Chapitre 3 : Le Roi souverain

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Section 1 : La renaissance de la législation

La loi est l’outil majeur par lequel se construit l’État.
En l’adaptant, la monarchie suit le modèle romain et son avatar ecclésiastique.
Du pluralisme juridique qui caractérise la période féodale, on s’achemine vers un idéal d’unité du droit organisé par la loi.

I – L’idéologie législative

Idée : on passe du roi justicier au roi législateur.

Traditionnellement, on date le dernier capitulaire carolingien à 884.
Après, le roi ne prend plus de dispositions à portée générale pour application à l’ensemble du royaume, parce qu’il n’a pas la capacité de les faire appliquer.

1155 : concile de Soissons : Louis 7 instaure la paix de Dieu sur le royaume de France (proclame un trêve de 10 ans pour les guerres privées).
C’est un texte à portée générale / protolégislatif.
Il marque la renaissance du pouvoir législatif.

Le roi devant le garant privilégié de la paix.
Il prend action a priori en prenant les mesures préventives pour éviter le désordre.

Le roi est tenu à garder et faire garder les coutumes.
Il va ensuite progressivement les réformer ; il modifie voire abroge les mauvaises coutumes.

Les 1ers textes (fin 12e, début 13e) ont une tournure contractuelle : on mentionne le nom de toutes les personnes qui étaient présentes quand on a discuté du texte.
Ceux qui sont mentionnés dans la souscription apparaissent comme des co-auteurs.

Ces textes vont être qualifiés d’ordonnances.
À partir de 1223, on a des ordonnances qui ont vocation à s’appliquer même à ceux qui n’étaient pas présents lors de la signature.
À partir de St Louis, les ordonnances cessent de mentionner ceux qui étaient présents.
→ deviennent des actes du roi et du roi seul

II – La procédure d’élaboration de la loi

Pendant longtemps, le roi a les prétentions théoriques du roi romain, en avance sur la pratique (le roi dit vouloir beaucoup pour arriver à faire un peu).

Certaines, par les circonstances qui l’accompagnent ou par leur objet, peuvent être accompagnées de formalités / solennités particulières.

Section 2 : La permanence de l’État

I – Le statut de la couronne

La question de la permanence de l’État s’établit par la succession instantanée.
Modèle : double nature divine et humaine du Christ.

La couronne est un intermédiaire conceptuel pour penser ce qu’on appellera plus tard l’État.
Le mot “couronne” est utilisé depuis Suger (12e siècle).
On parle d’”État” en tant que personne morale à partir d’Henri 3 (16e siècle).

II – La continuité des actes royaux

A – Les lois

L’établissement de la permanence des actes au-delà de la vie de l’auteur conduit à la permanence de l’État.
Ce n’est pas parce que le percepteur d’impôts décède que l’on n’a plus à payer d’impôts.

Tout le monde a des privilèges sous l’Ancien Régime (tous les métiers, toutes les villes, etc.).
Il est demandé, pour renouveler les privilèges au début du règne, un droit de joyeux avènement (→ une sorte de taxation, au début d’un règne ; moyen pour le pouvoir d’obtenir des revenus).

B – Les dettes

C’est une question que soulève encore le duc de Saint-Simon au début du 18e siècle.

Idée qui s’impose : l’État est le débiteur, et non pas la personne physique du roi.

C – Les officiers

Les officiers sont des agents du roi.
C’est une nécessité pour les officiers de se faire confirmer par le nouveau souverain → droit de joyeux avènement.

À partir de 1471, il n’est plus question de changer les officiers au changement de règne.

Dans les 3 cas limités évoqués (privilèges, dettes, agents du roi), on remarque une tonalité contractuelle.

Section 3 : Souveraineté et absolutisme

I – La souveraineté selon Bodin

C’est la notion de souveraineté qui vient parachever un demi-millénaire de construction de l’État.

Jean Bodin, dans Les Six Livres de la République (1576), réagit aux monarchomaques (= auteurs protestants qui s’élèvent contre l’absolutisme royal qui s’établit progressivement en France en développant l’idée que le roi est limité et en revendiquant une souveraineté partagée).

Idée : la souveraineté ne se partage pas.
Les monarchomaques, à l’inverse, mettent en avant une dimension contractualiste dans l’exercice du pouvoir : le roi aurait reçu son pouvoir de quelqu’un d’autre [le peuple ?] que Dieu et il aurait donc des comptes à rendre.

