Chapitre 7 : Les actes administratifs unilatéraux

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Le pouvoir d’édicter des actes administratifs unilatéraux (AAU) est une règle générale du droit public.
CE, 1982, Huglo :
Décision très importante structurellement pour le droit administratif, parce qu’elle affirme que les autorités administratives ont le pouvoir d’édicter des AAU même sans texte → même lorsqu’aucun texte ne leur donne un tel pouvoir.

Ici, ça n’est pas du tout un acte protecteur ; il permet aux autorités administratives d’aller vite et d’imposer leur volonté aux justiciables.

Les AAU ne sont pas seulement édictées par les autorités administratives : dans certaines conditions, une personne privée peut édicter un AAU.
CE, 1961, Magnier :
Une personne privée peut édicter un AAU si 2 conditions sont remplies :

  1. La personne privée doit être investie d’une mission de service public (soit par un acte unilatéral, soit par un contrat) ;
  1. L’acte en question doit avoir été pris sur le fondement de prérogatives de service public (= prérogatives dont ne sont pas habituellement titulaires les personnes privées).

Si l’acte répond à ces 2 critères, alors l’acte édicté est un acte administratif unilatéral et sera donc susceptible d’être contesté devant le juge administratif.

Section 1 : La notion d’acte administratif unilatéral

💡 “Acte faisant grief” = “acte décisoire”.

§ 1. Un acte unilatéral

A – Un acte juridique

Le Vocabulaire juridique de Cornu indique qu’un acte juridique est “une manifestation de volonté destinée à produire des effets en droit”.
Il y a donc 2 conditions pour qu’un acte soit considéré comme un acte juridique :

  1. Cet acte doit témoigner d’une manifestation de volonté d’une personne juridique ;
  1. Il faut que la volonté de la personne auteure de cet acte soit de modifier l’ordonnancement juridique.
    → L’acte juridique a toujours pour ambition d’ajouter du droit au droit.

L’acte juridique peut être de 2 types :
> d’un côté, il y a les actes négociés → les contrats ;
> de l’autre, il y a les actes unilatéraux → les actes qui ne font l’objet d’aucune négociation.

B – Un acte unilatéral

L’AAU est unilatéral, c’est-à-dire qu’il produit des effets juridiques de manière unilatérale.
Cela signifie qu’il est rédigé par une personne seule et qu’il s’impose à tous ses destinataires sans que ceux-ci aient été associés à la procédure relative à l’édiction de l’acte.

Les AAU régissent exclusivement le comportement des destinataires de ces actes.

§ 2. Un acte administratif

A – Les exclusions totales

Il y a 2 catégories d’actes qui ne sont jamais administratifs :

1) Les actes de droit privé

Les actes de droit privé ne peuvent jamais être des actes administratifs ; ils renvoient à 2 types de situations :

  1. Soit ce sont des actes édictés par une personne privée qui n’est pas investie d’une mission de service public → ces actes sont toujours de droit privé ;
  1. Soit ce sont des actes édictés par une personne privée investie d’une mission de service public, mais qui ne sont pas des actes mettant en œuvre des prérogatives du puissance publique → ce sont des actes de droit privé.

Il peut arriver que des autorités administratives édictent des actes de droit privé ; cela correspond à 3 hypothèses, qui seront étudiées dans le cours de droit administratif du 2nd semestre :

  1. Les actes qui sont édictés dans le cadre de l’exercice de missions de service public industrielles et commerciales ;
  1. Les actes qui sont édictés par des personnes publiques en tant que propriétaires d’un domaine privé ;
  1. Les actes qui se rattachent à l’article 66 de la Constitution = les actes relatifs à l’exercice de la liberté individuelle.

2) Les actes parlementaires

Les actes adoptés par le Parlement ne peuvent pas, en principe, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (REP).

En effet, il est naturellement impossible de faire un REP contre une loi :
CE, 1936, Arrighi :
Théorie de la loi-écran = la loi n’est pas justiciable devant le juge administratif.

Cette injusticiabilité s’étend aux autres actes pris par le Parlement : non seulement les lois sont injusticiables devant le juge administratif, mais c’est aussi le cas des actes parlementaires.
Par exemple : actes édictés par le bureau, par les questeurs, par le service juridique… des 2 assemblées.

CE, 1957, Girard :
Décision de principe qui affirme l’injusticiabilité des actes parlementaires.
Affirme l’impossibilité de faire un REP contre un acte parlementaire.

Motifs identifiés par le Conseil d’État :

  1. La souveraineté du Parlement : le Parlement est souverain, ce qui a des conséquences en matière financière, mais aussi sur les actes qu’il édicte : ces actes sont l’expression de cette souveraineté et ne sauraient pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.
  1. Le juge administratif est le juge des actes édictés par des autorités administratives ; or le Parlement n’est pas une autorité administrative → il possède un statut qui le rattache au pouvoir législatif, donc les actes qu’il édicte ne sont pas des actes règlementaires, mais législatifs.

On croyait ces 2 motifs immuables, mais le Conseil d’État est venu semer le doute sur sa propre jurisprudence et analyse :

CE, 1999, Président de l’AN :
Le Conseil d’État a surpris tout le monde à l’époque.
Le service juridique de l’Assemblée nationale avait passé un contrat administratif avec une entreprise privée pour changer tous les téléviseurs de l’AN.
Un concurrent évincé a fait un recours devant le juge administratif pour contester l’attribution du contrat.
Le contrat en question n’émane pas d’une autorité administrative → en application de la théorie des actes parlementaires, on aurait dû penser que le juge administratif décline sa compétence.

Le Conseil d’État affirme que ce contrat a été passé au nom de l’État et affirme qu’il est le juge des marchés publics (= contrats passés par une personne publique avec une personne privée, qui ont pour but l’exécution d’une mission de service public).

