Chapitre 10 : La police administrative

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Précisions préalables

La police est aussi une mission de service public → elle est soumise aux lois du service public.
Cependant, de par son objet et les outils qu’elle mobilise, elle doit être abordée de manière spécifique.

Il faut opérer une distinction entre la police comme fonction de l’administration (= telle que nous l’évoquerons ici) et la police comme fonction de l’État en général.

La mission de police consiste à garantir l’ordre public. Cette mission pèse sur l’ensemble des institutions de l’État, et notamment le législateur.
Cette politique peut prendre plusieurs formes : la police administrative, mais aussi des régimes répressifs (= loi pénale).
Conseil constitutionnel, dans une décision sur les droits des étrangers : “Il existe un objectif de valeur constitutionnelle qui est la sauvegarde de l’ordre public. Cet objectif de valeur constitutionnelle peut reposer à la fois sur des règles de police (= la police administrative) ou sur un régime de sanctions pénales (= la répression pénale) ou sur la combinaison des 2.”

Donc en théorie de l’État, le droit pénal – au même titre que la police administrative – participe de la fonction de l’État qui est la fonction de police.

Section 1 : Définition

La police administrative est l’activité prise en charge par différentes autorités administratives qui consiste à assurer la sauvegarde de l’ordre public.

On va d’abord s’intéresser à ce que n’est pas la police administrative (§ 1.) avant de dire ce qu’elle est (§ 2.).

§ 1. Définition négative

A – Police comme institution ≠ police comme sanction

Dans le langage courant, il 2 notions de police :

  1. la police au sens organique, en tant qu’institution ;
  1. la police en tant qu’activité.

Ici, on s’intéresse à la police en tant qu’activité de l’administration consistant à assurer la sauvegarde de l’ordre public : c’est ce qu’on appelle la police administrative.

⚠️ Il n’y a pas de correspondance certaine entre ces 2 notions. Illustrations :

  1. Les autorités de police administrative les plus importantes ne sont pas les institutions policières.
    En France, l’autorité de police administrative la plus importante est le Premier ministre, suivi par les préfets, puis les maires…
    Les policiers participent à l’activité de police administrative, mais au simple échelon d’exécution.
  1. Les institutions policières n’assurent pas que des missions de police administrative : elles participent aussi à la répression pénale.
    Elles sont aussi au service de la police judiciaire (≠ police administrative).

B – Police administrative ≠ police judiciaire

Cette distinction est complexe mais a des enjeux juridiques importants :

  • Enjeu de compétence juridictionnelle : le contentieux de la police administrative relève du juge administratif ; le contentieux de la police judiciaire relève du juge judiciaire.
  • Enjeu sur le terrain de la responsabilité : ces activités peuvent provoquer des dommages → en fonction du type de police, ce ne sont pas toujours les mêmes personnes publiques qui sont responsables.
    • La police judiciaire est le monopole de l’État : si, à l’occasion d’une de ses missions, un dommage survient, alors l’action en responsabilité ne peut être engagée que contre l’État.
    • Les missions de police administrative sont assurées par différentes autorités qui ne relèvent pas des mêmes personnes publiques (maire → commune ; Premier ministre → État…).
      En cas de dommage, la responsabilité engagée sera celle de la personne publique au nom de laquelle la personne agit.

Cette distinction est complexe, parce que ce sont souvent les mêmes personnes qui assurent ces 2 types de missions, avec notamment l’institution policière.
Dans certaines situations, on peut avoir des doutes sur la mission au titre de laquelle elles agissent.
Exemple : lorsqu’un policier utilise son arme, agit-il en tant qu’autorité de police administrative ou en tant qu’autorité de police judiciaire ?

Les critères de distinction entre ces 2 activités de police ont été posées par le Tribunal des conflits en application du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
Ce principe est issu de la loi des 16 et 24 août 1790.

Tribunal des conflits, 1952, Préfet de la Guyane :
Dans cette affaire assez classique, un officier ministériel engage une action en responsabilité contre l’État du fait de l’interruption du fonctionnement des tribunaux judiciaires.
Quel est le juge compétent ? Est-ce que le juge administratif est compétent, parce qu’est en cause l’organisation du service public ? Est-ce que le juge judiciaire est compétent, parce qu’est en cause la justice judiciaire ?

Le Tribunal des conflits dit qu’il faut tenir compte du lien entre les actes incriminés et l’exercice de la fonction juridictionnelle assurée par la justice judiciaire.

  • Si les actes sont en lien avec cette fonction juridictionnelle, c’est le juge judiciaire qui sera compétent.
  • Si l’acte incriminé a seulement à voir avec l’organisation du service public en question, c’est le juge administratif qui sera compétent.

Une activité relevant de la police judiciaire, c’est une acte ou une action qui est en lien avec la fonction juridictionnelle assurée par les juridictions judiciaires.
Dès lors que l’action en question n’a pas de lien avec la fonction juridictionnelle, elle relève de la police administrative.
→ Critère initial.

Exemple : lorsque les policiers participent à une enquête pénale ou établissent un PV d’infraction → mission de police judiciaire.

C’est un critère finaliste : on s’intéresse au but poursuivi par l’agent au moment où il a commis l’acte incriminé.
Les 2 arrêts qui ont affirmé ce critère concernant l’action des forces de l’ordre :
Conseil d’État, 1951, Baud + Tribunal des conflits, 1951, Noualek.

