Chapitre 12 : La mise en œuvre de la responsabilité

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Section 1 : L’action en responsabilité

§ 1. Compétence juridictionnelle

Principe : dès lors qu’est en cause la responsabilité d’une personne publique, le juge administratif est compétent pour en connaître.

Exceptions : il y a des hypothèses où le juge judiciaire est compétent pour connaître d’une action en responsabilité contre une personne publique :

  1. La responsabilité pour les dommages survenus à l’occasion du fonctionnement de la justice judiciaire (jurisprudence Préfet de la Guyane) ou lors d’une opération de police judiciaire ;
  1. Les dommages causés par la gestion du domaine privé ;
  1. Les dommages causés par la gestion d’un SPIC, sauf en ce que le dommage trouve sa cause dans l’exécution de travaux publics ou dans le fonctionnement d’un ouvrage public ;
  1. La responsabilité des personnes publiques dans les hypothèses de voie de fait et d’emprise irrégulière (voir suite du cours) ;
  1. Lorsque le législateur le prévoit.
    Exemple : loi du 31 décembre 1957 concernant les dommages provoqués par les véhicules de l’administration.

§ 2. Action collective

L’action en responsabilité a vocation à être portée par la victime directe, ou éventuellement par une victime par ricochet.
Lorsque la victime décède, son action tombe dans le patrimoine de ses ayants droits et héritiers.

Il existe en droit administration plusieurs types d’actions collectives :

  1. La requête collective peut être engagée par plusieurs personnes placées dans une situation juridique identique et confrontées au même fait dommageable.

    Exemple type : une personne décède au cours d’une opération médicale ; ses proches vont engager une requête collective.

  1. Les actions engagées par les associations.
    Les associations peuvent agir en leur nom pour défendre les intérêts collectifs dont elles entendent assurer la défense.
    Il s’agit souvent d’obtenir la réparation d’un préjudice moral consécutif à la lésion de l’intérêt collectif que l’association cherche à défendre.

    Exemple : “affaire du siècle”, qui vise à faire agir l’État sur le domaine du climat.

  1. L’action de groupe a été mise en place par la loi du 18 novembre 2016 dans certains domaines qui concernant l’administration : lutte contre la discrimination, santé publique, environnement…

    Elle concerne l’hypothèse de plusieurs personnes placées dans une situation similaire qui subissent un dommage causé par une personne publique ayant pour cause commune un manquement de même nature à une obligation légale ou contractuelle.

    Cette action est portée par une association ou un syndicat.
    Le juge statue sur la responsabilité du défendeur ; il définit le groupe de personnes à l’égard desquels la responsabilité du défendeur est engagée, en fixant les critères de rattachement au groupe ; il détermine quels préjudices pourront être réparés ; il définit un délai durant lequel les personnes remplissant les critères peuvent adhérer au groupe pour obtenir réparation.

    Exemple : un texte de loi relatif aux pensions de certains agents de la fonction publique est discriminatoire à l’égard des femmes ; un syndicat engage une action de groupe pour obtenir réparation des préjudices subis.

    Aujourd’hui (mars 2023), aucune action de groupe n’est parvenue à son terme devant le juge administratif.

§ 3. Procédure

La règle de la décision préalable figure à l’article R421-1 du CJA.
La juridiction administrative ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision dans les 2 mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Cette règle n’est pas très surprenante dans le cadre d’un REP.
Ce qui est surprenant, c’est qu’elle s’applique également dans le cadre de l’action en responsabilité.

Concrètement, cela signifie qu’une personne qui estime avoir subi un dommage du fait de l’administration ne peut pas directement engager une action en responsabilité contre l’administration ; elle doit d’abord saisir l’administration d’une demande d’indemnisation, puis faire un recours de la décision implicite de rejet de sa demande.
Si ce processus n’est pas suivi, l’action est considérée comme irrecevable et la rejette.

Cette règle est d’application générale en droit administratif, mais le Conseil d’État en a une approche pragmatique.
Il a notamment jugé qu’un requérant qui engage une action en responsabilité contre une commune sans avoir respecté la règle de la décision préalable peut saisir l’administration d’une demande d’indemnisation en cours d’instance avant que le TA ne se prononce.

