L’évolution du principe de légalité à travers la délégalisation, la constitutionnalisation et l’internationalisation de la norme pénale

Fiche rédigée par Yannick JOSEPH-RATINEAU, alors étudiant en droit à Aix-en-Provence.

« Nulla poena sine lege, nullum crimen sine lege »

Cette maxime latine, qui est la traduction littérale de notre article 111-3 du Code pénal, a été proposée par Feuerbach au XIX siècle. Cette maxime est l’expression même du principe de légalité posé par Beccaria dans son ouvrage de 1764 : «  traité des délits et des peines ». Adopté dès la révolution, le principe de légalité est le fondement même de notre droit pénal. Selon Beccaria, la loi devait déterminer les crimes et délits et fixer les peines applicables. Ce principe fut repris par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et on le retrouve aujourd’hui à l’article 111-2 et 111-3 du Code pénal. Si la loi doit déterminer les délits et les peines, cela sous-entend que la loi est l’unique critère formel de la norme pénale. Tout juriste sait que le terme de loi peut être entendu de deux façons différentes. Dans un sens étroit, il désigne le texte légalement voté par le Parlement, promulgué par le Président de la République et publié au journal officiel. Dans un sens plus large, le terme de loi désigne tout texte ayant une valeur normative, ce qui englobe donc les textes réglementaires, les textes issus de conventions internationales, etc…

Si l’on se réfère à l’époque révolutionnaire, et à une grande partie du XIX siècle, le terme de loi doit être entendu dans son sens étroit. En effet, pour le révolutionnaire de 1789, il n’y a rien au-dessus de la loi. La loi est la valeur suprême, la norme suprême. Dans ce contexte, le principe de légalité s’applique complètement : la loi (au sens étroit) détermine les crimes et les délits ainsi que les peines applicables. Ce principe sera respecté dans sa version originelle pendant longtemps, jusqu’à la III République en fait. Mais à partir de la III République, et sous la IV République, le principe de légalité va souffrir d’une première atteinte qui va provenir d’une habitude propre au régime de ces deux Républiques : la pratique des décrets-lois. Cette pratique va porter atteinte directement au principe de légalité car le pouvoir législatif n’est plus le seul à pouvoir édicter des incriminations, ce qui semble remettre en cause le sens dans lequel il faut désormais entendre le terme de loi. C’est ce que l’on appelle : la délégalisation de la norme pénale (I).

Après la période trouble des deux guerres mondiales, la Constitution de 1958 qui introduit le régime de la V République légalise la pratique des décrets-lois par la biais des ordonnances de l’article 38 de ladite Constitution,. La Constitution de 1958 va avoir une autre répercussion sur le principe de légalité en instituant comme norme suprême la Constitution. En effet, la loi n’est plus la norme suprême et afin de faire respecter cette Constitution, celle-ci introduit une nouvelle juridiction : le Conseil constitutionnel. Si au départ, le Conseil constitutionnel se montre timide, il va dès sa décision «  liberté d’association » en 1971 commencer à construire ce que le Doyen Louis Favoreu appellera : «  le bloc de constitutionnalité ». En même temps qu’il forge au fil de ses décisions les contours du bloc de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel va peu à peu se prononcer sur la constitutionnalité des lois pénales qui lui sont soumises. Par le biais de ce contrôle, le Conseil constitutionnel va poser et institué des grands principes en matière pénale. Même si la plupart de ces principes touchent plus la procédure pénale que le droit pénal de fond, cela n’est pas sans avoir une incidence sur la norme pénale en général et c’est ce que l’on va appeler : la constitutionnalisation de la norme pénale (II).

Enfin, il faut également noter que les contours généraux du monde ont évolué depuis le milieu du XX siècle, surtout en Europe avec le fondement de la communauté européenne qui, par le biais de conventions et d’accords vont peu à peu instituer un ordre juridique supra national, notamment par l’instauration de juridictions supra nationales que sont la Cour de justice de communauté européenne (CJCE) mais surtout la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dont les décisions vont avoir le plus d’impact sur la législation nationale. Cet ordre juridique supra national va bien évidemment avoir des répercussions sur la norme pénale qui est l’expression de la souveraineté nationale. La construction de l’Europe, mais aussi les diverses conventions internationales signées avec des pays qui sont à l’extérieur de l’Union européenne vont également avoir des incidences sur le principe de la légalité qui est l’expression de la souveraineté nationale. Cette atteinte sera qualifiée d’internationalisation de la norme pénale (III).

I – La délégalisation de la norme pénale

La délégalisation de la norme pénale a débuté sous la III République et s’est poursuivi sous la IV République avec la pratique des décrets-lois (A) qui fut légalisée par la Constitution de 1958 notamment par les ordonnances de l’article 38 (B).

