
💡
La notion de patrimoine inclut le capital.
L’impôt sur le patrimoine taxe aussi les biens non productifs ; par exemple, une villa qui n’est louée et qui ne produit donc pas de revenus.

L’impôt sur la fortune : impôt sur le patrimoine qui écarte l’éventualité d’une disparition du patrimoine, en fixant un seuil en dessous duquel l’imposition ne s’opère pas.

Cette imposition fait l’objet de critiques permanentes en France.
Cette imposition globale sur la détention de la richesse est jugée trop hétérogène : il y a de nombreux impôts disparates.

De plus, l’imposition sur la détention de biens procure un rendement financier relativement faible même si nous pratiquons beaucoup plus cette imposition que nos voisins européens.
Cela entraîne une logique de délocalisation à l’étranger des français les + riches (qui, par exemple, s’expatrient en Belgique où il n’y pas d’impôt sur la fortune immobilière).

Enfin, cette forme d’imposition est d’une neutralité relative.
Les biens immobiliers sont taxés beaucoup + que les biens mobiliers (actions, obligations… qui génèrent des profits + importants mais qui sont + volatiles comparés aux biens mobiliers).
Il est difficile de surtaxer les biens mobiliers en raison de la liberté de circulation des capitaux.

De nombreux débats ont entouré le remplacement, en 2018, de l’ISF, qui a été remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière.
Ces 2 impôts ne rapportent pas grand-chose à l’État : cette taxation n’est pas très efficace pour remplir les caisses de l’État.
Cette taxation génère beaucoup de débats, mais peu de résultats pour les caisses.

Il faut cependant relativiser cela avec les impôts sur les successions, qui génèrent des revenus importants pour les finances publiques et qui permettent de procéder à une véritable redistribution de la richesse.


3) La dépense

La dépense imposable est la consommation totale ou partielle d’un revenu acquis ou consolidé dans un patrimoine.

La dépense est un élément révélateur des facultés contributives d’une personne.
Plus ces facultés sont développées, plus la personne effectue des dépenses pour se procurer des biens et des services.
Logiquement, le législateur retient donc la dépense comme un élément privilégié de l’assiette de l’impôt.

Pourtant, cette notion de dépense n’est pas toujours simple à distinguer.

Il y a d’abord un problème de frontière entre un objet de consommation et un élément du patrimoine.
Par exemple, quand on achète une voiture ou un immeuble, est-ce une dépense de consommation ou une acquisition d’un élément de patrimoine ?

On voit que l’élément patrimonial semble prépondérant.
Quand on achète une maison, on peut être amené à payer l’impôt sur la fortune immobilière.
Mais il y a aussi une TVA immobilière, qui correspond à la dépense en tant que telle ; pareil quand on achète une voiture : la voiture est considérée comme un bien de consommation courant.

Pour l’achat d’une voiture, on a donc : TVA (= la voiture est vue comme un bien de consommation) + impôts sur la succession (= la voiture sera vue comme un élément intégré dans le patrimoine).

L’imposition sur la dépense est critiquée pour son injustice : elle frappe les riches comme les pauvres, sans discerner l’un de l’autre.
Cette imposition se différencie de la plupart des impôts par son caractère indirect → pas possible d’identifier le contribuable. Elle assure ainsi un excellent rendement financier : la TVA est, en France, l’impôt qui rapporte le plus à l’État.

§ 2. Les procédés d’évaluation de la matière imposable

Une fois qu’on a déterminé la matière à imposer, il reste à évaluer cette matière imposable.
Cette préoccupation peut sembler mineure, mais elle reste fondamentale et délicate à réaliser.

Difficulté : on touche à la connaissance des facultés contributives des personnes, ce qui semble être un tabou en France.

L’évaluation doit être exacte.
Une bonne méthode d’évaluation doit aussi être discrète pour éviter les phénomènes “d’inquisition fiscale”.

