Section 4 : Le contenu de la législation commerciale royale

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des affaires (L2).

Le roi est souverain, et l’une des marques de la souveraineté, c’est de faire et défaire les lois.
→ La loi devient un moyen de gouvernement.

Le roi cherche donc à rationaliser le droit en l’unifiant.
Il impose dans ses grandes ordonnances ses vues et sa politique, notamment en imposant l’administration royale et les questions de procédure.

La monarchie absolue est aussi appelée monarchie administrative : l’administration fait office de noyau central.

On appellera ces ordonnances, qui cherchent à rationaliser et unifier le droit, « ordonnances de codification ».
Elles reprennent les coutumes existantes en matière de droit privé, tout en enlevant les mauvaises coutumes (désuètes, trop sévères…).

§ 1. L’ordonnance de Colbert : un Code pour le commerce

I – Rédaction et esprit

En 1665, on crée un Conseil supérieur de la justice pour lancer les grandes ordonnances de codification.
3 commissions se créent, dont une commission pénale.

La commission qui donne lieu à l’ordonnance du commerce est la commission relative à la justice civile et commerciale.
C’est Colbert qui dirige cette commission.

Pour cela, il s’aide de Jacques Savary, qui est un marchand érudit ayant une très bonne connaissance du droit, notamment romain.
Savary prend en main l’ordonnance, tout en écoutant les attentes de la monarchie.

Cette ordonnance est publiée en mars 1673.
Elle comporte 12 titres et 122 articles → elle n’est pas imposante, elle est claire ⇒ très bien faite pour le commerce.

Elle devient la base légale pour le commerce dans l’Ancien Régime.
Elle comporte des règles générales, qu’elle puise dans les coutumes des marchands, sans aller dans les détails.

💡 L’ordonnance de Colbert est aussi appelée Code marchand, Code Savary ou ordonnance du commerce.

Plusieurs commentaires de cette ordonnance seront proposés :

II – Un modèle : Le Parfait Négociant

Le Parfait Négociant est le titre d’un livre écrit en 1695 par Jacques Savary.
Il s’agit d’un commentaire de vulgarisation de l’ordonnance.

Ce n’est pas un commentaire très lourd tel que ceux écrits par les professeurs de droit.
Il comporte cependant des éléments juridiques.
Savary n’hésite pas à y donner quelques idées libérales, alors même que l’on est en pleine période colbertiste !

Jacques Savary montre comment être un parfait commerçant :

  • Être bon en affaires ;
  • Suivre une morale des affaires.
    Il s’agit là d’une grande nouveauté : Savary montre, alors que l’Église est assez réticente aux marchands à cette époque, que le commerce est peut-être une activité honorable et vertueuse, et qu’en outre il est pacificateur et bienfaiteur pour l’économie.

Il donne des explications techniques : formulaires, exemples de lettres de change…

Le Parfait Négociant est donc à la fois un guide technique, mais aussi des explications des règles posées par l’ordonnance, avec aussi une morale des affaires.

§ 2. Le contenu de l’ordonnance

Dans l’ordonnance de 1673, Colbert et Savary consacrent les grandes coutumes du commerce, sans aller dans les détails.
À côté de ces grands usages, parfois les commerçants ont leurs petits usages à eux → on les laisse libres.

L’ordonnance s’adresse aux commerçants.

  • Qui peut être commerçant ?
    Peuvent être commerçants à l’époque tous les hommes majeurs.
    • La femme célibataire ou veuve peut être commerçante.
    • La femme mariée ne peut être commerçante que si elle est marchande publique.
      Elle n’est marchande publique que si son mari lui a donné une autorisation générale de faire du commerce (pour faciliter le commerce, cette autorisation peut être tacite) et elle doit faire un commerce séparé de celui de son mari (sinon elle est considérée comme sa subordonnée).
    • Le mineur ne peut pas être commerçant.
      (sauf s’il est mineur émancipé ou s’il est fils de commerçant ayant eu l’autorisation de son père)

    ⚠️ Attention, que ce soit pour la femme marchande publique ou le mineur, cette capacité ne vaut que pour les actes de commerce.

