Chapitre 13 : Le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires

Cliquer ici pour revenir au sommaire de ce cours complet de droit administratif (L2).

Ce principe s’est progressivement imposé à la fin du 19ème siècle et constitue le principe fondateur de la séparation des compétences entre les 2 juges.

Ce principe procède de 2 textes adoptés sous la Révolution française :

  1. L’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 ;
  1. Le décret du 16 fructidor an 3.

Ces 2 textes posent un principe de non-ingérence des juridictions judiciaires dans les fonctions administratives.
Ils sont encore en vigueur aujourd’hui.

Ce principe s’est imposé à la fin du 19ème siècle, notamment avec l’arrêt Blanco du Tribunal des conflits (1873), qui est devenu la source principale de la répartition des compétences entre les 2 juges.
En effet, cet arrêt Blanco met fin à la théorie de l’état débiteur, dont on déduisait la compétence exclusive du juge administratif dès lors qu’il s’agissait de condamner l’État à une obligation pécuniaire → élargit la compétence du juge administratif.

Conseil constitutionnel, 1987, Conseil de la concurrence :
Le Conseil constitutionnel affirme que le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires n’a pas valeur constitutionnelle.
En revanche, il dégage un PFRLR : “en dehors des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, seul le juge administratif est compétent pour connaître des recours tendant à l’annulation ou à la réformation des décisions prises par les personnes publiques dans l’exercice des prérogatives de puissance publique.”
→ La compétence du juge administratif pour “annuler et réformer” les décisions administratives est un PFRLR.

Cette décision ne remet pas en cause le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
Ce qu’apporte ce PFRLR, c’est qu’il “contribue à sanctuariser une partie des compétences du juge administratif” → la loi ne peut plus faire n’importe quoi.
Néanmoins, le législateur peut créer des blocs de compétence juridictionnelle dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Section 1 : Définition du principe

§ 1. Un principe d’interprétation variable

Dans un 1er temps, l’interprétation de ce principe repose sur un critère organique : toutes les décisions de l’État échappent au contrôle du juge judiciaire.

D’autres critères ont ensuite été pris en compte :

  • Le critère formel = la nature de la technique mobilisée par l’administration.
    Clause exorbitante, prérogatives de puissance publique…
  • Le critère matériel = la nature de la finalité de l’administration.

Au début du 20ème siècle, un certain nombre d’auteurs ont avancé l’idée qu’1 critère unique permettait désormais d’interpréter le principe de séparation : le critère du service public (= un critère matériel).
Cette idée est mise en avant par “l’École du service public”, menée notamment par Léon Duguit.

Léon Duguit s’est tourné vers l’arrêt Blanco (1873), dans lequel le Tribunal des conflits affirme que la responsabilité qui peut incomber à l’État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes issus du Code civil”.

Ce critère matériel du service public existe bien, mais il n’a jamais joué un rôle exclusif dans la répartition des compétences entre les 2 ordres de juridiction, comme en attestent :

  1. Tribunal des conflits, 1921, Société commerciale de l’Ouest africain (Bac d’Eloka) :
    Il y a des services publics à gestion privée (→ SPIC) dont le contentieux est rattaché au juge judiciaire.
  1. Conseil d’État, 1942, Monpeurt :
    Des services publics administratifs (SPA) peuvent être gérés par des personnes privées. Dans ce cas-là, leur contentieux relève largement du juge judiciaire.

Dans les 2 cas, on a un service public dont le contentieux relève du juge judiciaire.

§ 2. Interprétation actuelle du principe

A – Problématique générale

Pour assurer la mise en œuvre de ce principe de séparation, il y a 2 méthodes envisageables :

  1. La méthode synthétique : on tient compte de la nature de l’activité en cause dans le litige.
    En fonction de l’activité, elle est entièrement soumise au droit public (→ juge administratif) ou entièrement soumise au droit privé (→ juge judiciaire).

    Cette méthode valorise le critère matériel : c’est la nature de l’activité qui détermine le droit et le juge compétent.

  1. La méthode analytique : on tient compte des différents éléments qui concrétisent l’activité en cause dans le litige.
    La mise en œuvre du principe de séparation suppose de déterminer si tel acte est un acte administratif ou un acte de droit privé, si tel bien est un bien public ou privé…

    Cette méthode prend aussi en compte les critères formel et organique.

Concrètement, c’est pour l’essentiel la méthode analytique qui a prévalu dans l’application du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

Par exemple, il aurait été possible que, dès lors qu’il y a une activité qui est un SPIC, alors le droit privé s’applique et le juge judiciaire est compétent.

Traditionnellement, c’est effectivement le cas.
Voir notamment : Conseil d’État, 1961, Campanon-Rey :
Le Conseil d’État considère qu’un contrat entre un SPIC et un usager relève de la compétence du juge judiciaire, même s’il comporte une clause exorbitante du droit commun.
Cela laisse entendre qu’on est indifférent au critère formel : la présence d’une clause exorbitante du droit commun.

Cependant, les choses ne sont pas aussi simples.
Par exemple : Conseil d’État, 1957, Jalenques de Labeau :
Si un SPIC est géré par un établissement public, son directeur aura la qualité d’agent public → le juge administratif est compétent.

