Chapitre 8 : Les contrats administratifs

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Section 1 : L’environnement du contrat administratif

§ 1. La place du contrat dans l’action publique

Le contrat occupe une place seconde en droit administratif parmi les actes juridiques de l’administration.
≠ en droit civil, les sources des obligations sont pour l’essentiel des contrats.

L’acte unilatéral est prédominant en droit administratif.
Cette prédominance est liée à la structure fortement hiérarchisée du modèle français de l’administration, qui est fortement autoritaire, car fondé sur la vision napoléonienne suivant laquelle l’administration agit sur la société à travers des actes unilatéraux.

Le droit administratif s’est construit très largement sur la base du recours pour excès de pouvoir (REP).
💡 Le REP est le procès fait à un acte unilatéral.

Puisque le progrès du droit administratif s’est donc fait à travers la perspective du recours contre un acte unilatéral, le droit administratif s’est construit autour de l’acte administratif unilatéral.


Les contrats administratifs occupent certes une place seconde, mais le contrat a toujours existé en droit public : le recours par l’administration au procédé contractuel est courant, pour gérer des biens ou des activités.

En effet, l’activité contractuelle a joué un rôle essentiel au 19ème siècle pour moderniser le pays dans le contexte de son industrialisation.
Le développement du chemin de fer, de l’électrification, de la distribution d’eau… se sont largement faits par le recours à la concession.

La concession est le contrat par lequel une collectivité publique confie le soin à une personne privée de construire des infrastructures et de gérer une activité sous le contrôle de cette collectivité publique et en se rémunérant auprès des usagers.

En 1945, l’essentiel de ces activités a été nationalisé, mais on remarque depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un phénomène de contractualisation du droit public.

Les années 1960 à 1980 sont marqués par une “économie contractuelle”, avec une multiplication des contrats entre l’État et les opérateurs économiques pour organiser une économie dirigée dans un contexte d’interventionnisme public important.

Après 1982, on entre dans une période d’administration territoriale, avec une montée en puissance des collectivités territoriales.
La montée en puissance des collectivités territoriales renforce la contractualisation, parce que les relations avec ces collectivités publiques sont souvent passées par des contrats.
Exemple : contrats État-région.

Aujourd’hui, nous sommes dans une période de “tout contractuel” : le contrat s’insinue dans tous les domaines de l’activité administrative.
Comment expliquer cette évolution ?

  1. On s’est rendu compte que les modèles autoritaires de l’action publique ne sont plus aussi efficaces qu’auparavant.
    L’efficacité de l’action publique suppose aujourd’hui d’associer les acteurs à la décision, par exemple via un contrat.
  1. Le discours néolibéral, qui disqualifie le modèle classique de l’administration et valorise le contrat, est monté en puissance à partir des années 1970.

On voit se développer les contrats même dans les relations entre l’administration et ses agents, par exemple avec les contrats administratifs de travail.
💡 Les fonctionnaires n’ont pas de contrat de travail, mais un statut légal.

§ 2. Contrat, faux contrat et acte unilatéral

Il faut noter que parfois, sous le terme de “contrat”, il y a en réalité un acte unilatéral.

Parfois, il y a des “contrats” qui n’ont pas de valeur juridique (ils ne créent pas d’obligations dont on peut réclamer l’exécution en justice).
Exemple : les “contrats d’objectifs et de moyens”.

En matière d’action sociale, il est aujourd’hui assez courant de subordonner la délivrance d’une prestation à un engagement des bénéficiaires de ladite prestation. Cet engagement prend souvent la forme de la signature d’un contrat.
Par exemple, le bénéficiaire du RSA doit signer un contrat par lequel il s’engage à participer à des activités d’insertion professionnelle, mais ce contrat n’a pas de valeur juridique.

Autre exemple : on peut demander à ce que, dans une université, les étudiants signent chaque année le règlement intérieur, mais il s’impose même à ceux qui ne l’ont pas signé.


À côté des vrais contrats, il existe aussi des actes unilatéraux négociés (notamment ceux négociés avec les organisations syndicales).
La jurisprudence n’est pas univoque face à ce processus et la manière d’appréhender ces accords est variable :

  1. Les protocoles d’accord ressemblent à des contrats mais n’ont, en eux-mêmes, aucune valeur juridique ;
  1. On peut recourir à la technique de l’incorporation : les clauses de l’accord en question s’incorporent dans l’acte unilatéral qui intervient ensuite.
    Il n’y a alors qu’1 seul acte : l’acte unilatéral.
  1. On peut recourir à la technique de la requalification : un acte qui a les atouts d’un contrat est requalifié en acte unilatéral.
    Par exemple, les prix des médicaments sont fixés par convention entre la Sécurité sociale et les laboratoires pharmaceutiques, mais le Conseil d’État a jugé que ces conventions sont en réalité des actes unilatéraux règlementaires.

On constate qu’il existe des contrats qui ont un effet règlementaire.

Par exemple, par le contrat de concession, une collectivité publique confie le soin à une société de prendre en charge une activité de service public.
Dans un tel contrat, il y a des clauses qui déterminent les conditions d’exploitation du service ; elles n’intéressent pas que l’opérateur, mais aussi l’usager.
Ces clauses considérées comme étant de nature règlementaire, parce qu’elles déterminent les conditions d’exercice du service public.
→ Ces clauses règlementaires peuvent faire l’objet d’un REP.

De même, si on est locataire dans un immeuble, on est tenu de respecter le règlement de copropriété, même si on ne l’a jamais lu ou si on n’y a pas accès.

La notion de contrat public repose d’abord sur la considération organique des parties au contrat.

§ 3. Contrat administratif, contrat public, contrat de la commande publique

La notion de contrat public repose d’abord sur la considération organique des parties au contrat.
Autrement dit, les contrats publics sont les contrats auxquels des personnes publiques sont partie.
Dès lors qu’une des parties au contrat est une personne publique → c’est un contrat public.

Les contrats publics intègrent à la fois les contrats administratifs (= les contrats des personnes publiques qui sont soumis à un droit exorbitant) et les contrats de droit privé passés par des personnes publiques.
→ Critère organique.

Ces 2 types de contrats publics sont soumis à des règles de passation détaillées : règles de publicité, de mise en concurrence…

Le régime de prescription des obligations est aussi spécifique.
En droit public, les dettes des personnes publiques sont soumises à un régime de prescription quadriennale (= 4 ans).
Autrement dit, que la dette d’une personne publique ait pour origine un contrat administratif ou un contrat privé, la dette se prescrira au bout de 4 ans.

Les contrats de la commande publique sont régis par le Code de la commande publique, entré en vigueur en 2019.
Quelle est l’articulation entre ces 2 notions (contrat de la commande publique ≠ contrat administratif) ?

  1. Tous les contrats de la commande publique ne sont pas des contrats administratifs.

    Le droit de l’Union européenne, en créant un grand marché unique, a développé toute une législation pour fixer un cadre commun concernant les contrats, avec notamment des règles de publicité et de mise en concurrence.
    Or le droit de l’UE ne s’est pas uniquement saisi des contrats des personnes publiques, mais aussi d’autres contrats, notamment ceux passés par une personne privée poursuivant une mission d’intérêt général et contrôlés ou financés par une personne publique + ceux passés par des personnes privées créées par des personnes publiques pour réaliser certaines activités en commun.
    → Approche réaliste de l’Union européenne.

    Ainsi, la notion de contrats de la commande publique inclut certains contrats passés par des personnes privées, qui sont en principe soumis au droit privé, et qui ne sont donc pas des contrats administratifs.

  1. Tous les contrats administratifs ne sont pas des contrats de la commande publique.

    Le Code de la commande publique s’intéresse uniquement aux contrats qui ont une fonction économique (→ les contrats pour lesquels il y aura une compétition entre les actes économiques).