A – Les décrets-lois : première atteinte au principe de légalité

Dès la III République, il apparut que le législateur ne pouvait pas, du moins n’était pas en mesure de pouvoir suivre les évolutions de la criminalité. Il apparut très vite qu’il y avait un retard considérable entre l’évolution du type même des infractions et la réponse légale qui en était faite.
De manière assez spectaculaire, on assista alors à un véritable révolution institutionnelle lorsque le législateur donna la possibilité au pouvoir Exécutif d’édicter des infractions à sa place. En effet, depuis la révolution et comme l’avait souhaité Beccaria, le législateur avait le monopole pour édicter les incriminations. Avec les décrets-lois, ce n’était plus cas puisque le pouvoir Exécutif pouvait désormais édicter des incriminations et donc augmenter considérablement le nombre d’infractions répréhensibles. Afin de ne pas complètement remettre en question ce monopole, le législateur imposait toutefois le principe suivant : pour devenir applicable, les décrets-lois devaient faire l’objet d’une adoption par le Parlement. Cette pratique des décrets-lois perdura sous la IV République avec une incroyable inflation du nombre de ces décrets-lois. Cela posait problème car le Parlement fasse à l’inflation de ces décrets-lois se retrouva dans une situation inconfortable puisqu’il fut réduit à approuver quasiment systématiquement les décrets-lois présentés sans avoir le temps de réellement étudier le contenu de ces textes. A partir de ce moment, le Parlement devint un organe de ratification et l’Exécutif le véritable détenteur du pouvoir d’édicter les incriminations ce qui était une violation déguisée du principe de séparation des pouvoirs.

B – La délégalisation de la norme pénale sous la Constitution de 1958

Le Parlement peut donner, temporairement, par une loi d’habilitation, pouvoir à l’Exécutif de prendre des actes qui relève normalement du domaine de la loi. C’est le cas des décisions présidentielles prises en vertu de l’article 16 de la Constitution, des ordonnances prises par le Gouvernement pendant la période transitoire (58-59) ou le cas des ordonnances prévues par l’article 38 de la Constitution. Tant que ces textes ne sont pas ratifiés par le Parlement, ils peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives ou d’une exception d’illégalité devant le juge judiciaire. Mais une fois que ces textes sont ratifiés, ils ont force de lois et ne peuvent faire l’objet d’une contestation par voie d’action. Outre ces interventions ponctuelles, on peut aussi parler d’interventions plus graves puisque permanentes, c’est le cas par exemple des règlements autonomes qui ont permis la délégalisation des contraventions, c’est à dire le transfert de cette catégorie d’infractions de la sphère du Parlement vers celle du Gouvernement. En effet la combinaison des articles 37 et 38 de la Constitution ont permis au premier Gouvernement de déduire qu’il avait compétence pour édicter les contraventions et prévoir les peines applicables au moyen de règlements autonomes. Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel ont approuvé ce raisonnement et on a modifié l’article 111-2 du Code pénal en rajoutant que «  le règlement détermine les contraventions et fixe les limites et selon les distinctions établies par le loi les peines applicables au contrevenant ». Le juge ne peut alors qu’avoir un rôle de contrôle réduit, puisqu’il ne peut qu’apprécier la régularité formelle et la répartition des compétences ente le Parlement et le Gouvernement. Enfin il faut noter que si l’Exécutif ne peut édicter des peines criminelles ou correctionnelles, le Parlement peut en revanche édicter des peines contraventionnelles en vertu de l’adage «  qui peut le plus, peu le moins ».

II – La constitutionnalisation de la norme pénale

Si au départ le Conseil constitutionnel demeura timide dans le contrôle de constitutionnalité des lois, à partir de 1971, il s’imposa par d’une décision majeure : «  liberté d’association ». Il entreprit alors d’élargir le bloc de constitutionnalité (A). La portée de la jurisprudence constitutionnelle eut alors une répercussion considérable sur le droit pénal (B).

A – Le bloc de constitutionnalité

Dès 1971, le Conseil constitutionnel élargit le champ d’application de la Constitution en considérant que le préambule de celle-ci avait une valeur juridique. La question fut alors de savoir si les textes auxquels faisait référence le préambule de la Constitution de 1958 avaient eux aussi valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel répondit par l’affirmative, ce qui eut pour conséquence d’élargir considérablement le nombre de textes à valeur constitutionnelle. Ainsi le préambule de la Constitution de 1946 fut reconnu comme ayant une valeur constitutionnelle, mais ce faut par la même le cas de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que des PFRLR. Le Conseil constitutionnel venait de créer le bloc de constitutionnalité, ensemble de textes à valeur constitutionnelle qui forme la Constitution de la V République. Il faut donc entendre par le mot Constitution, non pas le texte de 1958, mais le texte et le préambule de 1958, le préambule de la Constitution de 1946, la DDHC de 1789, les PFRLR. Le bloc de constitutionnalité a eu un double effet sur la législation répressive. En premier lieu, les principes énoncés dans les dispositions constitutionnelles incitent les pouvoirs législatifs et Exécutifs à adopter des dispositions répressives conformément aux dispositions constitutionnelles. Tel est le cas par exemple de l’incrimination de l’article 225-1 du Code pénal relatif aux discriminations dans les offres de biens ou de service et qui découle directement de l’article 2 de la Constitution. Ce premier effet est positif, mais le second effet est plus négatif.
En effet, pas une loi pénale ne fait pas l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, celui-ci a donc été amené à consacrer les grands principes du droit pénal dans sa jurisprudence.

