Chapitre 9 : Le service public

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

La notion de service public a des significations assez variables.
Le professeur Jacques Chevallier identifie 3 conceptions du service public :

  1. Une conception institutionnelle : le service public, c’est une pluralité d’institutions, avec des agents et des biens.
    C’est la conception du langage courant.
  1. Une conception idéologique : la notion de service public est d’abord un principe de légitimation de l’action des personnes publiques, ce qui justifie leur importance / de payer des impôts / de leur accorder des prérogatives de puissance publique.
  1. Une conception juridique : le service public est une activité d’intérêt général prise en charge directement ou indirectement par une personne publique et qui est dotée d’un régime juridique spécifique.
    Exemple du régime juridique spécifique du service public : le respect du principe de laïcité.

→ 3 dimensions du service public qui sont liées entre elles.

La critique néolibérale du service public, qui émerge dans les années 1970, illustre l’imbrication de ces 3 dimensions du service public.
Cette critique se déploie à l’égard de ces 3 dimensions.

  1. La dimension idéologique : le discours néolibéral tend à contester la légitimité de l’action de l’administration à travers l’activité de service public, sur la base d’un double constat :
    1- l’intervention de l’État porte atteinte aux libertés des personnes (et en particulier à la liberté d’entreprendre) ;
    2- cette action de l’État est inefficace.

    Cela justifie des conséquences sur les autres conceptions du service public :

  1. Sur la dimension institutionnelle : sur le long terme, on constate que les politiques néolibérales mises en place dans un 1er temps au Royaume-Uni ont entraîné une contraction de la sphère publique, avec un phénomène de privatisation.
  1. Sur la dimension juridique : la prise en compte au sein du régime de service public du droit de la concurrence et du droit de la consommation.

→ Ces 3 dimensions de la notion de service public sont liées entre elles.

Section 1 : La définition de l’activité de service public

Une activité de service public est une activité d’intérêt général prise en charge directement ou indirectement par une personne publique.

Cette qualification ne pose pas de problèmes en présence d’activités prises en charge par des personnes publiques.
Il y a une présomption : dès lors qu’une activité est prise en charge par une personne publique, on considère qu’elle est une activité de service public.

En revanche, si elle est prise en charge par une personne privée, la question se pose et des difficultés de qualification émergent.

Parfois, la loi affirme que telle ou telle activité est une activité de service public → qualification législative.
Exemple : la loi du 2 juin 1891 définit les activités des sociétés de courses de chevaux comme des activités de service public.

En l’absence de qualification législative, il faut se reporter à la jurisprudence pour savoir ce qui constitue une activité de service public.

Conseil d’État, 2007, APREI :
Le Conseil d’État synthétise la définition d’activité de service public.
Il y a 2 critères essentiels :
1- l’exercice d’une activité d’intérêt général ;
2- assurée sous le contrôle d’une personne publique.

La détention de prérogatives de puissances publiques n’est plus un critère.

§ 1. Une activité d’intérêt général

L’expression “intérêt général” est assez floue.

Suivant une approche utilitariste, l’intérêt général est l’addition des intérêts particuliers.
Suivant une approche volontariste, l’intérêt général est défini collectivement par les institutions de l’État.

Comment le juge procède-t-il pour qualifier une activité d’intérêt général ou non ?
S’il suit la conception subjective de l’intérêt général, alors il considère que la qualification d’une activité d’intérêt général dépend d’un choix politique, opéré par le législateur ou le pouvoir règlementaire.

S’il suit la conception objective, alors il estime qu’il y a des activités qui seraient par nature des activités d’intérêt général (armée, police, justice ?), et d’autres qui par nature ne pourraient pas l’être (jeu, sport ?).

C’est très clairement l’approche subjective qui domine.
Autrement dit, le choix d’ériger une activité en activité d’intérêt général résulte d’un choix de l’autorité politique.
Le Conseil d’État identifie cette volonté politique à travers toute une série d’indices qui illustreraient cette volonté.

En conséquence, le label “activité d’intérêt général” peut être largement distribué, y compris à des activités dont on pourrait considérer qu’elles n’auraient pas par nature une dimension d’intérêt général.
Illustrations :

  1. Tribunal des conflits, 1988, Ville de Cannes contre Ponce :
    L’exploitation du Palais des Congrès de Cannes est une activité d’intérêt général, parce qu’elle participe au développement de la culture et du tourisme.
  1. Conseil d’État, 2000, SARL Plage “Chez Joseph” :
    L’exploitation d’une plage peut constituer une activité d’intérêt général, parce que l’exploitation de cette plage permettait le développement d’une station balnéaire.

C’est donc un label très généreusement attribué par le juge, dès lors qu’il lui semble que l’autorité politique a fait le choix d’ériger cette activité en activité d’intérêt général.

Il semble cependant que le juge administratif est assez réservé à l’idée de qualifier d’activité d’intérêt général une activité dont l’intérêt pour l’administration est essentiellement patrimonial.
Conseil d’État, 1999, Rolin :
En tant qu’elle définit les règles et organise des jeux, la FDJ n’assure pas une activité d’intérêt général.
La seule circonstance que cette activité procure d’importantes recettes à l’État ne suffit pas.

§ 2. Une activité rattachée à une personne publique

Ici, « rattachée » peut vouloir dire 2 choses :

  1. Soit l’activité est directement prise en charge par une personne publique ;
  1. Soit l’activité est gérée par une personne privée sous le contrôle d’une personne publique.

C’est là que réside la difficulté : lorsqu’une personne privée prend en charge une activité, comment déterminer son rattachement à une personne publique qui serait tel qu’on pourrait ériger son activité en activité de service public ?

Cette question comprend des enjeux :

  • Enjeu juridique : si une activité d’une personne privée est identifiée comme étant rattachée à une personne publique et donc érigée en service public, alors on applique le régime spécifique du service public.
  • Enjeu politique : il existe de nombreuses de structures privées – notamment des associations – dont on peut considérer que l’activité relève de l’intérêt général.
    Il peut être tentant d’ériger leur activité en service public, sauf que l’action de ces personnes privées est aussi l’expression de leur liberté (liberté d’entreprendre et liberté d’association).
    Quel équilibre trouver entre la liberté des individus et l’interventionnisme des personnes publiques ?

Pour considérer qu’une activité d’une personne privée doit être rattachée à une personne publique et peut donc être érigée en service public, l’hypothèse la plus simple est la qualification législative.
Par exemple, l’article L131-9 du Code du sport précise que “les fédérations sportives agréées participent à la mise en œuvre des missions de service public relatives au développement et à la démocratisation des activités physiques et sportives”.

En l’absence de qualification législative, le rattachement à la personne publique d’une activité d’intérêt général s’opère à partir d’une série de 5 critères :

  1. L’origine de la création de l’entité privée et/ou de l’activité qu’elle prend en charge.
    Par exemple, si l’entité est créée par une personne publique, cela va dans le sens d’une activité de service public.
  1. Le contrôle assuré par une personne publique sur les organes de cette entité privée et/ou sur son activité privée.
    Par exemple, si une partie importante des membres du bureau sont des élus locaux.
  1. Le financement (si l’activité est tout ou partie financée par une personne publique).
  1. Lorsque l’entité fonctionne grâce à des moyens mis à disposition par une personne publique (moyens humains, matériels…).
  1. Lorsque l’entité se voit dotée de prérogatives de puissance publique pour assurer son activité.
    Par exemple, s’il y a un mécanisme d’adhésion obligatoire.

Ce ne sont pas des critères cumulatifs.
Ces critères illustrent la volonté d’une personne publique de prendre en charge une activité → illustrent l’existence d’une activité de service public.

Parmi ces 5, il y a 2 indices qui jouent un rôle important (sans être indispensables pour autant) :

Le critère de la création :
L’initiative de la création de l’activité illustre parfaitement la volonté de la personne publique.
Pour autant, le Conseil d’État a reconnu qu’il arrive que même des activités pour lesquelles la personne publique n’est pas à l’initiative puissent être érigées en activités de service public.

