Chapitre 4 : Les restrictions apportées aux libertés laissées au contribuable

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La dissuasion a toujours accompagné le contribuable dans la réalisation de ses obligations fiscales.
Cette dissuasion a pris une dimension particulière dès lors que s’est imposée l’idée d’une régulation de la fiscalité.

Plutôt que d’interdire, le législateur et le juge privilégient une forme de standardisation des comportements, afin de mieux éviter les comportements les plus déviants.
Ces modèles de comportement proposés par le législateur et le juge doivent être suffisamment flexibles pour laisser une certaine marge d’appréciation et d’interprétation à l’administration fiscale.

En effet, il est nécessaire de faire face aux de nouveaux comportements qui pourront surgir dans la pratique, et il sera nécessaire de laisser toute latitude à l’administration fiscale, au juge et au législateur pour adapter leurs réponses à ces situations nouvelles.

Les approches développées visent à définir ou déterminer certains actes ou opérations auxquelles le contribuable devra s’abstenir de recourir de manière générale.
De la même manière, ces approches chercher à déterminer des mesures préventives de lutte contre l’évasion fiscale internationale.

Le législateur définit les “cas extrêmes” vers lesquels le contribuable ne doit pas aller, mais il le fait dans des approches suffisamment flexibles pour lui permettre de s’adapter.
Il faut à la fois se montrer très ferme sur l’interdiction de dépasser les bornes + assez souple pour réprimer les nouveautés qui pourraient intervenir.

Section 1 : L’inopposabilité de certains actes ou opérations par le contribuable

Au-delà de la liberté de gestion dont tout contribuable peut se prévaloir, l’administration peut, dans certains cas de figure, refuser certaines postures du contribuable, en invoquant un acte anormal de gestion.
De la même manière, cette administration peut éventuellement fait l’état d’un abus de droit, lorsque le contribuable utilise certains procédés dans le seul but de chercher à éviter l’impôt.

§ 1. L’acte anormal de gestion

L’administration fiscale ne peut pas se désintéresser totalement de la manière dont les entreprises décident de dépenser leur argent ou décident de renoncer à certains profits dans leurs relations et activités commerciales.
En effet, ces postures ont nécessairement des répercutions sur le résultat fiscal de l’entreprise et donc sur son imposition.
→ Certains actes sont anormaux du point de vue de la gestion.

Le législateur a établi une liste de charges pour l’entreprise qu’il considère comme somptuaires ; par exemple, il est interdit d’entretenir un yacht pour des particuliers puis d’en faire supporter le coût à l’entreprise sur le plan fiscal.
De la même manière, il refuse de voir déduit du résultat de l’entreprise certaines rémunérations qui seront jugées excessives par rapport aux rémunérations normales.

Les entreprises peuvent pratiquer des dépenses somptuaires ou des rémunérations excessives, mais cela ne doit pas peser sur les résultats : il faut les réintégrer au résultat fiscal de la société, qui donne lieu à impôt.

Au-delà des logiques inscrites dans la loi, le juge fiscal a développé la théorie de l’acte anormal de gestion.
Cette théorie permet à l’administration fiscale, en dehors de tout texte, de refuser la déduction de certaines charges + de réintégrer certains manques à gagner dans le bénéfice de l’entreprise.

Conseil d’État, 21 décembre 2018, Société Croë Suisse (n°402006) :
Le Conseil d’État définit ce qu’il entend par acte anormal de gestion : “l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêts”.

Dans la pratique, cette notion d’acte anormal de gestion permet à l’administration de reprocher aux entreprises d’aller contre leurs propres intérêts.
Cette jurisprudence vise à limiter les conséquences fiscales des abus de biens sociaux.

Les abus de biens sociaux visent à satisfaire les intérêts personnels du responsable de l’entreprise ou d’un tiers qui lui est proche → l’administration fiscale ne veut pas subir les conséquences d’actes qui sont repréhensibles.

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Les abus de biens sociaux sont des frais de société détournés au profit des particuliers.
Ce sont des actes anormaux de gestion.

§ 2. L’abus de droit

La notion d’abus de droit rejoint la notion d’acte anormal de gestion.
En effet, en droit civil, cette notion d’abus de droit permet d’engager la responsabilité de celui qui use d’un droit de manière anormale ou excessive avec une intention de nuire.

Transposé au droit fiscal, l’abus de droit vise les cas dans lesquels un contribuable use d’un droit que la loi lui reconnaît, mais dans un but différent que celui prévu par la loi, afin d’éluder l’impôt.
L’article L64 du LPF en définit les contours :
”Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.”

Des actes qui dissimulent la vraie portée d’une convention, qui comporteraient des clauses qui donneraient ouverture à des prélèvements fiscaux moins importants.

Il y a 2 types d’abus de droit :

  1. L’abus de droit par simulation : mise en œuvre d’actes juridiques fictifs ;
  1. L’abus de droit par fraude à la loi : mise en œuvre d’actes juridiques réels, mais reposant sur des montages juridiques artificiels.

L’abus de droit est très sévèrement sanctionné : il y a une majoration des droits à hauteur de 80 %.
Il fait donc l’objet de garanties particulières pour le contribuable.