Il y a opération de police judiciaire lorsque l’opération est en relation avec la répression d’une infraction pénale déterminée commise ou à commettre (= la personne s’apprête à passer à l’acte).

Tribunal des conflits, 1977, Motsch :
Un conducteur force un barrage de police établi pour procéder à des contrôles d’identité.
Les policiers se lancent à sa poursuite ; un policier tire et blesse la passagère du véhicule, qui était une autostoppeuse prise en charge par ce véhicule.
Question : quel juge saisir ?
→ Quelle était la nature de l’opération au moment du fait dommageable ?

La mise en place d’un barrage de police pour procéder à des contrôles d’identité est une activité de police administrative.
Mais, dès lors que l’intention de l’agent qui a tiré était d’appréhender l’individu qui venait de commettre plusieurs infractions, on est bien en présence d’une activité de police judiciaire.

Tribunal des conflits, 1978, Société Le Profil :
Un employé d’une société assure le transport d’une mallette sécurisée par les forces de l’ordre.
Un malfaiteur parvient néanmoins à se saisir de la mallette et s’échappe.
La société Le Profil engage une action en responsabilité.
L’action des forces de l’ordre au moment où a eu lieu le vol relève-t-elle de la police administrative ou de la police judiciaire ?

Le Tribunal des conflits considère que le préjudice invoqué par la société trouve essentiellement son origine dans les conditions dans lesquelles a été organisée l’opération de sécurisation de la police → c’est une opération de police administrative.

C – Police administrative ≠ pouvoir de sanction administrative

Les autorités administratives se voient de + en + dotées d’un pouvoir de sanction.
Les sanctions administratives sont souvent adoptées par des autorités administratives à l’égard de professionnels pour non-respect de la règlementation professionnelle.
Elles sont extrêmement courantes. Les AAI disposent de ce pouvoir de sanction.

Il y a des actes qui peuvent être analysés aussi bien comme un acte de police administrative que comme une sanction administrative.
Exemple : une décision de retrait d’autorisation est-elle une mesure de police ou une sanction ?
Exemple : une mesure d’interdiction de stade prononcée par une autorité administrative ?

Enjeu : le régime des sanctions administratives est plus exigeant pour l’administration que le régime des mesures de police, parce qu’il s’inspire en partie des procédures de sanction pénale.

Ici encore, c’est le critère finaliste qui permet de distinguer.
On est en présence d’une sanction administrative si la finalité de la mesure est répressive (→ elle procède d’une intention de punir).
On est en présence d’une mesure de police administrative si la finalité de la mesure est préventive (→ l’objectif est de préserver l’ordre public).

Exemple : Conseil d’État, 2001, Société Athis :
La Commission des opérations de bourse (ex-AMF) prend la décision de retirer l’agréement d’une société de gestion de portefeuille.
Cette décision est-elle une mesure de police ou de sanction ?
Le Conseil d’État juge qu’en prenant cette décision, la COB n’avait pas entendu sanctionner le manquement de la société à ses obligations, mais avait entendu – dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché – d’assurer la sécurité des investisseurs → relève de la police administrative.

Exemple : quand on est mauvais conducteur, on s’expose à un retrait de permis et/ou à des retraits de points. La mesure de retrait de points relève de la sanction administrative. En revanche, la mesure de suspension de permis de conduire relève de la police administrative, parce qu’elle vise à prévenir des risques pour les autres conducteurs.

§ 2. Définition positive

Qu’est-ce que l’ordre public ? C’est une notion complexe.
On peut faire une distinction entre l’ordre public général, qui renvoie à la police générale, et des ordres publics spéciaux, qui renvoient à des polices spéciales.

L’ordre public de base (on parle aussi d’ordre public général) est un ordre public matériel : il s’agit de la sécurité et de la santé des personnes et de leurs biens.
Cette mission incombe à la
police administrative générale.

L’ordre public de base consiste à assurer la sécurité publique, la salubrité publique et la tranquillité.

À côté de cet ordre public de base, il existe des traductions spécifiques de l’ordre public dans des domaines dans lesquels le législateur a considéré qu’il convenait de poser des règles plus précises et plus contraignantes.
Le législateur a institué des régimes de polices spéciales pour garantir le respect de ces règles spécifiques.
Ces polices spéciales se sont multipliées depuis 40 ans.

Exemple :
Dans un 1er temps, l’État a réagi à la pandémie de Covid-19 en mobilisant la police administrative générale, avec un confinement.
Très vite, il est apparu que ce régime était insuffisant ; on a créé un régime de police spéciale spécifique, qui a été appelé “état d’urgence sanitaire”.

On peut distinguer ces 2 polices de différentes manières :

  1. Quant aux finalités :

    Les finalités des polices spéciales se recoupent souvent avec la finalité de la police générale.
    Les polices spéciales ont souvent pour objectif d’approfondir les compétences des autorités administratives.

    Pour reprendre l’exemple de la lutte contre la Covid-19 : les 2 régimes avaient pour objectif la protection de la santé des personnes.
    Pourquoi mettre en place un régime de police spéciale ? Parce qu’on a considéré qu’il était nécessaire de préciser de manière plus détaillée les types de mesures pouvant être prises par les autorités administratives.

    Mais parfois, les finalités des polices spéciales ne sont pas les mêmes que ce qui relève de l’ordre public général. 2 exemples :

    1. La police en matière d’affichage est assurée par le maire a plusieurs finalités, et notamment la préservation de l’esthétique → ce n’est pas une finalité de la police générale.
    1. La police de la chasse a pour finalité un objectif de préservation des espèces → ce n’est pas une finalité de la police générale.

