Commentaire de l’arrêt Durandal du 17 octobre 2000

Fiche rédigée par Adélaïde Favot, alors en maîtrise de droit.

La distinction entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail, élaborée par la jurisprudence est difficile à mettre en oeuvre. La Cour de Cassation tente de systématiser la distinction, mais avec difficulté. Elle continue à pratiquer une analyse in concreto « sans se résoudre à une qualification ferme des éléments modifiés » (ESCANDE).
La question s’est posée en l’espèce à propos d’une salariée Mme DURANDAL, engagée par l’association LADAPT en 1989 en qualité de secrétaire à temps partiel qui a été licenciée en 1994 pour faute grave du fait de son refus des nouveaux horaires et d’une rétention d’information.
La salariée saisit alors les juges du fond pour le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, d’une indemnité de licenciement et d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour d’appel de Reims dans son arrêt du 11.02.1998 a débouté la salariée qui a alors formé un pourvoi en cassation.
La CA estimait que l’horaire de travail, et notamment la pause de midi, n’étaient pas un élément du contrat de travail et que le refus de la salariée de poursuivre l’exécution du contrat, aux conditions décidées par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction de l’entreprise constituait une faute grave.
La salariée estimait quant à elle que son refus n’était pas constitutif d’une faute grave car le nouvel horaire imposait à la salariée d’être présente à l’heure du déjeuner dont elle pouvait disposer précédemment, ce qui lui permettait de s’occuper de ses enfants d’âge scolaire.
La Cour de cassation s’est donc demandé si la modification portant sur l’horaire journalier d’un salarié travaillant à temps partiel et plus précisément la suppression de sa pause de midi constituait une modification du contrat de travail ou un simple changement des conditions de travail.
La chambre sociale de la Cour casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant qu’en l’état actuel du texte applicable et à défaut d’une clause contractuelle expresse prévoyant l’horaire quotidien et le bénéfice de la pause de midi, l’employeur en changeant l’horaire et en demandant aux salariés de travailler pendant l’heure du déjeuner fait usage de son pouvoir de direction. Dès lors, le refus de la salariée de poursuivre l’exécution du contrat en raison, non d’une modification du contrat mais d’un simple changement des conditions de travail décidé par l’employeur dans l’exercice du pouvoir de direction, est fautif et rend la salariée responsable de l’inexécution du préavis qu’elle refuse d’exécuter aux nouvelles conditions.
Mais, elle précise en l’espèce, que le nouvel horaire imposait à la salariée d’être présente à l’heure du déjeuner dont elle pouvait disposer précédemment, ce qui lui permettait de s’occuper de ses enfants d’âge scolaire.
La cour rappelle donc le pouvoir conditionné que détient l’employeur pour changer les horaires de travail et plus précisément pour supprimer la pause de midi d’un salarié à temps partiel (I) et précise les effets du refus du salarié d’exécuter son contrat de travail aux nouvelles conditions. (II)

I) Le pouvoir conditionné de l’employeur de supprimer la pause de midi d’un salarié à temps partiel

Le changement d’horaire d’un salarié à temps complet est constamment pour la jurisprudence considéré comme relevant du pouvoir de direction de l’employeur (A). La Cour précise ici, qu’en matière de temps partiel, le changement d’horaire en l’absence de clause expresse le prévoyant est aussi un simple changement des conditions de travail (B).

A) Le changement d’horaire, simple changement des conditions de travail

La jurisprudence distingue la « modification du contrat de travail » et le simple « changement des conditions de travail ». La modification du contrat de travail ne peut être possible qu’avec l’accord du salarié, alors que le changement des conditions de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur et peut être imposé au salarié sans son consentement. Dès lors, il est important de savoir ce qui relève du contrat de travail ou du pouvoir de l’employeur pour savoir si le salarié est en droit de refuser la modification.

Selon une jurisprudence constante, l’aménagement des horaires de travail relève du pouvoir de l’employeur. Pour un travail à temps complet en horaire de jour, il peut parfaitement changer les horaires d’entrée et de sortie, limiter la pause de midi, « ces aménagements du travail, même désagréables pour certains salariés, ne modifient pas l’armature du contrat », selon le conseiller WAQUET. L’employeur peut donc supprimer une pause de déjeuner ou augmenter l’amplitude de travail hebdomadaire sans que cette mesure soit qualifiée de modification contractuelle. Il fait usage de son pouvoir de direction.
Mais qu’en est –il pour le cas d’un salarié à temps partiel ? En effet, la durée du travail, la répartition du temps de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ainsi que les conditions de la modification éventuelle de cette répartition font partie des mentions obligatoires que doit comporter le contrat de travail à temps partiel. Il en résulte que la durée du travail comme la répartition des heures de travail sur la semaine ou sur le mois constituent des éléments qui ne peuvent être modifiés qu’avec l’accord du salarié, ce qui a conduit la Cour de Cassation à se montrer rigoureuse sur le libellé des clauses permettant une modification de cette répartition. Qu’en était –il de la modification portant sur l’horaire journalier du salarié, et plus précisément, de celle consistant en la suppression de la pause de midi ?
La cour a répondu qu’ « en l’état du texte applicable et à défaut d’une clause contractuelle expresse prévoyant l’horaire quotidien et le bénéfice de la pause de midi, l’employeur en changeant l’horaire et en demandant aux salariés de travailler pendant l’heure du déjeuner fait usage de son pouvoir de direction ».

B) « En l’état du texte applicable et en l’absence de clause contractuelle expresse »

S’agissant des textes applicables, on peut rappeler que depuis l’intervention de la loi du 19.01.2000, les conséquences du refus du salarié à temps partiel d’accepter une modification de la répartition de son horaire de travail ou encore un changement des horaires au sein de chaque journée travaillée sont définies par la loi. Désormais, la loi impose le principe de la communication par écrit au salarié de ses horaires de travail pour chaque journée travaillée dont les modalités doivent être fixées par le contrat de travail. En cas de changement des horaires journaliers figurant dans le document qui lui a été transmis, le refus du salarié d’accepter ce changement ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement dès lors que ce changement s’avère incompatible avec des « obligations familiales impérieuses, le suivi d’un enseignement scolaire ou supérieur, une activité professionnelle chez un autre employeur ou une activité professionnelle chez un autre employeur ou une activité professionnelle non salariée ».On peut se demander si les raisons invoquées par la salariée « s’occuper de ses enfants d’âge scolaire » auraient été considérées comme suffisamment impérieuses.
Quoiqu’il en soit, la Cour relève l’absence de clause contractuelle expresse prévoyant l’horaire quotidien et le bénéfice de la pause de midi. En présence d’une telle clause, la solution aurait été toute autre dans la mesure où la modification aurait, en ce cas, porté sur un élément contractuel. Le refus du salarié n’aurait pu constituer par lui-même un motif de licenciement. Donc, comme le souligne Marie Cécile ESCANDE-VARNIOL, « la règle prétorienne est sauf contractualisation, les horaires de travail sont établis librement par l’employeur et peuvent être modifiés unilatéralement. » Ainsi, la faute commise par le salarié qui refuse un changement d’horaire de travail relèverait de l’insubordination ou de la violation des règles de discipline.
Le salarié ayant refusé la modification proposée, la haute juridiction précise également les incidences de ce refus pour l’intéressé.

II) Les effets du refus du salarié de poursuivre l’exécution de son contrat de travail

Le refus de la salariée de poursuivre l’exécution de son contrat de travail est selon la Cour fautif, mais cette faute ne peut être qualifiée de grave en raison du motif du refus invoqué en l’espèce (A). De plus, son refus la rend « responsable de l’inexécution du préavis qu’elle refuse d’exécuter aux nouvelles conditions » (B)

A) L’exclusion d’une faute grave en raison de l’appréciation des faits d’espèce

Auparavant, le refus d’une modification des conditions de travail était constitutif d’une faute grave, que l’employeur pouvait sanctionner par un licenciement disciplinaire. Par la suite, la Cour de cassation a assoupli sa jurisprudence et posé en principe que le refus du salarié d’accepter un changement de ses conditions de travail ne constituait pas nécessairement une faute grave (Soc, 4.06.1998) Celle-ci pouvait être écartée par les juges du fond compte tenu notamment des circonstances du changement des conditions de travail (Soc, 3.04.1997) C’est ce qui est rappelé ici, car la Cour de cassation n’hésite pas à censurer les juges du fond pour avoir admis la faute grave sans s’attacher aux circonstances particulières du refus par la salariée de la nouvelle répartition de ses horaires de travail.
Ici, la situation personnelle de la salariée a conduit la cour à une appréciation in concreto. Comme le note JE RAY, « voilà du très subjectif dans un domaine dont la chambre sociale avait justement voulu l’exclure ».
La Cour va en effet prendre en compte des éléments très personnels lui permettant d’ « atténuer l’extrême sévérité de la sanction de l’insubordination »
Le refus n’est en l’espèce qu’une faute réelle et sérieuse.

B) La responsabilité de la salarié de l’inexécution de son préavis

L’employeur qui licencie un salarié à raison du refus par celui-ci d’un changement de ses conditions de travail, sans se prévaloir d’une faute grave, est fondé à lui imposer d’exécuter son préavis aux conditions nouvellement prévues (Cass, 25.11.1997) Et, si le salarié persiste dans son refus, il ne peut prétendre à l’indemnité compensatrice du préavis qu’il a refusé d’exécuter.
Toutefois, il avait été jugé que le salarié licencié à tort pour faute grave à la suite de son refus catégorique d’une mesure n’emportant pas modification de son contrat pouvait prétendre à l’indemnité compensatrice de préavis (Soc, 3.04.1997)
Cette décision semble donc remettre en cause la solution. Il semble que le droit à l’indemnité de préavis sera systématiquement écarté en cas de requalification du licenciement pour faute grave consécutif au refus du salarié d’un simple changement des conditions de travail. Pour la doctrine, cela est critiquable car « revient à présumer de ce que le salarié aurait refusé d’exécuter le préavis de ce que le salarié aurait refusé d’exécuter le préavis aux nouvelles conditions si l’employeur ne s’était pas placé, à tort, sur le terrain du licenciement pour faute grave ». Or, l’erreur de qualification du licenciement ayant été la cause première de l’inexécution du préavis, il n’est pas normal que le salarié en soit responsable.

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