Autre exemple : Tribunal des conflits, 1968, Barbier :
Les actes unilatéraux règlementaires des SPIC relatifs à l’organisation du service public sont des actes administratifs → le juge administratif est compétent.

On en conclut que le raisonnement mobilisé pour déterminer la juridiction compétente : la compétence suit la notion.
Autrement dit, la détermination de la compétence juridictionnelle dépend d’une opération de qualification préalable d’une activité, d’un acte ou d’un bien.

B – Mise en œuvre

Conseil d’État, 1961, Magnier :
Lorsqu’un SPA est géré par une personne privée, ses actes sont des actes administratifs lorsqu’ils manifestent l’exercice de prérogatives de puissance publique.

Comment ce principe de séparation est-il appliqué lorsqu’est en cause le service public de la justice judiciaire ?

Tribunal des conflits, 1952, Préfet de la Guyane :
Le juge judiciaire est compétent dès lors qu’est en cause l’exercice de la fonction juridictionnelle.
Lorsqu’est en cause l’organisation du service public de la justice judiciaire, c’est le juge administratif qui est compétent.

Il en résulte que le juge administratif est parfois compétent pour connaître de décisions prises par des magistrats de l’ordre judiciaire.
Exemple : Conseil d’État, 1975, Volff et Exertier :
Un chef de juridiction est amené à noter ses magistrats. La notation d’un magistrat relève de l’organisation du service public de la justice judiciaire → le juge administratif est compétent.

Conseil d’État, 2016, Le Pen :
Était en cause la HATVP, une AAI qui est amenée à contrôler le patrimoine des élus.
En contrôlant le patrimoine de Marine le Pen, elle relève des incohérences susceptibles de relever du droit pénal ; elle saisit le procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale (qui oblige les fonctionnaires à dénoncer à la justice les infractions dont ils ont connaissance).
Marine le Pen engage un recours contre cette décision de la HATVP ; le juge compétent pour en connaître est le juge judicaire, parce que la saisine du procureur de la République est susceptible d’entraîner des poursuites pénales → fonction juridictionnelle assurée par le juge judiciaire.
→ Une décision d’une AAI est susceptible de relever du juge judiciaire.

Exemple d’actes qui sont détachables de la fonction juridictionnelle : création d’un tribunal, sanctions prises contre des magistrats…

Exemples d’actes qui ne sont pas détachables de la fonction juridictionnelle : les actes juridictionnels, toutes les opérations relevant de la police judiciaire, les mesures tendant à la saisine des tribunaux…

Il y a des domaines dans lesquels il peut être difficile de départager, par exemple pour les actes relatifs au fonctionnement interne des juridictions.
Aujourd’hui, on constate une tendance du Tribunal des conflits à se rattacher à la compétence du juge judiciaire lorsqu’il y a un doute.

Exemple : Conseil d’État, 2010, Syndicat de la Magistrature :
Le 1er président d’une cour d’appel procède à la répartition des magistrats dans les différentes chambres → ressemble à l’organisation du service public de la justice judiciaire.
Mais le Conseil d’État considère que cette question met en cause la fonction juridictionnelle → le juge judiciaire est seul compétent pour en connaître.

Exemple : Tribunal des conflits, 8 février 2021, (box) :
Installation d’un box dans la salle d’audience d’une juridiction, permettant d’isoler le prévenu.
Cette décision relève du juge judiciaire, parce qu’elle concerne les conditions de déroulement de l’audience et les modalités de comparution du prévenu pendant cette audience.

Il y a aussi des difficultés sur les actes qui sont en rapport avec l’exécution des décisions du juge judiciaire :

  1. Lorsqu’on souhaite contester le refus d’un préfet d’apporter le concours de la force publique à l’exécution d’une décision du juge judiciaire, le juge administratif est compétent.
    En effet, on considère que la loi laisse une certaine marge d’appréciation au préfet (voir jurisprudence Couitéas) → décision qui relève de la compétence du juge administratif.
  1. Le contentieux pénitentiaire est principalement administratif.

    Le juge judiciaire reste compétent pour connaître des décisions qui mettent en cause la nature et les limites d’une peine infligée par le juge pénal et “dont l’exécution est assurée à la diligence du ministère public”.
    Donc les contentieux concernant la libération conditionnelle, le calcul des réductions de peine, la suspension du droit de visite… sont des contentieux judiciaires.

Dernier exemple qui illustre les subtilités de l’application de la jurisprudence Préfet de la Guyane :
Conseil d’État, 2011, Beaumont :
Un détenu est placé sous le régime de placement sous surveillance électronique et est confronté à des dysfonctionnements de son bracelet électronique qui lui compliquent la vie.
Il engage une action devant le juge administratif demandant à ce que ce bracelet électronique soit remplacé ou retiré.
Le Conseil d’État répond que son action est partiellement mal orientée : la décision de son placement sous bracelet électronique dépend du juge judiciaire ; mais le juge administratif est compétent pour connaître des dysfonctionnements du dispositif de surveillance électronique.