⚠️ Ce ne sont pas que des conceptions d’intellectuels : la France est en pleine guerre civile quand Bodin écrit.
Quand Henri 4 meurt assassiné (1610), ces théories sont mises en pratique.

Les Six Livres de la République aura une influence majeure pour la pensée de l’État.
Il s’ouvre par une définition : la république est “le droit gouvernement de plusieurs ménages et ce qui leur est commun”.

La 1ère caractéristique de la souveraineté pour Bodin est qu’elle n’est pas divisible.
→ il ne peut y avoir qu’un seul détenteur du pouvoir souverain
Le régent n’est pas souverain / il n’est pas le détenteur de la souveraineté : il l’exerce uniquement par délégation.

Le 1er attribut du pouvoir souverain est de donner et casser la loi.
L’important ici : le pouvoir de casser la loi.
On n’est plus dans une perspective seulement déclarative : on prend en compte l’évolution du temps.

II – Un pouvoir absolu

A – La notion de pouvoir absolu

Formule du jurisconsulte Ulpien (antiquité) qui redevient populaire au début du 17e siècle : « Quod principi placuit legis habet vigorem” → “ce qui plaît au prince a force de loi”.

Jean de Blanot (13e siècle) : “le roi de France est empereur en son royaume”.

Cardin Lebret, 1532 : “la souveraineté n’est pas plus divisible que le point en géométrie”.

Loysel : “qui veut le roi, si veut la loi”.
Idée : la souveraineté est inséparable de l’État.

Le terme d’absolutisme apparaît sous les bourbons.
On a voulu opposer une monarchie tempérée / équilibrée d’une monarchie absolue.

Mais c’est plus un outil de propagande qu’un outil pour la recherche : le système politique féodal n’était pas moins absolu.
Il faut évacuer tout jugement de valeur : le pouvoir souverain est par nature nécessairement absolu.
Si l’on considère que nous vivons en démocratie, c’est-à-dire que le peuple est souverain, il est tout autant absolu que l’était le roi de l’Ancien Régime.

La proposition s’inverse : parce qu’il est légitime, le souverain est absolu.
Être soumis à la loi, c’est ne pas être soumis à un homme.

Au milieu du 17e siècle, la France est encore en guerre civile à cause des prétentions de puissants (princes, membres du parlement) de partager le pouvoir ou d’avoir un statut spécifique.
Une fois que la violence endémique est significativement réduite et que le sentiment de sécurité est généralisé, l’État protecteur apparaît de plus en plus comme oppresseur.

B – Un pouvoir sans contrôle mais pas sans limite

Le souverain ne reconnaît pas d’autre limite que celle qu’il se donne lui-même.

On parle d’État de droit quand l’État est soumis au droit.
Pour autant, l’État a le monopole du droit.
Être soumis au droit, ce n’est pas être soumis à une autorité extérieure qui vérifie l’application de ce droit (sinon, l’autorité extérieure devient le souverain).

Les contemporains distinguent le corporatisme + la tyrannie du despotisme + la monarchie.

Bodin distingue les régimes selon la façon d’exercer le pouvoir.
Pour lui, il existe 3 types de régimes monarchiques :

  1. La monarchie tyrannique / despotique : celle où le monarque se comporte en propriétaire des biens et des personnes.
    → le tyran ne respecte pas le droit naturel (la morale)
  1. La monarchie seigneuriale : le monarque se comporte en père de famille et agit pour le bien de ses sujets.
  1. La monarchie royale : “monarchie légitime” → conforme au droit.
    Le monarque respecte les personnes et les propriétés.

Louis 14 fait rédiger des mémoires pour l’instruction du dauphin.
Il donne des enseignements à son fils en s’inspirant des problèmes qu’il rencontre concrètement.
”Il est bien plus facile d’obéir à un supérieur que de se commander à soi-même, et quand on peut tout ce que l’on veut, il n’est pas aisé de ne vouloir que ce que l’on doit”.

Des obstacles considérables au pouvoir du roi (exemple : la lenteur des communications) font qu’il est impossible au pouvoir de dépasser une certaine efficacité.

On peut appliquer cette idée à notre démocratie, en considérant que dans notre démocratie le peuple est souverain → il est donc absolu.
Est-il possible d’imposer quelque chose à un peuple souverain ?
Est-il possible que, parce qu’un peuple souverain décide quelque chose, cette chose soit juste ?
par exemple : une majorité décide d’opprimer une minorité

Quelles limites concrètes au pouvoir absolu du monarque souverain ?
D’abord, les lois fondamentales (même si leur contenu n’est pas complètement fixé).

