La notion de société

Fiche rédigée par Azoulay Simon, chargé de travaux dirigés à la faculté de droit d’Aix-Marseille III.

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Cette page a été mise à jour pour la dernière fois le 23 octobre 2003. Son contenu pourrait ne plus être à jour.

Cette étude se fonde sur les jurisprudences suivantes :

  • Cass. com. 15 novembre 1983, Bull. civ. IV, n° 309 ; JCP 1984, éd. N, n° 13060. Appréciation du caractère non lucratif d’une association.
  • Cass. civ. 1ère 12 mars 2002, D. 2002, p. 1200, obs. Lienhard ; RTD. Com. 2002, 498. La notion d’entreprise appliquée aux sociétés.
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Avertissement :
Ces développements ne sont que la reproduction de séances de Travaux dirigés. Ils n’ont donc pas vocation à remplacer les cours délivrés en amphi. Je vous conseille ainsi de les utiliser comme un complément de cours ou, à défaut, de travailler à partir d’un ouvrage récent en droit commercial.

Qu’est-ce qu’une société ?

La société est avant tout un contrat. L’art. 1832 Cciv. énonce : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ».

Toutefois, avec la loi du 11 juillet 1985, l’art. 1832 al. 2 Cciv. a été modifié pour tenir compte de l’avènement des sociétés unipersonnelles. L’al. 2 prévoit ainsi qu’une société « peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne ».

La société a donc principalement un aspect contractuel. C’est en quelque sorte « la chose » des associés, une forme contractuelle leur permettant de mettre en commun des moyens pour l’exercice d’une activité.

Cependant, plus récemment, s’est développée une autre conception de la société, non plus fondée uniquement sur le caractère contractuel de la société, mais également sur son aspect institutionnel. La société n’est pas seulement un contrat conclu entre des associés mais également une institution composée d’organes, employant des salariés et de manière générale intéressant toute la collectivité.

Alors que la conception contractuelle de la société privilégiait presque exclusivement l’intérêt des associés, la conception institutionnelle va laisser davantage de place à d’autres intérêts tels que ceux des salariés, des créanciers et plus généralement des tiers. En somme, l’idée c’est que la société n’est pas uniquement la chose des associés. D’autres acteurs peuvent être intéressés par la société.
La notion d’intérêt social découle d’ailleurs de cette approche de la société. La société est perçue comme une personne ayant une volonté propre, pas forcément identique aux volontés de ces membres.

Il existe un droit commun des sociétés et un droit spécial des sociétés avec des règles spécifiques à chaque type sociétaire. Toutefois, avant d’entrer dans ces distinctions (dans les prochaines fiches), il convient de préciser la notion de société et de la distinguer d’autres institutions.

1. La société se distingue tout d’abord de l’indivision.

L’indivision, visée par les articles 815 et s. du Code civil, est la situation juridique où plusieurs personnes ont des droits de même nature sur un même bien ou sur une même masse de biens indivisible. Si l’on retrouve dans la société ces caractéristiques, la société est bien plus que cela.

Classiquement, deux éléments permettent de distinguer la société de l’indivision. A la différence des associés dans la société, les indivisaires peuvent demander le partage à tout moment. Dans la société en revanche, les associés ne peuvent demander la dissolution de la société à tout moment (sauf en cas de mésentente et dans certaines sociétés seulement).

Dans l’indivision, tout acte matériel ou juridique relatif au bien indivis exige le consentement unanime des indivisaires. En revanche, la majorité suffit en principe pour les sociétés (sauf exceptions tirées des règles du droit des sociétés. Par exemple, dans les SNC, l’unanimité est souvent requise. Dans les SA et SARL, c’est la majorité qualifiée qui est exigée pour certains types d’actes).

Cependant, les règles de l’indivision se sont assouplies. Pour certains actes, un indivisaire pourra passer seul l’acte en cause. Ainsi en est-il pour les actes de gestion courante ou en cas de mis en péril de l’intérêt commun.

En outre, à côté de l’indivision légale, il existe une deuxième catégorie d’indivision, l’indivision conventionnelle qui est encore plus proche de la société. Et certaines formes d’indivision conventionnelle (par exemple, les fonds communs de placement) ont un régime calqué sur celui des sociétés. La distinction, de plus en plus délicate, doit donc parfois être relativisée.

2. La société se distingue également de l’association.

Là aussi, la distinction devient de plus en plus floue. Certaines associations se livrent aujourd’hui de plus en plus à l’exercice d’activités commerciales. Aussi, le régime juridique des associations a connu un rapprochement vers celui des sociétés.

Le critère traditionnel de distinction a été posé dans l’arrêt Manigod et réside dans l’existence d’un but lucratif spécifique à la société (Cass. Ch. réunies 11 mars 1914, D. 1914, I, p. 257). L’existence d’un but lucratif permettra de caractériser l’existence d’une société. La Cour de cassation précise que la société a un but lucratif lorsque les associés partagent les bénéfices.

C’est en effet cet élément, le partage des bénéfices, qui permet de distinguer la société de l’association. Il est parfaitement admis que l’association puisse réaliser des bénéfices. Mais les bénéfices ainsi réalisés ne doivent pas être partagés entre les membres de l’association (entre les sociétaires).

