Chapitre 2 : L’Europe dans les ruines de l’empire

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Le fils de Pépin le Bref, Charlemagne, monte sur le trône en 768. Il tentera de donner à son royaume la forme de l’Empire romain.

Section 1 : Rénovation de l’empire et échec carolingien

Les débuts de la dynastie carolingienne sont marqués par une nouvelle phase d’expansion.
Il faudra à Charlemagne 33 ans d’expéditions militaires répétées pour venir à bout des saxons. Il fonde Hambourg, très au nord.

Charlemagne devient roi des Lombards et Rome devient l’une des capitales impériales avec Aix-la-Chapelle.

L’empire carolingien ne durera pas longtemps, mais ses structures subsistent. C’est la dernière fois qu’il y aura une unité politique de l’Occident.

I – L’idéologie impériale

A – Le titre impérial

Les carolingiens ont beaucoup insisté sur l’importance du sacre. Intérêt : ne pas paraître trop subordonnés aux puissants les ayant aidés.

Le monde chrétien est envisagé comme une république et l’empereur est un ministre au service de la république chrétienne.

Alors que le monde franc s’unit autour de Charlemagne, le monde byzantin est en crise : l’impératrice Irène a jeté son fils en prison et l’a aveuglé pour garder le pouvoir.

En l’an 800, Charlemagne est couronné par le pape à Rome lors de la messe de Noël.
→ le pape fait l’empereur ; il se place en position prééminente

Charlemagne couronnera pour lui succéder son fils, qui sera lui-même intronisé par le pape ensuite.
Il apparaît comme restaurateur de l’empire romain mais ne renonce à aucune prérogative de roi barbare.

B – La renaissance carolingienne : culture, économie, législation

  • Uniformisation des poids et des mesures
  • Réforme monétaire (livre, dernier) vers un système qui durera jusqu’à la Révolution française

La renaissance carolingienne est aussi intellectuelle. Un effort particulier est fait dans la formation des élites.
Charlemagne ne sait ni lire ni écrire, mais il comprend que les cadres de son empire doivent savoir écrire.
Il restaure le latin, ce qui provoque une séparation entre la langue écrite et la langue parlée.


En matière législative, d’importantes modifications ont également lieu.
Nouveau type de textes : les capitulaires. Ce sont de véritables lois, organisées en chapitres. Certaines complètent les lois barbares, d’autres sont autonomes.
Les capitulaires portent sur l’organisation du pouvoir, sur la fonction de l’Église et le maintien de l’ordre ; ils sont le fruit d’une négociation.

Les décisions du roi sont toujours présentées devant une assemblée appelée le plaid. Elle rassemble les puissants laïques et ecclésiastiques.
Quand le roi est fort, elle n’est qu’un lieu d’enregistrement. Quand le pouvoir royal est affaibli, les décisions font l’objet d’une négociation.

Dans le capitulaire de Quierzy sur Oise de 877, l’empereur Charles le Chauve prévoit que s’il décède, son fils sera connu comme roi. Pour s’assurer cette base, ils concède aux comtes qu’à leurs morts leurs fils les remplacent.
On fait souvent de ce capitulaire le point de départ de la tradition d’hérédité des fonctions chez les comtes, alors que ça n’est qu’une manifestation d’un phénomène lent.

II – L’organisation du pouvoir

A – L’administration centrale

La cour reste itinérante : le roi se déplace en fonction des nécessités militaires, mais aussi parce qu’il est plus facile de déplacer les consommateurs que les denrées.
Aix-la-Chapelle devient le centre permanent.

La fonction de maire du palais a disparu avec les mérovingiens. L’entourage du roi est désormais composé du comte du palais (a des attributions judiciaires et diplomatiques), du sénéchal (« le plus ancien des serviteurs » ; a des attributions administratives et militaires) et du connétable (a la charge de la cavalerie).
Il y a une confusion permanente entre le service du roi en tant que personne et le service du pouvoir.

L’importance des ecclésiastiques croît, puisqu’ils ont le monopole de l’écriture. L’archichapelain dirige la chapelle et représente le pape. Le chancelier fait l’interface entre l’empereur et les ecclésiastiques ; il devient responsable de l’écrit et a des attributions en matière de conservation des archives, de diplomatie, de législation et de justice.

B – Les assemblées et les grands

La tradition franque fait se rassembler les hommes libres au moment du départ à la guerre. La saison de la guerre commençant en mars, on appelle donc cette assemblée le Champ de mars.
Avec l’affaiblissement du pouvoir carolingien, ces réunions deviennent de plus en plus importantes.

843 : partage de l’empire entre les petits-fils de Charlemagne.
Charles le Chauve souscrit à un traité (foedus) à l’assemblée de Coulaines, dans lequel il s’engage à ne pas révoquer injustement les puissants laïcs et ecclésiastiques.
→ le roi est reconnu, mais sous conditions
→ il s’engage envers ses sujets
→ il ne tient plus tellement son pouvoir de l’hérédité ni de la légitimité religieuse, mais de son investiture par les puissants

Il sera sacré en 848.