Ces 2 exigences, exactitude et discrétion, apparaissent comme contradictoires : en voulant privilégier l’exactitude de l’assiette, on risque de multiplier les indiscrétions.

4 techniques d’évaluation peuvent être mises en œuvre :

  1. L’évaluation réelle par l’intermédiaire d’une déclaration contrôlée ;
  1. L’évaluation forfaitaire ;
  1. L’évaluation indiciaire ;
  1. L’évaluation d’office.

A – L’évaluation réelle

L’évaluation réelle renvoie à la déclaration d’impôt.
C’est le procédé le plus simple de connaissance de la matière imposable : il consiste, pour tous les contribuables, à fournir spontanément et sous leur responsabilité les éléments constitutifs de leur situation fiscale.

En effet, le contribuable est le mieux placé pour connaître et fournir à l’administration la nature et quantité de ses revenus, de son héritage et de son chiffre d’affaires.

C’est le procédé normal / de droit commun pour connaître la réalité de la matière imposable.

Problème : ce procédé implique une collaboration entre l’administration et le contribuable.
L’administration a moins de travail, mais le contribuable apprécie beaucoup moins cette démarche, car un travail est demandé et il doit faire la publicité de certains éléments de sa vie privée → il peut y avoir quelques réticentes à exécuter cette déclaration.

Cette méthode déclarative implique, de la part de l’administration, la reconnaissance d’une présomption d’exactitude de la déclaration.
Elle implique aussi pour le contribuable un effort de sincérité dans la rédaction de la déclaration.
Le risque risque de fraude est sous-jacent ; la déclaration doit donc être contrôlée par l’administration.

L’efficacité d’une déclaration contrôlée réside dans l’instauration de mécanismes de déclaration double ou de déclaration croisée.
Ces mécanismes permettent de recouper la déclaration du contribuable avec d’autres sources de renseignements.
Exemple : croiser les sommes déclarées perçues par un contribuable salarié avec les sommes déclarées versées à ce contribuable par son employeur.

Dans ce phénomène déclaratif, c’est la déclaration qui émane d’un tiers qui apparaît comme la déclaration efficace.
Ce tiers sera tenu de déclarer les sommes versées au contribuable, dans la mesure où ces sommes viennent elles-mêmes en déduction de ses propres revenus / bénéfices.
Exemple : les salaires versés par l’employeur lui permettent de diminuer son impôt sur les sociétés.

Problème : la généralisation de la déclaration par un tiers n’est pas effective pour tous les revenus.
C’est facile pour les salariés et les employeurs, mais moins pour les indépendants.

En 2006, on met en œuvre une innovation, avec la mise en place d’une déclaration des revenus préremplie, qui soulage le travail des contribuables en faisant état des éléments communiqués par les tiers concernant les revenus qu’ils ont versé à ce contribuable.

Cette technique de déclaration est mise en œuvre en France depuis longtemps en matière de droits de succession et de droits d’enregistrement.
Il a été étendu à l’impôt sur le revenu lors de sa création en 1917.
Ce principe de la déclaration existe aussi pour l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et existait aussi pour l’IFS.

Ces déclarations s’effectuent aujourd’hui en ligne.
Actualité : cette année, les contribuables doivent souscrire une nouvelle déclaration : la déclaration des biens immobiliers, en lien avec la suppression de la taxe d’habitation pour la résidence principale.

B – L’évaluation forfaitaire

L’évaluation forfaitaire est un mode d’évaluation administratif.
Ici, le contribuable fournit à l’administration quelques éléments, sur la base desquels l’administration procède à une évaluation forfaitaire de la matière imposable.
Après, le contribuable peut discuter de cette évaluation avec l’administration.

Dans ce système, l’administration renonce à une évaluation exacte, mais se contente d’une évaluation moyenne, qui est parfois trop forte ou trop faible, mais qui se rapproche de l’évaluation réelle.