Ainsi, un groupement constitué en vue de procurer à ses membres un gain pécuniaire ou matériel doit revêtir une forme sociétaire. Inversement, un groupement qui poursuit à titre principal une activité désintéressée et qui ne procède à aucun partage des bénéfices éventuellement réalisés doit opter pour la forme associative.

Cependant, la distinction reste parfois délicate à opérer en pratique. Une illustration nous est donnée par un arrêt du 15 novembre 1983 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.

En l’espèce, le problème portait sur la faculté pour un associé d’une personne morale constituée sous la forme sociétaire, mais dépourvue de tout caractère lucratif, de demander la requalification de l’entité en association. La loi du 7 juin 1977 autorisait dans une telle situation l’associé à exercer cette action. La Cour d’appel a cependant rejeté sa demande en raison d’un vote en AGE (assemblée générale extraordinaire) conférant à la personne morale un caractère lucratif. La Cour de cassation va casser l’arrêt d’appel. Plusieurs questions pouvaient se poser.

Tout d’abord, un groupement peut-il être qualifié de société en l’absence de tout caractère lucratif ? Est-il en outre suffisant pour conserver la qualification de société d’inscrire dans les statuts que le groupement a un caractère lucratif ?

A ces deux questions, la Cour de cassation répond par la négative. En l’absence de caractère lucratif, c’est la qualification d’association qui doit être retenue. Dans le cas d’espèce, l’associé est donc fondé à demander une requalification de la personne morale en association.

En outre, la modification des statuts et la précision que le groupement a un caractère lucratif est sans influence sur la qualification d’association dès lors qu’en réalité elle n’a pas ce caractère lucratif. En somme, la qualification de société ne dépend pas des apparences mais bien de la réalité économique.

3. Distinction société-entreprise.

Analyse de l’arrêt du 12 mars 2002 rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation (concernant la notion d’entreprise) :

L’art. L 313-22 du Code monétaire et financier (CMF) exige l’accomplissement d’une obligation d’information au bénéfice de la personne qui cautionne le remboursement d’un prêt consenti à une entreprise (cette information doit porter sur le montant principal mais aussi et surtout sur celui des intérêts de la dette qui courent chaque année, des commissions, frais, etc…).

La question se posait de savoir si ce texte devait trouver à s’appliquer en l’espèce concernant une société civile immobilière. L’établissement de crédit tente de faire valoir l’inapplicabilité du texte. Celui-ci ne viserait que les entreprises sociétés commerciales et non les sociétés civiles.
Cependant, l’art. L 313-22 CMF n’exclue pas les sociétés civiles immobilières. En fait, il ne vise que « les entreprises ». D’où le problème juridique : une société civile immobilière peut-elle être qualifiée d’entreprise ?

Pour la Haute juridiction, l’entreprise se définit comme un ensemble, un groupement de moyens (matériels et humains) qui exerce une activité économique. L’élément déterminant de la qualification d’entreprise ne réside donc pas dans la nature civile ou commerciale de la société qui lui sert d’enveloppe juridique mais dans l’exercice d’une activité économique.

Mais attention, ça ne veut pas dire que tous les textes visant les sociétés commerciales vont s’appliquer aux sociétés civiles. C’est seulement lorsque la notion d’entreprise est visée que les dispositions y afférentes pourront s’appliquer également aux sociétés civiles (par exemple, la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires vise l’entreprise ; de même en est-il pour la loi du 1er mars 1984 sur la prévention et le règlement amiable des difficultés des entreprises. Une association pourra donc faire l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ou encore bénéficier d’un règlement amiable en vertu de la loi de 1984).

En fait, aujourd’hui la tendance est de plus en plus à l’adoption de textes d’ordre général visant l’entreprise, et le critère déterminant pour vérifier l’existence d’une entreprise est celui de l’exercice d’une activité économique.
Ainsi, les sociétés libérales, les associations ou encore les sociétés civiles pourront être qualifiées d’entreprise chaque fois qu’elles présentent ou exercent une activité économique.

Cette position n’est en fait pas nouvelle. Elle résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui décide que pour l’application du droit (communautaire) de la concurrence, « la notion d’entreprise comprend tout entité exerçant une activité économique indépendamment du statut juridique de cette activité et de son mode de financement » (CJCE, 23 avril 1991, Höfner et Elser, aff. C. 41-90, Rec. I, p. 1979).

Ainsi, concernant les associations, pour « qualifier » une association d’entreprise, nul n’est besoin de rechercher le partage de bénéfices entre les sociétaires. Le seul exercice d’une activité économique suffira pour retenir la qualification d’une entreprise (mais le groupement conservera son statut juridique d’association ; seulement, il sera considéré comme une entreprise pour l’application de certains textes).

Cette solution consistant à élargir l’application du droit économique à l’entreprise (et pas seulement aux sociétés commerciales) a une importance considérable. Elle limite en effet les tentations d’échapper à certaines obligations en utilisant par exemple la forme associative pour l’exercice d’une activité économique, ou encore une forme sociétaire civile.

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