I – Les juridictions consulaires

Là encore, on parle des tribunaux de commerce ; on ne fait que reprendre ce qui existait déjà.
Exactement comme avec les chambres de commerce, on assite à des créations spontanées avant que la royauté ne vienne généraliser.

Les juridictions consulaires sont des juridictions paritaires : les commerçants sont jugés par leurs pairs.

A – Création des juridictions consulaires

On avait vu au Moyen Âge des juridictions de commerçants qui se sont créées spontanément.

Là encore, des juridictions de commerce voient le jour spontanément.
Elles sont composées de commerçants.
On y rend une justice “prompte et experte”.

Pour exister, elles devaient être homologuées par une autorité : au départ, les seigneurs, puis le roi.
En effet, en 1549, un édit d’Henri 2 accepte la création d’une juridiction à Toulouse.

  • D’où vient le nom “juridiction consulaire” ?

    Les juridictions consulaires sont appelées ainsi parce qu’elles sont nées à Toulouse !
    La ville de Toulouse était composée de consuls, qui sont des conseillers municipaux + des commerçants.
    C’est pour ça qu’on parle de juridictions consulaires, avec des juges consuls.

En 1563, des juridictions consulaires sont créées à Rouen puis à Paris, mais il n’y a pas encore de système général.
En 1579, le roi cherche à imposer de telles juridictions dans les “villes principales”, mais sans préciser lesquelles !

Or il y a d’autres juridictions que ça embête un peu : les parlements.
Les parlements sont des cours de justice ordinaires, qui vont faire blocage par peur qu’on leur enlève des bouts de compétence.

Il faut attendre 1669 pour voir les juridictions consulaires se développer davantage.
En effet, c’est en 1669 qu’on supprime les juridictions des foires, dans un souci de rationalisation du droit → les commerçants, qui ont toujours besoin de juridictions, créent des juridictions homologuées.

C’est l’ordonnance de commerce de 1673 qui les officialise et les généralise, en imposant la création de juridictions consulaires dans les villes qu’elle estime importante.
À la fin du 19e siècle, il existe 40 juridictions consulaires ; il y en aura 67 à la veille de la Révolution française.

C’est la seule juridiction que les révolutionnaires ne vont pas supprimer, parce qu’ils la trouvent très démocratique : les commerçants y sont jugés par d’autres commerçants + elles sont composés de juges élus pour 1 an + elles portent sur une matière à laquelle les autres juridictions ne connaissent rien.

B – Composition des juridictions consulaires

Les juridictions consulaires se composent de 5 juges élus pour 1 an par un corps de marchands.
Selon les villes, parfois tous les marchands votent et parfois uniquement les commerçants les plus riches.
→ C’est un système + ploutocratique que démocratique.

Parmi ces 5 juges élus, on désigne un président.

Il s’agit de la règle générale de composition, mais on laisse aux commerçants la liberté d’ajouter des précisions coutumières.
Dans certaines villes, on voit que 10 années d’exercice de commerce sont imposées pour pouvoir devenir consul (= juge du tribunal de commerce).
Parfois, le président est un ancien consul.
Dans certaines villes, le président s’arroge le droit de dresser des listes de commerçants éligibles.

La juridiction statue valablement à 3 : le président + 2 juges consuls.
L’ordonnance permet également d’adjoindre des assesseurs aux procès selon les besoins ; le plus souvent, les juridictions dressent une liste d’assesseurs à retenir au cas par cas.
À Toulouse, cette liste s’appelle la retenue.

La fonction de juge est gratuite des 2 côtés :

  1. Le juge n’est pas rémunéré ;
  1. Il ne doit pas payer pour devenir juge.

Cela fait grincer les dents des parlementaires, qui sont rémunérés + doivent payer leur office.
La jalousie des parlementaires est attisée par le fait que les chambres de commerce – parfois même le roi – se mettent ensuite à distribuer des gratifications aux juges.

C – Compétences des juridictions consulaires

Ces juridictions s’occupent de tout le contentieux entre commerçants ou relatif aux actes de commerce.

