Conclusion du cours d’histoire du droit des biens

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On a constaté que la possession et la propriété s’excluent l’une l’autre, parce qu’elles relèvent de 2 régimes procéduraux tout à fait différents.
On a aussi constaté que la possession comme système procédural est destinée à répondre à des objectifs qui sont très pragmatiques :
1- je ne dispose pas d’une action réelle ;
2- je m’adresse au magistrat pour être maintenu en possession ; et
3- le magistrat m’accorde un interdit possessoire.

Cette exclusion conceptuelle et procédurale n’empêche pas parfois quelques points de contact.
Il peut arriver qu’une possessio débouche sur une propriété → il peut arriver qu’avoir été possesseur d’une chose dans la durée permette d’avoir une action réelle à raison de cette chose.
C’est le cas de l’usucapion, qui est une technique très archaïque.

En matière de transfert d’une res mancipi entre citoyens romains, l’usage de cette chose par l’acquéreur pendant 1 an ou 2 permet à l’acquéreur de devenir propriétaire quiritaire.

L’usucapion est une technique plus ancienne que la technique de la possession.
À l’origine, ce que l’on exige dans l’usucapion ne peut donc pas être une possession paisible et durable ; on demande un usage.

Mais dès que la notion juridique de possession s’étoffe et devient de + en + subtile, on voit les juristes romains appréhender le régime de l’usucapion avec les concepts de la possession.
On voit donc les juristes réclamer une possession pleine et entière de la chose que l’on veut usucaper : le corpus, la possession nec vi, nec clam, nec pracrio, et éventuellement l’animus possidendi.
Le juste titre prend de + en + d’importance.

À partir de l’époque classique, l’usucapion devient une technique qui rend moins irréductible la distinction entre possession et propriété → point de contact.

À l’époque classique, les romains distinguent entre prescription et usucapion (on ne le fait plus aujourd’hui) ; mais il n’empêche que la prescription permet un autre contact entre propriété et possession.
Praescriptio (= prescription) est un terme de procédure : c’est une sorte d’exception à l’effet radicalement péremptoire.
Comme son nom l’indique, praescriptio, c’est ce qui est écrit au début de la formule du préteur.
C’est un moyen de défense qui permet au défendeur d’empêcher, à l’ouverture du procès, que le procès ne se noue / qu’on atteigne la litis contestatio.

Cette technique de la prescription va être utilisée en matière de droit des biens, grâce à un papyrus, qui contient une constitution de l’empereur Sévère de 199.
Cette constitution introduit la prescription de temps long = que le possesseur d’une chose assigné en revendication par un propriétaire qui a négligé pendant une 20aine d’années d’exercer l’action en revendication, eu égard à la négligence du propriétaire, pourra repousser la demande en justice en invoquant cette prescription.
→ On empêche le procès de se nouer parce que le demandeur a été négligent.

Cette protection de temps long met en échec la revendication du propriétaire contre le possesseur.
Le délai de prescription est de 10 ans quand ils sont dans la même circonscription et de 20 ans quand ils sont domiciliés dans une circonscription différente.

Dans la constitution de 199, il est très clair que le possesseur de temps long ne devient pas propriétaire de la chose ; il peut simplement repousser victorieusement l’action en revendication du propriétaire (qui reste le propriétaire).
Ça ne touche que la procédure, ça ne touche pas le fond du droit.

À la fin de l’époque classique, on a tendance à mélanger les notions.
Une constitution de Constantin des années 330 introduit une prescription spéciale avec un délai spécial de 40 ans, ensuite ramené à 30 ans.
Ce délai spécial concerne les possessions vicieuses, lorsqu’il y a un vice mais pas un vice de violence : on parle de prescription de très long temps (praescriptio longissimi temporis).

Tout déraille en 365, avec une nouvelle constitution qui interprète la prescription constantinienne et qui affirme que cette prescription permet de faire usage du droit de propriété pour le possesseur.
Le code théodosien reconnaît à celui qui peut invoquer la prescription constantinienne la possibilité de revendiquer son bien.

Ici, il y a une confusion entre l’usucapion, qui permet d’être propriétaire, et la prescription qui, à l’origine, ne concernait pas le fond du droit.

Justinien remet les choses en ordre et cherche à mieux articuler l’usucapion et la prescription.
L’usucapion devient un genre de prescription : désormais, on analyse l’usus de l’usucapion comme une possession.

Or, à l’époque de Justinien, la distinction entre res mancipi et res nec mancipi n’existe plus → tous les biens peuvent faire l’objet d’une propriété civile → ils peuvent être usucapés, puisque l’usucapion est une technique civile.

À partir de 528/531, tout le régime de la prescription (l’usucapio étant devenu une espèce de prescription) tourne autour du juste titre et de la bonne foi.
C’est l’aboutissement de cette dématérialisation / spiritualisation de la possession.

Si le bien est meuble, on applique le régime de l’usucapion, mais on porte le délai à 3 ans.
L’ancien usucapion devient le régime spécifique des biens meubles, avec plus qu’un délai de 3 ans.

Si le bien est immeuble, on applique le régime de la prescription de temps long, avec un délai de 10 ou 20 ans.
La législation de Justinien prévoit que le possesseur est réputé propriétaire de la chose.

Si le possesseur est dépourvu de juste titre, on utilise la prescription de très long temps (= prescription constantinienne de 30 ans).
L’absence de juste titre est équivalente à l’absence de bonne foi dans la doctrine de cette époque ; cette idée de fraude que l’on vient couvrir par un délai de prescription exceptionnel explique pourquoi on ne va pas reconnaître le titre de propriétaire au possesseur qui a possédé de manière vicieuse.
Ce possesseur de mauvaise foi va bénéficier du régime originel de la possession : il pourra toujours repousser l’action en revendication du propriétaire, mais il ne pourra jamais avoir lui-même la qualité de propriétaire.

Ce droit sera enrichi par l’expérience médiévale du droit des biens, dominée par l’idée de saisine que l’on trouve encore en droit des successions et qui ignore la distinction entre possession et propriété (elle est à la fois possession et propriété).
La saisine médiévale est une manifestation de puissance → elle se rapproche de la possession.

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