    → Différences concernant les finalités.

  1. Quant aux autorités qui assurent ce type de mission :

    On constate qu’il n’y a que quelques autorités de police générale (Premier ministre, préfet, maire…) ≠ de très nombreuses autorités de polices spéciales (idem, mais aussi AAI…).
    Ce point est détaillé plus loin dans le cours.

  1. Quant aux actes édictés :

    Ces polices ne se traduisent pas par l’édiction du même type d’actes.
    L’autorisation est un type de mesure administrative qui ne peut pas être prise dans le cadre de la police générale, alors qu’il y a de très nombreux régimes de polices spéciales qui reposent sur des mécanismes d’autorisation.

A – L’ordre public général

L’ordre public de base a vocation à pourvoir aux conditions minimales de la vie en société.
→ Protection de la vie, la santé et les biens des personnes.

Paradoxe : cet ordre public général n’est que peu ou pas défini par les textes.
La seule disposition concerne la police générale assurée par le maire (= la police municipale) : l’article L2212-2 du CGCT dispose que “la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique”.

Il vise à assurer :
1- la sécurité publique (des personnes et des biens) ;
2- la tranquillité publique ;
3- la salubrité publique (= la protection de l’hygiène et de la santé).

C’est un ordre public qui est essentiellement matériel / physique, mais il n’a jamais été pensé uniquement comme tel.

Peut-on y intégrer des considérations esthétiques ?
Conseil d’État, 1983, Commune de Bures-sur-Yvette :
Le Conseil d’État répond par la négative.
Était en cause le cimetière de la commune : le maire avait voulu y règlementer les monuments et fleurs qui y étaient placés pour des raisons esthétiques.
→ La considération immatérielle de l’esthétique ne peut pas être intégrée par le maire.

Qu’en est-il de la moralité publique ?
Oui : les autorités de police générale ont pu interdire des combats de boxe (1924), interdire à des baigneurs de se déshabiller et de s’habiller sur la plage (1930), interdire le port de costumes masculins aux femmes (1941).
→ Le pouvoir de police générale a toujours intégré des considérations immatérielles.

Plus récemment, le contentieux s’est concentré sur la question des films.
Au titre de l’ordre public général, un maire peut-il interdire la projection d’un film dans sa commune s’il estime qu’il est de nature à remettre en cause la moralité publique ?
2 arrêts emblématiques :

  1. Conseil d’État, 1959, Société Les Films Lutétia :

    Il en ressort qu’un maire peut interdire la projection d’un film sur sa commune non seulement en cas de risque d’atteintes à la sécurité ou à la tranquillité publiques, mais aussi lorsque sa projection est susceptible d’être, à raison du caractère immoral du film et de circonstances locales, préjudiciables à l’ordre public.

  1. Conseil d’État, 1985, Ville d’Aix-en-Provence :

    Était en cause le film Le pull-over rouge, inspiré d’un fait divers qui avait suscité beaucoup de tensions dans la région de Marseille.
    Le maire d’Aix-en-Provence décide d’interdire la représentation de ce film sur la base de son contenu. Était-il fondé à la faire au regard du cadre posé par Société Les Films Lutétia ?

    Le Conseil d’État a considéré que non : il n’y avait pas de circonstances locales particulières qui étaient de nature à fonder l’interdiction de la représentation de ce film à Aix.
    → La porte ouverte par l’arrêt de 1959 est limitée.

Ces considérations de moralité publique n’ont donc vocation à recevoir application que de manière extrêmement limitée et au regard de circonstances locales particulières.

Qu’en est-il de la protection de la dignité humaine ?

Conseil d’État, 1995, Commune de Morsang-sur-Orge :
Une discothèque souhaite mettre en place un spectacle de lancer de nains.
Le maire de Morsang-sur-Orge prend un arrêté au titre de la police générale interdisant la tenue de ce spectacle dans sa commune.

Le respect de la dignité de la personne humaine est l’une des composantes de l’ordre public. L’autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l’absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine.”

3 remarques sur cet arrêt :

  1. Cet arrêt n’intervient pas par hasard : c’est à cette époque qu’on voit émerger une volonté de mieux protéger la dignité de la personne humaine.
    En 1994, le Conseil constitutionnel avait, à l’occasion des lois bioéthique (qui ont introduit l’article 16 du Code civil), érigé ce principe en principe de valeur constitutionnelle.
  1. Contrairement à la moralité publique, qui ne peut être invoquée qu’au regard de circonstances locales particulières, le Conseil d’État insiste bien ici que l’exigence de la protection de la dignité humaine s’applique nonobstant la présence de circonstances locales particulières.
    Idée : la considération de la dignité de la personne humaine est égale sur tout le territoire français, contrairement à la moralité publique.
  1. Cet arrêt a été très critiqué, parce qu’on y a vu le retour d’une forme de moralité publique.
    C’est un risque, parce qu’on prend en compte des considérations morales sur ce que l’homme doit faire ou ne pas faire.

    Le nain, confronté à cette perte de revenu, a porté l’affaire jusqu’au Comité des droits de l’homme des Nations Unies.
    La dignité de la personne humaine conduit à restreindre l’exercice d’une ou plusieurs libertés, éventuellement à l’encontre de la personne dont on souhaite protéger la dignité !