    Mais il y a des contrats administratifs qui ont une faible dimension économique et qui ne sont donc pas soumis aux dispositions du Code de la commande publique ; par exemple :

    1. Les contrats d’engagement personnel (= les contrats administratifs de travail) ont une dimension économique secondaire et ne sont pas donc des contrats de la commande publique.
    1. Les conventions d’occupation du domaine public peuvent avoir une dimension économique, mais elle est très souvent secondaire → ce ne sont pas des contrats de la commande publique.

§ 4. Les sources du droit des contrats administratifs

D’où viennent les règles qui s’appliquent aux contrats administratifs ?

Le droit des contrats administratifs est historiquement et fondamentalement jurisprudentiel.

Depuis 15 ans, le Conseil d’État a complètement redéfini le contentieux des contrats administratifs.

Le Conseil constitutionnel a posé des principes fondamentaux de la commande publique, et notamment :
> la liberté d’accès à la commande publique ;
> l’égalité de traitement entre les candidats.

Les textes se sont cependant multipliés et ont conduit à un cantonnement relatif de la jurisprudence.

Il y a aussi une source externe du droit des contrats administratifs : le droit de l’Union européenne, qui a joué et joue encore un rôle essentiel dans la définition du régime des contrats administratifs.

Ce rôle essentiel s’est manifesté à travers une succession de directives de l’UE, dont l’objectif était bien d’assurer une ouverture à la concurrence des contrats de l’administration.
Il influence essentiellement les règles relatives à la passation et la conclusion des contrats, avec des obligations d’information et de mise en concurrence des opérateurs économiques (→ s’intéresse plus à l’avant du contrat qu’à son exécution).

Les sources internes sont la législation + la réglementation.
L’article 34 de la Constitution dispose que le législateur est compétent pour définir les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales.
L’autorité compétente pour définir le régime des contrats administratifs de l’État est donc le pouvoir règlementaire.
En revanche, pour les contrats passés par les collectivités territoriales, c’est le législateur qui est compétent, sur la base de l’article 72 de la Constitution.

On constate que les textes législatifs et règlementaires se sont multipliés dans le champ de contrats, notamment en raison de la transposition en droit français du droit de l’UE.

De manière résiduelle, on applique des règles du droit privé pour les contrats administratifs.
Par exemple, les règles du Code civil relatives au consentement sont appliquées par le juge administratifs aux contrats administratifs.
Par exemple, le juge administratif a décidé il y a quelques années d’appliquer le droit de la consommation (→ droit des clauses abusives) aux contrats administratifs.

Section 2 : L’identification du contrat administratif

§ 1. L’administrativité du contrat

Qu’est-ce qu’un contrat administratif ?

Cette question a longtemps été réglée sur la base de critères jurisprudentiels, mais on constate que les interventions du législateur se sont multipliées et ont conduit à qualifier des catégories de contrats comme étant directement ou indirectement des contrats administratifs.

La question de savoir si un contrat est administratif ou non doit être déterminée au jour de la conclusion du contrat.

Cela n’est pas évident, parce qu’en général le juge se pose cette question lorsqu’il y a un conflit qui émerge au stade de l’exécution du contrat.
Exemple de difficulté : le statut de l’une des parties au contrat a pu évoluer.

A – Les contrats administratifs par détermination de la loi

Le législateur a, pour l’essentiel, “codifié” des solutions déjà acquises en se contentant de confirmer des qualifications déjà établies par la jurisprudence.
Il est souvent intervenu pour favoriser la qualification de contrat administratif.

Cette qualification peut être directe ou indirecte :

  • qualification directe : le législateur dit “tel contrat est un contrat administratif” ;
  • qualification indirecte : le législateur dit “lorsqu’il y a un litige avec tel contrat, c’est le juge administratif qui est compétent” → le régime des contrats administratifs s’applique.

1) Qualification directe

  1. Les marchés publics sont des contrats administratifs par détermination de la loi lorsqu’ils sont conclus par des personnes publiques.
    (article L6 du Code de la commande publique)

    La loi a ici apporté une évolution : les marchés publics étaient auparavant soumis à des critères jurisprudentiels selon lesquels il y avait certains marchés publics de droit privé.
    Le législateur est intervenu par une loi de 2001, qui disposait que tous les marchés publics sont des contrats administratifs.
    Le Code de la commande publique est depuis revenu sur cette solution, en ne faisant des marchés publics des contrats administratifs que s’ils sont passés par des personnes publiques.

  1. Les contrats de concession sont des contrats administratifs par détermination de la loi.
    (article L6 du Code de la commande publique)
  1. Les contrats de partenariat ;
  1. Les contrats d’achat d’électricité passés entre EDF et les producteurs d’électricité, qui sont des personnes privées.

2) Qualification indirecte

  1. Les contrats de vente d’immeubles de l’État ;
  1. Les contrats portant occupation du domaine public ;
  1. Les baux emphytéotiques administratifs, passés par des personnes publiques.

B – Les critères jurisprudentiels d’administrativité

Ces critères ne jouent plus un grand rôle aujourd’hui, mais ce sont les critères classiques applicables en droit français.

1) Contrat entre personnes publiques

Tribunal des conflits, 1983, UAP :
Il y a une présomption d’administrativité des contrats entre personnes publiques.
C’est une présomption réfragable : un tel contrat est présumé administratif sauf si, eu égard à son objet, il ne fait naître pour les parties que des obligations de droit privé.

Exemple :
Tribunal des conflits, 1999, Commune de Bourisp :
Les contrats portant vente ou disposition de biens du domaine privé sont des contrats de droit privé, même lorsqu’ils sont conclus entre 2 personnes publiques.

2) Contrats entre une personne publique et une personne privée

a) Les critères de qualification

On distingue 3 critères :

Critère n°1 : le critère de l’objet, qui peut être double :
> le service public ; ou
> les travaux publics.
Un contrat administratif a à voir avec le service public ou avec les travaux publics.

Autrement dit, un contrat entre une personne publique et une personne privée est un contrat administratif quand il entretient une certaine proximité avec une mission de service public.
Cette proximité est avérée dans 4 situations :

  1. Le contrat a pour objet l’exécution même du service public : le cocontractant se voit confier le soin d’assurer la mission de service public.
    Arrêt de référence : Conseil d’État, 1956, Époux Bertin :
    Jusque-là, un contrat ne pouvait être qualifié d’administratif que si : participation d’une personne publique au contrat + contient des clauses exorbitantes du droit commun.
    Cet arrêt met fin à cette situation et fait du service public l’un des critères du contrat administratif au même titre que celui de la gestion publique.
    Dorénavant, un contrat est administratif s’il est conclu par une personne publique (critère organique) + s’il est en lien avec le service public ou contient des clauses exorbitantes du droit commun (critères matériels alternatifs).
  1. Le contrat a pour effet de faire participer directement le cocontractant à l’exécution du service public.

    Exemple : l’université, qui est un établissement public, compte des agents contractuels, qui participent directement à l’exécution du service public de l’université.

    Tribunal des conflits, 2018, Association pour le Musée des Îles Saint-Pierre et Miquelon :
    Un musée est créé par une association, qui décide de transférer sa gestion à une collectivité territoriale.
    La convention prévoyait que l’association pourrait contribuer à enrichir les collections, à organiser des visites…
    Le Tribunal des conflits a considéré que l’association participait bien à l’élaboration du service public dont la collectivité a la responsabilité → c’est un contrat administratifs.