L’ordonnance élargit encore leurs compétences au contentieux relatif aux lettres de change, même signées par des particuliers.
De même, elle leur permet de juger en dernier ressort les litiges en matière de commerce d’une valeur inférieure à 500 livres.
Enfin, elle rend aussi ces juridictions accessibles aux propriétaires de bestiaux et aux producteurs de denrées (alors qu’un paysan n’est pas un commerçant !).

Les parlements ne sont pas contents, parce que tout ce contentieux leur échappe.
On leur laisse cependant une compétence : la faillite, même entre commerçants.
Une déclaration royale de 1739 leur attribue aussi l’examen des pièces des procès pour les litiges supérieurs à 500 livres.

Certains domaines échappent à la fois aux juridictions consulaires et aux juridictions ordinaires (= les parlements).
Par exemple, le domaine de la marine : l’ordonnance de 1673 avait laissé au juge consulaire la compétence en matière de contrat d’assurance maritime, prêt à la grande aventure et armement des vaisseaux, mais le grand amiral de France n’a pas été content et a demandé au roi le retrait de cette disposition.
Il obtient gain de cause en 1679 : la disposition est retirée, et l’ordonnance de la marine de 1681 abroge expressément cette disposition. Tout le contentieux du droit maritime revient aux amirautés, qui sont des tribunaux maritimes.

De même, la matière des eaux et forêts échappe à ces juridictions, parce qu’on considère que le domaine public dépend des juridictions administratives.

D – Procédure devant les juridictions consulaires

Il y a un principe de non représentation des commerçants qui sont partie aux procès : ceux-ci doivent être « ouïs par la bouche » (= entendus par leur propre bouche).
Ils doivent obligatoirement venir au procès et ne peuvent pas se faire représenter par quelqu’un d’autre.

Toutefois, cette règle s’assouplit au 18e siècle. En effet, malgré le principe posé par l’ordonnance, la pratique va accepter que les commerçants se fassent représenter lors des procès par des praticiens que l’on appelle le procureur.

Ces personnes-là vont pouvoir représenter complètement les commerçants.
C’est très pratique, parce que le commerçant a des affaires et doit bouger.
→ L’ordonnance impose des règles, mais la pratique les fait évoluer.

Le juge se fonde sur des indices qui l’aident à évaluer la bonne foi ou non du commerçant.
Parmi ces indices : la tenue du registre.
De même, le témoignage est fréquemment utilisé.

Enfin, ces juridictions ne jugent en dernier ressort que les litiges d’une valeur inférieure à 500 livres.
L’appel ne se fait que devant les juridictions ordinaires.
Les juridictions consulaires ne peuvent pas exécuter de sentences quand il y en a (par exemple, la contrainte par corps).

II – Les sociétés de commerce

L’idée de l’ordonnance de Colbert est à la fois de consacrer les usages en les mettant dans une ordonnance, et en même temps d’insuffler la politique royale, qui veut que le commerce soit bien tenu, qu’il y ait un certain ordre, et que le commerce aide au rayonnement de la royauté.

A – Les différents types de société évoqués par l’ordonnance

Les sociétés évoquées par l’ordonnance sont des sociétés de personnes, c’est-à-dire que ce ne sont pas les sociétés composées uniquement de capitaux.
Ces sociétés sont intuitu personae : des personnes décident de s’unir pour créer une société entre elles.

Il y avait déjà des sociétés de commerce qui fonctionnaient avec la réunion de capital. Ainsi, en 1673, il y avait déjà des sociétés de commerce → pourquoi ne sont-elles pas dans l’ordonnance ?

  1. Elles n’étaient pas encore suffisamment importantes ;
  1. C’étaient des compagnies à charte : elles avaient leur droit qui était inscrit dans la charte signée par le roi comprenant les privilèges.
    On considérait donc que ces compagnies faisaient partie du domaine public.