Les gens en ont conclu que c’était fini de la théorie des actes parlementaires, mais aucun arrêt postérieur n’a repris le raisonnement pris.
“Coup d’épée dans l’eau” → décision qui ne mérite pas de figurer dans les grandes décisions, parce qu’elle n’a pas fait jurisprudence.
→ Exception du principe selon lequel les actes parlementaires sont injusticiables devant le juge administratif.
Il faut limiter la portée de cette décision au cas d’espèce qu’elle concernait.

CE, 2003, M. Papon :
M. Papon a été député avant d’être condamné pour crimes contre l’humanité.
À la suite de sa condamnation, le service des RH de l’Assemblée nationale décide de ne pas lui verser sa pension de retraite. Il fait un REP contre ce refus.
Le Conseil d’État s’estime incompétent pour statuer sur un litige relatif à une décision d’un organe de l’AN portant sur le statut des parlementaires.
Il se fonde pour cela sur 2 arguments :
1- la souveraineté parlementaire ;
2- l’acte n’était pas un acte administratif, mais un acte parlementaire → insusceptible d’être discuté devant le juge administratif.

CE, 2011, M. Gremetz :
Ce député a été privé d’une partie de son traitement et s’est vu interdire la possibilité d’entrer à l’Assemblée nationale pendant une période donnée.
Après avoir constaté que 2 voitures ministérielles bouchaient l’entrée de l’Assemblée nationale, il était allé voir les ministres auditionnés par une audition parlementaire en entrant dans l’audience et en les secouant.
Le Conseil d’État se déclare incompétent pour vérifier la légalité de cette sanction.

Tout cela peut paraître anecdotique, mais une belle question de droit se pose : au regard de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH (→ droit à un procès équitable), les parlementaires sanctionnés devraient-ils pouvoir saisir un juge pour examiner la légalité et la proportionnalité de la sanction ?

B – Les exclusions partielles

1) L’exclusion des actes judiciaires

La justice judiciaire est un service public : on pourrait donc considérer que les actes édictés au sein de l’autorité judiciaire sont des actes administratifs susceptibles de faire l’objet d’un REP.
Cependant, le service public de la justice judiciaire n’est pas un service public comme les autres :

  1. Il est autonome, en raison de la séparation entre les autorités administratifs et judiciaires ;
    💡 C’est cette autonomie qui est à l’origine du droit administratif.
  1. Là où tous les autres services publics relèvent de l’administration (qui elle-même relève du Premier ministre) et donc du pouvoir exécutif, la justice judiciaire relève elle du pouvoir judiciaire (articles 64 et suivants de la Constitution).
    Or, selon le principe de la séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif.

Le Tribunal des conflits a établi, avec un certain nombre de décisions, une ligne de partage, en précisant quelle catégorie d’actes relèvent du juge administratif et quelles catégories relèvent du seul juge judiciaire.

Tribunal des conflits, 1952, Préfet de la Guyane :
Cette décision de principe en la matière opère une distinction de principe entre 2 catégories d’actes édictés :

  1. Les actes qui se rapportent à la fonction de juger ne sont pas des actes administratifs et ne peuvent pas faire l’objet d’un REP devant le juge administratif.
    Dès lors que, de manière directe ou indirecte, l’acte édicté est en rapport avec une décision judiciaire, il ne saurait être considéré comme un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.

    CE, 1990, Théron :
    Fait suite à une décision d’un juge d’application des peines de ne pas accorder une réduction de peine à un détenu.
    Son avocat saisit le juge administratif d’un REP contre cette décision.
    Le Conseil d’État retient que c’est un acte qui se rapporte à la fonction de juger par le juge judiciaire et ne saurait donc pas être un acte administratif → le juge administratif est incompétent.

  1. Les actes qui “sont relatifs à l’organisation même de la justice judiciaire” sont déliés de la fonction de juger.
    Ce sont donc des actes qui se rapportent au service public de la justice judiciaire et à son organisation et son fonctionnement.
    Ces actes sont considérés comme administratifs, susceptibles de faire l’objet d’un REP.

    CE, 1949, Véron-Réville :
    L’administration a l’obligation de réintégrer le fonctionnaire illégalement évincé dans le poste qu’il occupait.

    CE, 1972, Demoiselle Obrego :
    Les magistrats peuvent faire l’objet de sanctions, édictées à titre principal par le CSM.
    Cette décision de sanction est un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un REP devant le juge administratif.

En résumé, les actes judiciaires sont donc une catégorie d’actes hybride.


2) Les actes de gouvernement

On a vu que les décrets (= les actes édictés par le ministre et le Président de la République) peuvent être contestés devant le juge administratif (en 1er et dernier ressort devant le Conseil d’État).
Il n’y a donc aucune hésitation : les actes du gouvernement sont des actes administratifs, susceptibles de faire l’objet d’un REP.

Les actes de gouvernement apparaissent comme des actes politiques en raison des matières dans lesquelles ils ont été accomplis.
→ Ils se révèlent trop politiques pour que le juge administratif accepte d’en connaître.

CE, 1875, Prince Napoléon :
Le Conseil d’État utilise pour la 1ère fois l’expression “actes de gouvernement”.
Il affirme que ces décisions qui se rattachent à la fonction gouvernementale ne sont pas des décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un recours.
Elles doivent être considérées comme des actes de gouvernement, c’est-à-dire comme des actes politiques pour lesquels le contrôle juridictionnel est impossible.

CE, 1962, Rubin de Servens :
Il s’agit d’une décision symbole, puisque le Conseil d’État devait répondre à la question de savoir si un requérant pouvait contester la décision du Président de la République de mettre en œuvre l’article 16 de la Constitution.
D’un côté, cette décision s’est traduite par un décret du Président de la République ; mais cette décision n’est pas comme les autres, puisqu’elle est relative aux rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

C’est un acte qui émane du pouvoir exécutif + qui fait grief, mais il n’est pas comme les autres puisqu’il a des conséquences sur le pouvoir législatif et son exercice.
C’est ce qui a justifié que le Conseil d’État refuse de connaître de cette décision : il a estimé qu’il s’agissait d’un acte de gouvernement → il est donc incompétent.