Section 2 : Les altérations du principe

La décision Conseil de la concurrence a mis en valeur les 2 types d’exceptions de ce principe.
Le Conseil constitutionnel y pose un PFRLR, mais précise qu’il ne s’applique pas dans 2 hypothèses :

  1. Il y a des contentieux qui relèvent “par nature” du juge judiciaire (§ 1) ;
  1. Le législateur, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, “peut unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein d’un ordre juridictionnel principalement intéressé” (§ 2).

§ 1. Les contentieux réservés par nature à l’autorité judiciaire

A – Le protection de la propriété et de la liberté individuelle

La sauvegarde de la liberté individuelle et la protection de la propriété privée entrent dans les attributions du juge judiciaire.
Cette idée interfère dans l’application du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

L’article 66 de la Constitution érige le juge judiciaire en gardien de la liberté individuelle :
”L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.”
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel considère que les compétences du juge judiciaire pour la protection de la propriété privée relève des PFRLR.

Cette idée se traduit par des textes législatifs et des jurisprudences qui attribuent des contentieux au juge judiciaire.

L’interprétation de cet article 66 par le Conseil constitutionnel a évolué dans le temps, de telle sorte que la compétence du juge judiciaire qui en résulte s’est contractée.

Conseil constitutionnel, 1999, n°99-411 :
Extrait de la notion de liberté individuelle la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile, le respect de la vie privée… pour les protéger sur d’autres fondements.
Il en résulte une contraction de la notion.
Aujourd’hui, la liberté individuelle, c’est la protection contre la privation de liberté.

1) Les textes

3 exemples de textes qui illustrent l’idée que le juge judiciaire est le gardien de la liberté individuelle et de la propriété privée :

  1. L’admission en soins psychiatriques sans consentement : hypothèse dans laquelle une personne est internée de force dans un établissement psychiatrique sur décision du préfet ou du directeur de l’établissement (personnes dangereuses pour les autres ou pour elles-mêmes).
    L’article L3216-1 du Code de la santé publique dispose : “La régularité des décisions administratives prises [en matière d’admission en soins psychiatriques sans consentement] ne peut être contestée que devant le juge judiciaire”.
  1. Depuis une loi de 1981 aujourd’hui intégrée au CESEDA, il est possible de placer un étranger en rétention administrative en attendant de pouvoir procéder à son éloignement.
    L’article L741-10 du CESEDA dispose que le juge compétent pour connaître des recours contre les décisions de placement en rétention administrative est le juge des libertés et de la détention, alors même que c’est une décision de l’administration.
  1. La procédure d’expropriation pour utilité publique.
    Cette procédure est entièrement administrative, mais le juge compétent pour prononcer l’expropriation et en fixer l’indemnité est le juge judiciaire.

2) Les jurisprudences

a) La voie de fait

Il y a voie de fait lorsqu’une décision ou une action de l’administration porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté individuelle ou conduit à l’extinction d’un droit de propriété.

Tribunal des conflits, 2013, Bergoend :
Marque une contraction de la théorie de la voie de fait, pour 2 raisons :

  1. Depuis les années 2000, le juge administratif est doté de pouvoirs nouveaux qui rendent la voie de fait moins utile, avec notamment le référé liberté introduit par la loi du 15 juin 2000.
  1. Le Tribunal des conflits a fait le choix d’aligner la compétence du juge judiciaire en matière de voie de fait sur la nouvelle définition constitutionnelle de la liberté individuelle.

→ Évolution de la théorie jurisprudentielle de la voie de fait.

Les conditions de la voie de fait :

Il faut d’abord une atteinte grave à la liberté individuelle ou l’extinction d’un droit de propriété.
C’est sur ce point que porte la contraction de l’arrêt Bergoend.
Avant l’arrêt Bergoend, la voie de fait était constituée dans l’hypothèse d’une atteinte grave à une liberté fondamentale (pas seulement à la liberté individuelle) ou en cas d’atteinte grave au droit de propriété (pas seulement en cas d’extinction).
→ Double contraction.

Par exemple, avant l’arrêt Bergoend, la voie de fait pouvait être invoquée en cas d’atteinte à la liberté de la presse, à la liberté d’expression…
Désormais, elle ne peut jouer qu’en cas d’atteinte à la liberté individuelle.

De même, avant l’arrêt Bergoend, la voie de fait pouvait jouer en cas d’implantation d’un ouvrage public sans autorisation.
Désormais, ça n’est plus possible.

Exemple : Civ. 1, 19 mars 2015 :
Était en cause une entrave à la liberté syndicale. Le requérant invoquait la voie de fait pour les juridictions judiciaires.
La Cour de cassation constate que la liberté syndicale n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution → la voie de fait ne peut pas jouer.

Exemple : Cour de cassation (Assemblée plénière), 2019, Lambert :
Les parents de Vincent Lambert considèrent que la décision du médecin d’interrompre le traitement est constitutif d’une voie de fait et souhaite donc que le juge judiciaire intervienne.
L’Assemblée plénière retient que la voie de fait ne joue qu’en cas d’atteinte à la liberté individuelle ; or l’affaire Lambert met en cause le droit à la vie.