De 877 à 987, il faudra l’accord des puissants pour devenir roi. La monarchie, qui était héréditaire, devient presque élective. Elle est affaiblie alors que les fonctions comtales se renforcent.

C – L’administration locale

Au début du 9ème siècle, l’empire est divisé en 600 à 700 comtés. La fonction de comte devient héréditaire sous Charlemagne.
Les comtes sont des fidèles de l’empereur ; ils reçoivent des cadeaux, des bienfaits, des bénéfices qui prennent la forme de terres (ils administrent les terres publiques du roi et sont rémunérés par ces mêmes terres publiques).
Ils rendent également la justice. Ils ont des subordonnés (vicaires, centeniers). À partir du 10ème siècle, la fonction de vice-comte apparaît.

L’empereur carolingien envoie à partir de 789 des missi dominici (envoyés du maître), qui sont des personnages puissants et importants. Ils contrôlent les hommes et les territoires. Ils sont envoyés par paires (1 laïc + 1 ecclésiastique) pour qu’ils se surveillent mutuellement.

Quand la nécessité militaire l’impose, on regroupe les comtés sous l’autorité d’un duc → duché.

Quand les vikings ravagent la côte (Neustrie), le roi carolingien accepte ceux qui se sont installés de force. En échange, leur chef devient duc de Normandie, et est investi par le roi.

D – L’organisation de la justice

La justice demeure centrée autour du tribunal franc (malberg/malum), présidé par le comte et qui rassemble les hommes libres.
Un grand effort de réorganisation est mené à l’époque de Charlemagne.

La réforme juridictionnelle carolingienne fixe le nombre de sessions pour lutter contre les abus.
Professionnalisation de la justice : le malum est réorganisé autour des échevins (scabini), qui sont des magistrats nommés à vie par les missi dominici. Ils disposent d’une certaine autonomie par rapport au comte.

Le tribunal ne peut pas se saisir soi-même : il faut qu’il y ait une plainte.
→ la justice demeure accusatoire

La procédure reste formaliste et repose sur une preuve par serment. « Témoins de moralité » : co-jureurs. Le duel judiciaire est généralisé sous Louis le Pieux.

Les sanctions sont essentiellement pécunières : on rachète le prix du sang. Une partie peut aller au roi (→ amende).
Il n’y a pas de droit de recours (appel) ; la seule possibilité est d’attaquer le comte pour déni de justice devant le tribunal du palais.

III – L’échec de l’Empire

A – Affaiblissement dynastique, éclatement territorial et nostalgie impériale

À l’intérieur de l’empire, le centre de gravité du pouvoir va graduellement se déplacer du central vers le local.

En 806, Charlemagne a 3 fils et envisage le partage de l’empire (comme sous les mérovingiens). Mais à sa mort en 814, il n’a plus qu’un seul fils survivant, Louis le Pieux.

En 817, Louis le Pieux prévoit sa succession dans le texte L’Ordonnancement du l’Empire. Il n’est plus prévu que tous les fils lui succèdent : seul l’aîné doit accéder au titre d’empereur.

En 822, Louis le Pieux a un nouveau fils : Charles le Chauve. Il revient donc en 823 sur l’idée de partage de l’ordre héréditaire.
→ provoque la colère de Lothaire (l’aîné de Louis le Pieux)
→ provoque une série de guerres internes
→ affaiblissement de la fonction impériale

En 840, Louis le Pieux meurt. Ses 3 fils encore en vie (Lothaire, Louis le Germanique et Charles le Chauve) continuent à s’affronter.
En 842, Louis et Charles font une alliance et imposent à Lothaire le partage de l’empire en 843.
Lothaire obtient une bande de territoire qui va de la mer du Nord à la moitié de l’Italie, avec les 2 capitales impériales Aix-la-Chapelle et Rome. Il conserve le titre impérial.
Louis le Germanique devient roi de la partie orientale (germanique) et Charles le Chauve devient roi de la partie occidentale.

Le monde franc apparaît comme une citadelle assiégée. Au sud, la pression musulmane demeure. Au nord, les raids vikings se multiplient.
→ l’insécurité se généralise
→ le pouvoir royal devient incertain
→ l’aristocratie devient plus puissante

Malgré les tentatives de la papauté et des évêques, la dynastie s’épuise.
En 911, le titre impérial disparaît.
L’expression « roi des Francs » ne concerne plus que la partie occidentale de l’empire.

En 962, une famille de Saxe ressuscite le titre impérial, qui va demeurer dans le monde germanique pendant près d’un millénaire (Saint-Empire romain germanique).
Volonté de ressusciter l’Empire carolingien, qui lui-même voulait ressusciter l’Empire romain. Mais leur influence ne s’exercera que dans le monde germanique et en Italie.
Le Saint-Empire romain germanique, sous la dynastie des Habsbourg à partir de 1452, durera jusqu’en 1806 (Napoléon).

