Chapitre 1 : La protection de l’intégrité physique

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Section 1 : La protection du corps humain

La protection de la personne est un élément caractéristique du droit contemporain que l’on situe après la Seconde Guerre mondiale. Ce que l’on protège, c’est l’intégrité morale et physique de la personne.

Intégrité physique : ce qui est protégé, c’est la personne physique (≠ personne juridique) en son humanité et sa dignité.

Une loi de 1994 consacre la protection de la personne humaine incarnée en son corps.
Le principe de dignité (la personne n’est jamais un moyen, elle est une fin) peut parfois justifier de protéger une personne contre elle-même.

§ 1. Pendant la vie

a) Le principe d’inviolabilité

Le principe d’inviolabilité est établi par l’article 16-1 du Code civil :

Chacun a droit au respect de son corps.

Le corps humain est inviolable.

C’est en raison de ce principe qu’il est interdit en droit pénal de porter atteinte à l’intégrité corporelle d’une personne.

On peut aussi relier ce principe aux articles 2 et 3 de la CEDH (droit à la vie + interdiction de la torture).

Idée : le corps est un sanctuaire protégé et personne ne peut porter atteinte à son intégrité.


Mais dans certains cas, il faut porter atteinte à l’intégrité du corps humain.
Exemple : l’article 16-3 du Code civil :
« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. » (ex : donner un rein)
« Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement [sauf si ce n’est pas possible] »
.

Parfois, on passe outre ce consentement.
Exemple : obligation vaccinale (article L3111-2 du Code de la santé publique).
(en réalité, on peut ne pas se faire vacciner si l’on sort de la sphère sociale)
On s’est posé la question de savoir si c’est une atteinte à l’inviolabilité du corps humain.
2011 : le Conseil d’État juge que ces dispositions portent une atteinte limitée et proportionnée à l’objectif de santé publique. La CEDH est d’accord.

La loi française a aussi pour certains personnels médicaux imposé une obligation vaccinale. Le Conseil constitutionnel a jugé qu’il y avait une justification par une valeur constitutionnelle de protection de la santé → pas d’atteinte aux valeurs constitutionnelles.


Dans un arrêt du 19 mars 1997, la Cour de cassation met en place une obligation de se soigner.
Dans un accident de la circulation, une victime subit un dommage.
L’article 1240 du Code civil dispose que « celui qui cause un dommage doit le réparer ».
→ le responsable de l’accident a donc légalement une obligation de réparation.
Or la victime a refusé de subir un traitement chirurgical qui aurait pu limiter le dommage qu’elle a subi.
Question : l’auteur doit-il réparer le dommage résultant du choix de la victime de ne pas subir l’intervention ?
Solution de la cour d’appel : le dommage réparable est celui qui aurait été causé si la victime avait fait l’opération → validée par la Cour de cassation.
Pourtant, l’article 16-3 du Code civil exclut la contrainte de subir une opération médicale.

Refus de soin :
Principe : toute personne a le droit de refuser de recevoir un traitement.
Le consentement est primordial
mais, pour des raisons de santé publique, on peut passer outre.

En 2002, le Conseil d’État traite l’affaire suivante :

Une personne hospitalisée, un Témoin de Jéhovah, refuse l’administration de toute produit sanguin ; or les médecins considèrent nécessaire une transfusion sanguine.

Le Juge des référés doit répondre à la question suivante : les médecins peuvent-ils, contre la volonté clairement exprimée du patient, pratiquer cette transfusion sanguine pour le sauver ?
Ordonnance du 9 août 2002 : l’injection ne peut pas être pratiquée, sauf si la patiente est dans une situation extrême (si son pronostic vital est en jeu).

Le Conseil d’État approuve cette solution : dit qu’on peut passer outre le refus du patient :
1- si le médecin a tout mis en œuvre pour convaincre le patient ; et
2- si l’acte est indispensable à la survie du patient.

Si les 2 conditions sont réunies : on peut avoir recours aux soins en bafouant le consentement du patient.

→ Le consentement ne fait pas tout : dans certains cas, une personne peut être dépossédée de son consentement qui ne la protège pas.
→ La volonté ne fait pas tout.

b) Le principe de non-patrimonialité

Il ne faut pas confondre non-patrimonialité et indisponibilité.
Non-patrimonialité : chose pouvant faire l’objet d’un contrat ; pas totalement indisponible ; acceptation des contrats à titre gratuit.
Indisponibilité : le fait de mettre certaines choses hors de toute transaction ; chose qui ne peut pas être l’objet de toute contractualisation, même à titre gratuit (don).