Exemple : Civ. 1, 15 juin 2022, (gamètes) :
Un jeune homme dépose ses gamètes dans une banque de sperme puis décède.
En France, il y a un principe de prohibition de l’insémination post mortem.
Sa mère souhaite obtenir la restitution des gamètes, notamment devant le juge judiciaire en invoquant la voie de fait.
Est-ce que la non restitution des gamètes est constitutive de la privation d’un droit de propriété ou de la liberté ?
La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel : les gamètes humaines ne constituent pas un bien, on ne peut donc pas parler d’un droit de propriété ; par ailleurs, la liberté de procréer n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle.

Concernant l’atteinte manifestement illégale : il y a plusieurs hypothèses :

  1. Lorsqu’est en cause l’exécution d’office d’une décision administrative dans des conditions irrégulières.
    Exécution d’office = elle n’a pas demandé l’autorisation d’un juge.

    💡
    En principe, lorsque l’administration prend une décision et que celle-ci rencontre une résistance, elle ne peut pas procéder d’office à son exécution. Elle doit d’abord demander l’autorisation à un juge.

    Mais il y a 3 hypothèses dans lesquelles l’administration peut procéder d’office à l’exécution forcée de cette décision. Ces hypothèses résultent de l’arrêt :

    Tribunal des conflits, 1902, Société immobilière Saint-Just :
    1- Lorsque la loi le prévoit ;
    2- Lorsqu’il y a urgence ;
    3- Lorsqu’il n’y existe pas d’autres voies de droit pour assurer l’exécution de cette décision.

    Exemple : Tribunal des conflits, 1998, Préfet de la Guadeloupe / TGI de Basse Terre :
    Un cyclone détruit des habitations illégalement construites. Un arrêté municipal interdit les travaux de reconstruction d’habitations illégales.
    Certaines personnes ne respectent pas cet arrêté, et des agents municipaux viennent détruire l’une de ces habitations reconstruites en infraction.
    Le Tribunal des conflits relève qu’aucun texte n’autorisait cette destruction, qu’il n’y avait pas d’urgence pour agir et qu’il existe des voies de droit pour agir → exécution forcée dans des conditions irrégulières → il y a voie de fait.

  1. Lorsqu’est en cause la décision elle-même : la décision est “insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’administration”.
    Idée : toute illégalité ne justifie pas la voie de fait ; il faut une illégalité d’une particulière gravité.

    L’appréciation de la voie de fait dans ce contexte est assez délicate.
    L’administration doit avoir utilisé un pouvoir dont elle ne dispose pas dans le cadre de l’exercice de la compétence en cause.

    Exemple : Tribunal des conflits, 2001, Mohamed / Ministre de l’Intérieur :
    Était en cause le refus des autorités françaises de restituer son passeport à une ressortissante étrangère. Il a été considéré que cette décision était manifestement illégale et constitutive d’une voie de fait, parce que même si l’administration peut retenir le passeport d’une personne dans certaines situations, ça n’était pas possible dans le cadre de la compétence à l’œuvre (police des étrangers).

La mise en œuvre de la voie de fait :

La voie de fait a essentiellement des conséquences sur la répartition des compétences entre les 2 ordres de juridiction.
Idée de la voie de fait : donner compétence au juge judiciaire pour mettre fin à la voie de fait et pour éventuellement en réparer les conséquences préjudiciables.

⚠️ L’existence d’une voie de fait ne prive pas le juge administratif de tout pouvoir.
Il peut toujours être saisi dans le cadre d’un REP d’une demande d’annulation d’une décision entachée de voie de fait = le REP reste possible (Tribunal des conflits, 1966, Guigon).
De même, par ailleurs, il reste possible de saisir le juge administratif d’un référé liberté (Conseil d’État, 2013, Commune de Chirongui).

En revanche, seul le juge judiciaire peut connaître de l’action tendant à la réparation des conséquences dommageables de la voie de fait.

Que peut faire le juge judiciaire ?
Le juge judiciaire a une plénitude de juridiction : il peut apprécier la légalité d’un acte administratif + il peut prononcer des injonctions à l’égard de l’administration + il a compétence exclusive pour réparer les conséquences dommageables de la voie de fait.

Jusqu’à la mise en place du référé liberté en 2000, il y avait un principe très prégnant en droit administratif : le juge administratif ne pouvait pas prononcer d’injonctions à l’égard de l’administration. Il n’y avait pas non plus de procédure d’urgence permettant d’obtenir rapidement des injonctions. La voie de fait avait donc une grande importance.

b) L’emprise irrégulière

La théorie de l’emprise irrégulière est une autre théorique jurisprudentielle qui contribue à donner compétence au juge judiciaire alors qu’est en cause une décision de l’administration.