La technique forfaitaire a pour effet de procéder systématiquement à une sous-évaluation de la matière imposable.
Cela conduit donc à des pertes d’imposition préjudiciables pour les caisses publiques + inacceptables en termes de justice fiscale.

Cette technique n’est plus beaucoup utilisée aujourd’hui.
Elle a connu son heure de gloire sous la 4ème République, où elle était mise en place pour les petits commerçants à la suite de la révolte du poujadisme.

Aujourd’hui, l’approche du forfait se limite aux régimes “micro” et pour la détermination du bénéfice agricole.

→ Technique limitée, car ne rapporte pas assez d’argent → on privilégie la déclaration.

C – L’évaluation indiciaire

L’indice est un signe extérieur facile à identifier et externe à la matière imposable.

L’évaluation peut donc être faite par l’administration sans avoir besoin du concours du contribuable.
Exemple : la piscine que l’on voit par un drone.

La fraude est plus difficile, sauf à masquer les indices.

Exemple le plus emblématique : impôt sur les portes et fenêtres, en vigueur jusqu’au début du 20ème siècle : on évaluait l’impôt en fonction du nombre de portes et de fenêtres sur la maison.
→ Caractère simpliste et limité.

Avantage : discrétion et simplicité.

Mais les inconvénients sont énormes :

  • L’estimation reste très approximative.
    Exemple : faible rendement de la taxe sur les piscines.
  • Cette logique indiciaire est souvent ponctuée d’arbitraire.
    Elle est dénuée de toute considération d’égalité.

Aujourd’hui, cette technique d’évaluation est très exceptionnellement mise en œuvre.
Elle existe à l’article 168 du CGI, qui prévoit que le revenu imposable d’un contribuable peut être évalué en fonction d’éléments de son train de vie “en cas de disproportions marquées entre son train de vie” et les éléments déclarés.

Cet article 168 distingue 12 indices : résidence secondaire, bateau de plaisance, cheval de course…
L’administration recense ces éléments du train de vie par l’administration (elle peut par exemple utiliser des drones), puis applique un barème.
Par exemple, la possession d’une résidence secondaire est censé correspondre à un revenu de 5 fois à sa valeur locative.

Le recours à cet article 168 est devenu très rare aujourd’hui, étant donné le caractère arbitraire et inquisitorial du processus.
Sa mise en œuvre a été entourée de garanties importantes données au contribuable ; il peut notamment apporter la preuve que ses revenus ou l’utilisation de son capital ou des emprunts qu’il a contractés lui ont permis d’assumer son train de vie.

⚠️ Ce ne sont pas des impôts sur ces 12 indices. On évalue simplement le revenu grâce à ces 12 indices.

D – L’évaluation d’office

L’évaluation d’office est une procédure d’exception qui donne entière liberté à l’administration pour évaluer la matière imposable.
→ Logique parfaitement arbitraire, mais qui suppose une attitude répréhensible du contribuable.

Pour sa mise en œuvre, l’évaluation d’office implique que le contribuable ait manifestement refusé de collaborer avec l’administration en refusant de satisfaire à ses obligations d’impositions.

Cette technique n’est utilisée qu’à titre de sanction contre des contribuables qui se sont mis dans une situation d’irrégularité vis-à-vis de l’administration.

Elle doit être expressément prévue par le législateur.
Les logiques de taxation d’office sont inscrites aux articles L66 et L69 du LPF.

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Il ne faut pas confondre l’évaluation de la matière imposable avec le recouvrement de l’impôt. Le prélèvement à la source suppose une déclaration, parce que l’administration doit savoir combien elle doit prélever.
Dans le prélèvement à la source, les sommes prélevées ne transitent pas par le patrimoine du contribuable.

Section 2 : La liquidation de l’impôt

Une fois qu’on a déterminé la matière imposable et son montant, il faut déterminer le montant de l’impôt dû par chaque contribuable.
Cela suppose qu’intervienne un élément créant l’obligation fiscale : on l’appelle le fait générateur → enclenche la liquidation.