À la veille de la révolution, le parlement de Paris établit une liste de lois fondamentales.
Cette liste inclut la loi salique et la protection des officiers, mais ne fait pas mention de l’inaliénabilité du domaine.

La propriété privée est respectée par la loi.
L’impôt (= atteinte à la propriété privée) met longtemps à s’établir ; la fiction demeure qu’il reste exceptionnel.

Les privilèges ont une nature contractuelle. Le souverain ne les remet guère en cause.

Le roi décide seul.
Louis 14 conseille à son fils de décider contre l’avis de ses conseillers de temps en temps sur des choses de peu d’importance.
Mais en général, il s’appuie sur des conseils.
Beaucoup de procédures existent pour consulter les intéressés.

Les retenailles sont ce qui retient / ce qui empêche le roi de mal faire.

Le 1er de ces retenailles (= ce qui fait que la monarchie agit selon le bien commun) est la religion.
Idée : le roi vivant selon la religion chrétienne ne peut faire chose tyrannique.
L’Église fait partie des conseils privilégiés du roi.

C – L’exemple de la pratique de la justice : justice déléguée et justice retenue

La main du roi qui dispense la justice est tendue vers le ciel.
→ cette justice est la transcription d’une transcendance
→ l’exercice de la justice est ce qui rapproche le plus le roi de Dieu

On distingue 2 types de justice :

  1. La justice déléguée à des juges royaux ;
  1. La justice retenue (que le roi rend directement, en dehors des procédures normales).

Idée énoncée dès le 13ème siècle : le roi est source de toute justice.
”Toute justice émane du roi”

L’intervention du roi peut avoir lieu dans tout procès.
L’homicide doit automatiquement être sanctionné par la peine de mort.
Le roi peut rendre des lettres de grâce.

Le roi va pouvoir introduire dans un droit essentiellement coutumier des dispositions du droit romain.
Exemple : nullité pour lésion.

L’intervention du roi connaît des limites morales.
Exemple : Louis 14 se promène sur le chantier de Versailles ; un ouvrier est pris en flagrant délit de viol ; Louis 14 demande qu’on le mette à mort.
→ le roi peut faire mettre à mort quelqu’un qui présente un danger majeur

Section 4 : La monarchie de droit divin

Monarchie de droit divin → idée : toute puissance vient de Dieu.
Ce principe est énoncé dès les origines du christianisme.

Le roi de France est traditionnellement chrétien.
Depuis 1500 environ, la France est qualifiée par les papes de “fille aînée de l’Église”.

Dans les pays protestants, les princes ont pris la tête de l’Église.
→ plus de distinction entre le pouvoir séculaire et le pouvoir temporel
Idée : on n’a plus besoin de la tradition de l’Église ; l’individu seul peut se confronter aux textes saints.

Conséquence : le protestantisme renforce considérablement l’absolutisme, les souverains considérant que leurs points de vue s’imposent donc à leurs sujets.

La France ne va pas jusqu’au schisme ; elle reste catholique.
Elle reconnaît l’autorité du pape dans le domaine spirituel.
Mais tendance : restreindre au maximum l’étendue de ce domaine, de façon à donner au roi (qui domaine l’Église) le maximum de prérogative.
Église comme cadre de référence = laïcisme sacré.

Le Tiers État propose aux États généraux que l’on proclame comme loi fondamentale que le roi est roi de droit divin.
Idée : les États généraux décident en matière de lois fondamentales.

C’est Bossuet qui porte la construction intellectuelle du droit divin à son paroxysme.
La politique doit être tirée des propres paroles de l’écriture sainte.
Le roi de France est aussi “lieutenant de Dieu sur terre”.
Il dit à Louis 14 :

“Ô roi, vous êtes les dieux, encore que vous ne mourriez [= bien que vous soyez mortel], et votre autorité ne meurt pas”

Le roi, en tant que représentant de Dieu, tend à prendre de + en + de place, au détriment du pape.
Sous Louis 16, le haut clergé n’est recruté que dans la haute noblesse.

Le droit divin devient progressivement plus un handicap qu’un atout.
Les Lumières sont majoritairement anticléricaux, mais favorables à la monarchie, même absolue.
Leur idéal : despotisme éclairé = le roi doit être absolu, mais éclairé par les Lumières et non pas suivant l’obscurantisme religieux.

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