B – L’apport de la constitutionnalisation de la norme pénale

Au plan matériel, le Conseil constitutionnel a affirmé le principe de la légalité des peines et des délits, le principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, le principe de la personnalité des peines, le principe d’égalité de tous devant la loi, le principe de la proportionnalité des peines, etc… Au plan formel, il a consacré le principe du respect des droits de la défense, principe de la liberté individuelle, etc… C’est donc par référence à ses règles fondamentales que le Conseil constitutionnel refuse la promulgation de telle ou telle disposition législative. C’est en ce sens et en ce sens seulement que l’on parle de constitutionnalisation de la norme pénale. Nul part on trouvera dans le bloc de constitutionnalité des normes pénales relatives aux infractions, procédures, sanctions.

III – L’internationalisation de la norme pénale

Le principe de légalité a reçu une consécration dans des textes supra nationaux notamment à l’article 7-1 de la CEDH. La Constitution de 1958 dispose en son article 55 que les traités ratifiés ont une valeur supérieur à la loi interne. Il faut pourtant distinguer deux types de traités : ceux qui comportent des règles communes (A) et ceux qui transfèrent des compétences (B)

A – Les conventions comportant des règles communes

C’est ici le cas des dispositions qui ont une autorité supérieur à la loi française et que le juridictions doivent appliquer à la règle interne, voir d’écarter la loi interne si celle-ci leur est contraire. C’est le cas des conventions internationales et du pacte de l’ONU. Pour la première, il s’agit d’une collaboration inter-étatique tendant à favoriser une lutte commune contre la criminalité. En fait, ces conventions internationales se contentent de poser une cadre dans lequel les législations internes vont s’épanouir. Concernant le second, le pacte de l’ONU, ce n’est qu’en 1980 que la France a adhéré à celui-ci. Le pacte de l’ONU traduit en terme juridique le contenu de la Déclaration universel des droits de l’homme (DUDH). Ce traité est d’application immédiate et les juges peuvent le prendre en compte, tandis que les parties peuvent y faire référence. Le pacte est une source du droit pénal français même si il subit une concurrence rude de la CEDH.

B – Les conventions transférant des compétences

Il y a des conventions internationales signées par la France qui créent des obligation contractuelles à sa charge mais qui transfère aussi des compétences à des autorités ou des instances spécialement crées. Tel est le cas de la CEDH qui est exclusive sur le principe de réciprocité. Elle est d’application directe car elle reconnaît des droits aux individus. Afin de garantir les droits et le respect des libertés qu’elle accorde, la CEDH a institué un organe : la Cour européenne des droits de l’homme. La jurisprudence de la CEDH a une grande influence sur le droit pénal positif. Bien qu’au début, les pénalistes, les juristes dans leur ensemble n’ont accordé que peu d’importance à la portée des décisions de la CEDH, force est de constater qu’aujourd’hui, ils surveillent minutieusement le moindre signe, la moindre saute d’humeur de la CEDH tant la portée des décisions est lourde de conséquence pour les Etats. La France a été condamné plusieurs fois par la CEDH et elle a été dans l’obligation de modifier sa législation afin de ne pas être condamnée de nouveau. Les textes communautaires comme la CEDH, le Traité de l’Union sont devenus une source de droit. L’influence des règlements, et autres directives obligent les Etats membres a modifier leur législation.

Ainsi on peut voir le chemin parcouru depuis le XVIII siècle par le principe de la légalité. Faut-il déploré ou se réjouir d’une telle évolution ? Faut regretter le temps où la loi était le seul critère formel de la norme pénale ? Faut-il voir dans cette évolution du principe de légalité une décadence de notre droit pénal ? On pourrait le penser. Il suffit d’ouvrir le Code pénal de 1810 pour voir des textes d’une qualité dont nos textes actuels auraient grandement besoin. Il n’est pas besoin d’être juriste pour mesurer combien nos textes pénaux ont perdu en qualité et donc en efficacité. On peut également regretter une inflation pénale qui n’est que la résultante de la diversification des sources de la norme pénale. Ce phénomène d’inflation ne pouvant que vider de son sens l’adage selon lequel : « nul n’est censé ignoré la loi ».

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