Cours 6 : L’européanisation du droit pénal

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On parle souvent d’une double érosion du principe de légalité :
> “par le bas”, avec l’adjonction d’une compétence pénale au pouvoir exécutif ;
> “par le haut”, avec la multiplication des normes internationales et européennes.

L’internationalisation du droit pénal n’en est qu’à ses balbutiements, mais son européanisation est bien plus avancée.

L’article 55 de la Constitution dispose que les traités ont une valeur supérieure aux lois.
Le droit pénal fixe des bornes à la liberté individuelle qui doivent exprimer la volonté générale et être fixées par la loi. Qu’en est-il des restrictions à la liberté individuelle posées par des textes supra-législatifs ?

§ 1. La production normative du Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe est une institution internationale siégeant à Strasbourg.
Elle est responsable de nombreuses conventions, notamment en matière pénale, dont la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dont la CEDH fait une interprétation très large.

La production normative du Conseil de l’Europe exerce une influence considérable sur le droit pénal français. Effet paradoxal : en participant à la complexification du droit contemporain, elle renforce et fragilise le droit pénal au niveau national, qui n’est plus l’expression de la volonté d’un peuple souverain.

A – Les conventions thématiques du Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe est un haut lieu de l’activité diplomatique et de création de conventions, notamment en matière pénale : blanchiment d’argent, lutte contre le terrorisme…
Un certain nombre de conventions du Conseil de l’Europe ont été adoptées par la France et sont donc entrées dans l’ordre juridique français.

Au regard du principe de légalité, ces conventions posent un problème d’ordre politique, puisqu’elles orientent les choix du Parlement français qui doit s’assurer que le droit interne se concilie avec elle et, si besoin, le modifie.
Dans ces conditions, la loi pénale n’exprime plus nécessairement la volonté générale – elle prend en compte d’autres impératifs.

Même lorsque la source du droit pénal reste principalement législative, elle subit donc une forte influence extérieure qui menace sa légitimité démocratique.

B – L’application de la Convention européenne des droits de l’homme

Très souvent, la jurisprudence de la CEDH est à l’origine de réformes en droit pénal français.
Ces réformes sont la conséquence d’une politique criminelle initiée à Strasbourg durant laquelle notre Parlement doit s’incliner, alors même qu’elle n’est pas davantage que les conventions précédentes le résultat d’un processus démocratique.

Certes, la légitimité des réformes engagées après un constate de violation par la CEDH semble difficilement contestable.
Néanmoins, il faut déplorer que la modification de la loi pénale ne soit plus le résultat d’un véritable choix du Parlement français : la discussion politique s’en trouve limitée.

Or, la juridiction de Strasbourg fait une interprétation très large des termes de la Convention EDH.
Elle est la première à s’en féliciter : elle s’est toujours prévalue d’une interprétation dynamique des termes de la Convention, pour que ses garanties soient “concrètes et effectives”.

Pour y parvenir, un double procédé est mis en oeuvre :

1) L’interprétation constructive de la Convention

La juridiction de Strasbourg se fait l’interprète officiel de la Convention.
Les solutions qu’elle dégage sont applicables non seulement dans le litige dont la Cour est saisie, mais aussi dans toute autre affaire comparable.
Ses décisions n’ont pas seulement une autorité relative ; elles ont aussi une portée générale, puisque les principes qu’elle dégage ont aussi vocation à s’appliquer à l’avenir.

Cette jurisprudence source de droits malmène les principes qui sont à la base du droit pénal.
Pour garantir les droits énoncés dans la Convention, la Cour n’hésite pas à remettre en cause la légitimité de certaines incriminations.

Exemple 1 : au nom du respect de la vie privée, la CEDH a encouragé la dépénalisation de l’homosexualité, en passant outre les subsistances qui résistaient au niveau local, pour forcer les États à évoluer (Grande-Bretagne, Irlande…).
La CEDH estimait que l’application des incriminations de l’homosexualité violait l’article 8 de la Convention EDH.

La CEDH s’est donc fait juge de l’opportunité d’une incrimination.

Exemple 2 : la Turquie poursuivait et sanctionnait lourdement les kurdes qui faisaient l’apologie du PKK.
La CEDH a estimé à plusieurs reprises que la sanction pénale d’acte de prosélytisme accomplie sans violence ni pression d’aucune sorte viole l’article 10 de la Convention EDH.