Il y a notamment un Comité consultatif pour la répression des abus de droit, qui est national ; en 2020, il a examiné 36 dossiers.
Il est composé d’un conseiller d’État + d’un conseiller à la Cour de cassation + d’un professeur agrégé de droit ou de science économique + 1 conseiller à la Cour des comptes + des spécialistes représentants des contribuables (notaire, avocat fiscaliste, expert comptable).

Jusqu’en 2019, la charge de la preuve incombait au contribuable.
Depuis 2019, c’est à l’administration qu’il revient la charge de démontrer qu’il y a abus de droit.

Section 2 : Les mesures préventives de lutte contre l’évasion fiscale internationale

Il ne sera ici question que de l’évasion fiscale internationale, et non de la fraude fiscale qui y est habituellement associée.
Il est important de bien comprendre la différence entre les deux notions.

Le contribuable, qu’il soit particulier ou entreprise, est libre de ses affaires et mouvements avec l’étranger.
Toutefois, ces mouvements et affaires donnent lieu à des pratiques que l’administration fiscale n’approuve pas, alors même qu’elles n’ont pas de caractère frauduleux.

La délocalisation du domicile fiscal et la délocalisation de revenus ou de bénéfices constituent les principales formes d’évasion fiscale qu’il convient de prévenir.

§ 1. Les délocalisations de domicile fiscal

Les délocalisations de domicile fiscal constituent un phénomène qu’il est difficile de prévenir, notamment au sein de l’Union européenne, car toute mesure de dissuasion en la matière est prohibée par les grandes libertés économiques de l’UE → liberté d’établissement + de circulation.

La seule vraie parade efficace que le législateur puisse mettre en œuvre consiste à accorder les mêmes allègements fiscaux que ceux qui seraient susceptibles d’être trouvés à l’étranger.
Mais ces logiques de
dumping fiscal ne permettent rapidement plus de remplir les caisses publiques.

La France a donc créé une taxe de sortie (exit tax).
Mise en place en 2011, elle consiste en une imposition des plus values latentes (= plus values pas forcement réalisées, mais qui pourraient se réaliser si le contribuable vendait ses titres boursiers).

Le législateur, à l’article 167 bis du CGI, n’a réservé ce dispositif qu’aux seuls dirigeants et actionnaires qui possèdent d’importantes participations dans une société (+ de 1 % des parts sociales ou une valeur > 1,3 millions d’€).

Ce dispositif est assortie d’un mécanisme de sursois au paiement : l’exit tax ne peut être effectivement versée que s’il y a une section effective des titres.

Ce régime a été assoupli en 2019 : désormais, l’exit tax n’est plus due au-delà d’un délai de 2 ans (ou de 5 ans si la valeur des titres > 2,5 millions d’€).
Cette modification va à contre-courant de la directive européenne ATAD, qui impose depuis 2016 à l’ensemble des pays européen d’avoir ce type d’exit tax.

→ Cette exit tax est une limite préventive.

§ 2. Les délocalisations de revenus et bénéfices

Ici, on se heurte à la problématique de la détermination des prix de transfert.
Lorsqu’une société mère et et une filiale se transfèrent des transactions réciproques, le prix de transfert entre la société mère et la filiale est tout à fait libre.
→ Énorme possibilité de faire échapper de nombreux flux financiers à l’impôt.

Ces prix de transfert répondent souvent à des stratégies fiscales qui permettent des délocalisations de revenus ou bénéfices, qui se verront moins imposés dans certaines filiales implantées à l’étranger.
Objectif : maximiser ou minimiser le bénéfice imposable de chacune des filiales, en fonction de la pression fiscale qu’elles subissent dans chaque pays d’établissement.

Cette question est largement prise en compte par le droit fiscal international.
Le plus souvent, on s’inspire de la logique de pleine concurrence : les prix pratiqués au sein de ces groupes doivent se rapprocher des prix qui auraient été mis en œuvre entre des entreprises indépendantes les unes des autres.
L’administration fiscale recherche donc si les prix de transferts pratiqués au sein d’un même groupe correspondent à des prix de pleine concurrence.

En droit français, cette logique est mise en œuvre à l’article 57 du CGI, qui s’apparente à la technique de l’acte anormal de gestion.
Si l’administration constate que les prix de transfert sont irréguliers, elle réintègre au bénéfice de l’entreprise française le bénéfice qui aura été transféré à l’étranger du fait d’une majoration ou d’une minoration du prix de vente.

Au-delà de cet article, il existe de nombreux dispositifs au sein du CGI qui instituent une présomption d’anormalité pour les contribuables et les entreprises qui entretiennent des relations avec les États à fiscalité privilégiée.
Articles 238 A + 209 B + 123 bis du CGI : le contribuable français est dans l’obligation de démontrer que les opérations qu’il mène à l’étranger sont bien des opérations réelles et qu’elles n’ont pas un caractère exagéré et anormal.

Depuis 2010, l’administration dresse une liste d’États et de territoires non coopératifs (ETNC), qui sont la désignation des paradis fiscaux d’un point de vue juridique.
Ces sont des États ou territoires qui se caractérisent par leur refus délibéré de se doter des standards internationaux d’échanges d’information fiscale entre États.
Il y a de nombreuses répressions vis-à-vis des ENTS au niveau français et international.

Depuis le 1er janvier 2020, on considère que l’on est dans l’évasion dès que le gain que l’on obtient en délocalisant est d’au moins 40% par rapport à la France.

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