Sociétés concernées par l’ordonnance :

  1. La société générale, qui ressemble beaucoup à notre actuelle société en nom collectif (SNC), créée par la loi de 1968.
    Ce sont surtout des sociétés familiales ou des sociétés créées par des associations de maîtres enrichis.
    Dans ces sociétés, on a un intuitu personae très fort, qui se manifeste par une responsabilité solidaire et illimitée.
  1. La société en commandite, qu’on avait déjà évoquée à Rome et au Moyen Âge.
    On a ici une forme hybride de société, avec :

    • D’un côté, des commandités (= gérants) qui fonctionnent presque comme une société générale ;
      Entre eux, la responsabilité est solidaire et infinie.
    • De l’autre, des commanditaires, qui sont de simples apporteurs de capitaux.
      Parfois, on ne les connaît même pas !
      Leur responsabilité est limitée à leur apport.
  1. La “société anonyme” : Colbert l’appelle ainsi, mais ce sont en fait de petites sociétés momentanées qui se font le plus souvent autour des ports.
    Idée : un groupe d’amis se retrouve dans un port et décide de mettre de l’argent en commun pour armer un navire.

B – La règlementation formelle des sociétés dans l’ordonnance de Colbert

Toutes ces sociétés vont être soumises à un formalisme, avec un double objectif :

  1. Imposer des règles et un cadre, en reprenant les coutumes des marchands et en disant quelles sociétés existent et sous quelle forme ;
  1. Moraliser le commerce en protégeant les tiers, en demandant aux sociétés de produire des écrits pour que les tiers sachent avec qui ils vont faire des affaires.

→ Formalisme important pour mieux encadrer les sociétés et protéger les tiers.

1) L’exigence d’un écrit

Colbert impose à toutes les sociétés de se constituer par écrit.
Cette exigence était déjà posée par l’édit de Moulins en 1560.
→ On doit écrire l’acte de société ou le contrat de société.

À partir du 18e siècle, la forme devient + impersonnelle, même dans les sociétés de personnes.

Les grosses sociétés ont recours au notaire.
La science du notaire est importante, car elle permet de faire évoluer les contrats de société et les statuts de société.

Finalement, ces notaires les font évoluer vers une forme d’uniformité, parce qu’ils ont l’habitude de rédiger ces actes : ils tiennent des permanences dans les chambres de commerce, où ils prennent l’habitude de rédiger des statuts toujours sous le même plan et finissent pas créer des formulaires.

On met un préambule avec l’objectif de la société.
Ses desseins peuvent être très larges ; par exemple, “explorer des terres lointaines”.

On insère des considérations religieuses :
> parce qu’à l’époque on est religieux ;
> parce qu’on est superstitieux ;
> pour plaire à l’Église.
Exemple : « par nom de Dieu, cette société est créée ».

On y trouve des clauses relatives au capital social.
Il est intéressant de voir que la jurisprudence des juridictions consulaires vient préciser certains points ; par exemple, l’idée de répartition des gains et profits au prorata des apports, même au sein des sociétés de personnes.

La jurisprudence interdit ensuite les clauses léonines.
Viennent de « lion » → on interdit de se tailler la part du lion.

De même, la jurisprudence vient préciser la distinction entre les apports en argent et les apports en marchandise/en nature.
De manière générale, les apports en argent sont considérés comme la propriété de la société alors que les apports en marchandise/en nature restent la propriété de chaque associé.

On insère des clauses sur la dissolution de la société.

Enfin, on insère des clauses d’aumône, où la société dit que tous les ans elle versera X à la paroisse.
(époque religieuse + superstition + volonté de plaire à l’Église).


2) La publicité

💡 On parle ici de publicité légale.
Colbert crée les règles de publicité légale, qui déterminent comment la société devra être publiée pour être connue par le roi et par le public.
Objectif : informer et protéger les tiers.

L’ordonnance de Colbert exige le dépôt au greffe de la juridiction consulaire d’un extrait de l’acte de société.
Cet extrait contient :
> le nom des associés ;
> leur qualité ;
> leur signature ;
> la durée de vie de la société ;
> les clauses spéciales qui ne sont pas conformes à l’usage.
Tout changement doit faire l’objet de la même publicité.

Idée de Colbert : si les règles de publicité légale ne sont pas suivies, nullité de la société.
Cela restera un vœu pieux, parce qu’en pratique la nullité n’a jamais été appliquée.
Les commerçants de l’Ancien Régime ont du mal avec la publicité légale et préféraient leurs propres usages.