  1. Le contrat constitue une modalité de l’exécution du service public.
    Cela résulte notamment de l’arrêt : Conseil d’État, 1956, Consorts Grimouard :
    Un contrat est regardé comme administratif s’il constitue, en lui-même, une modalité d’exécution du service public.
    Ici, ce n’est plus le cocontractant qui exécute le service public, mais l’administration elle-même qui, en passant le contrat, assure cette exécution.

    Exemple : le Tribunal des conflits a considéré qu’un contrat passé entre une université et une société privée en vue d’assurer la formation d’un des salariés de cette société privée est un contrat administratif, parce qu’il a pour objet l’exécution même du service public de formation continue assuré par l’université.

  1. Le contrat a pour objet d’assurer la coordination des missions de service public prises en charge par les cocontractants.

    Arrêt de référence : Conseil d’État, 2013, Société Keolis (portait sur une convention tripartite régissant les relations entre deux délégataires de service public).

Critère n°2 : le critère de la clause exorbitante :
Conseil d’État, 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges :
Un contrat comportant une clause exorbitante du droit commun est administratif → le juge administratif est compétent.

On distingue :

  1. La clause impossible : on ne peut pas la retrouver en droit privé.
    Par exemple, une clause qui donnerait la possibilité à l’une des parties de récupérer sa créance par voie de titre exécutoire sans passer par le juge ne peut pas être dans un contrat de droit privé ;
  1. La clause inhabituelle ;
    Par exemple, un contrat qui prévoit un pouvoir de contrôle important de l’une des parties sur l’autre et l’obligation de l’une des parties de fournir à l’autre un bilan comptable de ses activités.
  1. La clause illicite : si elle était dans un contrat de droit privé, elle serait illicite (elle pourrait par exemple tomber sous le coup des clauses abusives).

Tribunal des conflits, 2014, Société AXA France IARD :
Volonté de simplifier la clause exorbitante.
Désormais, le Tribunal des conflits définit la clause exorbitante comme la “clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs”.

On comprend ici 2 choses :
1- il n’est plus nécessaire de comparer avec le droit commun ;
2- la clause exorbitante est celle qui attribue une prérogative de puissance publique à la personne publique ou qui fait subir au contractant une sujétion de service public en vue de permettre la réalisation de la finalité de l’intérêt général poursuivi par le contrat.

Précision :
Tribunal des conflits, 2020, Société Eveha :
Il faut que la prérogative de puissance publique bénéficie à la personne publique.
Ici, la société résilie le contrat unilatéralement → le contrat est-il administratif, compte tenu de l’existence de la clause de rupture unilatérale du contrat ?
La clause bénéficie ici à la personne privée, donc ce n’est pas un contrat administratif.

Exemples de clauses exorbitantes :
> la clause permettant l’émission d’un titre exécutoire pour le recouvrement d’une créance ;
> la clause conférant un pouvoir de contrôle important de la personne publique sur l’activité de son cocontractant privé ;
> une clause de résiliation unilatérale est aujourd’hui considérée comme exorbitante.

Conseil d’État, 2022, ONF :
Illustre bien la rupture du raisonnement entre l’ère Société des granits porphyroïdes des Vosges et Axa France.
Cette rupture résulte de la fin de la comparaison + du fait que le simple fait qu’il n’y a pas de clauses qui confèrent des prérogatives de puissance publique ne signifie pas qu’il n’y a pas une clause exorbitante.
Si un contrat comporte des clauses qui accordent des prérogatives de puissance publique, mais qu’on ne considère pas que ce sont des clauses exorbitantes, alors le contrat n’est pas un contrat administratif.

En l’espèce, l’ONF – un établissement public – a passé un contrat avec une personne autorisée à exploiter une parcelle pendant 5 ans.
Est-ce que c’est un contrat administratif ?

La cour administrative d’appel avait considéré que c’est un contrat administratif parce qu’il y a des clauses exorbitantes (par exemple, l’ONF pouvait résilier le contrat sans indemnité ni préavis).
Le Conseil d’État affirme qu’aucune de ces clauses ne justifie toutefois que, dans l’intérêt général, cette convention relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
→ Jurisprudence subtile et incertaine.

Critère n°3 : le critère du régime exorbitant :

Conseil d’État, 1973, Société d’exploitation électrique de la rivière du Sant :
Contexte : contrat d’achat entre EDF et des producteurs indépendants.
La loi, à l’époque, imposait des obligations aux parties au contrat (obligations de contracter, mesures de conciliation auprès de certain ministres…).
→ Le contrat est soumis à un régime exorbitant, donc c’est un contrat administratif.

Tribunal des conflits, 2011, Groupement forestier de Beaume Haie c/ ONF :
Par un contrat, les parties se placent sous un régime administratif d’exploitation de la forêt fixé par la loi.
→ Ce régime administratif contraignant justifie la qualification de contrat administratif.

b) Les blocs de compétence

Il est apparu que l’apparition de ces critères jurisprudentiels pouvait parfois conduire à des résultats regrettables ; pour les limiter, on a établi des blocs de compétences.

Tribunal des conflits, 1963, Mazerand :
Cette décision montre les conséquences d’une application bête et méchante des critères jurisprudentiels de qualification des contrats.
Mme Mazerand est employée dans une crèche municipale, d’abord comme femme de ménage avant de participer à la prise en charge des enfants.
Plus tard, elle considère qu’elle n’a pas été payée au salaire correct et saisit la justice.

Le Tribunal des conflits constate dans un 1er temps que, lorsque Mme. Mazerand était femme de ménage, elle ne participait pas directement à l’activité de service public de la crèche ; c’était donc un contrat de droit privé.
Mais elle y a ensuite participé ; c’était ensuite un contrat administratif.
Elle doit donc aller devant les prud’hommes pour une partie du salaire + devant la juridiction administrative pour le reste.

Ce genre d’affaires a conduit le Tribunal des conflits à simplifier les choses en créant un bloc de compétences :

Tribunal des conflits, 1996, Berkani :
Les personnels contractuels qui travaillent pour les personnes publiques gérant un service public administratif (SPA) sont des agents de droit public.
→ Aujourd’hui, Mme. Mazerand serait un agent public.

Le contentieux des contrats entre les SPIC gérés par les services publics et leurs usagers sont des contrats de droit privés → compétence du juge judiciaire.

3) Contrats entre personnes privées

Il existe 3 dérogations où un contrat entre 2 personnes privées est considéré comme administratif :

  1. La personne privée transparente :

    CE, 2017, Commune de Boulogne-Billancourt :
    Lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être considérée comme transparente, donc les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs.
    💡 Ce genre de requalifications est assez rare ; il est souvent lié à des associations.

  1. Lorsqu’un contrat passé entre 2 personnes privées est l’accessoire d’un contrat administratif.
    Exemple type : les conventions à objet financier qui accompagnent la conclusion d’un contrat administratif (ex : un contrat de cautionnement).
  1. L’hypothèse du mandat : lorsque l’1 des 2 personnes agit pour le compte d’une personne publique.
    Par exemple, on parle de “mandat administratif” dans les hypothèses où une personne privée est réputée agir pour le compte d’une personne publique alors qu’on est même en dehors des dispositions du Code civil.

    Conseil d’État, 1975, Société d’équipement de la région montpelliéraine :
    Le Conseil d’État a considéré que la société d’aménagement devait être considérée comme agissant pour le compte de la collectivité publique, et qu’en conséquence le contrat devait être considéré comme un contrat administratif.

    Conseil d’État, 2009, Société ADP :
    Les contrats par lesquels les sociétés exploitant des aéroports confient à des sociétés privées la mission d’inspection et de filtrage des passagers et/ou de leurs bagages sont des contrats administratifs, car c’est l’État qui dispose de la police.

