Chapitre 2 : La légitimité monarchique

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’introduction historique au droit.

Même au pire moment de sa faiblesse, à la fin du 11e siècle, on conserve l’idée que le roi de France est à part.
C’est à partir de cette idée que va pouvoir se reconstruire le pouvoir central.

Section 1 : Le statut du Roi dans les 1ers siècles Capétiens

Le roi utilise la féodalité pour renforcer son propre pouvoir royal.

I – Le roi, seigneur féodal

Le domaine royal est là où le roi est seigneur.
≠ le
royaume : là où le roi est roi.
Progressivement, le domaine s’étend jusqu’aux frontières du royaume.

Au départ, le domaine est réduit.
Jusqu’au 15e siècle, il y a des moments où il y a dans le royaume des domaines plus importants que celui du roi.

Il faut distinguer le domaine mobilier, qui est non négligeable (par exemple, les bijoux de la couronne), du domaine immobilier (les seigneuries du roi).
Le domaine immobilier est la source de revenus et de pouvoir du roi.
On considérera qu’il a été donné au roi pour assurer sa mission → donc les autres revenus (impôts) doivent être exceptionnels.
L’impôt permanent : mis en place au 15e siècle.

La force des capétiens est qu’ils limitent leurs ambitions à leur domaine. Ils sont moins ambitieux et étendent leur domaine progressivement.
≠ les carolingiens, qui s’étaient épuisés à vouloir agir au niveau d’un empire.

A – Le morcellement territorial

À la fin des carolingiens, les agents du roi sont de + en + indépendants.
La Normandie et le pouvoir central restent plus structurés.
→ modèle pour les institutions du domaine royal

La plupart des princes territoriaux cherchent à construire un pouvoir centralisé autour d’eux à l’instar du roi. Le roi capétien gagne au final dans cette concurrence avec les princes territoriaux.

Dans un premier temps, le pouvoir concret du roi est limité à son domaine.
Souvent, les actes sont datés du début du règne ; mais dans la région de Lyon entre 889 et 999, les actes sont datés depuis la mort de Charles le Gros.
→ après la mort de Charles le Gros, les lyonnais ne savent plus trop qui est roi
→ le roi capétien n’est pas très connu ; on a des doutes sur son autorité

Les 1ers capétiens mènent des combats qui nous paraissent minuscules ; ils se battent pour des toutes petites choses. Le domaine royal s’étend de Senlis à Orléans (bande non continue).

B – L’extension du domaine royal

Le capétien bénéficie de la fidélité des évêques dans la moitié nord du royaume et va utiliser différents procédés féodaux pour augmenter son domaine royal.
Il ne démembre pas le domaine à l’occasion des successions.

  • Mécanismes classiques comme le mariage : le roi épouse une héritière (quand la femme peut succéder au fief) = garantie que les enfants du couple récupèreront le fief = que le fief de la mère viendra grossir le domaine royal.
    • Exemple : Louis 7 se débarrasse d’Aliénor d’Aquitaine qui se marie avec le roi d’Angleterre → il devient seigneur en France.
    • Exemple : 3 mariages consécutifs pour réunir la Bretagne au royaume.
  • La commise : confiscation du fief du vassal pas fidèle.
    La commise est souvent prononcée dans les guerres qui opposent roi de France et roi d’Angleterre.
  • L’achat

II – Le roi suzerain

Le roi n’est pas que seigneur, il est aussi roi.
Cela lui permet de tenir une place qui lui est propre dans le monde féodal : celle de suzerain.

→ Le seigneur de tous les seigneurs acquiert une place à part qui lui donne une autorité sur l’ensemble du monde féodal (organisation pyramidale).

A – « Le roi ne doit l’hommage à personne »

Le roi de France, comme tout le monde, pouvait devenir vassal pour récupérer des fiefs.
Lien très fort entre l’abbaye de St Denis et les rois capétiens (c’est là qu’ils sont enterrés).
Le roi vient prêter l’hommage à l’abbaye de St Denis.

Suger, abbé de St Denis, tient la garde du royaume pendant l’absence du roi. Il refuse que le roi vienne prêter l’hommage.
Idée : parce qu’il est roi, parce qu’il est détenteur de l’autorité, il n’est pas soumis aux droits que subissent les hommes.

B – La mouvance et l’établissement de la pyramide féodo-vassalique

Suger : tout fief est démembré d’un fief plus important.
→ féodalité envisagée sous l’angle matériel

« Le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal »
→ le suzerain ne connaît que son vassal direct, qui peut faire écran
donc en cas de conflit entre le suzerain et son vassal direct, le suzerain ne peut pas s’appuyer sur les bas vassaux

Au milieu du 13e siècle, cet adage est renversé sur le modèle normand
→ désormais, le vassal de mon vassal est mon vassal.

Il y a donc un lien direct entre le roi (suzerain du royaume) et l’ensemble des vassaux du royaume.
La féodalité se conçoit comme une pyramide coordonnée.
Les vassaux directs du roi s’engagent à ne recevoir la fidélité de leurs propres vassaux que sous réserve de celle due au roi.

C – Roi de France par la grâce de Dieu

Cette expression peut s’interpréter dans plusieurs sens :

  1. Tout pouvoir vient de Dieu
    → Être roi de France, c’est avoir reçu un pouvoir de Dieu pour effectuer sa mission.
    → Il n’est pas envisageable d’être roi sans être chrétien.
    → Le roi doit agir « chrétiennement »
  2. Obéir au roi, c’est obéir à Dieu
  3. Le roi est roi directement par la volonté de Dieu
    Le roi ne doit l’hommage à personne (ni au pape, ni à Dieu).
    Mais il n’est pas indépendant religieusement : il reconnaît l’autorité du pape sur le spirituel.
    Le roi de France, par la grâce de Dieu, annonce son indépendance vis-à-vis de l’empereur d’Allemagne.

D – L’utilisation par la monarchie des mécanismes de la féodalité

Progressivement, le roi fait reconnaître que tous les seigneurs territoriaux (les grands feudataires) dépendent de lui, car ils ont reçu leurs terres du roi.

Les liens féodo-vassaliques se généralisent jusqu’en haut de l’organisation sociale.
Ces liens se structurent d’abord entre les seigneurs et les vassaux, puis ils se généralisent jusqu’à ce que les puissants reconnaissent qu’ils tiennent leurs terres du roi.

Reconnaître le roi pour seigneur, c’est aussi être soumis aux taxes qui frappent les successions → le droit de relief (que le seigneur perçoit quand il y a une succession pour le fief de ses vassaux).
Ce droit a pu être payé en terres, ce qui permet au domaine royal de s’agrandir.
En cas de minorité, c’est le roi qui exerce la garde des grands fiefs.

À partir du 13e siècle, l’hommage rendu au roi est systématiquement prioritaire (hommage lige).
La procédure du désaveu (un vassal non satisfait de son seigneur devient vassal du seigneur du seigneur) profite à la monarchie.

Le roi peut mobiliser les vassaux et les vassaux de ses vassaux ; exemple : Bataille de Bouvines en 1214.
Ainsi, l’horizon politico-militaire s’étend aux limites du royaume, dépassant celle de la seigneurie.

Progressivement, la monarchie confisque la plupart des prérogatives seigneuriales.
Exemple : le droit d’aubaine (le seigneur recueille les biens d’un étranger qui meurt sur la seigneurie) devient un monopole royal.
→ la monarchie n’a aucun intérêt à faire disparaître les mécanismes féodo-vassaliques

E – L’intervention sur la guerre privée

Guerres privées : guerres que se font les seigneurs entre eux.
D’un point de vue juridique : mécanisme de vengeance.
Limite fine entre la guerre privée (se faire justice soi-même) et le simple brigandage.

Il y a d’abord une action de l’Église, qui tente de pacifier le monde féodal en encadrant la violence.
Elle diffuse l’idée de la chevalerie → assigne des buts moraux à l’usage de la force par les guerriers à cheval
Croisades : effort pour orienter la violence du monde féodal vers les païens.

Cet effort d’encadrer la guerre privée par l’Église se manifeste notamment par la Paix de Dieu, qui vise à mettre hors de la guerre les lieux saints et ecclésiastiques, et tous ceux qui ne se battent pas (paysans, marchands, bétail, etc.).
→ On limite les dommages de la guerre aux seuls combattants.
Les seigneurs vont se prêter mutuellement serment de ne pas s’agresser ou, s’ils se battent, de respecter les lieux saints et les non-combattants.

Les serments prêtés à l’occasion de la Paix de Dieu sont passibles d’excommunication (on sort de la Paix de Dieu) s’ils ne sont pas respectés.
Au départ, assemblée d’Aurillac en 972.
Le mouvement s’étend ensuite.

Les rois capétiens ne font plus sentir leur influence, l’Église prend donc en charge l’ordre public.
Concile de Clermont (1095) : étend la protection de la Paix de Dieu non seulement aux lieux saints mais également aux clercs, aux femmes et aux biens des croisés.
D’autres conciles font ensuite des églises et des monastères des lieux d’asile, où l’on peut se réfugier en toute protection. Ces lieux d’asile permettent à ceux qui sont protégés par la justice de se mettre à l’abri.

Les puissants laïcs ne sont donc pas à l’initiative du mouvement de la Paix de Dieu, mais ils peuvent l’encourager pour renforcer leur autorité.
Si le recours à la violence est encadré, les conflits se règlent par des voies judiciaires → profite au juge.
→ 2ème âge féodal : société plus organisée, plus hiérarchisée.

Ensuite : Trêve de Dieu (mettre des moments hors de la guerre).
Débute au concile d’Elne (1027) puis est relayée par le concile de Clermont.

Au départ, la Trêve de Dieu prévoit qu’on ne se bat pas le dimanche.
Ensuite, on ne se bat pas le jeudi (jour où le Christ a institué la messe) ni le vendredi (jour où le Christ a été crucifié).
On ne se bat pas non plus pendant l’Avent et le Carême.
Il n’y a donc plus que 80 à 90 jours par an où on peut se battre.
Pour Saint Augustin, pareil pour les relations sexuelles.

Une fois que le pouvoir royal est suffisamment fort, il prend le relai avec un certain nombre de dispositifs :

  • La quarantaine-le-roi est un délai de 40 jours qui s’impose au nom du roi entre la déclaration de guerre et le début des hostilités.
    Institué au début du 13e siècle par Philippe Auguste.
    Objectif : éviter des guerres surprises.
    On exige des belligérants qu’ils se déclarent formellement la guerre pour éviter les attaques par surprise.
  • L’asseurement : acte devant autorité garantissant la paix entre deux parties adverses, généralement après une vengeance.
  • La sauvegarde : le roi accorde sa protection à des biens ou des personnes (églises, villes, marchands, …).

Ce qui met vraiment fin aux guerres privées, c’est le développement d’une armée permanente à partir du 15e siècle.
Le roi est alors matériellement en mesure d’interdire les guerres privées.

Section 2 : Le sacre

Le sacre fait partie des socles du pouvoir capétien.

⚠️ Le sacre n’est pas un sacrement.

Le sacre a une origine biblique : dans la Bible, le peuple des juifs veut un roi, comme les peuples voisins. Dieu charge son prophète Samuel de désigner le roi qu’il a choisi (choix fait par Dieu, manifesté par le prophète). Il désigne Saül, qui faute et est remplacé par David.

Avec la christianisation, l’Église prend la place des prophètes.
Cette manifestation religieuse du choix de Dieu prend la forme d’une onction (geste par lequel on frotte avec une huile).

Pépin le Bref se fera sacrer 2 fois (les Pippinides tiennent leur légitimité de la religion).
À partir de ce moment les rois seront sacrés.
Le rituel du sacre se fixe dans la 2ème moitié du 9e siècle, avec Hincmar de Reims.
Au départ, c’est un privilège personnel de l’archevêque de Reims de sacrer le roi.
À partir de la bulle Urbain 2 de 1089, c’est un privilège réel de l’église de Reims.
Une filiation s’établit entre le sacre des rois de France et le baptême de Clovis par St Rémy vers 487.
→ le rituel du sacre permet d’établir une continuité entre les dynasties

I – Le rituel

Le sacre n’a rien de routinier (1 par génération !).
Chaque sacre est l’occasion d’une nouvelle réflexion, d’une nouvelle interprétation des symboles.

A – La promesse du sacre

Il s’agit d’une promesse (engagement moral ; celui qui ne respecte pas sa promesse sera puni par Dieu) et non d’un serment (engagement juridique ; celui qui ne respecte pas son serment sera puni par un juge).

La promesse intervient avant de recevoir l’onction.
Elle est introduite dans le rituel en 869 par Hincmar avec Charles le Chauve.

À compter de 877, avec le sacre de Louis le Bègue, le contenu de la promesse est définitivement fixé.
Le roi s’engage à protéger l’Église, à assurer la paix à son peuple, à faire respecter la justice.
(+ à partir de 1215 : à combattre l’hérésie : posera problème avec l’arrivée sur le trône de Henri IV, protestant)
À partir de Charles 5, le sacre est aussi un engagement de ne pas aliéner le domaine de la couronne.

Au 18ème siècle, une partie de la doctrine proposera une lecture constitutionnaliste de la promesse du sacre. Le texte de la promesse serait une sorte d’embryon de constitution rédigée.
→ lecture contractualiste dans une ambiance favorable aux théories du contrat social

Il n’est pas anodin que la cérémonie commence par les engagements que prend le roi.
Il y a quelque chose de l’ordre du donnant-donnant : c’est parce que le roi s’engage qu’en échange l’Église lui apporte son soutien / sa légitimité divine.

La promesse est une trace résiduelle de l’élection du roi : entre 877 et 987, le roi avait besoin de l’accord des pairs (= grands du royaume) pour devenir roi.
Le roi : primus inter pares → le 1er parmi les pairs.
À partir de 1180, la liste des pairs s’est fixée à 12, sur le modèle des 12 apôtres du Christ → 6 ecclésiastiques et 6 laïcs.
Le roi créera de nouveaux pairs ; ils pourront être réunis en cour des pairs ; ils auront le droit de siéger au Parlement de Paris.

Au fur et à mesure que les fiefs correspondant aux 6 pairs sont réunis dans le domaine royal, ce sont des membres de la famille qui vont tenir lieu de pairs au sacre.
→ Au début, le roi tient son pouvoir de l’élection
→ Ensuite, la signification se renverse : la cérémonie du sacre fait de la famille royale une famille sacrée

À partir de St Louis (sacré en 1226), l’intervention des pairs est déplacée après l’onction.

B – L’onction

L’onction est le cœur de la cérémonie.
Le roi est touché avec une huile sainte en 9 points du corps.
Il est vêtu d’une simple tunique → position d’humilité symbolique.

On utilise l’huile de la Sainte Ampoule (fiole contenant une huile sacrée qui, selon la légende, aurait servi lors du baptême de Clovis).

C – La remise des regalia et le couronnement

Les regalia sont les insignes de la fonction royale.
À part la Sainte Ampoule, ils sont conservés à l’abbaye de St Denis, qui est la nécropole monarchique (là où les rois se font enterrer), et ils sont amenés à Reims quand on procède au sacre.

> Éperon doré
> Anneau conjugal que porte l’évêque symbolisant son mariage avec l’Église de son diocèse
(l’anneau fait du roi l’époux de la couronne → il ne peut pas disposer des biens de la couronne)
> Le sceptre long et la main de justice (symbolise le contact direct qu’a le roi avec dieu)
> Épée associée à Charlemagne
> Couronne → objet circulaire qui n’a pas de limite ni de fin, comme le pouvoir royal
+ le roi est assis sur un trône

La couronne devient peu à peu le symbole de la monarchie.
Depuis 816, le roi est couronné en même temps qu’il est sacré.

D – L’acclamation

Formellement, le dernier sacre est celui de Charles 10.
À la Révolution, les regalia ont été fondues et revendues.

Ici, l’acclamation renvoie à une tradition franque : quand le chef de guerre était choisi, les guerriers francs l’acclamaient.
Les habitants du royaume crient « nous approuvons, nous voulons qu’il en soit ainsi ».
→ approbation qui ajoute une couche supplémentaire de légitimité

Peu à peu, les mœurs évoluent et on ne crie plus dans les églises.
L’acclamation est remplacée par une approbation silencieuse (le silence montre que personne ne s’oppose).

E – La guérison des écrouelles

Écrouelles : infection pulmonaire qui produit des symptômes cutanés.
Les rois de France et d’Angleterre sont réputés détenir le pouvoir de guérir les écrouelles par simple contact.
Le roi guérit par l’imposition des mains. Il dit « le roi te touche, Dieu te guérit ».
À partir de Louis 15, devient « le roi te touche, que Dieu te guérisse » → on n’est plus sûr que ça arrive.
Idée : le pouvoir de guérir des écrouelles dérive du sacre. C’est parce que le roi est sacré qu’il guérit.

Le roi guérit des écrouelles à son sacre, mais aussi en beaucoup d’autres occasions.

II – Sacre et succession

A – La pratique du rex designatus

Rex designatus : roi désigné.
rex coronatus : roi couronné.

Le roi n’attend pas sa mort (et la période d’instabilité qui l’accompagne) pour sacrer son fils.
En 754, Pépin le Bref se fait sacrer par le pape avec toute sa famille.
Cette méthode sera utilisée de façon systématique par les capétiens.

Pour que ça fonctionne, il faut qu’il n’y ait pas de succession féminine ni de succession collatérale.
Entre 987 et 1316, il y a toujours un fils pour succéder au père.
Les historiens appellent ce hasard peu probable « le miracle capétien » : pendant 6 générations, le père pourra faire sacrer son fils de son vivant.
Jusqu’à Philippe Auguste (meurt en 1223), le fils est associé à son père en étant élu puis sacré du vivant de son père.
La monarchie capétienne devient donc progressivement héréditaire : l’habitude se prend que les fils succèdent au père grâce à la pratique du rex designatus.

L’étape de l’élection disparaît, absorbée dans le rituel du sacre.
Au début de la période, le roi a besoin de l’accord des puissants ; progressivement, on se dispense de cet accord formel.

Alors, à quoi sert le sacre ?
Permet d’assoir la légitimité du roi : pour la majorité de la population, le roi est roi car il est sacré.
C’est pour ça que la mission de Jeanne d’Arc est d’amener Charles 7 à Reims pour qu’il y soit sacré ; et que Napoléon se fait sacrer en 1804.

Robert le Pieux est roi en 1025 et son fils désigné meurt.
Le père veut que l’aîné des 2 fils survivants succède parce que c’est l’habitude.
Le principe de primogéniture se prend donc.
→ même principe se prend pour la succession des fiefs
→ parce que choisir l’aîné, c’est diminuer les chances que le successeur soit enfant

Le principe du rex designatus permet donc aux capétiens de mettre en place des règles qui assurent la pérennité de la dynastie.

B – Vers le principe de la succession instantanée

À partir de 1223, le sacre a une portée simplement déclarative.
Louis 8 datera le début de son règne du jour de son sacre.
Philippe 3 « le Hardi » est le 1er à dater son règne de la mort de son père et non de son sacre.

Ce principe coutumier est formalisé par des ordonnances de 1403 et 1407.
On applique au trône les règles qui se sont développées en droit coutumier pour la succession aux biens.
« Le mort saisit le vivant » → le mort tient en main le vivant ; celui qui succède est immédiatement investi des biens, sans transition.
→ Il y a toujours un roi. Quand un roi meurt, son fils devient roi immédiatement.

La France a connu au moins 1 occupation anglaise, il existe donc des rituels importés par la monarchie anglaise.
Notamment : les funérailles royales.
À partir de 1498, formule « Le roi est mort, vive le roi ».
→ Il y a une continuité ; il y a toujours un roi vivant.
→ « Le roi ne meurt pas en France » (Henri 2 à Catherine de Médécis)

L’historien du droit Kantorowicz y voit une double nature de la monarchie :
> elle s’incarne dans un homme – le corps physique du roi
> et dans le corps mystique de la monarchie, qui lui ne meurt pas

On attribue à Louis 14 la phrase « l’État, c’est moi », ce qui est faux (personne n’a jamais reçu l’État à manger ; on n’en voit que des manifestations).
En revanche, il a réellement déclaré en mourant « je m’en vais, mais l’État demeurera toujours ».

Section 3 : La famille royale

I – Le statut de la famille royale

Le problème, c’est que certains des parents du roi sont des successifs (= des gens qui sont des relais naturels du point du vue du droit).
Dans le même temps, ils ont des utilités propres ; le roi n’a pas intérêt à en faire des rivaux.
Dans le système franc de partage du royaume, il y a des exemples de dissensions au sein de la famille régnante qui pouvaient avoir des conséquences dramatiques.

Tendance : construction de la souveraineté, qui aboutit à l’adage formalisé par « le roi n’a point de compagnon en sa majesté royale ».

A – Le successeur au trône

La pratique du rex designatus ne disparaît pas, mais à partir du milieu du 14e siècle on appelle le successeur au trône le dauphin.
Objectif : éviter que le fils ne s’érige en rival de son père (ce qui se produit encore dans la 2nde moitié du 15ème siècle).
→ il n’y a donc pas de statut spécifique pour le successeur au trône, même quand il est le fils du roi

Un problème se pose : que se passe-t-il quand on a une succession collatérale ?
Ce problème se pose dans les successions collatérales de la fin du 15e siècle.

Exemple : un grand-père (GP) a 2 fils : un fils aîné (FA) et un fils cadet (FC).
FA a un fils (→ petit fils de la branche aînée, PFBA). FA meurt avant GP.
Quand GP meurt, qui lui succède : FC ou PFBA ?

La règle qui s’applique est que le petit fils prend la place de son père.
L’Angleterre adopte des règles de succession différentes.

B – La reine

La reine est l’épouse du roi.

Jusqu’à Marie de Médicis, les reines sont sacrées comme leurs maris, dans la Sainte-Chapelle puis à Saint-Denis.
On utilise l’huile de la Ste Ampoule (onction en 2 points du corps seulement).

La reine a parfois joué un rôle considérable, en fonction de la personnalité du roi et de la reine et des configurations dynastiques (la reine pouvant exercer la régence).

Dans les 1ers temps de la dynastie capétienne, la reine était systématiquement choisie dans les descendants de Charlemagne (sauf Anne de Pierre, qui était apparentée à la dynastie d’Alexandre le Grand).
→ la reine est étroitement associée au trône

On parle de trinité capétienne pour désigner l’ensemble que forment à la tête du royaume :
> le roi portant la couronne
> le fils désigné pour lui succéder
> la reine, elle-même sacrée

Quand elle devient veuve, la reine jouit du douaire, qui est une partie des biens du mari (= dans le cas de la reine, une fraction du domaine royal).
Cela permet à la reine douairière (souvent la mère du roi désigné) de vivre et de tenir sans le roi.

Le douaire est assimilé à l’apanage (= part de l’héritage royal réservée aux fils et filles du roi exclus de la succession, devant revenir à la ligne royale après extinction des mâles).
Le douaire est « l’apanage de la reine ».

Le choix de la reine n’est pas le fruit du hasard.
Elle apporte des espérances (une capacité à succéder à certains fiefs).

Le droit canonique impose jusqu’au 13e siècle une interdiction de parenté, qui va jusqu’au 7e degré.
Il existe 2 façons de compter la parenté :

  • On peut compter le nombre de personnes ; l’oncle et le neveu sont alors à 3 degrés d’écart ; c’est la manière de compter du droit romain, reprise ensuite dans le Code civil.
  • On peut compter les générations ; l’oncle et le neveu sont alors à 2 degrés d’écart.

Ne peuvent se marier que les descendants sur 7 générations.
Objectif : brasser les populations.
Mais il est très difficile de trouver à épouser des femmes qui ne sont pas des cousines.
L’Église est en position d’arbitre du mariage des familles royales.

C – Les frères du roi et les apanagistes

Dans la famille royale, il n’y a pas de tradition que les fils deviennent ecclésiastiques.
On a trop besoin des garçons pour leur faire épouser des héritières.

Le royaume n’est plus partagé à la mort du roi depuis la fin du 9e siècle.
Pour autant, les fils cadets vont recevoir de quoi vivre et de quoi tenir leur rang.
→ les apanages

Les apanages se transmettent de mâle en mâle et font donc toujours partie du domaine de la couronne.
Si la lignée s’éteint, l’apanage retourne à la couronne.
Il n’y a pas de succession collatérale pour les apanages.

Intérêt des apanages : les gens nouvellement réunis à la couronne vont garder leur autonomie et être administrés en souplesse en ayant un prince qui s’en charge spécifiquement.
Danger : que les apanagistes agissent de plus en plus dans leur intérêt propre que dans l’intérêt de la couronne (qu’eux aussi essaient d’augmenter leurs possessions en épousant des héritières).

Les filles ne sont pas dotées de terre : les apanages, ce n’est que pour les garçons.
Elle reçoivent à la place une dot en argent.

La notion de prince du sang désigne tous ceux qui participent à la sacralité royale et qui peuvent être amenés à monter sur le trône.
Dans la hiérarchie sociale de l’Ancien Régime, ils sont au-dessus de tous.

II – La régence

La régence est une période où le roi n’est pas en mesure d’exercer la fonction royale.
C’est une période de faiblesse pour la monarchie.

Cas de figure dans lesquels s’ouvre une régence :
> régence pour cause de minorité
> régence d’absence : le roi est en croisade, prisonnier, etc.

Il n’existe pas de régence pour maladie.

A – L’attribution de la régence

Dans certains cas, la régence va à l’oncle.
Dans d’autres, à la reine (en cas d’absence, ou à la mère du roi en cas de minorité).

Ont pu être régents :
> un oncle maternel
> une mère
> une sœur aînée et son mari
> même l’abbé Suger, qui n’était pas membre de la famille royale !

→ il n’y a pas de règles : la régence est un exemple d’échec de la formation d’une règle coutumière

La tendance à partir du 16e siècle est que le pouvoir soit confié à la reine en cas de régence d’absence et surtout de minorité.
C’est la loi salique qui pousse à la régence des femmes : la reine est la candidate idéale pour la régence, puisqu’elle ne peut pas succéder (→ pas de danger d’usurpation du trône).

Parfois, il est cependant nécessaire de faire appel à un oncle (ex : Philippe d’Orléans devient régent à la mort de Louis 14).

L’attribution de la régence fait partie des lois fondamentales, mais on ne s’est pas mis d’accord sur son contenu.

B – Les pouvoirs du régent

La régence se fonde sur le modèle de la garde des fiefs.
Idée : le roi mineur demeure le roi ; le régent agit en son nom.
Le régent ne remplace pas le roi.

Le roi, quand il meurt, essaie d’encadrer la régence par un conseil de régence, qui se révèle souvent inefficace.
En pratique, le régent exerce tous les pouvoirs du roi.

La régence d’absence dure jusqu’au retour du roi.
La régence de minorité dure jusqu’à l’âge fixé de la majorité royale :

C – La minorité royale

L’âge de la minorité royale a fluctué.
Au départ, c’était l’âge où l’on devenait chevalier.
Philippe 1er prend le pouvoir à 16 ans et Louis 9 à 20 ans.
Le risque est que le régent décale la majorité pour garder les pouvoirs plus longtemps.

En 1270, on fixe l’âge de la majorité à 14 ans.
Il est formulé solennellement par Charles 5 en 1374.
On parle de « 13 ans révolus » = l’anniversaire des 14 ans.

Un adolescent de 14 ans n’exerce pas directement la totalité du métier de roi.
Aux 16e/17e/18e siècles, la déclaration de la majorité marque la majorité du roi, mais il reste accompagné.

Louis 14 devient roi à 13 ans, mais en pratique le pouvoir reste aux mains de sa mère régente et de Mazarin. Ce n’est que quand Mazarin meurt que le gouvernement personnel de Louis 14 commence.

Les ordonnances de 1403 et 1407 soulignent que, même pendant la période de régence, les actes sont pris au nom du roi.
> « il n’y a pas de régence en France »
> « le roi de France est toujours majeur »

Section 4 : Les lois fondamentales

Il y a un fort investissement sur les lois fondamentales au 19e siècle.
1ère raison : il y a des rivalités entre la branche aînée (famille du roi d’Espagne) et les Orléans (descendants de Louis-Philippe) à partir de 1843.
2ème raison : on va chercher dans les lois fondamentales l’équivalent d’une constitution (= constitution coutumière de l’ancienne France).

Les lois fondamentales structurent par nature la monarchie par ses origines.
À l’usage, elles se fixent de crise en crise : le règlement de la crise détermine la façon dont la règle se pose.

La loi fondamentale apparaît dans un contexte spécifique de guerre religieuse afin de limiter le pouvoir royal et son fondement.
→ apparaît sous la plume des protestants

Les monarchomaques sont des opposants protestants des catholiques qui combattent la monarchie ; ils développent l’idée que le roi est limité et revendiquent une souveraineté partagée.
Lors du massacre de la Saint-Barthélemy (1572), ils comprennent qu’ils ne parviendront pas à convaincre le roi.

Jean Bodin publie Les Six Livres de la République en 1576.
C’est un ouvrage majeur, dans lequel il achète de définir le contenu de la souveraineté.
Idée : la souveraineté ne se partage pas (thèse absolutiste).

La loi fondamentale a 2 aspects :
> celle qui concerne la dévolution de la couronne
> celle qui concerne le domaine royal

La loi fondamentale fonde la légitimité et est hors de portée du roi.
On ne peut pas penser les lois fondamentales tant qu’on n’a pas affirmé la conception de la souveraineté.
Question : y a-t-il des règles spécifiques que le roi ne peut pas changer ?
On les assimile peu à peu à une constitution.

I – La dévolution de la couronne

A – Le principe de masculinité

Rappel : sous les capétiens, le principe est celui de l’indivisibilité du royaume.
En 987, Hughes Capet devient roi.
Son fils, Robert 2, a plusieurs fils mais n’en a qu’un seul qui lui succède (Henri 1er).

Miracle capétien : période qui, de 987 à 1316, voit se succéder à la tête du royaume de France les 13 premiers descendants en ligne directe d’Hugues Capet.
→ l’accession à la couronne de France, préalablement élective, devient par l’usage héréditaire

1316 : Louis 10 meurt sans héritier mâle.
La noblesse française s’accorde pour exclure sa fille légitime, la princesse Jeanne.

Arguments de droit :

  • En faveur de Jeanne :
    • Des femmes exercent le pouvoir (il n’y a pas de principe d’exclusion des femmes du pouvoir)
    • Des femmes peuvent monter sur le trône dans les royaumes étrangers
    • Des femmes peuvent succéder aux fiefs
      → raisonnement par analogie : la couronne est associée à un fief
  • En défaveur de Jeanne :
    • Parmi les activités spécifiquement masculines, certaines sont propres au roi (division sexuée des activités)
    • Adage : « les lys ne filent point » (les lys représentent la monarchie)
      → les femmes ne font pas la guerre et les hommes ne filent pas la laine
      + adage : « le royaume de France ne saurait tomber de lance en quenouille »
    • Le roi est un quasi-évêque par son sacre ; or, une femme ne peut pas être ordonnée.
      Ces arguments sont assez faibles et peuvent facilement être démontés (ex : le roi fait aussi des choses que les évêques ne font pas, comme se marier).
    • Depuis le 13e siècle, les constitutions d’apanage contiennent une clause de retour à la couronne faute d’héritier mâle → les apanages ne reviennent pas aux filles.
      Or les apanages sont des fragments du domaine de la couronne.
      S’ils ne passent pas aux filles, à fortiori l’ensemble de la couronne elle-même ne passe pas aux filles.

En 1328, il y a 2 prétendants au roi : Édouard, le roi d’Angleterre, et Philippe 6, cousin et régent de Charles 4.
Les États généraux confirment la non transmission du royaume aux femmes, et confient la couronne au régent, qui devient roi de France (jusqu’en 1350).

Idée : la femme ne peut pas faire « pont » et « planche » d’une couronne qu’elle ne peut pas porter : comme elle ne peut pas hériter de la couronne, elle ne peut pas la transmettre.

En 1358, Charles 5 devient régent pour son père : encore une nouvelle situation.

Richard Lescot exhume au 14e siècle un manuscrit de la loi salique de la bibliothèque du monastère de Saint Denis

Si les terres sont données pour rendre un service militaire, elles ne passent pas aux femmes, parce que les femmes ne rendent pas le service militaire.
💡 a contrario, raisonnement développé ici : les femmes succèdent, sauf dans certains cas

B – L’indisponibilité de la couronne

Au début du 15e siècle, le royaume est divisé en 3 ensembles :
> un tiers nord-ouest, aux mains des anglais
> un tiers à l’est, aux mains des bourguignons
> un tiers au midi et au sud-est : l’endroit où le dauphin Charles 7 s’est réfugié

Traité de Troyes (1420) : imposé à Charles 6 (qui a de nombreux problèmes de santé mentale).
Prévoit un mariage entre la fille de Charles 6 et le roi d’Angleterre.
Charles 6 doit adopter son gendre (le roi d’Angleterre) et le reconnaître pour son héritier, déshéritant ainsi son fils biologique (le futur Charles 7).

Les anglais avouent la faiblesse de leur position juridique puisqu’ils se sentent obligés de recourir à ce montage de l’adoption.
Ainsi, la guerre de Cent Ans, depuis les années 1340, est lancée sur des bases dynastiques incertaines.

Dans le temps où l’on négocie le traité de Troyes, Jean de Terrevermeille, un juriste nîmois (partie du royaume pas tombée aux mains des anglais ou des bourguignons) rédige un ouvrage appuyant les prétentions du dauphin Charles.
Il y développe une argumentation qui répond aux prétentions anglaises. Il soutient les droits du dauphin Charles.

Idée principale : asseoir les droits du dauphin Charles à une régence.
Le plus proche successif a droit à la régence.
Il s’agit d’une argumentation a fortiori : puisque le dauphin Charles peut succéder à la régence, a fortiori il doit exercer la régence.

Argument incident : le fils est nécessairement successeur de son père, la chose ne peut pas souffrir d’accommodement → aura une très grande portée.
Le principe énoncé ici est celui de l’indisponibilité de la couronne (on parle aussi de théorie statutaire).

Il ne peut la donner ni la vendre.
Il ne peut pas exhéréder son fils, parce qu’il ne s’agit pas d’une succession de droit privé (= un héritage).
La succession à la couronne obéit à des règles spécifiques qui sont hors de portée du roi lui-même.
Si le roi ne peut pas modifier l’ordre successoral, c’est qu’il y a des règles qui sont hors de portée du roi.

Le roi de France ne peut donc pas abdiquer : l’ordre de succession s’impose à lui et il ne peut pas refuser d’être roi.

Les anglais continueront néanmoins de prétendre au trône de France jusqu’à la paix d’Amiens de 1802.

C – Le principe de catholicisme

Le chef des protestants, au fur et à mesure de la dynastie des Valois (au cœur des guerres de religion), ne cesse de se rapprocher du trône.
95% de la population du royaume demeure catholique, mais le protestantisme a gagné dans les élites (une partie de la noblesse + les milieux commerçants) et dans certaines provinces.

Plusieurs groupes s’affrontent : les protestants, dont l’objectif a longtemps été de convertir le roi (pour obtenir cujus regio ejus religio comme en Allemagne).
Après avoir compris que ça ne serait pas possible, ils cherchent à disposer du plus de garanties et d’autonomie possible.

Face aux protestants, les ultra-catholiques, rassemblés en ligues (on les appelle les « ligueurs »), considèrent que la France est catholique et qu’il ne doit pas y avoir de protestants.

Entre les deux se tiennent les catholiques modérés, qui se font appeler les « politiques ».
Ils considèrent que, catholique ou protestant, la qualité de français prime sur l’appartenance religieuse.
→ l’État est en train de remplacer l’Église

Henri 3 est proche des ligueurs, mais son successeur est protestant, ce qui pose problème.
En effet, Henri de Navarre (Henri 4) s’est converti plusieurs fois.
Il s’impose par les armes, mais pour éviter une guerre civile, il légitime son pouvoir en se convertissant au christianisme.
« Paris vaut bien une messe »

En 1598, il signe l’édit de Nantes qui autorise le culte protestant et met fin à plus de 3 décennies de guerres de religion.

Le principe de catholicité de la couronne s’ajoute et a la même valeur que la règle d’indisponibilité.
Ce principe est énoncé par l’arrêt Lemaistre du 28 juin 1593.

En 1700, le roi d’Espagne meurt sans enfants.
Il désigne pour lui succéder Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis 14 → devient Philippe 5 d’Espagne.
Immédiatement, c’est la guerre à l’échelle de l’Europe, opposant français et espagnols vs anglais et habsbourgs.
Cette guerre épuise tous les participants : 10% de la population du royaume meurt en 2 ans (conditions climatiques désastreuses + guerres).

On fait donc la paix : traité d’Utrecht (1713).
On reconnaît que Philippe d’Espagne est roi d’Espagne, mais en échange il renonce à ce que lui ou ses descendants puissent monter sur le trône de France.
→ pas de risque de fusion des couronnes française et espagnole
Mais ce traité contrevient aux lois fondamentales.

Louis 14 envisage l’extinction des bourbons.
Il tente de donner le maximum de pouvoir au duc du Maine.
Il passe l’édit de Marly en juillet 1714 et meurt le 1er septembre 1715.
Son testament politique est ouvert au parlement de Paris.

En février 1717, par l’édit de Fontainebleau, l’édit de Marly est abrogé.
Le régent, faisant parler le petit Louis 15, affirme que les rois sont dans “l’heureuse impuissance” de porter atteinte aux lois fondamentales.
⚠️ À ne pas confondre avec l’édit de Fontainebleau signé par Louis 14.

Idée : le domaine de la couronne est indisponible.
A fortiori il en est de même pour la couronne.
L’hypothèse proposée dans l’édit est que si tous les bourbons disparaissent, ce serait à la nation de se choisir une nouvelle famille royale.

Et si on rétablissait la monarchie aujourd’hui ?
Ce serait la branche d’Orléans sur le trône si on applique le traité d’Utrecht.

II – Le domaine royal

A – Les origines du régime du domaine royal

Principe : indisponibilité du domaine royal.
💡 Indisponibilité = inaliénabilité = ne peut pas être transmis à autrui.

Cette idée se met en place au 14e siècle.
Contexte : développement de l’impôt permanent.
Guerre de 100 ans.
Idée : le roi n’est que gestionnaire ; il doit bien gérer le domaine royal pour en tirer le maximum de revenus → il fait tout ce qu’il peut pour que les sujets paient le moins d’impôts possibles.

Mais estimation des revenus royaux de 1461 : la taille = deux tiers du revenu de l’État (1 200 000 l.t.) ; le produit net du domaine royal est négligeable (50 000 l.t.).

B – L’achèvement du processus : le contenu de l’édit de Moulins (février 1566)

En 1579, l’ordonnance de Blois établit comme principe l’inaliénabilité du domaine de la couronne.
Le roi ne peut pas donner des provinces en échange de sa liberté.

Corollaire : le domaine de la couronne est imprescriptible.

Février 1566 : édit de Moulins.
C’est l’un des rares textes du droit d’Ancien Régime toujours en vigueur aujourd’hui : si on veut revendiquer un droit de propriété sur un domaine public par nature (mer et rivages, rivières navigables…), il faut montrer une possession ininterrompue depuis février 1566.

On y distingue le domaine fixe du domaine casuel.
Le domaine fixe est l’ensemble des biens et droits acquis par la couronne à l’avènement d’un roi donné.
Le domaine casuel est une fraction du domaine qui échappe temporairement aux règles publiques (même racine que “occasionnel”).

Il y a une période de 10 ans pendant laquelle les biens qui appartenaient au roi avant qu’il ne monte sur le trône ou dont il hérite sur le trône sont considérés comme appartenant au domaine casuel.
→ il peut les vendre, les donner, les échanger

Il existe 3 exceptions :

  1. Les murailles et les remparts d’une ville : ils n’ont plus de fonction militaire et il faut les entretenir, ce qui coûte cher.
    On choisit donc de les vendre.
  2. Les apanages, qui sont confiés à des fils cadets pour leur permettre de tenir leur rang.
    À partir du 15e siècle, on fait en sorte de ne leur donner que des revenus, et non des provinces entières où ils pourraient devenir dangereux.
    Les apanages sont formellement démembrés du domaine de la couronne.
  3. Les engagements, qui sont vus comme un prêt.

    Le roi a besoin d’argent, donc il emprunte. Il donne comme garantie à ses créanciers un bien du domaine de la couronne.
    Le bien produit des revenus : l’engagiste perçoit ses revenus (= les intérêts de la somme prêtée).
    Le roi récupère le bien engagé dès qu’il rembourse la somme prêtée.

    L’engagement peut être envisagé comme une vente avec possibilité de rachat éternelle.
    Le roi peut toujours racheter le bien comme bon lui semble.

    La théorie de l’engagement vide totalement de sa substance le principe d’inaliénabilité du domaine royal.
    Elle permet cependant au roi de jouer sur l’inflation.
    Exemple : un terrain est “acheté” 1 000 livres ; 100 ans après, le roi veut le racheter, mais maintenant il vaut 10 000 livres ☹️
    On va s’arranger : le roi ne récupère pas le terrain, mais obtient un loyer.

Chapitre 1 : Les facteurs du renouveau

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’introduction historique au droit.

Section 1 : L’environnement de l’État monarchique

I – Économie : l’accumulation primitive du capital

Aujourd’hui, on peut faire des emprunts. L’argent prêté par la banque vient de l’emprunteur précédent. Mais quand est-ce que ça commence ?
Il faut un stock de liquidités pour pouvoir prêter.
→ Question du décollage que connaît l’Occident à partir du 12e siècle.

A – La croissance des 11e-14e siècles

Cercle vertueux : évolution technique, nouveaux modes de culture, croissance démographique, renouveau des échanges commerciaux, amélioration des voies de communication.

Se renverse au 14e siècle : le monde est « plein » du point de vue démographique, la production agricole s’effondre, c’est la famine.
On passe de la seigneurie au royaume. Guerre de 100 ans.

À partir de 1348, la peste ravage l’Occident.
Pendant 4 à 5 ans, elle ravage l’Europe.
1/3 de la population disparaît.

L’effondrement démographique permet de repartir sur de nouvelles bases ; l’effondrement économique est vite rattrapé.

B – L’explosion urbaine

Le monde romain – comme le monde grec – est organisé autour de la ville.
À la fin de la période romaine, toutes les villes se sont fortifiées et ont tendance à se rétracter.
Les villes de l’époque franque / féodale : petits centres urbains.

Les villes sont les principales bénéficiaires du renouveau démographique.
Lieux de commerce, d’une grande fluidité sociale, espaces de liberté (« l’ère de la ville rend libre »).

Si un serf s’échappe de son seigneur, il peut être poursuivi par son seigneur jusqu’à ce qu’il arrive en ville.
Le seigneur ne fait pas la loi en ville et les habitants des villes jouissent de privilèges (en matière fiscale, de procédure).

Les villes sont des lieux de différenciation économique et sociale.
Avec la diversification des activités, les artisans sont de plus en plus spécialisés.

Lieux de solidarité. Les métiers = ce qui correspond à notre statut social :
> apprentis (ceux qui apprennent)
> compagnons (salariés)
> maîtres (employeurs)

II – Société : les 3 ordres et la bourgeoisie

Idée générale : la croissance économique s’accompagne d’une amélioration de la condition juridique et économique des plus modestes, car il y a des besoins de main d’œuvre.

A – La trifonctionnalité traditionnelle

Maître Dumézil propose une représentation du monde en comparant des mythes fondateurs du monde entier :
> magico-religieux
> fonction guerrière
> fonction nourricière

Quand Platon écrit La République (début du 4e siècle), il propose une cité utopique organisée en 3 groupes :
> philosophes/sacré
> guerriers
> producteurs

À la fin du 10e siècle, un basculement s’opère.
Jusqu’alors le monde des hommes est pensé comme constitué de 3 groupes : réguliers, séculiers, laïcs.
2 auteurs, Gilbert de Brune et Adalbéron de Laon, disent que la société est divisée en 3 groupes :
> ceux qui prient
> ceux qui se battent
> ceux qui travaillent
→ accompagne la constitution en un groupe cohérent d’une élite au sein des hommes libres : les militaires qui forment peu à peu la noblesse

À partir de la fin du 13e siècle, quand le roi voudra consulter des représentants de certaines provinces, il les réunira en 3 catégories : les représentants du clergé, de la noblesse et du Tiers-État.
Cette organisation demeure jusqu’aux États généraux de 1789.

Un nouveau groupe émerge à partir des villes : les bourgeois.
Bourgeois : habitant du bourg (noyau urbain qui se développe à côté d’une vieille cité ou d’un château.
Bourgeoisie : nouvelle élite marchande et intellectuelle issue des villes.

Les pouvoirs municipaux sont de + en + importants, accompagnés par les pouvoirs seigneuriaux.
Les villes se pensent comme des seigneuries collectives. Elles prennent des formes très variées.
Magistrats municipaux élus pour 1-2 ans + un conseil (qui peut être composé d’anciens magistrats municipaux) + une assemblée générale des habitants.

Les villes sont des places fortes, entourées de murailles.
Les villes sont des réservoirs démographiques.

III – Civilisation : la découverte de l’Europe

Au 11e siècle, l’Europe prend conscience d’elle-même.
À partir de 1054, la religion sépare l’Orient et l’Occident.

Cette Europe se pense avec 2 modèles : modèle religieux juif + modèle culturel gréco-romain.
Volonté de retour à l’antique.

Naissance des universités :
Au début, les universités sont des petits centres d’enseignement autour des cathédrales.
Progressivement, d’autres lieux d’enseignement apparaissent, avec le soutien de l’Église, et se structurent peu à peu en facultés.
3 facultés supérieures : théologie, droit, médecine.

Dans une ville où il y a plusieurs facultés, maîtres et élèves forment une communauté : on parle d’université.
Les 1ères universités apparaissent au cours du 12e siècle.

Section 2 : L’ordre juridique

Le développement de l’État entraîne un monisme juridique : l’État concentre le droit.
Le droit se confond avec l’État, contrairement au paradigme de la hiérarchie des normes qui est aujourd’hui dominant.

Ambiance jusnaturaliste : logique de droit naturel où le droit positif (le droit en vigueur parmi les hommes) s’évalue par un critère qui lui est extérieur.
On ne parle pas de normes, mais de règles.

Il existe une pluralité des sources du droit qui ne s’accompagne pas d’une hiérarchie à priori.
Au fur et à mesure que la monarchie se renforce, le roi tend à prendre le contrôle des sources du droit.

I – La coutume

A – Aperçu de la notion de coutume

La coutume est théorisée par les auteurs médiévaux à partir d’éléments tirés du droit romain.
On peut partir de la définition que Cicéron donne de la coutume au 1er siècle avant J-C :

Un droit qu’un long espace de temps a rendu obligatoire par la volonté de tous sans intervention de la loi.

La coutume suppose la réunion de 2 éléments :

  1. Corpus (élément matériel) : un usage (= pas du droit).
    L’usage repose sur la répétition (« une fois n’est pas coutume »).
    La répétition suppose que ça ait duré (usage inscrit dans le temps).
    Conséquence : si le temps produit la coutume, le temps fait disparaître la coutume.
  2. Animus (élément psychologique) : l’opinion de la nécessité.
    On suit la coutume parce qu’on pense que c’est obligatoire.
    La coutume ne peut pas être fondée sur la violence.

B – La généralisation des coutumes territoriales à l’époque féodale

Corrélation entre les cadres du pouvoir et les cadres juridiques → l’atomisation des cadres du pouvoir que connaît le 1er âge féodal s’accompagne d’une territorialisation du droit (pouvoir central trop faible).

11e/12e : la coutume peut désigner les redevances féodales (« mauvaises coutumes »).

Les coutumes sont souvent un moyen de limiter l’arbitraire seigneurial.

La monarchie, quand elle commencera à se reconstruire, utilisera au départ la nécessité de réformer les mauvaises coutumes.

Le ressort des coutumes est très variable : l’émiettement juridique correspond à l’émiettement politique.
Là où le processus de fragmentation a été limité apparaissent les premiers grands textes coutumiers ; ex : Normandie (fin du 11e siècle).

Vers 1163, Louis 7 renvoie à la coutume du royaume à propos d’un conflit particulier : c’est la 1ère fois qu’on fait référence au droit français avec l’idée qu’il y a un droit qui s’applique à l’ensemble du royaume.

Le droit coutumier veille à ce que les biens restent dans la famille et ne passent pas par mariage à d’autres familles.

C – Inconvénients d’un droit oral et premières tentatives de remédiation

Avantage de la coutume orale : est souple, s’adapte sans cesse.
Mais elle est incertaine, et sera dommageable à mesure que l’on entre dans une civilisation de l’écrit.

Aujourd’hui, devant le juge, on n’a pas à prouver le droit.
Dans le droit coutumier, on peut avoir à prouver le droit.
Une distinction s’établit entre :

  • les coutumes notoires : celles qui sont censées être connues, consacrées par les jugements antérieurs ; et
  • les coutumes privées : celles dont il incombe au plaignant de rapporter la preuve.

Saint-Louis (Louis 9) va généraliser l’enquête auprès de témoins.
À partir du milieu du 13e siècle, on considère qu’une coutume est prouvée si une foule s’appuie sur son contenu.
On parle de turbe. Une turbe est composée de minimum 10 personnes.

« Un seul témoin n’est pas valable ».
On demandera que 2 turbes concordantes garantissent le contenu de la coutume.

La meilleure coutume : la coutume immémoriale, celle dont on a oublié l’origine.
Les civilis (= les juristes formés au droit romain / au droit civil) vont appliquer à la coutume les règles romaines de la prescription.
Une coutume est invétérée si on peut porter son existence sur 10 ans ou 20 ans dans le silence du droit romain.
(30 à 40 ans quand la coutume prévoit des dispositions contraires à celles du droit romain)

Tendance : fixer par écrit les coutumes à partir de Gratien sur le modèle de la compilation de Justinien.
Dans le midi, cette rédaction des coutumes prend une tournure officielle sous l’égide des autorités seigneuriales ou municipales.
Dans le même mouvement, les seigneurs concèdent aux autorités urbaines des franchises, consignées dans des chartes : ils reconnaissent leur droit de fixer le droit.
Franchises : textes longs qui concernent à la fois ce qui ressort du droit privé et du droit pénal + les dispositions de police + les mécanismes d’organisation de l’économie.
→ La coutume va de pair avec l’émancipation
→ Elle est étroitement liée à la diffusion du droit romain : c’est à mesure que le droit romain devient influent dans le midi que, par réaction, se fixent les droits coutumiers locaux

Si les libertés locales sont également garanties par les chartes dans le nord, elles ne comportent pas d’éléments de rédaction des coutumes.

⚠️ Le changement de support du droit n’est jamais neutre ; ça modifie sa substance et son esprit.
Cette opération de rédaction introduit dans le droit coutumier des éléments romaniques ; ex : les coutumes de Toulouse sont rédigées en 1286.

Dans le nord, la rédaction des coutumes au 13e siècle se fait sur la base de compilations privées.

Les Coutumes de Beauvaisis : ouvrage de droit français médiéval écrit par Phillipe de Beaumanoir en 1283.
2 000 paragraphes.
Intérêt : est une œuvre hybride, et pas juste un recueil de coutumes.
En plus des coutumes, il y a des doctrines qu’il commente, et il compare les coutumes à d’autres coutumes, aux droits savants, au droit canonique, et à des arrêts du parlement.

Le mouvement de mise à l’écrit se poursuit aux 14e et 15e siècles.
Défauts de ce mouvement :
> il néglige souvent le droit des roturiers et se concentre sur les fiefs
> il introduit des éléments romanisants

II – La redécouverte du droit romain

L’Angleterre est le modèle de ce que serait devenu le droit en Europe s’il n’y avait pas eu la redécouverte du droit romain, qui permet la renaissance sur le modèle romain de la science juridique et l’essor des droits savants.

A – Sources et étude du droit romain

Selon la légende, on redécouvre le droit romain quand on remet la main sur un manuscrit du Code justinien (code législatif + digeste + novelles). Ce manuscrit finit par être conservé à Florence.

Contexte historique : à partir du milieu du 11e siècle, démêlés entre le pape et l’empereur (querelle des investitures).
1ère occurrence : conflit entre un évêque et un couvent.

En réalité, le droit romain a été redécouvert un certain nombre de fois depuis le 6e siècle.

On va trouver dans le droit romain les outils juridiques nécessaires pour répondre aux nouvelles questions que l’on se pose.
→ une boîte à outils, utilisable immédiatement

La restructuration hiérarchique de l’Église se fait dans la matrice des États.
Le droit romain prend une part importante mais il serait abusif de postuler que tous les États se construisent sur le modèle romain.
Tout ça tient à un seul document, un seul manuscrit, par lequel l’essentiel du droit romain est redécouvert.

Le 1er enseignant donc l’existence est connue se situe vers 1070 : Pepo. Il commente le droit romain à Bologne.
Bologne devient la 1ère université de droit et la capitale de l’enseignement juridique jusqu’au milieu du 15e siècle.
Le droit romain avance ensuite vers le midi et le nord.

Au 13e siècle, les facultés de droit apparaissent.
C’est surtout l’étude du digeste qui retient l’attention des médiévaux.

Irnerius : grand père de tous les professeurs de droit. Fonde une école de droit romain à Bologne vers 1085.
Ses disciples directs deviennent les « 4 docteurs » de Bologne.
Il est le 1er glossateur médiéval.

Glossateur : juristes du Moyen-Âge, dont la méthode d’enseignement consistait à analyser les textes juridiques sous la forme de gloses, à l’origine interlinéaires ou marginales, élucidant le sens des mots.
(glose = commentaire de texte)

Progressivement, les commentaires vont s’attacher moins à la lettre qu’à l’esprit.
On va essayer de mettre en rapport ce que dit le droit romain avec la pratique en apportant dans l’étude du droit de nouveaux outils forgés par la scolastique.

François Accurse : juriste, professeur à l’université de Florence.
Il écrit la Grande Glose : rassemble toutes les annotations rédigées par ses prédécesseurs et lui-même.

La glose finit par acquérir une autorité comparable à celle du texte commenté.
Mais la méthode atteint ses limites : on en vient à gloser les gloses.

Les meilleurs étudiants émigrent à Orléans et y développent de nouveaux outils intellectuels.
Orléans devient le centre le plus innovant concernant l’enseignement pour le droit romain.
Postglossateurs : nouvelle façon d’envisager le droit romain ; illustrés par Révigny et Pierre de Belleperche ; puis retour à Bologne avec Bartole et Balde.

Méthode dialectique : on ne commente plus directement les textes, mais on va chercher dans différents textes les éléments de solution.
Rhétorique des citations : l’auteur n’exprime plus son avis, mais une foule de références.
On rassemble les textes et on chercher à les coordonner.

Le raisonnement juridique se précise et gagne en technique.
Les juristes sont payés de + en + cher.
→ Construction d’un droit nouveau sur une base romanistique

B – Pénétration, réception et influence du droit romain

Parfois, les parties s’engagent à ne plus recourir au droit romain.
→ Signifie qu’il commence à être appliqué quelque part
→ Peut-être une marque de prudence de la part des praticiens (grande maîtrise du droit romain mais pas dans la pratique)

La diffusion de l’écrit en droit = cause et conséquence de la romanisation.
Va de pair avec la professionnalisation des activités juridiques : être juriste devient un métier.

Contexte : concurrence entre les systèmes juridiques ; le plus performant s’impose.

Les règles coutumières sont en général peu intéressantes.
Le développement de l’écrit, l’enquête, et les procédés inspirés du droit romain s’imposent donc face aux preuves de type magico-religieux (ex : ordalies).

La royauté soutient cette transformation de la procédure car elle lui donne l’occasion d’intervenir.
Restauration de l’appel : quand on n’est pas satisfait d’un juge, on peut demander à un juge supérieur de juger.
Le juge suprême : le juge du roi.
→ Permet au roi de prendre le contrôle des juridictions seigneuriales.

Les techniques romaines s’imposent également en droit des obligations, notamment le droit des contrats.
En revanche, le droit familial est beaucoup plus conservateur : tous ces pans du droit restent coutumiers, même dans le midi où la romanisation sera souvent superficielle (plaquage d’un vocabulaire romain sur un droit coutumier).

Le droit des biens doit servir à penser une réalité qui n’a rien de romain (la réalité féodale) en termes romains.
→ À partir d’un matériau romain, on forge des concepts et outils totalement nouveaux

Le droit romain est perçu comme du droit coutumier dans le midi de la France.
Il y a le statut de coutume → correspond à la nature des peuples et aux spécificités locales.

Enjeux politiques : l’empereur d’Allemagne se présente comme héritier de l’Antiquité.
Appliquer le droit romain en France présente le risque de voir la France subordonnée à l’empereur, d’où le subterfuge de l’appliquer comme droit coutumier.

La France devient :
> un pays de droit coutumier au nord
> un pays de droit romain (remanié par les savants et interprété par les cours) au sud
À partir de la 2e moitié du 15e siècle : développement des parlements et cours de justice qui vont systématiser l’application des solutions romaines des coutumes → la jurisprudence restreint l’application du droit coutumier résiduel.

Dans le monde germanique, le mouvement de réception sera plus profond à partir du 15e siècle.

C – Roi de France et droit romain

Objectif : éviter une concurrence à la faculté théologique.
Idée : le roi n’est pas subordonné à l’empereur parce que le pape interdit que le droit romain ne soit enseigné dans la capitale française (jusqu’en 1679).

On met donc une distance entre le droit romain et le droit de France.
En Italie, les commentaires de glossateurs tendent à subordonner les rois à l’empereur.
Les canonistes se méfient du pouvoir de l’empereur (contexte : réforme grégorienne). Ils veulent rééquilibrer les choses au profit des rois contre l’empereur.

1202 : décrétale Per Venerabilem : le roi de France ne connaît pas de supérieur temporel (un supérieur spirituel : le pape).
Idée développée jusqu’à 1254 : « le roi de France est empereur en son royaume ».
→ il n’y a qu’une différence de titre avec l’empereur d’Allemagne

La souveraineté n’est pas une notion romaine, mais c’est à partir d’un matériau romain que l’on fabrique la notion de souveraineté (= élément sur lequel repose toute la construction de l’État).

D – Droit commun et droit français

Le droit romain interprété par les juristes : conception née de Bartole.

La hiérarchie des normes : en cas de contradiction, la norme supérieure s’applique (modèle haut/bas).
≠ droit commun : modèle devant/derrière (droit locaux, singuliers, particuliers)

Pour Bartole, le droit romain s’applique en fond → à titre supplétif, par exemple quand il n’y a pas de coutume.
En donnant ce statut de droit coutumier au droit romain, Bartole a une ambition politique : il valorise le droit romain (qui rapporte de l’argent) et l’autorité de l’empereur sur les rois, les seigneurs, etc.

Les français vont dire que le droit romain s’applique non en raison de l’empire mais sur l’empire de la raison → pas à cause de l’empereur, mais parce qu’il est simplement meilleur. 

Chapitre 4 : L’Église, mère de l’État

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’introduction historique au droit.

Idée : l’État s’est construit sur le modèle de l’Église en laïcisant des concepts théologiques.
L’État se développe dans un environnement structuré par l’Église que le limite.

La représentation politique (le fait que quand un député vote une loi, c’est le peuple ou la nation qui décide) trouve son origine dans le droit canonique (les moines décident collectivement sans tous se rassembler).

Section 1 : La « révolution chrétienne »

Dans La Cité antique, Fustel de Coulanges montre que là où nous distinguons un État et une Église, il n’y avait sous l’Antiquité qu’une seule chose.
Magistrat = prêtre.
Chez les grecs, la religion est ce qui assure la protection des dieux à la cité.
→ l’enjeu n’est pas le salut individuel (≠ christianité, islam)

Le christianisme constitue une rupture radicale de ce point de vue.

Dans un passage des évangiles, on demande au Christ s’il faut payer l’impôt à César ; sa réponse : “rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”.
On distingue 2 plans :
1. spirituel
2. temporel
Payer l’impôt est une affaire temporelle : reconnaître le pouvoir de l’empereur ne fait donc pas de nous un mauvais juif.

Le christianisme est une religion du salut de la personne : la religion est ici l’affaire de la relation entre le fidèle et la divinité.
Le concept de personne se fixe dans les 1ers siècles du christianisme : individu en relation avec ses semblables et avec dieu.

Analyse que St Paul fait : « tout pouvoir vient de Dieu ».
→ on distingue spirituel et temporel
→ même le pouvoir temporel est tenu de Dieu
→ le christianisme a mis en place les conditions de la laïcité, même si elle se construit contre l’Église

L’affaiblissement des pouvoirs laïcs s’accompagne d’une affirmation d’une primauté du spirituel sur le temporel : « augustinisme politique ».

C’est l’Église qui sauvera l’essentiel de la romanité.
Exemple : le latin devient la langue de l’Église.
Mais la christianisation s’accompagne de profonds changements.

Section 2 : L’organisation de l’Église dans son 1er millénaire

I – La hiérarchie ecclésiastique

Au sein de l’Église, on distingue 2 catégories de personnes : les laïcs et les clercs.

Les clercs sont divisés dans le clergé régulier et le clergé séculier.
Clergé régulier : ceux qui suivent la règle (en Occident, la règle de St Benoît).
Clergé séculier : ceux qui vivent dans le siècle / dans le monde / dans la société. Ils sont au service des fidèles / des laïcs.

A – Le clergé séculier

L’organisation de l’Église s’articule autour de la figure des évêques (continuations des apôtres, les disciples les plus proches du Christ).

Pour devenir évêque, le rituel passe par l’imposition des mains → continuité apostolique.
Les évêques vont se couler dans les cadres romains.
Ils sont à la tête d’un diocèse (correspond au découpage administratif romain).
Dans son diocèse, il est assisté par des prêtres.

L’évêque de Rome se distingue et a rapidement une primauté en Occident.
À partir de Léon le Grand (440-461), l’Église prend la forme d’une monarchie dont l’évêque de Rome (= le pape) prend la tête.

Le christianisme en Gaule s’installe dès le 2ème siècle.
Les chrétiens sont au début martyrisés.
La christianisation des campagnes est pendant longtemps superficielle : paysan/païen.

Avec la fin de la période impériale et l’affaiblissement des cadres publics, les évêques jouent un rôle de protection de + en + important.
L’évêque devient le seul personne local suffisamment important pour faire de l’ombre au comte.

L’évêque est en théorie élu par la cité. En pratique, il est choisi par les puissants locaux, ou le roi quand le pouvoir central est suffisamment fort.
Mais l’évêque ne tient pas son pouvoir du roi ni des puissants locaux et garantit ainsi son indépendance.

Au-dessus des diocèses : provinces ecclésiastiques.
L’évêque de la capitale de la province, l’évêque métropolitain, est + important.
En dessous des diocèses : paroisses.

Les évêques sont à la tête de domaines de + en + importants.
L’évêque représente le roi → on parle d’immunité.

À partir de Pépin le Bref et Charlemagne, en échange des terres qui leur ont été prises, les ecclésiastiques perçoivent un impôt payé en nature : la dîme (1/10e des récoltes).

Avec l’enchâtellement, le réseau des paroisses se structure de façon plus serrée, avec à leur tête un prêtre ayant la charge des âmes : le curé.

B – Le clergé régulier

La vie du moine est divisée en 3 temps :
1. La prière commune
2. La valorisation du travail manuel (pouvant consister en la copie de manuscrits)
3. Le sommeil et le repas

Seule une partie des moines sont ordonnés prêtres.

Au départ, les moines sont étroitement soumis à l’autorité épiscopale (= des évêques).
Les monastères deviennent ensuite indépendants des évêques.
→ double chaîne hiérarchique
Ils se rattachent directement au pape.

Les mérovingiens s’appuient beaucoup sur les monastères et leur font des dons importants.
À la fin du 7ème siècle, l’Église possède 1/5e du royaume.
Les monastères sont établis à la campagne, donc la culture se situe à la campagne.

À partir de 910, le monastère de Cluny (Bourgogne) va créer un mouvement : l’ordre de Cluny.
À son apogée vers 1200, l’ordre de Cluny compte 1250 monastères, avec dans chacun des centaines des moines.

Le clergé régulier est le conservatoire de la culture d’où partira la renaissance intellectuelle du 16ème siècle.

Les monastères agrègent autour d’eux des bourgs.
Les puissants laïcs tendent à devenir des abbés laïcs.

II – La juridiction ecclésiastique

A – La compétence

La juridiction ordinaire pour l’Église est celle de l’évêque.
Le tribunal de l’évêque est l’officialité.
À sa tête 1 juge nommé par l’évêque : l’official.

Quand les chrétiens sont en conflit, ils sont poussés à esquiver le juge païen pour consulter la juridiction chrétienne.

L’évêque tend à avoir le monopole de la justice des ecclésiastiques : compétence rationae personae / privilège du for (ici, for : signifie le jugement).
Les ecclésiastiques ne sont justiciables que devant les juridictions ecclésiastiques.

Ils revendiquent aussi une relation rationae personae pour les pauvres, les orphelins, etc.

Le privilège du for est définitivement établi en 614.
S’apparente à une sorte d’autorité disciplinaire des évêques sur les clergés du diocèse.
La compétence de l’évêque a pu s’étendre en raison de la matière. L’Église est compétente :
> en matière matrimoniale
> en matière de testament
> en raison du péché (ratione peccati) : quand un péché public est cause de scandale (inceste, adultère)

B – La procédure

L’Église est peu favorable aux ordalies, parce qu’elles mettent Dieu à l’épreuve.
Elle utilise une procédure inquisitoire (l’action est menée par les parties), qui respecte le principe du contradictoire.

Les peines données par l’Église sont des peines spirituelles, dans l’intérêt du délinquant, vu comme un pécheur.
Objectif : qu’il prenne conscience de sa faute.

Peines : prières, pèlerinages, peine du mur (prison).
Il est plus favorable d’être jugé par un tribunal ecclésiastique.

L’Église perfectionne son modèle (= procédure romano-canonique) et sert de modèle aux juridictions laïques.

Section 3 : La réforme grégorienne

Une fois les 2 pouvoirs distingués (spirituel ≠ temporel), la tendance est que l’un veuille subordonner l’autre.
→ théocratie (pontificale ou royale)

Le déclin carolingien provoque un autre danger pour l’Église : l’émiettement féodal fait que l’Église à l’échelle locale est de + en + prise dans les relations féodo-vassaliques.

Les fonctions ecclésiastiques tendent à se transformer en fiefs tenus de puissants laïcs (surtout pour le clergé séculier).

Un mouvement réformateur va partir des monastères clunisiens → réforme grégorienne : commence en 1049 avec l’élection de Léon 9 comme pape.
Elle garantit l’indépendance du pape à l’égard des laïcs et subordonne + étroitement l’Église au pape.
Elle connaît son apogée sous le pontificat de Grégoire 7 (1073 → 1085).

I – La réforme intérieure

La réforme grégorienne est d’abord une réforme morale de l’Église.
Lutte contre la simonie (vendre ce qui est à l’Église ; par exemple les sacrements ou les fonctions → fait peu à peu passer l’Église aux mains des laïcs) et le nicolaïsme (pour les clercs, ne pas respecter leur devoir de chasteté → tendent à mettre leurs fils à leur place).

L’Église exclut les laïcs et précipite la division entre l’Église d’Orient et celle d’Occident
→ schisme en 1054

Le pape est élu par le clergé de son diocèse.
À partir de 1059, seuls les clercs de son diocèse vont élire le pape → sont appelés les cardinaux.
À partir du début du 14e siècle, on enferme les cardinaux (cette cérémonie s’appelle le conclave) quand ils doivent élire un pape.

II – La querelle des investitures

En 1075, le pape Grégoire 7 interdit aux évêques de recevoir une charge (ou les symboles de la charge) de la part d’un laïc.

L’empereur d’Allemagne tente de s’y opposer.
Grégoire 7 excommunie l’empereur.
→ tout le monde le rejette
→ Grégoire 7 fait rédiger le Dictatus Papae (= Les affirmations du pape)
→ Subordination des pouvoirs laïcs aux pouvoirs ecclésiastiques ; l’empereur doit lui baiser les pieds

1122 : le concordat de Worms met fin à la querelle des investitures et organise le statut de l’Église.
La dimension proprement religieuse de la charge ecclésiastique dépend uniquement de l’investiture canonique.

III – Le prolongement français : la querelle des décimes

Le pape se désigne comme vicaire du Christ (= celui qui le représente).
Le roi se désigne comme le lieutenant de Dieu sur Terre.

A – Clericis laicos

Le point de départ du conflit est la question des décimes (impôt sur les revenus du clergé).

Le clergé participe à hauteur de 1/10e de ses revenus à l’effort de guerre du roi lorsqu’il part en croisade.

Philippe de Bel veut lever le décime pour financer la guerre contre les anglais.
Le pape le rappelle à la règle : on ne peut lever d’impôts sur le clergé sans l’accord du pape.
Philippe de Bel répond en interdisant d’envoyer de l’or et de l’argent au pape.
Le pape donne une exception.

B – Unam sanctam

L’évêque de Pamiers, Bernard Saisset, accuse en 1300 le roi d’être un faux monnayeur.
Le roi veut traduire cet évêque devant la justice laïque (= viole le privilège du for).
Le pape Boniface 8 réaffirme dans une lettre la supériorité du spirituel sur le temporel, et le roi fait circuler une version modifiée du texte.
Le roi convoque l’Assemblée, avec des représentants de la noblesse et du clergé.

Puis le pape reçoit une gifle.
Conséquence : les cardinaux s’installent à Avignon.
Relativement indépendant de l’Église de France : gallicanisme.

Section 4 : Le droit canonique vers son apogée

I – Sources du droit canonique

Le droit canonique est le droit de l’Église qui va être réformé par le décret de Gratien.

A – Les sources anciennes

Le droit de l’Église ne peut pas négliger les textes religieux : la Bible et les écrits des pères de l’Église (les grands penseurs chrétiens).
Mais ces textes ne sont pas des textes juridiques.

Le droit canonique se développe à partir des canons (= décisions des conciles → assemblées d’évêques).
On parle aussi de canons pour les synodes (assemblées ecclésiastiques qui ne comprennent pas que des évêques).

Au début de la période franque, vers le 6e siècle : tenue de nombreux conciles
→ formation du droit canonique

Les décisions du pape jouent aussi un rôle : les lettres décrétales sont des décisions du pape sur le modèle des décrets de l’empereur.
À l’origine : des réponses à des questions précises.
Ensuite : portée plus générale.

Les décrétales et les canons font l’objet de recueils, parfois agrémentés de fausses décisions.
Si elles sont appliquées, ça ne change rien que ça soit un faux : a quand même une valeur juridique.

B – Le décret de Gratien

Gratien est un moine bolonais (Bologne est alors le grand centre d’études du droit romain).
Il constitue une très vaste synthèse du droit canonique dans l’élan réformateur de la réforme grégorienne.

2 étapes :
1- vers 1130
2- vers 1150 : introduction d’éléments romanisants

Objectif : donner une présentation systématique et ordonnée.

La Concorde des canons discordants (Concordia Discordantium Canonum).
Réunit 4 000 canons sur le modèle du digeste.
Recours aux nouveaux outils qui mettent en avant la dialectique (envisager un problème sous des angles différents).

Succès immense du décret de Gratien.
Il est commenté à l’instar du droit romain.

C – La législation pontificale

À partir de la réforme grégorienne, l’autorité du pape est beaucoup plus forte.
Les décrétales deviennent la principale source de droit de l’Église. Au 12e siècle : plus de 1000 décrétales.

Des recueils sont dressés. 1ère compilation officielle :
1234 : décrétales de Grégoire 9.
Demande à Penyafort de recueillir les décrétales organisées en 5 thèmes : organisation judiciaire, discipline, procédure, mariage, droit pénal.
Plus de 2 000 chapitres.
Grégoire 9 interdit que l’on ait recours à d’autres sources, sauf au décret de Gratien.

6ème livre aux décrétales pour la législation postérieure : le sexte, promulgué par Boniface 8 en 1298.

En 1317, le pape Clément 5 promulgue les clémentines, un nouveau recueil des décrétales.
D’autres décrétales font l’objet de publications privées : les extravagantes.

À partir du 15e siècle, tous ces éléments sont appelés corps de droit canonique (Corpus juris canonici).

Au départ, le droit canonique est l’interprétation par le pape d’un droit existant qu’il possède (≠ droit positif).
Cette idée que le pape possède un droit qu’il applique et interprète sera laïcisé et constituera l’un des 1ers éléments de l’absolutisme.

II – Le rôle du droit canonique

Le rôle du droit canonique a été considérable.
C’est le droit de l’Église mais il finit par avoir une influence dans toutes les matières qui ont à voir avec la religion.

La redécouverte du droit romain au 12e siècle influence à la fois la forme et le contenu du droit canonique.
→ La procédure romano-canonique est perfectionnée.

À la fin du 14e siècle, l’Église connaît une grave crise : le pape a quitté Rome pour Avignon.
Schisme avec 2 papes (Avignon // Rome).

L’Église de France devient autonome (contrôlée par le roi).
→ soustraction d’obédience

Les agents du roi s’inspirent des mécanismes juridiques ecclésiastiques et les récupèrent.

Dans les universités, on enseigne le droit romain et le droit canonique, mais pas le droit positif (qui s’apprend par la pratique).
Pour faire carrière au sein de l’Église, il faut être formé en droit canonique et en théologie.

Le droit canonique au 13e siècle fait triompher le consensualisme : ce qui fait le contrat, c’est la rencontre des volontés (le consentement).

Ce n’est que si le délinquant retombe dans son péché que l’Église s’en désintéresse et le remet aux bras séculiers.
Exemple : Jeanne d’Arc en 1431, dont le procès est retombé chez les juges laïcs.

Chapitre 3 : La féodalité, modèle pour un monde sans État

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’introduction historique au droit.

Les modalités d’exercice du pouvoir changent.
Les lieux d’exercice du pouvoir se concentrent dans la seigneurie et les relations entre les puissants s’articulent autour des liens féodaux-vassaliques.

Pour la monarchie, la féodalité fait écran au contrôle des populations : « le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal« .
Peu à peu cependant, cette série de cellules indépendantes seigneur-vassal va se structurer jusqu’à constituer une pyramide (→ pyramide féodo-vassalique à partir du 12ème siècle).
Progressivement, ce système finira par bénéficier au seigneur qui est au sommet : le roi.
Des traces de ce système demeurent en France jusqu’au 4 août 1789.

Ce qu’on appelle à cette époque féodalité, c’est surtout le régime seigneurial.
La féodalité propose un fonctionnement juridico-politique alternatif au modèle que propose l’État.

Section 1 : Le lien d’homme à homme

I – Les formes du contrat vassalique

A – L’hommage

L’hommage dérive de la domination franque. Il a un caractère public dans une société d’illettrés (→ objectif : marquer les esprits par des symboles).

L’hommage marque le caractère symbolique mais inégalitaire de la relation seigneur/vassal.
Le seigneur est assis, le vassal est debout ou agenouillé.
– « je veux être ton homme »
– « je te prends pour homme »
– puis baiser de paix

Entre puissants, il se peut que l’hommage se prête à la frontière de deux territoires : « hommage en marche ».

Au 9ème siècle : 1ère trace d’un vassal qui a plusieurs seigneurs.
Problème : lorsqu’un vassal a 2 seigneurs qui se font la guerre.
Solution 1 : clause de réserve de fidélité (les liens les plus anciens priment).
Solution 2 (à partir du 11ème siècle) : l’hommage lige (= l’hommage prioritaire). L’homme lige fait primer l’hommage lige sur ses autres seigneurs.

B – Le serment et l’investiture

Ce sont des éléments que l’on ne retrouve pas toujours.

Le serment est unilatéral : il est prêté uniquement par le vassal.

Lors de l’investiture, le seigneur remet à son vassal le fief.
Peut se faire de façon symbolique par la remise d’un objet représentant le fief (ex : épi de blé).
Peut être prolongée de la montrée du fief au vassal.

Des documents peuvent être produits :
– l’aveu : le vassal reconnaît avoir reçu le fief
– le dénombrement : décrit le fief et ses ressources

II – Les effets du contrat vassalique

Le contrat vassalique est un contrat synallagmatique (qui comporte des obligations réciproques).

A – Les obligations

Le vassal doit respecter et servir le seigneur. Il s’engage à ne pas lui nuire.
→ obligation peu précise
→ 💡 plus on précise, plus on limite

Le vassal doit d’abord une aide militaire.
Au 13ème siècle : un service d’ost (armée) de 40 jours.
Chevauchée : moins d’une semaine, pas très loin du fief.
Estage : la garnison – le vassal va monter la garde dans le château, ou le seigneur et son armée viennent chez le vassal.


Dans certaines circonstances, le seigneur peut demander un secours financier au vassal :

  1. Quand le seigneur adoube son fils (il devient chevalier). L’équipement coûte cher, il peut donc demander une participation financière à ses vassaux.
  2. Quand le seigneur marie sa fille, pour lui constituer une dot.
  3. Quand le seigneur est fait prisonnier, les vassaux doivent contribuer à payer la rançon (pratique généralisée).
  4. À partir de la fin du 12ème siècle, lors du départ en croisade. Si le seigneur se croise, les vassaux qui ne l’accompagnent pas doivent contribuer financièrement.

Le seigneur attend aussi du vassal le conseil.
C’est quelque chose qui engage le vassal : il doit venir à la cour du seigneur et participer aux débats.
En cas de conflits entre vassaux, c’est le seigneur qui va trancher en faisant appel à tous les autres vassaux.
→ la justice féodale se joue entre pairs

Le seigneur doit protection et justice mais ce devoir se réduit de plus en plus à l’octroi du fief.

B – Les sanctions

Le seigneur n’a pas juré fidélité, il n’encourt donc pas la sanction du parjure.
À partir du 12ème siècle, le mauvais seigneur encourt comme sanction le désaveu : le vassal ne le reconnaît plus comme seigneur et garde le fief qu’il tient désormais du seigneur de son seigneur.

Le vassal encourt comme sanction la commise du fief : le seigneur reprend le fief.

Section 2 : Le fief

I – La nature du fief

A – La nature économique

Surtout au début de la période : économie où la monnaie ne circule pas. Pour transférer de la richesse, on transfère la source de la richesse, c’est-à-dire la terre et les hommes qui la cultivent.

Le fief est généralement un domaine agricole.

On passe peu à peu d’une économie de subsistance à une économie d’échange.

B – La nature juridique

Le droit romain connaissait une propriété assez proche de la nôtre, mais les médiévaux ont un rapport au bien très différent.
Ils ont un rapport au bien qui n’est pas exclusif : avoir un droit sur un bien n’exclut pas que d’autres puissent avoir d’autres droits sur le même bien.

Les juristes médiévaux forgent la théorie du double domaine (= propriété) :
> domaine éminent : les droits que le seigneur conserve sur le fief quand il le concède au vassal (percevoir des impôts…)
> domaine utile : tout le reste qui appartient au vassal

⚠️ Cependant, le vassal peut découper son fief et le confier à un autre vassal
→ échange utile/éminent.

Les fiefs les plus importants proviennent de l’époque franque. Ils se distinguent des autres parce qu’ils ont certaines caractéristiques comme l’indivisibilité.
On appelle ces fiefs les plus importants des « honneurs » qui correspondent à des fiefs titrés : comtés, marquisats, duchés…

C – La nature politique du fief

Le roi, jusqu’au 13ème siècle, a du mal à faire reconnaître son autorité dans les grands fiefs.
L’hérédité des charges publiques fait que les grands puissants estiment devoir leur titre à leur lignage et non plus à leur seigneur.

1108 : les ducs d’Aquitaine, de Normandie et de Bourgogne refusent de reconnaître qu’ils tiennent leurs duchés du roi. Ils refusent de reconnaître qu’ils doivent un service au roi Louis 6.

Peu à peu les Capétiens feront reconnaître leur autorité et parviendront à avoir une réelle influence à l’intérieur des grands fiefs.

II – L’évolution vers la patrimonialité

Patrimonialité : le fief est devenu le lien réel au détriment du lien d’homme à homme.

A – Le développement de l’hérédité

L’hérédité des fiefs se généralise au 11ème siècle. Elle suppose que le vassal qui hérite prête un nouveau serment de fidélité au seigneur.

L’hérédité est facilement établie en ligne directe.
Idée : les vertus du père passent au fils.
C’est un facteur de stabilité pour le seigneur, mais il perd le recrutement de ses vassaux.

Une hérédité en ligne collatérale va se développer (le fief reste dans la famille si le vassal n’a pas de fils).


L’hérédité des fiefs apporte de nouveaux problèmes :

  • Si l’héritier d’un fief est mineur : un mécanisme de garde peut être assuré par le seigneur ou par un parent. Le gardien rend l’hommage pour la période où il tient le fief.
  • Quand l’hérédité du fief s’élargit aux collatéraux, le seigneur va percevoir une redevance (« droit de relief ») pour accepter le nouvel héritier.
  • Si, à la mort du père, il y a plusieurs fils : on peut départager le fief ou le donner à l’aîné.
    S’il y a des garçons et des filles, les garçons sont toujours considérés comme les aînés (→ répartition sexuée du travail : faire la guerre est une activité réservée aux hommes).
    Quand il n’y a que des filles, il n’est pas impossible que la fille succède, le service militaire étant rendu par son époux.
    Exemple : Aliénor d’Aquitaine succède à son père au 12ème siècle – territoire immense.

B – L’apparition de l’aliénabilité

Aliéner : donner ou vendre.
Quand on est vassal, on peut aliéner le fief.
→ le fief apparaît de plus en plus comme une possession du vassal
→ le seigneur ne choisit plus ses vassaux (= contradiction avec la dimension personnelle féodo-vassalique)

Les seigneurs autorisent la vente des fiefs car ils perçoivent des redevances, sous forme de taxes appelées quint (car souvent 1/5 du prix de vente).
Les vendeurs déclarent souvent un prix minoré.
Solution : « droit de retrait » : le seigneur ou la famille peuvent se substituer à l’acheteur.

Le vassal peut avoir à payer des dédommagements au seigneur s’il diminue la valeur du fief.

Les fiefs deviennent peu à peu des biens comme les autres.
Les nouveaux riches sont des bourgeois, des marchands… Ils se sont enrichis, ce ne sont pas des guerriers.
S’ils achètent un fief, ils paient un « droit de franc-fief ».

Ce qui au départ était un lien d’homme à homme devient une vente immobilière.

Section 3 : La seigneurie

Généralement, le fief et la seigneurie sont la même chose, envisagée différemment.
Le fief = le château + les terres aux alentours, que le seigneur donne au vassal.
Ce que le vassal fait dans son fief constitue une seigneurie.

Le seigneur dans la seigneurie est appelé seigneur banal ou seigneur territorial, par opposition au seigneur de la relation seigneur-vassalique.

La seigneurie type est la châtellenie, mais il existe des seigneurs plus importants à la tête de grands fiefs.

I – Les prérogatives du seigneur banal

A – Le ban seigneurial

Ban : le pouvoir d’ordonner, de contraindre et de punir.

⚠️ Ici, banal ≠ ordinaire.
Banal = qui dispose du pouvoir de ban.

Celui qui est hors ban (= hors-la-loi) n’est plus protégé par la loi.
Quand un seigneur lève le ban, il mobilise ses vassaux. Il peut même mobiliser les vassaux de ses vassaux.

Le seigneur banal peut fixer des règles. Dans la seigneurie, il peut exercer les pouvoirs qui sont pour nous des symboles de souveraineté ; par exemple, battre la monnaie.

Dans la seigneurie banale, il y a aussi des prérogatives comme rendre la justice entre les paysans.

La distinction entre public et privé est difficile.
Par exemple, la taxe versée au seigneur est-elle une redevance (public) ou un loyer (privé) ?

Les prérogatives banales sont utilisées par les seigneurs pour se procurer de l’argent.
C’est le cas des banalités, exemple : le seigneur fait construire un moulin ; à chaque fois qu’il l’utilise, le vassal doit payer le seigneur. Peut s’étendre aux animaux reproducteurs.

B – La justice seigneuriale (justice banale)

La justice seigneuriale est généralement exercée par un subordonné du seigneur.
→ il n’y a pas de justice par les pairs
→ appelé prévôt ou viguier
→ professionnalisation de la justice

Dans la justice seigneuriale, on distingue deux niveaux :
> la haute justice (crimes graves, affaires relatives à la condition des personnes et à la propriété immobilière)
> la basse justice (petits délits, causes civiles peu importantes)

La haute justice est prestigieuse mais elle ne rapporte rien. Rendre la justice a avant tout pour but de maintenir la paix.

Quand le seigneur accorde un fief, il peut concéder la basse justice et conserver la haute justice.

II – La condition des terres et des personnes dans la seigneurie banale

A – La condition des terres

Dans la seigneurie banale, 3 statuts sont possibles pour la terre :

  1. La réserve seigneuriale : ce dont le seigneur s’occupe directement.
    Son château + des terres agricoles qu’il exploite avec des salariés ou en ayant recours à la corvée (redevance en travail des vassaux).
    + des terres non cultivées mais intéressantes économiquement (ex : étangs, lacs, forêts)
    → objet de tensions entre les communautés rurales qui revendiquent le droit d’usage et le seigneur.
    La chasse devient une prérogative seigneuriale / un signe de noblesse.
  2. Les tenures : les terres qui sont tenues du seigneur.
    > les fiefs
    > les tenures roturières (censives) : terres tenues du seigneur par les paysans pour qu’ils les exploitent.
    💡 Différence entre tenure roturière et fief : le lien est simplement économique et non personnel.
    Payer le cens, c’est reconnaître que l’on tient la terre du seigneur.
    Les censives deviennent très rapidement héréditaires et aliénables.
  3. Les alleux : les terres sur lesquelles le seigneur n’exerce que des prérogatives de puissance publique.
    Ce sont des terres que les paysans ne tiennent pas du seigneur.
    Plus ou moins fréquents selon les régions.

B – La condition des personnes

La condition des ruraux s’est dégradée avec la mise en place de la féodalité.
Ils n’ont plus de recours possible face aux puissants locaux.
L’état de violence endémique et l’élite guerrière maintient les populations dans l’obéissance.

L’habitat rural se concentre en maisons rassemblées au château → phénomène d’enchâtellement.
La paroisse se structure efficacement aux 11ème et 12ème siècles (généralement au pied des châteaux).

On distingue plusieurs groupes au sein des paysans.
Les hommes de poesté sont libres mais sous la puissance du seigneur.
Ce sont des paysans libres qui peuvent être descendants de l’époque franche ou des serfs affranchis.
Ils sont soumis à la taille (redevance levée par le seigneur, perçue par répartition).
Ils travaillent pour le seigneur par la corvée.

Au départ, la taille et la corvée dépendent de la seule volonté du seigneur, qui se limite par coutume ou par abonnement.
Le poids de la perception fiscale par le seigneur va progressivement s’alléger dans le 2ème âge féodal (12e-13e siècles).
Période de défrichement : on met en culture des surfaces non exploitées.
→ les terres cherchent à attirer de la main d’œuvre
→ situation de concurrence
→ les seigneurs allègent les redevances

Mais dans la seigneurie, tous les paysans ne sont pas libres.
servage

Découle du colona : les hommes libres sans emploi accèdent à la terre en échange de la possibilité de l’exploiter.

Progressivement pendant toute la période franque, on assiste à une dégradation de la condition des ruraux libres qui aboutit au servage. Ils sont assimilés à des choses, leur liberté est incomplète.
→ Le pouvoir sur la terre est progressivement devenu un pouvoir sur les hommes.

Généralement, les serfs retrouvent leur liberté en quittant la terre (déguerpissement).
Mais dans certaines régions le servage est lié à leur corps et non à la terre : ils peuvent être poursuivis s’ils quittent la seigneurie.

Avec la concurrence entre seigneurs, les rachats se multiplient.
Avec la croissance économique, les serfs peuvent constituer des capitaux suffisants pour racheter leur liberté. Leur situation économique n’est donc pas catastrophique.

Le statut servile est caractérisé par des incapacités spécifiques :

  • Le formariage : interdiction pour le serf de se marier en-dehors de la seigneurie
    → devient rapidement une taxe pour éviter la consanguinité
    → les seigneurs s’entendent pour que les enfants soient répartis
  • La mainmorte : à sa mort, le serf ne peut pas léguer ses biens.
    En théorie, le seigneur hérite des biens du serf.
    Dans la pratique, le seigneur perçoit le droit de catel : il choisit un bien, le reste va à la famille.

Le serf doit aussi parfois payer le chevage, un impôt personnel dû au seigneur. D’un montant dérisoire, a pour objectif d’affirmer la condition servile de la personne qui y est soumise.

Autres personnes avec un statut juridique comparable :

  • Aubains : étrangers. S’ils meurent dans la seigneurie, le seigneur récupère leurs biens (→ droit d’aubaine).
    Essentiellement des marchands.
    Progressivement, le droit d’aubaine devient une prérogative du roi (les aubains deviendront les étrangers au royaume).
  • Bâtards : nés en dehors de la seigneurie. Ils ne sont pas légitimes ; ils ne peuvent pas hériter ni léguer ; le seigneur est donc leur héritier.

Chapitre 2 : L’Europe dans les ruines de l’empire

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet d’introduction historique au droit.

Le fils de Pépin le Bref, Charlemagne, monte sur le trône en 768. Il tentera de donner à son royaume la forme de l’Empire romain.

Section 1 : Rénovation de l’empire et échec carolingien

Les débuts de la dynastie carolingienne sont marqués par une nouvelle phase d’expansion.
Il faudra à Charlemagne 33 ans d’expéditions militaires répétées pour venir à bout des saxons. Il fonde Hambourg, très au nord.

Charlemagne devient roi des Lombards et Rome devient l’une des capitales impériales avec Aix-la-Chapelle.

L’empire carolingien ne durera pas longtemps, mais ses structures subsistent. C’est la dernière fois qu’il y aura une unité politique de l’Occident.

I – L’idéologie impériale

A – Le titre impérial

Les carolingiens ont beaucoup insisté sur l’importance du sacre. Intérêt : ne pas paraître trop subordonnés aux puissants les ayant aidés.

Le monde chrétien est envisagé comme une république et l’empereur est un ministre au service de la république chrétienne.

Alors que le monde franc s’unit autour de Charlemagne, le monde byzantin est en crise : l’impératrice Irène a jeté son fils en prison et l’a aveuglé pour garder le pouvoir.

En l’an 800, Charlemagne est couronné par le pape à Rome lors de la messe de Noël.
→ le pape fait l’empereur ; il se place en position prééminente

Charlemagne couronnera pour lui succéder son fils, qui sera lui-même intronisé par le pape ensuite.
Il apparaît comme restaurateur de l’empire romain mais ne renonce à aucune prérogative de roi barbare.

B – La renaissance carolingienne : culture, économie, législation

  • Uniformisation des poids et des mesures
  • Réforme monétaire (livre, dernier) vers un système qui durera jusqu’à la Révolution française

La renaissance carolingienne est aussi intellectuelle. Un effort particulier est fait dans la formation des élites.
Charlemagne ne sait ni lire ni écrire, mais il comprend que les cadres de son empire doivent savoir écrire.
Il restaure le latin, ce qui provoque une séparation entre la langue écrite et la langue parlée.


En matière législative, d’importantes modifications ont également lieu.
Nouveau type de textes : les capitulaires. Ce sont de véritables lois, organisées en chapitres. Certaines complètent les lois barbares, d’autres sont autonomes.
Les capitulaires portent sur l’organisation du pouvoir, sur la fonction de l’Église et le maintien de l’ordre ; ils sont le fruit d’une négociation.

Les décisions du roi sont toujours présentées devant une assemblée appelée le plaid. Elle rassemble les puissants laïques et ecclésiastiques.
Quand le roi est fort, elle n’est qu’un lieu d’enregistrement. Quand le pouvoir royal est affaibli, les décisions font l’objet d’une négociation.

Dans le capitulaire de Quierzy sur Oise de 877, l’empereur Charles le Chauve prévoit que s’il décède, son fils sera connu comme roi. Pour s’assurer cette base, ils concède aux comtes qu’à leurs morts leurs fils les remplacent.
On fait souvent de ce capitulaire le point de départ de la tradition d’hérédité des fonctions chez les comtes, alors que ça n’est qu’une manifestation d’un phénomène lent.

II – L’organisation du pouvoir

A – L’administration centrale

La cour reste itinérante : le roi se déplace en fonction des nécessités militaires, mais aussi parce qu’il est plus facile de déplacer les consommateurs que les denrées.
Aix-la-Chapelle devient le centre permanent.

La fonction de maire du palais a disparu avec les mérovingiens. L’entourage du roi est désormais composé du comte du palais (a des attributions judiciaires et diplomatiques), du sénéchal (« le plus ancien des serviteurs » ; a des attributions administratives et militaires) et du connétable (a la charge de la cavalerie).
Il y a une confusion permanente entre le service du roi en tant que personne et le service du pouvoir.

L’importance des ecclésiastiques croît, puisqu’ils ont le monopole de l’écriture. L’archichapelain dirige la chapelle et représente le pape. Le chancelier fait l’interface entre l’empereur et les ecclésiastiques ; il devient responsable de l’écrit et a des attributions en matière de conservation des archives, de diplomatie, de législation et de justice.

B – Les assemblées et les grands

La tradition franque fait se rassembler les hommes libres au moment du départ à la guerre. La saison de la guerre commençant en mars, on appelle donc cette assemblée le Champ de mars.
Avec l’affaiblissement du pouvoir carolingien, ces réunions deviennent de plus en plus importantes.

843 : partage de l’empire entre les petits-fils de Charlemagne.
Charles le Chauve souscrit à un traité (foedus) à l’assemblée de Coulaines, dans lequel il s’engage à ne pas révoquer injustement les puissants laïcs et ecclésiastiques.
→ le roi est reconnu, mais sous conditions
→ il s’engage envers ses sujets
→ il ne tient plus tellement son pouvoir de l’hérédité ni de la légitimité religieuse, mais de son investiture par les puissants

Il sera sacré en 848.

De 877 à 987, il faudra l’accord des puissants pour devenir roi. La monarchie, qui était héréditaire, devient presque élective. Elle est affaiblie alors que les fonctions comtales se renforcent.

C – L’administration locale

Au début du 9ème siècle, l’empire est divisé en 600 à 700 comtés. La fonction de comte devient héréditaire sous Charlemagne.
Les comtes sont des fidèles de l’empereur ; ils reçoivent des cadeaux, des bienfaits, des bénéfices qui prennent la forme de terres (ils administrent les terres publiques du roi et sont rémunérés par ces mêmes terres publiques).
Ils rendent également la justice. Ils ont des subordonnés (vicaires, centeniers). À partir du 10ème siècle, la fonction de vice-comte apparaît.

L’empereur carolingien envoie à partir de 789 des missi dominici (envoyés du maître), qui sont des personnages puissants et importants. Ils contrôlent les hommes et les territoires. Ils sont envoyés par paires (1 laïc + 1 ecclésiastique) pour qu’ils se surveillent mutuellement.

Quand la nécessité militaire l’impose, on regroupe les comtés sous l’autorité d’un duc → duché.

Quand les vikings ravagent la côte (Neustrie), le roi carolingien accepte ceux qui se sont installés de force. En échange, leur chef devient duc de Normandie, et est investi par le roi.

D – L’organisation de la justice

La justice demeure centrée autour du tribunal franc (malberg/malum), présidé par le comte et qui rassemble les hommes libres.
Un grand effort de réorganisation est mené à l’époque de Charlemagne.

La réforme juridictionnelle carolingienne fixe le nombre de sessions pour lutter contre les abus.
Professionnalisation de la justice : le malum est réorganisé autour des échevins (scabini), qui sont des magistrats nommés à vie par les missi dominici. Ils disposent d’une certaine autonomie par rapport au comte.

Le tribunal ne peut pas se saisir soi-même : il faut qu’il y ait une plainte.
→ la justice demeure accusatoire

La procédure reste formaliste et repose sur une preuve par serment. « Témoins de moralité » : co-jureurs. Le duel judiciaire est généralisé sous Louis le Pieux.

Les sanctions sont essentiellement pécunières : on rachète le prix du sang. Une partie peut aller au roi (→ amende).
Il n’y a pas de droit de recours (appel) ; la seule possibilité est d’attaquer le comte pour déni de justice devant le tribunal du palais.

III – L’échec de l’Empire

A – Affaiblissement dynastique, éclatement territorial et nostalgie impériale

À l’intérieur de l’empire, le centre de gravité du pouvoir va graduellement se déplacer du central vers le local.

En 806, Charlemagne a 3 fils et envisage le partage de l’empire (comme sous les mérovingiens). Mais à sa mort en 814, il n’a plus qu’un seul fils survivant, Louis le Pieux.

En 817, Louis le Pieux prévoit sa succession dans le texte L’Ordonnancement du l’Empire. Il n’est plus prévu que tous les fils lui succèdent : seul l’aîné doit accéder au titre d’empereur.

En 822, Louis le Pieux a un nouveau fils : Charles le Chauve. Il revient donc en 823 sur l’idée de partage de l’ordre héréditaire.
→ provoque la colère de Lothaire (l’aîné de Louis le Pieux)
→ provoque une série de guerres internes
→ affaiblissement de la fonction impériale

En 840, Louis le Pieux meurt. Ses 3 fils encore en vie (Lothaire, Louis le Germanique et Charles le Chauve) continuent à s’affronter.
En 842, Louis et Charles font une alliance et imposent à Lothaire le partage de l’empire en 843.
Lothaire obtient une bande de territoire qui va de la mer du Nord à la moitié de l’Italie, avec les 2 capitales impériales Aix-la-Chapelle et Rome. Il conserve le titre impérial.
Louis le Germanique devient roi de la partie orientale (germanique) et Charles le Chauve devient roi de la partie occidentale.

Le monde franc apparaît comme une citadelle assiégée. Au sud, la pression musulmane demeure. Au nord, les raids vikings se multiplient.
→ l’insécurité se généralise
→ le pouvoir royal devient incertain
→ l’aristocratie devient plus puissante

Malgré les tentatives de la papauté et des évêques, la dynastie s’épuise.
En 911, le titre impérial disparaît.
L’expression « roi des Francs » ne concerne plus que la partie occidentale de l’empire.

En 962, une famille de Saxe ressuscite le titre impérial, qui va demeurer dans le monde germanique pendant près d’un millénaire (Saint-Empire romain germanique).
Volonté de ressusciter l’Empire carolingien, qui lui-même voulait ressusciter l’Empire romain. Mais leur influence ne s’exercera que dans le monde germanique et en Italie.
Le Saint-Empire romain germanique, sous la dynastie des Habsbourg à partir de 1452, durera jusqu’en 1806 (Napoléon).

B – Les Robertiens

Les Robertiens sont les descendants de Robert le Fort. C’est la famille en charge de la Neustrie depuis ~ le 7ème siècle.
En 886, son fils Eudes arrête les normands à Paris.
→ où est l’empereur ? pourquoi n’est-il plus en mesure de défendre Paris ?

Pour devenir roi à partir de 877, il faut l’accord des puissants. Si le pouvoir royal devient électif, il n’y a plus de raison de partager le royaume. Il n’y a plus de raison que seuls les carolingiens soient rois.
Sans avoir le titre de roi, les Robertiens accaparent peu à peu la réalité du pouvoir.
Ils deviennent « duc des Francs« , titre qui s’étend à l’ensemble du royaume et qui montre le dépassement du pouvoir central.

En 987, le Robertien Hugues Capet monte sur le trône. C’est le début de la dynastie des Capétiens.

Section 2 : L’effacement du pouvoir central et de la chose publique

I – La personnalisation des liens de pouvoir

A – La vassalité franque

L’aristocratie va s’élargir à une fraction des hommes libres, qui deviennent des professionnels de la guerre (→ noblesse). Les autres sont relégués. Apparition d’une distinction noblesse/roture.

Dans le milieu noble, les liens d’homme à homme se généralisent : « intuitu personae ».
Le lien vassalique a une force comparable à un lien de parenté. Il est d’autant plus fort qu’on descend socialement.
Le lien vassalique met en rapport 2 personnes dans une relation symétrique (réciprocité) mais inégalitaire. Il se concrétise par un serment de fidélité, qui se prête lors d’une cérémonie appelée la recommandation.

B – L’échec de la récupération

Les carolingiens vont essayer en vain de récupérer ces méchanismes.

Sous les Pippinides, à la suite d’évolutions techniques, il faut désormais des professionnels de la guerre qui s’entraînent et s’équipent, ce qui coûte cher.

Ces professionnels s’engagent envers des puissants en échange de quoi vivre.

Les Pippinides tentent d’en tirer profit : les guerriers doivent tous être des vassaux du roi. Les empereurs tentent de multiplier les serments de fidélité. En 802, un capitulaire dispose que chaque homme libre doit s’engager auprès du roi.

En 847, dans le capitulaire de Meerssen, Charles le Chauve demande à ce que tous les hommes libres entrent dans des réseaux de fidélité.

C – Du bénéfice au fief

Les liens personnels (« homme à homme ») se doublent de relations matérielles.
Le bénéfice est un cadeau, une récompense donné par le seigneur au vassal. Il n’a pas de caractère obligatoire, c’est une gratification. C’est aussi un moyen de donner au vassal de quoi s’équiper et de quoi vivre pour être disponible.
Le lien matériel reste périphérique : quand le lien disparaît, le bénéfice revient au seigneur.

Aux 10e-11e siècles, un nouveau mot apparaît : le fief. Il signifie « cadeau qui oblige« .
→ changement de conception : on devient fidèle pour recevoir

Les bénéfices peuvent être rétrocédés en précaire (→ révocable) : le vassal reconnaît qu’il dispose d’un bien qu’il tient d’un puissant. Le vassal va prier le seigneur de l’accepter et de le protéger.

Il est possible que ces mécanismes de fidélité et de bénéfice aient permis au roi de déléguer le pouvoir. Les vassaux directs du roi sont des agents du roi.

II – Atomisation des cadres du pouvoir

L’économie se replie encore plus, ce qui s’accompagne d’un émiettement du pouvoir.

Les seigneuries laïques sont structurées sur la base des domaines ecclésiastiques qui jouissent généralement d’immunité : les agents du roi (les comtes) n’y rentrent pas.

À la fin de la période carolingienne, les seigneuries peuvent finir par représenter des territoires très étroits : une fortification et quelques terres aux alentours.
Le Capitulaire de Pitres (864, Charles le Chauve) interdit de créer des châteaux sans l’autorisation du roi.

À mesure que le pouvoir royal devient électif, le pouvoir central diminue au profit des pouvoirs locaux.

La violence se généralise. Pour être protégés, les citoyens vont devoir payer. Les soldats professionnels génèrent la violence et protègent de la violence.

III – La mutation de l’an mil ?

Une rupture marque la fin de la période carolingienne : la dislocation de l’autorité publique au 10ème siècle provoquerait une « mutation féodale » qui toucherait les modes de production (passage de l’esclavagisme au féodalisme).

La multiplication des seigneuries féodales entraînent un encadrement beaucoup plus étroit des populations rurales, concentrées en village.
Prédation féodale : l’élite guerrière entretient un état de violence endémique qui justifie sa propre existence.
Le seigneur protège sa population en échange d’avantages. Généralisation du servage.

Les contradicteurs affirment que les structures carolingiennes subsisteront jusqu’au 12ème siècle (jusqu’à l’amorce de la formation de l’État), et que ce ne sont pas tellement les choses qui changent mais le vocabulaire (parce que les monastères deviennent les centres intellectuels).
La notion même de féodalité est contestée.

Il y a donc 2 thèses qui s’affrontent :
→ rupture brusque
→ lente transformation des cadres carolingiens

Chapitre 1 : Après Rome

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Le terme « empire » a 2 sens :

  1. Aire de domination
    Le centre + les zones dominées par le centre
    Exemple : l’empire américain
  2. Organisation politique à la tête de laquelle il y a un empereur (forme particulière de monarchie)

Ces 2 sens peuvent se superposer, mais pas nécessairement.
Exemple : les États-Unis ne sont pas dirigés par un empereur.

On parle à Rome d’un empire au sens géopolitique (définition n°1) avant même qu’il n’y ait un empereur.

Rome prend une forme monarchique à partir de 27 avant J-C.
L’Empire romain disparaît en Occident le 4 septembre 476, mais le sentiment d’appartenance à un même groupe se maintient bien après 476.

Section 1 : L’héritage romain

Rome a légué un modèle. Jusqu’au 16ème siècle, on est resté dans la perspective romaine.

À son apogée territoriale au début du 2ème siècle, Rome compte 50 millions d’habitants (20% de l’humanité).
L’empire s’étend de l’Écosse au Tigre (Irak), du Rhin au Sahara.

Il ne faut pas idéaliser la paix romaine : conflits, assassinats, esclavage…

I – Le modèle romain

A – Les nouveaux équilibres après la crise du 3ème siècle

À partir de 235 : crise du 3ème siècle. Guerre civile dans l’empire. Pénétration de barbares de l’extérieur.

Émergence de la notion de barbare.
polis : cité en grec ; le barbare n’est pas membre de la polis.

Ces barbares (viennent du nord, de l’est, de l’Asie) vont s’installer dans l’empire, zone attractive. Ils occupent souvent des postes dans l’armée.
L’empire se protège derrière le limes (frontière fortifiée de l’empire).

Après plusieurs décennies, la crise entraîne de profondes transformations.
Différents peuples barbares s’implantent massivement dans l’empire sous le statut de peuples fédérés.
Les romains fixent des peuples barbares près des frontières pour servir de tampons face aux barbares restés à l’extérieur.

En même temps que l’empire se barbarise, les barbares se romanisent.

Un autre effet de la crise : partage de l’empire.
Dans un 1er temps, le pouvoir est réparé sur 4 empereurs, mais ça ne stabilise pas la situation.
Finalement, l’empire se divise en 2 : Empire romain d’Occident (capitale : Rome) et l’Empire romain d’Orient (Constantinople, fondée en 330 ; actuelle Istanbul).

476 : fin de l’Empire romain d’Occident.

Il y a également un élément religieux.
La religion chrétienne apparaît dans l’empire romain au 1er siècle. Les romains n’y prêtent pas trop attention. Il y a rarement des persécutions contre les chrétiens (ex : Néron).
Opposition entre les romains, pour qui l’empereur est un dieu, et les chrétiens, qui affirment qu’il n’y a qu’un seul Dieu.

La chrétienté s’étend ensuite. Pendant la crise du 3ème siècle, l’Empire est remis en cause : les dieux ne nous protègent plus.
→ fortes persécutions contre les chrétiens

Les persécutions renforcent les chrétiens et au début du 4ème siècle la religion chrétienne sort renforcée de la crise.
Édit de tolérance de 313 : l’empereur Constantin et son collègue reconnaissent la religion chrétienne. Constantin se convertit.
Édit de Thessalonique (24 novembre 380) : l’Empire devient officiellement chrétien.

Césaropapisme : l’empereur veut prendre le contrôle de la religion.

B – La romanité tardive

Jusqu’à la crise du 3ème siècle : principat
→ l’empereur se présente comme un citoyen (le 1er)
→ la façade républicaine est maintenue

Après la crise : domina
→ l’empereur se présente comme un maître
→ la façade autocratique du régime s’affiche
→ le pouvoir est + militarisé

La distinction entre la fonction et la personne de l’empereur est de plus en plus nette.
→ le pouvoir vient de Dieu
→ il est confié par Dieu à l’empereur
—> rapproche du modèle de l’État
⚠️ mais ce n’est pas tout à fait un État moderne

On a véritablement une administration, avec un maillage territorial, des circonscriptions locales (comtés) qui reprennent des cadres déjà existants. Il y a parfois des regroupements de comtés avec à leur tête des ducs (duces, chefs de guerre).
→ toute une pyramide administrative

L’Église structure son administration à partir des cadres existants. À la circonscription administrative s’ajoute une circonscription religieuse : le diocèse.
Des voies de communications sont organisées en fonction des besoins.

La fiscalité devient de plus en plus lourde, et il y a une crise démographique. L’administration devient donc de plus en plus oppressive et de moins en moins inefficace.
→ pesanteur administrative à la fin de l’empire
→ prétention à tout contrôler
Exemple : le prix du pain (nourriture de base) augmente suite aux réquisitions de l’armée → l’administration fixe un plafond → les boulangers se ruinent → les fils des boulangers sont obligés d’être boulangers → les boulangers s’en vont et deviennent des brigands aux 4ème et 5ème siècles.

La structure fonctionne de moins en moins bien.
Les puissants locaux deviennent les responsables de la protection face aux barbares et à l’administration.

C – Les codifications, legs juridique de l’empire romain

Les codes sont le produit d’une évolution technologique majeure de l’écriture (avant, on avait des volumes). Ils facilitent la connaissance et le rapport à l’écrit.
On peut feuilleter → le rapport à la connaissance change profondément.

Au début du 3ème siècle, alors que l’empereur fait la loi :
→ idée qu’il faut rendre les textes plus accessibles
→ en rassemblant en 1 seul code tous les textes de lois

Ce sont d’abord des initiatives privées puis des codifications officielles
→ l’empereur prend le contrôle de la loi
→ objectif : rassembler l’ensemble du droit en 1 seul code
→ travail de sélection et d’harmonisation

Code théodosien : promulgué en 438 sous l’égide de l’empereur Théodose II. C’est le 1er code.
Il reprend plusieurs milliers de constitutions impériales (lois de l’empereur) depuis le début du 4ème siècle.
Il est organisé en 16 livres thématiques, avec les textes par ordre chronologique.


L’empereur Justinien est l’empereur de l’Empire romain d’Orient de 527 à 565. Il a pour ambition de restaurer l’empire romain dans son intégralité : l’Orient part à la conquête de l’Occident. Il mène des conquêtes militaires jusqu’en Italie, Afrique du Nord et Espagne.

Dans le domaine juridique, il mène la mise en œuvre rapide d’un travail de plus grande ampleur de compilation des textes existants.
Objectif : rassembler les lois + les textes de doctrines en un corpus / une synthèse de tout le droit romain (« corpus de Justinien »).

À partir de 528, des groupes de travail préparent des éléments du corpus, qui est promulgué en 533-534.
Avant, c’était des constitutions (= lois de l’empereur) qui expliquaient comment les lois étaient constituées.

Tribonien : professeur de droit et haut fonctionnaire ; il préside cette entreprise de restauration du droit romain, sur le modèle du Code théodosien.
Objectif : restauration du droit romain dans sa grandeur passée.

Le Code de Justinien est plus ambitieux que son prédécesseur car il remonte plus haut dans le temps (jusqu’au 2ème siècle avant J-C).
Il est aussi plus ambitieux par son plan, avec 2 niveaux de subdivisions (divisé en 12 livres et chacun des livres est divisé en titres) → plan détaillé

digeste : ce qui a bien été assimilé. Aussi appelé pandecte.
Promulgué le 5 décembre 533, il rassemble plus de 9 000 citations de jurisprudence.
La figure du « jurisconsulte » (celui qui est savant en droit, le « juriste » actuel) émerge.
→ vendaient des avis, des consultations
→ construisaient des textes pédagogiques

Ouvrages de doctrine (réflexions sur le droit) : évalués par Justinien à 3 millions de lignes.
Tribonien en sélectionne 150 000.
→ 95% de la réflexion sur la droit qui existait au 6ème siècle a disparu.

En cas de divergence, les solutions alternatives sont écartées.
Le digeste ne contient pas d’œuvres complètes, mais que des citations : 9 000 fragments tirés de 38 auteurs ayant produit 1 600 œuvres.

Le digeste prend une valeur législative au moment de sa promulgation.
→ La réflexion des juristes est devenue la loi.

Au 19ème siècle, on cherche les interpolations (passages réécrits par Tribonien).


institute : manuel d’introduction au droit.
→ Justinien reprend les institute de Gaius et le fait réécrire par Tribonien
→ une sorte d’introduction à la compilation
→ droit privé uniquement

C’est intéressant car les romains sont concrets et pratiques ; la théorie du droit ne les intéresse pas, ils veulent juste gagner des procès. Les institute sont donc le seul endroit où il y a une réflexion globale sur le droit.

Les institute sont construits sur le plan personne / chose / action. Le Code civil de Napoléon (1804) s’appuie sur ce plan (→ montre l’influence du droit romain).

Les 3 premiers blocs sont en latin, et le 4ème en grec : les novelles. Ce sont des textes promulgués après la compilation de Justinien (après 534, jusqu’en 565). Elles contiennent 154 constitutions impériales (= lois de Justinien).

💡
Les 4 composantes du Corpus juris civilis de l’empereur byzantin Justinien sont donc :
1- le Code de Justinien
2- le Digeste
3- les Institutes
4- les Novelles

II – L’empire romain a-t-il été assassiné ?

A – Où sont les barbares ?

On assiste au 5ème siècle à une réplique de la crise du 3ème siècle. Les Huns, avant d’être vaincus en 451, apparaissent dans la documentation vers 375.
Effet domino : certains peuples migrent, ce qui va en pousser d’autres puis d’autres, jusqu’à faire pression sur le limes (la frontière fortifiée).
→ Vaste processus de migration, déferlassions de peuples scandinaves, germaniques, celtes…

Différence avec le 3ème siècle : l’empire ne rétablit pas la situation. L’empire d’Occident est submergé tandis que l’empire d’Orient y survit et subsiste jusqu’en 1453 (prise de Constantinople par les turcs).

378 : bataille d’Andrinople. St Ambroise voit ça comme un signe de la « fin des temps ».

506 : vague de froid. Le limes est percé et les peuples barbares traversent l’empire romain. Certains s’appellent les « vandales ».

Évènement symbolique : prise de Rome en 410. Les chrétiens y voient le signe de la fin du monde, tandis que les opposants aux chrétiens y voient le signe que le christianisme est mauvais.

4 septembre 476 : le dernier empereur d’Occident, Romulus Augustule, est déposé. Les insignes impériaux sont renvoyés à Constantinople.
→ Cet évènement paraît tout à fait insignifiant : on ne sait pas que c’est le dernier.
→ L’empire romain est techniquement réuni.

Faire de 476 une rupture est bénéfique pour ceux qui se réclament héritiers de Rome :
→ l’empire d’Orient
→ les barbares qui se sont installés en Occident

La Renaissance est appelée ainsi parce qu’elle marque la renaissance de la romanité. La période du 5ème au 15ème siècle est donc considérée comme une période intermédiaire.

B – Âges obscurs ou éternité de Rome ?

Ce qui disparaît en 476, c’est la fonction d’empereur, qui était inutile depuis longtemps. On ne peut donc pas dire que l’empire disparaît parce que l’empereur disparaît.

Le secret de la longévité de Rome, c’est son modèle intégrateur (par opposition aux grecs par exemple). Non seulement on peut devenir romain, mais le monde entier a vocation à devenir romain.
Ce qui sauve la romanité en 451, ce sont des barbares romanisés.

Les cadres subsistent quelques siècles après la disparition de l’empereur. L’Église perpétue les cadres institutionnels romains.

En 1653, on découvre à Tournai (Belgique) la tombe de Childéric, père de Clovis mort vers 481. Il est enterré avec ses chevaux et ses armes, les cheveux longs, et on retrouve une fibule (agrafe) : il portait un manteau et un anneau pour sceller des documents avec écrit « rex » (roi).
→ C’était un général romain
→ Il commande aux guerriers francs et aux gallo-romains

À sa mort, St Rémy (évêque de Reims) écrit une lettre de félicitations à Clovis et lui reconnaît le gouvernement de la 2nde province de Belgique.
💡 En 481, alors qu’il n’y a plus d’Empire d’Occident.

Clovis unifie la Gaule en 1 seul royaume et il est acclamé. Il se rend à Tours et est acclamé par le clergé de Tours avec les titres de consul et d’Auguste.
→ les dépositaires de la romanité, les ecclésiastiques, lui reconnaissent des titres romains
⇒ glissement plutôt que rupture

Section 2 : Le substrat de la royauté franque

I – La nouvelle monarchie

Les peuples barbares ne maîtrisent pas l’écrit et saisissent mal les concepts abstraits (par exemple, la fonction séparée de la personne), mais ils ont aussi des sociétés hiérarchisées.
Chez les francs, le pouvoir se transmet au sein de lignées aristocratiques, avec une ascendance sacrée/divine. C’est le cas de la famille de Clovis : selon la légende franque, Clovis descend d’un dieu marin.

Pour que les membres de cette aristocratie accèdent au pouvoir, il faut que les hommes libres l’acceptent (guerriers francs).
→ liens de fidélité d’homme à homme

Le patron protège les plus faibles qui le servent en échange (les dangers sont nombreux donc en cherche des protecteurs locaux).
Ces relations se multiplient à mesure que l’administration devient moins efficace.

Chez les barbares, les femmes jouent un rôle politique important.
≠ sociétés méditerranéennes : les femmes ont un rôle domestique

Les ariens suivent le christianisme mais s’opposent à l’empire romain. L’arianisme est adopté par une grande partie des barbares.
Mais les francs ne se sont pas convertis à l’arianisme ; ils restent païens. Le grand succès de Clovis repose sur une alliance avec le clergé.

Clovis se convertit au christianisme (après bataille de Tolbiac et mariage avec princesse burgonde Clotilde) et se fait baptiser avec 3 000 de ses guerriers à Reims la nuit de Noël 496.
→ entrée dans une nouvelle ère
→ on refonde un pouvoir chrétien sur le modèle de celui de Constantin

Clovis entend contrôler l’Église. Il organise une série de conciles. L’Église devient un relais, une administration importante pour le pouvoir royal.

On parle de « roi des Francs » et de « roi des gaulois ».
→ le roi commande à des personnes plus qu’il ne contrôle un territoire
→ mais le royaume est pensé comme une unité

Les 3 fils de Clovis se répartissent le royaume, il n’y a donc plus d’unité du royaume. Il y a plusieurs rois avec des sphères d’influence.
→ dynastie mérovingienne

L’administration romaine tend à se simplifier. L’aristocratie d’origine gallo-romaine et le clergé conservent la langue et les cadres romains. Les mérovingiens s’appuient sur ces cadres et se présentent dans une continuité.

Grégoire de Tours explique que le comte exerce la puissance (potestas) et que le roi exerce l’autorité (autoritas) ; c’est un vieux concept romain.
Le comte réunit les hommes libres et rend la justice dans le malberg (tribunal du comte ; l’assemblée des Francs pour rendre la justice ; latinisé en mallum). Les comtes sont autonomes et servent leurs intérêts personnels et non ceux du roi.
→ Les vieilles traditions germaniques demeurent.

Le service de la personne du roi (personne physique) et du roi (fonction) se confondent.
→ incarnation personnelle du pouvoir en la personne de celui qui l’exerce

II – Continuité législative et identités juridiques

Le droit romain qui nous a été transmis est savant, complexe et éloigné des pratiques juridiques courantes ; il ne correspond donc plus aux besoins de l’époque mérovingienne.
Ce droit romain demeure mais sous une forme de plus en plus simplifiée.

Bréviaire d’Alaric (roi wisigoth) : résumé du code théodosien (donc un abrégé d’un abrégé).
Alaric fait promulguer cet abrégé en 506 pour concilier ses sujets gallo-romains et la hiérarchie de l’Église (+ concile d’Agde pour restructurer les églises).
En 507, Clovis sort vainqueur de sa bataille avec Alaric mais il conserve l’œuvre, qui devient le principal moyen d’accès au droit romain en Occident jusqu’à la découverte du code de Justinien.
→ le roi apparaît comme soumis au droit romain

On trouve d’autres adaptations du droit romain à la même époque :
– chez les wisigoths circule vers 460 l’édit de Théodoric ;
– chez les burgondes, on retrouve une compilation privée du droit romain appelé « la loi romaine des burgondes » ou « papien ».
→ témoigne de la diffusion du droit romain
→ le droit romain se transmet sous une forme simplifiée


Les peuples barbares avaient également leur propre droit auquel ils n’ont pas renoncé et qui a été éventuellement mis à l’écrit en latin par des intellectuels romains, sous une forme plus ou moins romanisée.

Le code d’Euric (~ 476) est un texte très romanisé qui garde une forme influence en Espagne jusqu’à la conquête arabe.
Chez les burgondes, la loi gombette du roi Gomdebeaud rend aussi compte du droit barbare.

Les francs saliens (groupe de Clovis) ont aussi leurs lois barbares : la loi salique.
La loi salique semble être le moins romanisé de tous les textes de droits barbares.
Rédigée en latin mais certains passages sont en francique (langue des francs).
Elle sera modifiée à plusieurs reprises jusqu’à Charlemagne.
Avec un noyau qui vient du romain, ce n’est pas tellement un droit barbare, mais plus un droit pour les barbares.

Les francs ripuaires mettent aussi par écrit leurs lois → loi ripuaire (603).

Quand l’Empire carolingien (Pépin le Bref puis Charlemagne) conquiert la Germanie, il impose son droit aux peuples soumis.


Principe de personnalité des lois : on applique à chacun un droit spécifique.
Exemple : on applique le droit burgonde aux burgondes.

Inconvénient : il faut que le juge connaisse tous les droits applicables. Cela suppose aussi que l’identité ethnique des justiciables demeure certaine, ce qui est improbable, puisque l’Église s’est attachée à mélanger les populations.
La personnalité des lois suppose une confiance suffisante dans l’identité des peuples, ce qui n’est plus tellement reçu par la science actuelle.

Les lois barbares supposent un consensus des populations concernées et prennent une dimension territoriale plus marquée.
Ethnogenèse : reformule les mythes fondateurs pour donner de la cohésion au groupe en lui construisant une origine.
→ les francs se retrouvent dotés d’une ascendance troyenne
Ce projet de trouver dans l’origine une identité ne repose pas sur une réalité historique mais produit des effets réels : forge l’identité du peuple. « Mentir vrai ».

Le terme de franc perd toute connotation ethnique dès le 7ème siècle.
Avec les conquêtes carolingiennes et le soucis d’une cohésion judiciaire, la question de la personnalité des lois se pose à nouveau.

Un grand formalisme domine. On développe la procédure de l’ordalie : en appeler à Dieu. Lors de conflits entre 2 personnes, la preuve est établie par serments. Lorsqu’il y a des serments contradictoires, on départage en en appelant aux dieux (puis à Dieu, après la christianisation).
Idée : celui qui a prêté un faux serment va être désavoué par Dieu.

  • Ordalie bilatérale : les 2 subissent une épreuve ; celui que Dieu protège va gagner. Subsiste jusqu’au 13ème siècle, et socialement jusqu’au 19ème siècle.
    Exemple : ordalie de la croix (ligotées à un poteau, doit tenir le plus longtemps les bras levés à l’horizontale).
  • Ordalie unilatérale : ne porte que sur 1 personne.
    Exemple : donner un objet brûlant à la personne ; si ça s’infecte, le serment était faux.

Importance de la psychologie + grande part de subjectivité de la part des juges.
En cas d’erreur judiciaire, on ne peut pas faire appel ; il faut attaquer le juge.

L’Église est hostile aux ordalies car elle se méfie de la dimension magique et elle est hostile à l’idée que l’homme exerce une contrainte sur Dieu.


Les lois barbares organisent, en cas de dommages, des compensations tarifées, pour éviter la vengeance.
wergeld : le prix de l’homme.

L’assassinat est donc traité de la même façon que l’homicide involontaire.
Le tarif varie en fonction du dommage mais aussi en fonction de la victime. Objectif : racheter la vengeance.
Le procès n’est qu’un moyen de pression dans la négociation. Les juges sont plus des arbitres que des personnes chargées d’appliquer la loi.

III – Changements d’échelle et changement de dynastie

Sous les mérovingiens, le maire du palais devient une figure importante. Il permet au roi mérovingien d’administrer une région où il n’est pas. Avec le temps, il tend à se substituer au roi lui-même.

Le roi mérovingien est généralement (très) jeune et s’adonne à beaucoup d’excès. Le meurtre en famille est également une pratique courante.
Quand Dagobert 1er meurt à l’âge avancé de 36 ans, il bat un record de longévité.
→ permet aux maires du palais d’exercer la réalité du pouvoir

La fonction de maire du palais en Austrasie se fixe dans une famille à partir de 613 : les Pippinides.
Cette famille se perpétue et, à partir de 690, ils portent le titre de « prince ».
Charles Martel est le fils de Pépin de Herstal et devient maire du palais à son tour. À ce moment-là, la pression arabo-musulmane se fait sentir autour de la Méditerranée (en Espagne notamment). Au 7ème siècle, la religion musulmane se propage.

Dès 722, le pape fait appel à Charles Martel puisque l’empereur d’Orient est impuissant.
Charles Martel prend la défense de la chrétienté d’Occident avec une armée qui se professionnalise et en bénéficiant d’un déstockage des biens d’Église.

Le roi mérovingien est relayé à l’arrière-plan. En 732-733, un raid de pillage à Tours est arrêté vers Poitiers, ce qui arrête la progression musulmane.
→ Retentissement important dans le monde franc
→ La dynastie mérovingienne est marginalisée
→ Les Pippinides sont acclamés en sauveurs de la chrétienté

C’est dans une chronique espagnole par des wisigoths conquis que l’on retrouve la 1ère occurrence du terme « européen », même si le terme reste peu employé jusqu’à la fin du Moyen-Âge et le schisme protestant.

Plus tard, les rois mérovingiens seront présentés comme « fainéants ».

Pépin le Bref, fils de Charles Martel, dépose le dernier roi mérovingien et le fait enfermer dans un monastère.
Les carolingiens, descendants de Charles Martel et de Pépin le Bref, ont beaucoup de prestige mais doivent trouver une légitimité.

Ils mobilisent une légitimité religieuse : les Pippinides font alliance avec l’Église.
Pépin le Bref demande en 751 au pape Zachary qui doit être roi ; il répond « celui qui exerce le pouvoir ».
Il y a donc un aspect sacré (conformément à la Bible) : le roi est désigné par Dieu lors du rituel du sacre.
(Comme ce qui existait dans l’Espagne wisigothique.)

En 751, Pépin le Bref est sacré par des évêques avec l’accord du Pape.
En 754, il est sacré à nouveau par le Pape, avec son épouse et son fils. 

Commentaire de texte complet : Les Six Livres de la République, Jean Bodin (Introduction historique au droit)

Auteur : Timothée Peraldi

Au XVIème siècle, la France est en proie à de fortes divisions religieuses qui opposent catholiques et huguenots et engendrent des guerres de religion, culminant avec le massacre de la Saint-Barthélemy en 1572. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les monarchomaques, auteurs protestants qui s’élèvent contre l’absolutisme royal qui s’établit progressivement en France en développant l’idée que le roi est limité et en revendiquant une souveraineté partagée.

En effet, c’est dans la seconde moitié du XVIème siècle que le roi de France achève d’acquérir un pouvoir absolu en France, résultat d’une évolution de plusieurs siècles. Après avoir utilisé le cadre féodal et les règles régissant les rapports d’homme à homme pour s’affirmer au sommet de la pyramide féodale, le roi reconquiert ses prérogatives de puissance publique à partir du 13ème siècle. De roi suzerain, il devient roi souverain et revendique son indépendance vis-à-vis des grands du royaume. Cette construction de la monarchie médiévale s’accompagne de la naissance de l’État, entité distincte du roi, mais qu’il incarne. Au sortir de la période féodale, l’autorité royale acquiert un réel pouvoir législatif dans le royaume, quand le roi prend le contrôle de la coutume : d’abord gardien de la coutume, puis gardien des bonnes coutumes, il ordonne la mise à l’écrit officielle de celles-ci et s’octroie le droit de les confirmer ou les censurer. Le pouvoir législatif du roi reste néanmoins limité par les lois fondamentales du royaume, qui comprennent à la fois les règles de dévolution de la couronne et du domaine royal ; elles fondent la légitimité du roi et sont hors de sa portée.

C’est dans ce contexte que le jurisconsulte français Jean Bodin écrit Les Six Livres de la République en 1576, dans lequel il établit le concept alors nouveau de souveraineté (aujourd’hui définie comme “l’exercice du pouvoir sur une zone géographique et sur la population qui l’occupe”) et pose les fondements théoriques de la monarchie absolue. Cet ouvrage, qui a inspiré les théoriciens de l’État moderne tels que Hobbes et Locke, s’ouvre par une lettre dans laquelle l’auteur justifie vouloir “sauver ce Royaume” dans le contexte des guerres de religion, et est donc fortement influencé par celles-ci. Le texte que nous étudions est composé d’extraits des chapitres I, II, VI, VIII et X de ce livre.

Comment Jean Bodin s’attache-t-il à accroître l’autorité de l’État en proposant une conception absolutiste de la souveraineté ?

Pour répondre à cette question, nous étudierons d’abord la conception absolutiste de la souveraineté proposée par Bodin (I), avant d’analyser les limites qu’il pose à cette souveraineté (II).

I – Une conception absolutiste de la souveraineté

Ici, Bodin rappelle d’abord l’importance de la souveraineté, essentielle selon lui à toute société politiquement organisée (A), avant de détailler les caractéristiques et les marques de cette souveraineté (B).

A – La souveraineté, pilier de toute société politiquement organisée

Bodin commence ici par définir une République comme “un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine” (l.1). Le terme de république renvoie donc ici simplement à une société politiquement organisée, ce qui est bien différent de la définition actuelle dans laquelle la république est un système politique où le pouvoir est élu par le peuple.

Avec les mots “avec puissance souveraine”, l’auteur soutient que la notion de souveraineté est indissociable de celle de république ; il réitère ensuite cette idée en écrivant : “aussi la République sans puissance souveraine […] n’est plus République” (l.4). Il compare une République sans puissance souveraine à un navire qui ne serait fait “plus que [de] bois” (l.3) pour illustrer le non-sens et l’impossibilité que constituerait une société politiquement organisée sans puissance souveraine à sa tête, qui permet d’unir l’ensemble de la population alors soumise aux mêmes règles (“qui unit tous les membres et parties de celle-ci, et tous les ménages et collèges en un corps”).

L’auteur rappelle ensuite que la République est issue de l’état de nature, duquel les hommes furent tirés par “la force, la violence, l’ambition, l’avarice, la vengeance” (l.8), forçant les hommes à s’unir derrière des chefs et à perdre ainsi leur “pleine et entière liberté” en étant réduits en esclavage pour les perdants et en se soumettant à la volonté de leur chef pour les vainqueurs. Bodin justifie ainsi comment la souveraineté, qui est à l’origine détenue par chaque chef de famille sur sa maison (qui avait “puissance de la vie et de la mort sur la femme et sur ses enfants”), devient l’attribut d’un chef unique, par exemple le roi, lors du passage de l’état de nature à l’état civil, et met donc en avant ici une conception absolutiste de la souveraineté.

L’auteur s’attache ensuite à développer les caractéristiques et les marques de cette souveraineté.

B – La souveraineté, nécessairement absolue et perpétuelle

Bodin définit ici la souveraineté comme une notion abstraite et détachée de la forme que peut revêtir l’État. Il s’agit selon lui de “la puissance absolue et perpétuelle d’une république” (l.16). En effet, la souveraineté ne peut être qu’absolue, parce qu’elle ne peut pas être partagée : “aussi, la souveraineté donnée à un Prince sous charges et conditions n’est pas proprement souveraineté” (l.31). De plus, pour la même raison, elle ne peut être que perpétuelle : si on la délègue, on peut la retirer ; la personne à qui on l’a déléguée n’est donc pas souveraine (lignes 19 à 22).

La souveraineté est donc définie ici comme un pouvoir originel et inconditionné qui n’est subordonné à personne et qui existe dans tout État, car il donne sa cohésion à l’État. Cette conception indivisible de la souveraineté s’oppose à la théorie mixte de l’État mise en œuvre par la monarchie médiévale.

Selon Bodin, l’unique marque de la souveraineté est la “puissance de donner et casser la loi” (l.55) : le souverain est donc au-dessus de la loi ; il n’est pas lié par elle. Il énumère ensuite d’autres marques de la souveraineté, tout en soulignant qu’elles découlent toutes du pouvoir de faire et défaire les lois : faire la guerre et la paix, rendre la justice, lever les impôts, etc.

Il convient ensuite de se demander si Bodin fixe des limites à cette souveraineté, ou si celle-ci est véritablement absolue.

II – Les limites de la souveraineté selon Bodin

L’auteur établit ici des limites théoriques à la souveraineté du chef (A), limites qui restent néanmoins sans suites en l’absence de contrôle concret (B).

A – Un souverain théoriquement limité

Bodin pose différentes limites théoriques à cette souveraineté absolue. La première est le respect des lois fondamentales, qui fondent la légitimité du royaume : “quant aux lois qui concernent l’état du royaume et l’établissement de celui-ci […] le Prince [souverain] ne peut y déroger comme [par exemple] la loi salique” (l.34).

En revanche, il écarte la potentielle limite que pourraient constituer les parlements, qui effectuent sous l’Ancien Régime un contrôle de légalité en enregistrant les actes royaux après avoir vérifié leur compatibilité avec le droit, les usages et les coutumes locales ; s’ils estiment que les dispositions de l’acte vont à l’encontre du droit du royaume, ils peuvent adresser au roi des remontrances l’invitant à reconsidérer l’acte en question. Bodin rappelle ici que c’est le souverain qui a toujours le dernier mot : “ainsi, ce qu’il plaît au roi de consentir, ou dissentir, commander, ou défendre, est tenu pour loi” (l.41).

De même, le roi peut convoquer les états généraux du royaume, assemblée réunissant les trois ordres de la société (noblesse, clergé et tiers état) et rassemblée sur ordre du roi dans des circonstances exceptionnelles. L’auteur insiste sur le fait que cette assemblée ne peut que donner des conseils (des “avis”), que le roi, véritable souverain absolu, n’est en aucun cas tenu de suivre : “après avoir bien et dûment assemblé les trois états de France […] non pas que le roi ne puisse faire le contraire de ce qu’on demandera, si la raison naturelle et la justice de son vouloir lui assistent” (l.37).

En faisant ici mention de la “raison naturelle”, Bodin établit une limite morale à la souveraineté absolue du roi. Il est ainsi tenu de respecter les lois qui régissent la nature, qui sont fixées par Dieu dont il tient sa légitimité : “le Prince souverain n’a pas puissance de franchir les bornes des lois de nature, que Dieu duquel il est l’image a posées” (l.51). De cette condition, Bodin tire une autre limite, cette fois-ci juridique : la propriété privée doit être respectée par le souverain. Ainsi, le roi “ne pourra [pas] prendre le bien d’autrui sans cause qui soit juste et raisonnable” (l.52).

Il convient néanmoins de se demander quels contrôles concrets sont envisagés par l’auteur pour mettre en application ces limites.

B – Un texte qui renforce l’absolutisme

Nous avons vu que, bien que Bodin définisse la souveraineté du roi comme absolue, il établit des limites à cette souveraineté. Il faut cependant noter que ces limites ne sont que théoriques, et que l’auteur s’abstient de faire toute mention d’un quelconque contrôle qui serait de toute manière un non-sens puisque la souveraineté telle qu’il la conçoit ne peut – et ne doit – être qu’absolue.

Ainsi, que se passe-t-il si le roi se transforme en tyran, par exemple en attendant au droit de propriété de ses sujets ? Le texte n’évoque pas cette possibilité, se contentant de supposer que le souverain est toujours “honnête” et qu’il ne peut pas aller à contre-courant des lois de la nature définies par Dieu, puisqu’il en est le représentant sacré (l.51).

Il est compréhensible qu’en écrivant dans un contexte de guerres de religion et d’essor des idées monarchomaques, l’auteur ait voulu éviter cette question délicate, se contentant de définir le principe de souveraineté et d’en tirer ses conséquences. Bodin propose donc ici une démonstration de la supériorité du régime monarchique et justifie ainsi l’absolutisme croissant du régime.