Chapitre 1 : Institutions juridictionnelles et séparation des pouvoirs

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La séparation des pouvoirs est un principe fondamental d’organisation de l’État.
Prend son origine dans les courants de pensée du 18e siècle.
Théorisée par Locke et Montesquieu pour lutter contre l’absolutisme.
Idées consacrées à la Révolution (dans la DDHC notamment).

Article 16 de la DDHC :

Toute Société dans laquelle […] la séparation des Pouvoirs [n’est pas] déterminée n’a point de Constitution.

La DDHC a la même valeur que la Constitution.
Le principe de séparation des pouvoirs a donc la même valeur que la Constitution.

Il trouve cependant application dans des lois.
La loi des 16 et 24 août 1790 distingue les 3 pouvoirs : judiciaire, exécutif, législatif.
(à l’époque, expression d’une méfiance envers le pouvoir juridique)

Idée : pas une séparation étanche/absolue, mais plutôt un équilibre entre les pouvoirs.

Section 1 : La justice et le pouvoir législatif

Au 19ème siècle : méfiance à l’égard du juge.
Il est chargé uniquement d’appliquer la loi (il est « la bouche de la loi » → Montesquieu).
Une hiérarchie est donc établie : le rôle le plus noble serait celui du législateur, et ensuite le rôle du juge qui ne serait que d’appliquer.
Parce que dans la pensée révolutionnaire, le législateur = l’émanation du peuple souverain = est tout puissant.

§ 1. La non immixtion du juge dans l’exercice du pouvoir législatif

A – L’interdiction des immixtions négatives

Les juges ne peuvent pas s’opposer à l’application d’une loi → ça serait une immixtion dans la fonction législative.
Si une loi est en vigueur, le juge est obligé de l’appliquer.

Un tribunal étatique n’a pas le droit de statuer en équité.

Et si une loi est contraire à la Constitution ?
Le juge ne peut de son propre chef écarter une loi même contraire à la Constitution, car s’il le fait il se pose en contrôle de la Constitution.
Or seul le Conseil constitutionnel peut vérifier la conformité des lois à la Constitution.
Le juge ordinaire ne peut que transmettre une QPC.

Et si une loi est contraire à un traité international ?
Un juge peut écarter la loi lorsqu’elle lui paraît contraire à un traité international signé et ratifié par la France.
→ Il peut contrôler la loi au regard de ce traité.
Contrôle de conventionnalité rendu possible par l’article 55 de la Constitution qui pose le principe de la supériorité du traité sur la loi

Situation assez fréquente, notamment avec le droit de l’UE.
La CJUE affirme que le droit de l’UE doit primer sur le droit national.
→ Le juge judiciaire et le juge administratif se réservent le droit d’écarter la loi interne contraire au droit de l’UE.

B – L’interdiction des immixtions positives

Le juge ne peut pas créer une loi (il ne peut pas entrer dans la compétence du législateur).
L’article 5 du Code civil prohibe les arrêts de règlements.

Article 1355 du Code civil : la décision de justice a seulement autorité entre les parties au procès et dans le litige donné.
On ne revient pas sur un jugement, la décision s’impose aux parties.
Mais la solution apportée par le juge ne s’applique pas à un autre litige, même identique.

En France, le juge n’est pas lié par la règle du précédent : ce n’est pas parce qu’un juge a donné une solution dans un procès qu’il va donner la même dans un autre procès identique.
Un revirement de jurisprudence est donc toujours possible.

Le rôle du juge n’est tout de même pas négligeable. Il est souvent capital dans l’élaboration des normes.
En effet, la loi ne peut pas tout prévoir, et le juge ne peut pas refuser de statuer.
Le juge est donc amené à interpréter la loi en raisonnant par analogie, à contrario, etc.
Exemple : en matière de responsabilité civile, le Code civil de 1804 ne pouvait pas prévoir les accidents actuels. Le droit de la responsabilité est devenu au 20e siècle un droit jurisprudentiel.

