Introduction générale au cours de droit administratif (L2)

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Il est important d’utiliser des manuels récents, parce que le droit administratif évolue vite.

Recommandation de manuel : Droit administratif – Didier Truchet (ISBN 9782130830559).
Il faut aussi se référer aux Grands arrêts de la jurisprudence administrative (GAJA, Dalloz).
Il peut aussi être utile d’utiliser des dictionnaires de droit administratif.
Le site internet du Conseil d’État est aussi très bien fait, avec une bonne rubrique Actualités.

4 décisions récentes

  • Conseil d’État, 4 juin 2022, “Conseil national des barreaux”

    En 2021, un décret gouvernemental crée une plateforme en ligne pour demander des titres de séjour. Ce décret précise que cette démarche en ligne est désormais la seule voie utilisable pour faire cette demande.

    Le Conseil national des barreaux fait un recours devant le Conseil d’État pour contester la légalité du décret. Il soutient que :
    1- ça n’est pas au gouvernement de le faire ;
    2- la mise en place de ce téléservice exclusif est problématique, car certains étrangers peuvent se trouver dans une situation complexe qui ne leur permet pas de répondre aux conditions fixées par le décret en ligne et que certains d’entre eux ne savent pas utiliser ce genre d’outils.

    Le Conseil d’État, saisi directement car il s’agissait d’un décret du Premier ministre, se prononce sur la légalité de ce décret.
    Il balaie le 1er argument, mais admet le 2nd.

    Il annule pour illégalité ce décret au motif d’une rupture d’égalité dans l’accès au service public. Il affirme qu’il faut prévoir, pour les situations complexes, une alternative “en présentiel”.

    Ainsi, le Conseil d’État peut être amené à se prononcer sur la légalité d’actes administratifs, et il a le pouvoir d’annuler un acte s’il est illégal.
    L’acte disparaît alors ; il n’existe plus en droit.

  • Conseil d’État, 7 juin 2022, “La France insoumise”

    Lors des élections législatives de 2022, le ministre de l’Intérieur détermine les nuances politiques utilisées, dans lesquelles ne figurent pas l’union politique NUPES, malgré la présence d’Ensemble !.

    Le Conseil d’État détermine cette mesure illégale, dans la mesure où un certain nombre de candidats n’étaient pas représentés correctement au regard de leur nouvelle appartenance politique.

    Dans cette décision, rendue en urgence, le Conseil d’État annule l’arrêté du ministre de l’Intérieur et l’enjoit à revoir ses nuances pour présenter un tableau de nuances politiques dans lequel figure la NUPES.

    Ainsi, le Conseil d’État a une gomme, mais aussi un crayon. Il peut obliger une personne à revoir sa copie : on dit qu’il “enjoint”, qu’il procède à des injonctions.

  • Conseil d’État, 27 juillet 2022, « Ras le Scoot »

    Dans son décret du 9 août 2021, le Premier ministre étale dans le temps le caractère obligatoire du contrôle technique visant les 2 roues motorisés.
    Ce contrôle technique visait à lutter contre la pollution atmosphérique et les nuisances sonores.

    Une association saisit le Conseil d’État en faisant valoir que l’étalement dans le temps du caractère obligatoire du contrôle technique lui fait perdre de son intérêt.
    Elle fait valoir 2 directives européennes relatives à la lutte contre la pollution et à la santé publique, qui imposent l’adoption d’une réglementation pour lutter contre la pollution atmosphérique et sonore engendrée par les 2RM.

    Le Conseil d’État a estimé que, si le PM pouvait étaler dans le temps le caractère obligatoire de ces contrôles techniques, il doit le faire de manière raisonnable, et qu’en l’espèce le calendrier choisi était trop souple pour atteindre les objectifs de santé publique.

    Ainsi, le droit administratif ne se limite pas aux normes françaises. Il est aujourd’hui largement international et européen.
    On peut donc invoquer devant le juge administratif des normes internationales et européennes pour obtenir l’annulation d’actes illégaux.

  • Conseil d’État, 30 août 2022, “M. Iquioussen”

    M. Iquioussen, imam, voit son titre de séjour retiré. Il est expulsé du territoire vers le Maroc.
    Il conteste son arrêté d’expulsion devant le tribunal administratif de Paris, qui lui donne raison en estimant que les motifs mis en avant par le ministère de l’Intérieur (apologie du terrorisme, priorisation des lois islamiques) n’étaient pas de nature à justifier l’expulsion.
    → le tribunal administratif de Paris suspend la mesure d’expulsion

    Le ministère de l’Intérieur fait appel. Le Conseil d’État statue en appel puisqu’il y a urgence.
    Il détermine que cet arrêté d’expulsion était légal, en retenant les discours de M. Iquioussen affirmant l’infériorité de la femme, remettant en cause la réalité de certains attentats terroristes et considérés comme antisémites.