    L’idée de mandat a été mobilisée à toutes les sauces pour différents types de contrats, sans que cela ne soit très clair.
    Une évolution de jurisprudence récente a cependant réduit son champ :

    Tribunal des conflits, 1963, Société Entreprise Peyrot :
    Les contrats conclus pour la réalisation de routes nationales sont des contrats administratifs, parce que la construction de routes nationales incombe par nature à l’État.

    Tribunal des conflits, 2015, Rispal contre ASF :
    A mis fin à la jurisprudence Peyrot en jugeant qu’une société concessionnaire d’autoroutes qui conclut un contrat avec une autre société ayant pour objet la construction et l’entretien d’une autoroute ne peut pas être regardée comme ayant agi pour le compte de l’État.
    Cela reste très compliqué → voir le commentaire de cette décision au GAJA.

§ 2. Typologie des contrats administratifs

Pour la distinction entre marchés publics et concessions, on tient compte de 2 critères cumulatifs :

  1. L’objet du contrat :
    > marché public : l’objet du contrat est l’achat d’une prestation ;
    > concession de service public ou de travaux publics : l’objet du contrat est la gestion d’un service public et/ou d’un ouvrage public.
  1. L’économie financière du contrat :
    > marché public : le paiement d’un prix par la personne publique (elle achète) ;
    > concession : financée par les redevances payées par les usagers → le risque financier lié au contrat pèse non sur l’administration, mais sur son cocontractant.

Marchés publics et concessions sont donc les 2 types de contrats de la commande publique, mais ⚠️ ce ne sont pas toujours des contrats administratifs.

A – Les marchés publics

Les marchés publics sont ceux qui se rapprochent le plus des contrats civils.
L’article L1111-1 du Code de la commande publique les définit :
”Un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent.”

On est ici dans une logique d’achats : construction d’un immeuble, paiement d’honoraires d’avocats…
Parmi les marchés publics, on distingue plusieurs types de marchés :
> marchés de travaux ;
> marchés de fourniture ;
> marchés de services.

Les marchés de partenariat (aussi appelés partenariats public-privé) sont des contrats bien plus complexes et relativement récents.
Ils ont pour objet la conception, le financement, la construction, l’entretien et l’exploitation d’équipements immobiliers.
L’opérateur se rémunère par des loyers acquittés par les personnes publiques qui utilisent l’équipement.

Au départ, cette forme juridique a été assez limitée dans son application (la loi ne l’autorisait que pour la construction de prisons, puis elle a été étendue aux hôpitaux, puis à tout bâtiment public).

Un réel débat existe aujourd’hui : est-ce un bon calcul ? Ces contrats sont-ils soutenables sur la durée ?
Ils séduisent les personnes publiques, parce qu’ils permettent de construire des bâtiments très rapidement sans que ça n’impacte les finances publiques sur le moment, mais ils les impactent beaucoup sur la durée.

La qualification de ces marchés a longtemps été débattue, mais ils sont aujourd’hui considérés comme des marchés publics.

B – Les concessions

L’article L1121-1 du Code de la commande publique définit les concessions :
”Un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix.”

→ Ici, le risque financier du contrat pèse sur le concessionnaire.

Exemple : Conseil d’État, 2021, Ville de Paris :
La ville de Paris lance une procédure ayant pour objet l’enlèvement des véhicules abandonnés dans les fourrières, en fixant le volume et la fréquence des enlèvements.
Il est prévu dans ce contrat qu’en contrepartie, le concessionnaire peut bénéficier des pièces détachées des véhicules enlevés.
Est-ce une concession ou un marché public ?
L’enjeu est important en matière de règles de passation.
C’est une concession, parce que le risque financier pèse sur l’entreprise qui enlève les véhicules.

Exemple : Cass. com., 2022, Société Bernard dépannage :
Un concessionnaire d’autoroute publie un appel d’offres pour l’attribution des opérations de dépannage sur la portion d’autoroute qu’elle exploite.
Ce contrat confie un monopole au dépanneur, mais ne prévoit pas de versement d’une somme par le concessionnaire d’autoroute, ni la compensation des pertes éventuelles du dépanneur.
En gros, le dépanneur se finance uniquement par les usagers.

La chambre commerciale a considéré que la mission n’était pas dénuée d’aléa, donc c’est une concession.
Le critère retenu est ici celui du risque financier.
💡 Ici, ce n’est pas un contrat administratif, mais la question se pose quand même !

Il existe 3 types de concessions :
> concessions de travaux ;
> concessions de services publics ;
> concessions d’aménagement (ex : une commune qui souhaite mettre en place une ZAE).

C – Les conventions d’occupation du domaine public

Une convention d’occupation du domaine public est un contrat par lequel l’administration autorise des personnes privées à utiliser et à occuper une partie de son domaine public de manière privative pour un intérêt très souvent économique.

Certains contrats de concession conduisent à ce que les opérateurs occupent aussi le domaine public.
→ La qualification du contrat entre concession et convention d’occupation du domaine public n’est pas toujours évidente.

Jusqu’à récemment, les conventions d’occupation du domaine public n’étaient pas soumises à des règles spécifiques concernant la passation, la publicité et la mise en concurrence, donc l’administration était plus encline à qualifier comme telles les conventions qu’elle passait.

D – Les contrats de recrutement d’agent public

Ce contrat est important aujourd’hui : entre 15 et 20% du personnel de l’administration est recruté par la conclusion de ces contrats.

Section 3 : Le régime juridique du contrat administratif

Introduction : L’exorbitance du contrat administratif

Les contrats administratifs sont en partie soumis à un régime exorbitant du droit commun, au vu de l’autorité de l’administration.
C’est une exorbitance :
> qui peut fonctionner en + (→ attribution à la personne publique de prérogatives ou de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qu’un cocontractant privé aura) ;
> mais qui peut aussi fonctionner en – (→ obligations particulières qui pèsent sur la personne publique, que ne connaissent pas les cocontractants privés ; ex : règles de publicité et de mise en concurrence).

Cette exorbitance est à mettre en lien avec 2 grandes règles du Code civil :
> l’article 1102 → liberté contractuelle ;
> l’article 1103 → effet relatif du contrat.

Ces 2 principes s’appliquent aux contrats administratifs, mais ils sont nuancés.

Par exemple, l’article 1102 du Code civil pose le principe de la liberté contractuelle :
”Chacun est libre ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les formes fixées par la loi”.

Or, dans un certain nombre d’hypothèses, l’administration n’a pas le choix :

  1. Il y a des domaines dans lesquels l’administration ne peut pas contracter (exemple : la police administrative) ;
  1. L’administration subit des contraintes en matière de liberté de choix du cocontractant, avec les règles de passation des contrats ;
  1. L’administration subit aussi des contraintes en matière de liberté de déterminer le contenu et la forme du contrat (exemple : tous les contrats de la commande publique doivent être conclus pour une durée déterminée).

Dans le Code civil, les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués qu’avec le consentement des 2 parties ; mais le droit des contrats administratifs confie à l’administration des prérogatives qui vont lui permettre, dans une certaine mesure, de modifier les clauses du contrat ou de mettre fin unilatéralement à l’exécution du contrat.

⚠️
Quand on parle de contrats administratifs, on insiste sur l’exorbitance, mais il faut faire attention à ne pas avoir une image faussée des relations contractuelles : il n’y a pas réellement de “partie faible”, parce que ce sont généralement de grandes entreprises et parce que ces prérogatives ont pour contrepartie une compensation.

§ 1. Formation du contrat administratif

Il sera ici question de conditions de validité du contrat, qui ont pour objectif de préserver la concurrence et les deniers publics.

A – La passation des contrats administratifs

La plupart des contrats administratifs sont traditionnellement soumis à des règles de passation.
Historiquement, la justification première est d’éviter la corruption (par exemple, un maire qui désigne l’entreprise de son beau-frère pour faire des travaux) et de permettre la concurrence.

