Chapitre 2 : “La propriété n’a rien de commun avec la possession”

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’histoire du droit des biens (L2).

Ulpien, dans son commentaire sur l’édit du préteur (repris au Digeste), écrit “qu’il n’y a rien de commun entre la propriété et la possession” (nihil habet commune proprietas cum possessione).
Ce n’est pas une affirmation de principe qui relèverait du postulat, mais simplement une constatation de nature procédurale.

On ne peut pas accorder à la fois l’action en revendication et un remède possessoire, tout simplement parce que ce n’est pas la même qualité sur le fondement de laquelle on va plaider :

  • Si l’on plaide sur le fondement de l’action du propriétaire → action pétitoire ;
  • Si l’on plaide sur le fondement du possesseur → remède possessoire.

Propriété et possession s’excluent l’une l’autre, pour des motifs d’ordre procédural.
On ne demande pas la même chose au juge et on ne met pas en avant les mêmes moyens.
Le régime procédural de la possession est radicalement différent du régime procédural de la propriété.

La protection de la possession ne relève pas du pouvoir de juris dictio ; elle relève du pouvoir d’imperium du magistrat.
Il s’agit d’un pouvoir de commander / de contraindre, qui est utilisé de manière quasi discrétionnaire voire despotique par le magistrat à l’origine.

À l’origine, la possession, c’est un magistrat qui commande.
→ 2 systèmes de protection totalement différents

Cette distinction radicale entre les 2 modes de protection s’explique par la nature juridique radicalement différente de la possession rapportée à la propriété.
La propriété relève du jus (du droit), alors que la possession relève du factum (du pur fait).
→ C’est en tant que fait que la possession va être protégée.

En effet, la possession naît comme technique à la fin de la période archaïque, où la propriété quiritaire règne en maîtresse dans le champ du droit des biens.

Or la propriété quiritaire se caractérise par son élitisme / sa rareté, de sorte que la maîtrise d’une chose se trouve vite propulsée en dehors du terrain du jus.
Faute de pouvoir invoquer le droit des quirites, on sort du jus pour basculer dans le fait.
C’est de ce fait dont se saisit le préteur sous le nom de « possession » → c’est ce fait qu’il va protéger en utilisant l’imperium.

Concernant la possession, l’imperium s’exprime relativement à la possession dans ce que l’on appelle dans un interdictum, qui consiste dans un ordre adressé à un particulier qui trouble l’usage légitime d’une chose par une personne qui la détient sans contestation apparente.

Les 1ers exemples de l’utilisation de cette technique interdictale concernent l’ager publicus, au tout début de la République romaine.

L’ager publicus, ce sont les domaines qui ont été conquis par Rome (c’est l’ager qui appartient au peuple romain).
Ces terrains sont allotis et mis à la disposition de citoyens romains souvent infortunés ; mais le Sénat gère l’ager, de sorte que la classe sénatoriale a parfois un peu tendance à confondre les intérêts publics avec ses intérêts particuliers.
→ Spoliation manifeste de l’ager par la classe sénatoriale.

Cet accaparement de l’ager se fait souvent au détriment de ceux qui l’occupent légitimement, qui sont les agri occupatori.

L’ager est une espèce de propriété publique, puisqu’elle a été conquise par le peuple romain qui en est le véritable propriétaire.
Ceux qui occupent l’ager même avec un juste titre (les agri occupatori) ne peuvent pas se dire propriétaires quiritaires.

Pour protéger les agri occupatori qui ne disposent pas de l’action en revendication quand ils ont été spoliés ou chassés de leurs fonds, le préteur intervient par cette espèce de mesure de police qu’est l’interdit, qui découle de son pouvoir de commandement.
C’est une mesure de police qui permet de maintenir les agri occupatori dans leur situation à première vue légitime : elle permet à celui qui occupe l’ager d’avoir la possibilité de continuer de l’occuper.

Cette technique trouve très vite un emploi dans toute une série d’autres situations de fait, où quelqu’un détient légitimement une chose sans pouvoir exercer une action en revendication

Ce succès de la technique interdictale va conduire à préciser l’ordre formulé par le préteur en fonction de la situation de fait qu’il présente.
Par ailleurs, la simple mesure de police des origines est appelée à acquérir un certain degré de subtilité, puisque les situations pratiques concrètes qu’on soumet au préteur pour les résoudre au moyen de la technique interdictale sont de + en + complexes.
→ Subtilité croissante des mesures de police.

Section 1 : Les moyens sommaires d’une défense de la matérialité de la possession

§ 1. La perte du corpus possessionis

Le cas que l’on soumet au préteur à l’origine est d’une grande simplicité : les agri occupatori passent la charrue sur un fond de terre, exploitent la terre, prélèvent les fruits de la terre, y ont construit un local / une maison qu’ils occupent.
C’est cette maîtrise de la chose, qui s’exprime dans différents modes d’exploitation de la terre, que le préteur va défendre.
Il est très simple d’administrer la preuve de la matérialité de ce fait d’exploiter la terre, d’y habiter…
Cette maîtrise, c’est ce qu’on appelle le corpus possessionis.