    Le tribunal administratif de Paris avait fait valoir qu’une expulsion porterait atteinte au droit à la vie privée et familiale du demandeur. Le Conseil d’État n’est pas sensible à cet argument, faisant remarquer que tous les enfants sont majeurs et ne dépendaient donc plus de lui.

💡
On parle de “jugement” pour les tribunaux administratifs, d’”arrêt” pour les cours administratives d’appel et de “décision” ou d’”arrêt” pour le Conseil d’État.

Ce qui caractérise notre système juridique

  1. La pluralité des cours suprêmes

    Une cour suprême est une juridiction qui rend des décisions à caractère définitif (= qui ne peuvent être frappées d’aucun recours).

    1- La Cour de cassation, au sommet de l’ordre judiciaire.
    2- Le Conseil d’État, au sommet de l’ordre administratif.
    3- Le Tribunal des conflits.
    4- Le Conseil constitutionnel.

    Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction ? Il ne peut pas être saisi par les citoyens, mais il applique des règles de droit et en sanctionne le non-respect.
  1. La multiplicité des dualismes

    Dualisme juridictionnel :
    Il y a en France 2 ordres étanches, avec des recours distincs : l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.
    Il y a néanmoins beaucoup de pays dans le monde qui ont des systèmes juridictionnels avec des dualismes.

    Dualisme juridique :
    En France, le droit privé régit les rapports entre particuliers et est appliqué par l’ordre juridictionnel judiciaire, tandis que le droit public régit les relations entre particuliers et personnes publiques et est appliqué par l’ordre juridictionnel administratif.

    Dualisme fonctionnel du Conseil d’État :
    Le Conseil d’État a 2 fonctions distinctes : il exerce 2 missions à caractère juridique au nom de l’État :
    1- Il conseille le gouvernement et donne son avis juridique sur des projets de loi ;
    2- Il tranche les litiges qui lui sont soumis.

§ 1. La définition du droit administratif

A – Le droit

Le droit est un ensemble de règles dont le non-respect est susceptible de faire l’objet d’une sanction. Cette sanction peut être le fait d’un juge ou de l’administration elle-même (ex : les impôts).

Ces règles de droit peuvent être de 2 types :

  1. Textuelles : elles émanent de normes qui s’incarnent dans des textes (constitution, lois, arrêtés…) ;
  1. Jurisprudentielles : elles émanent de décisions de principe rendues par les cours suprêmes.

Ces règles peuvent émaner de personnes publiques (État, collectivités territoriales, …), mais aussi de personnes privées (ex : règlements intérieurs).

Les règles de droit régissent nos relations en société.
Elles régissent des domaines d’activités spécifiques (droit pénal, administratif, …).

B – L’administration

Le droit administratif est formé de l’ensemble des règles applicables à l’administration.
Il y a 2 conceptions pour définir l’administration :

  1. Conception fonctionnelle : l’administration est l’ensemble des missions prises en charge de l’État pour répondre à nos besoins les plus essentiels.
    On parle des missions d’intérêt général, qui sont essentielles pour la cohésion sociale.

    Suivant la définition fonctionnelle, le droit administratif est l’ensemble des règles applicables aux missions d’intérêt général.

    Cette définition suppose un large champ d’application du droit administratif : peu importe qui prend en charge ces fonctions (État, personne privée…), la seule chose qui compte étant que la mission soit d’intérêt général.

  1. Conception organique : l’administration est l’ensemble des services, des institutions et des organes qui relèvent des personnes publiques.
    Si un organisme relève d’une personne publique, alors il s’agit d’un service administratif.

    Suivant la définition organique, le droit administratif est l’ensemble des règles applicables aux services administratifs relevant des personnes publiques (État, collectivités territoriales, établissements publics…).

    Le droit administratif est alors inapplicable aux personnes privées.

§ 2. La naissance du droit administratif

Pour certains auteurs, le droit administratif a toujours existé, dans la mesure où il y a toujours eu des règles qui régissent l’exercice du pouvoir.
Pour d’autres, il n’y a pas de droit administratif tant que l’expression et l’administration moderne n’existent pas. Ils considèrent que le processus qui a conduit à la naissance du droit administratif trouve son origine dans la Révolution française.

En effet, la naissance du droit administratif est le résultat d’un processus en 3 temps :

  1. La loi des 16 et 24 août 1790 marque le début du processus.

    À la fin du 18ème siècle, il y a des tensions extrêmement importantes entre le pouvoir royal et les parlements provinciaux (juridictions de l’époque). Ces derniers refusent de contribuer aux finances royales et rendent des décisions juridictionnelles qui s’opposent au pouvoir royal.