L’emprise irrégulière ne concerne que les atteintes à la propriété privée.
Cette théorie a vécu le même phénomène de contraction que la voie de fait : son équivalent de l’arrêt Bergoend est :

Tribunal des conflits, 2013, Panizzon / Commune de Saint-Palais :
Avant cette décision, la théorie de l’emprise irrégulière était importante, puisqu’elle pouvait jouer lorsque l’administration avait porté atteinte à la propriété privée par “une prise de possession irrégulière, totale ou partielle, provisoire ou définitive”.
Exemple : EDF implante un transformateur sur une propriété privée sans demander l’accord du propriétaire.

Désormais (depuis la décision Panizzon), l’emprise irrégulière n’est constituée qu’en présence d’une décision qui a pour effet l’extinction d’un droit de propriété.

Conséquences : Civ. 3, 18 janvier 2018 :
La Cour de cassation juge que la décision d’édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée n’est pas constitutive d’une situation d’emprise irrégulière, puisqu’elle n’a pas pour effet l’extinction du droit de propriété sur cette parcelle.

💡
La théorie de la voie de fait ne joue qu’en présence d’une atteinte manifestement illégale = une illégalité grave.
La théorie de l’emprise irrégulière peut jouer en présence d’une simple illégalité.

La théorie de l’emprise irrégulière peut-elle jouer en présence d’autres droits réels immobiliers que le droit de propriété ?
Oui : l’emprise irrégulière peut aussi jouer en présence de droits réels immobiliers.

Exemple type : dépossession d’une concession funéraire, qui paraît à l’abandon.
Exemple : bail emphytéotique = droit réel immobilier.

Lorsque la situation d’emprise irrégulière est avérée, le juge judiciaire a une compétence exclusive pour connaître des actions tendant à la réparation du préjudice subi (Civ. 1, 9 janv. 2007, Commune de Saint-Prix).
Mais le juge judiciaire ne peut pas contrôler lui-même la régularité d’une décision administrative.
Il ne dispose pas d’un pouvoir d’injonction à l’égard de l’administration.

La seule constatation de l’existence d’une emprise irrégulière donne droit à une indemnisation.

B – L’État et la capacité des personnes

Il s’agit d’un autre domaine qui relève en principe de la compétence du juge judiciaire.
Concrètement, cela signifie que le contentieux des actes de l’administration mettant en cause l’État et la capacité des personnes relève en principe de la compétence du juge judiciaire.

C – La nationalité

Les questions de nationalité des personnes physiques relèvent aussi par nature du juge judiciaire.
L’article 1038 du Code de procédure civile dispose en effet que “Le tribunal judiciaire est seul compétent pour connaître en premier ressort des contestations sur la nationalité française ou étrangère des personnes physiques”.

Conseil d’État, 2008, Machbour :
Concerne l’acquisition de la nationalité française par mariage.
Mais l’administration peut s’opposer, par un décret d’opposition, à l’acquisition de la nationalité française par mariage.

§ 2. Les titres de compétence institués par la loi

Le législateur fait parfois le choix d’instituer des blocs de compétence juridictionnelle au bénéfice du juge judiciaire ou du juge administratif.
Le Conseil constitutionnel considère depuis 1987 (décision Conseil de la concurrence) que cela est possible dans l’intérêt d’une “bonne administration de la justice”.

A – En matière contractuelle

En matière contractuelle, un certain nombre de textes interviennent pour attribuer la compétence du contentieux au juge administratif ou au juge judiciaire (voir supra).

Exemples :
L’article L6 du Code de la commande publique dispose que les contrats de commande publique conclus par des personnes publiques sont des contrats administratifs.
L’article L2331-1 du Code général des propriétés publiques prévoit que les contrats d’occupation du domaine public sont des contrats administratifs par détermination de la loi.
→ Compétence du juge administratif.

Exemple :
Les contrats aidés (= contrats visant à favoriser l’insertion des jeunes, chômeurs ; par exemple, “contrats d’avenir”) sont des contrats de droit privé.
→ Compétence du juge judiciaire.

B – En matière de responsabilité

La loi du 31 décembre 1957 confie le soin aux juridictions judiciaires de connaître les actions en responsabilité pour les dommages causés par les véhicules administratifs.

C – En matière économique

De nombreux contentieux des AAI relèvent de la justice judiciaire, parce qu’on considère traditionnellement que le juge judiciaire est le juge des victimes économiques.
Par ailleurs, les investisseurs peuvent être des étrangers, qui sont méfiants vis-à-vis de la juridiction administrative.

Exemple type : le contentieux des sanctions prises par l’Autorité de la concurrence.
L’article 464-8 du Code de commerce attribue à la cour d’appel de Paris la compétence pour connaître des recours contre les sanctions prises par l’Autorité de la concurrence.

Exemple : les recours contre les décisions prises par l’ARCEP.

D – En matière fiscale

Le contentieux des contributions directes (impôt sur les sociétés, sur le revenu…) est un contentieux administratif.
En revanche, le contentieux des contributions indirectes (droits de douane, droits d’enregistrement…) est attribué au juge judiciaire en vertu de l’article L199 du Livre des procédures fiscales.

E – Protection sociale

L’article L142-8 du Code de la sécurité sociale attribue au juge judiciaire l’essentiel du contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale.

Par exemple, le juge judiciaire est compétent pour connaître des litiges individuels relatifs aux relations entre les organismes de sécurité sociale et leurs affiliés ou les praticiens.