Arrêt de référence :
Conseil d’État, 2007, Commune d’Aix-en-Provence :
Contexte : un festival international d’art lyrique qui se tient tous les ans à Aix-en-Provence. Ce festival a été créé par une association de passionnés d’art lyrique et non par la commune d’Aix.
Question : l’organisation de ce festival constitue-t-il une activité de service public ?
Problème : le critère de l’initiative ne permet pas ici d’ériger ce festival en activité de service public.

Le Conseil d’État suit ici un raisonnement en 2 temps :

  1. « Lorsqu’une personne privée exerce sous sa responsabilité et sans qu’une personne publique en détermine le contenu une activité dont elle a pris l’initiative, elle ne peut être regardée comme bénéficiant de la part d’une personne publique de la dévolution d’une mission de service public ».
    Principe de base : quand une personne privée gère une activité dont elle a pris l’initiative sous sa responsabilité, elle ne peut pas en principe être regardée comme prenant en charge une activité de service public qui lui aurait été attribuée par une personne publique.

    ⚠️ Mais :

  1. « Une activité peut cependant se voir reconnaître le caractère d’une activité de service public si une personne publique, en raison de l’intérêt général qui s’y attache et de l’importance qu’elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde des financements« .

Le Conseil d’État cherche à répondre à la question : que veut la personne publique ?
Il y a des indices qui illustrent la volonté de la personne publique d’agréger cette activité aux activités de service public.
Ces 2 éléments (droit de regard sur l’organisation + financements importants) illustrent la volonté de la personne publique d’ériger cette activité en service public.

En l’espèce, le Conseil d’État relève que les organes du festival sont largement composés de représentants des collectivités publiques. Il constate que les subventions représentent 50% du budget de la manifestation, sans compter l’aide en nature fournie par la ville.
Ces éléments le conduisent à considérer que l’État, la région, le département et la ville ont ainsi décidé de faire du festival international d’Aix-en-Provence un service public culturel.

→ Le Conseil d’État ouvre la porte à l’idée qu’une activité peut être considérée comme une activité de service public même si, à l’origine, elle n’a pas été créée par une personne publique.

Conseil d’État, 2016, SARL Cathédrale d’Images :
Une association avait créé un spectacle audiovisuel dans des carrières qu’elle louait.
Question : est-ce que ce spectacle doit être considéré comme un service public ?
Le Conseil d’État répond que non, en constatant que le bail ne donnait aucun rôle à la commune dans la programmation et l’organisation de l’activité ni aucun pouvoir de contrôle sur cette organisation.
Il en conclut que la commune ne pouvait être regardée comme ayant organisé un service public et confié sa gestion à la société en cause, ni comme ayant entendu reconnaître un caractère de service public à cette activité.
→ Il faut quelque chose qui illustre la volonté de la personne publique d’ériger cette activité en activité de service public.

Concrètement, toutes les activités d’intérêt général ne sont pas des activités de service public.
Exemple : les EHPAD.

La détention de prérogatives de puissance publique :

Conseil d’État, 1963, Narcy :
Pour qu’il y ait un service public, il faut absolument que l’entité soit dotée de prérogatives de puissances publiques.

Mais plusieurs arrêts ont ensuite infirmé cette conviction :
Conseil d’État, 1990, Ville de Melun et Association Melun-Culture-Loisirs :
Le Conseil d’État reconnaît qu’une association assure une activité de service public alors même qu’elle ne s’est pas vue dotée de prérogatives de puissance publique pour ce faire.

C’est donc un critère important, mais pas un critère indispensable.

Section 2 : L’organisation du service public

§ 1. La création de l’activité de service public

A – Compétence

Pour savoir quelles autorités sont compétentes pour décider la création d’une activité de service public, il faut distinguer les services publics à vocation nationale de ceux à vocation locale.

1) Au niveau national

Conseil d’État, 1997, Ordre des avocats à la cour d’appel :
Concerne la création de Légifrance.
Le Conseil d’État précise que c’est en principe au pouvoir règlementaire qu’il appartient de fixer les modalités de l’organisation d’un service public, sous réserve des matières réservées au législateur par l’article 34 de la Constitution.

Autrement dit, la mise en place d’un service public au niveau national incombe en principe au pouvoir règlementaire, sauf lorsqu’on est dans le cadre d’une matière que l’article 34 de la Constitution réserve au législateur.

Par exemple, l’éducation : c’est au législateur qu’il incombe de fixer les règles relatives à l’organisation du service public de l’enseignement public.

Dans cette affaire de 1997, le Conseil d’État se pose la question de savoir si le service public des bases de données juridiques peut être ou doit être rattaché aux matières réservées par l’article 34 au législateur.
Il constate que non. C’est donc bien au pouvoir réglementaire qu’il incombait de créer cette nouvelle activité de service public.

Lorsque la création d’une activité de service public suppose la création d’une catégorie d’établissements publics, l’article 34 précise que c’est là encore au législateur qu’appartient la compétence.

2) Au niveau local

Les autorités compétentes pour décider de la création d’une activité de service public au niveau local sont les organes délibérants des collectivités publiques en cause (commune, département…).

B – Création obligatoire ou facultative

Dans certaines hypothèses, cette création est obligatoire : l’autorité en cause n’a pas le choix de créer ou de ne pas créer l’activité.
Dans d’autres hypothèses, il s’agit d’une liberté dont dispose la collectivité publique ; mais le risque, c’est qu’elle se heurte à des intérêts privés.

1) Création obligatoire

À l’échelon national, on considère qu’il existe des services publics dont la création s’impose en vertu d’exigences constitutionnelles.
Autrement dit, la Constitution imposerait la création ou la prise en charge par l’État d’un certain nombre d’activités de services publics.

Conseil constitutionnel, 1986, Lois de privatisation :
Le Conseil constitutionnel précise que la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle.

On déduit de cette affirmation l’idée qu’il y a des services publics dont la création qui s’impose en vertu de normes constitutionnelles.
On parle de services publics constitutionnels, parce que leur création est imposée par la Constitution.

Difficulté : finalement, le Conseil constitutionnel n’a pas vraiment précisé ce que recouvre ces fameuses exigences constitutionnelles qui imposent la création de service public.
Il y a des services publics qu’on peut rattacher assez facilement à des exigences constitutionnelles : les activités en matière de police, de défense et de justice.

On se tourne aussi souvent vers le préambule de la Constitution de 1946, qui énumère des droits sociaux “créances” ou “droits de solidarité” : le droit à l’emploi, la protection de la santé…
On peut considérer que l’on retrouve là des exigences constitutionnelles qui imposent à l’État de mettre en place des services publics.

Son alinéa 5 proclame le droit à l’emploi suppose la mise en place d’un service public de l’emploi (aujourd’hui, Pôle emploi).
Son alinéa 10 renvoie à l’idée de protection de la santé, suppose la mise en place de services publics en matière de santé notamment : hôpitaux publics, etc.
Son alinéa 13 consacre le droit à l’instruction impose explicitement l’organisation d’un enseignement public, laïc…

→ Il existe de très nombreux services publics constitutionnels.

Dès lors que l’on n’est plus en présence d’exigences constitutionnelles, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur et du pouvoir réglementaire.
Exemple type : le service public des données juridiques évoqué précédemment est un choix qui a été fait par le législateur.

On pourrait considérer à certains égards que la création de certains services publics s’impose non en vertu d’exigences constitutionnelles, mais en vertu d’exigences conventionnelles : des traités et engagements internationaux vont imposer la mise en place d’activités ou de création d’entités éventuellement publiques et assurant des activités de service public.
Exemple : le protocole additionnel de 2002 au traité relatif à la lutte contre les traitements inhumains ou dégradants de 1984 a imposé aux États de mettre en place un organe indépendant en charge de visiter des lieux de détention et éventuellement de rendre compte de mauvaises conditions de détention. Pour assurer la mise en œuvre de ce protocole, on a créé en France une nouvelle AAI : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).

À l’échelon local, la loi (via le CGCT) détermine un certain nombre d’activités qui doivent obligatoirement être prises en charge par les collectivités publiques.

Exemples pour les communes : l’assainissement de l’eau, les pompes funèbres.
Ces activités doivent être impérativement mises en place par les communes.


2) Création facultative

Ici, c’est assez différent, parce que la personne publique qui souhaite prendre en charge une nouvelle activité est ici susceptible de se heurter à d’autres intérêts qui sont légitimes.