    Lorsque la Révolution se produit, les révolutionnaires tentent de briser les velléités de ces tribunaux. L’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 dispose que :

    Les fonctions judiciaires sont distinctes des fonctions administratives.
    Les juges ne pourront troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs.

    Cette loi pose donc 2 principes :

    1. Un principe de séparation : on sépare la fonction de juger de la fonction d’administrer au sein de l’État.
    1. Un principe d’interdiction : les juges en charge de la fonction de juger ne peuvent pas s’occuper des affaires administratives.

    Il est impossible de saisir une juridiction pour contester une question d’ordre administrative.
    L’administration de cette époque est donc déliée de toute forme de contrôle juridictionnel.

    Ce principe d’interdiction sera réitéré en 1795 dans le décret du 16 fructidor an 3 :

    Défense est faite aux tribunaux de connaître des actes d’administration.

    Un problème se pose alors : s’il n’y a pas de contrôle juridictionnel de l’administration, comment contester un acte de l’administration ? que faire si l’on a un litige avec l’administration ?

    → Il faut s’adresser à l’administration elle-même (avec un taux de réussite assez faible).
    → Théorie du ministre-juge.

    Il n’y a donc pas de droit administratif à cette époque.

  1. La loi du 24 mai 1872 confie au Conseil d’État (qui existe depuis 1799) une nouvelle mission : trancher les litiges administratifs.

    On estime nécessaire que l’administration ait un juge, et on crée donc le juge administratif avec un dualisme fonctionnel.

    Puisque ce dualisme juridictionnel peut engendrer des problèmes de compétence, on crée aussi le Tribunal des conflits.

    Le Conseil d’État est compétent pour trancher un litige dès lors qu’un texte législatif l’affirme explicitement.
    Il est donc dépendant de la compétence que lui attribuent les textes législatifs.
    Il s’émancipe néanmoins rapidement de cette dépendance :

    Dans sa décision Cadot de 1889, le Conseil d’État pose un principe général : il est désormais compétent pour connaître de tout recours contre une décision administrative, sans qu’un texte ne soit nécessaire pour fonder cette compétence.

    Le Conseil d’État revendique ainsi une compétence pleine et entière pour statuer sur tous les litiges administratifs quel que soit le domaine de l’action administrative concernée, qu’un texte lui ait attribué ou non la compétence.
    → Il devient la juridiction de droit commun de l’administration.

  1. La décision Blanco de 1873 marque la naissance du droit administratif.

    Les parents d’une fillette heurtée par un wagonnet près d’une manufacture de tabac forment un recours devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, mais le préfet de Gironde considère que seul le Conseil d’État est compétent parce que cette manufacture relève de l’État.
    Il élève le conflit auprès du Tribunal des conflits.

    Le Tribunal des conflits rend une décision de principe : il considère que les dommages qui sont causés aux particuliers par l’État dans le cadre de l’exercice de ses missions de service public “ne peuvent être régis par les règles du Code civil”, parce que les règles du Code civil régissent uniquement les rapports entre particuliers.
    Ici, il s’agit de rapports entre un particulier et une mission de service public.

    Il ajoute que la responsabilité administrative a “ses règles spéciales qui varient selon les besoins du service”.

    Le Code civil est inapplicable au litige + des règles spéciales s’appliquent au litige ⇒ les litiges d’ordre administratif sont donc soumis à des règles dérogatoires au droit privé.

    → Il est désormais possible d’engager la responsabilité de l’État lorsque celui-ci a causé un dommage.
    Idée : l’État peut mal faire ; on peut obtenir des dommages et intérêts pour ses fautes.

Le droit administratif trouve donc ses origines dans la jurisprudence et non dans un texte.

Quelle est la conception retenue du droit administratif ?
Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement (actuel rapporteur public) affirme que les règles spéciales qu’il convient d’appliquer aux litiges administratifs ont vocation à s’appliquer “dès lors qu’une activité de service public est en cours”.

Pour lui, le droit administratif naissant est plutôt fonctionnel → il s’applique à des activités.
Si on opte pour cette conception fonctionnelle, on peut donc définir le droit administratif comme l’ensemble des règles spéciales applicables aux activités de service public, que ces activités soient prises en charge par des personnes publiques ou par des personnes privées.

Le service public est ainsi la pierre angulaire du service public, parce qu’il détermine :
1- la compétence du juge administratif ;
2- l’application des règles de droit administratif.