Le contentieux des actes règlementaires ou disciplinaires pris par la Sécurité sociale reste un contentieux administratif.

F – En matière de propriété intellectuelle

Depuis 2011, l’article L331-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique sont exclusivement portées devant le tribunal judiciaire.

Exemple type : une action en responsabilité engagée contre un établissement public qui aurait utilisé une photographie sans l’autorisation de son auteur doit être portée devant les juridictions judiciaires.

§ 3. Les questions accessoires au litige

Très souvent, à l’occasion d’une instance devant une juridiction, se pose une question dont la résolution relève en principe de l’autre ordre de juridiction.
Il y a 2 solutions possibles :

  1. On peut donner plénitude de juridiction au juge saisi du principal.
    Le risque, c’est qu’il développe une jurisprudence en contradiction avec celle du juge compétent.
  1. Le juge saisi du principal peut surseoir à statuer et envoyer la question accessoire au juge compétent.
    Le problème, c’est que cette solution est plus lente.

Un décret du 27 février 2015 s’est efforcé de fluidifier le système des questions préjudicielles.
Avant ce décret, c’était aux parties au litige de saisir la juridiction compétente d’une question préjudicielle.
Désormais, les juges s’adressent directement les questions entre eux.
Ce décret de 2015 établit aussi que les juges qui statuent sur les questions préjudicielles le font en premier et dernier ressort → les jugements rendus sur des questions préjudicielles ne sont plus susceptibles d’appel (la cassation reste possible).

A – Les questions préjudicielles devant le juge judiciaire

1) L’appréciation de la légalité des actes administratifs

Dans ce domaine, il faut distinguer :
> le juge civil et le juge pénal statuant sur les intérêts civils ;

> le juge pénal.

Concernant le juge civil et le juge pénal statuant sur les intérêts civils, le principe est l’obligation de renvoi, mais il y a des exceptions.

Tribunal des conflits, 1923, Septfonds :
En principe, le juge administratif demeure exclusivement compétent pour connaître de toute difficulté relative à l’interprétation et à l’appréciation de la légalité d’un acte administratif.
Mais nuance concernant l’interprétation : on considérait que le juge judiciaire était compétent pour statuer sur les difficultés d’interprétation des actes règlementaires.
Cette solution paraît logique : si le juge judicaire peut interpréter la loi, il peut interpréter les règlements.

Ce cadre général supporte des exceptions.
La jurisprudence était peu lisible, mais le Tribunal des conflits a simplifié les choses :

Tribunal des conflits, 2011, SCEA du Cheneau :
Il y a 2 hypothèses dans lesquelles le juge civil et le juge pénal statuant sur les intérêts civils peut lui-même trancher la question accessoire au litige :

  1. L’hypothèse justifiée par la bonne administration de la justice : le juge judiciaire peut apprécier lui-même la légalité d’un acte administratif dès lors que, au vu d’une jurisprudence bien établie du juge administratif, la contestation peut être accueillie par le juge civil du principal.

    Exemple : Tribunal des conflits, 2011, Société Green Yellow :
    Dans un contentieux devant le juge judiciaire, se pose la question de savoir si un principe de rétroactivité des actes administratifs devait s’appliquer dans l’affaire en cause.
    En l’espèce, il y a une jurisprudence bien établie → il n’est pas nécessaire de poser une question préjudicielle.

    Exemple : Civ. 1, 24 avril 2013, Commune de Sancoins :
    Était en cause la régularité d’un contrat administratif.
    La Cour de cassation a considéré qu’il n’était pas nécessaire de renvoyer la question au juge administratif, puisqu’il apparaissait, au regard d’une jurisprudence bien établie du Conseil d’État, que l’irrégularité invoquée n’était pas d’une gravité telle qu’il y avait lieu d’écarter l’application du contrat.
    (fait écho à la jurisprudence Béziers 1)

  1. Lorsqu’est en cause la compatibilité d’un acte administratif avec le droit de l’Union européenne, le juge saisi du principal pourra lui-même trancher cette question.
    S’il a un doute, il peut lui-même saisir la CJUE d’un renvoi préjudiciel en interprétation.

    CJCE, 1978, Simmenthal :
    Dès lors qu’un juge est confronté à la question de la comptabilité d’un acte interne avec le droit de l’Union européenne, il doit pouvoir lui-même écarter l’application de cet acte interne.

Concernant le juge pénal statuant sur l’intérêt public, il bénéficie de la plénitude de juridiction, qui lui est attribuée par l’article 111-5 du Code pénal :
“Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis.”

Cette solution a des implications importantes, parce qu’il y a de très nombreuses hypothèses dans lesquelles le non respect d’un acte administratif peut entraîner des poursuites pénales.
Article R610-5 du Code pénal :
”La violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe.”

En cas d’illégalité, le juge pénal ne fait qu’écarter l’application de l’acte dans l’affaire qu’il a à trancher.


2) L’appartenance d’un bien au domaine public

Lorsque, à l’occasion d’un litige devant le juge judiciaire, se pose la question de l’existence / de l’étendue / des limites / de la consistance du domaine public, il y a lieu à question préjudicielle.