3 exigences sont rappelées par l’article L3 du Code de la commande publique :
1- principe d’égalité d’accès à la commande publique ;
2- principe d’égalité de traitement des candidats ;
3- principe de transparence des procédures.

Historiquement, c’est le critère du prix qui domine la passation des contrats administratifs : celui qui est retenu pour un contrat, c’est celui qui propose l’offre la mieux disante.
Mais on voit, depuis 20 ans, une montée en puissance d’autres critères que les personnes publiques sont censées prendre en compte.

Les marchés publics connaissent les contraintes les plus importantes.
Les petits marchés (inférieurs à 40 000 €) connaissent une liberté assez importante, mais dès lors qu’ils sont supérieurs à 40 000 €, les marchés publics suivent une procédure assez lourde, avec une large publicité + la réunion d’une commission des appels d’offres, composée d’élus de bords politiques différents.
Le critère principal est le prix : on retient l’offre la plus avantageuse économiquement.

Ce processus est contraignant, parce qu’en principe il n’y a pas de négociations.

Pour les concessions, on considère qu’il faut que l’intuitu personae joue un rôle important ; autrement dit, l’administration doit avoir un rôle important dans le choix de son cocontractant.
Il reste des règles de publicité + la négociation est autorisée, mais encadrée.

Pour les conventions d’occupation du domaine public, il n’y avait jusqu’à récemment pas de règles.
Cependant, certaines de ces conventions d’occupation du domaine public ont une valeur économique importante, qui incite à mettre les opérateurs privés en concurrence.
Une ordonnance de 2017 a ajouté au Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP ou CG3P) son article L222-1, qui dispose que :
”L’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.”

B – La conclusion du contrat

1) Règles relatives aux parties

Il résulte du principe de spécialité des personnes publiques que ces personnes ne peuvent agir – et donc contracter – que dans les limites de leurs compétences.

Les 3 vices du consentement sont le dol, l’erreur et la violence.
L’édiction du consentement de ces personnes morales est un processus technique qui fait intervenir plusieurs personnes, ce qui garanti une forme d’intégrité du consentement de la personne publique.

Exemple type de vice du consentement pour une personne publique :
Conseil d’État, 2020, Société Lacroix Signalisation :
Dans cette “affaire du cartel de la signalisation routière”, il est apparu que les grandes sociétés de la signalisation routière ont organisé une entente entre elles dans les années 1990 et 2000.
L’Autorité de la concurrence a condamné ces entreprises pour entente.
→ C’est un exemple de dol.

2) Règles relatives au contrat

Ces règles s’inscrivent dans 3 domaines :

  1. La durée du contrat ;
    Ces règles précisent que les contrats de la commande publique sont des contrats à durée déterminée.
    Un plafond de 20 ans est fixé par la loi.
  1. La forme du contrat ;
    La forme écrite est imposée : les contrats administratifs sont des contrats écrits.
  1. Le contenu du contrat.
    Il y a des objets illicites + il existe des clauses interdites, qui sont différentes des clauses abusives en droit civil.

    Exemple : Conseil d’État, 2012, CCI de Montpellier :
    Le Conseil d’État rappelle qu’un contrat administratif ne peut pas légalement prévoir une indemnité de résiliation ou de non renouvellement manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant de l’administration du fait de la rupture du contrat (→ objectif : protéger les deniers publics).

    Exemple de clause prohibée :
    Pour les concessions de service public, le Code de la commande publique interdit les clauses par lesquelles le concessionnaire serait tenu de prendre en charge des travaux étrangers à l’objet de la concession.

Les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) sont des documents qui recensent toute une série de clauses concernant la formation et l’exécution d’un contrat dans un domaine.
Ils sont très courants ; ils ne sont pas obligatoires pour les parties, mais elles s’y réfèrent quasiment systématiquement.

§ 2. Exécution du contrat administratif

Le contrat administratif, comme tous les contrats, est soumis à un principe de force obligatoire des contrats.

A – Les prérogatives de l’administration

Remarque : Conseil d’État, 1985, Association Eurolat :
Toutes ces prérogatives sont justifiées par le souci d’adapter le contrat aux exigences de l’intérêt général.
C’est pour ça qu’il n’est pas possible à l’administration de renoncer à l’exercice de ses prérogatives par contrat (elle peut aménager leur exercice, mais elle ne peut pas y renoncer).

La plupart de ces prérogatives existent même en l’absence de stipulation contractuelle : elles résultent des principes généraux applicables aux contrats administratifs.
Mais en pratique, les contrats contiennent quasi systématiquement des clauses relatives à ces prérogatives.

1) Le pouvoir de contrôle et de direction

De manière générale, l’administration a toujours la possibilité de contrôler la manière dont son cocontractant assure l’exécution du contrat et respecte les clauses dudit contrat.

Au sein du Code général des collectivités territoriales, il y a une disposition relative aux concessions qui impose aux concessionnaires de fournir chaque année un rapport d’activité.
Ça n’est qu’une traduction par la loi du pouvoir plus général de contrôle de l’administration.

Ce pouvoir de contrôle et de direction se prolonge par la possibilité pour l’administration de prononcer des sanctions à l’égard de son cocontractant indélicat.
La plupart de ces sanctions peuvent être décidées par l’administration sans recourir à un juge et sans qu’elles aient été prévues par le contrat.

  1. Les sanctions de nature pécuniaire sont les plus fréquentes : ce sont des pénalités en cas de retard, de manquement dans l’exécution d’un contrat…

    Le juge administratif s’est octroyé le pouvoir de contrôler le montant de ces pénalités.

  1. Les sanctions coercitives permettent à l’administration de se substituer à son cocontractant dans l’hypothèse où celui-ci manque à ses obligations.
    Cette substitution à son cocontractant se fait à ses frais et risques ; par exemple, l’administration peut faire réaliser des prestations qui n’ont pas été réalisées à la charge du cocontractant qui devait les réaliser.
    (on parle de “mise en régie” pour un marché public et de “mise sous séquestre” pour une concession)
  1. Les sanctions résolutoires désignent la résolution unilatérale par l’administration en cas d’inexécution.
    Ce n’est plus réellement exorbitant aujourd’hui : le Code civil autorise dans certaines circonstances de mettre fin unilatéralement au contrat en cas d’inexécution suffisamment grave, après mise en demeure (article 1226).

    Cependant, pour les concessions, la résolution (aussi appelée « la déchéance du concessionnaire ») ne peut intervenir qu’après l’intervention d’un juge, parce qu’elles imposent d’importants investissements de la part du concessionnaire.

Voir notamment : Conseil d’État, 1983, SARL COMEXP :
L’administration peut résilier un marché public pour faute même en l’absence de clause contractuelle spécifique.

2) Le pouvoir de modification unilatérale

Pendant longtemps, il y a eu un doute sur le fondement de ce pouvoir de modification unilatérale : est-ce qu’il a un fondement contractuel, ou est-ce qu’il existe même sans clause ?

Conseil d’État, 1910, Compagnie générale française des tramways :
Pas très explicite. Un préfet confère de nouvelles obligations au concessionnaire d’un tramway, sans plus de précisions.

Conseil d’État, 1983, Union des transports publics urbains et régionaux :
Précise que ce pouvoir existe même sans clause.
Cela est aujourd’hui expressément mentionné par l’article L6 du Code de la commande publique.

Ce pouvoir ne peut être mis en œuvre que s’il y a un motif d’intérêt général.

Ce pouvoir de modification est aussi limité : il ne peut pas toucher au cœur même du contrat :
> en principe, il ne peut pas affecter l’objet même du contrat ;
> en principe, il ne peut pas affecter les clauses financières du contrat.