De manière générale, quand ils constituent une société, ils écrivent à des amis ou à leurs clients potentiels des lettres ; idem quand ils modifient une société : ils réunissent leurs partenaires et leurs clients potentiels.
Ils préfèrent le secret des affaires.

→ Cette publicité légale a très mal fonctionné sous l’Ancien Régime.

Sur la question de la personnalité morale :

À cette époque, on n’était pas encore à cette abstraction là : on ne parle pas encore de personnalité morale.
En revanche, on constate qu’on désigne petit à petit un administrateur, qui signe d’abord au nom des associés, puis au nom de la société.

La personnalité morale permet de donner une personnalité juridique à un corps social, comme s’il était une personne privée.
Les sociétés ont leur carte d’identité : nom, domicile, qualité (= forme), diverses formes de droits, et un patrimoine.

La personnalité morale, c’est pratique en droit, parce que ça sert à s’adresser à un seul corps.

Sur la question de la responsabilité :

La responsabilité est solidaire.
Cela peut dérouter les civilistes, parce que normalement la responsabilité est individuelle, et non solidaire.

Savary conseille dans Le Parfait Négociant (⚠️ pas dans l’ordonnance) d’utiliser le terme « et compagnie » pour bien faire comprendre aux tiers et au juge ordinaire qu’il y a derrière nous d’autres personnes.

C – Les sociétés de capitaux, une création de la pratique

Les sociétés de capitaux sont uniquement constituées par le capital (notamment par des actions). L’intuitu personae n’y apparaît pas du tout. Elles ont une raison sociale (= un nom) qui ne comporte pas de nom de personne ni de “et compagnie ».

Les sociétés de capitaux sont ignorées par l’ordonnance.
Toutefois, à partir de la seconde moitié du 18ème siècle, on voit ces sociétés apparaître au niveau du droit privé.

En effet, au 17ème siècle, les compagnies de commerce avaient déjà cette forme (ex : Compagnie des indes) ; en revanche, l’ordonnance de Colbert n’en parle pas, parce qu’elles sont du domaine public : c’est le roi qui s’en occupe, avec les privilèges et les chartes.

Ce n’est qu’ensuite qu’on constate l’arrivée de sociétés privées qui sont des sociétés de capitaux.
Parmi ces sociétés privées, 2 types de société apparaissent :

  1. Les sociétés en commandite par actions, dont le capital est composé d’actions ;
  1. Les sociétés uniquement composées d’actionnaires.

Ces sociétés se développent sur 2 grandes idées :

  1. La négociabilité des parts : les actions sont négociables ;
  1. La responsabilité limitée au montant de l’apport.

On distingue 2 types de titres :

  1. Les titres nominatifs : on achète et vend des actions en passant par le registre des sociétés ;
  1. Les titres au porteur : le nom des personnes n’est pas écrit, il y a juste un numéro.
    Ces titres se négocient sur le marché boursier comme des marchandises.
    La Bourse officielle de Paris est instituée en 1724 et, avec elle, le monopole des agents de change pour la négociation des effets publics (= effets importants).

Le droit des affaires évolue au sein de ces sociétés.
On voit par exemple apparaître des parts de fondateurs = petits paquets d’actions que l’on offre pour remercier et rétribuer une personne qui a apporté quelque chose à la société.

De même, on voit la pratique organiser le fonctionnement des sociétés.
On s’organise de manière oligarchique en réunissant des assemblées d’actionnaires, où l’on discute de la répartition des dividendes.
En 1893, la loi imposera la représentation des petits actionnaires, qui s’organiseront en syndicats et seront représentés dans les votes.

Ces assemblées désignent le plus souvent un conseil d’administration, avec des administrateurs rémunérés par jetons de présence (= à la séance).
Parfois, ces assemblées désignent aussi un conseil plus restreint : le conseil de direction.
→ Organisation pragmatique, avec une assemblée d’actionnaires qui désigne un CA.