Enjeu : articulation entre cette possibilité qu’a la collectivité publique et la liberté d’entreprendre (protégé par l’article 4 de la DDHC).
Opposition doctrinale entre les “libéraux” et les “socialisants”.

💡 Il y a un contentieux constitutionnel en la matière, mais ce cours va plutôt s’intéresser au contentieux administratif.
Exemple :

Conseil constitutionnel, 2001, Archéologie préventive :
Archéologie préventive : aujourd’hui en France, on impose dans un certain nombre de domaines aux constructeurs d’avoir recours à une prestation d’archéologie préventive pour vérifier qu’ils ne soient pas en train de construire sur des vestiges archéologiques importants.
Le législateur a choisi récemment de mettre en place un établissement public en charge d’opérer des fouilles archéologiques en amont des travaux publics et privés, avec l’objectif de préserver le patrimoine archéologique français.
Problème : il y avait déjà des acteurs privés dans ce domaine qui assurent des prestations d’archéologie préventives.
Le Conseil constitutionnel a considéré cette création compatible avec l’article 4 de la DDHC.
Ce qui a joué ici : cet établissement public est doté d’un monopole pour mettre en place les opérations d’archéologie préventive mais il peut déléguer la réalisation de ces opérations à des entités privées.

Sur ce terrain, la jurisprudence a très largement évolué, dans un sens favorable aux collectivités publiques.

Dans un 1er temps :
Conseil d’État, 1901, Casanova :
Le Conseil d’État se montre très réticent à l’idée qu’une collectivité publique mette en place une nouvelle activité alors qu’il existe des opérateurs privés.
En l’espèce, était en cause la décision d’un conseil municipal de financer le traitement d’un médecin qui devait donner des soins gratuits aux habitants de la commune → mise en place d’une nouvelle activité à travers le financement du traitement d’un médecin.
Il y avait déjà 2 médecins qui exerçaient dans la commune.
Le Conseil d’État explique ici que les conseils municipaux ne peuvent intervenir pour procurer des soins médicaux aux habitants que dans des circonstances exceptionnelles.

→ La mise en place d’une activité qui concurrencerait une activité privée ne peut se justifier que dans des circonstances exceptionnelles.
→ Approche restrictive.

Cette approche va assez rapidement dans un second temps être nuancée.
Cet assouplissement s’explique notamment par la montée en puissance des idées socialistes dans un contexte de crise économique : courant du “socialisme municipal” = la volonté de communes de mettre en place toute une série d’activités fournissant des prestations à la population.

Le Conseil d’État a assoupli sa jurisprudence pour permettre – dans une certaine mesure – la création de ces nouvelles activités.

Conseil d’État, 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers :
En cause ici : le choix de la ville de Nevers de mettre en place un service municipal du ravitaillement pour permettre aux personnes de de se procurer un stand de bien à moindre frais.
Le Conseil d’État considère ici que les activités de nature commerciale restent en principe réservées à l’initiative privée et que les conseils municipaux ne peuvent ériger de telles activités en service public que si, en raison de circonstances particulières de temps ou de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en la matière.

Ce n’est plus les circonstances exceptionnelles de l’arrêt Casanova.
Il faut démontrer qu’il y a un intérêt public + des circonstances particulières de temps et de lieu.
→ Assouplit les conditions dans lesquelles les personnes publiques peuvent choisir de mettre en place de nouvelles activités de service public.

On en a déduit qu’il y a 2 conditions cumulatives qui sont nécessaires pour qu’un conseil municipal puisse créer une nouvelle activité de service public :

  1. Un intérêt public local ;
  1. Une carence quantitative ou qualitative de l’initiative privée.

    Carence quantitative : il n’y a pas assez d’offre.
    Carence qualitative : s’intéresse au prix ; il y a une initiative privée, mais à un prix tel que certains habitants ne peuvent pas y accéder.

Exemple :
Conseil d’État, 1964, Ville de Nanterre :
La ville de Nanterre décide de mettre en place d’un cabinet dentaire municipal alors même qu’il existe des cabinets libéraux de dentistes sur le territoire de la commune.
La commune était-elle en droit ?
Le Conseil d’État répond que oui :
1- Il existe un intérêt public local : l’accès de l’ensemble de la population de la commune (à l’époque majoritairement constituée de salariés modestes) aux soins dentaires.
2- Il y a une carence de l’initiative privée : le Conseil d’État constate qu’il y a un nombre insuffisant de praticiens privés (carence quantitatif) et que ceux-ci pratiquent pour la plupart des tarifs supérieurs au tarif de secteur 1 (carence qualitative).
→ 2ème temps de l’évolution de la jurisprudence.

Reformulation de cette jurisprudence (adaptation au droit de l’Union européenne) :

Conseil d’État, 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris :
Il ne s’agit pas d’une rupture, mais d’une reformulation du cadre défini à partir des années 1930.
Cet arrêt opère une distinction parmi les activités créées et prises en charge par les personnes publiques.

D’un côté, il y a ce que le Conseil d’État appelle “les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont les personnes publiques sont investies et pour lesquelles elles bénéficient de prérogatives de puissance publique”.
Concernant ces activités là, il considère que ne peut pas leur être opposées le principe de liberté du commerce et de l’industrie (= liberté d’entreprendre).
Idée : ce sont des activités non économiques → elles n’entrent pas en concurrence avec des opérateurs privés, qui interviennent eux sur un marché.

Exemple n°1 : dans cette affaire de 2006, ce qui était en cause, c’était la décision de l’État de mettre en place une mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat (aujourd’hui, “marchés de partenariat”) pour aider les collectivités publiques.
Cette création a été contestée par l’ordre des avocats au barreau de Paris, parce qu’il existe déjà des prestations d’assistance à la conclusion de marchés de partenariats qui existent dans des grands cabinets d’avocats.
Le Conseil d’État constate que certes, il existe déjà un marché, mais il considère néanmoins que l’activité de cette mission se rattache à la mission dévolue à l’État de veiller à la bonne application de la règle de droit, qui est une activité administrative par essence en quelque sorte → en créant cette mission, l’État ne prend pas en charge une activité économique.

Exemple n°2 : Conseil d’État, 2017, M. Perez et Ordre des avocats de Paris :
Était contestée la décision du ministère de l’économie de mettre en place un Médiateur des entreprises, avec comme objectif de favoriser la résolution amiable des différents en matière de marchés publics.
Là encore, on peut se poser la question : la médiation peut faire partie des prestations offertes par les avocats.
Néanmoins, le Conseil d’État considère qu’en instituant ce médiateur, l’État n’a pas pris en charge une activité de nature économique, donc n’intervient pas sur un marché ; il s’est borné à mettre en œuvre sa mission d’intérêt général de développer les modes alternatifs de règlement des litiges, corollaire d’une bonne administration de la justice.

Concrètement, cette jurisprudence laisse une certaine liberté à l’État.
Certes, la mise en place de ces activités contribue peut-être à la réalisation de finalités d’intérêt général (par exemple, la bonne administration de la justice), mais elle conduit à concurrencer les initiatives privées qui existent déjà.

Cette jurisprudence assez souple doit être complétée par 2 autres jurisprudences.

1ère jurisprudence : Conseil d’État, 1933, Blanc :
Certaines activités peuvent être librement créées par des collectivités publiques sans que ne puisse leur être opposé le principe de liberté du commerce et de l’industrie (notamment des activités à forte dimension sociale).
En l’espèce, la création de bains-douches peut être librement décidée par une commune sans que puisse lui être opposée la liberté du commerce et de l’industrie ; c’est une activité à forte dimension sociale.

De la même manière, dans un arrêt de 1970, une commune avait mis en place un service municipal de consultation juridique, qui s’adresse à des populations qui n’ont pas facilement accès à des avocats. On ne peut pas lui opposer ici le principe de liberté du commerce et de l’industrie.

→ La création d’activités à vocation sociale ne peut se voir opposer le principe de liberté du commerce et de l’industrie.