§ 1. Le fait générateur de l’impôt

Le fait générateur est le fait par lequel les conditions légales sont réalisées, de manière à permettre à l’administration fiscale de demander l’exigibilité de l’imposition.

D’un point de vue juridique, il ne faut pas confondre ce fait générateur avec l’exigibilité.
Le fait générateur est un fait matériel (exemples : décès du contribuable, livraison d’une marchandise qui mènera à la TVA…). Chaque impôt a un fait générateur précis fixé et défini par le législateur.
C’est important, car ça déclenche le départ de certaines prescriptions.

⚠️ Ce n’est pas parce qu’on a un fait générateur que l’impôt est tout de suite exigible par l’administration.

§ 2. Les modalités de la liquidation

A – Les acteurs de la liquidation

Selon les cas, l’impôt est calculé :
> soit par l’administration ;
> soit par le contribuable lui-même ;
> soit par un tiers.

  1. L’administration procède au calcul de l’impôt quand il est recouvré par voie de rôle.
    Le rôle correspond à une liste alphabétique de contribuables qui sont soumis à l’imposition en question ; cette liste mentionne toutes les informations utiles relatives à la matière imposable de chaque contribuable.
    Tous les impôts directs (dont l’impôt sur le revenu) et les impôts locaux sont soumis à cette logique de rôle.
  1. Le contribuable calcule l’impôt sous le contrôle de l’administration pour les principaux impôts qu’une société verse à l’État : TVA et IS.
  1. Un tiers calcule l’impôt lorsque l’impôt est prélevé à la source (exemple : employeur qui calcule l’impôt pour un salarié avant de lui verser son salaire).

Lorsque le contribuable ou un tiers calcule l’impôt, il le fait sous le contrôle de l’administration.
Si l’administration voit une omission, elle contrôle et rectifie, voire sanctionne.

B – Le calcul du montant de l’impôt

On peut calculer impôt de différentes façons :

  1. On peut appliquer un taux.
    Exemple : la TVA.
    C’est facile à calculer.

    Le taux normal de TVA est à 20%.
    Taux réduit pour les restaurants : 10%.
    Produits de 1ère nécessité : 5%.
    Presse et médicaments : 2,2%.

  1. On peut appliquer un barème.
    Exemple : impôt sur le revenu.

    Barème de l’impôt sur le revenu : 0% d’impôts tant que le revenu inférieur à 10 777 € net par an (pour 1 personne au sein du foyer fiscal).
    Ensuite, 11% pour un revenu annuel allant de 10 777 à 27 478 €.
    Puis 30% entre 27 478 et 78 570 €.
    Puis 41% entre 78 570 € et 168 994 €.
    Puis 45% au-delà de 168 994 €.
    → Barème progressif de l’impôt sur le revenu.
    Cet impôt direct est calculé par l’administration.

  1. On peut appliquer un tarif.
    Exemple : tarif par mètre carré, par hectare…

Ces opérations de liquidation (= de calcul de l’imposition) sont complexifiés par la prise en compte d’éléments complémentaires : exonération, réduction, majoration…
En plus de complexifier les calculs, ces mécanismes entraînent de nombreux contentieux.

C – L’édiction des actes d’imposition

De nombreux impôts sont directement acquittés par les contribuables sans que l’administration n’ait à édicter le moindre acte d’imposition.
C’est notamment le cas concernant les impôts indirects, comme TVA.

À l’inversement, le rôle (= liste alphabétique) sert à édicter les avis d’imposition.
L’extrait doit préalablement être homologué par le préfet pour avoir force exécutoire.
L’extrait rappelle le montant de la dette fiscale à acquitter + les éléments qui permettent d’en opérer le calcul + les conditions d’exigibilité (notamment relatives aux délais de paiement).