Les actionnaires élisent parfois des syndics, qui vont les représenter.
Ces syndics sont les ancêtres des commissaires au compte, qui sont devenus obligatoires avec une loi du 19e siècle.
Ces syndics peuvent par exemple demander le contrôle de l’emploi des fonds de la société.

Dans ces sociétés, il n’y a pas de règles préconçues : on s’organise de la manière que l’on veut.
Il faudra attendre le Code de commerce de Napoléon de 1807 pour que ces sociétés soient clairement réglementées.

III – La lettre de change

L’esprit de l’ordonnance de Colbert est surtout de clarifier / simplifier / concentrer la coutume des commerçants. Il n’invente donc rien.
En revanche, il ajoute la pâte monarchique : un certain encadrement.

Il reprend donc les usages et coutumes issues de la pratique de la lettre de change, mais il précise et impose des règles de forme afin d’éviter les abus.

L’ordonnance de Colbert impose des mentions obligatoires à la lettre de change, sous peine de nullité.
La lettre de change doit comporter :
> le nom du bénéficiaire ;
> le nom du tiré.
En revanche, elle n’impose pas celui du tireur.

Ces lettres doivent préciser le temps du paiement ou un laps de temps à partir de la présentation de la lettre de change.
Exemple : « cette lettre doit être payée 10 jours après la présentation de la lettre de change ».

La lettre de change doit aussi préciser si la valeur sera reçue en deniers, en marchandises ou en tout autre effet.

Colbert n’a pas précisé la différence de lieu. Ce sont donc les tribunaux qui, si cette différence de lieu n’apparaît pas, vont requalifier la lettre de change en prêt à intérêt (on voit l’influence de l’Église…).

Colbert impose un certain formalisme pour encadrer la lettre de change.
La pratique intègre 2 pratiques qui ne sont pas inscrites dans l’ordonnance de Colbert :

  1. L’aval est une forme de caution (= garantie) : à côté de la lettre de change, on greffe une lettre séparée qui portera le nom de la caution du tiré.
  1. Le protêt est un acte de protestation.
    En cas de refus de paiement de la lettre de change, le tireur fait un écrit de protestation qui constate le refus de paiement.
    Cette pratique du protêt est instaurée par les commerçants et par les notaires.
    Ce protêt est ensuite utilisé en justice. Il est aussi utilisé pour la faillite.

IV – Les faillites et banqueroutes

L’ordonnance consacre 25 articles aux faillites et banqueroutes.
Elles concernent le commerçant dont l’activité est en difficulté ou cesse, mais on a dans cette ordonnance encore un point particulier : la faillite et la banqueroute sont les mêmes notions pour les simples particuliers comme pour les mêmes commerçants.

La nouveauté très importante introduite par l’ordonnance est celle de la distinction entre la faillite ordinaire (le commerçant malheureux) et la banqueroute (qui suppose une faute ou une fraude).
Le juge peut apprécier la faute (ex : imprudence).

Auparavant, on distinguait la banqueroute simple (faute) et la banqueroute frauduleuse (fraude).
Désormais, sous Colbert, on ne distingue pas : la banqueroute est un crime.

A – La procédure de faillite

L’ordonnance laisse la faillite aux juridictions ordinaires (Parlement), parce qu’elles concernent autant les particuliers que les commerçants.

L’ordonnance maintient la contrainte par corps = l’emprisonnement.
Elle précise la procédure de faillite :

Tout d’abord, on décide de l’ouverture de la faillite, qui s’ouvre le jour de la cessation de paiement.

On ouvre la “période suspecte”, qui est la période qui précède la cessation des paiements.
À la cessation des paiements, on regarde donc ~15 jours / ~ 1 mois avant ce qu’il s’est passé pendant cette période.
Les juges peuvent y détecter des actes frauduleux.

On fait le bilan de l’actif et du passif.
On regarde la tenue des livres et des registres.
Le débiteur est dessaisi de ses biens.
Il est frappé d’infâmie, ce qui veut dire qu’il n’aura plus accès à certains éléments de la vie judiciaire et sociale ; par exemple, il ne peut plus agir en justice, il ne peut plus être témoin, il ne peut plus contracter en son nom, il n’a plus le droit d’entrer à la bourse.