2nde jurisprudence :
Il est toujours possible, pour une personne publique, de pourvoir elle-même à ses propres besoins, quand bien même ses besoins pourraient être assurés par une personne privée.
Exemples :

Conseil d’État, 1970, Unipain :
Dans une commune, il y avait une caserne qui produisait elle-même son pain pour nourrir le personnel militaire. Cette boulangerie militaire a étendu légèrement son activité pour fournir du pain à un établissement pénitentiaire situé dans la commune.
Le Conseil d’État a considéré qu’il est tout à fait possible pour l’État de pouvoir à ses propres besoins ; en l’occurrence, les établissements pénitentiaires relèvent de l’État.

Conseil d’État, 2011, API (Association pour la promotion de l’image) :
Aujourd’hui, lorsqu’on refait faire des titres d’identité, il y a parfois dans les mairies un service qui prend la photographie.
Difficulté : les entités qui fournissent cette prestation de photos d’identité ont considéré que cette prestation accessoire était illicite.
Le Conseil d’État a considéré que la prise directe des images par les agents chargés de l’instruction des demandes de titres d’identité ne peut pas être contesté au regard de la liberté du commerce et de l’industrie ni du droit de la concurrence, puisque les personnes publiques peuvent décider d’exercer elles-mêmes les activités qui découlent de la satisfaction de leurs besoins.
→ Même raisonnement qu’Unipain.
→ Élargit la possibilité pour les personnes publiques de prendre elles-mêmes en charge certaines activités.

Si on revient à l’arrêt Ordre des avocats du barreau de Paris (2006), on constate qu’il oppose 2 types d’activités des personnes publiques : les activités non économiques, dont on vient de parler, et les activités économiques.
Dans cet arrêt, le Conseil d’État précise que si une personne publique souhaite prendre en charge de telles activités activités économiques, elle doit non seulement agir dans les limites de ses compétences, mais également justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l’initiative privée.

On présente souvent cette jurisprudence comme une rupture, mais elle s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence Ville de Nanterre.
Ce que dit ici le Conseil d’État, c’est qu’il faut d’une part que l’autorité publique qui crée l’activité soit compétente (exigence qui existait déjà avant) + elle doit justifier d’un intérêt public (ce qui évoque fortement la carence de l’initiative privée).

Exemple : Conseil d’État, 2010, Département de la Corrèze :
Ce département vieillissant a choisi de mettre en place un service de téléassistance aux personnes âgées ou personnes handicapées.
💡 Ce sont les départements qui sont compétents pour l’aide sociale.
Objectif : permettre aux personnes âgées d’alerter lorsqu’elles sont en difficulté. Ce type de prestation est déjà proposé par des opérateurs privés.
Le Conseil d’État considère licite la création de cette nouvelle activité : même si des sociétés privées offrent des prestations de téléassistance, la création de ce service ouvert à toutes les personnes âgées ou dépendantes indépendamment de leur ressources satisfait aux besoins de la population et répond à un intérêt public local.
Ceux qui vont solliciter ce service, ce sont d’abord ceux qui ne peuvent pas accéder aux opérateurs privés en raison de leurs moyens → carence qualitative de l’initiative privée.

Une autre jurisprudence étend la possibilité pour une administration d’intervenir sur un marché.
Idée : la liberté du commerce et de l’industrie n’est pas opposable à une activité d’une personne publique lorsqu’elle constitue le complément d’une activité de service public existante, y compris lorsque cette activité annexe a pour objectif de permettre l’équilibre financier de l’activité en question.
2 exemples :

Conseil d’État, 1959, Delansorme :
La commune a décidé d’associer à un parking municipal une station essence, qui intervient donc sur un marché.
Le Conseil d’État considère néanmoins que cette création était licite parce qu’elle incitait les automobilistes à utiliser le parking municipal plutôt que de garer leur véhicule dans la rue.

Dans un autre arrêt, une activité de vente de fournitures funéraires est associée à un service public des pompes funèbres.
La commune a pu mettre en place ce service de vente de fournitures funéraires, alors qu’il y a des commerces qui vendent ces produits aux alentours des cimetières, parce qu’on est dans une activité annexe d’une activité de service public.

§ 2. Les modalités de gestion des activités de service public

La personne publique a 2 options possibles :
> gérer elle-même le service public ;
> confier le soin à un opérateur privé d’assurer cette gestion.

En principe, ce choix est libre.

A – La gestion directe

L’arrêt Aix-en-Provence (2007) mentionné précédemment évoque longuement les différentes possibilités qui s’offrent à une personne publique lorsqu’elle souhaite prendre en charge une nouvelle activité.
Si la personne publique gère le service public elle-même, 3 régimes sont possibles :

  1. La régie simple : l’activité est gérée directement par la collectivité publique avec ses propres moyens ;
  1. La régie directe ou quasi-régie (n’existe que pour les collectivités territoriales) : permet d’individualiser la gestion du service sur le plan budgétaire.
    Cette autonomisation peut prendre 2 formes :

    • La régie autonome : on met en place un budget annexe spécifique dédié à l’activité ;
    • La régie personnalisée : on met en place une personne morale spécifique.
  1. La gestion par un organisme créé à cet effet.

    Le droit de l’Union européenne n’impose la mise en concurrence que lorsqu’on est dans l’hypothèse d’une gestion indirecte de l’activité.
    Lorsqu’une collectivité publique choisit de prendre directement en charge une activité, on ne lui impose pas de respecter les règles de concurrence.
    Pour ne pas avoir à s’embêter avec les règles de concurrence, des collectivités ont pensé à faire prendre en charge l’activité par une entité qui peut apparaître différente mais qu’elles contrôlent entièrement.
    Cette 3ème modalité renvoie souvent à cette hypothèse.

    Le Conseil d’État précise que les collectivités publiques doivent être regardées comme gérant directement un service public si elles créent à cette fin un organisme dont l’objectif statutaire exclusif est, sous réserve d’une diversification purement accessoire, de gérer ce service et si elles exercent sur cette organisme un contrôle comparable à celui qu’elles exercent sur leurs propres services, leur donnant notamment les moyens de s’assurer du strict respect de son objet statutaire.
    → Assez restrictif.

    Si ces conditions sont réunies, on est dans la gestion directe par une personne publique → elle n’est pas soumise aux règles de concurrence.

B – La gestion par un tiers

L’arrêt Aix-en-Provence évoque aussi les hypothèses de gestion indirecte.

1) Modalités de la dévolution

Dans sa décision Aix-en-Provence, le Conseil d’État précise que, lorsqu’il est question d’accorder ou de confier à un tiers le soin de prendre en charge une activité de service public, le mode est de dévolution normal est le contrat (soit un marché public, soit une concession).
On doit respecter les exigences relatives au Code de la commande publique.

Il y a des exceptions :

  1. L’intervention de la loi : parfois, un texte législatif interfère dans les modalités de dévolution.
    Il y a 2 manières possibles :

    1. Parfois, c’est la loi elle-même qui procède à la dévolution.
      Exemple : la loi du 30 septembre 1986 confie notamment le service public de la communication audiovisuelle à des sociétés nationales de production (France Télévisions et Radio France).
    1. Parfois, la loi confie le soin à une autorité publique de désigner les bénéficiaires par la voie d’un acte unilatéral (≠ un contrat).
      Exemple : l’article L131-14 du Code du sport concernant la délégation des missions de service public aux fédérations sportives prévoit que cette délégation se fait par voie de décision unilatérale de l’État, et non par la voie contractuelle.
  1. Les collectivités publiques peuvent se passer de conclure un contrat lorsque eu “eu égard à la nature de l’activité en cause et aux conditions particulières dans lesquelles il l’exerce, le tiers ne saurait être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentiel”.

    Ici, on est dans l’hypothèse où l’activité en cause est censée ne pas être une activité économique, donc pas de concurrence nécessaire, donc pas de contrat.
    Cette exception a vocation à jouer pour les activités de nature sociale et pour les services publics culturels.


2) Bénéficiaires de la dévolution

Peuvent être bénéficiaires d’une telle dévolution : personnes privées, associations, sociétés d’économie mixte et sociétés publiques locales…
Question : est-ce qu’une personne publique peut candidater pour pouvoir prendre en charge des missions de service public ?
C’est une question délicate, parce qu’on craint que cette personne publique ne bénéficie d’avantages qui fausserait la concurrence.

