Chapitre 2 : La protection de l’intégrité morale

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Dès le milieu du 19e siècle, on peut trouver des traces de cette volonté de protéger par le droit la personnalité d’une personne et le respect de sa vie privée.

Au début, l’actuel article 1240 du Code civil (qui établit la responsabilité civile, par la faute) est l’instrument juridique utilisé pour permettre la protection de l’intégrité morale de la personne.
Les tribunaux arrivaient à établir qu’il y avait une faute qui cause un dommage à une personne, et donc une obligation de réparation.

À partir des années 1970, l’article 9 du Code civil consacre la règle :

Chacun a droit au respect de sa vie privée.

On passe d’une règle générale qui ne vient sanctionner qu’un comportement fautif à l’article 9 qui parle d’un droit.
On reconnaît un droit subjectif (= une prérogative conférée par le droit à une personne).
→ Je ne suis plus contraint de trouver la faute qui occasionne un dommage.

De plus, avec la responsabilité civile, le droit ne permet que de sanctionner.
S’il y a un droit, question : peut-on contractualiser ce droit subjectif ?

L’article 711-4 du Code de la propriété intellectuelle porte sur le droit des marques : dispose que je peux choisir comme marque un signe à condition que ce signe soit libre (= disponible), et que je ne peux pas prendre comme signe ce qui porterait atteinte aux droits de la personnalité d’un tiers.
→ Décompose le droit de la personnalité en envisageant le droit au nom et le droit à l’image (droit patrimonial sur mon nom / mon pseudonyme / mon image).

Droits de la personnalité : droits qui permettent d’identifier une personne sur la base de ce qu’elle est vraiment.
≠ état civil

L’article 8 de la CEDH dispose que :

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale.

Il est doté d’une importance supérieure à l’article 9 du Code civil.

Section 1 : Régime des droits de la personnalité

§ 1. Caractère des droits de la personnalité

Traditionnellement, on dit que les droits de la personnalité sont extra-patrimoniaux et indisponibles : par principe, ils ne peuvent pas faire l’objet d’une contractualisation ni d’une monétarisation.
En Europe, il n’y aurait qu’un volet négatif.
Aux États-Unis, il existe le droit à la vie privée et le droit à la publicité : il y est donc possible de patrimonialiser son nom et son image.

a) Indisponible

En France, le principe est la non-patrimonialité.
Ce principe fait l’objet d’exceptions importantes : les contrats de cession et de licence sur l’image et le nom sont courants.
Les arrêts de cour d’appel envisagent de plus en plus une possible contractualisation, ou mettent en place des règles d’interprétation de ces contrats.
→ si le droit interprète ces contrats, il en reconnaît implicitement la validité

Une série d’arrêts de la Cour de cassation reconnaissent implicitement cette patrimonialisation des éléments des droits de la personnalité :

  • L’arrêt Bordas (1985) : la Cour de cassation dit que le principe d’indisponibilité ne s’applique pas à la conclusion d’un accord portant sur l’utilisation de ce nom comme dénomination sociale ou nom commercial.
    pour les détails sur l’affaire Bordas, voir Chapitre 1 : L’identification des personnes humaines
  • L’arrêt Ducas (2006) : la Cour de cassation envisage le terme de « droits patrimoniaux ».
    Il y a un contrat qui permet l’utilisation de ce nom comme dénomination sociale.
    Question : utilisation du nom comme marque.
    Dans cet arrêt, la Cour de cassation dit qu’en l’espèce la société ne peut pas déposer le nom comme marque parce qu’il n’est pas inclus dans le contrat.
  • Arrêt de 2011 sur un reportage TV sur la BAC de Nice.
    Les policiers ont accepté d’être filmés et que leur image soit diffusée sans floutage (contrat qui porte sur l’image).
    Le reportage a diffusé le nom et le grade des policiers.
    Cour de cassation : l’accord donné pour la diffusion de son image ne peut pas être élargi à la diffusion du nom et du grade.
    → la Cour de cassation limite au maximum le champ de l’autorisation

Ces arrêts (Ducas et reportage TV) prennent implicitement comme point d’analyse des contrats portant sur l’image et le nom.
→ le droit ne s’oppose pas frontalement au principe de la contractualisation des éléments de la personnalité, mais il l’encadre

💡
La dénomination sociale est le nom de l’entreprise ; elle ne donne pas le droit d’interdire à une autre personne d’utiliser le même nom.
Une marque permet de se réserver l’usage d’un signe pour distinguer un produit d’un autre produit.

b) Imprescriptible

L’imprescriptibilité est le fait qu’un droit ne puisse pas être perdu par le non-usage.