Ce pouvoir n’est pas gratuit : l’administration doit intégralement compenser le surcoût lié à cette modification pour son cocontractant.
L’administration doit aussi réparer l’entier préjudice (perte subie + gain manqué) subi par son cocontractant.
(on parle alors de “responsabilité contractuelle sans faute”)

3) Le pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général

⚠️ Il ne faut pas le confondre avec le pouvoir de résiliation unilatérale pour inexécution.

Arrêt de référence :
Conseil d’État, 1958, Distillerie de Magnac-Laval :
Évoque expressément le pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général, que le Conseil d’État rattache aux règles générales applicables aux contrats administratifs.

Ce pouvoir vaut pour tous les contrats administratifs.
(💡 alors que pour la résolution pour inexécution d’une concession, il faut passer par le juge)

Pendant très longtemps, cette décision ne pouvait pas être contestée par le cocontractant, qui ne pouvait que demander éventuellement des dommages-intérêts.

Conseil d’État, 2011, Commune de Béziers (”Béziers 2”) :
Le Conseil d’État reconnaît la possibilité de demander devant le juge de plein contentieux l’annulation de la décision de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général.
Le contrat est alors à nouveau exécuté.

Le juge exerce un véritable contrôle sur le motif qui justifie la rupture unilatérale du contrat.
Problème : le contrôle du juge en la matière est limité ; le juge administratif laisse une grande liberté à l’administration.
Idée : il n’incombe pas au juge administratif d’interférer dans des choix de politique publique.
→ Il ne faut pas surestimer la portée de l’arrêt Béziers 2.

Cour administrative d’appel de Versailles, 2021, Ministre de l’écologie / Société Axxès :
La cour administrative d’appel a considéré que le motif lié à un risque de trouble était un motif d’intérêt général qui pouvait justifier la rupture unilatérale du contrat.
”Il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier l’opportunité du choix ainsi effectué par le gouvernement.”

Le cocontractant aura le droit à l’indemnisation intégrale du préjudice subi, avec l’indemnisation à la fois des dépenses engagées + du gain manqué.

Le principe est la réparation intégrale du préjudice, mais les parties au contrat peuvent y faire figurer des stipulations contractuelles qui déterminent le montant des indemnités en cas de rupture du contrat.

Il ne faut pas confondre la résiliation par l’administration pour motif d’intérêt général de la résiliation pour irrégularité du contrat.
Si le motif invoqué par l’administration est l’irrégularité, alors on entre dans le régime d’action en contestation de validité du contrat à l’initiative des parties au contrat (voir décision Béziers 1).

Conseil d’État, 2020, Société Comptoir Négoce Équipements :
La personne publique peut résilier unilatéralement le contrat, mais elle ne peut invoquer que les irrégularités admissibles au regard du principe de loyauté contractuelle.
Elle ne peut pas se justifier d’irrégularités dont elle est responsable.

B – Les droits du cocontractant de l’administration

1) L’imprévision

La théorie de l’imprévision a longtemps été une spécificité du droit administratif.
Idée : lorsque l’exécution du contrat est confrontée à un aléa économique anormal, cette théorie impose à l’administration d’aider son cocontractant à surmonter ces difficultés pour garantir la bonne exécution du contrat.
Arrêt de référence : Conseil d’État, 1916, Compagnie générale d’éclairage au gaz de Bordeaux.

Cette théorie ne fait pas l’objet d’un contentieux important, parce qu’il existe souvent des clauses de révision des prix (par exemple en cas d’augmentation des prix des matières premières).

Cette théorie a fait l’objet d’une méfiance de la part de l’Union européenne et est donc surveillée.

4 éléments doivent être réunis :

  1. L’évènement à l’origine de la situation d’imprévision doit être imprévisible au moment de la conclusion du contrat : catastrophe naturelle, crise financière…
    Par exemple, une hausse modérée et limitée du prix des matières premières n’a rien d’imprévisible.
  1. Cet évènement doit entraîner un bouleversement de l’économie du contrat.
    La théorie de l’imprévision ne peut jouer que dans l’hypothèse où il y a une dégradation importante des conditions d’exécution du contrat.
    Idée : il devient compliqué pour l’opérateur d’exécuter le contrat.
  1. Cet évènement doit être extérieur aux parties.
    Exemple : si cet évènement est imputable à l’administration contractante, alors cette théorie de l’imprévision ne peut pas jouer.
  1. La situation d’imprévision doit demeurer temporaire.
    Si l’exécution du contrat est définitivement altérée, alors l’administration doit y mettre fin.

Si ces conditions sont réunies, le cocontractant de l’administration peut lui réclamer une compensation financière : une indemnité d’imprévision.
Cette indemnité a vocation à couvrir l’ensemble des conséquences imprévisibles liées à la situation d’imprévision.

Conseil d’État, 1982, Société Propétrol :
Contexte : le second choc pétrolier de 1979 entraîne la multiplication du coût du baril par 5 et rend difficile l’exécution du contrat.
Le Conseil d’État pose le principe suivant lequel le cocontractant doit avoir maintenu l’exécution du contrat pour réclamer une indemnité d’imprévision.

Dans son avis du 15 septembre 2022, le Conseil d’État fait une synthèse des possibilités qu’offre le cadre juridique aujourd’hui, dans le contexte de l’augmentation des coûts de l’énergie.
Il note 2 possibilités :

  1. Avoir recours à la théorie de l’imprévision, et donc un mécanisme d’indemnisation des charges extracontractuelles ;
  1. Modifier le contrat, en respectant le cadre posé par le Code.
    Mais les modifications sont limitées : elles ne peuvent pas être substantielles, sinon c’est un nouveau contrat.

2) Les sujétions imprévues

La théorie de la sujétion imprévue vise essentiellement à compenser l’aléa technique.
Elle est beaucoup plus modeste dans son champ d’application, parce qu’elle ne joue que dans les contrats ayant pour objet la réalisation de travaux publics.

Elle renvoie à des situations très simples ; par exemple, des intempéries importantes qui retardent la réalisation de travaux.

Si cet aléa présente un caractère exceptionnel et imprévisible, qu’il est extérieur aux parties, et qu’il entraîne pour les cocontractants de l’administration des surcoûts anormaux, alors l’entrepreneur aura droit à la réparation intégrale des charges qu’il a supportées, alors qu’il n’y aurait pas de clause en ce sens dans le contrat.


3) Le fait du principe

La théorie du fait du prince est beaucoup plus floue.
Elle a vocation à couvrir l’aléa juridico-administratif imputable à une personne publique.

Il y a cependant une incertitude sur le champ d’application de cette théorie.
On distingue 3 hypothèses :

  1. L’hypothèse où cet aléa est imputable à une autre personne publique que celle qui a contracté ;
  1. L’hypothèse dans laquelle cet aléa juridico-administratif est imputable à la personne publique qui a contracté, mais dans l’exercice d’une autre mission de service public ;
  1. L’hypothèse dans laquelle la personne publique interfère dans l’exécution du contrat, mais en tant que personne contractante.

Le fait du prince renvoie surtout à la 2ème hypothèse.
Lorsque l’action de la personne publique contractante modifie les conditions d’exécution du contrat qu’elle a passé avec un opérateur privé, cet opérateur privé pourra réclamer une indemnisation et la réparation de l’intégralité du préjudice subi.

Section 4 : Le contentieux contractuel

Le contentieux contractuel a été très largement remanié par le Conseil d’État à partir de 2007.

En effet, la vie du contrat est jalonnée par des actes unilatéraux pris par l’administration (ex : la décision de contracter avec telle entreprise, la décision de modifier le contrat…).
Le droit des contrats administratifs n’est donc pas composé que de contrats, mais aussi d’actes administratifs unilatéraux (AAU).