Conseil d’État, 2014, Société Armor SNC :
S’inspire de l’arrêt Ordre des avocats du barreau de Paris (2006).
Il faut que la personne publique soit compétente pour délivrer la prestation + qu’il y ait un intérêt public qui légitime cette activité de nature économique.
Le Conseil d’État précise que la candidature répond à un intérêt public si elle constitue “le prolongement d’une mission de service public dont la personne publique a la charge dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service, ou d’assurer son équilibre financier”.

Les faits de l’affaire : un département a investi dans du matériel de dragage. Il candidate à un marché dans un autre département pour y assurer le dragage dans ce département.
Le Conseil d’État retient que cette candidature est licite, parce que le 1er département a candidaté pour amortir les coûts d’investissement du matériel de dragage.

2ème temps de l’arrêt : il faut que les modalités de cette candidature ne faussent pas le jeu de la concurrence. Le prix proposé par la personne publique doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix + en veillant à ce qu’ils n’intègrent pas des ressources ou moyens qui sont attribués à la personne publique par les missions de service public qui lui sont octroyées.

Section 3 : Le régime des activités de service public

Ce régime juridique n’est pas univoque. Il y a une diversité de régimes.

§ 1. Facteurs de variation

3 considérations expliquent la diversité du régime applicable au service public :
1- qui prend en charge l’activité ?
2- quelle est la nature de l’activité ?
3- quel est l’objet de l’activité ?

A – La distinction personne publique / personne privée

En fonction de la nature de l’entité qui prend en charge l’activité de service public, le régime juridique varie.
On va donner ici 3 exemples :

  1. Le régime fiscal n’est pas le même.
    Certaines personnes publiques, pour l’exercice de certaines activités de service public, bénéficient d’une exonération de TVA ;
  1. Le régime des biens mobilisés au service de l’activité de service public.
    Il y a un principe d’insaisissabilité des biens des personnes publiques.
  1. Le droit applicable aux relations avec les agents / les usagers du service.
    Si une personne publique prend en charge l’activité, ses agents sont susceptibles d’être des agents publics, avec tout le régime qui leur est applicable.
    Si une personne privée prend en charge l’activité, ses agents sont des personnes privées soumis au Code du travail.

B – La distinction SPIC/SPA

Aujourd’hui, on considère que l’ensemble des activités de service public relèvent :
> soit de la catégorie des services publics administratifs (SPA) ;
> soit de la catégorie des services publics industriels et commerciaux (SPIC).

Cette distinction est essentielle pour déterminer les règles applicables au service + les règles de compétence juridictionnelle.
En règle générale, le contentieux des SPA relève du juge administratif et le contentieux des SPIC relève du juge judiciaire.

Cette distinction trouve son origine au 20ème siècle dans l’interventionnisme croissant des personnes publiques dans l’économie.
Dès lors que des personnes publiques ont commencé à prendre en charge des activités auparavant prises en charge par des personnes privées, il paraissait logique de leur appliquer le même régime juridique → émergence des services publics à gestion privée.

Tribunal des conflits, 1921, Société commerciale de l’Ouest africain (”Bac d’Eloka”) :
Contexte : colonisation en Afrique de l’Ouest. L’affaire prend place en Côte d’Ivoire, où la colonie met en place un bac pour traverser le lac d’Eloka.
Un accident se produit et une action en responsabilité est intentée.
Il s’agit d’une activité prise en charge par une personne publique (la colonie), donc quel est le juge compétent ?

Le Tribunal des conflits retient que “en effectuant, moyennant rémunération, les opérations de passage de piétons et de voitures d’une rive à l’autre du lac, la colonie de Côte d’Ivoire exploite un service de transport dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire” ; en conséquence, il n’appartient qu’à l’autorité judiciaire de connaître des conséquences dommageables de l’accident invoqué.

Idée : puisque la colonie agit comme une entreprise privée et intervient sur un marché, on lui applique le même régime → droit civil de la responsabilité.

→ Acte de naissance de la catégorie des SPIC.

1) Critères de distinction

Il existe des qualifications législatives.
2 exemples :

  1. L’article L342-13 du Code du tourisme affirme que l’exploitation des remontées mécaniques et des pistes d’une station de ski est un SPIC.
    C’était une question peu évidente au regard des critères jurisprudentiels.
  1. L’article L2224-11 du Code général des collectivités territoriales dispose que “les services publics d’eau et d’assainissement sont financièrement gérés comme des SPIC”.

Précision : lorsque le législateur fait le choix d’une telle qualification, ça ne signifie pas que l’ensemble du contentieux relatif à l’activité de cette entité relève du juge judiciaire.
Exemple : Tribunal des conflits, 2004, Blanckeman :
Était en cause l’établissement public Voies navigables de France, qui est un EPIC (= établissement public prenant en charge une activité de service public industriel et commercial) sur qualification de la loi.
Le Tribunal des conflits précise que les litiges nés de l’activité de cet EPIC relèvent en principe du juge judiciaire, mais il ajoute qu’en revanche celles de ses activités qui relèvent des prérogatives de puissance publique (règlementation, police, contrôle…) sont soumises à la compétence du juge administratif.

À défaut de qualification législative, on applique les critères jurisprudentiels :

Conseil d’État, 1956, USIA (Union syndicale des industries aéronautiques) :
Cet arrêt a fixé des critères jurisprudentiels permettant de distinguer les 2 catégories.
Pour qu’une activité soit considérée comme une activité de SPIC, il faut que 3 critères cumulatifs soient réunis :

  1. Le critère de l’objet : l’activité en cause doit être au nombre des activités susceptibles d’être prises en charge par une personne privée.
    Il existe des activités qui sont censées relever par nature des collectivités publiques et qui empêchent donc la qualification de SPIC.

    Exemple : Tribunal des conflits, 1981, Crouzet :
    L’activité de la sécurité aérienne a été considérée comme ne pouvant pas relever d’un SPIC, parce qu’elle relève par nature de la compétence des personnes publiques.

    Critère complexe à mettre en œuvre : “par nature” ?

  1. Le critère de l’origine des ressources : les ressources du service doivent être essentiellement liées aux redevances payées par les usagers en contrepartie de la prestation.

    Exemple : Tribunal des conflits, 1994, Syndicat mixte d’équipement de Marseille :
    Était en cause l’exploitation d’un centre portuaire d’accueil routier.
    Le Tribunal des conflits a considéré que cette activité ne constituait pas un SPIC puisqu’une part prépondérante de son financement provenait de subventions de la ville et de la CCI.

  1. Le critère des modalités d’organisation et de fonctionnement.
    Ce critère repose sur la technique du faisceau d’indices. Sont pris en compte :
    > le régime comptable ;
    > la détention de prérogatives de puissance publique ;
    > le statut des personnels ;
    > l’importance de la recherche de rentabilité dans la gestion du service.

    Tribunal des conflits, 2017, Société Centre Léman :
    Était en cause la commune d’Annemasse, qui exploite près du lac Léman un centre aquatique, au sein duquel il y a une activité de fitness.
    Quelle est la nature de l’exploitation de ce centre aquatique ? Il y avait des doutes importants.
    Le Tribunal des conflits a exclu la qualification du SPIC, en retenant que les agents du service étaient placés sous l’autorité du chef du service des sports de la commune d’Annemasse + le gymnase et le centre aquatique étaient rattachés au pôle culture de la commune…

La mise en œuvre de ces critères est parfois difficile.
Il faut que ces 3 critères convergent vers la qualification de SPIC pour qu’il y ait un SPIC.

Remarque :
Il arrive qu’une entité assure les 2 types d’activités (activités de SPIC + de SPA).
Exemple : Tribunal des conflits, 1986, Commune de Kintzheim :
L’ONF (Office national des forêts) est un établissement public.
Le Tribunal des conflits reconnaît que l’ONF assure des missions de SPA (activités de protection et de conservation des forêts) + des missions de SPIC (gestion et exploitation des forêts).


2) Régime applicable

En principe :
> si l’on est en présence d’un SPA, le droit public s’applique → le juge administratif est compétent ;
> si l’on est en présence d’un SPIC, le droit privé s’applique → le juge judiciaire est compétent.