B – Les Robertiens

Les Robertiens sont les descendants de Robert le Fort. C’est la famille en charge de la Neustrie depuis ~ le 7ème siècle.
En 886, son fils Eudes arrête les normands à Paris.
→ où est l’empereur ? pourquoi n’est-il plus en mesure de défendre Paris ?

Pour devenir roi à partir de 877, il faut l’accord des puissants. Si le pouvoir royal devient électif, il n’y a plus de raison de partager le royaume. Il n’y a plus de raison que seuls les carolingiens soient rois.
Sans avoir le titre de roi, les Robertiens accaparent peu à peu la réalité du pouvoir.
Ils deviennent « duc des Francs« , titre qui s’étend à l’ensemble du royaume et qui montre le dépassement du pouvoir central.

En 987, le Robertien Hugues Capet monte sur le trône. C’est le début de la dynastie des Capétiens.

Section 2 : L’effacement du pouvoir central et de la chose publique

I – La personnalisation des liens de pouvoir

A – La vassalité franque

L’aristocratie va s’élargir à une fraction des hommes libres, qui deviennent des professionnels de la guerre (→ noblesse). Les autres sont relégués. Apparition d’une distinction noblesse/roture.

Dans le milieu noble, les liens d’homme à homme se généralisent : « intuitu personae ».
Le lien vassalique a une force comparable à un lien de parenté. Il est d’autant plus fort qu’on descend socialement.
Le lien vassalique met en rapport 2 personnes dans une relation symétrique (réciprocité) mais inégalitaire. Il se concrétise par un serment de fidélité, qui se prête lors d’une cérémonie appelée la recommandation.

B – L’échec de la récupération

Les carolingiens vont essayer en vain de récupérer ces méchanismes.

Sous les Pippinides, à la suite d’évolutions techniques, il faut désormais des professionnels de la guerre qui s’entraînent et s’équipent, ce qui coûte cher.

Ces professionnels s’engagent envers des puissants en échange de quoi vivre.

Les Pippinides tentent d’en tirer profit : les guerriers doivent tous être des vassaux du roi. Les empereurs tentent de multiplier les serments de fidélité. En 802, un capitulaire dispose que chaque homme libre doit s’engager auprès du roi.

En 847, dans le capitulaire de Meerssen, Charles le Chauve demande à ce que tous les hommes libres entrent dans des réseaux de fidélité.

C – Du bénéfice au fief

Les liens personnels (« homme à homme ») se doublent de relations matérielles.
Le bénéfice est un cadeau, une récompense donné par le seigneur au vassal. Il n’a pas de caractère obligatoire, c’est une gratification. C’est aussi un moyen de donner au vassal de quoi s’équiper et de quoi vivre pour être disponible.
Le lien matériel reste périphérique : quand le lien disparaît, le bénéfice revient au seigneur.

Aux 10e-11e siècles, un nouveau mot apparaît : le fief. Il signifie « cadeau qui oblige« .
→ changement de conception : on devient fidèle pour recevoir

Les bénéfices peuvent être rétrocédés en précaire (→ révocable) : le vassal reconnaît qu’il dispose d’un bien qu’il tient d’un puissant. Le vassal va prier le seigneur de l’accepter et de le protéger.

Il est possible que ces mécanismes de fidélité et de bénéfice aient permis au roi de déléguer le pouvoir. Les vassaux directs du roi sont des agents du roi.

II – Atomisation des cadres du pouvoir

L’économie se replie encore plus, ce qui s’accompagne d’un émiettement du pouvoir.

Les seigneuries laïques sont structurées sur la base des domaines ecclésiastiques qui jouissent généralement d’immunité : les agents du roi (les comtes) n’y rentrent pas.

À la fin de la période carolingienne, les seigneuries peuvent finir par représenter des territoires très étroits : une fortification et quelques terres aux alentours.
Le Capitulaire de Pitres (864, Charles le Chauve) interdit de créer des châteaux sans l’autorisation du roi.

À mesure que le pouvoir royal devient électif, le pouvoir central diminue au profit des pouvoirs locaux.

La violence se généralise. Pour être protégés, les citoyens vont devoir payer. Les soldats professionnels génèrent la violence et protègent de la violence.

III – La mutation de l’an mil ?

Une rupture marque la fin de la période carolingienne : la dislocation de l’autorité publique au 10ème siècle provoquerait une « mutation féodale » qui toucherait les modes de production (passage de l’esclavagisme au féodalisme).

La multiplication des seigneuries féodales entraînent un encadrement beaucoup plus étroit des populations rurales, concentrées en village.
Prédation féodale : l’élite guerrière entretient un état de violence endémique qui justifie sa propre existence.
Le seigneur protège sa population en échange d’avantages. Généralisation du servage.

Les contradicteurs affirment que les structures carolingiennes subsisteront jusqu’au 12ème siècle (jusqu’à l’amorce de la formation de l’État), et que ce ne sont pas tellement les choses qui changent mais le vocabulaire (parce que les monastères deviennent les centres intellectuels).
La notion même de féodalité est contestée.

Il y a donc 2 thèses qui s’affrontent :
→ rupture brusque
→ lente transformation des cadres carolingiens

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