Section 2 : La réparation

§ 1. Le droit à réparation

A – Exercice

L’exercice de l’action n’est pas forcément porté par l’action elle-même.
Ce sont souvent des ayants droits qui portent l’action de la victime.

Parfois, les assureurs ou les caisses de sécurité sociale sont subrogés dans les droits de la victime qu’ils ont indemnisé au préalable.

B – Privation

Il y a des hypothèses dans lesquelles les conditions d’engagement de la responsabilité sont réunies, mais le juge ne va pas réparer le préjudice en raison de la situation particulière de la victime.
Autrement dit, la victime ne peut pas, compte tenu de sa situation, se prévaloir d’un droit à la réparation.

Cette hypothèse renvoie à 3 situations distinctes :

  1. L’exception d’irrégularité est l’hypothèse dans laquelle la victime est dans une situation irrégulière qui ne lui permet pas de se prévaloir d’un droit à réparation.

    Exemple emblématique : Conseil d’État, 1980, SARL Cinq-Sept :
    Une boîte de nuit est ravagée par un incendie terrible en 1970, ce qui cause 146 morts.
    Il est apparu que les gérants de la discothèque avaient commis de multiples manquements aux règles de sécurité et sont condamnés au civil et au pénal.
    Ils tentent cependant d’engager une action en responsabilité contre la commune, en soutenant qu’elle n’aurait pas pris les mesures de contrôle suffisantes à l’égard de la discothèque.
    Le Conseil d’État rejette cette action, en soutenant que la société ne pouvait pas, compte tenu de sa situation, se prévaloir d’une faute lourde de la commune.

    Autre exemple : des gendarmes mettent feu à des paillotes illégales sur les plages corses dans les années 2000 (ce qui avait provoqué un scandale d’ampleur).
    Le propriétaire d’une de ces paillotes, qui occupait illégalement une dépendance du domaine public, engage une action en responsabilité contre l’État pour obtenir réparation du préjudice subi. Là encore, compte tenu de sa situation, le juge administratif rejette l’action.

  1. L’exception de précarité renvoie au principe en droit administratif des biens suivant lequel les autorisations d’occupation du domaine public sont précaires (= l’administration peut y mettre fin à tout moment).
    Il n’est pas possible pour le titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine public de solliciter réparation du préjudice qu’il subirait du non-renouvellement d’une telle autorisation.
  1. L’exception d’acceptation des risques existe encore en droit administratif.
    La victime qui s’est sciemment exposée à un danger n’est pas fondée à en demander réparation lorsqu’il en résulte un dommage pour elle.

    Exemple : une voiture est victime d’une avalanche sur une route, mais le conducteur n’avait pas respecté la signalisation indiquant les dangers ; il ne peut pas bénéficier d’une réparation devant la juridiction administrative.

    Exemple : un surfeur réunionnais est attaqué par un requin ; le juge relève qu’il était expérimenté, qu’il connaissait les lieux et les informations fournies par les autorités publiques avertissant des risques graves, et qu’il est y est quand même allé → il ne pouvait pas ignorer les risques → ce dommage est imputable à sa seule imprudence.

§ 2. La nature de la réparation

A – Principe de réparation par équivalent

Principe : réparation par équivalent = réparation sous forme monétaire.
L’administration est condamnée à indemniser la victime en lui versant une somme d’argent, que l’on appelle dommages et intérêts.
Ce versement peut prendre la forme d’un capital, ou parfois d’une rente (notamment lorsqu’est en cause la responsabilité médicale).

Dans quelques hypothèses, le juge administratif a parfois recours à la condamnation alternative : il laisse le choix à l’administration :

  • Soit de réparer le dommage par équivalent ;
  • Soit, si cela est possible, d’opérer cette réparation en nature.

B – Cessation de la cause du dommage

Quand on parle d’action en responsabilité, on a en général l’idée que cette action tend à obtenir la réparation d’un préjudice ; mais ce n’a jamais été la seule fonction de la responsabilité.
On lui agrège souvent la cessation de l’illicite → le juge ne fait pas qu’indemniser ; il veille aussi que la cause du dommage cesse.

Traditionnellement, le juge administratif de la responsabilité se montre réservé à l’idée de prononcer des injonctions à l’égard de l’administration.
Compte tenu de ce qu’il se passe en droit civil, le juge administratif a fini par évoluer sur ce sujet.