Mais, dans le détail, c’est légèrement plus compliqué.

a) Relations entre le service et ses usagers

En présence d’un SPA :

  • Quand le service est géré par une personne publique, les usagers sont dans une situation légale et règlementaire.
  • En revanche, quand le service est géré par une personne privée, l’usager est dans une situation de droit privé, sauf lorsque le litige met en cause l’exercice de prérogatives de puissance publique par le gestionnaire.

Exemple :
Les fédérations sportives prennent en charge une activité de SPA.
Elles entretiennent avec leurs usagers des relations de droit privé, sauf lorsqu’elles mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique (exemple : sanctions).

En présence d’un SPIC : les usagers sont dans une situation de droit privé, quelle que soit la nature de l’entité qui gère le service, même dans le cas où le contrat qui les lie contiendrait des clauses exorbitantes (Conseil d’État, 1961, Campanon-Rey).

b) Relations entre le service et ses agents

Dans le cas d’un SPA géré par une personne publique, les agents sont de droit public.
Si le SPA est géré par une personne privée, les agents sont des salariés de droit privé.

Dans le cas d’un SPIC, les agents relèvent en principe du droit privé.
Il y a 2 exceptions dans l’hypothèse où le service est géré par une personne publique :
Conseil d’État, 1957, Jalenques de Labeau :
Les agents des SPIC sont en principe des agents de droit privé, sauf le directeur du service et le comptable, lorsque le service est géré par une personne publique.

c) Les actes unilatéraux

Lorsqu’une entité qui prend en charge une activité de service public émet des actes unilatéraux, est-ce que ce sont des actes unilatéraux administratifs ou des actes unilatéraux de droit privé ?

Lorsque l’activité en cause est un SPA :
> si c’est une personne publique qui prend en charge le service, les actes unilatéraux sont administratifs ;
> si c’est une personne privée qui prend en charge le service, les actes unilatéraux sont des actes de droit privé, sauf s’ils manifestent l’exercice de prérogatives de puissance publique.

Arrêt de référence : Conseil d’État, 1961, Magnier :
Une association est mise en place pour lutter contre un nuisible. Les agriculteurs du territoire concerné étaient obligés d’y adhérer.
Contentieux concernant les cotisations versées par les adhérents.
Il a été décidé que la décision imposant le paiement de cotisations manifestait l’exercice de prérogatives de puissance publique et est donc un AAU, puisque l’adhésion est obligatoire.

Lorsque l’activité en cause est un SPIC : ces actes sont des actes unilatéraux de droit privé, sauf pour les actes qui sont relatifs à l’organisation du service public.

Arrêt de référence : Tribunal des conflits, 1968, Barbier :
Air France est à l’époque une société commerciale qui gère un SPIC.
Il y avait un règlement intérieur qui précisait qu’une hôtesse de l’air ne pouvait plus voler dès lors qu’elle se mariait.
Une hôtesse conteste cette clause devant les juridictions judiciaires. La Cour de cassation saisit le Tribunal des conflits, qui attribue la compétence au juge administratif parce que le règlement était relatif à l’organisation du service public (→ le règlement est un AAU).

Cette jurisprudence a subi une contraction importante ces dernières années.
À l’époque de la décision Barbier, la notion “d’organisation du service public” recouvrait beaucoup de considérations différentes.
Le Tribunal des conflits a depuis considéré que les dispositions du règlement relatif aux conditions d’emploi ou aux garanties sociales des personnels des SPIC ne relèvent plus de l’organisation du service public.
Autrement dit : aujourd’hui, on peut considérer que le contentieux Barbier relèverait aujourd’hui du juge judiciaire.

d) Le contentieux de la responsabilité délictuelle

Il s’agit de la question des dommages subis par les tiers au service.

En présence d’un SPA :
> c’est une responsabilité administrative si le service est pris en charge par une personne publique ;
> c’est de la responsabilité civile si le service est pris en charge par une personne privée, sauf lorsque le dommage résulte de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ou s’il est lié au fonctionnement d’un ouvrage public.

En présence d’un SPIC : en principe, c’est du droit privé, sauf lorsque le dommage résulte de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ou s’il est lié au fonctionnement d’un ouvrage public.

SPA géré par une personne publique SPA géré par une personne privée SPIC
Relations entre le service et ses usagers L’usager est dans une situation légale et règlementaire. L’usager est dans une situation de droit privé, sauf lorsque le litige met en cause l’exercice de prérogatives de puissance publique par le gestionnaire. L’usager est dans une situation de droit privé, quelle que soit la nature de l’entité qui gère le service.
Relations entre le service et ses agents Les agents sont de droit public. Les agents sont des salariés de droit privé. Les agents sont des salariés de droit privé, sauf le directeur du service et le comptable (CE, 1957, Jalenques de Labeau).
Actes unilatéraux Les actes unilatéraux sont administratifs (AAU). Les actes unilatéraux sont des actes de droit privé, sauf s’ils manifestent l’exercice de prérogatives de puissance publique. Les actes unilatéraux sont des actes de droit privé, sauf ceux relatifs à l’organisation du service public.
Contentieux de la responsabilité délictuelle Responsabilité administrative. Responsabilité civile de droit privé, sauf lorsque le dommage résulte de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ; ou s’il est lié au fonctionnement d’un ouvrage public. Responsabilité civile de droit privé, sauf lorsque le dommage résulte de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique ; ou s’il est lié au fonctionnement d’un ouvrage public.

C – La distinction des activités économiques et activités non économiques

Cette distinction est plus récente : elle vient du droit de l’Union européenne et du droit de la concurrence.
Question : dans quelle mesure s’impose le respect des règles de concurrence ?

1) Économie de la distinction

L’activité économique s’entend d’une offre de biens ou de services sur un marché déterminé.

En substance, cette distinction coïncide très largement avec la distinction entre les SPA et les SPIC.
Le problème, c’est qu’interfère entre ces 2 distinctions des qualifications législatives.
Il arrive qu’un établissement public qui prend un charge un SPA peut néanmoins être considéré comme une entreprise prenant en charge une activité économique au sens du droit de la concurrence.
Exemple type : Conseil d’État, 2003, UNICEM :
L’organisme qui prend en charge le service public de l’archéologie préventive est un établissement public administratif par qualification de la loi.
Le Conseil d’État relève ici que les opérations de fouilles d’archéologie préventive sont des activités économiques, donc malgré son statut d’établissement public administratif, l’Institut national de recherche archéologique préventive constitue une entreprise au sens des dispositions du TFUE.

Au regard de la jurisprudence, ne constituent pas des activités économiques :
> les activités régaliennes (police, justice, défense) ;
> certaines activités sociales (ex : la gestion du régime obligatoire de la Sécurité sociale) ;
> certaines activités culturelles et artistiques.


2) Portée de la distinction

Les activités non économiques (qu’on appelle parfois les “activités de puissance publique”) échappent en principe aux règles de concurrence.
Concrètement : si une entité veut conférer à une autre entité le soin de prendre en charge une activité non économique, on n’est pas obligé de passer un contrat public.
De même, si une personne publique souhaite subventionner l’entité qui prend en charge cette activité non économique, elle peut le faire librement.

Précision :
Certes, ces activités non économiques échappent au droit de la concurrence, mais à l’occasion de ces activités les personnes publiques ne doivent pas mettre des opérateurs économiques en situation d’abuser d’une position dominante.

1ère illustration d’activité non économique : la police.
Le maire exerce sur sa commune un pouvoir de police.
Dans l’exercice de cette activité, le maire ne doit pas conduire un opérateur en situation anticoncurrentielle.
Exemple : si, dans une commune, il y a 1 boulanger et 1 marché, et que le maire interdit l’installation d’un boulanger provisoire dans le marché, il place le boulanger de la commune en situation d’abuser d’une position dominante.
Exemple : Conseil d’État, 2000, Société L&P Publicité :
Les décisions prises par un maire concernant l’affichage publicitaire dans sa commune avait conduit un opérateur en situation d’abuser de sa position dominante.