→ Pour les impôt indirects, pas d’acte d’imposition.
→ Pour les impôts directs, actes d’imposition par l’administration.

Section 3 : Le recouvrement de l’impôt

Une fois que la dette fiscale a été rendue liquide (= qu’elle a été calculée), elle devient exigible (§ 1.) et par conséquent payable (§ 2).

§ 1. L’exigibilité de l’impôt

L’exigibilité fixe la date à partir de laquelle le paiement de l’impôt est dû.
C’est le moment où le Trésor public peut faire valoir ses droits à recouvrer l’impôt.

En pratique, cette exigibilité est souvent différée par rapport au fait générateur.
La date d’exigibilité correspond à la date à partir de laquelle l’impôt peut être demandée ; elle intervient après le fait générateur.

⚠️ La date d’exigibilité n’est pas synonyme de date de paiement.

Les délais de paiement sont très variables.
Pour les impôt perçus par voie de rôle (= impôts directs), l’avis d’imposition indique la date limite du paiement au-delà de laquelle une majoration sera pratiquée.

Pour les autres impôts, le contribuable doit acquitter sa dette spontanément, et au plus tard à la date d’exigibilité posée par les textes.
Par exemple, la TVA doit être payée par les commerçants tous les mois.
En matière d’IS (= impôt sur les sociétés), le paiement spontané s’effectue par acompte.

§ 2. Les modalités de paiement

A – Les acteurs du recouvrement

Il convient de distinguer :

  • Le contribuable est la personne au nom de laquelle la dette fiscale est juridiquement établie.
    La plupart du temps, c’est la personne qui supporte l’impôt en tant que tel.
  • Cependant, l’administration peut demander au redevable de payer l’impôt.
    Exemple : le propriétaire d’un logement peut être redevable de la taxe d’habitation lorsque le locataire a quitté le logement sans quitter l’impôt et qu’il est introuvable.

    Autre exemple : un rôle est exécutoire (→ l’impôt peut être demandé) aux ayants droits ou aux représentants du contribuable → d’autres personnes assumant la représentation ou les droits du contribuables.

  • L’assujetti est la personne supportant la charge juridique de l’impôt, mais qui n’en supporte pas la charge économique.
    Exemple : les commerçants sont assujettis à la TVA.

Aujourd’hui, c’est la DGFiP qui en charge de recouvrer tous les impôts, à l’exception de ceux dont le recouvrement est assuré par la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI).
Par mesure de simplification, des compétences sont actuellement transférées de la DGDDI à la DGFiP.

B – Les modes de paiement classiques

Depuis 2019, tout impôt prélevé par voie de rôle (= impôt direct) et qui est supérieur à 300 € doit être payé par voie dématérialisée (= en ligne).

Pendant longtemps, l’impôt était très rarement acquitté par voie de prélèvement à la source.
Depuis le 1er janvier 2019, l’article 204 C du CGI prévoit qu’un prélèvement à la source est opéré sur les salaires et les rentes viagères.

Cette retenue s’impute sur ses revenus au regard de la déclaration fiscale réalisée par le contribuable et vis-à-vis de laquelle il recevra un avis d’imposition.
Si la retenue pratiquée est excédentaire, l’excédent lui sera restitué.

On n’impute pas sur l’impôt sur l’impôt, sauf en matière de TVA (crédit de TVA).
Exceptionnellement, l’impôt peut être acquitté par remise de biens (dation pour protéger les trésors nationaux).

C – Le recouvrement forcé

En cas de retard ou défaut de paiement des impôts qui ne sont pas recouvrés par voie de rôle (= TVA ou IS), l’administration fiscale émet un avis de recouvrement.

Cet avis est un titre exécutoire qui constate la liquidité et l’exigibilité de la créance, sans devoir aller devant les tribunaux.
Il permet d’engager, comme pour les impôts perçus par voie de rôle, les poursuites.

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