Conseil d’État, 2015, M. Baey / Commune d’Hébuterne :
”Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d’un préjudice imputable à un comportement fautif d’une personne publique et qu’il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut enjoindre à la personne publique de mettre fin à ce comportement ou d’en pallier les effets.”
On peut donc demander au juge de la responsabilité d’enjoindre à l’administration de faire cesser la cause du dommage.

Le Conseil d’État est allé plus loin :
Conseil d’État, 2019, Syndicat des copropriétaires du Monte Carlo Hill :
”Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l’exécution de travaux publics ou dans l’existence ou le fonctionnement d’un ouvrage public [→ peut être une action en responsabilité sans faute], il peut, saisi de conclusions en ce sens, s’il constate qu’un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s’abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures.”

Conseil d’État (avis), 2022, Société La Closerie :
Le Conseil d’État estime que ces conclusions en cessation du dommage présentées devant le juge administratif ne sont possibles qu’en complément de conclusions indemnitaires.

Cette évolution s’est donnée à voir dans l’Affaire du Siècle (jugée par le Tribunal administratif de Paris le 14 octobre 2021).
En l’espèce, les associations requérantes sollicitaient + la cessation de l’illicite qu’une indemnisation.
Sauf que l’action était fondée sur un texte du Code civil : article 1252, qui concerne le préjudice écologique : “Indépendamment de la réparation du préjudice écologique, le juge […] peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage.”

§ 3. L’étendue de la réparation

A – Principe de réparation intégrale

La victime a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’elle subit.
Cela apparaît comme une évidence, mais ça n’a pas toujours été le cas.

Les agents publics notamment, lorsqu’ils subissaient un dommage dans le cadre de leur activité professionnelle, voyaient leur réparation définie sur la base du forfait à pension.
Idée : la réparation du préjudice subi par l’agent public se faisait en application du droit des accidents du travail. Il était donc indemnisé en considération d’un forfait déterminé au regard de son taux d’invalidité ou d’incapacité.

Conséquence : ces indemnités ne réparaient pas les souffrances physiques ni le préjudice moral. Parfois, le préjudice matériel pouvait être considéré comme sous-estimé.

Le Conseil d’État a fini par mettre fin à ce régime profondément injuste :
Conseil d’État, 2003, Moya-Caville :
Les dispositions du Code des pensions déterminent de manière forfaitaire la réparation à laquelle a droit la victime, mais elles ne font pas obstacle à ce que l’agent qui a subi des souffrances physiques/morales/esthétiques… obtienne de la personne publique qui l’emploie une indemnité complémentaire, même en l’absence de faute.
Par ailleurs, si, à l’origine de l’accident, il y a une faute de l’administration ou un mauvais entretien d’un ouvrage public, la victime pourra engager une action en responsabilité de droit commun pour obtenir la réparation de l’intégralité du préjudice.

B – Date d’évaluation du dommage

À quelle date doit se placer le juge pour évaluer le préjudice ?
Est-ce que le juge doit se placer au jour du dommage ? Au jour du jugement ?

Pendant longtemps, le juge se plaçait au jour de la réalisation du dommage pour évaluer le préjudice.
Ce système était considéré comme inéquitable, notamment sous la pression de l’inflation.

Aujourd’hui, il faut distinguer 2 types de dommages :

  1. Concernant les dommages aux personnes (notamment le préjudice corporel) :
    Conseil d’État, 1947, Aubry :
    L’évaluation s’opère au jour du jugement.
    Cela permet de prendre en compte l’intégralité du préjudice subi par la victime.
  1. Concernant les dommages aux biens :
    Conseil d’État, 1947, Compagnie générale des Eaux :
    L’évaluation des dommages aux biens doit être opérée à la date où la cause du dommage ayant pris fin et leur étendue connue, il peut être procédé à leur réparation.

    Pourquoi ne pas retenir la date du jour du jugement ?
    Idée : la victime est censée prendre les initiatives nécessaires pour remettre le bien en état.
    La victime (ou son assureur) est censée avancer les frais.

    Cette jurisprudence apparaît inéquitable, mais elle connaît inéquitable, connaît un correctif : l’évaluation du dommage est reportée à la date où l’exécution des travaux est devenue possible lorsque l’exécution des travaux n’était pas possible pour des raisons techniques, juridiques, financières…

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