Il reste à tracer les contours de cette catégorie.
Aujourd’hui, il y a de moins en moins d’actes qui relèvent de cette catégorie : la jurisprudence du Conseil d’État a réduit la liste des actes de gouvernement, probablement pour renforcer le droit au recours.
2 grandes catégories en relèvent toujours :

  1. Les actes qui concernent les relations entre les pouvoirs constitutionnels ;

    Ces relations étant politiques, il ne revient pas au juge administratif d’être l’arbitre des relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
    Exemple : Rubin de Servens.

    Exemple : CE, 1999, Mme. BA :
    Fait un REP contre la décision du Président de la République de nommer M. Mazeaud président du Conseil constitutionnel.
    Le Conseil d’État considère que cette décision est un acte de gouvernement, puisque relatif aux relations entre le pouvoir exécutif et le Parlement.

  1. Les actes qui concernent les relations extérieures de la France.
    Pendant très longtemps, le Conseil d’État a été attaché à laisser au pouvoir exécutif une certaine liberté sur le sujet.

    CE, 1995, Association Greenpeace France :
    Le président Chirac décide la reprise des effets nucléaires dans le Pacifique ; une association fait un REP contre cette décision.
    Le Conseil d’État répond que le juge administratif n’est pas compétent, puisqu’il s’agit d’un acte de gouvernement → insusceptible de faire l’objet d’un REP.
    Il relève que cette décision prise par le PR n’est pas une décision isolée et strictement française, mais est une décision d’application d’un traité bilatéral signé entre la France et la Nouvelle-Zélande sur les essais nucléaires.

Dans le même temps, le Conseil d’État a utilisé la théorie de l’acte détachable pour réduire cette catégorie.

Par exemple :
CE, 1997, Royaume-Uni de Grande-Bretagne :
Dans cette décision de principe, le Royaume-Uni fait un REP contre un décret du PR, qui refusait une extradition sollicitée par le Royaume-Uni. Le gouvernement s’est opposé à cette extradition et a pris un acte de refus.
Le Conseil d’État, s’il applique sa théorie classique des actes de gouvernement, doit considérer que ce refus est une décision relative aux relations diplomatiques entre la France et le Royaume-Uni.

Mais le Conseil d’État fait application de la théorie de l’acte détachable : il considère que le décret refusant une extradition est un acte administratif unilatéral, donc un décret peut être un acte individuel mais généralement unilatéral ; et qu’en l’espèce, tel était le cas.
→ Cet acte individuel est détachable des relations diplomatiques de la France.

On peut considérer que le raisonnement du Conseil d’État est audacieux, mais qu’il permet de rendre justiciables des actes qui ne l’étaient pas auparavant → contribue à permettre un contrôle juridictionnel de certains actes qui bénéficiaient jusqu’ici d’immunité.
Il est cependant difficile de suivre le raisonnement suivi : c’est ce cas individuel qui a entraîné un conflit dans les relations diplomatiques de la France.

Ainsi, si un acte est considéré comme détachable des relations diplomatiques de la France, il n’est plus un acte de gouvernement, mais un acte administratif faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un REP.

§ 3. Un acte faisant grief

La décision Dame Lamotte (Conseil d’État, 1959) laisse penser que tous les actes administratifs peuvent faire l’objet d’un REP ; mais, en réalité, seuls les actes administratifs unilatéraux faisant grief peuvent faire l’objet d’un REP.

L’acte doit être décisoire = il doit faire grief = il doit modifier l’ordonnancement juridique.
Autrement dit, il doit changer quelque chose, soit dans une situation individuelle, soit dans le droit applicable en général.

Il y a des actes dont le caractère décisoire n’est pas évident.
Ces dernières années, le Conseil d’État a aussi fait évoluer sa jurisprudence sur la catégorie des actes relevant du droit souple, ce qui n’a pas contribué à la simplicité du régime juridique des actes faisant grief.

A – L’exclusion des actes préparatoires

Dans le cadre de l’organisation de l’administration, il y a un certain nombre d’actes édictés qui ont pour vocation principale de préparer une décision future.

Tous les actes administratifs préparatoires ne peuvent pas être considérés comme des actes administratifs faisant grief, car leur seul objet est de préparer une décision future, et non de modifier le droit.

CE, 1952, Camara :
En l’espèce, porte sur un acte préparatoire relatif à la situation règlementaire d’agents publics, pour préparer un tableau d’avancement → cet acte ne fait pas grief.

B – L’exclusion contestable des mesures d’ordre intérieur

L’administration a besoin d’édicter des actes qui concernent son activité interne : ce sont les mesures d’ordre intérieur.

Le juge administratif a développé la théorie selon laquelle, au fond, il n’a pas à s’intéresser aux actes d’importance minime.

Exemple : il ne fait aucun doute que le lycéen qui doit aller en heure de colle voit sa situation juridique affectée ; on pourrait donc considérer que les critères sont remplis ; mais, pour éviter un engorgement, on a créé la catégorie des mesures d’ordre intérieur.

Pour le juriste Hauriou, ces actes concernent la vie interne de l’administration. On ne doit pas considérer qu’ils peuvent faire l’objet d’un REP, parce qu’ils sont d’importance trop minime pour que le juge accepte d’en connaître.

Exemples : l’autorité du chef dans l’armée, l’autorité du maître d’école dans l’école…
Dans ces domaines où la figure de l’autorité paraît essentielle, on a estimé qu’il ne fallait pas affaiblir cette figure en permettant des recours.