Avant 2007, il y avait des actes détachables.
Il était tout à fait possible pour un concurrent de contester par un REP la décision de l’administration de contracter avec une entreprise.

Depuis 2007, les pouvoirs du juge en matière contractuelle sont beaucoup plus nuancés.
Il peut procéder à la résolution du contrat (la “bombe atomique”), mais d’autres outils sont à sa disposition pour permettre la continuation de l’exécution du contrat.

§ 1. Les procédures de référé

A – Le référé précontractuel

Le référé précontractuel est prévu par l’article L551-1 du CJA.
Il s’agit d’une procédure qui peut jouer à l’égard de tous les contrats de la commande publique.

C’est un référé qui a une vocation préventive.
Objectif : éviter la signature d’un contrat qui n’a pas encore été conclu.
La demande de référé sera donc irrecevable dès lors que le contrat aura déjà été signé.

Peuvent agir les personnes qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué.

Conseil d’État, 2008, SMIRGEOMES :
Le Conseil d’État interprète restrictivement cette exigence.
Il précise que les requérants ne peuvent invoquer que les manquements qui, « eu égard à leur portée et au stade de la procédure auxquels ils se rapportent, sont susceptibles de les avoir lésés ou risquent de les léser”.
Des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence n’entraînent le prononcé de mesures par le juge du référé précontractuel que s’ils sont susceptibles d’avoir lésé le requérant.

Le juge peut enjoindre à la personne publique en cause de respecter ses obligations.
Il peut décider la suspension des mesures de passation du contrat.
Il peut annuler la décision relative à la passation du contrat.
Il peut décider de l’annulation totale ou partielle de la procédure de passation.

B – Le référé contractuel

Le référé contractuel doit être formé dans un délai de 31 jours à compter de l’exécution des formalités de publicité du contrat ou, s’il n’y en a pas eu, dans un délai de 6 mois à compter de la signature du contrat.

Il peut être formé dans les hypothèses où il y a eu un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

Le juge peut :
> suspendre l’exécution du contrat ;
> prononcer sa nullité dans certaines hypothèses ;
> résilier le contrat pour l’avenir ;
> imposer des pénalités financières à l’administration.

§ 2. Le recours pour excès de pouvoir

A – Le REP contre les actes détachables du contrat

Le recours contre les actes détachables du contrat reste aujourd’hui possible, mais de manière marginale.
La vie du contrat au sens large est jalonnée de décisions de l’administration.
Pour favoriser la possibilité pour les tiers au contrat de contester les décisions de l’administration, le Conseil d’État a progressivement affirmé au 20e siècle que certaines décisions unilatérales de l’administration sont détachables du contrat.
→ Les tiers peuvent contester ces actes.

Conseil d’État, 1905, Martin :
Le juge pour excès de pouvoir commence à se reconnaître compétent pour connaître des recours des tiers contre les actes détachables du contrat.
Il s’agit essentiellement d’actes relatifs à la conclusion du contrat.
→ Le contrat reste la chose des contractants.

Cette voie n’est aujourd’hui plus ouverte aux tiers.
En effet, 2 arrêts importants ont été rendus depuis :

Conseil d’État, 2007, Société Tropic Travaux Signalisation :
Les candidats évincés lors de la procédure de passation d’un marché public peuvent former un recours devant le juge de plein contentieux.

Conseil d’État, 2014, Département de Tarn-et-Garonne :
Les tiers ayant un intérêt lésé par un contrat administratif ont désormais la possibilité de contester sa validité devant le juge du contrat (recours de pleine juridiction).
Toutefois, les tiers ne pourront se plaindre que des illégalités particulièrement graves ou en rapport direct avec leur intérêt lésé.

La voie de recours concernant les actes détachables est donc devenue inutile et est désormais fermée aux tiers.

Le REP n’a cependant pas complètement disparu en la matière ; il reste quelques actes détachables :

  • La délibération par laquelle une collectivité territoriale décide d’avoir recours à un contrat plutôt qu’à autre chose est un acte préalable au contrat.
    Cette décision peut faire l’objet d’un REP.
    La simple annulation de cette décision n’a pas de conséquence sur la validité du contrat.
  • Parfois, lorsqu’une collectivité territoriale passe un contrat, il y a un mécanisme d’approbation (on parle de “tutelle”).
    Cet acte d’approbation du contrat peut faire l’objet d’un REP.

Conseil d’État, 2022, Danthony :
⚠️ Il y a de nombreuses décisions “Danthony”.
Les tiers ne sont pas recevables à exercer un REP contre les actes qui participent au processus de la conclusion du contrat.
Seuls peuvent être soulevés contre cet acte des moyens tirés de vices propres à la décision, et non pas des moyens relatifs à la validité du contrat approuvé.

Conseil d’État, 1987, Société TV6 :
Les tiers peuvent contester par REP la décision de l’administration de mettre fin au contrat.
Cela est toujours possible aujourd’hui.

Conseil d’État, 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche :
À l’inverse, les tiers ne peuvent pas contester par REP la décision de l’administration refusant de mettre fin à un contrat, en considérant que cela relève du juge du contrat.

Les seuls actes détachables qui peuvent encore être contestés devant le juge administratif sont donc les actes qui, lorsqu’ils sont contrôlés, n’impliquent pas de contester la validité du contrat.

B – Le REP contre un contrat

Il existe des hypothèses très particulières où le REP est possible contre un contrat, ce qui constitue en apparence une hérésie totale et absolue.

Conseil d’État, 1998, Ville de Lisieux :
Les contrats d’engagement personnel peuvent faire l’objet d’un REP.
Le Conseil d’État ouvre cette voie pour une raison purement pragmatique : pour assurer une cohérence du contentieux du recrutement des personnels de l’administratif.

Conseil d’État, 1906, Syndicat du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli (à Bordeaux) :
Les usagers peuvent contester par REP les clauses du contrat administratif.

Conseil d’État, 1996, Cayzeele :
Les clauses règlementaires d’un contrat administratif peuvent faire l’objet d’un REP.
En effet, les concessions de service public contiennent des clauses qui, incontestablement, ne concernent pas que les parties au contrat (exemple : temps de fréquence et arrêts sur une ligne de bus).

§3. Le recours de pleine juridiction

A – Le contentieux de la validité

1) La validité du contrat

a) À l’initiative des parties

Jusqu’à la révolution de 2007, les pouvoirs du juge étaient assez limités : il ne pouvait que prononcer la nullité du contrat, et il ne le faisait que dans des circonstances extrêmement limitées.

Conseil d’État, 2009, Commune de Béziers (”Béziers 1”) :
Met en place un nouveau recours ouvert aux parties.
Les parties peuvent contester la validité du contrat dans 2 situations :

  1. Par voie d’action, en saisissant le juge de plein contentieux d’une action en contestation de la validité du contrat (→ c’est ça qui est nouveau) ;
  1. Par voie d’exception (= à l’occasion d’un litige).

L’apport principal de cette jurisprudence est le perfectionnement des prérogatives dont dispose le juge lorsqu’il constate que le contrat entaché d’une irrégularité.
2 éléments jouent un rôle clé :

  1. L’exigence de loyauté des relations contractuelles.
    En principe, une partie ne peut pas se prévaloir d’une irrégularité dont elle est à l’origine.
  1. L’objectif de stabilité des relations contractuelles.
    Le juge doit vérifier dans la mise en œuvre de ses pouvoirs les conséquences de ses décisions par rapport à l’intérêt général. En cas d’effet excessif sur l’intérêt général, alors le juge assure la stabilité de l’acte contractuel.

Aujourd’hui, on est dans le “sur-mesure” : le juge puise dans une panoplie d’instruments pour adapter sa réponse à l’irrégularité affectant le contrat.
Toute irrégularité n’est pas susceptible de remettre en cause le contrat.