À l’origine, il n’y a que le corpus qui compte.
L’apparence est défendue par un moyen très sommaire : l’interdit.

Cette primauté du corpus dans le droit romain de la possession va se maintenir durablement.
L’animus ne sera jamais qu’un correctif : la possession, c’est d’abord le corpus.

Les agri occupatori qui viennent devant le préteur peuvent exhiber un titre, mais il est insusceptible de leur ouvrir une action devant le préteur.
Le préteur peut soit détourner le regard (ce qui n’est pas un déni de droit, puisqu’on n’est pas dans le jus), soit chercher des éléments permettant d’agir.
Ces éléments sont les actes de maîtrise d’une terre par quelqu’un qui a un titre et à qui on ne peut rien reprocher.

Ce qui est pertinent, c’est la maîtrise (le corpus) et rien de plus !
Dans certains cas limites, le préteur est amené à examiner la légitimité / l’effectivité de cette maîtrise → à affiner son regard.

A – La manifestation d’une maîtrise sur la chose

Posséder, c’est d’abord exercer une maîtrise sur la chose.
La possession a pour étymologie le terme potis, qui renvoie à l’idée de maître / de personne qui exerce une puissance et le terme sedeo, qui renvoie à l’idée de stabilité.
Donc posséder, c’est d’abord un acte matériel de maîtrise d’une chose de manière stable.

C’est ce qu’affirme Paulus : la possession, c’est d’abord le corpus = puissance physique exercée sur la chose.

Lorsque l’on s’adresse au préteur pour obtenir un remède possessoire, il faut que cette maîtrise ait reçu des manifestations évidentes.
Il faut des indices de ce comportement.

Pour les immeubles, c’est le fait d’entrer sur un fonds de terre / l’arpenter / le labourer.
Mais es romains se contentent parfois d’actes symboliques qui expriment cette volonté de se comporter comme propriétaire ; par exemple, briser la branche d’un arbre.
Pour les meubles, c’est le fait de prendre la chose et de l’emporter chez soi.

Le fait que le corpus soit premier exclut à l’origine la possession de choses incorporelles.
Il y a une incompatibilité conceptuelle entre la possession conçue comme le corpus et l’impossibilité de maîtriser matériellement une chose incorporelle.
C’est ce que constate Paulus :

C’est ainsi que les romains admettent tardivement la quasi possession des choses incorporelles.
Ce n’est pas une possession : c’est un remède qui ressemble à la possession.

On voit quand même apparaître des modes symboliques d’acquisition du corpus.
On admet, pour les meubles, que remettre la clé du local dans lequel se trouvent les marchandises fait de nous le possesseur des marchandises, ou encore le fait d’imposer sa marque sur une chose.
On admet, pour les immeubles, que la remise du titre de propriété suffit pour faire de nous le possesseur.


Débat doctrinal :

Rapidement, on se demande si 2 personnes peuvent être possesseurs d’une même chose.
La question a été très longuement débattue à partir du moment où l’on admet que le corpus est premier dans la possession.
Par exemple, si quelqu’un prélève les fruits du verger et l’autre prélève les fourrages ?

Paulus nous rapporte les termes de ces débats doctrinaux :

L’enjeu du débat est tiraillé entre la matérialité du corpus, la possibilité d’admettre une prise de possession symbolique d’une chose et la qualité de la maîtrise exercée.

Dans la tradition juridique européenne, tous les états issus du droit romain ne vont pas retenir la même solution.
Le Code civil allemand admet la possibilité qu’une même chose soit possédée par 2 possesseurs.

À l’inverse, cela est jugé contre nature par Labéon, qui met en avant le corpus.
C’est plutôt la solution retenue par le Code civil français.

Pour certains auteurs, les termes du débat sont attirés sur la justesse / la légitimité de cette possession. Labéon affirme qu’il faut d’abord savoir s’il y a possession avant de se demander si elle est juste.
Mais la légitimité de cette maîtrise qu’est la possession permet de questionner le droit qu’aura telle ou telle personne qui se déclare possesseur d’obtenir du préteur ou non un interdit possessoire.

B – La prise en compte de la qualité de la maîtrise

Il est incontestable qu’il n’y a pas de possession sans corpus.
Il n’empêche que la pratique du préteur conduit, dans certains cas, à interroger la qualité de cette maîtrise → les circonstances dans lesquelles on est devenu possesseur, pour éventuellement refuser l’aide de l’interdit à quelqu’un qui, de tout évidence, invoque abusivement cette qualité de possesseur.
→ N’importe quelle maîtrise ne peut pas déboucher sur l’obtention de l’interdit.

On va voir, dans la formule des interdits, paraître une triade : nec vi, nec clam, nec precario.

  1. Nec vi : pas de violence → la possession doit être pacifique.
    Si la maîtrise prolonge des actes de violence, il n’est pas possible pour le préteur de prêter son concours à cet acte.
  1. Nec clam : pas de clandestinité → la possession ne doit pas être clandestine.
    Ici, on n’est pas loin de l’idée de dol : on ne doit pas chercher, par des procédés déloyaux voire frauduleux, à cacher la maîtrise de la chose.
  1. Nec precario : la possession invoquée ne doit pas être destinée à protéger la situation du précariste.