Cette théorie a été faiblement contestée par la doctrine, qui la voyait comme un instrument pragmatique pour éviter que le juge administratif ne soit submergé.
Puis, la CEDH a dit qu’il y a un problème avec cette théorie : dans son principe même, elle est contraire à l’article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH.

2 décisions ont été rendues le même jour :

CE, 1995, Hardouin :
Un militaire rentré en retard de permission reçoit une décision disciplinaire de mise aux arrêts, qui est une décision qui a pour effet qu’il sera empêché, pendant une durée déterminée, de sortir à nouveau de la caserne.
Le Conseil d’État avait dit précédemment qu’il ne s’occupe pas de ce genre de recours ; mais, à la suite de la jurisprudence de la CEDH, il dit ici qu’il est compétent pour connaître un REP contre cette décision, car elle “a des effets directs sur la liberté d’aller et de venir”.

CE, 1995, Marie :
Le Conseil d’État se fonde ici sur un autre critère : la sanction peut faire l’objet d’un REP, car celle-ci est un acte administratif faisant grief “eu égard à sa nature et à la gravité de la mesure”.

Cette décision pose plusieurs interrogations ; la référence à la nature et à la gravité de la décision paraît ambigüe (il n’y a rien de naturel en droit…).
3 décisions d’assemblée rendues en 2007 concernent 3 détenus :

CE, 2007, Boussouar/Planchenault/Payet :
Dans ces 3 décisions, le Conseil d’État précise la manière dont on doit appliquer la jurisprudence Marie.
Il considère que certaines mesures prise à l’intérieur des prisons et visant les détenus sont toujours des actes susceptibles de faire l’objet d’un REP :
> un changement d’affectation de détenu ;
> un déclassement d’emploi ;
> le placement d’un détenu sous le régime des rotations sécurité.

Idée : dans certains cas, le critère de gravité n’est pas pris en compte → la décision édictée n’est plus jamais une mesure d’ordre intérieur, mais est toujours un acte administratif faisant grief (= susceptible de faire l’objet d’un REP).

Par ces décisions, le Conseil d’État a à nouveau et encore davantage restreint la catégorie des mesures d’ordre intérieur, considérant que ces actes sont toujours des actes administratifs faisant grief.

C – L’exclusion partielle des circulaires

Les circulaires sont des instructions qui sont adressées par les chefs de service aux personnels dont ils ont à diriger l’action. Elles servent à éclairer les agents publics sur leurs actions, en expliquant comment ils doivent travailler.
Les auteurs des circulaires sont les chefs de service, tels que définis par la décision Jamart (1936).

Les circulaires sont des actes internes à l’administration, donc :
1- ils ne sont pas opposables aux administrés ;
2- ils ne peuvent pas faire l’objet d’un REP.

Ces circulaires se sont multipliées dans certains domaines, ce qui a posé la question de leur existence.
L’administration s’est aussi de plus en plus fondée sur celles-ci pour prendre des décisions.
Il a pu être relevé, au regard de l’importance quantitative et qualitative prise par celles-ci, qu’il était injuste qu’on ne puisse pas les contester devant le juge de l’excès de pouvoir.

Cela a conduit le Conseil d’État à faire évoluer le statut des circulaires en 2 temps :

CE, 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker :
Pour la 1ère fois, le Conseil d’État considère qu’il est possible qu’une circulaire soit un acte administratif faisant grief (= susceptible de faire l’objet d’un REP).
Il distingue 2 types de circulaires :

  1. Les circulaires interprétatives se bornent à interpréter le droit supérieur et à l’expliquer aux gens auxquels elles sont destinées.
    Elles n’ajoutent pas de droit ; elles se contentent de l’interpréter.
    → Ce sont des actes administratifs internes à l’administration, qui ne font pas grief.
  1. Les circulaires règlementaires ajoutent du droit au droit ; elles ne se bornent pas à interpréter le droit supérieur.
    Elles modifient l’ordonnancement juridique, donc elles peuvent être considérées comme faisant grief, donc pouvant faire l’objet d’un REP.

Le critère retenu par le Conseil d’État est donc le critère de l’innovation.
Ce critère a toujours été critiqué (dans des conclusions de rapporteurs publics comme par la doctrine), parce que pour savoir si une circulaire innove (= ajoute du droit au droit existant), on doit prendre le droit existant et prendre la circulaire et confronter les 2.
Mais confronter une circulaire au droit existant, c’est une sorte de contrôle de légalité ; un certain nombre d’auteurs considèrent donc que ça revient à mettre la charrue avant les bœufs, en obligeant le juge à confronter l’acte aux normes supérieures simplement pour savoir si un recours est recevable contre cet acte.

CE, 2002, Mme. Duvignères :
Le Conseil d’État change le critère de recevabilité des recours contre les ordonnances.
Il pose le critère de l’impérativité de la circulaire : si la circulaire possède un caractère impératif, alors il s’agit d’un acte administratif faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours.
≠ si elle est dénuée d’un caractère impératif, alors il s’agit d’un acte interne à l’administration → insusceptible de recours.

Ce critère de l’impérativité peut être défini de la manière suivante : est-ce que l’auteur de la circulaire a entendu imposer sa volonté à son destinataire ?
Pour savoir si une circulaire est impérative, il faut regarder le ton et le vocabulaire employé : si l’on identifie dans la circulaire des mots comme “ordonne”, “autorise”, “exige que certaines conditions soient remplies”… alors on entend imposer une volonté et une manière de faire à ceux à qui s’adresse cette circulaire.
Si, à l’inverse, il s’agit simplement d’explications ou de rappels, alors la circulaire n’a pas de caractère impératif.