§ 2. La non immixtion du législateur dans la fonction de juger

Le Parlement ne peut pas s’immiscer dans une affaire.
Une fois qu’une affaire est portée devant les juridictions, le droit applicable ne peut pas être modifié (sauf lois rétroactives).
→ La loi ne s’applique pas à des situations antérieures à son entrée en vigueur.

Ce principe est constitutionnel en matière de droit pénal.

En droit civil, il est fondé sur l’article 2 du Code civil.
Il a donc valeur de loi.
→ On peut donc y déroger par une autre loi.

Plusieurs situations existent :

  • Loi expressément rétroactive
    Arrêt de la Cour de cassation en assemblée plénière du 23 janvier 2004 : ça n’est pas possible, sauf en cas de « motif impérieux d’intérêt général« .
    Décision fondée sur l’article 6 de la CEDH.
  • Loi interprétative
    Clarifie une loi antérieure : est par définition rétroactive.
  • Loi de validation
    Valide une situation auparavant irrégulière.
    Pratique parfois utile mais discutable lorsqu’elle intervient en cours de procès et influe sur l’issue du litige.
    28 octobre 1999 : la France est condamnée par la CEDH. Arrêt : le Parlement ne peut pas voter de loi de validation pour influer sur l’issue d’un litige sauf motif impérieux d’intérêt général.

Section 2 : La justice et le pouvoir exécutif

§ 1. La non immixtion du juge dans l’exercice du pouvoir exécutif

La loi des 16 et 24 août 1790 pose la séparation des pouvoirs.
Elle interdit au juge d’intervenir dans l’administration.
→ Le juge judiciaire ne peut pas contrôler l’administration.

Mais l’administration ne peut pas rester sans contrôle.
Les administrés ne peuvent pas rester sans recours.
Au départ, on doit exercer un recours auprès du supérieur hiérarchique de celui qui a pris la décision contestée.
Théorie du ministre juge, appliquée au 19e siècle.

Problème : le ministre fait partie de l’administration. Il est donc à la fois juge et partie.

Mais le Conseil d’État s’est vite organisé comme une véritable juridiction.
Les ministres ont vite suivi de façon systématique l’avis du Conseil d’État.
Loi du 24 mai 1872 : reconnaît une autorité souveraine aux décisions du Conseil d’État.
→ Développement du droit administratif.

Le juge a souvent montré beaucoup de retenue à l’égard de l’administration.
À la fin du 19e siècle, il s’est interdit de donner des injonctions à l’administration (ne pouvait pas prendre d’actes administratifs à la place de l’administration).
Exemple : ouvrage public, édifié de façon illégale. Le juge ne peut pas ordonner la destruction de l’ouvrage.

Cette timidité avait des conséquences négatives.
Exemple : si l’administration a construit illégalement des bâtiments sur mon terrain, le juge ne pouvait pas lui ordonner de les détruire.

Aujourd’hui, la situation a évolué.
Loi du 8 février 1995, le juge administratif peut ordonner à l’administration d’exécuter une décision de justice, même sous astreinte.
Loi du 30 juin 2000 : sur les référés administratifs, le juge peut ordonner la suspension d’un acte administratif + le juge peut ordonner toute mesure nécessaire en cas d’urgence et sous certaines conditions notamment quant à l’illégalité de l’acte.

Aujourd’hui, il existe une dualité d’ordre de juridiction : l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.

Parfois, on ne sait pas trop quel ordre est compétent.
Le Tribunal des conflits est chargé des conflits de compétence entre le juge judiciaire et le juge administratif.
1. Les conflits positifs : le juge judiciaire et le juge administratif s’estiment tous deux compétents.
2. Les conflits négatifs : aucun des juges ne s’estime compétent (→ risque de déni de justice).
Le Tribunal des conflits désigne le juge compétent.
→ Assure l’articulation entre les 2 ordres de juridiction.

Les 2 ordres peuvent être amenés à statuer sur des problématiques semblables voir identiques.
Parfois, les solutions rendues sont contraires/incompatibles.

§ 2. La non immixtion du pouvoir exécutif dans la fonction de juger

L’article 64 de la Constitution prévoit le principe de non immixtion : les gouvernements ne peuvent pas donner d’ordres aux magistrats, ni exercer de pressions.