Conséquence : le droit de punir n’appartient plus aux États. La loi des États n’est plus souveraine → elle n’exprime plus la volonté générale, parce qu’elle peut être contredite par une juridiction.

2) Les obligations positives de protection

Les obligations positives de protection sont une pure invention de la CEDH afin d’appliquer la Convention EDH non seulement dans une dimension verticale (rapports entre États et particuliers), mais aussi dans une vision horizontale (rapports entre les particuliers).

L’État sur le territoire duquel un droit conventionnellement garanti risque d’être violé ne peut se dispenser d’intervenir sous prétexte qu’il n’est pas à l’origine de cette violation.
La CEDH interprète plus largement la Convention, puisqu’elle estime qu’elle doit s’appliquer aussi dans les relations des particuliers entre eux.
→ Le droit pénal n’est plus envisagé comme une menace pour le respect des droits fondamentaux, mais devient un instrument au service de ces droits.

Les États peuvent être amenés à incriminer et sanctionner des comportements qui porteraient atteinte à ces droits.

Exemple : l’article 2 de la Convention consacre le droit à la vie.
La CEDH a estimé qu’il astreint les États non seulement à s’abstenir de prononcer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes.

Idée : les États parties doivent incriminer toutes les atteintes volontaires à la vie.
→ La CEDH impose le recours au droit pénal pour protéger les droits fondamentaux.

Exemple : l’article 4 de la Convention prohibe l’esclavage et le travail forcé.
La France a été condamnée pour manquement à son obligation de protection, sous prétexte qu’il n’existait pas en droit pénal français d’incrimination de l’esclavage.
Dans une affaire d’esclavage moderne, la CEDH a estimé que le droit pénal n’était pas suffisant pour lutter contre l’esclavage et le travail forcé.

Problème : d’où la CEDH tient-elle sa légitimité pour restreindre la liberté individuelle ?
Ici, le Parlement a été contraint.

Certes, le Parlement a ratifié la Convention EDH, mais cet accord ne pouvait pas valoir accord donné à toutes les extensions de la Convention que la CEDH a décidé de consacrer.
Conséquence : le Parlement français est contrait de transposer des principes de droit dégages par la CEDH dans l’exercice de son seul imperium, alors que les magistrats de la CEDH n’ont aucune légitimité démocratique.

§ 2. La production normative de l’Union européenne

L’influence de l’UE sur le droit pénal se manifeste de 2 façons :
> une influence insidieuse du droit de l’UE sur le droit pénal français, lorsque sont modifiées les conditions préalables de certaines infractions ;
> une influence directe, à raison de la compétence répressive désormais reconnue à l’Union.

A – La production indirecte de l’UE en matière pénale

La condition préalable de nombreuses infractions est définie de plus en plus souvent sous l’influence du droit de l’UE.

Par exemple, la directive du 30 novembre 2009 subordonne la mise sur la marché d’appareils à gaz à des exigences techniques, introduites en droit français.
Le non respect de ces exigences peut constituer un délit de tromperie.
Ici, les éléments constitutifs du délit de tromperie dépendent presque exclusivement des définitions des exigences de sécurité posées par le droit de l’UE ; or ce droit de l’UE n’est pas issu d’un processus véritablement démocratique.

Les directives sont préparées par la Commission ; elles sont votées par le Parlement européen, mais qui ne joue qu’un rôle accessoire. Les directives européennes expriment la volonté des exécutifs des États membres de l’UE, et non du parlement des États membres.

Une sanction pénale est donc appliquée sans qu’une volonté générale ait pu réellement s’exprimer.

B – La production directe de l’UE en matière pénale

À l’origine, les communautés européennes ne disposaient pas de compétences en matière pénale, parce que le droit de punir était la prérogative régalienne par excellence.

1) L’émergence d’un droit pénal européen

a) L’origine du droit pénal européen

Lors de la signature du TUE à Maastricht en 1992, il apparaît qu’un rapprochement plus poussé du droit des États membres était nécessaire pour permettre le développement d’une véritable citoyenneté européenne.
Idée : l’Europe ne pouvait pas se réduire à un simple marché commun ; il fallait dépasser cette vision purement économique pour lui donner une vision politique.
Objectif : garantir la sécurité des européens dans tous les États membres.

Les États membres n’étaient pas encore prêts à renoncer à leurs prérogatives pénales, donc l’UE a imaginé d’articuler les différents droits nationaux sur la base de principes communs → mise en place d’une coopération dans le domaine de la justice.