Illustration :
CE, 2003, Syndicat national de défense pour l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital :
Une circulaire du ministre de la Santé, adressée à tous les directeurs des ARS, portait sur la procédure à suivre pour permettre à un médecin d’un établissement de santé d’exercer une activité libérale dans cet établissement.
Prescrivait une procédure à suivre et des conditions à remplir pour les médecins concernés pour pouvoir exercer cette activité + prescrivait des sanctions en cas de non respect de cette procédure.
Celui qui a rédigé cette circulaire entendait imposer aux destinataires → c’est bien un acte administratif faisant grief = susceptible de faire l’objet d’un REP.

Ce critère, posé en 2002, a 2 vertus :
1- il permet de savoir rapidement si un REP est recevable ;
2- il offre une bonne garantie pour les requérants, qui peuvent contester des normes qui apparaissent essentielles dans l’action de l’administration.

D – Le cas particulier des documents de portée générale

Les documents de portée générale font l’objet du dernier arrêt du GAJA → dernière innovation d’ampleur du Conseil d’État.

Le Conseil d’État définit le droit souple :
Relèvent du droit souple les instruments qui réunissent les 3 conditions cumulatives suivantes :
1- les documents qui orientent les comportements de leurs destinataires en suscitant leur adhésion ;
2- les documents qui ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour leurs destinataires ;
3- les documents qui présentent, par leur contenu et par leur mode d’élaboration, un degré de formalisation qui les apparente à des règles de droit.

Contrairement aux règles de droit classiques qui obligent / prescrivent / contraignent, ces instruments orientent / suggèrent / recommandent.
On estimait donc que ces documents ne faisaient pas grief, puisqu’ils ne modifiaient pas l’ordonnancement juridique, mais se contentaient d’émettre des suggestions comportementales.

Mais ces normes ont pris une importance considérable.
Elles ont 2 fonctions, identifiées par le Conseil d’État :

  1. Une fonction d’accompagnement du droit classique : ces notes / recommandations / chartes / suggestions / avis permettent souvent d’expliciter le droit classique et de le préciser.
  1. Elles ont pu, dans certains cas, remplacer le droit classique.
    Il faut avoir à l’esprit que de nombreux acteurs administratifs n’ont pas le pouvoir de prendre des décisions contraignantes.

Malgré cette importance qualitative et quantitative, ces actes étaient distingués du droit classique, et il était impossible de faire un REP contre ceux-ci, alors que certains d’entre eux orientent l’action de l’administration.

Le Conseil d’État a fait évoluer sa jurisprudence sur la justiciabilité de ces actes en 3 temps :

CE, 2011, Association FORMINDEP :
REP contre une recommandation de la Haute Autorité de santé (AAI).
Pour la 1ère fois, le Conseil d’État admet un REP contre une recommandation. Il souligne 2 points :
1- De telles recommandations ont pour objet de transmettre des données acquises par la science.
2- À défaut d’être contraignantes, ces recommandations sont largement suivies par les professionnels de santé, parce qu’elles sont solides scientifiquement.
→ Ces recommandations sont des actes administratifs faisant grief.

Une telle décision contribue à rapprocher juridiquement les actes de droit classique et les actes de droit souple.
+ atteste de l’importance prise par ces actes de droit souple.

Dans 2 décisions, rendues le même jour, le Conseil d’État fait évoluer à nouveau sa jurisprudence sur le droit souple :

CE, 2016, Fairvesta et Numéricable :
Le Conseil d’État juge que les actes des autorités de régulation (qui sont des AAI) qui ont pour effet > soit de produire des conséquences notables > soit d’influer de manière significative sur le comportement des personnes auxquelles ils s’adressent → peuvent faire l’objet d’un REP.

Cette décision élargit la jurisprudence FORMINDEP en montrant que ce principe ne vaut pas uniquement pour la Haute Autorité de santé + en précisant matériellement le critère à respecter pour que l’acte édicté par l’autorité de régulation soit considéré comme faisant grief.

CE, 2020, GISTI :
⚠️ À ne pas confondre avec les autres décisions GISTI.
Dans cette décision importante, le Conseil d’État crée une nouvelle catégorie d’actes administratifs, qu’il appelle les “documents de portée générale”.

Il affirme que ces documents de portée générale peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils “sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés de les mettre en œuvre”.

Il doit s’agir de documents “de portée générale” → exclut toute forme d’acte individuel.
L’acte doit avoir plusieurs destinataires ou être adressé de manière générale à un groupe.

Ces documents doivent émaner “d’autorités publiques” → pas limité aux seules AAI.

Concrètement, ces documents peuvent être de nature très diverses. Ce qui est essentiel, ce n’est pas le nom qui leur est donné, mais leur contenu.
Dans ces actes de portée générale, on trouve donc des suggestions de comportement, des recommandations, des avis…
Ce qui apparaît déterminant, c’est que de tels actes peuvent faire l’objet d’un REP si le juge estime qu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés de les mettre en œuvre.

Jusqu’en 2020, soit un AAU faisait grief → il pouvait faire l’objet d’un REP ; soit il ne faisait pas grief → il ne pouvait pas faire l’objet d’un REP.
Ici, avec cette décision GISTI (2020), le Conseil d’État ne parle plus de faire grief → il invente un nouveau critère : les documents de portée générale peuvent faire l’objet d’un recours à l’égard de leurs effets.

Cette jurisprudence a l’avantage de permettre de saisir des actes qui étaient auparavant injusticiables, ce qui est très bien au regard de l’importance prise par certains d’entre eux.
Elle a le désavantage de complexifier un droit qui était jusqu’alors très simple.

Section 2 : Le régime juridique de l’acte administratif unilatéral

Le régime juridique de l’acte administratif unilatéral a été très longtemps jurisprudentiel.
Les règles applicables aux AAU figuraient dans la jurisprudence du Conseil d’État.

Le CRPA, publié en 2015, contient beaucoup de règles relatives aux AAU ; sa publication a donc formellement modifié les sources du régime des AAU, mais n’a pas modifié le contenu des règles.