Il existe néanmoins certaines limites à ce principe :

  • Le pouvoir d’interprétation du juge : le juge peut recourir à des réponses ministérielles (données lors des séances de questions au gouvernement au Parlement ; elles portent souvent sur l’interprétation donnée à telle ou telle loi).
    L’opinion du ministre n’a pas de valeur normative et ne s’impose pas au juge, mais a tendance à influencer le juge.
  • Les circulaires administratives : des textes qui ont pour objet de donner des explications ou des instructions de la part d’un chef de service à son personnel.
    Elles n’ont pas de valeur contraignante.
    Elles ne peuvent pas se substituer à une loi ou un règlement (si une circulaire est contraire à une loi ou un règlement, elle est illégale).
    Par la circulaire, le ministre fait savoir comment il convient d’interpréter une loi. Le juge n’est pas tenu d’appliquer la circulaire, mais il peut être influencé par elle.
  • Certains magistrats sont des fonctionnaires nommés par l’État, ce qui pose un problème concernant l’indépendance du juge (garantie par l’article 64 de la Constitution et l’article 6 de la CEDH).
    • Pour les magistrats de l’ordre judiciaire, c’est un sujet sensible, car c’est l’ordre judiciaire qui permet aux membres de l’exécutif de répondre de leurs actes devant la justice. Ils doivent pouvoir être jugés par un tribunal indépendant, mais l’on craint un gouvernement des juges.
      Ici, il faut faire la distinction entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet. Ils sont liés car ce sont des magistrats recrutés par les mêmes voies.
      Les magistrats du siège siègent dans la salle d’audience, rendent la justice, tranchent les litiges.
      Les
      magistrats du parquet (ceux qui se tiennent debout) veillent à la bonne application de la loi → défendent les intérêts de la société.

      Garanties d’indépendance :

       

      • Les magistrats du siège bénéficient de l’indépendance : ce sont des magistrats professionnels qui sont inamovibles.
        En matière d’avancement, des organismes consultatifs (CSM) interviennent pour garantir leur indépendance.
      • Les magistrats du parquet sont des agents auprès des tribunaux. Ils sont sous le contrôle d’une hiérarchie, avec au sommet le garde des Sceaux.
        Le garde des Sceaux peut donner des instructions dans certaines matières, comme l’ordre de poursuivre certaines personnes.
        Loi du 25 juillet 2013 : fin de la possibilité d’instruction individuelle du garde des Sceaux. Ses instructions ne peuvent désormais plus qu’être générales.
      • Le parquet (= le ministère public) maîtrise les poursuites pénales.
        Il décide de poursuivre les auteurs d’infraction et des les renvoyer vers le tribunal.
        Le lien entre le parquet et le garde des Sceaux est contrôlé :
        Arrêt 10 juillet 2008 Medvedyev v France : les membres du parquet ne sont pas considérés comme des juges par la CEDH.
      • Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est l’organe garant de l’indépendance du juge judiciaire à l’égard de l’exécutif.
        Il est lui-même indépendant.
        Son rôle : faire écran entre l’exécutif et les magistrats.
        → mobilité des magistrats
        → discipline des magistrats
        → promotion des magistrats
        A son mot à dire dans les décisions les + importantes de l’évolution des magistrats.
        Avant 2008, le PR était le président du CSM. Aujourd’hui, c’est le président de la Cour de cassation.
    • Les magistrats de l’ordre administratif n’ont eu pendant longtemps aucune garantie d’inamovibilité, ni aucun organe comparable au CSM.
      Le lien entre le juge administratif et l’administration le rend susceptible de pression.
      Loi du 6 janvier 1986 : donne à certains juges administratifs (tribunaux administratifs + cours administratives d’appel) un statut protecteur : inamovibilité, transparence dans l’avancement + organe chargé de veiller à l’indépendance des magistrats (équivalent CSM) : le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel.
      Le Conseil d’État n’en bénéficie pas, parce que l’on considère que les conseillers d’État bénéficient déjà de ce statut protecteur grâce aux coutumes et au prestige du Conseil d’État.

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