La pérennité de cette jurisprudence reste assez modeste.
Lorsque l’on regarde la jurisprudence du Conseil d’État depuis 1995, on constate que les mesures de police validées sur le fondement de la protection de la dignité humaine ont été adoptées pour empêcher des pratiques ou des discours de nature à stigmatiser un groupe sur la base d’un critère physique (Morsang-sur-Orge), religieux ou ethnique.

Conseil d’État, 2007, Association “Solidarité des français” :
Un groupe d’extrême-droite met en place une soupe populaire à destination des SDF intitulée “La soupe du cochon”.
Le préfet de police a interdit la tenue de cette soupe populaire sur le fondement de l’exigence de respect de la dignité de la personne humaine.

Conseil d’État, 2014, Ministère de l’Intérieur contre Société Les Productions de la Plume et Dieudonné M’Bala :
Le préfet interdit un spectacle de Dieudonné au Zénith de Nantes, en se référant au risque de troubles à l’ordre public et sur le respect de la dignité de la personne humaine.
Validé par le Conseil d’État.

Le Conseil d’État a aussi déduit du respect du principe de la dignité humaine l’obligation, pour les autorités titulaires du pouvoir de police, de veiller notamment à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti.
C’est une obligation : les autorités administratives ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les personnes ne soient pas soumises à des traitements incompatibles avec la dignité humaine.
→ Obligation d’agir.

Cette obligation a été mentionnée dans 2 affaires :

  1. Conseil d’État, 2015, Association Médecins du Monde :
    Obligation pour l’autorité de police de prendre des mesures pour améliorer l’hygiène dans la Lande de Calais, où vivaient des migrants dans des conditions très difficiles.
  1. Conseil d’État, 2017, GISTI :
    Précise l’obligation pour l’autorité de police de prendre des mesures pour assurer la prise en charge des mineurs isolés.
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En résumé :
L’ordre public général, ce sont d’abord des considérations matérielles (la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques) ; selon les périodes, avec une intensité plus ou moins variables, des considérations de nature immatérielle sont aussi prises en compte.

B – Les ordres publics spéciaux

Les ordres publics spéciaux dépendent de chaque régime de police spéciale institué par la loi.

Exemple :
La police du cinéma est prévue par le Code du cinéma.
Cette police s’exprime à travers la compétence du ministre de la Culture à travers la délivrance des visas d’exploitation des films.
Les finalités de cette police spéciale sont très largement de nature immatérielle.

Exemple :
La police des installations classées (= installations qui présentent des dangers, notamment pour l’environnement).
Les textes concernant cette police spéciale définissent les finalités de cette police : la santé publique, la protection des paysages…

À chaque régime de police spéciale correspondent des finalités qui dépendent du domaine dans lequel il intervient.

Section 2 : Les compétences de police

Qui peut prendre les mesures de police ?

§ 1. Les titulaires du pouvoir de police

A – Police générale

1) Au niveau national

Le pouvoir de police au niveau national ne repose pas sur un texte particulier.
Il a été reconnu par un arrêt important du Conseil d’État :
Conseil d’État, 1919, Labonne :
Il appartient au chef de l’État, en dehors de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer les mesures de police applicables sur l’ensemble du territoire national.

À l’époque, on est sous la 3e République : le Président de la République était celui qui était titulaire du pouvoir règlementaire.
Ce pouvoir de police sera transféré au Premier ministre à partir de la 4ème République.

Aujourd’hui, cette jurisprudence s’applique encore, mais c’est le Premier ministre qui est titulaire du pouvoir de police générale.

Au moment de l’adoption de la Constitution de 1958, on s’est posé la question de la pérennité de cette jurisprudence.
L’article 34 de la Constitution prévoit que le législateur est compétent “pour fixer les règles relatives aux droits civiques et aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques”.
Or les mesures de police restreignent souvent l’exercice des libertés.
Conseil d’État, 1982, Association Auto défense :
L’entrée en vigueur de l’article 34 n’a pas retiré au gouvernement les pouvoirs de police générale qu’il exerçait antérieurement.
Il trouve même une base constitutionnelle à cette compétence de police : articles 21 et 37 de la Constitution.

Ce pouvoir de police au niveau national peut paraître assez choquant, mais il a reçu relativement peu d’applications.
La période de la Covid-19 a vu le retour de ce pouvoir : c’est sur le fondement de l’arrêt Labonne qu’a été édicté le décret du 16 mars 2020 qui a décidé du confinement de la population française.
(On a ensuite mis en place un régime de police spéciale.)


2) Au niveau local

Au niveau local, plusieurs autorités participent à l’exercice du pouvoir de police générale.

L’autorité de principe est le maire de la commune, qui est le titulaire du pouvoir de police générale au niveau local, qu’on appelle souvent la police municipale.
Cette police très ancienne a aujourd’hui un fondement législatif (article L2212-1 du CGCT).

⚠️ C’est un pouvoir propre du maire : ces mesures sont prises par le maire, et non par l’organe délibératif de la commune.

Une autre autorité joue un rôle important en matière de police générale au niveau local : le préfet.
Il est titulaire du pouvoir de police générale à 4 égards :

  1. Il assure la police de la circulation sur les sections de route nationale situées hors agglomération ;
  1. Il est exclusivement compétent pour prendre des mesures de police générale dont le champ d’application excède le territoire d’1 commune ;

    Exemple : interdiction du remplissages des piscines en cas de sécheresse.
    Exemple : Conseil d’État, 2022, Société Périgord Shooting club :
    Une société exploite une activité de ball-trap. Des voisins, qui vivent dans plusieurs communes limitrophes, se plaignent de nuisances.
    Le préfet prend un arrêté de police pour interdire cette activité. Est-il compétent ?
    Le Conseil d’État a considéré que non, c’était le maire qui était compétent pour prendre cette mesure.

  1. Il a un pouvoir de substitution d’action dans l’hypothèse où le maire ne prendrait pas les mesures de police qu’impose la situation ;
  1. Il dispose d’un pouvoir de police renforcé dans certaines communes où la police est étatisée.

    L’essentiel des communes de plus de 20 000 habitants en France sont placées sous un régime de police d’État.
    Le préfet dispose alors de pouvoirs plus importants, au dépens du maire.
    Il exerce une partie du pouvoir de police en matière de tranquillité publique.

Il y a une 3ème autorité de police au niveau local : le président du conseil départemental.
Il dispose d’un pouvoir de police générale extrêmement limité : il assure la police de la circulation sur les sections de routes départementales situées hors agglomération.

B – Polices spéciales

Les polices spéciales sont extrêmement nombreuses, donc les autorités compétentes en la matière sont très diverses.

Parmi ces titulaires de pouvoirs de polices spéciales, il y a des autorités qui ne sont pas titulaires du pouvoir de police générale.
Par exemple, les ministres ne participent pas à la police générale, mais le ministre de l’Intérieur joue un rôle important en matière de police des étrangers (il prend les mesures d’expulsion…).

On y trouve des ministres, mais aussi des AAI et API.
Par exemple, l’ARCOM (ex CSA) participe à la police de la communication audiovisuelle.

Il y a aussi des directeurs d’établissement public qui exercent un pouvoir de police spéciale.
Exemple : le président d’une université peut prendre des mesures de police telles que la fermeture des locaux.

Les titulaires de police générale exercent aussi des compétences de polices spéciales.
Exemple : le Premier ministre joue un rôle essentiel dans le régime de police spéciale de l’état d’urgence sanitaire mis en place à partir de 2020.
Exemple : le préfet exerce la police des installations classées.
Exemple : le maire contribue à la police des funérailles.

En matière de polices spéciales, il est courant que plusieurs autorités soient associées à l’exercice de la compétence.
Exemple : l’état d’urgence sanitaire faisait intervenir le Premier ministre, le ministre de la Santé et les préfets.
Exemple : la police des télécommunications est partagée entre le ministre chargé des communications électroniques, l’ANFR et l’ARCEP.

§ 2. Les concours de polices

Il existe de très nombreux régimes de polices spéciales.
Certaines situations sont susceptibles de relever de plusieurs régimes de polices.
Comment ces régimes cohabitent-ils ?

Exemple :
L’état d’urgence sanitaire est un régime de police spéciale a été mis en place en 2020.
Dans certaines communes, des maires ont aussi imposé des mesures sanitaires.
Si le gouvernement national n’a pas imposé le port du masque au titre de la police spéciale, est-ce que le maire peut utiliser son pouvoir de police générale pour le faire ?

A – Concours entre polices générales

Cette question se pose peu, parce qu’au niveau national, le pouvoir de police générale est rarement exercé.

Lorsque des mesures sont prises à un échelon supérieur à celui de la commune, le maire peut néanmoins utiliser son pouvoir de police générale au regard de circonstances locales particulières, mais uniquement pour renforcer la règlementation.
Autrement dit, il peut aggraver les règles posées par l’échelon supérieur, mais il ne peut pas les alléger.

Conseil d’État, 1902, Commune de Néris-les-Bains :
Était en cause l’articulation entre les mesures de police générale prises par le préfet et le pouvoir de police municipal.
Le Conseil d’État prise qu’aucune disposition n’interdit au maire de prendre, sur le même objet et pour sa commune, des mesures plus rigoureuses que celles décidées par le préfet.

Conseil d’État, 1919, Labonne :
Il est possible pour les maires de prendre des règlementations plus rigoureuses au regard des circonstances locales.
Cette solution reste valable aujourd’hui. Elle figure dans le Code de la route.

B – Concours entre police générale et polices spéciales

Les choses sont plus complexes, parce qu’il y a une grande diversité de polices spéciales.

Le juge administratif s’intéresse à l’intention du législateur.
Est-ce que le législateur a entendu confier au titulaire du pouvoir de police spéciale une compétence exclusive ?
S’il apparaît que le législateur a entendu confier une compétence exclusive, alors le maire ne pourra pas intervenir sur le même objet.

On peut identifier 3 articulations :

  1. Il arrive que le titulaire du pouvoir de police générale (souvent, le maire) puisse interférer dans l’exercice d’un pouvoir de police spéciale dès lors qu’il peut mettre en avant des circonstances locales particulières.

    Exemple type : il existe une police du cinéma à l’échelon national, qui n’empêche pas le maire d’une commune d’interdire la représentation d’un film sur sa commune dès lors qu’il existe un risque de trouble à l’ordre public.
    (Conseil d’État, 1959, Société Les Films Lutétia)

  1. Il arrive que l’autorité locale peut aussi intervenir, mais uniquement dans des “circonstances exceptionnelles”, en cas de “péril imminent”…

    Exemple : le préfet est le titulaire de la police des installations classées ; le maire, en cas de péril imminent, peut prendre des mesures concernant ces installations.
    (Conseil d’État, 2003, Houillères du bassin de Lorraine)

    Exemple : Conseil d’État, 2020, Commune de Sceaux :
    Le maire de Sceaux prend un arrêté pour imposer le port du masque dans sa commune, alors qu’il n’était pas encore généralisé sur le territoire national. Cet arrêté municipal est-il licite ?
    Le Conseil d’État considère qu’en principe l’existence du pouvoir de police spéciale de l’état d’urgence sanitaire empêche le maire de prendre des mesures au titre de son pouvoir de police générale, “à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable, et à condition de ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par les autorités de l’État”.

  1. Parfois, le juge administratif considère qu’il relève de la volonté du législateur que la compétence du titulaire de police spéciale soit exclusive.
    L’autorité locale ne peut pas exercer son pouvoir de police générale à l’égard du même objet.

    Cette hypothèse est plus récente. On voit se multiplier des hypothèses de ce type depuis 10 ans, dans des contentieux emblématiques portant sur des sujets assez conflictuels.

    Exemple : Conseil d’État, 2011, Commune de Pennes-Mirabeau :
    La police spéciale des télécommunications s’occupe de la mise en place des antennes réseau.
    Le maire ne saurait porter atteinte au pouvoir de police spéciale confié par la loi à différentes autorités de l’État en adoptant une règlementation portant sur l’implémentation des antennes-relais de téléphonie mobile.

    Exemple : Conseil d’État, 2012, Commune de Valence :
    Il existe une police spéciale de la dissémination volontaire des OGM (en France, il n’y a pas d’autorisation générale, mais uniquement des expérimentations).
    Pour éviter des incohérences, le Conseil d’État reconnaît que cette police spéciale s’exerce de manière exclusive.

    Exemple : Conseil d’État, 1er juillet 2021 :
    Sur le sujet sensible du glyphosate. Des maires prennent des règlementations plus contraignantes relatives à ce produit.
    Le Conseil d’État considère que ça n’est pas possible : c’est une police spéciale exercée exclusivement par des autorités de l’État.

    Même chose concernant la généralisation des compteurs Linky.

§ 3. La délégation des compétences de police

En la matière, les principes sont clairs : dès lors que les compétences de police sont des compétences régaliennes, elles ne peuvent pas être déléguées.

Exemple : Conseil d’État, 1997, Commune d’Ostricourt :
Une commune charge une société privée de surveillance d’assurer la surveillance des rues de la commune pendant la nuit.
Le Conseil d’État considère que ce contrat est entaché de nullité, parce qu’il a pour effet d’associer cette société privée à une mission qui relève de la police.

Exemple : Conseil constitutionnel, 2011, Loi LOPPSI 2 :
Une loi permettait de déléguer à des sociétés privées l’exploitation et le visionnage de la vidéosurveillance sur les voies publiques.
Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur l’article 12 de la DDHC pour constater l’inconstitutionnalité de cette disposition législative.
L’article 12 rend impossible la délégation à une personne privée de compétences de police générale inhérentes à la force publique.

Néanmoins, il y a plusieurs décisions du juge administratif qui montrent qu’il existe des possibilités de délégation d’activités relevant de la police, mais uniquement pour des opérations relevant de l’exécution matérielle de décisions prises par les autorités de police.

Exemple : Conseil d’État, 2019, Association 40 millions d’automobilistes :
Un décret confie, à titre expérimental, le soin à des sociétés privés de faire circuler des véhicules équipés de radars.
Cette décision ne permet de déléguer que la seule tâche matérielle de conduite de véhicules équipés de radars – tâche accessoire aux missions de police qui restent dévolues aux forces de l’ordre.
Le Conseil d’État relève que les trajets des véhicules sont déterminés sous le contrôle des services de l’État et que les conducteurs de ces véhicules n’ont pas accès au matériel de contrôle.

Section 3 : L’exercice du pouvoir de police

§ 1. Obligation ou faculté ?

Les autorités de police sont obligées de prendre les mesures qu’imposent la situation, que ce soit des mesures règlementaires ou individuelles.
Il s’agit d’une obligation de moyens.

Comment sanctionner ou compenser l’inaction des autorités de police ?
Le préfet dispose d’un pouvoir de substitution d’action en cas de carence du maire.
Il existe aussi des recours juridictionnels :

  1. Le REP :

    Conseil d’État, 1959, Doublet :
    La passivité de l’autorité de police s’analyse comme une décision de refus, qui peut faire l’objet d’un REP.
    Le contrôle assuré par le juge administratif dans le cadre du REP reste limité, puisque l’annulation du refus d’agir ne s’impose “que lorsque la mesure est indispensable pour faire cesser un péril grave résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour l’ordre public”.

  1. Le référé liberté constitue le 2ème recours envisageable pour contrecarrer la passivité d’une autorité administrative dans son pouvoir de police.
    💡 Il s’agit d’une procédure d’urgence, qui a été mise en place par la loi du 30 juin 2000. Elle figure à l’article L521-2 du CJA.

    Conseil d’État, 2011, Ville de Paris :
    Étaient en cause des travaux sur la dalle des Halles, durant lesquels un engin de chantier a percé la dalle, faisant tomber des gravats dans le magasin H&M en dessous.
    Le magasin H&M a engagé un référé liberté contre la ville de Paris pour qu’il soit enjoint à la ville de Paris de suspendre les travaux jusqu’à la consolidation de la dalle.

    Le Conseil d’État dit que lorsque la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, elle porte une atteinte grave et manifestement égale à cette liberté fondamentale.
    Le juge peut alors prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser le danger résultant de cette carence.

    Cette jurisprudence s’est développée dans 2 hypothèses :

    1. Lorsqu’est en cause le droit à la vie ;
    1. Lorsqu’est en cause l’article 3 de la Convention EDH, qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants.

    Exemple : Conseil d’État, 23 novembre 2005, Commune de Calais :
    Le Conseil d’État impose aux autorités de police de mettre en place des points d’eau, pour permettre aux migrants l’accès à l’eau potable, parce que la situation créait des risques de condition de vie inhumaines.

    Cette jurisprudence a connu des développements assez exotiques lors de la crise sanitaire.
    Conseil d’État (ordonnance), 2020, Syndicat Jeunes médecins :
    Ce syndicat considérait qu’il fallait réduire le nombre de dérogations à l’obligation de confinement de la population. Il saisit le Conseil d’État, qui tient le même raisonnement : y a-t-il une carence des autorités de police de nature à créer un danger imminent pour la vie des personnes ?
    Il considère que les mesures qui ont été prises étaient suffisantes, mais il enjoint au Premier ministre de mieux définir les contours des dérogations existantes.
    → Sur la base du même raisonnement, le juge administratif se met en situation d’imposer aux autorités administratives de renforcer les restrictions sur la population.

  1. La 3ème piste envisageable est l’action en responsabilité, lorsque le mal est fait.
    Idée : l’autorité administrative aurait dû agir, elle ne l’a pas fait et ça a causé un dommage.

    Conseil d’État, 2000, Compagnie d’assurances Zurich international :
    Étaient en cause des dommages liés à la présence de gens du voyage et la carence d’un maire à prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les troubles à l’ordre public et les atteintes portées aux biens.

§ 2. Typologie des mesures de police

Les mesures de police sont extrêmement diverses.
En principe, elles sont fortement marquées d’unilatéralité (le contrat est rare et très largement interdit en matière de police).

Ce sont soit des mesures de nature juridique, soit des mesures matérielles.
On se concentre ici sur les actes juridiques, qui sont extrêmement divers : mesures réglementaires, mesures individuelles, autorisations/agréments/…

Précision : ces autorités/agréments/… ne peuvent exister que dans le domaine des polices spéciales.
Concrètement, ça veut dire qu’une autorité de police générale ne peut pas instituer un régime d’autorisation qui subordonnerait l’exercice d’une liberté à l’autorisation de l’autorité de police.

Exemple : Conseil d’État, 1951, Daudignac :
Concerne les photographes filmeurs au Mont-Saint-Michel → activité assez lucrative, qui a conduit à des problèmes de régulation des flux.
Le maire compétent met en place un régime d’autorisation.
Le Conseil d’État annule cet arrêté, en précisant qu’une autorité de police générale ne peut pas instituer un régime d’autorisation.

Contentieux plus récent : une route est fréquentée et fragilisée par des camions. Le maire peut poser un régime d’interdiction de circulation des poids lourds, mais peut-il associer à cette interdiction la possibilité d’obtenir des dérogations ?
Non. L’arrêté est annulé, parce que ça revient à mettre en place un régime d’autorisation.

§ 3. Contrôle des mesures de police

Le droit de la police administrative est largement un droit des atteintes administratives aux libertés fondamentales (la plupart des mesures de police emportent des restrictions à l’exercice de certaines libertés).
L’enjeu du contrôle est donc important.

A – L’auteur du contrôle

Qui contrôle ? Quelle est la juridiction compétente pour connaître des recours contre les mesures de police administratives ?

En principe, l’autorité compétente est le juge administratif.
Mais il existe plusieurs circonstances dans lesquelles un tiers sera compétent pour connaître d’un recours contre une mesure de police.

  1. Lorsque la mesure de police est entachée d’une voie de fait (voir partie 6 du cours), le juge compétent est le juge judiciaire.
  1. Le juge pénal peut apprécier la légalité des mesures de police :
    • L’article R610-5 du Code pénal dispose que la violation des mesures de police est sanctionnée d’une contravention de 2ème classe.
      → Toutes les mesures de police sont sanctionnées d’une contravention.

      💡
      Rien n’empêche par ailleurs le pouvoir règlementaire de poser des sanctions pénales plus lourdes pour la méconnaissance de certaines mesures de police.
    • L’article 111-5 du Code pénal dispose que les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter et apprécier la validité des actes administratifs lorsque la solution du procès pénal qui leur est soumis en dépend.
      → Les juridictions pénales ont la plénitude de juridiction.

    Exemple : Cour de cassation, Crim., 3 avril 2001 :
    Était en cause un arrêté préfectoral interdisant une manifestation anti-IVG à proximité d’un établissement hospitalier.
    Des manifestations se réunissent et sont verbalisés → poursuite devant les juridictions pénales.
    Le juge pénal apprécie la légalité de la mesure de police prise par le préfet.

B – L’intensité du contrôle

Il ne sera ici question que du contrôle assuré par le juge administratif.

Historiquement, le contrôle des mesures de police était variable : il y avait des mesures dites de “haute police” dont le contrôle était limité à l’erreur manifeste d’appréciation.
→ Le juge ne les annulait que si elles étaient manifestement illégales.