§ 1. L’édiction de l’acte

Il s’agit d’une procédure qui tient en 3 étapes :
1- l’initiative ;
2- la signature ;
3- l’entrée en vigueur.

A – L’initiative

Il existe 2 hypothèses :
1- les actes spontanés ;
2- les actes provoqués.

1) Les actes spontanés

Pour ces actes pour lesquels elle n’est pas sollicitée par un tiers, l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire.
→ Expression qui met l’accent sur la liberté d’expression de l’administration.

Cette liberté s’incarne de 2 manières :

  1. L’administration est libre d’agir ou de ne pas agir ;
  1. Si l’administration choisit d’agir, elle est libre de choisir la décision qui lui paraît la plus appropriée.

C’est l’intérêt général qui guide l’administration.
Elle peut spontanément édicter un certain nombre d’actes administratifs pour faire face aux circonstances ou à la manière dont elle estime qu’il est plus pertinent d’agir.

💡 La décision que l’administration prend spontanément est une décision édictée sous le contrôle du juge administratif.


2) Les actes provoqués

Parfois, l’administration agit pour répondre à une demande formulée : son action est provoquée par une sollicitation dont elle fait l’objet.

Dans cette hypothèse, l’administration n’est pas libre et doit répondre à la sollicitation dont elle fait l’objet : elle est en situation de compétence liée (≠ pouvoir discrétionnaire).
→ Elle est obligée d’exercer sa compétence.

B – La signature

Pour exister matériellement et juridiquement, une décision prise par écrit doit être signée.
En droit, la signature d’un document permet d’identifier l’auteur de la décision, qui en endosse la responsabilité juridique (voire politique).
→ La signature est un mécanisme d’authentification et de certification.

Toutes les décisions prises à l’écrit sont signées par leur auteur (article L212-1 du CRPA), avec 2 exceptions :

  1. Les décisions à caractère règlementaire sont dispensées de signature (un décret paru au JO n’est pas signé, il contient juste le nom de son auteur) ;
  1. Les décisions implicites, qui résultent du silence de l’administration, ne sont pas signées.

C – L’entrée en vigueur

Un acte administratif unilatéral entre en vigueur lorsqu’il est porté à la connaissance de ceux qui sont intéressés par celui-ci.

1) L’entrée en vigueur des actes règlementaires

💡
Pour rappel, les actes règlementaires sont les actes de portée générale, qui ne mentionnent pas nommément leurs destinataires.

Les conditions d’entrée en vigueur des actes règlementaires sont fixées aux articles L221-2 et suivants du CRPA :
”L’entrée en vigueur d’un acte règlementaire est subordonné à l’accomplissement de formalités adéquates de publicité”.

→ Ce sont ses formalités de publicité qui déterminent l’entrée en vigueur d’un acte règlementaire.

La publicité tient à la publication de l’acte dans un recueil officiel, dont le plus connu est le JO.
Certains actes font l’objet d’une publication en mairie, avec des panneaux d’affichage où l’on reproduit des actes édictés par la commune (notamment pour les actes en matière d’urbanisme).

Les mesures adéquates de publicité sont :
> en principe la publication dans un recueil officiel ;
> par exception l’affichage ;
> parfois, les deux.

Les mesures de publicité sont très importantes en droit, car elles marquent l’entrée en vigueur de l’acte → le moment où l’acte produit des effets juridiques.

Un décret qui figure au Journal officiel produit des effets juridiques au lendemain de sa parution dans le JO.
Cette date marque la production d’effets juridiques + le début du délai de recours.


2) L’entrée en vigueur des actes individuels

💡
Pour rappel, les actes administratifs individuels sont les actes qui visent nommément leurs destinataires / qui s’adressent nominativement à une personne ou à un groupe de personnes.

Ces actes ne font l’objet d’aucune publicité.
L’acte entre en vigueur au moment où il est notifié à ses destinataires, par le biais d’un courrier postal ou électronique avec un accusé de réception.
La date de cet accusé marque la date de l’entrée en vigueur de l’acte.

La date est aussi fondamentale, car c’est le point de départ du calcul des 2 mois pour exercer un REP.

Une décision qui résulte du silence de l’administration ne fait l’objet d’aucune notification.

§ 2. La disparition de l’acte

  1. L’abrogation peut se définir comme une sorte de sortie en vigueur non rétroactive de l’acte, qui résulte d’une manifestation de volonté postérieure à son édiction.

    Il faut une manifestation de volonté, c’est-à-dire qu’il faut que l’auteur de la décision décide de la faire disparaître et que cette disparition totale ou partielle découle d’un acte.
    Idée : celui qui a fait peut défaire, par les mêmes procédés juridiques.
    → Il n’y a pas d’abrogation implicite : l’abrogation découle d’un acte.

  1. Le retrait est une sortie de vigueur rétroactive d’un acte qui résulte d’une décision de l’administration : l’acte est réputé n’avoir jamais existé.
    Cela fait penser à l’annulation juridictionnelle, effectuée par le juge.

    💡 Vocabulaire juridique : l’administration compétente peut retirer / le juge peut annuler.

    → Il n’y a pas de retrait implicite non plus : seule une décision expresse peut conduire au retrait d’une décision.

  1. La caducité est une sortie de vigueur non rétroactive, qui se réalise de plein droit à la date prévue ou à la survenance de l’évènement prévu par l’acte lui-même.
    → La caducité est la possibilité pour l’acte de prévoir sa propre mort (un acte caduc ne produit plus d’effets juridiques).

    On peut imaginer des actes qui sont applicables jusqu’à la survenance d’un évènement (ex : crise économique).

  1. La désuétude est une sortie de vigueur non rétroactive d’un acte qui résulte de la non application durable de celui-ci.