Les créanciers peuvent demander la nullité de tous les actes qu’ils auraient passés avec le débiteur après l’ouverture de la faillite (parce qu’ils peuvent ne pas immédiatement être au courant du problème).

Il n’y a pas de procédure collective de faillite : chaque créancier doit actionner un droit de saisie individuel.
Face à cela, la pratique s’organise : la pratique contourne rapidement cette lacune par 2 contrats successifs :

  1. Un contrat d’union que tous les créanciers signent pour s’accorder sur le principe de la collectivité ;
  1. Un contrat de direction, dans lequel est désigné celui qui conduira la procédure → le syndic.

Toutefois, le législateur de 1673 (Colbert et Savary) pense quand même au débiteur malheureux et tente de la protéger.
Cette protection est prévue par l’ordonnance avec 2 possibilités de protection.

En effet, le failli de bonne foi, c’est-à-dire celui qui a géré prudemment mais qui n’a pas eu de chance, dispose de 2 possibilités de protection grâce à ce que l’on appelle les exceptions :

  1. Les lettres de répit sont des délais de grâce, en général de 6 mois mais qui peuvent être plus longues, qui sont accordés par le roi, le chancelier ou les parlements.
    Il s’agit d’une exception : si un créancier veut être payé, le débiteur peut lui opposer son délai de grâce.
  1. La cession judiciaire des biens veut que le débiteur cède ses biens à la justice.
    Cette cession judiciaire lui permet d’éviter l’infâmie et d’éviter la prison pour dettes (= la contrainte par corps), parce qu’en cédant ses biens à la justice, il montre sa bonne foi + qu’il a quand même des biens.

Au cours du 18ème siècle, les commerçants s’organisent entre eux ; à côté de ces exceptions légales, ils créent leurs propres arrangements amiables :

  1. L’atermoiement : les créanciers décident d’accorder au débiteur un nouveau délai pour payer ses dettes ;
    On suppose l’union de tous les créanciers qui acceptent ce nouveau délai.
  1. La remise : les créanciers s’accordent sur une remise partielle des biens du débiteur.
  1. L’abandonnement de biens existe à côté de la cession judiciaire.
    Ici, le débiteur abandonne volontairement certains biens à ses créanciers, en s’arrangeant avec eux sans passer par le juge → en abandonnant volontairement sa propriété, il montre qu’il est de bonne foi.

Ces arrangements amiables constituent des procédures parallèles qui ne passent pas devant les juridictions civiles.
→ Les commerçants préfèrent s’arranger entre eux.

Au 19ème siècle, ces arrangement seront interdits, parce qu’ils donneront lieu à des abus de la part des débiteurs.

B – La banqueroute

Les juges qualifient la faillite en banqueroute lorsque, dans la période suspecte, ils découvrent des actes frauduleux ou l’absence de production du livre du commerce.

Si le commerçant concerné ne présente pas ses livres de commerce, il y a une présomption (simple) de fraude.
Cette présomption de fraude peut être renversée. Elle montre aussi la négligence du commerçant.

La sanction de la banqueroute prévue par l’ordonnance est la peine de mort.
Mais cette peine de mort n’a jamais été appliquée pour les cas de banqueroute.

On voit souvent sous l’Ancien Régime des peines beaucoup trop importantes qui ne sont habituellement pas appliquées.

Conclusion

De prime abord, cette ordonnance sert aux commerçants, mais on découvre très vite ses lacunes et elle devient obsolète.
Les besoins des commerçants évoluent très vite. À chaque fois, la pratique s’arrange, soit parce qu’on est face à une lacune ou une lourdeur, soit parce que l’ordonnance ne l’a pas prévu.

📈
Pour aller plus loin : Jean Hilaire, Le droit des affaires et l’histoire.
Dans cet ouvrage, l’auteur consacre tout un long chapitre sur les ressources de la pratique.
Dans un autre chapitre intitulé Le commerçant, un fiscaliste impénitent, il montre comment le commerçant s’arrange toujours pour ne pas grever son commerce d’un surpoids d’impôt.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *