L’influence des doctrines pénales sur le droit positif et la réaction sociale

Fiche rédigée par Yannick JOSEPH-RATINEAU, alors étudiant en droit à Aix-en-Provence.

«  S’il est des doctrines pénales qui, par leur contenu et leur influence, ont eu dans l’évolution de la réaction sociale face à la délinquance, un rôle majeur, ce sont bien les doctrines utilitaires et les doctrines à fondement scientifique ». Dans la seconde moitié du XVIII siècle le traité «  des délits et des peines » de Beccaria paru en 1764 marque l’avènement, le point de départ de la naissance de notre droit pénal actuel . Ces doctrines ont eu pour effet de combattre les inégalités et de mettre en avant un droit pénal largement influencé par les droits de l’homme. Ces doctrines vont permettre notamment l’avènement de politiques criminelles fondées sur la raison. Ce sont les doctrines utilitaires que nous aborderons dans (I) afin d’en analyser le contenu, mais aussi l’influence qu’elles ont eu, qu’elle ont encore sur notre droit pénal actuel.

Il nous faudra également distinguer les doctrines à fondement scientifique ou moderne qui sont apparus avec les sciences humaines à la fin du XIX siècle. Il nous faudra analyser le contenu de ces doctrines modernes, puis en expliquer les différents courants, les différences d’opinions et les point communs entre l’école positiviste et le mouvement de défense sociale nouvelle, ainsi qu’aborder les doctrines transactionnelles que sont l’école pragmatique et le mouvement néo-classique, directement issus des doctrines modernes, avant d’analyser et d’expliquer l’influence que ces doctrines modernes ont eu sur notre droit pénal actuel (II)

I – Les doctrines dites utilitaires

Les doctrines pénales dites utilitaires apparaissent bien avant le XVIII siècle, mais c’est à partir de cette date que l’on commence à s’en servir. La fin de l’ancien régime est marqué par l’avènement des idées issues de ces doctrines dites utilitaires et notamment de deux grands noms : celui de Beccaria et celui de Belthan qui vont marquer la droit pénal de la révolution bien que leur influence dans l’évolution de la réaction sociale face à la délinquance n’ait eu réellement d’effet qu’à partir du début de XIX siècle sous le régime de l’Empire qui s’inspire largement des idées de Beccaria. Toutefois au XIX siècle, d’autres doctrines apparaissent et se prolongèrent durant tout le XIX siècle en continuant d’influencer le droit positif. C’est précisément pourquoi nous envisagerons dans un (A) le contenu des doctrines du XVIII et XIX siècle et dans un (B) leur influence sur l’évolution de la réaction sociale

A – Le contenu des doctrines utilitaires du XVIII et XIX siècle

a) Les doctrines du XVIII siècle

Au XVIII siècle, à la fin de l’ancien régime, on assiste à l’avènement des doctrines pénales et à l’importance que prennent celles-ci dans les idéaux des philosophes et des esprits éclairés de la fin de l’ancien régime. Deux grands noms se dégagent alors, celui de Beccaria et celui de Belthan. Cette doctrine s’appuie sur l’idée que la peine doit avoir pour but l’utilité sociale. L’objectif n’est pas de faire souffrir le délinquant mais d’empêcher la récidive. Cela conduit Beccaria, dans son traité «  des délits et des peines » paru en 1764 à proposer un système de règle très différent. Ainsi il prône la primauté de la prévention, on ne doit recourir à la répression qu’après avoir constaté l’échec de la prévention, il pose le principe de la légalité, soutient que la loi doit définir les délits, préciser la nature des peines applicable et réglementer les procès, il exclut les délits aux mœurs, demande l’abolition de la peine de mort, la primauté des peines pécuniaires, l’abolition de la torture, la publicité de l’audience et la règlement de la détention avant le jugement.
Belthan fonde lui aussi le droit de punir de la société sur un but utilitaire, il demande que soit pris en compte les circonstances, il demande la suppression des peines corporelles au bénéfices des peines privatives de liberté et prône lui aussi la prévention de la récidive.

b) Les doctrines du XIX siècle

Au cours du XIX siècle, deux grands courant doctrinales sont apparues. Dans la première moitié du XIX siècle une première doctrine s’est affirmée : celle dite de la justice absolue. Pour cette doctrine la peine sert à expier le crime commis. Ainsi on doit être puni car on a commis un délit et non pour ne plus en commettre. Les idées prônées par cette doctrine sont plutôt tirées du passé et elles ne sont pas tournées vers l’avenir. Il faut distinguer deux grands noms : Kant et De Maistre.

La doctrine suivante apparue au milieu du XIX siècle. C’est une doctrine éclectique, soutenue par plusieurs auteurs dont Guizot, Rossi, Lucas, qui prétend concilier les idéaux d’utilité et de justice. L’amendement du coupable ne doit pas être écarté, la peine ayant pour fonction d’être un idéal de justice et elle a une fonction de resocialisation du délinquant.

B – L’influence sur la réaction sociale des doctrines utilitaires du XVIII et XIX siècle

a) L’influence des doctrines du XVIII siècle

Les idées de cette doctrine utilitariste du XVIII siècle furent consacrées par la révolution de 1789, même si les idées de Beccaria imprégnèrent fortement le droit pénal de l’Empire. Sous la révolution, c’est le triomphe des idées de Beccaria puisque le Code pénal des 25 septembre et 10 octobre 1791 consacre le principe de la légalité, le principe des peines fixes, consacre également les peines privatives de liberté et supprime les châtiments corporels, même si l’on conserve la peine de mort. Sur le plan processuel, le procès devient oral, public et contradictoire. L’influence sur le droit positif continue sous l’Empire, puisque malgré un durcissement de la répression, le droit pénal positif de l’Empire reste imprégné des idées de Beccaria plus que de Belthan. Il faut noter que l’influence des idées de Beccaria ne se limita pas à la seul époque de la révolution et de l’Empire, puisque elles constituent la base, le socle de notre droit pénal actuel pour une grande partie.

b) L’influence des doctrines du XIX siècle

L’influence des doctrines du XIX siècle fut bien moins important que celui des doctrines du XVIII siècle. En effet, cela s’explique d’une part par le fait que la doctrine dite de « justice absolue » prône des idées bien plus tournées vers le passé que l’avenir, c’est précisément pourquoi, cette doctrine n’a eu aucune influence directe sur la législation pénale du XIX siècle.

En revanche, il n’en est pas de même pour la doctrine éclectique soutenue par Guizot, Rossi et Lucas qui était comme on l’a vu plus haut une doctrine libérale qui influença le droit pénal positif de la fin du XIX siècle. En effet, le mouvement législatif du XIX siècle est caractérisé par un adoucissement de la répression, le développement des peines privatives de liberté prônée par Belthan. Les idées libérales ont adoucit la réaction sociale face aux infractions politiques.

La fin du XIX siècle marque l’avènement des sciences humaines, ainsi les faits humains et sociaux doivent être étudiés d’une manière expérimentale et scientifique. Cette nouvelle approche scientifique du phénomène délinquant va avoir pour conséquence le développement progressif de nouvelles doctrines : les doctrines à fondement scientifique ou moderne.

II – Les doctrines dites modernes

L’avènement et le développement de la recherche scientifique ont conduit à l’émergence de doctrine se fondant sur l’acquis de doctrines scientifiques. Ces doctrines modernes se divisent en deux grandes écoles : l’école positiviste (A) et le mouvement de défense sociale nouvelle (B).

A – Le contenu et l’influence des doctrines modernes

a) L’école positiviste

Sur l’apparition de l’école positiviste

L’école positiviste est la première grande doctrine moderne. Elle est née avec l’avènement de la criminologie. Lombroso fut le fondateur cette doctrine qui fut suivie par de grands auteurs comme Ferri, La Cassagne ou Garofalo. Cette doctrine consiste en la distinction des cause du crime. Ainsi il y aurait des causes endogènes, qui sont inhérentes au criminel, et des causes exogènes qui sont extérieurs au criminel. L’acquis scientifique de cette doctrine consiste en la célèbre distinction des criminels opérés par Ferri. Selon lui, il faudrait distinguer entre les criminels nés, les criminels aliénés, les criminels d’habitude, les criminels d’occasion, les criminels passionnels. En s’appuyant sur ces données, l’école positiviste adopte un déterminisme rigoureux et nie le libre arbitre. L’école positiviste a provoquer un bouleversement de la politique criminelle en proposant de substituer aux notions classiques d’infractions et de responsabilité morale les concepts d’état dangereux, de responsabilité sociale et de mesure de défense. Enfin l’école positiviste souhaite l’adoption de mesures de prévention susceptible d’atténuer les causes de al criminalité.

Sur l’influence de l’école positiviste

L’influence de l’école positiviste sur notre droit pénal actuel est importante. En effet l’école positiviste a généré des textes qui ont eu pour objet de marquer nettement la distinction entres délinquants primaires et récidivistes, notamment par la création du sursis simple, mais aussi par l’aggravation des peines pour les multi-récidivistes, ou encore la création de la libération conditionnelle en 1885 qui a pour objet l’élargissement du détenu avant la date normale d’expiration de la peine.

b) Le mouvement de défense sociale nouvelle

Sur l’apparition du mouvement de défense sociale nouvelle

Le mouvement de défense sociale nouvelle est apparue après la seconde guerre mondiale et possède une perspective triple. En effet, le mouvement de défense sociale nouvelle a une perspective critique, il s’adonne à un examen et une contestation du système existant, une perspective scientifique, il fait appel aux sciences humaines pour réaliser une approche pluridisciplinaire du phénomène criminel, enfin une perspective humaniste puisqu’il souhaite une réaction sociale orientée vers la protection de l’être humain et la garantie des droits de l’homme. Dans ce courant doctrinale, il faut noter qu’il était dirigé par Marc Ancel qui prétendait modifier la politique criminelle et le droit pénal positif, mais il faut également noter que ce courant refuse de prendre parti dans le débat du déterminisme et du libre arbitre, qu’il affirme l’existence d’un sentiment de responsabilité, qu’il souhaite abandonner les fictions juridiques, qu’il nit la valeur d’intimidation collective de la peine et qu’il préconise une individualisation du traitement.

Sur l’influence du mouvement de défense sociale nouvelle

L’influence de ce mouvement a été très importante et très forte sur notre droit pénal actuel. Nombres de textes comme l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, l’ordonnance de 1958 sur les mineurs en danger, la création du juge de l’application des peines et du sursis avec mise à l’épreuve, la création du travail d’intérêt général en substitution aux courtes peines d’emprisonnement en 1975, de nombreuses réformes en matière pénitentiaire et la plupart des textes renforçant la protection des victimes. Comme on peut le voir l’influence du mouvement de défense sociale nouvelle sur notre droit pénal est considérable. Il faut noter toutefois que ces doctrines ont donné naissance à des doctrines transactionnelles qui se sont efforcées de concilier les grands principes classiques avec les propos de ces doctrines modernes.

Les doctrines transactionnelles

L’école pragmatique qui est un courant fondé par trois professeurs de droit pénal : Von Hamen, Prins, Von Niszl. Cette doctrine refuse de trancher le débat du libre arbitre et du déterminisme. Il faut se laisser guider par les données de l’expérience. Ce courant de doctrine a conduit à préconiser une politique criminelle hybride où doivent co-exister deux sortes de sanctions :

– Les peines fondées sur l’idée de faute
– La mesure de sûreté fondée sur l’idée d’état dangereux

De même qu’après les thèses de l’école positiviste un courant dit pragmatique est né, après les thèses du mouvement de défense sociale nouvelle, un courant dit néo-classique est né. Ce mouvement néo-classique tente de concilier le Code pénal de 1810 et le mouvement de défense sociale nouvelle. Sur le plan du traitement il préconise l’adaptation des critères scientifiques. Ce mouvement néo-classique sera soutenu en France par les professeurs Merle et Vitu dans les années 70 et 80. La plupart des réformes invoques au crédit du mouvement de défense sociale nouvelle pourraient être invoqué au crédit du courant néo-classique. Il faut toutefois rester prudent car l’influence des doctrines modernes sur notre droit pénal, et donc sur l’évolution de la réaction social face à la délinquance connaît des limites.

B – Les limites de l’influence des doctrines modernes sur l’évolution de la réaction sociale

Les doctrines modernes n’ont pas eu une influence isolée sur notre droit positif, d’autres facteurs sont aussi intervenus.

Les considérations d’opportunités, voir électoralistes, qui ont pour conséquence une augmentation des incriminations et de la répression, la loi anti-casseur de 1970 en est un parfait exemple, ou encore la loi sécurité et liberté de 1981.

Les idées pénales classiques ont conservé un poids très important dans l’opinion publique et sur ceux chargé d’élaborer, d’appliquer la politique criminelle

Le manque de moyen qui a gêné, voir paralysé, la mise en œuvre de nombreuses réformes.

Le droit pénal d’aujourd’hui repose toujours sur une approche classique hérité du Code pénal de 1810 malgré quelques concessions faite à l’approche scientifique du fait délinquant. Notre politique criminelle reste essentiellement normative.

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