Il faut distinguer le corps comme un tout des éléments séparables du corps.
Le corps comme un tout : ne peut pas être contractualisé (sauf logique d’esclavage).
→ la personne ne peut pas s’approprier son corps
→ indisponibilité
Les éléments séparables du corps : on peut envisager une contractualisation pour tout ce qui est séparable (cheveux, sang, …).
C’est un choix politique ; tout système décide si une contractualisation est autorisée, et si elle peut être monétarisée.

Position du droit sur la question :

En 1991, la Cour de cassation affirme que la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et porter un enfant pour l’abandonner à la naissance contrevient au principe d’indisponibilité du corps humain.
→ interdit toute convention, même à titre gratuit

La loi bioéthique de 1994 dispose que seule la patrimonialisation du corps humain ou de ses éléments est interdite.

L’article 16-5 du Code civil nous montre que le droit n’exclut pas toute convention, mais uniquement celles avec une valeur patrimoniale.
≠ Cour de cassation 1991, qui interdisait les conventions même à titre gratuit

Le droit distingue aussi le corps humain de ses éléments.
Le don de ses éléments est autorisé, mais pas la vente.

§ 2. Avant et après la vie

💡
Rappel : le corps, lorsqu’il n’est plus habité par la personne, reste un objet particulier qui « doit être traité avec respect, dignité et décence » (article 16-1-1 du Code civil).
S’applique aussi aux cendres.

L’embryon n’est pas une chose, mais une personne en devenir (personne potentielle).

Aujourd’hui, il y a un antagonisme fort entre la valeur de protection du corps humain et la nécessité pour la personne de pouvoir disposer de son corps quand elle le souhaite.

a) La cession d’éléments du corps humain

Le Code de santé publique envisage une « cession » et une utilisation du corps humain.
Mais quelques articles plus loin, explique qu’aucun paiement n’est possible pour un prélèvement / une collecte.
→ donc nécessairement gratuit : le donneur n’est jamais rémunéré

Pourtant, des articles prévoient un prix de vente ; par exemple : le lait humain coûte 80€/litre et les hôpitaux paient ce lait.
En réalité, ce qui est rémunéré, c’est le travail que nécessite la conservation de ces produits du corps humain.

b) Vers la brevetabilité d’éléments du corps humain

À l’époque du séquençage génétique, la question de la brevatabilité se pose.
→ Le brevet ne permet pas une appropriation du corps humain.

Un brevet est une solution technique à un problème technique.
Il peut se construire sur des éléments naturels, mais ne porte pas sur ces éléments naturels.
C’est pareil pour les éléments du corps humain : le brevet porte sur l’utilisation du corps humain, et non sur le corps humain en lui-même.

Droit de disposer de son corps :
Principe : je peux dans certains cas volontairement disposer de mon corps.
Exemple : se faire tatouer, la prostitution (quand pas interdit), etc.

Johnny Halliday disait : « le jour de ma mort, je veux qu’on me découpe en morceaux pour vendre mes tatouages ».
→ Peut-on contractualiser la peau de son tatouage ?
Ce n’est pas parce qu’il y a une œuvre qu’on va passer outre le principe d’indisponibilité du corps humain (= l’interdiction d’un contrat portant sur une partie du corps humain).


Sadomasochisme : arrêt CEDH K.A. contre Belgique (2005) :
Un magistrat et un médecin sont adeptes de sadomasochisme, et utilisent comme victime la femme d’un des deux hommes. Le contrat tacite est que si la femme crie « pitié » les sévices s’arrêtent.
Un jour, les hommes ont trop bu et ne s’arrêtent pas.
Selon l’arrêt, chaque personne a une autonomie personnelle qui justifie de disposer de son corps et de s’adonner à des activités considérées comme physiquement et moralement dommageable.
Question : est-ce que le consentement vaut tout ? (peut-on décider juridiquement d’être torturé ?)
En droit des contrats, parfois on ne peut juridiquement pas contracter même si on le veut.
→ Il y a des consentements impossibles en droit, car le droit considère qu’il faut protéger la personne contre elle-même, quand elle fait des choses contraires à la dignité humaine.

Dignité : considérer que l’homme n’est jamais un moyen, mais une fin.
L’article 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE dispose que « la dignité humaine est inviolable ».
Explication officielle : la dignité de la personne n’est pas seulement un droit fondamental, mais la base même de tous les droits fondamentaux.

La même logique est utilisée dans l’arrêt de Morsang-sur-Orge (lancer de nains).

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