2ème illustration : la gestion du domaine public est aussi une activité non économique.
Pour autant, il peut arriver que dans le cadre de cette gestion, il peut arriver que la personne publique prenne des mesures qui affectent la concurrence.
Exemple : Conseil d’État, 1999, Société EDA :
En tant qu’Aéroports de Paris gère le domaine public en attribuant des places de parking aux sociétés de location de véhicules, elle doit respecter les règles de concurrence.

En principe, le droit de la concurrence n’interdit pas l’attribution à des entités exerçant une activité économique en charge de services publics de privilèges exorbitants pour garantir la bonne exécution de la mission.
Par exemple : octroi d’un monopole, de subventions
Mais l’attribution de ces privilèges ne se justifie que lorsque cela est nécessaire à l’accomplissement de la mission de service public.

Exemple : pendant longtemps, une compagnie privée (Corsica Ferries) et une compagnie publique (la SNCM) étaient en concurrence sur la liaison Corse – continent.
La SNCM assurait une mission de service public et bénéficiait donc de subventions de la part de la collectivité de Corse.
Est-ce que les aides dont bénéficiait les SNCM étaient nécessaires à l’activité de service public ?

La CJUE a posé un cadre sur la possibilité pour les personnes publiques de subventionner une activité économique :
CJCE, 2003, Altmark :
Concerne les subventions versées à des opérateurs économiques en contrepartie de l’exécution d’une mission de service public.

  1. La compensation ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public.
  1. Définit des exigences qui permettent de vérifier l’absence de surcompensation :
    > Transparence et objectivité des critères ;
    > La compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour permettre à l’entreprise d’atteindre un niveau de rentabilité considéré comme raisonnable pour les entreprises du secteur concerné ;
    > Les obligations de service public à compenser doivent être clairement définies.

On retrouve ces exigences aujourd’hui en droit français.
Exemple : Conseil d’État, 2017, Société Corsica Ferries France :
Le Conseil d’État applique les critères Altmark pour apprécier la licéité de la compensation de service public versée à la SNCM et considère que ces critères n’ont pas été respectés.

Exemple : Cour d’appel de Marseille, 2022, SNCF Mobilités :
Un contrat est conclu entre la région PACA et SNCF Mobilités par lequel la région confie à la SNCF la gestion des services ferroviaires régionaux.
Il était prévu dans le contrat que la région verserait des subventions à la SNCF pour assurer les charges de service public.
Difficulté : ni le contrat ni aucun élément du dossier ne permettait d’évaluer le coût exact des obligations de service public assurées par la SNCF.
La cour a considéré que la subvention de la région devait être considérée comme une aide d’État illégale, parce qu’elle ne respecte pas le cadre posé par l’arrêt Altmark.

§ 2. Facteurs d’unité

Il sera ici question des grands principes qui sont censés s’appliquer à l’ensemble des services publics.

Les 3 lois du service public :
1- continuité ;
2- adaptabilité / mutabilité ;
3- égalité.

On les appelle parfois les lois de Rolland, du nom de l’universitaire Louis Rolland qui les a dégagées.

A – Le principe de continuité

Conseil constitutionnel, 1979, Continuité du service public :
Le principe de continuité du service public a valeur constitutionnelle.
La théorie de l’imprévision dans les contrats administratifs s’inspire de ce principe.

Cela signifie que l’usager doit pouvoir bénéficier des prestations de service public en toutes circonstances, mais ça ne veut pas dire que toutes les missions doivent être assurées 24h/24.

Cette exigence de continuité du service public pose problème aujourd’hui, en particulier depuis que le droit de grève a été reconnu aux agents de l’administration par le préambule de la Constitution de 1946 (Conseil d’État, 1950, Dahaene).

Les exigences de continuité du service public ont des conséquences sur l’exercice du droit de grève :

  1. Le droit de grève est interdit aux agents de certains services publics considérés comme essentiels, notamment les services publics régaliens.
    Par exemple, les policiers n’ont pas le droit de grève.
  1. Certains textes de lois mettent en place un service minimum, par exemple dans le domaine de la navigation aérienne ou de l’audiovisuel.

Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence Jamart (1936) que tout chef de service peut prendre les mesures nécessaires pour assurer la continuité de son service, y compris en règlementant l’exercice du droit de grève par les agents de son service.

Conseil d’État, 1976, Section syndicale CFDT du Centre psychothérapique de Thuir :
Reconnaît la possibilité pour le directeur de l’hôpital (= chef de service) d’opérer des réquisitions de personnels de l’hôpital alors qu’il y avait une grève pour garantir un fonctionnement minimum de l’hôpital.

Certains textes passés pendant le quinquennat Sarkozy renforcent l’encadrement du droit de grève en matière de transport terrestre régulier de voyageurs et de transport aérien de voyageurs en imposant une obligation de négociation préalable + l’obligation pour les agents d’informer le gestionnaire du service de sa volonté de se mettre en grève dans un délai minimum.

La loi du 6 août 2019 pour le transformation de la fonction publique met en place un dispositif similaire pour des services publics locaux tels que la restauration collective et scolaire ou la collecte des déchets.

B – Le principe d’adaptabilité

Le principe d’adaptabilité ou de mutabilité du service public trouve sa résonnance dans le pouvoir de modification unilatérale du contrat par l’administratif.

Il joue d’abord en faveur de l’administration et au dépens des administrés.
Ce principe joue généralement lorsque l’administration choisit de modifier un service et que ce choix est contesté par les usagers.

Conseil d’État, 1961, Vannier :
Les usagers n’ont pas le droit acquis au maintien d’un règlement relatif à l’organisation d’un service public.
Joue contre l’usager : l’administration peut changer, sans que l’usager puisse s’y opposer.

Conseil d’État, 1987, Société TV6 :
Il est toujours loisible pour l’administration de réorganiser une activité de service public (en l’espèce, une chaîne de télévision).

Ce principe de mutabilité est assez ambigu, parce qu’il est plutôt invoqué par l’administration contre l’usager.
Quels sont les droits des administrés ?

Le Conseil d’État n’a jamais reconnu un droit de l’administré à la mutabilité du service public → elle joue à sens unique.
Le juge administratif effectue un contrôle restreint : il se contente de sanctionner les erreurs manifestes d’appréciation.

C – Le principe d’égalité

Le principe d’égalité est un principe général en droit administratif.

Conseil d’État, 1951, Société des concerts du Conservatoire :
Le principe d’égalité des usagers du service public est un principe général du droit (PDG).


1) L’égalité de traitement entre les usagers

Conseil d’État, 2013, Association SOS Racisme :
Porte sur la question des tarifs d’accès au musée, où il y a des conditions de nationalité.
Considérant de principe : “Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir règlementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier”.
(Ce considérant de principe est invoqué depuis de nombreuses années par le Conseil d’État).

Il y a 3 hypothèses où l’on peut traiter différemment les usagers d’un service public :

  1. Lorsque la loi le prévoit : régulièrement, la loi intervient pour permettre des différences de traitement qui sont interdites au regard de la jurisprudence du Conseil d’État.

    Exemple : la loi du 29 juillet 1998 relative à l’exclusion visait à lever une incertitude de la jurisprudence du Conseil d’État concernant la possibilité de moduler les tarifs pour l’accès aux SPA facultatifs.
    Si une mairie met en place une école de musique, peut-on moduler les tarifs en fonction du revenu des parents ?
    Le législateur est intervenu pour dire que oui, on peut le faire.

    Exemple : une disposition du Code de la voirie routière autorise la modulation des tarifs des bacs selon qu’ils habitent ou non dans le département où se situe le bac.
    Cette disposition législative est venue contrecarrer une jurisprudence du Conseil d’État fondée sur le principe d’égalité :
    Conseil d’État, 1974, Denoyez et Chorques :
    Concerne la tarification du bac de l’île de Ré, avant qu’il n’y ait le pont.
    Le département qui gérait le bac avait décidé d’établir 3 tarifs : 1 pour les résidents de l’île de Ré < 1 pour les habitants du département < 1 pour tous les autres.
    Le Conseil d’État a validé le tarif pour les résidents de l’île mais a refusé celui pour les habitants du département au motif du principe d’égalité.