Quand le juge est saisi par voie d’action, il peut décider la poursuite des relations contractuelles lorsque l’irrégularité est mineure.
Il peut aussi décider que la prolongation du contrat sera subordonnée à l’adoption de mesures de régularisation de la part des parties.

Si l’irrégularité est plus grave, le contrat est annulé par le juge.
Sont des hypothèses d’irrégularités très graves :
1- le caractère illicite du contenu du contrat ;
2- « un vice d’une particulière gravité relatif aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ».

Lorsque le juge est saisi par voie d’exception, il doit faire comme s’il était saisi en contestation de la validité du contrat : il écarte donc l’application du contrat dans les hypothèses où, s’il avait été saisi par voie d’action, il aurait mis fin au contrat.

b) À l’initiative des tiers

Jusqu’en 2007, il n’y a pas beaucoup de possibilités pour les tiers de contester le contrat.

Conseil d’État, 2014, Département de Tarn-et-Garonne :
Les tiers ayant un intérêt lésé par un contrat administratif ont désormais la possibilité de contester sa validité devant le juge du contrat (recours de pleine juridiction).

Les conditions de recevabilité sont cependant drastiques : ils doivent démontrer que le contrat est susceptible de léser leurs intérêts de manière suffisamment direct et certaine.
Être un concurrent évincé ne suffit pas.

Le délai est de 2 mois à compter des mesures de publicité du contrat.

Quels sont les moyens invocables par les parties ?
Les tiers privilégiés peuvent se prévaloir de tous moyens contre le contrat (= tout motif d’irrégularité du contrat).
Les autres ne peuvent invoquer que les vices qui sont en rapport direct avec l’intérêt dont ils se prévalent ou les vices d’une gravité telle que le juge devait les relever d’office.

Que peut faire le juge ?
Ici, on ne retrouve pas la loyauté contractuelle.
Il peut décider la poursuite de l’exécution du contrat (possiblement sous réserve de l’édiction de mesures de régularisation par les parties).
Il peut prononcer l’annulation du contrat pour l’avenir (tout en prenant en compte l’intérêt général, suivant la jurisprudence Béziers 1).
Si l’intérêt général le permet, il peut prononcer l’annulation rétroactive lorsqu’il y a une irrégularité grave (contenu illicite ou vice d’une particulière gravité entachant le consentement donné par les parties).

Exemple : Conseil d’État, 2019, SAGEM :
Après avoir constaté que des manquements graves lors de la mise en concurrence révélaient une volonté de la puissance publique de favoriser un candidat, le juge prononce l’annulation rétroactive du contrat.

Il est possible d’assortir cette action en contestation de la validité du contrat d’un référé suspension de l’exécution du contrat.

On a vu précédemment que dans l’hypothèse où un administré considère qu’un contrat est irrégulier, qu’il demande à l’administration d’y mettre fin et qu’elle refuse, il doit saisir le juge du plein contentieux, parce que le REP n’est plus possible.
Conseil d’État, 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche :
Le Conseil d’État précise les moyens qui peuvent être invoqués par le requérant au soutien de cette action devant le juge du contrat, en mentionnant 3 moyens :

  1. Le moyen tiré de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à l’exécution du contrat du fait de dispositions législatives applicables au contrat en cours ;
  1. Le moyen tiré de ce que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devait relever d’office ;
  1. Le moyen tiré de ce que l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général.

En revanche, le requérant ne peut pas se prévaloir de l’irrégularité relative aux conditions ou à la forme de la décision de refus de résiliation.
Enfin, pour l’ensemble des moyens, le requérant doit se prévaloir d’un vice en rapport direct avec ses intérêts.
Si la résiliation du contrat ne porte pas atteinte à l’intérêt général, le juge pourra pourra mettre fin à l’exécution du contrat (de manière rétroactive ou non).


2) La validité des mesures d’exécution du contrat

On s’intéresse ici à la contestation par les parties des mesures d’exécution du contrat.
Là encore, la jurisprudence du Conseil d’État a connu une évolution.

Jusqu’en 2011, il n’était pas possible pour les parties au contrat d’obtenir l’annulation des mesures d’exécution du contrat.
Dès lors qu’il y avait un litige et éventuellement une irrégularité d’une des mesures d’exécution du contrat prises par l’administration, le litige se réglait sur le terrain indemnitaire.
Autrement dit, lorsque le juge constatait d’une mesure prise par l’administration au cours de l’exécution du contrat était irrégulière, le cocontractant de l’administration pouvait engager la responsabilité éventuelle de l’administration.

La situation évolue avec l’arrêt :
Conseil d’État, 2011, Commune de Béziers (”Béziers 2”) :
Le Conseil d’État précise que le cocontractant de l’administration peut contester la validité de la décision de résilier un contrat administratif.
Il peut demander, si cette résiliation est illégale, que soit ordonnée la reprise des relations contractuelles.

Cela marque une rupture : le juge administratif avait toujours préféré ne pas imposer à l’administration l’exécution d’un contrat qu’elle ne voulait pas.

Pour garantir l’effectivité de cette demande, il est possible d’assortir la contestation de la validité de la décision de résiliation d’un référé suspension (prévu à l’article L521-1 du CJA).

Le juge doit prendre en compte 2 considérations :

  1. La gravité des vices qui entachent la décision de résiliation.
    Seuls les vices graves concernant la régularité de cette décision sont susceptibles de justifier la reprise des relations contractuelles.
    Si c’est un vice qui n’est pas grave, le litige se règlera sur le terrain indemnitaire.
  1. La prise en compte des intérêts en présence.
    Il ne faut pas que la reprise des relations contractuelles porte une atteinte excessive à l’intérêt général.
    + Il ne faut pas que cette décision porte une atteinte excessive aux intérêts des tiers (par exemple : si l’administration a contracté avec une autre société).

2 possibilités s’offrent ensuite au juge :

  1. L’annulation de la décision de résiliation, et donc la reprise des relations contractuelles à la date que le juge détermine lui-même ;
  1. L’indemnisation du cocontractant de l’administration.

Précision : pour les mesures d’exécution du contrat autres que la résiliation unilatérale, le litige ne peut se résoudre que sur le terrain indemnitaire.
On ne peut pas solliciter l’annulation de ces autres mesures d’exécution.
Conseil d’État, 13 juillet 2022, (Renouvellement du contrat) :
Le Conseil d’État rappelle la solution de Béziers 2 : le refus de l’administration de renouveler un contrat ne peut pas être annulé.
Ce type de décisions doit être contesté sur le terrain indemnitaire.

B – Le contentieux de la réparation

On distingue 4 types de responsabilité :

  1. La responsabilité contractuelle pour faute : l’administration prend une mesure d’exécution irrégulière pour laquelle on demande une réparation.
    Exemple : l’arrêt du 13 juillet 2022 cité précédemment.
  1. La responsabilité contractuelle sans faute : l’administration a utilisé ses prérogatives au sein du contrat en modifiant unilatéralement le contrat pour un motif d’intérêt général.
    Dans cette hypothèse, le cocontractant de l’administration a droit à une réparation intégrale de son préjudice.
    Les termes de l’indemnité sont parfois prévus par le contrat.
  1. La responsabilité quasi contractuelle ou quasi délictuelle : le juge constate des irrégularités dans le contrat + un vice d’une telle gravité que le contrat est nul → il met fin au contrat.
    La réparation est possible, mais pas sur le fondement du contrat. Par exemple, le cocontractant pourrait chercher à être indemnisé sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
  1. La responsabilité délictuelle : regroupe les hypothèses où un tiers souhaite obtenir réparation.
    Exemple : un concurrent illégalement évincé à la suite d’une procédure irrégulière.

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