B – Les questions préjudicielles devant le juge administratif

Le juge judiciaire bénéficie d’un titre de compétence (= c’est une matière qui lui est réservée par nature) :

  • Concernant les questions de nationalité des personnes physiques.

    Exemple : Conseil d’État, 1994, Gueye :
    Un consulat refuse d’immatriculer une personne comme ayant une nationalité française. M. Gueye exerce un recours contre ce refus.
    Il y avait un doute sur sa nationalité → le juge administratif renvoie cette question au juge judiciaire.

    C’est important, parce que tout le contentieux de la régularité du séjour et du droit d’asile dépend du juge administratif.

  • Concernant les questions de propriété.

    Lorsque, à l’occasion d’un litige administratif, il y a un doute pour savoir si tel bien appartient ou non à telle personne, il y a lieu à renvoi préjudiciel.
    ”Le juge judiciaire est le gardien naturel de la propriété privée”.

  • Concernant la licéité des actes juridiques de droit privé.

    Lorsque, à l’occasion d’un litige devant le juge administratif, se pose la question de l’interprétation de la légalité d’un acte juridique de droit privé (testament, convention collective…) :

    • Historiquement, il y a lieu à renvoi.
      Exemple : Conseil d’État, 2001, Polignac :
      Était en cause l’interprétation d’un testament. Le juge administratif renvoie la question au juge judiciaire.
    • Mais il peut y avoir un doute sur l’étendue de cette solution.
      Le juge administratif a fait le choix de transposer à cette hypothèse les principes de la jurisprudence SCEA du Cheneau, qui pose des dérogations à l’obligation de renvoi pesant sur le juge civil lorsque se pose la question de la licéité d’un acte administratif.

      Le juge administratif s’est inspiré de cette solution dans l’hypothèse inverse, en particulier dans les contentieux relatifs aux accords collectifs et conventions collectives.

      Conseil d’État, 2012, Fédération SUD Santé Sociaux :
      Il y a 3 hypothèses dans lesquelles le juge n’est pas tenu de renvoyer la question au juge judiciaire :

      1. La bonne administration de la justice (lorsqu’il apparaît au regard d’une jurisprudence bien établie du juge judiciaire que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal) ;
      1. Compatibilité de l’accord collectif ou de la convention collective avec le droit de l’UE : le juge administratif peut directement statuer sur la question et, si nécessaire, poser une question préjudicielle à la CJUE ;
      1. Nouvelle hypothèse !
        Lorsque le législateur a prévu que les mesures d’application d’une loi seront définies par un accord collectif, il appartient au juge administratif de se prononcer lui-même sur les moyens mettant en cause la légalité de l’accord.

Section 3 : Le règlement des conflits de compétence : le Tribunal des conflits

§ 1. Persistance des difficultés de compétence

Les difficultés de compétence existent toujours.
Elles sont récurrentes, et le législateur ne simplifie que rarement les choses.

Parfois, c’est le législateur lui-même qui crée une incertitude.
Exemple :
L’article L621-30 du Code monétaire et financier concerne les recours contre les décisions de l’AMF.
Cet article pose une règle de répartition des compétences assez subtile :
> le juge judiciaire est compétent pour les sanctions prononcées à l’égard des non professionnels ;
> le juge administratif est compétent pour les sanctions prononcées à l’égard des professionnels.

Problème : un analyste financier fait l’objet d’un recours contre sa sanction pour manquement d’initié. À l’occasion de ce recours, il explique que le juge administratif était incompétent parce que la sanction qui lui a été infligée n’est pas spécifique aux professionnels et peut aussi s’appliquer aux non professionnels.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a dû constater qu’il faut tenir compte de la qualité de la personne sanctionnée et non du caractère professionnel ou non de l’activité et donc de la sanction en cause.

Parfois, la complexité de la répartition des compétences découle de la cohabitation de plusieurs lois.
Exemple : Civ. 1, 23 février 2012 :
Est en cause une action en responsabilité engagée en raison des nuisances sonores en rapport avec le fonctionnement d’un héliport aéronaval.
2 lois peuvent ici s’appliquer :
> la loi du 28 pluviôse an 8, qui donne compétence au juge administratif dès lors qu’est en cause le contentieux lié au fonctionnement d’un ouvrage public ;
> la loi du 31 décembre 1957, qui donne compétence au juge judiciaire pour tous les dommages liés aux véhicules administratifs.

Parfois, la complexité découle de la cohabitation entre un texte législatif et la jurisprudence sur le principe de séparation.
Exemple : Tribunal des conflits, 7 juillet 2014 :
Un établissement public administratif porte atteinte au droit d’auteur d’un photographe.
2 titres de compétence envisageables :
> le juge administratif est compétent des actions en responsabilité contre les personnes publiques gérant un SPA ;
> l’article L331-1 du Code de la propriété intellectuelle crée un bloc de compétence au profit du juge judiciaire pour les questions de propriété intellectuelle.