§ 3. Les fondements idéologiques du droit administratif

Tout droit repose sur des fondements idéologiques : l’objectivité pure n’existe pas.
Le droit administratif repose sur 2 fondements idéologiques :

A – Le service public

Idée : une société ne peut pas exister et fonctionner sans cohésion sociale.
L’État prend en charge des missions considérées comme d’intérêt général – considérées comme nécessaires à la cohésion sociale à un moment donné dans une société donnée.
On appelle ces missions des services publics.

Il y a des services publics qui sont immuables (l’éducation, la défense, la diplomatie) et d’autres qui sont évolutifs (la production de tabac, la protection de l’environnement…).
Le service public en tant que fondement idéologique n’est pas neutre politiquement, puisqu’il reflète aussi les valeurs dominantes du moment.

Si l’on fait évoluer la sphère des services publics, on rétrécit ou on augmente le champ applicable au droit administratif.

B – La puissance publique

L’action des personnes publiques ne se réduit pas à la prestation de services publics : c’est aussi une action qui peut/doit être autoritaire.

La puissance publique désigne toutes les prérogatives dont disposent les personnes publiques que n’ont pas les personnes privées pour permettre à l’administration de réaliser ses prestations de service public.
Exemple : lever des impôts, édicter la monnaie, exercer la contrainte, faire usage d’une arme, …

Les personnes publiques peuvent édicter ce qu’on appelle des actes administratifs unilatéraux : actes élaborés sans notre consentement, qui nous sont applicables de manière obligatoire.

§ 4. Les caractéristiques du droit administratif

Le droit administratif est un droit autonome, jurisprudentiel et d’équilibre.

A – Un droit autonome

Le droit administratif est dans une situation d’autonomie par rapport aux autres branches du droit, parce qu’il n’entretient aucune relation avec ces autres branches (il n’en dépend pas, il ne les complète pas).

Cette autonomie est la plus remarquable vis-à-vis du droit privé.
Elle vient de la décision Blanco, qui fait référence aux “règles spéciales”.
Ces règles sont spéciales dans la mesure où elles sont dérogatoires au droit commun → ne sont pas les règles du droit privé.

On constate aussi une autonomie au sein même du droit : le droit administratif est une branche du droit public, mais chacune de ces branches ont leurs propres règles et sont autonomes les unes des autres.
On constate néanmoins dans les dernières années une influence accrue exercée par les unes à l’égard des autres ; le droit européen a pris une telle importance qu’elle influence le droit administratif (internationalisation).

Le droit administratif a aussi des bases constitutionnelles.
La création de la QPC en 2008 a rapproché le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, puisque le Conseil d’État est chargé de transmettre ou non les QPC dont il est saisi.
Le Conseil constitutionnel est ainsi devenu un acteur du procès du juge administratif.

B – Un droit jurisprudentiel

On parle parfois de droit prétorien.

Le droit administratif est un droit qui est pour l’essentiel composé par la jurisprudence (décisions de principe du Conseil d’État / du Tribunal des conflits), à l’inverse de la plupart des branches du droit qui sont fondées sur des règles de droit écrit.

Pourquoi ?
Parce que le droit administratif est né d’une décision du Tribunal des conflits et non de la volonté du législateur, au termine d’un processus long et en plusieurs étapes.

Les choses ont néanmoins évolué : les textes ont pris davantage de place en droit administratif, alors qu’ils étaient auparavant majoritairement inexistants, en raison d’une multiplication des textes susceptibles d’intéresser l’administration et les services publics : traités internationaux, directives européennes, Constitution, certaines lois…

L’ordonnance du 23 octobre 2015 crée le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui régit les “règles applicables aux relations que peuvent avoir le public [les personnes morales et physiques] avec l’administration”.

C – Un droit d’équilibre

Le droit administratif est un droit d’équilibre, parce qu’il tente de trouver le bon équilibre entre la nécessité pour l’administration d’avoir des pouvoirs étendus et la nécessité d’offrir des garanties aux personnes quand elles sont en relation avec l’administration.

Au début du 20ème siècle, le droit administratif incarne un droit qui protège les prérogatives exorbitantes de l’administration, plus que les droits des citoyens.
Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de droits.

Le juge administratif, sur le fondement des règles de droit administratif, a dû trouver un équilibre entre les nécessités d’ordre public / de santé / de police / … et l’exercice de nos libertés fondamentales (individuelles ou collectives), qui ont souvent un rang constitutionnel.

Ce cours a pour objectif de répondre à 3 questions découlant de ces 3 caractéristiques :

  1. le droit administratif est-il toujours autonome ?
  1. le droit administratif est-il toujours jurisprudentiel ?
  1. quel est l’équilibre contemporain trouvé par le droit administratif ?

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