L’abrogation et le retrait sont des outils très fréquemment utilisés par l’administration pour faire sortir de vigueur des actes administratifs.
Le régime juridique de ces 2 modalités :
1- obéit à des règles propres ;
2- s’agissant du retrait, obéit à des règles marquées par une certaine complexité.

Il faut opérer certaines distinctions importantes :

A – L’abrogation

Puisque l’abrogation ne fait disparaître l’acte que pour le futur, ses conséquences juridiques sont moindres que pour le retrait et son régime juridique dispose de moins de subtilités.
Il faut opérer certaines distinctions utiles :

1) L’abrogation des actes règlementaires

a) Les actes règlementaires légaux

Ce que le pouvoir règlementaire a fait, il peut défaire, et heureusement : cela permet de tenir compte des évolutions de l’intérêt général, de la société, de l’alternance politique…

L’administration peut donc abroger un règlement légal sans conditions, à n’importe quel moment et pour n’importe quelle raison : on parle du principe de mutabilité des règlements.
La mutabilité est la capacité juridique de faire évoluer le droit.

CE, 1961, Magnier :
Le Conseil d’État affirme qu’au regard du principe de mutabilité des règlements l’administration peut abroger un acte règlementaire légal quand elle le souhaite.
L’article 243-1 du CRPA reprend ce principe : un acte règlementaire légal peut être abrogé sans condition de délai.
Il en est autrement des actes illégaux :

b) Les actes règlementaires illégaux

Lorsque l’administration est saisie d’une demande d’abrogation d’un acte règlementaire illégal, elle doit l’abroger.

CE, 1930, Despujol :
En cas de changement de circonstances de droit, un règlement devenu illégal du fait de ce changement de circonstances doit être abrogé par l’autorité compétente.
Si l’administration refuse, on peut saisir le juge de l’excès de pouvoir de ce refus.
→ Un acte règlementaire illégal doit être abrogé, l’administration n’a pas le choix (situation de compétence liée).

Voir aussi : CE, 1989, Alitalia.

Ces 2 décisions de principe sont codifiées à l’article L243-2 du CRPA : “L’administration est tenue d’abroger expressément un acte réglementaire illégal”.
La règle législative ne distingue pas la temporalité de l’illégalité : peu importe que l’illégalité ait été originelle, ou résulte de circonstances de droit.

2) L’abrogation des actes individuels

Dans le cas d’un acte qui s’adresse à des personnes nominativement et octroie des droits à ses destinataires, ce droit qu’il donne pourra devenir un jour définitif.
Le droit devient définitif lorsqu’il ne peut plus être contesté.

Par exemple, en cas de demande d’un permis de construire à une commune, le droit à construire octroyé devient définitif au bout de 2 mois, lorsque l’acte ne peut plus être contesté.

a) Les actes individuels créateurs de droit

En principe, tous les actes individuels – sauf exceptions – sont créateurs de droit.

Par définition, les actes administratifs individuels décisoires donnent des droits à leurs destinataires, qui ont vocation à devenir définitifs s’ils ne font pas l’objet d’un recours.

L’administration ne peut pas abroger un acte administratif individuel créateur de droits légal, car elle n’a aucune raison de le faire.

Dans le cas d’un acte administratif individuel créateur de droits illégal, l’administration a une bonne raison de l’abroger, et on veut permettre à l’administration de se corriger.
L’administration dispose d’un délai de 4 mois dès la prise de décision pour procéder à une telle abrogation.

CE, 2009, Coulibaly :
Dans cette décision, le Conseil d’État reprend le considérant de principe de la décision Ternon sur les retraits pour l’appliquer à l’abrogation des actes administratifs individuels créateurs de droit illégaux dans un délai de 4 mois à partir de la prise de décision.
(le délai de 4 mois est emprunté à la jurisprudence Ternon)

Idée : on veut avoir un délai pas trop long ni trop court pour que l’administration puisse se corriger.
Cette solution a été codifiée à l’article L242-1 du CRPA : l’administration peut abroger un acte individuel créateur de droits illégal dans un délai de 4 mois à partir de la prise de décision.

b) Les actes individuels non créateurs de droit

Certains actes administratifs individuels ne créent pas de droits chez leurs destinataires, parce qu’ils ont une vocation temporaire.

  1. Les autorisations de police sont tous les actes administratifs liés à la police administrative, par essence provisoire.
    Celui qui a cette autorisation n’a jamais de droits définitifs.
  1. Les autorisations d’occupation du domaine public sont provisoires.
    Le domaine public est juridiquement inaliénable : on peut l’occuper pendant très longtemps, mais jamais définitivement.
  1. Les actes qui nomment des personnes dans des emplois à la discrétion du gouvernement sont provisoires, puisqu’on n’occupe pas ces emplois à titre définitif.

Si ces actes sont légaux, alors il est possible pour l’administration de les abroger.
Exemple : si le Président de la République a nommé un préfet, il peut le remplacer par un autre → la décision de le remplacer remplace la nomination.

Si l’acte est illégal, alors la faculté devient une obligation :
CE, 1990, Association Les Verts :
Le Conseil d’État calque le régime de l’abrogation des actes individuels illégaux sur celui des actes règlementaires illégaux.
L’administration saisie d’une demande doit abroger l’acte individuel non créateur de droits illégal.

B – Le retrait

Les effets du retrait sont dévastateurs : en cas de retrait, l’acte est réputé n’avoir jamais existé.

1) Le retrait des actes non créateurs de droit

a) Les actes légaux

Il est impossible de retirer un acte règlementaire ou provisoire qui ne serait pas illégal, parce qu’on n’a à priori aucune bonne raison de le faire.

CE, 1966, Société Graciet :
Il est impossible de retirer ces actes → on peut au mieux les abroger.

b) Les actes illégaux

On a une bonne raison de retirer les actes non créateurs de droit illégaux, mais difficulté : si on les retire de l’ordonnancement juridique, non seulement ils sont réputés n’avoir jamais existé, mais ils sont aussi réputés n’avoir jamais servi de base légale à une décision individuelle.