Le traité d’Amsterdam (1997) crée l’espace de sécurité, de liberté et de justice, qui constitue le 3ème pilier de l’UE.
(1er : les communautés européennes ; 2ème : la PESC)
Dans ce 3e pilier, les institutions font favoriser la recherche du consensus entre les États, en favorisant l’adoption de conventions et en intervenant avec des décisions-cadre (moins coercitif qu’une directive).

Ces décisions-cadre fixent aux États des objectifs à atteindre, mais ils restent libres des moyens utilisés pour y parvenir.
Elles sont beaucoup moins efficaces que les directives, parce qu’elles doivent être adoptées à l’unanimité par le Conseil et qu’elles ne peuvent pas être sanctionnées par une action en manquement.

À la fin des années 2000, le bilan du 3e pilier de l’UE est assez mitigé ; des critiques se font entendre quant à l’impuissance de l’UE à garantir la sécurité sur l’ensemble de son territoire.


b) La mise en oeuvre du droit pénal européen

Le traité de Lisbonne (2007, entré en vigueur en 2009) a rompu avec l’organisation complexe de l’UE en 3 piliers.
Idée : si l’on veut pouvoir exécuter une décision rendue par une juridiction pénale allemande en France, une confiance mutuelle doit être attribuée dans les différents systèmes juridiques des États membres → leurs systèmes juridiques doivent être similaires.

Pour atteindre cet objectif, on abandonne le recours aux décisions-cadre, au profit du recours au directives (→ un recours en manquement permet de sanctionner les États qui n’atteignent pas les objectifs fixés).
En vertu de l’article 82 du TFUE, le Parlement et le Conseil de l’UE statuant par voie de directive peuvent imposer des règles minimales sur les principaux aspects de la procédure pénale.
Plusieurs directives ont été adoptées afin de renforcer les droits des suspects lors de l’enquête, les droits des victimes lors du procès pénal…

Article 83 §1 du TFUE : le Parlement et le Conseil de l’UE peuvent aussi, par directive, établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement graves et revêtant une dimension transfrontalière.
Objectif : autoriser les institutions européennes à prendre l’initiative de textes lorsqu’il apparaît nécessaire de lutter contre certaines formes de délinquance ou de criminalité à l’échelle de plusieurs États.

L’UE, si elle retrouve de sa vivacité dans les prochaines années, pourra aussi agir sur le fondement de l’article 83 §2 du TFUE, qui dispose que l’UE peut intervenir en matière pénale pour garantir le respect de n’importe quelle norme qu’elle aura préalablement adoptée.
→ Portée considérable du droit pénal européen.

Il semblerait que ce type de compétence que le traité de Lisbonne a donné aux institutions européennes est tellement inquiétant que les institutions européennes ne l’ont pas utilisée, par peur de la réaction des États membres si elles venaient à imposer des sanctions pénales.

Un droit pénal européen considérable pourrait donc se développer.

2) L’influence du droit de l’UE sur la légalité pénale

À nouveau, il ne s’agit pas de contester la légitimité des objectifs poursuivis, mais il faut dénoncer l’effet pervers de cette construction européenne.
Lorsqu’un parlement national transpose une directive, sa marge de manœuvre est limitée, alors que la directive n’est pas issue d’un processus entièrement démocratique.
Désormais, le droit de l’UE nous impose d’incriminer certains comportements → transforme le parlement national en une simple chambre d’enregistrement.

Problème : la loi pénale aujourd’hui n’exprime plus le besoin de punition émanant de la société, mais la volonté des institutions européennes de rapprochement des législations pénales.

Le projet de directive est envoyé aux parlements nationaux des États membres pour qu’ils formulent des observations, puis est débattu devant le Parlement européen.
Ce processus n’est pas entièrement légitime, parce que le Parlement européen ne peut que s’opposer à l’adoption d’une directive qui lui déplaît, sans pouvoir prendre l’initiative d’une directive ni en modifier le contenu.
→ Il n’a qu’un pouvoir de veto, donc son contrôle ne peut pas être considéré comme un pouvoir démocratique ; les directives restent l’expression des volontés des exécutifs des États membres.

Conséquences :
→ Application de textes d’incrimination qui n’expriment pas réellement la volonté des peuples européens.
→ La liberté individuelle finit par être menacée par l’adoption de textes pas pleinement approuvés par les parlements nationaux.

La légitimité même du droit pénal se trouve ainsi menacée.

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