Prescriptibilité active : fait d’acquérir par l’usage.
Si une société s’approprie mon nom, ce n’est pas parce que je n’ai pas agi contre celle-ci que je perds le droit, et ce n’est pas parce qu’une personne se prévaut de mon nom qu’elle va l’acquérir.
→ le temps n’a pas d’effets sur les droits de la personnalité

Ce que le temps me fait perdre, c’est la possibilité d’agir contre la personne qui a porté atteinte à mon droit de la personnalité (après 5 ans).
L’article 2224 du Code civil donne 5 ans pour agir pour faire cesser cette atteinte en particulier.

c) Personnel

Les droits de la personnalité sont des droits fondamentaux, donc ils sont conférés aux personnes humaines.
Ils ont pour particularité de s’éteindre au décès de la personne.
→ Les personnes ne peuvent pas agir pour défendre la vie privée d’un mort.

Il y a des contrats portant sur le nom et l’image des personnes → ces contrats prennent fin à la mort de ces personnes.

Néanmoins, la famille du défunt pourrait agir en justice pour des images du défunt, au motif d’une atteinte à la dignité humaine.
Voir jurisprudence : Recours de « Paris Match » dans l’affaire Erignac (lemonde.fr)

Au-delà de ce motif de la dignité humaine, on peut imaginer que les enfants et la famille subissent une atteinte.
Exemple : affaire de 2010 dans laquelle les images d’un garçon torturé sont diffusées → considéré comme une atteinte à la vie privée des proches.

La Cour de cassation affirme en 2016 que seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d’une atteinte à la vie privée dans le sens de l’article 9.
Pour les personnes morales, des textes spéciaux confèrent des prérogatives plus ou moins équivalentes à celles des personnes morales.

Exemple : le secret des affaires est garanti par l’article L151-1 du Code de commerce.
Un secret des affaires, c’est une information qui n’est pas connue des personnes du secteur et qui revêt une valeur commerciale (ex : recette du Coca-Cola).
Il faut que la société protège ce secret par des mesures raisonnables.

§ 2. Sanction des droits de la personnalité

Il existe des sanctions pénales et civiles.

Pour qu’il y ait sanction, il faut qu’il y ait une atteinte à son droit.
Pour cela, il faut une identification objective : il ne suffit pas qu’elle se reconnaisse, il faut qu’on la reconnaisse.

a) Sanctions civiles

Au civil, on peut demander qu’une image soit retirée d’une publication.
On peut également demander des dommages et intérêts.

b) Sanctions pénales

Au pénal, nous sommes liés par le principe de l’interprétation restrictive (= on ne peut pas faire produire un effet extensif à un texte de droit pénal).

L’article 226 du Code pénal prohibe certaines pratiques.
De nouvelles pratiques sont progressivement ajoutées à la législation sous l’impulsion des nouvelles technologies.
Exemple : revenge porn, happy slapping, usurpation d’identité, etc.

Section 2 : Contenu des droits de la personnalité

§ 1. Le noyau dur des droits de la personnalité

a) Le droit à la protection de la vie privée

Le droit à la protection de la vie privée est le point d’entrée des droits de la personnalité.
Il porte sur la sexualité, sur la vie familiale, sur la santé.

La Cour de cassation dit que la déclaration du patrimoine d’une personne ne constitue pas une atteinte à la vie privée.
La CEDH retient la même solution.
On peut être sceptique de cette solution :

  1. En droit français, on considère que le patrimoine est l’émanation de la personnalité.
  2. Certains considèrent qu’au travers de la connaissance du patrimoine, il y a révélation indirecte de la vie privée de la personne.

La protection de la vie privée commence d’abord au domicile.
On considère que la voiture est une extension du domicile.

Depuis 2002, la Cour de cassation dit qu’il y a une vie privée au travail, et que la correspondance est protégée au titre de la vie privée.

Peut-on avoir une vie privée dans l’espace public ?
Oui – le fait que la personne soit dans l’espace public n’autorise pas à diffuser des photos d’elle.

Parfois, certains éléments de la vie privée ne sont plus privée :
> parce que les personnes se mettent en scène dans des magazines
> parce que la personne est liée à une affaire juridique qui a été relatée
Si cela a été révélé, cela devient public et à partir de là la personne n’a plus de maîtrise sur ces éléments.

Y a-t-il un droit à l’oubli ?
Question qui s’est posée quand une femme frappée d’indignité nationale, ce qui a été relaté dans la presse locale ; ces éléments révélés ne font plus partie de sa vie privée.
Réponse de la cour : elle ne peut se prévaloir d’un droit à l’oubli. Les faits sont librement utilisables sans limite de temps.