§ 2. Résolution des difficultés de compétence

Le Tribunal des conflits a d’abord été créé en 1849 puis supprimé en 1852.
Il a ensuite été recréé par la grande loi du 24 mai 1872.

Une réforme d’ampleur a eu lieu en 2015, pour simplifier son organisation.

A – Composition

  • Membres :
    C’est une juridiction paritaire, composée de 4 représentants du Conseil d’État + 4 magistrats de la Cour de cassation.
  • Présidence :

    Jusqu’en 2015, le président du Tribunal des conflits était le ministre de la Justice. Il était chargé de trancher en cas d’égalité dans les voix, ce qui pouvait poser problème en matière d’impartialité.
    Affaire emblématique : Tribunal des conflits, 1997, Préfet de Police / Ben Salem :
    Opposition entre représentants du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Le ministre de la Justice tranche le conflit en faveur de la compétence du juge administratif, ce qui a créé des remous importants.

    Depuis 2015, le ministre de la Justice ne préside plus le Tribunal des conflits.
    La présidence est assurée en alternance par 1 conseiller d’État et par 1 membre de la Cour de cassation, pour 3 ans.

  • Formation élargie :
    En cas de partage des voix, l’affaire est soumise à une formation élargie composée des 8 membres habituels + 2 autres membres du Conseil d’État + 2 autres membres de la Cour de cassation.
  • Procédure accélérée :
    Lorsque la question de compétence appelle à une réponse évidente, le président du Tribunal des conflits, conjointement avec le doyen appartenant à l’autre ordre de juridiction, peut statuer par voie d’ordonnance.

B – Attributions

La réforme de 2015 a mis à jour les compétences du Tribunal des conflits, sans bouleverser les choses.

1) Prévention des conflits

2 hypothèses envisagées par la loi :

  1. La juridiction d’un ordre juridictionnel a décliné sa compétence par une décision insusceptible de recours. Un juge de l’autre ordre de juridiction est saisi et il estime que le litige relève de la compétence de l’autre ordre de juridiction.
    Ce second juge est obligé de renvoyer au Tribunal des conflits la question de compétence.
  1. Lorsqu’une juridiction est saisie d’un litige présentant une difficulté sérieuse de compétence, elle peut renvoyer cette question au Tribunal des conflits.
    Cette possibilité était réservée jusqu’en 2015 au Conseil d’État et à la Cour de cassation ; désormais, toute juridiction peut saisir le Tribunal des conflits d’une difficulté de compétence.

2) Règlement des conflits

Conflit positif :

Lorsque le juge judiciaire s’estime compétent pour connaître d’un contentieux alors que l’autorité administrative, représentée par le préfet, considère que c’est le juge administratif qui est compétent.
→ Cette procédure joue à sens unique.

Cette procédure ne joue pas en matière pénale. Elle concerne uniquement les contentieux impliquant les juridictions civiles.

En général, une action est engagée contre l’administration devant les juridictions judiciaires.
Le préfet estime que la question, principale ou accessoire, relève du juge administratif.
Il adresse à la juridiction judiciaire saisie un déclinatoire de compétence, qui est une demande formulée à juridiction de se déclarer incompétente, pour laisser le champ libre à la juridiction administrative.

La juridiction doit statuer sur le déclinatoire, mais elle ne le fait pas toujours.
Lorsque la demande du préfet n’a pas été suivie d’effet, celui-ci peut élever le conflit par la voie d’un arrêté de conflit dans un délai de 15 jours après la décision du juge judiciaire.
La juridiction concernée doit surseoir à statuer. Le dossier est transmis au Tribunal des conflits, qui doit se prononcer dans un délai de 3 mois.

Conflit négatif :

Les 2 ordres de juridiction se déclarent incompétents.
Les parties peuvent saisir le Tribunal des conflits pour que celui-ci désigne la juridiction compétente, en déclarant nul l’un des jugements d’incompétence.

Cette hypothèse est assez rare.


3) Contrariété des décisions

2 décisions définitives contradictoires sont rendues par le juge administratif et le juge judiciaire pour des litiges portant sur le même objet.
Les parties peuvent alors saisir le Tribunal des conflits, qui peut alors trancher l’affaire au fond.


4) Durée excessive d’une procédure juridictionnelle

Cette compétence est nouvelle (elle date de 2015).

Les contribuables ont un droit à un délai raisonnable de jugement.
Lorsqu’une personne considère que la procédure juridictionnelle l’impliquant a une durée excessive, elle peut engager une action en responsabilité pour demander réparation du fait de la durée excessive de la procédure.

Problème : parfois, la durée excessive relève du fait que les 2 ordres juridictionnels doivent se prononcer.
Qui est le juge compétent lorsque l’action en responsabilité est soumise à la fois au juge judiciaire et au juge administratif ?

Pendant longtemps, on a considéré que le juge compétent était celui principalement saisi de l’affaire.
Puis, en 2015, il a été décidé d’attribuer au Tribunal des conflits la compétence pour connaître des actions en responsabilité tenant à la réparation des atteintes au droit à un délai raisonnable de jugement lorsque la procédure s’est déroulée à la fois devant le juge administratif et devant le juge judiciaire.

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