  1. La différence de situation entre usagers peut justifier une différence de traitement.

    Exemple :
    Arrêt de 2018 du Conseil d’État concernant la tarification des communications téléphoniques. Il apparaît que les communications téléphoniques coûtent plus cher pour les détenus que pour les autres usagers du téléphone fixe.
    Le Conseil d’État considère que cette différence de traitement est licite au regard de la situation spécifique des détenus.

    Précision :
    Cette faculté de traiter différemment les usagers ne dégénère pas en obligation : l’administration n’est pas obligée de traiter différemment les usagers qui sont dans des situations différentes.

  1. Un motif d’intérêt général peut justifier de traiter différemment les usagers d’un même service public.

    Exemple :
    Conseil d’État, 1997, Commune de Gennevilliers :
    Considère que le niveau de revenu des usagers peut être pris en compte pour appliquer des réductions tarifaires pour l’accès à un service administratif facultatif, à condition que le tarif le plus élevé ne dépasse pas le prix moyen du service.
    Autrement dit, il ne faut pas que l’usager qui paie le plus cher finisse par payer la prestation plus cher que ce qu’elle coûte réellement à la collectivité publique.
    → Décision fondée sur l’intérêt général.

    Exemple :
    Conseil d’État, 1999, Société Air France :
    Porte sur la modulation du montant des redevances d’atterrissage pour les avions cargo.
    Cette modulation était contestée par Air France parce que la tarification était plus favorable pour le fret que pour le transport de passagers.
    Le Conseil d’État considère qu’il y a un motif d’intérêt général qui peut justifier cette différence : celui qui s’attache au développement des aéroports parisiens comme plateformes de fret internationales.

    → On peut mettre beaucoup de choses dans le “motif d’intérêt général”.

Il ne faut pas que cette éventuelle différence de traitement soit disproportionnée.


2) Le principe de neutralité

Le principe de neutralité du service public est une déclinaison du principe d’égalité.
Il signifie que le service public (= ses agents, bâtiments, documents…) ne doit pas afficher une inclination ou un intérêt particulier pour certaines convictions politiques ou philosophiques de telle sorte qu’il serait en situation de privilégier un usager ou un groupe d’usagers au dépens d’autres.

Le principe de laïcité est l’expression la plus évidente du principe de neutralité, mais on peut penser à d’autres aspects :

Conseil d’État, 2014, Confédération nationale des associations familiales catholiques :
Une décision du ministre de l’Éducation nationale invitait les recteurs d’académie à relayer une campagne d’information relative à la lutte contre l’homophobie en milieu scolaire, reposant notamment sur un site internet et une ligne téléphonique “Ligne Azur”.
Le Conseil d’État a considéré que la décision du ministre portait atteinte au principe de neutralité du service de l’Éducation nationale, au regard de ce que présentait ce site internet :
“Le site internet vers lequel la campagne d’information renvoyait présentait l’usage de drogues comme susceptible de faire tomber les inhibitions et comme purement associé à des moments festifs sans mentionner l’illégalité de cette pratique, définissait la pédophilie comme une attirance sexuelle pour les enfants sans faire état du caractère pénalement répréhensible des atteintes ou agressions sur mineurs, et renvoyait à une brochure, intitulée Tomber la culotte, qui incitait à pratiquer l’insémination artificielle selon des modalités interdites par l’article 511-12 du Code pénal”.

Le principe de neutralité reste le plus souvent évoqué dans le cadre du principe de laïcité.

Conseil d’État (avis), 2000, Marteaux :
Le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents du service public disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses, quand bien même :
1- ils ne sont pas en contact avec les usagers ;
2- ils sont salariés d’une entité privée.

Chambre sociale de la Cour de cassation, 2013, Association Baby-Loup :
Les salariés d’une société privée ou d’une association qui prend en charge une mission de service public sont aussi soumis au respect du principe de laïcité.
En l’espèce : la directrice adjointe d’une crèche associative est revenue de vacances en portant le voile, alors que le règlement intérieur de l’association ne permettait pas de porter des signes religieux. Elle a été licenciée.
Enjeu : l’association doit-elle être considérée comme gérant une mission de service public ?
Oui. Le licenciement est régulier.

Autre question : peut-on imposer cette exigence de laïcité aux parents qui apportent une assistance ponctuelle au service public de l’éducation (par exemple en accompagnant des sorties) ?
Réponse : non.

Cette exigence de neutralité pèse sur les agents, mais elle n’est non plus sans conséquences sur les usagers ni sur la manière de traiter les usagers.
Illustrations :

Conseil d’État, 2020, Commune de Châlons-sur-Saône :
Le maire décide de supprimer le menu de substitution sans porc dans les cantines scolaires de la commune.
Réponse du Conseil d’État :

  1. Les collectivités territoriales ne sont pas tenus de proposer aux usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses.
    → Il n’y a pas de droit pour les usagers de revendiquer la possibilité de s’affranchir de la règle commune au nom de leurs convictions religieuses.
  1. En revanche, ni le principe de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers du service public ne font obstacle à ce que les collectivités territoriales proposent des repas de substitution.
  1. En l’espèce, lorsque le gestionnaire d’un service public prend des décisions concernant l’organisation du service public, il lui appartient de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public.
    → Le Conseil d’État adopte une position prudente et nuancée dans ce débat.
    Conséquence : il va falloir que le maire justifie sa décision de suppression.

Conseil d’État, 2022, Commune de Grenoble :
Aussi appelée “affaire du burkini”.
La ville de Grenoble apporte une modification au règlement intérieur de ses piscines pour autoriser le port, dans ses piscines municipales, du burkini, qui est un maillot de bain pour femmes qui permettrait de se baigner en conformité avec la pudeur islamique.
Le préfet a déféré devant le tribunal administratif cette décision.
Le Conseil d’État transpose ici le raisonnement qu’il a tenu dans sa décision Châlons-sur-Saône.

Il constate que le gestionnaire d’un service public doit veiller à la neutralité du service.
Il ajoute qu’il est loisible à un gestionnaire, pour satisfaire à l’intérêt général qui s’attache à ce que le plus grand nombre d’usagers puisse accéder au service, de tenir compte de certaines spécificités du public concerné. Le principe de laïcité et de neutralité ne font pas obstacle par eux-mêmes à ce que ces spécificités dont il est tenu compte correspondent à des convictions religieuses.
Il y a donc une possibilité d’aménagement.

En revanche, les usagers n’ont pas un droit à l’aménagement du service fondé sur leurs croyances religieuses.
Le Conseil d’État affirme que le gestionnaire d’un service public ne peut pas procéder à des adaptations du service qui :
> porteraient atteinte à l’ordre public ;
> nuiraient au fonctionnement du service.

Il précise que cet aménagement, par le caractère fortement dérogatoire aux règles de droit commun, ne doit pas rendre plus difficile le respect de ces règles par les autres usagers ni entraîner une rupture d’égalité caractérisée entre usagers.

D – D’autres lois du service public ?

1) Un principe de gratuité ?

Les SPIC sont financés par le prix acquitté par l’usager.
Les SPA sont financés par l’impôt, mais ces services sont aussi parfois financés par des redevances payées par les usagers.

Les services qui assurent des missions de souveraineté qui incombent à l’État sont gratuits ; par exemple, des services de sécurité, d’incendie et de sauvetage.

La gratuité peut aussi découler de dispositions constitutionnelles.
Exemple : alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946 :
“L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc est un devoir de l’État”.

Néanmoins, il faut nuancer cette affirmation au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel :
Conseil constitutionnel, 2019, n°2019-809 QPC :
Porte sur l’augmentation par la loi des droits d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers.
Précise que cette exigence de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur, mais elle ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte des capacités financières des étudiants.

La gratuité est donc une notion très relative. Il n’existe pas de principe de gratuité du service public.


2) Un principe de participation ?

Depuis les années 1970, les dispositions visant à permettre la participation des usagers aux choix qui sont pris concernant l’organisation et le fonctionnement des services publics se sont multipliés.

Ces dispositions extrêmement variées et plus ou moins abouties ne sont pas toujours présentes.
Il n’existe pas de norme constitutionnelle qui serve de fondement à ce principe de participation.
Il n’y a donc pas de règle générale qui impose la participation des usagers.

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