Les personnes connues bénéficient aussi du respect de la vie privée, comme confirmé par la CEDH.
Cette protection n’a pas la même intensité pour les personnes connues, parce que si la personne met en scène des éléments de sa vie privée, ils ne sont plus privés.

b) Le droit à la protection de l’image

Aujourd’hui, la jurisprudence est claire : le droit à l’image est autonome du droit à la vie privée.
Cela veut dire que :

  1. Lorsqu’il y a une publication de moi qui viole mon droit à l’image et mon droit à la vie privée, j’ai droit à une double réparation.
  2. Certaines publications constituent une violation du droit à l’image sans constituer une violation du droit à la vie privée.
    Intérêt : je peux monnayer le droit à l’image.

c) Le droit à la protection du nom

Le droit au nom se fonde dans le Code de la propriété intellectuelle.
L’article L711-4 dit qu’on ne peut pas déposer un signe comme marque si cela porterait atteinte à un nom patronymique → le nom est protégé.

Mais en réalité tous les noms ne sont pas protégés.
Les noms notoires (qui sont connus) sont plus fortement protégés que les noms banals.
La protection du nom peut aussi s’étendre au pseudonyme ; ex : Johnny Halliday a son pseudonyme protégé comme un nom.

§ 2. La périphérie des droits de la personnalité

a) Le droit moral de l’auteur

Le droit d’auteur est le 1er élément périphérique.
C’est un droit de propriété intellectuelle qui vient protéger une œuvre parce que celle-ci est dite « originale » (elle exprime la personnalité de l’auteur).
Le droit français protège une œuvre quand elle est le reflet de la personnalité de l’auteur.

L’œuvre doit bénéficier d’un régime de protection particulier.
Une protection double est mise en place par le droit :
> les droits patrimoniaux
> les droits moraux (contredisent parfois les droits patrimoniaux)

On dit que ces droits sont inaliénables : le droit moral est perpétuel.
Exemple : en 2001, un éditeur fait écrire la suite des Misérables. L’héritier de Victor Hugo attaque l’éditeur en violation de son droit moral.
Le droit moral est fait de 3 prérogatives :

  • Le droit de divulgation : personne ne peut me contraindre à vendre ou publier mon œuvre ; elle sera publiée comme je le souhaite ; je décide de quelle sera la version achevée.
  • Le droit au respect : mon œuvre ne peut pas être modifiée sans mon autorisation (car l’œuvre est mon prolongement).
  • Parfois, l’atteinte au droit moral se fait sans que l’œuvre ne soit modifiée ; on parle d’atteinte conceptuelle (exemple : musique pour enfant sur une scène violente).

En 1993, la Cour de cassation affirme que le droit moral n’est pas un droit de la personnalité classique car ce qui est protégé, ce n’est pas la personnalité de l’auteur, mais sa personnalité exprimée dans l’œuvre.

Ce droit est étranger à la défense des autres droits de la personnalité, ce qui signifie implicitement que le droit moral est un droit de la personnalité.

b) La protection des données personnelles

Le RGPD : « rempart nécessaire contre le risque d’une société d’exposition ».

Section 3 : Les conflits de droit

§ 1. La recherche de la proportionnalité

Exemple de conflit de droit de la personnalité : liberté d’expression vs liberté de création (par exemple pour un biopic).

Exemple : un procès se tient pour savoir si un professeur de droit a tué sa femme.
La Cour de cassation dit qu’il n’y avait pas besoin de l’autorisation des protagonistes pour faire un film sur cette affaire, puisque tous les éléments sont publicisés / à la portée de tous.

§ 2. La limite de la dignité

Mais une question juridique subsiste : dans un tel film, on rajoute des éléments de fiction qui risquent de porter atteinte à la vie privée de la personne en question.
Exemple : L’enfant d’octobre, livre sur l’affaire Grégory. L’écrivain imagine des monologues de la mère de Grégory et lui fait dire « je l’ai tué ».
Même si c’est clairement de la fiction, les juges ont considéré que ça n’était pas acceptable.

Peut-on justifier ce risque en se fondant sur la liberté de création ?
Position des juges : il faut reconnaître qu’il y a une atteinte, mais qu’elle est justifiée, notamment en lien avec l’autofiction.
Risque : que les autres personnages se reconnaissent. Le tribunal dit que la liberté de création justifie cette atteinte dans une logique de proportionnalité.

Exception : la publication ne peut pas être contraire à la dignité de la personne.

 

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