    La précarité renvoie à Rome à une technique d’occupation du sol qu’on appelle la précaire.
    La précaire permet à quelqu’un d’occuper un fond de terre, en sachant que le propriétaire se réserve le droit de récupérer le fonds quand il l’entendra : sur simple demande, l’occupant devra vider les lieux.
    Le précariste ne pourra jamais invoquer cette qualité de possesseur.

Il faut donc un examen des faits, parce que la possesseur relève du pur fait.
Une fois que le préteur a constaté l’existence de la possession + qu’elle était dénuée de tout vice, il peut décider de mettre en œuvre son pouvoir de commandement pour rétablir l’ordre public.

§ 2. La répression interdictale des actes de spoliation

Dans l’interdit, le préteur ne juge pas : il commande.
Il peut commander à quelqu’un qui a privé le propriétaire d’une chose de restituer la chose.

En fonction de la situation de faits qu’expose celui qui se prétend possesseur / en fonction des circonstances entourant le trouble possessoire / en fonction de la nature de la chose possédée, le commandement du préteur prendra une forme différente.

A – Les moyens de conservation de la possession

Interdicta retinendæ possessionis : ce sont les interdits à retenir à soi la possession.
C’est un commandement revêtu de l’imperium.

  1. En matière immobilière : l’interdit uti possidetis.
    Il s’agit de l’interdit le plus archaïque.
    Objectif : protéger l’occupant d’un fonds de terre, en prohibant tout acte qui serait de nature à troubler la possession du possesseur.

    Celui qui réclame l’interdit a le corpus et veut maintenir dans la durée cette maîtrise contre le parasitage des tiers.

     

    La littérature juridique romaine explique que l’on peut utiliser l’interdit uti possidetis pour empêcher son voisin de nous empêcher de bâtir une maison sur notre propre fonds.
    Autre exemple : personne qui passe son troupeau tous les jours sur son fonds de terre.

    Cet interdit a une finalité qui reste très sommaire.
    Il est utilisé en matière de contentieux immobilier pour déterminer qui va détenir la chose pendant le procès.

  1. En matière mobilière : l’interdit utrubi.
    Le problème des meubles, c’est qu’ils sont mobiles.
    Le préteur ne se préoccupe donc pas de celui qui a actuellement la chose entre les mains : il s’intéresse à qui a possédé le plus longtemps pendant l’année qui précède la requête en interdit.

     

    Cet interdit semble avoir été utilisé à l’origine pour l’esclave.

  1. L’interdit momentariæ possessionis.
    Les réformes de Justinien vont revenir sur ce critère de la durée de la maîtrise.
    Ce sera l’objet de l’interdit momentariæ possessionis (= possession instantanée).

     

    Ainsi, dès Justinien, ce qui compte est le possesseur actuel de la chose, et non plus celui qui en a été le plus longtemps possesseur.

B – Faire cesser une dépossession violente

La 2ème catégorie d’interdits est destinée à récupérer la chose quand on en a été privé par une violence directe (volontaire et assumée comme telle).
Ici, on ne cherche pas à prévenir un trouble possessoire par un véto : on ordonne à celui ayant arraché la chose par la violence de la rendre.

Comme il s’agit de mettre fin de manière très sommaire à des brutalités perpétrées par un particulier avide de mettre la main sur une chose, l’interdit doit être réclamé dans l’année qui suit le trouble possessoire violent.

Cet interdit connaît une évolution à la fin de la République romaine, au moment des troubles civils, pour tenir compte des violences exceptionnelles de cette époque.

Il y a 2 régimes d’interdits qui tiennent compte de l’intensité de la violence :

  1. Pour la violence ordinaire, on utilise l’interdit unde vi cottidiana.
    Idée : lorsque la possession a été interrompue par un acte de violence, le préteur vient corriger cette interruption violente.
    Le préteur corrige l’évènement ayant empêché la possession de durer et demande la restitution de la chose.

     

  1. Interdit unde vi armata :
    À la fin de la République romaine, on assiste à des manifestations violentes dans les rues avec des vols à main armée, des meurtres… surtout à l’époque de Sylla, un général très violent.

     

    Cet interdit fait tomber la triple réserve nec vi, nec clam, nec precario.
    Face à une grande violence, il n’est pas pertinent de questionner la manière dont celui qui a été dépossédé est entré en possession.
    Dans l’urgence, il faut rendre la chose au précédent possesseur, quand bien même il pourrait se voir reprocher de n’être pas entré régulièrement en possession.

    Cet interdit n’est pas un simple moyen de justice privé, mais surtout un moyen de rétablir l’ordre public entre les mains du magistrat.
    Cet interdit ne peut pas être contesté.

Le succès de l’action possessoire amène les justiciables à utiliser l’interdit possessoire pour des situations de plus en plus complexes (par la nature des faits de la cause, par la situation juridique à laquelle on essaie d’adapter cette arme…).
Cette arme est tellement efficace qu’on l’utilise pour des situations pour lesquelles l’interdit n’est pas adapté. Il faut alors réfléchir à l’adapter.

Section 2 : Les voies procédurales nouvelles répondant à une vision complexe de la possession

À mesure que les moyens, interdits et remèdes possessoires sont utilisés plus largement, ce moyen sommaire accuse certains défauts qui sont liés à son inadaptation à des situations complexes.
Ce sont désormais de véritables procès possessoires qui se nouent, à raison de questions juridiques d’une très grande complexité.

L’interdit possessoire n’est plus une espèce d’outil au service du maintien de l’ordre, c’est un moyen qui est en train de se judiciariser et qui est utilisé dans des stratégies judiciaires complexes.
Exemple : la possession intérimaire (qui possède pendant le procès).

→ On intègre la protection possessoire dans des questions juridiques très complexes.

Il faut alors repenser ce qu’est la possession et imaginer comment cet interdit peut n’être pas le fin mot de l’histoire.

§ 1. La technique interdictale dépouillée de son caractère sommaire

Les 1ères formes d’interdit illustrent parfaitement le caractère sommaire de ce moyen.
Je constate un fait → ce fait est une possession → j’interdis que l’on trouble la possession.

Comme ces constatations sont faciles, il n’est pas anormal que l’ordre délivré par le préteur soit péremptoire / absolu / inconditionnel.
Idée : il est facile de constater qu’il pousse la charrue → ça ne pose pas de problème de conscience de dire que celui qui l’empêche de passer sa charrue doit s’en aller…

Dans la société romaine de l’époque classique, on ne peut plus passer d’une constatation simple à un ordre péremptoire, parce que tout est devenu complexe (dans les rapports juridiques et économiques).
On veut utiliser l’interdit pour résoudre des situations liées à des contentieux de + de + complexes, mais ça n’est plus adapté.

Mais le préteur commande sans contestation possible.
En effet, en matière possessoire, il faut absolument conserver le caractère sommaire qui s’attache à l’interdit pour permettre à l’interdit d’être réactif = de répondre de toute urgence à une situation qui appelle à une résolution.
C’est très efficace, mais ça commence à être inadapté.

On conserve à l’interdit son caractère péremptoire (= le caractère péremptoire de l’ordre du préteur), mais on trouve les moyens de le contourner en attirant la question possessoire sur le terrain juridictionnel.
On déplace la question du possessoire vers le champ du juridictionnel.
Il faut trouver les moyens d’avoir un procès possessoire pour contourner un ordre en principe incontestable, pour corriger cet ordre de cette imperfection liée à son caractère sommaire.
À partir de là, on autorise les parties à imaginer tout moyen de contestation.

A – La naissance d’un procès destiné à contester l’interdit

L’ordre du préteur exprimé dans l’interdit est fondé sur l’imperium.
Ne pas exécuter ce que commande le préteur nous expose à la coercition
(amende, contrainte physique).

Si la mission du préteur est de constater un fait flagrant qui n’est pas susceptible de contestation, la plupart du temps il n’est pas nécessaire de chercher une porte de sortie au destinataire de l’ordre.

Il faut cependant faire un choix : retarder la délivrance de l’interdit et le priver de cette réactivité, ou bien conserver cette réactivité au risque de commander des choses qui ne sont pas adaptées faute d’avoir pu instruire en amont de la délivrance de l’ordre ; mais, dans ce cas, il faut ménager une porte de sortie à celui qui a intérêt à réintroduire de la complexité.

Le moyen trouvé, c’est de faire figurer dans la formulation même de l’interdit les virtualités d’une contestation.
La mention
nec vi, nec clam, nec precario est destinée à cela : l’ordre inconditionnel du préteur est en réalité conditionné.
On réserve les hypothèses complexes à des interrogations ultérieures.

On ne peut pas contester l’ordre lui-même, mais l’on contestera n’être pas concerné par l’ordre à raison d’une violence, d’une clandestinité ou d’une précarité.

Objectif : trouver une voie de dérivation pour permettre d’activer les virtualités de la formule nec vi, nec clam, nec precario.
Il s’agit de mettre en cause judiciairement l’attitude de celui qui n’a pas respecté l’interdit, parce qu’il est persuadé qu’il n’est pas concerné par cet interdit (= qu’il ne connaît aucune irrégularité).

Pour passer de l’extrajudiciaire (champ de l’interdit) au judiciaire (qui donne la voie au destinataire de l’interdit), il faut trouver les moyens d’engager l’instance (comme toujours à Rome !).
Il faut que celui qui a demandé l’interdit et qui n’a pas vu le destinataire de l’interdit respecter l’ordre puisse diriger une action contre la personne qu’il va accuser d’insubordination.

On ne connaît pas trop ces moyens – les sources manquent.
À l’époque de Justinien, les actions possessoires sont devenues des actions sommaires, donc tout ce que l’on a imaginé pour contourner l’action classique n’existe plus.
La codification de Justinien ne comporte pas beaucoup d’éléments permettant de comprendre comment on peut engager un procès possessoire à l’époque classique.

On peut cependant spéculer : il est vraisemblable que l’on ait permis, par une action in factum, d’assigner le destinataire de l’interdit qui n’aurait pas respecté l’ordre.
Comme moyen de défense, il aurait eu à sa disposition la possibilité de faire jouer la clause
nec vi, nec clam, nec precario.
L’office du judex pendant la deuxième phase du procès consiste à vérifier si le destinataire de l’ordre avait raison de ne pas obtempérer en tant qu’il n’était pas concerné.

Un autre moyen possible serait de faire intervenir le préteur pour qu’il contraigne les 2 particuliers à conclure des contrats qui vont servir de base à l’engagement d’un procès → on déplace l’enjeu du procès du terrain réel au terrain personnel.
Pour régler la question personnelle, le juré doit examiner si le défendeur avait raison ou non de ne pas obtempérer.
Ici, le magistrat contraint les parties à trouver une base juridique sur laquelle engager un procès qui va dire si oui ou non le destinataire de l’interdit avait raison de ne pas obtempérer.

La possession ne concerne plus seulement que le possesseur : c’est une contradiction…

B – Un élargissement au détenteur du régime de la protection possessoire

La mention nec precario était destinée à priver le précariste de la protection possessoire, quand bien même il exploite la terre / il exerce des actes de maîtrise de la terre → il exerce un corpus sur la chose.

Ce corpus va être qualifié de possessio naturalis = possession naturelle.
C’est une réalité qui s’apparente extérieurement à la possession, mais elle est naturelle, elle n’est pas juridique → elle n’entraîne pas d’effets juridiques.

À la situation du précariste, les romains ont tendance à rapprocher celle des locataires.
De manière générale, dès lors que l’on occupe un terrain à raison d’un bail / d’un pacte précaire, on ne peut pas réclamer la protection possessoire.
On refuse la protection possessoire au locataire comme on l’a refusée au précariste, même si dans l’absolu il exerce le corpus sur la chose.

Le locataire qui est troublé dans la jouissance tranquille de la chose par un tiers doit demander au bailleur de le protéger en recourant à l’action possessoire.
Il faut aller voir le bailleur pour avoir l’interdit possessoire, puisqu’en tant que locataire on n’est pas possesseur.
→ C’est au seul bailleur que l’on reconnaît la qualité de possesseur.

À l’origine, si le bailleur trouble le locataire dans sa possession naturelle, le locataire ne peut pas lui opposer un interdit possessoire. Il plaidera sur le fondement du contrat de bail.
Il sera bien indemnisé si le contrat n’a pas été respecté par le bailleur, mais il ne pourra pas récupérer la chose.

Si la pratique romaine préfère cette solution à l’origine, c’est pour pour éviter que le locataire ne se constitue une situation inexpugnable au possessoire, avec le danger de pouvoir invoquer l’usucapion ou la prescription.

Ainsi, dans le régime classique, c’est le bailleur qui doit utiliser les remèdes possessoires contre le tiers qui vient troubler la possession du locataire.
Si le locataire est troublé dans la jouissance paisible de la chose, il plaide sur le fondement d’une action personnelle : sur le fondement du contrat de location.

À la fin de l’époque classique, on ressent le besoin de s’émanciper de cette analyse rigoureuse de la situation du locataire et des rapports entre le locataire et son bailleur.
En effet, à la fin du 2e siècle, il y a des troubles très graves dans l’Empire liés aux invasions barbares. → il faut aggraver la répression pénale contre ces différents troubles.

On aggrave la répression pénale, alors que le droit pénal romain classique est assez libéral (on prononce peu la peine de mort, la torture est limitée hors esclaves…) pour l’Antiquité.
L’interdit possessoire trouve sa place dans l’arsenal destiné à limiter les troubles à l’ordre public.

→ Adaptation de l’interdit afin qu’il réponde aux nouveaux besoins de protection de l’ordre public.

Une constitution de Constantin de 326 crée un nouveau remède possessoire : l’interdit momentariæ possessionis.
Cet interdit semble avoir de nombreuses vertus, notamment celle d’être accordé au simple détenteur (= à celui qui n’est pas possesseur).

À partir de 326, le locataire peut utiliser cet interdit.
Idée : accorder à un non possesseur ce remède possessoire pour éviter les pertes de temps, notamment celles qui consistent à aller chercher le bailleur possesseur pour obtenir un remède possessoire contre les tiers.

La bonne répression est rapide, et il faut réagir très vite en cas de spoliation.
Par exemple, si je suis un simple locataire et que mon bailleur est parfois à 50 kilomètres d’ici : jusque là, je n’avais pas d’interdit à sa disposition – même pas l’interdit unde vi (= interdit destiné à réprimer les actes violents) ; je devais faire appel au bailleur possesseur.

La réforme de 326 n’accorde pas encore l’interdit au locataire contre le bailleur.
Mais si le bailleur se montre violent / s’il veut expulser le locataire, il a toujours à sa disposition l’action du contrat.
+ Si les violences sont très graves, il dispose d’actions pénales voire criminelles contre les actes violents de son bailleur.

Pour cette raison, en 389, l’interdit possessoire est accordé au locataire lui-même contre son bailleur.
Comme la mesure est insuffisante, on accorde à celui qui est affligé par des troubles possessoires violents un bénéfice extraordinaire : il pourra obtenir la propriété de la chose dont il a été privé du propriétaire violent.
→ On met fin à la violence du bailleur en lui retirant la propriété !

Ainsi, par cercles concentriques, on étend l’action possessoire à des cas qui n’étaient pas considérés comme des cas de possessions à l’époque classique.

Techniquement, on accorde cette technique possessoire à des gens qui ne sont pas possesseurs.
Dès lors, on va repenser ce qu’est la possession pour qu’elle colle à des situations beaucoup plus complexes que celle des agri occupatori.

§ 2. La technique de la possession conquise par l’abstraction

Possession et abstraction devraient s’exclure l’une l’autre : ce qui caractérise la possession, c’est le corpus → quelque chose de très concret.

Les romains vont néanmoins accepter de procéder à ce que Jean de Malafosse appelait une « dématérialisation de la possession ».
La fiction juridique, qui caractérise le mode romain d’adapter le droit, va s’appliquer aussi en matière possessoire.

À l’origine, la possession est un fait, mais ce fait peut être présumé ; il peut être même affirmé en dépit de la réalité.

→ Nouvelle dimension de la possession, beaucoup mieux adaptée à la subtilité conceptuelle de la doctrine classique.

A – La dématérialisation inéluctable de la possession

C’est l’analyse des cas concrets qui amène à préciser et diversifier les concepts pour mieux rendre compte de la réalité.
C’est à l’occasion de ce travail d’analyse des cas concrets que s’impose la notion d’animus.
À l’origine, elle n’est pas destinée à se substituer au corpus, même si c’est ce à quoi on va parfois aboutir dans les faits.

1) La possibilité d’une possession solo animo (”par le seul animus”)

Les romains ne diront jamais, comme on le fait aujourd’hui, que “la possession, c’est le corpus + l’animus”.

La possession, c’est d’abord le corpus. On ne voit intervenir l’animus que dans des cas limites, pour pouvoir forcer la situation pour appliquer un remède possessoire.
Ce sont des situations particulières qui amènent à parler d’animus.

Par exemple, le cas de quelqu’un qui s’endort sous un arbre en serrant un objet dans ses bras exerce le corpus. Pour autant, peut-on dire qu’il est possesseur de la chose ?

L’animus possidendi, la volonté de posséder, va servir de correctif.
Certes, j’exerçais une maîtrise matérielle de la chose, mais cette maîtrise n’était pas consciente ni volontaire → je n’avais pas l’
animus possidendi = la volonté de posséder.

La même chose peut être dite des enfants et des fous, qui n’ont pas une volonté juridiquement efficace.

La prise en compte de l’animus (= d’un élément psychologique) peut permettre d’invoquer l’erreur.
Quelqu’un qui veut posséder le fonds X alors qu’il possède le fonds Y commet une erreur.
→ Dans l’animus, on trouve une correction à l’erreur.

On peut aussi avoir recours à l’animus lorsque l’on a perdu le corpus involontairement.
Cela permet de régler certaines situations qui autrement ne pourraient être réglées au moyen de l’interdit possessoire.

Le cas le plus connu est celui de l’estive : je mène mon troupeau sur des prairies, puis, à la fin de l’été, je ramène mon troupeau dans la vallée, avec l’intention d’y retourner l’année suivante, parce que c’est ce que j’ai toujours fait.
En toute rigueur, le fait de quitter les prairies me fait perdre le corpus ; si je trouve quelqu’un sur le fonds l’année suivante, je ne peux pas invoquer la possession.

On peut imaginer le même cas pour quelqu’un qui laisse tomber un objet ou qui voit un animal emporté par le fleuve : je perds le corpus, mais je cours le long de la berge pour essayer le rattraper.
S’il est repêché par un tiers, il exerce le corpus sur cette chose.

Ici, les romains considèrent que je n’ai pas voulu renoncer à la possession, quant bien même j’ai suspendu l’exercice du corpus sur la chose.
→ L’
animus supplée le corpus.

Donc je possède solo animo = par la seule volonté.
On est devant une espèce de fiction, puisque la possession se caractérise par le
corpus, et qu’il n’y a pas de corpus.

Cette disjonction entre corpus et animus va être utilisée dans toute une série d’autres cas où l’utilisation du remède possessoire peut s’avérer très utile.
C’est notamment le cas dans les rapports entre le locataire et son bailleur.

En effet, refuse les remèdes possessoires au locataire pour qu’il ne les utilise pas contre les bailleurs et qu’il se constitue une situation inexpugnable au possessoire, mais cette situation a quelque chose d’aberrant, puisque celui qui maîtrise la chose, c’est le locataire.
La disjonction entre animus et corpus permet de rendre compte de cette situation : le bailleur possède solo animo et le locataire possède pro alio (”pour autrui”).

Autrement dit, le locataire exerce le corpus pour celui qui possède par le seul animus.
→ Transformation du concept pour y intégrer une notion subordonnée, pour pouvoir rendre compte de situations beaucoup + complexes.

Cela permet aussi de résoudre des cas très utiles économiquement.
En particulier : le cas de l’esclave qui exerce le corpus sur une chose permettra de rendre son maître possesseur de la chose.
En effet, l’esclave ne peut jamais posséder pour lui-même, mais la volonté du maître de posséder par son esclave grâce au corpus d’un autre placé sous sa puissance lui permet de devenir possesseur.
→ Paulus : “on possède corporellement par autrui”.


2) L’admission de la quasi-possession des choses incorporelles

Dans les conceptions du début de l’époque classique, on ne peut posséder que des choses corporelles, puisqu’il est nécessaire d’exercer le corpus !
Cela se maintient dans la doctrine classique malgré l’apparition de l’animus.
De droit commun, la possibilité ou non d’exercer le corpus permet d’introduire cette summa divisio entre choses corporelles et choses incorporelles.

Par principe, la possession ne s’exerce que sur les choses corporelles.
Le souci, c’est que la protection possessoire est tellement efficace qu’on se demande si on ne peut pas utiliser ce remède pour des choses incorporelles.

Cette perspective rencontre l’opposition d’une partie de la doctrine : Paulus rappelle que l’on ne peut posséder que des choses corporelles.

Mais, à la fin de l’époque classique, on parle de quasi-possession des choses incorporelles, sur le modèle de la possession.

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Il ne faut pas penser que ce concept s’est développé de manière abstraite : les juristes romains font preuve d’un très grand pragmatisme.
Ce sont des cas particuliers qui amènent la pratique à introduire un régime juridique en faveur des choses incorporelles, sur le modèle de la possession.

Un exemple de cas pratique est le cas d’une personne qui invoque une servitude sans titre.
Il s’agit d’une servitude de passage, suivant un usage immémorial connu et toléré.

Dans le cas d’une servitude de passage, le magistrat constate factuellement qu’un particulier a toujours utilisé un passage sur le fonds d’autrui.
Il accorde un interdit possessoire pour permettre à celui qui passe de passer.
L’interdit est délivré quand on peut prouver que, pendant 30 jours au moins dans l’année, on est passé par là
nec vi, nec clam, nec precario.

→ Le préteur fait en sorte que le propriétaire ne trouble pas l’exercice de cette possibilité de passer, qui se voit reconnue quand bien même il n’existe pas de titre prouvé de servitude.

Ici, le magistrat agit comme si celui qui prétend avoir une servitude était en possession paisible de cette servitude de passage.
Le problème, c’est qu’on ne peut pas posséder de servitude.
Il y a donc un remède possessoire qui nous garantit la possession d’une chose incorporelle : le droit de passer.
→ L’intervention très volontariste du préteur bouleverse les catégories juridiques.

La quasi-possession va permettre de résoudre d’autres cas concrets.
Il y a une querelle entre les proculiens, représentés par Labéon, et les sabiniens, représentés par Javolenus, sur le cas concret de la vente d’une servitude de passage.
En effet, la vente romaine n’entraîne pas d’effets réels : à Rome, l’acheteur ne devient pas propriétaire par l’effet de la vente.
La vente, qui est un contrat, entraîne l’obligation de transférer la possession de la chose du vendeur à l’acquéreur au moyen d’une traditio.
Mais problème : la servitude est un jus → on ne peut pas pratiquer la traditio.
Comment donner un effet réel à cette vente d’une chose incorporelle ?

Labéon suggère un expédient un peu bancal : il suggère que les parties à la vente adjoignent une stipulation spéciale par laquelle le vendeur de la servitude promet de laisser passer l’acquéreur de cette servitude.
Dans les faits, contractuellement, le vendeur de la servitude promet de ne pas faire obstacle à l’exercice du droit de passage.

Le problème de cette solution est mis en lumière par Javolenus : l’action du contrat est une action personnelle, in personam, et non une action réelle ; elle est donc beaucoup moins efficace.

Javolenus critique la position de Labéon et propose le moyen d’obtenir l’action réelle à l’acquéreur de la servitude en recourant à la fiction juridique.
Il propose une fiction juridique : l’usage de la servitude par son acquéreur doit être considéré comme une traditio (= une mise en possession de cette chose incorporelle).

Autrement dit, l’utilisation du droit transmis doit être fictivement considérée comme une mise en possession de ce droit.
C’est une fiction, parce que ça n’est pas possible d’entrer en possession d’une chose incorporelle.

Cette proposition est un peu provocante, parce qu’elle nie l’essence de la possession, qui est liée au corpus. Gaïus refuse donc cette proposition de Javolenus.
Mais Paulus l’admet sans difficulté et, à la fin de l’époque classique, la solution finit par être admise.

B – L’importance croissante de la causa possessionis

De plus en plus, la possession devient un concept abstrait.
La possession est censée désigner un fait ; or, la possession saisie par la fiction juridique est la négation d’un fait.

Au départ, ce qui compte dans la possession / ce qui la rend en pratique efficace, c’est l’existence d’une absence de titre.
Désormais, la question du titre juridique s’invite pour imposer l’octroi d’un interdit possessoire.

Cette question du juste titre, de la causa possessionis, permet de résoudre 2 situations très concrètes au moyen de 2 techniques possessoires :

1) L’interversion des titres

Si, ce qui compte de plus en plus souvent, c’est la question de savoir à quel titre on procède, on peut se poser la question : ne peut-on pas changer le titre en vertu duquel on possède ?
Surtout si on possède pour autrui…

Exemple : le mandataire :

Si je confie à quelqu’un d’aller prendre possession d’un fonds de terre pour moi, mon mandataire possède la chose pour moi.
Imaginons que le mandataire ne soit pas complètement honnête : au lieu de prendre possession de la chose pour moi (conformément au contrat de mandat), il décide d’inaugurer une possession pour lui-même.

En pratique, la résolution de ce cas est compliquée :

  • Si on a une conception matérialiste de la possession, ce qui compte, c’est l’apparence / la manifestation d’une prise en main de la chose / l’exercice d’une puissance de fait sur la chose.
    L’animus est secondaire et compte moins que cette maîtrise concrète exercée par une personne sur une chose.
  • Si on a une conception plus spirituelle de la possession, on affirme que l’existence du titre (le mandat) en vertu duquel on prend possession prévaut sur tout le reste.

Le basculement de conception a lieu en doctrine au 3e siècle après J-C : à partir de là, on considère que le titre fait obstacle à la possession pour soi-même.

Autre hypothèse voisine : celle du locataire

Ici, un locataire (= simple détenteur) décide de posséder non plus pour un autre, mais pour lui-même. Pour éviter de voir se constituer des positions inexpugnables au possessoire contre le bailleur, on affirme que “nul ne peut changer pour lui-même la cause de sa possession”.

Pour que le simple détenteur commence à posséder pour lui-même, on peut envisager 2 solutions pratiques :

La 1ère solution est très matérialiste :
Le possesseur / le bailleur manifeste, de manière extérieure et non équivoque, qu’il entend cesser de posséder.
Puisque l’animus possidendi du détenteur s’éteint, l’animus possidendi du possesseur peut s’exprimer.

L’interversion de titre est une alternative possible :

Le locataire cherche à devenir possesseur : au titre originel qui constitue le juste titre, on substitue un nouveau contrat / un nouveau titre : la causa possessionis.

Le cas le plus habituel de l’interversion des titres, c’est le cas du locataire qui devient propriétaire du fonds de terre.
Désormais, il faut qu’il possède pour lui-même → que le vendeur possesseur transmette la possession à l’acquéreur détenteur.
Pour que le nouveau propriétaire puisse devenir possesseur, il faudrait alors que l’ancien locataire devenu propriétaire procède à une traditio en faveur de l’ancien propriétaire (= pour cesser de posséder pour autrui) et que le propriétaire procède à une contre traditio pour mettre le nouveau propriétaire en possession (= pour qu’il commence à posséder pour lui-même).

Pour éviter cette double tradition, on estime que le titre / l’acte de vente va permettre l’interversion des titres.
Celui qui possédait pour autrui en vertu du contrat de bail est désormais censé posséder pour lui-même du fait de l’intervention du contrat de vente.

On est en pleine dématérialisation : il faut un acte de prise en main de la chose, mais on élude complètement cette considération.
→ On présume, par une réalité qui est fausse, qu’un titre vaut double traditio.

Mais on peut aller encore + loin :


2) Le constitut possessoire

C’est l’hypothèse symétrique à celle qu’on vient d’étudier.

Quelqu’un propriétaire de la chose possède pour lui-même, mais il veut vendre la chose en se réservant l’usufruit ou la possibilité de devenir locataire.
Il faudrait pratiquer 2 traditio :
1- que le vendeur mette en possession l’acquéreur ; et
2- que l’acquéreur mette en détention le vendeur afin qu’il inaugure une possession pour autrui.

La réserve d’usufruit ou la constitution d’un bail vont être considérées comme un transfert de possession.
L’intervention d’un de ces actes permet de faire l’économie des 2 mises en possession réciproques.

Le constitut possessoire (→ je suis propriétaire et je veux inaugurer une nouvelle possession pour autrui) va avoir un rôle extrêmement important dans l’histoire du droit de la propriété en France et dans le fait qu’en France, aujourd’hui, la vente entraîne un effet réel.

Le constitut possessoire aura un rôle très important, car le notaire au Moyen Âge a l’habitude d’intégrer une clause de constitut révoquée quelques jours après, qui permet un transfert de la propriété immédiate en faveur de l’acquéreur sans avoir à faire de traditio.
L’acte de vente contenant la clause de constitut possessoire opère fictivement la traditio permettant à l’acquéreur de devenir propriétaire.
Cette clause de constitut est tellement habituelle dans les actes notariés qu’elle était considérée comme tacitement contenue dans l’acte quand bien même elle ne serait pas écrite.

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