On a donc affirmé que ces actes peuvent être retirés dès lors qu’ils n’ont pas reçu d’application.
C’est logique : on veut permettre à l’administration de corriger une erreur, mais on ne veut pas priver des personnes qui auraient reçu des droits sur la base de cet acte illégal.

→ Le retrait de l’acte n’est possible que dans le délai extrêmement court où il n’a pas reçu d’exécution.

Voir : CE, 2002, Assistance publique de Marseille.


2) Le respect des actes créateurs de droit

Les actes individuels qui, en principe, font naître chez leurs destinataires des droits susceptibles de devenir intangibles sont les plus difficiles à retirer.

En principe, leur retrait est impossible, parce qu’il n’y a pas de motif d’illégalité qui justifierait leur retrait.
Voir arrêt de principe : CE, 1950, EDF.

Cependant, ce principe a été accompagné de 2 exceptions, issues de la jurisprudence et codifiées à l’article L142-4 du CRPA :

  1. Si un acte législatif autorise un retrait d’un acte créateur de droit légal, alors la volonté du législateur prime sur les PGD, donc le texte peut faire l’objet d’un retrait ;
  1. En cas de demande de l’intéressé, pour formuler une autre demande.

Il s’agit d’une évolution jurisprudentielle substantielle ; en effet, on a peiné à trouver un équilibre entre la correction des illégalités et la sécurité juridique des personnes.
4 étapes :

  1. CE, 1922, Dame Cachet :
    Mme. Cachet avait reçu une indemnité de 121 francs du ministère des Finances, à la suite d’un mauvais calcul lié à son imposition.
    Estimant que cette indemnité ne correspondait pas à ce que le ministère lui devait, elle avait écrit au ministre pour lui demander de retirer sa décision et d’en prendre une + favorable.
    Le ministre des finances s’aperçoit qu’en réalité elle n’a droit à rien ; il prend une décision de retrait, mais remplace sa décision par une autre beaucoup moins favorable lui refusant l’indemnité en question.

    Cette décision pose le principe selon lequel il est possible de retirer ce type d’actes dans le même délai qu’on peut faire un REP contre cet acte → dans les 2 mois à partir de sa notification.
    Ce raisonnement est cohérent : c’est le délai durant lequel l’acte n’est pas définitif.

    Pour retirer un acte créateur de droit, il faut donc que celui-ci soit :
    1- illégal ;
    2- notifié depuis moins de 2 mois.

  1. CE, 1966, Ville de Bagneux :
    Le maire de la commune de Bagneux octroie un permis de construire, qu’il retire 1 an après pour illégalité.
    En application de la jurisprudence Dame Cachet, il avait 2 mois pour le retirer à partir de la notification de l’acte illégal.

    Les permis de construire ont cette particularité d’être des actes individuels, qui doivent être publiés dans le recueil officiel de la commune. Le juge s’aperçoit que le permis de conduire a été notifié, mais pas publié dans ce recueil.
    Or, si la notification a été mal faite, le délai ne commence pas à courir, donc on peut retirer un acte administratif illégal.

    Dans cette jurisprudence, le Conseil d’État applique mécaniquement la jurisprudence Dame Cachet : le délai n’a pas commencé à courir, donc l’acte individuel créateur de droit illégal peut être retiré dans un délai infini.

  1. Le décret du 28 novembre 1983 porte sur les droits des usagers de l’administration.
    Il a entendu modifier la jurisprudence du Conseil d’État sur ce sujet, en affirmant que désormais les délais de recours et délais de retrait doivent être notifiés dans la décision adressée aux intéressés.

    Ce décret modifie le point de départ : désormais, le point de départ est la notification de la décision administrative individuelle que reçoit le destinataire, dès qu’il accuse réception du point de départ du délai de recours.

    CE, 1987, Dame de Mobier :
    Porte sur une décision de reclassement d’un fonctionnaire.
    Un arrêté est pris par un ministre et une dame estime que ce n’est pas favorable au regard de ses droits.
    Le ministre se rend compte que le 1er déclassement est illégal et rend une nouvelle décision moins favorable à la demanderesse.

    Elle fait un recours pour excès de pouvoir, et le Conseil d’État s’aperçoit que le ministre, lors de sa notification, n’a pas mentionné les délais de recours.
    S’il n’y a pas de notification, alors le délai ne commence pas à courir, alors il est possible de retirer l’acte sans délai → retour à Dame Cachet.

    Cela est source d’insécurité juridique : si l’administration oublie la notification, alors elle peut corriger ses erreurs même 10 ans après.

  1. CE, 2001, Ternon :
    C’est la décision qui fixe actuellement les règles applicables en la matière.
    Le Conseil d’État a ici dû se prononcer sur les délais suite à une notification oubliée.
    Question de droit : dans quels délais est-il possible de retirer un acte administratif créateur de droit illégal ?

    Le Conseil d’État innove :
    Il pose le principe d’un délai de 4 mois, en dissociant le délai de recours du délai de retrait.
    → Rompt avec la logique de Dame Cachet.

    Pour éviter les problèmes de mauvaise notification, on dit que le point de départ du délai est au moment où a été prise la décision → date figurant sur la décision.
    Peu importe si l’administration a fait une erreur de notification : on calcule le délai au jour de la décision.
    (On dissocie donc aussi le point de départ du délai de retrait & le point de départ du délai de recours).

Dans l’article L242-1 du CRPA, c’est le considérant de principe de la décision Ternon qui est repris.

⚠️ Celle-ci ne s’applique qu’aux décisions individuelles créatrices de droit illégales.
Sont donc exclus : les actes règlementaires, les actes non créateurs de droit, et les actes légaux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *