Chapitre 1 : Le juge administratif

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

On distingue les juridictions de droit commun et les juridictions administratives spécialisées.
Les juridictions administratives de droit commun sont celles qui composent le tronc commun de la juridiction administrative. Elles ont vocation à connaître de manière générale les litiges relatifs aux services publics.
Les juridictions administratives spécialisées ont été créées par le législateur pour trancher des litiges dans des domaines particuliers.
Exemple : Cour nationale du droit d’asile, Cour des comptes, Conseil supérieur de la magistrature… avec recours possible devant le Conseil d’État.

Section 1 : Le statut

Le statut du juge administratif (= l’ensemble des règles qui lui sont applicables) ne figure pas là où on s’y attend : la Constitution de 1958 ne contient aucune règle relative au juge administratif.
⚠️ La Constitution de 1958 fait référence au Conseil d’État, mais en tant que conseiller juridique du gouvernement, et non en tant que juge.

Ces règles étaient pendant longtemps disséminées dans des textes tels que la loi du 24 mai 1872.
Le Code de justice administratif (CJA) a été créé en 2001.

Pendant longtemps, le statut du juge administratif était un statut exclusivement législatif et réglementaire.
Cela a pu poser problème, parce que ce statut seulement législatif et réglementaire pouvait le fragiliser. Ce que la loi peut faire, elle peut défaire : le juge administratif a subi un certain nombre d’attaques sous forme de projets de loi.

Le Conseil constitutionnel a fait évoluer ce statut à travers certaines de ses décisions :

§ 1. La décision du Conseil constitutionnel de 1980

Conseil constitutionnel, 22 juillet 1980, “Validation d’actes administratifs” :
C’est la première fois que le Conseil constitutionnel s’intéresse au juge administratif.

Il estime nécessaire pour renforcer le dualisme juridictionnel français de donner un fondement constitutionnel au juge administratif.
Dans cette décision, il considère que l’indépendance du juge administratif est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR).

Il utilise pour cela la loi du 24 mai 1872, après avoir observé qu’elle affirme l’indépendance du Conseil d’État et qu’elle a été appliquée de manière constante depuis 1872.

Pour la première fois, une partie du juge administratif est constitutionnel.
→ L’indépendance du juge administratif est garantie au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.
→ Constitutionnalise l’existence du juge administratif.

La décision ne dit rien de ses compétences, qui restent à la libre volonté du législateur.

§ 2. La décision du Conseil constitutionnel de 1987

Conseil constitutionnel, 23 janvier 1987, “Conseil de la concurrence” :
Dégage un second PFRLR relatif à la juridiction administrative.

Le Conseil constitutionnel affirme que la compétence du juge administratif pour “annuler et réformer” les décisions administratives est un PFRLR.
Cette décision complète la première en mettant à l’abri ces compétences de toute réforme législative.
Elle constitutionnalise le “noyau dur” des compétences du juge administratif.

Le juge administratif peut annuler et réformer les décisions administratives.
Annuler : les faire disparaître de l’ordonnancement juridique parce qu’elles sont illégaux → “la gomme”.
Réformer : les réécrire → “le crayon”.

→ Renforce le statut constitutionnel du juge administratif.

Le Conseil constitutionnel prend soin de rappeler qu’il existe des exceptions à ce PFRLR.
Il expose 2 exceptions :

  1. Les matières qui, par nature, sont réservées à l’autorité judiciaire.

    Il fait référence ici à l’article 66 de la Constitution, selon laquelle “l’autorité judiciaire [est la] gardienne de la liberté individuelle” (= la liberté de ne pas être détenu arbitrairement).
    → Tous les litiges / tous les actes qui mettent en jeu la liberté individuelle relèvent de l’autorité judiciaire.

  1. Lorsqu’une législation peut engendrer une répartition des compétences entre les 2 ordres, alors le législateur peut unifier et la confier à un ordre donné.

    Ainsi, lorsqu’il y a un domaine où la répartition est compliquée entre les 2 ordres, alors le législateur peut unifier des compétences pour les donner à un autre juge, pour garantir l’intelligibilité de ce droit.

    Exemple : la loi du 31 décembre 1957 confie que “les tribunaux de l’ordre judiciaire sont seuls compétents pour statuer” sur les dommages liés aux accidents de la route.

💡
Pour résumer : le statut du juge administratif est aujourd’hui un statut :
1- pour partie constitutionnel, avec les décisions du Conseil constitutionnel ;
2- pour partie législatif et réglementaire, avec le CJA.

Section 2 : L’organisation

§ 1. Le Conseil d’État

Le Conseil d’État est la juridiction la plus importante de la juridiction administrative, à la fois parce que c’est la première et parce que c’est la cour suprême de l’ordre juridique administratif.

Le Conseil d’État bénéficie d’un dualisme statutaire : il conseille et il juge.

A – Le Conseil d’État en tant que conseiller

Sa fonction de conseil est sa fonction originelle.
Il est créé en 1799 lors du Consulat, avec l’idée que le pouvoir exécutif doit pouvoir compter sur un organe qui le conseille juridiquement.

Le Conseil d’État exerce aujourd’hui cette fonction de conseil avec des attributions obligatoires et facultatives :

  1. Ses attributions obligatoires sont établies par la Constitution.

    L’article 39 de la Constitution dispose que tous les projets de loi doivent être soumis au Conseil d’État, qui remis un avis au gouvernement.
    Cet avis peut être public ou privé, au choix du gouvernement (on remarque qu’ils sont de plus en plus publics).

    Le Conseil d’État ne se prononce que sur la dimension juridique du texte, jamais politique.
    Le gouvernement est libre de suivre cet avis ou non ; généralement, il le fait pour ne pas prendre de risque juridique.

    Dans la Constitution, il est également fait référence à des “décrets en Conseil d’État”.
    Le constituant souhaitait en effet que dans certains domaines, lorsque le gouvernement exerce des décrets, il sollicite au préalable le Conseil d’État pour obtenir son avis juridique.

    → Le Conseil d’État est le conseiller juridique du pouvoir exécutif.

  1. Le Conseil d’État dispose aussi de quelques attributions facultatives, renforcées ces dernières années :
    1. Il peut être saisi ou se saisir lui-même de toute question en rapport avec l’actualité afin de livrer son expertise juridique sur tel ou tel sujet.
      Chaque année, il rend ainsi une dizaine de rapports et d’études.
    1. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, l’article 39 de la Constitution permet au président de l’Assemblée nationale ou du Sénat de demander l’avis juridique du Conseil d’État sur une proposition de loi.

      → Depuis 1799, le Conseil d’État est le conseiller juridique du gouvernement, mais il est un peu désormais le conseiller juridique du Parlement.

B – Le Conseil d’État en tant que juge

Le Conseil d’État est la juridiction suprême de l’ordre juridictionnel administratif.

Il compte 300 membres, qui sont issus de l’INSP (ex-ENA).
Le Conseil d’État dispose de 3 compétences en tant que juge :
1- Juge de cassation ;
2- Juge d’appel ;
3- Juge en premier et dernier ressort.


1) Juge de cassation

Le Conseil d’État est compétent pour connaître les pourvois en cassation formés contre les arrêts des cours administratives d’appel.
Il se prononce donc en dernier ressort, en rendant des décisions définitives.
💡 Même fonctionnement que la Cour de cassation.


2) Juge d’appel

Le Conseil d’État a eu de très nombreuses compétences en matière d’appel dans l’histoire, mais ça n’est quasiment plus le cas aujourd’hui.
Il conserve uniquement une compétence en appel s’agissant des référés (= recours en urgence) :

  1. Le référé suspension ;
  1. Le référé liberté.

3) Juge en premier et dernier ressort

Il s’agit ici de compétences que le Conseil d’État exerce de manière exclusive : il est saisi en premier et en dernier.

Certains actes administratifs d’importance doivent être contestés directement devant le Conseil d’État :

  1. Les recours contre les décrets et les ordonnances pris par le Président de la République ou le Premier ministre ;
  1. Les recours contre les actes réglementaires des ministres ;
    Les actes réglementaires posent des règles de manière générale et impersonnelle.
    actes individuels, qui visent une personne nommément.
    Les actes individuels des ministres doivent être contestés devant le tribunal administratif de Paris.
  1. Les recours relatifs à la situation des fonctionnaires nommés sur le fondement de l’article 13 de la Constitution ;
  1. Les recours contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence nationaux ;
    Ces organismes sont nombreux dans l’administration : CSA, CNIL, …
  1. Les recours dirigé contre les actes administratifs dont le champ d’application s’étend au-delà du ressort d’un seul tribunal administratif.

En tant que juge électoral, le Conseil d’État est également compétent en premier et dernier ressort pour connaître du contentieux concernant les élections régionales et européennes.

Le Conseil d’État est divisé en sous-sections, équivalents des chambres de la Cour de cassation.
Pour la majorité des affaires, 3 juges tranchent (9 juges en formation “chambres réunies”).
Il peut décider de donner de l’importance à une décision qu’il rend (décision de principe) en réunissant 2 formations de jugement :

  1. La section du contentieux, composée de 15 membres, pour les grandes questions de droit ;
  1. L’assemblée du contentieux pour les décisions ayant une importance juridique, politique et médiatique.

§ 2. Les cours administratives d’appel

Pendant longtemps, la juridiction administrative s’est limitée au seul Conseil d’État.
Les cours administratives d’appel sont relativement récentes : elles ont été créées par la loi du 31 décembre 1987.

Elles sont chargées de connaître en appel des recours frappant les jugements rendus en 1ère instance par les tribunaux administratifs.

On compte aujourd’hui 9 cours administratives d’appel.
Elles sont présidées par un membre du Conseil d’État.
Le recrutement se fait par le concours TACAA des magistrats administratifs.

§ 3. Les tribunaux administratifs

Les tribunaux administratifs rendent aujourd’hui environ 150 000 décisions par an.

Ils ont été créé par le décret du 30 septembre 1953, pour soulager le Conseil d’État.
On en compte aujourd’hui 42 sur tout le territoire, notamment en outre-mer.
Leur composition est identique à celle des cours administratives d’appel (concours TACAA).

Les compétences des tribunaux administratifs sont :

  1. Juge de premier ressort du contentieux administratif ;
    Le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel réside l’autorité administrative qui a pris la décision contestée.
  1. Juge en premier et dernier ressort pour :
    – les litiges relatifs à l’aide ou à l’action sociale ;
    – les litiges sur la communication de documents administratifs ;
    – les litiges sur les refus de concours de la force publique ;
    – les litiges sur les impôts locaux ;
    – les litiges sur les permis de conduire ;
    – les litiges en matière de pension de retraite.

    (Suite au décret du 13 août 2013, qui modifie l’article R811-1 du Code de justice administrative pour faire face au manque de moyens des juridictions administratives et à l’explosion du nombre de requêtes.)

Section 3 : La saisine

§ 1. Les recours ordinaires

Pour saisir le juge administratif lorsqu’il n’y a pas d’urgence, on a à notre disposition 2 types de recours :
1- le recours pour excès de pouvoir (REP) ;
2- le recours de plein contentieux (RPC – aussi appelé recours de pleine juridiction).

Cette distinction est élaborée par le vice-président du Conseil d’État Lafferière au début du 20ème siècle, qui écrit le premier manuel de procédure devant le juge administratif.
Il y théorise l’existence de 2 types de recours distincts :

  1. Les demandes qui visent à dénoncer l’illégalité d’un acte administratif (le contentieux objectif) ;
    → REP
  1. Les recours qui visent à faire reconnaître des droits qui ont été bafoués par l’administration.
    → RPC

Pour le REP, l’objet du litige est étroit (le juge a pour rôle de faire disparaître l’acte), tandis que pour le recours de plein contentieux, l’objet du litige peut être extrêmement varié (les pouvoirs du juge sont pleins et entiers).

Conseil d’État, 1912, “Lafage” :
C’est le requérant qui choisit le recours dont il souhaite saisir le juge en fonction de ses prétentions.
→ Depuis 1912, on distingue 2 types de recours devant le juge administratif.

A – Le recours pour excès de pouvoir (REP)

1) L’objet du REP

Le REP a pour objet l’annulation par le juge administratif d’un acte administratif illégal.
On ne peut rien demander d’autre dans le cadre d’un REP.

L’illégalité d’un acte signifie que cet acte ne respecte pas une norme qui lui est supérieure : traité international, constitution, loi, ordonnance…

Les REP portés devant le juge administratif sont constitués d’arguments de moyens d’illégalité mis en avant pour convaincre le juge que l’acte est illégal.
Si un seul de ces moyens convainc le juge, il peut annuler l’acte en question.

Lorsqu’on annule quelque chose, on le fait disparaître de manière rétroactive.
Il est réputé n’avoir jamais existé et n’avoir jamais produit d’effets juridiques.

Parfois, il n’est pas possible d’annuler les effets d’un acte pour le passé.
Par exemple, si on annule l’acte de nomination d’un magistrat 2 ans après, que faire ?

Par sa décision “Rodière” de 1925, le Conseil d’État affirme que l’annulation par le juge d’un acte administratif a pour conséquence la disparition de celui-ci, mais également de tous les effets juridiques produits par celui-ci.

Conseil d’État, 2004, “Association AC!” :
Pose une exception au principe Rodière.
Le Conseil d’État affirme que le juge peut moduler dans le temps l’annulation de l’acte administratif.


2) Les conditions de recevabilité

Condition n°1 : le délai

L’article R421-2 pose un délai de 2 mois pour contester la légalité d’un acte administratif.
Au-delà de ces 2 mois, on ne peut plus attaquer l’acte, pour des raisons de sécurité juridique.

Pour calculer ce délai de 2 mois, on distingue :

  1. Pour les actes administratifs réglementaires, qui posent des règles de manière générale et impersonnelle et qui sont publiés dans des recueils officiels (ex : Journal Officiel) : le délai de 2 mois court à partir de la date de publication de l’ordonnance ou du décret.
  1. Pour les actes administratifs individuels, qui visent une personne nommément et qui sont notifiés directement à la personne intéressée : le délai de 2 mois prend en compte le délai de notification de l’acte à ses destinataires (envoi postal, par email, remise en main propre…).

Que si passe-t-il si la notification a été oubliée, mal faite, ou si l’administration n’est pas en mesure de la prouver ?
Pendant longtemps, on pouvait contester sans délai ces décisions, ce qui posait problème.

Conseil d’État, 2016, Czabaj :
Cet arrêt majeur dit que, dans l’hypothèse où la notification d’un acte administratif a été oubliée, irrégulière, ou que l’administration ne peut pas la prouver, il est désormais possible de contester l’acte administratif concerné dans un délai d’1 an.

→ Permet de concilier les principes de sécurité juridique et du droit à un recours effectif.

Condition n°2 : L’intérêt à agir du requérant

⚠️ Il ne faut pas confondre l’intérêt à agir avec la capacité d’agir en justice, qui est définie par le Code civil (il faut être majeur).

L’intérêt à agir, c’est le fait de disposer d’un intérêt lésé par la décision que l’on conteste.
On n’a intérêt à agir seulement quand si la décision nous affecte dans l’une de nos qualités, c’est-à-dire si elle nous concerne, nous affecte ou est susceptible de léser nos propres intérêts.

Si ce n’est pas le cas, la requête est rejetée comme irrecevable.
La jurisprudence a posé 2 règles en la matière :

  1. La casuistique (= le cas par cas) : le juge examine recours par cours si le requérant dispose d’un intérêt à agir.
    → Il n’y a pas d’intérêt à agir universel.
  1. Le libéralisme : en matière d’intérêt à agir, le juge est plutôt libéral.

    3 exemples tirés du GAJA :

    1. Conseil d’État, 1901, Casanova :
      Reconnaît qu’un habitant d’une commune a un intérêt à agir à l’encontre de toutes les décisions édictées soit par le maire soit par le conseil municipal, dès lors que les décisions en question ont pour effet d’augmenter les dépenses de la municipalité.
    1. Conseil d’État, 1903, Lot :
      Affirme que l’intérêt à agir peut être indirect.
      En l’espèce, une personne qui n’a pas été nommée à un poste aurait pu l’être, et dispose donc d’un intérêt à agir.
    1. Conseil d’État, 1906, Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges :
      Reconnaît que des personnes morales peuvent former un recours pour excès de pouvoir et donc remplir la condition de l’intérêt à agir.

      Une personne morale peut avoir un intérêt à agir si les intérêts qu’elle défend sont lésés par la décision contestée.
      Le juge regarde les statuts de l’association et notamment son objet social.

      Une personne morale peut aussi avoir un intérêt à agir dès lors qu’elle défend les intérêts personnels de ses membres.
      → Possibilité pour une personne morale de représenter une personne physique et de faire à sa place et en son nom un REP.

      Cette décision est importante parce que les associations forment de très nombreux recours juridictionnels pour défendre leurs intérêts ou ceux de leurs membres.

Condition n°3 : La nature de l’acte contesté

Conseil d’État, 1950, Dame Lamotte :
Affirme que constitue un principe général du droit la possibilité de contester, par le biais du REP, tout acte administratif.

Cet arrêt a une conséquence majeure : le REP est un principe général du droit, qui n’a pas à être prévu par la loi.

Cet arrêt désigne en réalité les seuls actes administratifs unilatéraux décisoires.
Les contrats (actes bilatéraux ou multilatéraux) n’entrent donc pas dans le champ du principe posé par la jurisprudence Lamotte.

Un acte décisoire est un acte qui prend une décision, qui “fait grief” (= change quelque chose en droit).
Les actes préparatoires ont pour seul objet est de préparer la décision future.

Exemple : Conseil d’État, Ass., 1996, Syndicat CGT des hospitaliers de Bédarieux :
Un syndicat forme un REP contre une mise en demeure adressée par le préfet.
Le Conseil d’État établit que la mise en demeure ne fait pas grief, puisqu’elle vient simplement menacer l’hôpital d’une décision future si celui-ci n’agit pas dans le domaine concerné.

Le REP est dispensé du ministère d’avocat : on peut recourir à un avocat, mais on peut aussi le faire seul.

B – Le recours de plein contentieux

Le recours de plein contentieux forme l’autre catégorie de recours devant le juge administratif.
Il se rattache en principe aux “droits subjectifs”, tandis que le REP est un recours objectif (= relatif à la légalité).

1) L’essence du recours de plein contentieux

Tout comme le REP, le recours de plein contentieux permet de solliciter l’annulation d’un acte, mais aussi des choses en plus : le paiement de dommages-intérêts, la fixation du montant d’une créance, la réformation d’une décision administrative, la substitution d’une décision administrative à une autre…

Le juge administratif saisi d’un recours de plein contentieux peut modifier le sens et le contenu de l’acte attaqué : il peut donc substituer son avis à celui de l’administration.
≠ le REP, qui ne permet d’obtenir que l’annulation d’un acte administratif illégal.

2 exemples de modification de l’acte après un recours de plein contentieux :

  1. CE, 1974, M. Fragnaui :
    Des élections locales se déroulent et un candidat est déclaré élu.
    Le candidat arrivé second forme un recours de plein contentieux pour contester le bon déroulement du scrutin et les calculs faits par la préfecture.
    Le Conseil d’État voit qu’un bureau de vote a été oublié, refait l’addition et proclame le candidat arrive second gagnant des élections.
    → Le recours de plein contentieux permet au juge de substituer sa décision à celle de l’administration.
  1. CE, 1982, Aldana :
    Une personne étrangère résidant sur le territoire français sollicite le statut de réfugié politique. L’administration en charge la lui refuse ; la personne conteste ce refus devant le juge administratif.
    Le Conseil d’État examine les pièces, estime que la personne remplit toutes les conditions juridiques et attribue donc la qualité de réfugié politique à la personne.

2) Le régime juridique du recours de plein contentieux

Tous les recours de plein contentieux ont 2 choses en commun :
1- ils sont rattachés aux droits subjectifs des personnes qui font des recours ;
2- l’assistance d’un avocat est obligatoire.

Il y a des règles qui sont susceptibles de varier, suivant que le recours porte sur la responsabilité administrative, l’urbanisme et l’environnement…

💡
Pour savoir à quel type de recours on a affaire, il faut consulter le dispositif (”Décide :”).
S’il est écrit “l’acte contesté est annulé” en article n°1, alors l’objet de la décision est l’annulation de l’acte → recours pour excès de pouvoir.
S’il y a annulation + autre chose, ou juste autre chose, alors c’est un recours de plein contentieux.

§ 2. Les recours en référé

Dans son article Le huron au Palais Royal de 1962, le professeur Jean Rivero tente de porter un regard naïf et lucide sur l’État et la juridiction administrative.
Le huron est l’indien des lettres persanes qui porte un regard naïf et lucide sur la société.

Il constate 3 choses :

  1. La lenteur de la justice administrative ;
    De nombreux mois, parfois années, sont nécessaires pour obtenir une décision du juge, ce qui ne permet pas de satisfaire les intérêts des requérants.
  1. La justice est souvent rendue trop tard pour que la solution du juge présente un intérêt ;
    Par exemple, si une personne souhaite tenir une conférence, que le maire l’interdit pour des raisons politiques et que le conférencier attaque l’interdiction, il ne pourra obtenir gain de cause que 2 ans plus tard.
  1. Il arrive que l’administration ne mette pas en oeuvre ses décisions, volontairement ou involontairement.

Ce constat va trouver un écho.

Depuis 1995, les décisions administratives peuvent rendre des décisions assorties d’injonction et d’astreinte.
Cela permet l’exécution forcée des décisions du juge administratif.
Désormais, le taux d’exécution des décisions du juge administratif a bondi.

La loi du 30 juin 2000 sur les référés administratifs est importante, car auparavant il était quasiment impossible d’obtenir une décision en urgence du juge administratif.

A – Le référé suspension

Le référé suspension est créé par la loi du 30 juin 2000 ; il est aujourd’hui codifié à l’article L521-1 du Code de justice administrative.

Il permet de saisir le juge des référés pour que celui-ci ordonne la suspension de l’exécution de la décision administrative, lorsque 2 conditions sont remplies :
1- l’urgence ;
2- le doute sérieux quant à la légalité de la décision administrative.

L’objet de ce référé est assez limité : il permet d’obtenir rapidement du juge administratif la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque le juge a un doute sur sa légalité.

Le délai est d’1 mois maximum.

Condition d’urgence :

Il s’agit d’une condition commune à tous les référés : il faut prouver au juge que la situation justifie qu’il doive rendre une décision en urgence.

Conseil d’État, 2001, Confédération nationale des radios libres :
Dans cette décision de principe, le Conseil d’État affirme 2 choses :

  1. Pour apprécier la condition d’urgence, il faut une balance entre les différents intérêts en présence ;
    → Tout dépend du contexte : le juge fait au cas par cas.
  1. L’urgence peut être uniquement financière.
    Aujourd’hui, beaucoup de référés suspension voient leur condition d’urgence remplie par cette urgence financière.

Condition de doute :

Conseil d’État, 2001, M. Maffemba :
À l’occasion d’un référé, on ne doit pas absolument convaincre le juge : on doit simplement faire naître dans son esprit un doute sur la légalité de la décision.

Le juge des référés doit toujours désigner avec précision le moyen du recours qui a suscité chez lui un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué.

Le référé suspension doit toujours être accompagné d’un recours au fond, qui est un REP simple.
Le juge des référés statute dans un délai d’1 mois sur le référé.
La suspension est une décision valable au jour où elle est rendue jusqu’à ce que le juge du fond (le même juge…) se prononce sur le REP.

Un appel est possible devant le Conseil d’État, qui a 1 mois pour rendre sa décision.
Il n’y a pas d’autre voie de recours possible.

B – Le référé liberté

Le référé liberté figure aujourd’hui à l’article L521-2 du Code de justice administrative.
Il permet d’obtenir du juge des référés “toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration a porté une atteinte grave et manifestement illégale”.

Ce référé a pour objet les libertés fondamentales.
On ne peut pas l’exercer en dehors de cette hypothèse.

Le juge doit statuer dans un délai de 48h (→ très rapide).

Conditions du référé liberté :

  1. L’urgence : le Conseil d’État a affirmé qu’il s’agit ici d’une urgence absolue.

    Conseil d’État, 2001, Association Radio deux couleurs :
    Par rapport au référé suspension, l’urgence doit être une urgence absolue, pour justifier que le juge doive se prononcer sous 48 heures.

  1. La démonstration d’une atteinte portée à une liberté fondamentale :

    Les libertés fondamentales le sont parce qu’elles s’imposent au législateur : elles sont consacrées par des normes constitutionnelles ou internationales.

    Le Conseil d’État n’a cependant pas retenu cette définition : la liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 est une liberté fondamentale consacrée par le Conseil d’État à l’occasion d’un référé liberté.
    Il existe donc une liste de libertés reconnues par le Conseil d’État à l’occasion de décisions de principe.

    Exemple : Conseil d’État, 2001, Commune de Venelles :
    Affirme que la libre administration des collectivités territoriales est une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2.
    Habituellement, on considère que les libertés fondamentales bénéficient à l’être humain, mais le Conseil d’État les applique à des personnes morales.

    Dans une décision rendue le 20 septembre 2022, le Conseil d’État affirme que le droit de vivre dans un environnement respectueux de la santé est une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2.

Idée : l’atteinte portée à la liberté fondamentale par l’administration relève un certain degré de gravité, qui justifie l’intervention du juge des référés.

Le juge des référés peut prendre toute mesure de nature à faire cesser cette atteinte.

Ce référé connaît un très grand succès.
Il connaît son apogée avec l’état d’urgence sanitaire en 2020 et 2021.

Il est possible de faire appel de la décision rendue en référé devant le Conseil d’État, qui statue sous 15 jours.

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