La haute police, c’était principalement la police des étrangers.
Idée : ça concernait les rapports de la France avec d’autres pays, donc le contrôle du juge administratif était plus limité.

Cette spécificité a disparu : désormais, les mesures de police font l’objet d’un contrôle harmonisé.
Lorsque le juge administratif est saisi de la légalité d’une mesure de police, il en contrôle la légalité externe + la légalité interne.

Conseil d’État, 1933, Benjamin :
Oblige le maire à invoquer des circonstances particulières (locales, de temps ou d’espace) lorsqu’il veut restreindre les libertés publiques au nom de ses pouvoirs de police administrative.
Le juge contrôle ainsi pleinement les motifs qui ont justifié la mesure de police – les risques de troubles à l’ordre public – ainsi que la proportionnalité de la mesure retenue au regard de ces risques.

La nature de ce contrôle a été précisée en 2011 avec le triple test de proportionnalité :

Conseil d’État, 2011, API :
“Les mesures de police doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées”.
Les mesures de police font aussi l’objet d’un contrôle de l’adéquation, de la nécessité et de la proportionnalité.

  1. Contrôle d’adéquation : l’atteinte portée à une liberté qui résulte de la mesure de police est-elle de nature à permettre la réalisation de l’objectif poursuivi ?
  1. Contrôle de nécessité : la mesure de police est-elle nécessaire pour parvenir à l’objectif poursuivi ?
    C’est un contrôle plus exigeant, parce qu’on peut imaginer que d’autres mesures de police peuvent être prises pour parvenir à ce résultat sans porter les mêmes atteintes aux libertés.
  1. Contrôle de proportionnalité : la mesure porte-t-elle une atteinte excessive à l’exercice d’une liberté au regard de l’objectif poursuivi ?

→ Ce triple contrôle s’ajoute au reste (contrôles de la légalité interne et externe).

4 remarques complémentaires concernant ces différentes formes de contrôle :

  1. Sur le contrôle de nécessité : la nécessité d’une mesure s’apprécie au regard de faits à la date à laquelle la mesure a été prise.
    Néanmoins, limite : dès lors qu’une mesure s’est avérée inutile, il incombe à l’autorité de police de l’abroger ou de la modifier (Conseil d’État, 2009, Commune de Cregols).
  1. La proportionnalité d’une mesure s’apprécie souvent au regard de l’étendue (= son champ d’application spatial, temporel et matériel) de la mesure en question.
    Lorsqu’est en cause la police générale, il n’est en principe pas possible de prendre des mesures d’interdiction générale.

    Exemple : Conseil d’État, 1984, Préfet de police de Paris contre Guez :
    Un arrêté préfectoral interdisait de façon générale et permanente des activités musicales de toutes natures sur les voies piétonnes de Paris.
    Le Conseil d’État a jugé que cette mesure d’interdiction générale était disproportionnée.

    Exemple : Conseil d’État, 2021, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen :
    Un arrêté du maire de Saint-Étienne interdisait pour 3 mois toute une série d’activités dans le centre-ville (interdiction de rester dans l’espace public, d’y consommer de l’alcool, de fouiller dans les poubelles…).
    Cet arrêté a été annulé pour le Conseil d’État, qui a constaté que l’interdiction s’appliquait 24h/24, portait sur l’ensemble du centre-ville et sur un très grand nombre d’activités → interdictions “générales et absolues” → arrêté illégal.

  1. La mesure doit être simple et lisible pour le citoyen.
    La question s’est posée lors de la crise sanitaire, lorsque les préfets pouvaient imposer le port du masque dans certaines zones.
    Difficulté : ça pouvait être compliqué pour les administrés de circuler entre les zones.

    Pour éviter cette difficulté, les autorités ont eu tendance à étendre l’obligation du port du masque excédant ce qui était nécessaire.
    Ces arrêtés ont fait l’objet d’un REP. Le juge administratif a ajouté à son contrôle de proportionnalité la nécessité pour les autorités administratives d’assurer l’effectivité des mesures prises, en assurant la simplicité et la lisibilité des mesures de police.
    (Conseil d’État, 2020, Ministre de la santé contre Association “Les Essentialistes – région Auvergne-Rhône-Alpes”)

    Cette décision a été critiquée, parce qu’elle valide des mesures de police dont le champ était peut-être trop important.

  1. L’articulation entre les mesures de police et le droit des discriminations :

    Conseil d’État, 2017, LDH contre Commune de La Madeleine :
    Était en cause un arrêté pris par un maire interdisant la fouille des poubelles sur le territoire de sa commune dans le contexte de l’installation d’un groupe de roms.
    Question : quel articulation entre le contrôle habituel des mesures de police et le droit des discriminations ?

    La mesure prise par le maire ne visait pas explicitement les roms.
    Le Conseil d’État juge que le simple fait qu’une mesure de police affecte particulièrement la situation de certaines personnes ne suffit pas à lui conférer un caractère discriminatoire.

    Il revient au juge administratif si la mesure est justifiée par des considérations relatives à l’ordre public et de contrôler son caractère proportionné en tenant compte de ses conséquences pour les personnes dont elle affecte la situation, en particulier lorsqu’elle apporte une restriction à l’exercice des droits.
    En l’espèce, le Conseil d’État souligne qu’il n’y a pas de droit en cause (il n’y a pas de “droit à fouiller les poubelles”).

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